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La Marque du Lynx (Les Trois Âges - Volume 1)
La Marque du Lynx (Les Trois Âges - Volume 1)
La Marque du Lynx (Les Trois Âges - Volume 1)
Ebook306 pages4 hours

La Marque du Lynx (Les Trois Âges - Volume 1)

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About this ebook

Pour les deux gamins de Tende, petite ville de l’extrême sud-est de la France encore italienne en cette période d’après-guerre, rien n’est plus agréable que de chasser et de poser des pièges dans la Vallée des Merveilles.

Ils connaissent parfaitement les graffiti de ce vaste territoire et savent comme toute la population que les rochers ont été gravés par leurs ancêtres de l’âge du Bronze. Devenus adolescents, ils sont frappés par leur ressemblance, et au village on sourit dans leur dos, car on sait...

Les Années folles battent leur plein sur la Riviera française, le champagne coule à flots sur la jetée-promenade de la magnifique baie des Anges, et rien ne laisse présager que la riche famille Leonardi, estimée de tous, devra bientôt affronter ses démons du passé, malgré elle.
Car ils vont être accablés par le Lynx, un maître-chanteur pervers qui, derrière son anonymat, les pourchasse inlassablement.
Sauront-ils le démasquer et l’empêcher de laisser encore une fois sa marque, cette fois de façon fatale ?

« La Marque du Lynx », à la frontière du roman historique et de l’enquête, est le premier tome d’une saga familiale en trois volumes (Les Trois Âges) se déroulant tout au long du XXème siècle.

Dans cette première partie de la trilogie, c’est toute l’époque de l’entre-deux-guerres qui nous est fidèlement révélée, servant d’écrin aux aventures d’une famille dont l’histoire se mêle intimement à l’Histoire.

LanguageFrançais
Release dateMay 22, 2013
ISBN9791091325608
La Marque du Lynx (Les Trois Âges - Volume 1)
Author

J.P Taurel

Médecin-rhumatologue, passionné d'écriture et utilisant ses loisirs pour se plonger dans un monde virtuel qui le fait voyager. JP Taurel écrit, perché dans les hauteurs de son immeuble situé derrière Notre-Dame de Paris.

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    La Marque du Lynx (Les Trois Âges - Volume 1) - J.P Taurel

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    LA MARQUE DU LYNX

    (Les Trois Âges – Volume 1)

    J.P Taurel

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2013 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2013. Collection Littérature. Tous droits réservés.

    ISBN : 979-10-91325-60-8

    Table des matières

    Prologue

    Chapitre 1

    Chapitre 2

    Chapitre 3

    Chapitre 4

    Chapitre 5

    Chapitre 6

    Chapitre 7

    Chapitre 8

    Chapitre 9

    Chapitre 10

    Chapitre 11

    Chapitre 12

    Chapitre 13

    Chapitre 14

    Chapitre 15

    Chapitre 16

    Chapitre 17

    Chapitre 18

    Chapitre 19

    Chapitre 20

    Chapitre 21

    Chapitre 22

    Chapitre 23

    Chapitre 24

    Chapitre 25

    Chapitre 26

    Chapitre 27

    Chapitre 28

    Chapitre 29

    Chapitre 30

    Chapitre 31

    Chapitre 32

    Chapitre 33

    Chapitre 34

    Chapitre 35

    Chapitre 36

    Chapitre 37

    Chapitre 38

    Chapitre 39

    À propos de l’auteur

    Remerciements à celle qui a supporté mon regard absent, les longues journées sur mon clavier et mon caractère bougon lorsque le « Lynx » me griffait dans le dos.

    À MD, qui parfois se reconnaîtra au détour d’une page.

    Prologue

    Saint Delmas de Tende, juin 1907

    « Enfantine et terrifiante, la marque gravée sur la pierre depuis des milliers d’années observait les humains et les menaçait de ses longs bras levés… »

    Qui n’a jamais connu ces merveilleux matins de juin, où la légèreté de l’air vous invite à chanter, n’a jamais été invité au festin de la vie !

    Assis sur une large pierre verte, l’homme contemplait la vallée… Au début ce fut un souffle, il ne l’entendit pas vraiment puis il reconnut une plainte résignée proche et profonde. Il se leva, l’oreille aux aguets ; rien, pas âme qui vive. Il se tourna et trembla… sur la pierre, menaçante, la marque du Lynx l’observait du fond de ses milliers d’années.

    La plainte reprit doucement, l’homme fit quelques pas et là, derrière le rocher, il distingua un tissu vert qui flottait au vent. Intrigué, il se pencha. Dans le trou il aperçut la femme qui bougeait faiblement. Lorsqu’il fut à sa hauteur, elle lui montra de la main sa cheville coincée par une grosse pierre ; elle était prise au piège.

    Sans attendre, il s’arc-bouta sur le bloc, banda ses muscles et, après deux tentatives, il libéra la captive… Elle n’était pas blessée.

    — Voilà deux heures ! Deux heures que je suis prisonnière de cette pierre ! Si tu ne m’avais pas entendue, j’y passais la nuit !

    Il examina la jambe, mobilisa le genou et la cheville et, rassuré, l’aida à se relever. Elle était maintenant debout mais poussait de petits cris lorsqu’elle voulait marcher.

    — Attends, je vais te porter pour descendre, seule tu n’y arriveras pas.

    Il la prit dans ses bras et se mit en marche vers le village. Rassurée, elle se reposait les yeux mi-clos, mais déjà elle ne pouvait détacher son regard de la toison brune et frisée aperçue par la chemise entrebâillée. Ils avaient le même âge et se connaissaient… elle posa doucement la tête sur son cou.

    Furtivement ils se regardèrent, lui aussi elle le sentait troublé. Il s’arrêta et un instant penaud baissa les yeux puis, décidé, il la fixa à nouveau et son regard exprima alors une terrible culpabilité.

    Affolée, elle se dégagea et se remit debout.

    — Je te remercie, ça ira, je pourrai descendre seule au village ; tu le sais comme moi, si je reste à tes côtés nous ferons des bêtises. Toi et moi nous sommes mariés devant Dieu et ne pouvons trahir notre serment.

    L’homme reprit ses esprits, se retourna et monta vers le mont Bégo. En se cachant le visage, il murmurait.

    — Comment, dans ma tête de fou, ai-je pu trahir ma femme adorée ? Si elle ne s’était pas enfuie… j’aurais trompé mon amour ! Et cette marque du Lynx qui m’observait, plaquée sur sa pierre ; elle, c’est sûr, elle ne m’oubliera pas… Pour toujours, je suis maudit.

    Chapitre 1 – La crevasse

    Tende, février 1919

    Comme tous les matins d’hiver, il glissait avec délice sur la pente verglacée de sa rue. Ce chemin, taillé dans le rocher où alternaient de pauvres masures et des jardins potagers, serpentait jusqu’au porche du palais Leonardi. Aujourd’hui, il avait pris la précaution de se lancer plus bas que sa maison ; là, il en était sûr, sa mère ne pourrait le voir.

    — Si tu troues ton pantalon, Giacomo, tu goûteras à la ceinture !

    Cet enfant me rendra folle, il ne sait pas quoi inventer pour faire le mal !

    — J’ai posé le lait sur le buffet de l’entrée (il avait lâché ces quelques mots avant de claquer la porte). À midi m’man !

    Il commença son exhibition en dessinant sur la pente de téméraires arabesques puis s’enhardit et prit de la vitesse. Giacomo, le roi du patinage sur glace de son village, n’avait pas prévu une telle humiliation : après avoir heurté une pierre descellée, il fit une roulade peu glorieuse jusqu’aux pieds d’Ettore Leonardi, qui l’attendait assis sur le seuil de son opulente maison.

    Le jeune homme ricana devant la débandade du patineur et il attendit que celui-ci soit remis sur pied pour lui adresser quelques mots.

    — Demain on ira à la chasse mon gars, tu es en forme malgré ton numéro de clown ? Ce soir prépare ta fronde, je connais un nouveau coin à l’entrée de la Vallée des Merveilles où on devrait remplir notre sac si tu ne gâches pas tout, comme à ton habitude.

    Ettore parlait ironiquement au naufragé. Il aurait pu avoir l’élégance de lui faire sentir qu’il n’avait pas vu la chute de Giacomo mais au contraire il s’efforça de le ridiculiser… À chacune de ses interventions, on sentait qu’il prenait une revanche.

    Habitué aux sarcasmes du riche fils Leonardi, Giacomo vexé, murmura :

    — Je commence à en avoir assez de ce crétin, toujours dans mes pattes.

    Il jugea cependant préférable de changer de sujet, et aborda un thème plus consensuel.

    — Surtout n’en parle à personne, j’ai tendu des collets hier avant la nuit. Si tu veux m’accompagner, il ne faudra pas traîner, ce salaud de renard est toujours à l’affût, en quelques minutes, il pourrait piquer notre butin !

    Pour les deux garnements, l’hiver dans cette haute vallée piémontaise était un pur bonheur. Ils s’échappaient au petit matin, les doigts engourdis par le froid, et se dirigeaient, armés d’une fronde et d’un arc, vers leur territoire, là où leur mère ne viendrait pas les déranger, à la cabane.

    La nuit suivante, la neige tomba en abondance, recouvrant les toits de lauze d’un gros édredon sous lequel les maisons endormies paraissaient toutes petites, comme dans les contes pour enfants.

    Ils s’étaient donné rendez-vous au matin sur la place ; là tout était calme. Le village s’éveillait pourtant, comme en attestaient une odeur de papier brûlé se répandant alentour et les longues colonnes de fumée grimpant droites vers un ciel d’acier. En ces temps, allumer la cheminée était un geste machinal et tous les villageois, à peine le pied à terre, craquaient une allumette pour donner vie à leur foyer.

    Les deux compagnons transportaient dans leur gibecière un solide casse-croûte réclamé à la cuisinière et ils se souriaient à l’idée de se livrer à leur occupation favorite, la seule qui puisse les réunir, la chasse. Ettore, à l’arrivée de son complice, salua son exactitude en soulignant au passage la rareté du phénomène. Giacomo, exaspéré, le remit en place.

    — Tais-toi, mais tais-toi cinq minutes ! Tu sais que tu deviens de plus en plus casse-pieds, si c’est si pénible d’être avec moi, cherche un autre copain ! Je veux te dire aussi, j’en ai plein le dos de ton affection malsaine… Toujours à me frôler, à me tripoter, je ne t’appartiens pas, que je sache !

    Vexé, Ettore ne répondit pas sur le champ. Pourtant, au bout de quelques minutes, il joua l’apaisement.

    — Si on parlait de chasse, peut-être pourrions-nous mieux nous comprendre.

    — Oui sûrement, parle de chasse, parce que pour le reste tu m’énerves.

    Ils avançaient maintenant lourdement et déjà le village se dessinait derrière eux comme une de ces délicates cartes postales que l’on pouvait voir à la vitrine de l’épicier… on leur disait que c’était des reproductions photographiques !

    — Si on se fait prendre par le garde, on est bon pour la confiscation de notre matériel et un coup de pied au cul ! On n’a pas le droit de chasser par temps neigeux, tu le sais comme moi, c’est interdit.

    — Mon père est pourtant sorti avant le lever du jour, je ne crois pas que ce soit pour jouer aux cartes ! La mère était d’ailleurs furieuse, elle n’arrêtait pas de crier !

    Leurs pas craquants s’enfonçaient dans la neige, rendant la progression difficile, mais les deux amis étaient jeunes et vigoureux, et continuaient à bavarder dans le silence hivernal.

    Songeur, Giacomo demanda à Ettore, en regardant le bout de ses chaussures :

    — Souvent je me demande comment ton père, lui qui possède toutes les terres de la vallée, laisse son précieux rejeton fréquenter le fils de son régisseur.

    — Il n’y a pas de secret à cela, d’ailleurs il m’en a parlé à plusieurs reprises, Georgio, mon père, a été élevé de la même façon. Pour lui, cette amitié hors du milieu familial m’apprendra la tolérance et le respect de l’autre, même et surtout si l’autre, c'est-à-dire toi, devient un jour mon subordonné.

    — Parce que tu crois que je serai un jour ton employé ? Mais tu rêves, j’ai d’autres ambitions !

    — Peut-être seras-tu mon employé ou peut-être mon patron, c’est la vie qui le dira, l’essentiel c’est qu’on puisse aller à la chasse quand on en a envie et c’est peut-être pour cela qu’il considère notre camaraderie avec respect, c’est pour la chasse !

    Giaco sourit et rétorqua à son camarade :

    — Tu te fous de moi.

    Depuis des siècles, la famille Leonardi était respectée dans la vallée. Georgio, le père d’Ettore, possédait douze fermes en exploitation, ce qui faisait de lui le plus important producteur laitier de la région. Son père lui avait appris dès l’enfance le respect du travail et plus précisément du travail des paysans. Élevé dans ces principes, Ettore adolescent restait fier du comportement social de son père.

    — Tu sais, il est peut-être rude envers ses employés mais il le sait très bien, sans eux pas de récoltes, pas de lait et pas d’argent à la banque ! Les fermiers, je les entends d’ici, leur vraie crainte ce n’est pas de recevoir une engueulade du vieux, c’est surtout que le père Georgio vende ses terres à un homme de la ville qui ne connaîtrait pas le métier.

    — Oui, tu as sûrement raison, mais tu ne cesses pas de parler ce matin. Si on veut surprendre le gibier, il faut se taire. Silence ! Arrêtons-nous sous cet arbre, il me semble avoir entendu du bruit… Regarde, là-bas sous la pinède ! Il nous a sentis, il file, c’est un mâle, il termine sa nuit de chasse. Pas fréquent de rencontrer un loup à si peu de distance !

    Le prédateur avait dévoré ses proies toute la nuit et ce matin le goinfre, copieusement alourdi, était moins vigilant ; et puis il y avait la neige qui changeait ses repères. La neige, la première de la saison, les bêtes et les hommes n’y étaient pas encore habitués.

    — Nous arrivons dans le vallon de la Minière, ici sous les pins la température est beaucoup plus douce. Attends, j’ai mis deux collets dans cette passe près des grands chênes, allons voir ce que ça a donné !

    — Tu es marrant, toi, on va voir quoi ? Avec cette neige, les collets, on n’est pas prêts de les repérer !

    — Oui, pour une fois tu as raison, franchement je ne suis pas très réveillé ce matin… je te propose de monter jusqu’à l’entrée de la vallée pour découvrir le spectacle et puis on redescendra au village.

    Durant toute leur balade, ils n’avaient pas vu le père de Giacomo et s’en étonnaient, car c’était là son territoire privilégié.

    — C’est curieux, c’est bien ici qu’il vient braconner habituellement.

    — Qui t’a dit ça, que mon père braconne ?

    — Personne, personne ! Il ne braconne pas, c’est bien connu, il disparaît dans la vallée pour prier le Seigneur !

    — Arrête, tu m’agaces ! Mais c’est vrai, on n’a rien vu et rien entendu… il doit être rentré.

    Onze heures sonnaient dans le lointain, au clocher de l’église Notre-Dame de l’Assomption. La collégiale détachait sur l’horizon blanchâtre sa teinte ocre et rosée de pâtisserie glacée. Les deux jeunes gens prirent la sente en direction du village.

    — Là, on est irréprochables, pour une fois on rentre à l’heure !

    Pourtant, bien qu’ils aient respecté la consigne, on sentait que ça allait chauffer : la mère de Giacomo l’attendait au bas de sa rue et elle paraissait particulièrement agitée.

    — Ton père avait rendez-vous avec un métayer ce matin et il ne s’y est pas rendu. Il a disparu… aucune nouvelle, il n’a dit à personne, pas plus à moi qu’à ses amis, où il comptait aller !

    Giacomo tenta de rassurer sa mère alors que lui-même commençait à être inquiet. Il proposa :

    — Veux-tu que je fasse un tour dans la Vallée des Merveilles ? Je suis presque certain qu’il s’est baladé dans cette direction pour admirer le paysage givré. La chasse, avec cette neige, ce n’est pas possible !

    — Je t’accompagne, Giaco, je ne peux pas te laisser seul par ce temps de neige, malin comme tu es, tu serais capable de te perdre. Je préviens chez moi et j’arrive.

    — D’accord, mais fais vite !

    Ettore et son ami disparurent dans l’obscurité de la maison Leonardi dont la porte d’entrée était ornée du blason familial. Sa mère, en cuisine, les mit sérieusement en garde.

    — Vous avez quatre heures, pas plus, vous savez qu’en cette saison la nuit tombe vite, prenez quelque chose pour calmer votre faim et deux gourdes de soupe chaude… Quatre heures, je vous le répète ! Ton père a l’habitude de la montagne, mon garçon, je suis sûre qu’il sera rentré à votre retour.

    Les deux amis reprirent le chemin rendu boueux par les sabots des villageois et se trouvèrent une heure et demie plus tard à l’entrée de la magnifique Vallée des Merveilles, habitée depuis des millénaires. Des gravures dans la pierre montraient à qui voulait s’y intéresser l’importance des travaux agrestes de nos lointains ancêtres. Aujourd’hui encore, on sentait transmis, au travers des siècles, le respect de ces travailleurs de la terre pour la montagne sacrée… ils la vénéraient et ils en craignaient la colère. Le mont Bégo était la matérialisation d’une divinité protectrice et cette déesse mystérieuse pouvait les aimer mais aussi les terrasser sans pitié. Pour ceux de la vallée, le dieu de la montagne avait été représenté par l’homme préhistorique sur une large pierre verte profondément gravée… les villageois l’appelaient « la marque du Lynx ».

    Ici, le froid était plus vif et le vent levait une poudreuse glacée limitant la visibilité. Aujourd’hui, point de marques préhistoriques visibles, tout était blanc. Ils marchaient de plus en plus lourdement dans le silence glacial, en se protégeant la face d’un foulard de coton.

    — Attention, Giaco ! Tu as manqué tomber dans cette crevasse, attends bouge pas, je vais t’aider à te dégager ! C’est un pont de neige qui s’est rompu, putain mais c’est profond là-dedans… J’aperçois quelque chose de rouge au fond, on dirait un vêtement. Oh, malheur, mais c’est quelqu’un, il y a quelqu’un dans ce trou !

    Giacomo avait compris ; ce manteau rouge, il le connaissait, c’était celui de son père. Il se mit à crier en mettant ses mains en porte-voix.

    — Papa, tu nous entends, c’est nous, tu es blessé ?

    Aucune réponse, rien que ce vent qui s’était maintenant levé avec force et obligeait les deux jeunes gens à ajuster leur foulard pour ne laisser dépasser que les yeux.

    Giaco, le regard rivé sur le manteau, commença sa descente vers le faible espoir qui lui restait. Il fut vite étonné par la facilité de l’opération et comprit alors que si son père n’avait pu remonter de son piège, c’était parce qu’il était gravement blessé… ou inconscient.

    Ettore, au bord du gouffre, mit en garde son compagnon.

    — Sois prudent, attention à ne pas glisser sur ces pierres humides. Tu sais à quel point tu es maladroit, tu serais bien capable de te casser une jambe en tombant sur la neige.

    Il l’exhortait à prendre mille précautions mais Giaco ne pensait qu’à rejoindre son père, son cher Silvio, et à l’entendre le rassurer. Il cria en direction de la surface.

    — Ettore ! Il respire, il n’est pas mort, mais il est sérieusement blessé, il a perdu connaissance. Il faut qu’on le remonte, si on le laisse là il mourra de froid ! Peux-tu m’aider à le remonter ?

    Lentement les deux jeunes gens hissèrent le corps inanimé en le faisant glisser sur la neige.

    Le blessé avait abondamment saigné du cuir chevelu et son visage parcouru de lacérations et de plaies multiples était pâle et couvert de sueur.

    — Tu as vu sa figure, on dirait qu’il a été mordu, il lui manque une oreille !

    — Il me semble distinguer un manteau en fourrure au fond du trou, occupe-toi de ton père, je vais descendre pour voir avant la nuit.

    — D’accord, en attendant, allongeons-le ici à l’abri de ce rocher, il faut le couvrir et le réchauffer, on ne pourra pas seuls le ramener au village !

    Ils allumèrent un feu de bois mort puis ils couvrirent le père de Giacomo avec deux tricots dont ils s’étaient délestés en hâte. Ettore descendit alors prudemment dans la crevasse dont les parois glacées étaient devenues très glissantes.

    — Giaco ! Ce n’est pas un manteau de fourrure, c’est un loup et il est mort d’une plaie au poitrail. Tiens, voilà le couteau, je le remonte.

    Arrivé près de son compagnon, il exhiba le grand poignard qu’il retira de sa poche.

    — Ettore, il n’y a pas de doute, c’est le couteau de mon père. Il a été attaqué par le loup, mais a eu la force de se défendre et de tuer la bête.

    Le jeune homme se coucha aux côtés de son père et lorsque son ami fut parti chercher du secours, il retira son manteau et le posa sur Sylvio. Collé contre son père, il tenta de lui infuser sa chaleur et il en fut récompensé lorsqu’il eut la joie de le voir faiblement ouvrir les yeux. Il présenta alors aux lèvres du blessé la gourde de soupe encore chaude et le pauvre homme réussit à en déglutir quelques gorgées.

    — Ne parle pas papa, repose-toi, je vais alimenter le feu. Ettore est descendu chercher du secours et il va revenir dans peu de temps avec du monde, ne crains rien, on va te sortir de là.

    — Ma jambe, oh ! Dieu du ciel, ma jambe me fait mal.

    Sylvio grimaça et à nouveau perdit conscience.

    Derrière le rocher, le vent était moins pénétrant. En partie rassuré par les quelques mots murmurés par son père, Giacomo ferma les yeux et se reposa.

    Une heure plus tard, Ettore apparut dans le blizzard, accompagné de son père et de quatre costauds du village. D’emblée, Georgio prit la tête des opérations.

    — Vous l’avez bien réchauffé les enfants, j’en suis sûr, vous lui avez sauvé la vie ! Attention en le soulevant, tenez sa jambe, on va l’installer sur le brancard.

    Après avoir soigneusement installé Sylvio, ils organisèrent la colonne pour le retour au village.

    — Remettez vos tricots sur le dos, les garçons. Pour lui on a apporté des couvertures.

    Le cortège redescendit lentement vers la civilisation… il était temps, la nuit tombait et avec elle un froid piquant qui raidissait la végétation. Ce froid, poussé par le vent du nord, allait vite abaisser la température de la vallée, rendant le chemin glissant pour eux et dangereux pour le blessé.

    Dans le bourg, beaucoup d’habitants rassemblés sur la place les attendaient et leur arrivée déclencha des applaudissements à la hauteur de l’inquiétude suscitée par l’événement.

    — Les voilà, ils ramènent Sylvio sur le brancard. Oh mon dieu le pauvre homme ! Il a beaucoup saigné, il en a plein la figure !

    Ils entrèrent dans la chambre du régisseur et le posèrent délicatement sur le lit afin de lui administrer les premiers soins.

    — Il faut ligaturer sa jambe, elle est cassée… attends, on va découper sa culotte on y verra plus clair. Oh malheur, mais on voit l’os !

    — C’est pas très bon ! Il faut quand même déchirer son pantalon, il est sale et plein de sang.

    — Va donc scier trois manches à balai, tu feras des bouts d’un mètre, ainsi on maintiendra sa jambe bien droite. Marisia, tu peux nous faire chauffer de l’eau ? Je vais nettoyer la plaie.

    Georgio s’adressa alors à sa femme.

    — Giovanna, sors la bouteille de prune du placard, la forte tu sais, celle ou tu verras marqué « eau de feu » sur l’étiquette. Un verre pour chacun de nous, les femmes comprises, ça nous donnera du cœur… et un autre verre pour nettoyer les plaies de notre pauvre Sylvio. Attends, je vais lui en faire goûter un peu.

    Les cinquante degrés de la prune distillée à l’alambic du village réveillèrent un instant le régisseur ; il écarquilla les yeux, étonné de se trouver dans un endroit familier, et déclara d’une voix faible :

    — La jambe

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