L'Illustration, No. 3261, 26 Août 1905
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L'Illustration, No. 3261, 26 Août 1905 - Various Various
Bulla.
COURRIER DE PARIS
Journal d'une étrangère
Paris-Biarritz.
On est lâche... On a passé quelques semaines à jouir égoïstement d'un Paris délicieux dont ceux qui vont prendre au loin leurs vacances ne soupçonnent pas le pittoresque et la grâce; on a savouré la paix de ses beaux jardins désertés, de ses rues presque silencieuses; autour des petites tables des cabarets du boulevard on a pu choisir sa place, sans hâte, et commander son dîner à des maîtres d'hôtel que l'oisiveté rendait affables; on a connu le sourire des cochers de fiacre... En compagnie de «ceux qui restent», on s'est efforcé de médire très spirituellement de «ceux qui sont partis»; et puis, un beau jour, on s'éveille toute troublée; une vague curiosité vous prend, je ne sais quel besoin de changer de place,--une nostalgie de l'ailleurs.
Et l'on fuit Paris, comme l'ont fui tous ceux dont on se moquait la veille.
Mais suis-je bien sûre d'avoir fui Paris? Et, parmi ce branle-bas joyeux de la «saison» commençante (la saison ici commence tard), n'est-ce pas Paris que je retrouve, aussi vivant, aussi fiévreux et fumeux que jamais?
C'est dommage... Et j'imagine la chose à la fois grandiose et charmante que serait un Biarritz à peu près solitaire, un tantinet sauvage; un Biarritz qu'ignorerait la mode; où, le long des rochers rouges, l'écume dû flot viendrait mousser et gronder, sans nul accompagnement d'orchestre,--devant un amphithéâtre silencieux de maisonnettes basques aux façades toutes blanches, coiffées de tuiles.
L'industrie moderne ne permet pas ces choses. Elle entend «exploiter» la nature et utiliser ses beautés. Elle ne saurait souffrir que, pour les spectacles coûteux où elle nous convie, tant de beaux décors soient perdus.
L'industrie s'est donc emparée de Biarritz et, si je n'aime pas beaucoup ce qu'elle y a fait, je reconnais que, tout de même, ce qu'elle y a fait est très digne d'être admiré.
Elle a construit là des palais; elle a tracé, aux flancs de cette colline, des avenues somptueuses et les a bordées d'hôtels princiers; elle en a, si je puis dire, discipliné les splendides végétations naturelles au gré de ses besoins; elle y a traité le fusain, le tamaris et l'acacia comme nos coiffeurs traitent une chevelure ou une barbe.
Les rochers n'étaient pas partout, à Biarritz, d'une fréquentation commode. L'industrie en a facilité l'accès; elle a pratiqué les «raccords» et donné les coups de lime nécessaires; et, cependant, elle a su conserver à l'ensemble du décor une apparence assez tragique pour qu'il fût possible au promeneur de goûter, parmi tant d'escalades inoffensives, l'illusion flatteuse d'un petit danger couru...
Elle a (naturellement) doté Biarritz d'un beau théâtre et du plus opulent des casinos; elle a déguisé ses cochers en postillons de l'autre siècle et paré sa plage de petites tentes rondes, très coquettes, qui semblent, à distance, un plant de champignons blancs rayés de rose...
Il était impossible que les gens amoureux d'élégance et de confort restassent insensibles à de si prodigieuses séductions. Ils sont donc venus... Et, derrière eux, se sont précipités tous ceux qu'appelait à elle cette clientèle délicieuse de flâneurs riches... Je me promenais, tout à l'heure, le long de ces rues aux devantures luisantes, astiquées comme des meubles neufs. J'y retrouvais nos «grands noms» de Paris,--l'enseigne du joaillier, du couturier, de la modiste en renom. Des terrasses des cafés s'échappaient, çà et là, comme par bouffées, des bruits d'orchestre; aux murs s'affichaient des programmes de spectacles, des noms de comédiens connus, l'annonce d'un prochain festival de Saint-Saëns...
C'est ici que mon amie la baronne P.... et son fils «se reposent» des fatigues de l'hiver parisien. Ils m'avaient conviée à venir partager avec eux ce repos. Je suis venue. Et je les regarde se reposer.
Ce spectacle me divertit infiniment. La baronne, à Paris, faisait deux toilettes par jour: toilette d'intérieur ou de visite; toilette de dîner ou de soirée. Elle n'en fait, ici, jamais moins de quatre: elle s'habille pour le bain; elle s'habille pour la plage ou pour la promenade; elle s'habille pour la table d'hôte; elle s'habille pour le casino.
Son fils Jean n'est pas moins occupé qu'elle, et je ne croyais pas--avant de l'avoir vu--qu'un homme pût avoir l'héroïsme de s'habiller et de se déshabiller si souvent en l'espace d'une seule journée. Jean m'émerveille. Entre neuf heures du matin et neuf heures du soir, je l'ai vu successivement chaussé de souliers blancs, de souliers gris, de bottines fauves et d'escarpins noirs. Je l'ai vu coiffé d'un chapeau de drap, d'un «canotier» de paille, d'une casquette blanche ou bleue de yachtsman, d'un