Une Goutte de Vie dans l'Amer
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Lorsque la France, le pays où Dieu est heureux, où la morale, le respect des autres et des lois sont enseignés, devient l'enfer, il faut par tous les moyens tenter de survivre. Survivre jour après jour en évitant les dénonciations, les arrestations, survivre en luttant au sein des Forces Françaises de l'Intérieur contre l'occupant, puis, après la libération, survivre alors que l'espoir de revoir ses parents s'éteint, gagner de quoi manger le soir lorsqu'on se retrouve seul. Et enfin dépasser sa douleur et se reconstruire, car la vie est plus forte que tout.
Alain Kleinsinger
Scientifique, entrepreneur, et passionné de relations internationales, l'auteur a mis à profit son expérience du monde de la finance pour synthétiser les risques majeurs auquels notre société doit faire face: environnement, économie, et choc des civilisations.
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Une Goutte de Vie dans l'Amer - Alain Kleinsinger
Sommaire
Avant-Propos
I - France, terre d’accueil
II - Paris dans les années 30
III - Mon Paris
IV – 1939
V - C’est la guerre !
VI - L’exode
VII - Paris sous l’occupation
VIII – 1942
IX – Drancy
X - Survivre !
XI - 6 juin 1944
XII - Libération de Paris
XIII - Automne 1944
XIV – Reconstruire
XV - 1946 - Revivre
Notes explicatives
* * * * *
Avant-Propos
J’ai écrit ce livre pour transmettre, surtout à mes petits-enfants Robin et Hugo, ce que mes parents et moi, comme tant d’autres juifs, avons vécu.
Je voudrais que mes descendants, et ceci jusqu’à la fin des temps, ne connaissent jamais ces horreurs.
Qu’ils se méfient des belles paroles et des discours doucereux.
Qu’ils restent continuellement sur leurs gardes.
Qu’ils aient foi dans l’avenir, dans leur propre potentiel, qui est gigantesque, mais qu’ils se méfient des hommes, car souvent sous l’apparence se cachent des instincts pervers et atrocement inhumains.
* * * * *
I - France, terre d’accueil
Le temps était certainement doux ce 29 juin 1926, jour de ma naissance. Rien ne laissait prévoir ma destinée.
Mes parents avaient quitté la Pologne en 1920.
Les conditions de vie y étaient en effet extrêmement difficiles, particulièrement pour les juifs. Dans leur grande majorité, les Polonais, soutenus par l’église, étaient fortement antisémites. Mes parents m'avaient raconté les souffrances et les vexations qu'ils avaient endurées continuellement. En plus, les jeunes gens étaient tenus de faire leur service militaire qui durait à cette époque entre trois et huit ans.
Mes parents avec donc décidé de choisir un autre destin. Ils choisirent d’émigrer en France.
Ne disait-on pas en yiddish « heureux comme Dieu en France » ?
Mon Père était donc venu un peu avant ma mère, en éclaireur, comme cela se faisait couramment en ce temps-la, débroussailler le terrain.
Papa était né en février 1895 à Varsovie dans une famille bourgeoise. La plupart de ses frères, sœurs et cousins avaient eu la chance de poursuivre des études. La majorité exerçait des professions intellectuelles : médecins, dentistes, ingénieurs, etc. Quelques-uns avaient déjà émigré vers les pays étrangers, certains en Australie, d’autres en Amérique. A l’époque nous étions très fiers car sa famille avait créé et possédait la célèbre usine de cosmétiques Tokalon Coty, l’équivalent d’Helena Rubinstein.
tmp_dfc2c8f6397b775431610eb8f7612965_Ud4Btq_html_698e8ab1.jpgMon père vers 1938
Mon père était érudit, très honnête, d’une grande gentillesse, plutôt rêveur et doté d’un flegme très « british ». Tout en lui contrastait avec ma mère hyperactive, très dynamique qui, elle, avait le sens des réalités et les deux pieds sur terre.
Maman était née en décembre 1894, à Varsovie également, mais dans une famille très pauvre d’une douzaine d’enfants.
Ils s’étaient connus à Varsovie et espéraient une vie plus heureuse que celle de leurs parents. Etait-il possible de vivre décemment plutôt que de survivre dans la peur ?
Dès la première guerre mondiale terminée, ils avaient donc décidé de fuir l’antisémitisme polonais, avec son collège de pogroms, de vols, de viols, pour le pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité…
Dès son arrivée en France, mon père écrit à Maman pour lui demander de venir le rejoindre à Paris. Mais le jeune couple, n’avait ni argent ni papiers.
Maman, se fit engager dans une fabrique de bonbons à Varsovie afin de se constituer un petit pécule pour subsister le temps du voyage jusqu’à Paris.
Les voyages de l’époque n’avaient rien de commun avec ceux d’aujourd’hui. Il fallait beaucoup de courage, et Maman en avait à revendre. Elle rassembla le strict nécessaire et entrepris le voyage vers l’Est... à pieds !
tmp_dfc2c8f6397b775431610eb8f7612965_Ud4Btq_html_719141ea.jpgMaman vers 1936
Pour passer la frontière allemande, elle mit son baluchon et quelques chiffons sous sa robe pour paraître enceinte. Après avoir traversé l’Allemagne, toujours à pieds, elle utilisa la même ruse à la frontière française.
La vie était si dure en Pologne que ce genre de voyage ne décourageait pas les jeunes qui voulaient fuir. La plupart des sœurs de maman Lotka, Magnai, Eva, et deux de ses frères, Lazare et Israël, émigrèrent également par la suite.
En 1920, Maman arriva enfin à Paris, et mes parents étaient à nouveau réunis.
Ils se marièrent en novembre.
Il fallait désormais s’organiser.
Ils trouvèrent un tout petit logement rue des Trois-Bornes.
Papa travaillait dans une fabrique de chapeaux. La chapellerie était un secteur très prisé a cette époque. Maman fut engagée comme modiste. Elle était très douée ; elle faisait naître de ses mains, comme par magie, de nouveaux modèles de chapeaux. De plus, grâce à son goût artistique et à son extraordinaire instinct, elle sentait les tendances de la mode.
II - Paris dans les années 30
Ma sœur Annette naquit le 31 mai 1921. Ils déménagèrent dans un petit appartement dans la rue Saint Paul, au cœur du vieux marais, quartier populaire qui n’avait pas la côte qu’il a aujourd’hui ! C’était un quartier rempli de vieilles maisons, de demeures historiques, entrecoupé de ruelles pavées et de passages étroits qui dataient du moyen-âge. Un quartier populaire, peuplé d’immigrés dont beaucoup étaient, comme mes parents, des juifs venus d’Europe Centrale ; Un quartier que j’aimais beaucoup. On y percevait les senteurs du passé.
tmp_dfc2c8f6397b775431610eb8f7612965_Ud4Btq_html_m21d5e00a.pngLivret de famille à l'arrivée en France de mes parents
Maman avait loué l’appartement voisin, sur le même palier, pour en faire un petit atelier de modiste, toujours de chapeaux. A la maison, mes parents parlaient yiddish entre eux, mais ils avaient appris un peu de français. Maman s’était inscrite au registre de commerce, je me souviens qu’elle avait déjà une ouvrière : Madame Chevalier.
J’allais à l’école maternelle près de la rue des Jardins Saint-Paul, située face à l’hôtel de Sens, magnifique construction du XIVème siècle. Quand je dis j’allais à l’école, il faudrait plutôt dire que l’on m’y traînait ; je me souviens encore de fessées mémorables.
Il me revient à l’esprit une image ou plutôt un goût : celui de la cuillère d’huile de foie de morue qu’on nous donnait chaque jour, Beurk ! Pour faire passer ce goût infect on nous donnait un biscuit qui ressemblait aux hosties que l’on donne dans les églises ; cela me déplaisait profondément.
Ma sœur allait à l’école de filles, juste à côté. Elle avait la responsabilité de me surveiller ce qui n’était pas une mince affaire, car j’étais assez coléreux et râleur ; bref,