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Chronosine: Les Voyages dans le Temps
Chronosine: Les Voyages dans le Temps
Chronosine: Les Voyages dans le Temps
Ebook323 pages3 hours

Chronosine: Les Voyages dans le Temps

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About this ebook

Dans les années 1895, le Professeur Nerve expérimente une potion trouvée au Dahomey qui permet de se déplacer dans le temps.
Accompagné de son fils, il vont lutter pour préserver l’Histoire du monde.
Une autre vision des évènements qui ont marqué l'histoire, de la guerre de 1870 au 11 septembre 2001, dans un univers familier mais en même temps très différent.

LanguageFrançais
Release dateMar 12, 2014
ISBN9781311804358
Chronosine: Les Voyages dans le Temps
Author

Sylvain Henri André Agneray

Né en 1966 à Paris et domicilié en région Parisienne, Sylvain H.A. AGNERAY a eu, dès son plus jeune âge, un goût prononcé pour l’Histoire de l’Homme au travers de ses découvertes, ses réalisations et pour l’être humain lui-même tant dans ses qualités que ses défauts.La peinture, le théâtre sont avec l’écriture et le travail du cuir ses grandes passions.

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    Chronosine - Sylvain Henri André Agneray

    CHAPITRE I

    « J’avais toujours considéré le temps comme quelque chose de linéaire. Une sorte de tunnel où l’on entrait d’un bout sans pouvoir faire marche arrière. Rien dans ma formation scientifique, même si je suis conscient qu’à cette époque notre communauté savante ne faisait que jeter les bases d’un avenir plus grand, ne m’avait préparé à ce que j’allais vivre.

    Je pensait aux aérostats, au formidable potentiel d’une exploitation de l’espace aérien libéré des contraintes naturelles, aux bienfaits de l’électricité et de la vapeur.

    Je commis quelques erreurs en négligeant le pétrole pour un usage autre qu’industriel, par exemple.

    Mais si j’éprouvais quelques doutes et s’il subsistait en moi de nombreuses interrogations, le déroulement du temps et de l’Histoire me paraissait immuable. »

    Lucien Nerve

    ***

    Aux environs de Paris - 1895

    C’était à l’aube d’un siècle nouveau.

    L’Humanité commençait à industrialiser ses créations.

    La machine, qu’elle soit à vapeur, électrique ou utilisant un combustible, prenait le relais de la force musculaire. Bientôt la population paysanne serait minoritaire.

    Certains voyaient d’un mauvais oeil ces changements tandis que d’autres faisaient office de pionniers et poussaient leur recherche jusqu'au péril de leur vie.

    Les grandes capitales Européennes offraient un nouveau visage et les transports devenaient collectifs.

    En cette année 1895, pleine de vapeurs et de poussières de charbon, naquit un art nouveau : le cinématographe. L’homme prouvait ainsi qu’il gardait en lui une part de rêve et de magie.

    Dans une demeure familiale près de Paris, Lucien Nerve vit avec son fils Charles. Agé de quarante-cinq ans et de stature moyenne, il a l’esprit vif et le regard intelligent. Quand il pose l’oeil sur quelqu’un il provoque parfois un sentiment étrange, donnant l'impression qu’il lit en vous vos pensées les plus secrètes. Lorsqu’il écoute un interlocuteur, ses lèvres dessinent une grimace qui peut passer pour un sourire. Cela lui vaut la réputation d’être moqueur mais il n’est en réalité qu’attentif et curieux. Autrefois son humour et sa pertinence étaient très appréciés dans les réceptions mondaines mais hélas un drame personnel l’avait privé de sa joie de vivre. Son épouse, Marie, a été rappelée à Dieu lors de la venue au monde de leur fils unique, il y a de cela 15 ans. Cet enfant est sa plus grande fierté, plus que ses travaux, au-delà de ses trouvailles. Charles est un jeune homme chétif que la gymnastique n’arrive pas à développer. C’est une brindille qui semble prête à se briser au moindre coup de vent. Il est pourtant de bonne taille pour son âge. Lorsque l’on évoque son teint pâle, son père dit que c’est un héritage de sa mère. Charles se destine à être enseignant, car même s'il admire son père, il n’a pas l’esprit scientifique.

    Se réfugiant dans le travail pour fuir son chagrin, Nerve ne s’est jamais remarié.

    Lucien Nerve est un chercheur passionné, enthousiaste, fulgurant. Sciences, Mathématiques, Chimie, de notoriété publique on ne lui connaît aucune discipline qui lui soit étrangère. Ses diplômes lui donnent accès aux grandes institutions Parisiennes. Fortuné, ayant hérité de biens familiaux importants, il a tout le loisir d’organiser sa vie comme bon lui semble. Et bien qu’il ait la possibilité financière de posséder son propre laboratoire, il préfère travailler à la Faculté de Paris. Cela lui donne l’occasion de rencontrer d’autres savants, de tisser des liens, et surtout, de partager avec des personnes de son niveau des idées de recherches. Il porte d’ailleurs le titre honorifique de « Professeur ».

    Malgré sa vie professionnelle remplie, il essaye de ménager des moments qu’il passe à marcher dans le parc accompagné de son fils. La propriété est constituée d’une maison de Maître, en brique et pierre, au toit d’ardoises. Une fort jolie demeure de deux étages. Attenantes à la maison, des écuries où Lucien dispose d’un fiacre et de trois chevaux. Trois domestiques gèrent la maison. Le parc, assez vaste, est clos de murs et de hautes grilles de fer en ferment les issues. Entretenu de façon grossière par un homme qui commence à devenir trop âgé pour mener à bien son travail. Cela donne au jardin un aspect sauvage, « naturel » aime à dire le Professeur. Lucien et son fils y font de la botanique. Parfois, lorsque la saison est propice, y ramassent des champignons.

    Cette demeure, autrefois sans attraits, avait été profondément remaniée par feu le père de Lucien. Après qu’il eût amassé une belle fortune, il consacra sa vie à donner à la maison qu’il tenait de ses parents un aspect moins austère.

    Il fit creuser un bassin et aménager tout autour un jardin. Le reste des terres restant sauvage, il pouvait organiser des chasses et recevoir ses hôtes en plein air dans un espace verdoyant.

    Parallèlement, il transforma une ancienne grange à foins en écuries spacieuses et fonctionnelles. La maison et son parc s’étaient ainsi métamorphosées en une propriété bourgeoise sans luxe particulier mais très agréable à vivre.

    Durant les dernières années de sa vie, un grand nombre de domestiques s'affairaient à entretenir le domaine.

    Lorsque Lucien avait hérité de l’ensemble des biens de son père, il avait restreint la domesticité car il se sentait mal à l’aise dans la peau du Maître. Le Maitre c’était son père et se rôle lui convenait. Pas à lui.

    Le Professeur chérissait cette maison et si aucune partie de chasse n’était plus organisée, les jardins et le parc lui donnait toute l'attitude pour s’adonner à la réflexion que réclamaient ses travaux scientifiques. Il n’était pas rare de le trouver assis sur un tronc d’arbre, notant dans un carnet une idée fulgurante.

    Un matin, au cours d’une de ces promenades qu’il faisait avec son fils, Lucien semblait absent. Il ne répondait que par onomatopée aux innombrables questions de Charles. Intrigué, le jeune homme finit par prendre la parole, car ce n’était pas dans les habitudes de son père :

    « Père, pardonnez-moi, mais vous semblez absent et cela me met dans l’embarras. Pouvez-vous s’il vous plaît m’expliquer ce qui vous préoccupe ainsi ?

    - Oui, mon fils, merci de m’en donner l’occasion. Arrêtons nous un instant. »

    Après s’être installé dans l’herbe, il fit durer le silence encore quelques instants pour se livrer à une réflexion puis reprit la parole :

    - « Charles, te voici déjà bien grand. Quinze ans déjà ont passé. Je te vois fort grandi, presque un homme maintenant. Lorsque je te regarde, je discerne les traits de ma pauvre Marie, ta douce mère. Je suis fier de toi mon enfant. Et je ne souhaite pas que par mon insouciance et ma légèreté tu ne te retrouves en danger.

    - En danger, Père ? »

    Il regardait ce dernier comme si ce qu’il venait de dire paraissait impossible. Le visage qu’il avait en face de lui était si crispé, si triste que la réponse semblait évidente : son père avait peur !

    - « Oui, mon fils, nous sommes en grand danger l’un comme l’autre. Mes travaux sont la cause de cette folie qui nous menace.

    - Vos travaux ? Mais, Père, je ne connais rien de vos travaux, vous n’en parlez jamais.

    - A vrai dire, en fait, si je me montre aussi réservé c’est que certaines de mes expérimentations sont d’un ennui mortel. Tu sais que nous disposons d’une fortune qui pourrait nous dispenser de travailler. Mais n’étant pas de nature oisive, c’est une manière pour moi d’occuper ma vie. Et, j’ai beau m’en défendre, certains confrères de la Faculté me trouvent brillant et me demandent de vérifier l’expérience d’un autre. Les recherches que je fais pour mon propre compte sont les plus passionnantes. La plupart du temps, en plus de mener à bien mes études personnelles je dois les protéger et vivre dans le secret. Parfois, je n’ai pas l’impression de faire de la recherche mais de préparer des explosifs pour une quelconque cause anarchiste. Il est ardu de trouver aussi des personnes de confiance pour partager des découvertes. Depuis quelques années, il règne une concurrence sévère entre tous les savants. Les avancées scientifiques sont de plus en plus rapides, toujours plus spectaculaires et font naître de nouvelles vocations. Nous sommes dans un siècle de découvertes et de progrès. Concernant mes propres travaux, te souviens-tu de Monsieur l’Abbé Rétule ? »

    Le jeune homme avait en effet le souvenir d’un homme en soutane qui passait parfois des soirées entières avec son père. Mais c'était des choses d’adultes et il n’était ni intéressé, ni même convié d’ailleurs, à ces réunions de savants.

    - « Monsieur l’Abbé Rétule était un homme de sciences, comme moi. Nous nous étions croisés à l’Université de Paris lors de la présentation d’une découverte scientifique Allemande portant sur le passage d’un courant électrique à travers un gaz sous basse pression. Sa découverte, les « Rayons X », comme il les nomment, pourrait avoir des répercussions étonnantes. Toutefois, le sujet n’est pas là. L’Abbé et moi, donc, avons vite sympathisé. Sa présence ravissait ta défunte mère qui, tu le sais, était plus férue que je ne le suis en religion. L’Abbé ne manquait pas de me rappeler que mon agnosticisme me conduirait tout droit aux enfers. Paix à son âme. »

    Lucien marqua un temps et entreprit de lui parler de ses nombreux points communs avec Monsieur l’Abbé. Leurs travaux s’interpénétraient : les siens pour la gloire de l’Humanité, ceux de l’Abbé pour la gloire de Dieu. Ils partageaient toujours leurs découvertes, chacun stimulant l’autre.

    - « Au cours de ces années, un de nos confrère savant nous présenta un homme : Monsieur Charles de Lavalière, fils d’une famille puissante et très en vue. Une famille dont la fortune s’était bâtie sur le dos des esclaves. Augmentée aussi par de judicieux placements dans les mines de charbons et d’acier et de l'armement. J’eus l’occasion de rencontrer le père de cet homme. Aussi glacial que son fils semblait charmant. Lavalière utilisait la fortune de sa famille prétextant « étudier ». En réalité, ce charlatan faisait travailler pour son compte d’autres savants à qui il ne faisait que donner ses directives. Il s’attribuait ensuite les découvertes scientifiques, au motif que c’était lui qui en définissait l’axe des recherches. C’est un homme formidablement intelligent. Il a fait illusion de nombreuses années et nous a berné, l’Abbé et moi. Je sais aujourd’hui qu’il est responsable de la mort de l'ecclésiastique.

    - Mais, Père, comment pouvez-vous accuser un homme de meurtre sans savoir s’il ne s’agit pas d’une coïncidence ? Je crois me souvenir que l’Abbé est décédé des suites d’un malaise cardiaque.

    - Oui, je le sais. Mais que Lavalière en soit la cause n’aurait rien de surprenant. En cela, je dispose d’une preuve : un article récent dans « La Revue Scientifique » portant la signature de Lavalière et reprenant au mot près les bases d’une théorie que nous avions ébauchée avec l’Abbé sur la modification des céréales pour améliorer les récoltes indigènes et dont je détiens une copie autographe. J’ai tenté de mettre Lavalière en défaut en lui sommant de m’expliquer la provenance de ses sources et la nature exacte de ses travaux. Confronté aux notes de l’Abbé, il changeât de ton et se fit menaçant. Si j’en venais à remettre en cause publiquement sa supercherie, il ne manquerait pas de m’arriver un accident aussi fâcheux que stupide, de la même nature que celui qui nous enleva l’Abbé Rétule. Ne sachant que faire, je rentrais ici. C’était il y a de cela quelques semaines.

    - Enfin, Père, il ne vous est rien arrivé de fâcheux jusqu’alors, qu’est-ce qui vous angoisse ainsi ?

    - Il se trouve que pas plus tard que la semaine dernière, un Père Missionnaire revenant du Dahomey m’a remis un paquet. Il contenait une missive adressée à Monsieur l’Abbé Rétule. Après avoir pris connaissance de son contenu et pris mes renseignements sur l’origine de l’envoi, je désirai m’entretenir avec le moine qui m’avait remis le courrier. On m'apprit que celui ci avait été rappelé à Dieu. Le jour même de sa venue ici, te rends tu compte : le pauvre homme s’était fait renversé par l’un de ces nouveaux véhicules automobiles. Et qui, si ce n’est Lavalière, possède l’un de ces engins ?

    - Vous voulez croire que Lavalière aurait renversé cet homme d’église ? Mais pourquoi ?

    - Oui, mon fils, oui… A cause du contenu même de la lettre. L’abbé avait pris des dispositions pour que son Ordre me fasse parvenir tout ce qui avait trait à ses recherches s’il venait à lui arriver malheur. Et qui d’autre que moi aurait été intéressé par cela ?

    - Lavalière !

    - Exactement, fils. Exactement ! Et il se trouve que depuis ce matin l’on me dit que Lavalière cherche à me contacter. Cela fait, conviens-en, bien des coïncidences… D’autant que depuis hier, en revenant de la faculté, j’avais l’étrange impression d’être suivi. Voilà qui doit sembler étrange, mais tu sais que je ne suis pas sujet aux excentricités, même si mon comportement peut parfois sembler surprenant. J’ai peur mon enfant. Grand-peur. Certains serviteurs de Lavalière, des Noirs d’Afrique ramenés de colonies lointaines, semblent privés de toute forme d’intelligence et de toute forme d’humanité. Des brutes sans âmes, sauvages, dangereuses. Est-ce le fruit de mon imagination ou les informations que je détiens, mais ces hommes me semblent être reliés au Vaudun, sinistre culte sanglant du Dahomey. »

    Il sortit un carnet relié de cuir de sa besace, ainsi qu’une poterie en forme de goutte d’huile.

    - « Je ne me sépare plus de mon carnet de recherches ni de ces fioles. Les pouvoirs qu’ils renferment ne doivent jamais tomber dans les mains cupides de ce sinistre Lavalière. Lors d’une mission au Dahomey un des Pères Missionnaires, cousin de l’Abbé Rétule, fit une étrange expérience. Une sorte de sorcier sauvage, un chaman ou quelque chose comme cela, avait la possibilité de disparaitre aux yeux de tous et de revenir à son point de départ pour livrer des informations sur le futur.

    - Impossible, Père ! S'écria Charles, ceci est fichtrement impossible !

    - C’est ce que nous crûmes aussi. Mais nous avons reçu une de ces fioles, que nous avons testée sur nous-mêmes afin de n’avoir aucun doute possible, et par ma foi, nous avons été aussi transportés vers l’avenir que ce sorcier du Dahomey.

    - Allons donc, Père ! Dit-il en souriant, incrédule qu’il était.

    - Et pourtant ! Devant mes yeux je vis la façade de la gare de l'Ouest éventrée par une locomotive à vapeur. Cette vision était trop réelle pour être simplement le fruit d’une hallucination. Maintenant, cet accident s’étant produit ainsi que d’autres événements que je vis avant leur heure, je peux te garantir que cette potion est une immense découverte qui ouvre autant de perspectives dangereuses qu'extraordinaires.

    - C’est incroyable, Père !

    - Oui, j’en conviens. L’Abbé et moi avons travaillé sur cet étrange breuvage aux effets si fascinants. Pour nos expériences, nous n’utilisions que quelques gouttes de breuvage. Le Dahomey n’est pas aussi facile à atteindre que la commune des Batignolles. Et si nous avions les composants et la possibilité de créer par nous mêmes le produit, nos recherches ne donnaient rien quant à la composition chimique des sels et autres principes de la Chronosine (c’est ainsi que nous l’avions dénommée). Nous n’eûmes aucun mal à convaincre le cousin de l’Abbé pour essayer d’en obtenir la recette, et surtout, de nous en faire parvenir d’autres échantillons. Le cousin se mit en rapport avec le sorcier de Whydah et nous eûmes bientôt la liste des ingrédients et tout information sur la composition du breuvage. De mon côté, j’avais eu le temps de faire aménager un laboratoire dans un lieu discret et en dehors de la Faculté afin de pouvoir y mener dans le plus grand secret nos recherches. Mais voilà, Lavalière nous a percé à jour.

    - Comment ce Lavallière peut-il se retrouver mêlé à ces expériences ? Demanda Charles.

    - Il faut se souvenir que sa famille a des intérêts dans ces contrées Africaines. Il nous fournissait des éléments venus de ce pays et impossible à trouver en Europe. Je me demande s'il ne s’est pas joué de nous depuis le début et que notre projet découvert il n’a pas tout fait pour rechercher à s’en attribuer la paternité. Allons, reprenons notre marche… »

    Afin de soulager un peu la tension qui s’installait, Lucien sortit une boîte d’anis de Flavigny en présenta un à son fils et en prit un lui-même. Ils restèrent quelques instants sans dire mot, suçotant leur bonbon. Nerve avait remis les objets dans sa besace. Aucun d’eux ne semblait décidé à bouger avant d’avoir trouvé un moyen de se sortir de cette situation. Le destin allait se charger de leur fournir une solution. En donnant le signal du départ, le Professeur marqua soudain un temps d’arrêt. Il avait perçu quelque chose. Son expérience de naturaliste avait renforcé ses dons d’observation, ce qui allait s'avérer fort utile. Il enjoignit par geste à son fils de se dissimuler rapidement derrière un bosquet de buis touffu.

    ***

    L’homme était vêtu de noir. Un jabot de jais sur une chemise couleur nuit. A son oeil droit, une sorte de loupe en plus complexe, tel l’objectif d’un appareil photographique. Cet appendice étrange était fixé par une sorte de ruban de cuir passé autour de la tête. Il semblait que cette face était décharnée, squelettique d’un côté et souriante de l’autre moitié. Une sorte de masque grotesque et macabre, voilà ce que c’était. Ce n’était pas le seul détail qui aurait glacé d’effroi un témoin égaré en ce lieu. Et la vision de ce qu’il avait fixé sur l'avant-bras, même furtive, en disait long sur sa nocivité. Tout cela donnait l'étrange impression que cet homme était pour partie mort et pour partie vivant. Chair, os et métal fusionnés.

    Cet homme, car s’en était bien un, utilisait les artifices que lui procurait la science. En 1800 un anglais avait découvert le rayonnement infrarouge. La sorte de loupe qui recouvrait son oeil droit n’était qu’un dispositif archaïque qui permettait d’augmenter artificiellement la visibilité nocturne. C’était un simple appareil mis au point par des ingénieurs dans la froid glacé d’un laboratoire.

    L’individu ne recherchait en rien la discrétion. Il avait fait réaliser une sorte de masque inspiré de la culture Africaine, qui supportait le mécanisme de vision en répartissant le poids autour de sa tête.

    Il avait remarqué que lorsque son regard croisait une forte source lumineuse, l’appareil saturait et la douleur engendré par l’afflux de lumière amplifiée était insupportable. Pour cette raison l’optique de l’engin était amovible et simplement relié à une bande de cuir souple.

    Un de ses serviteurs vint aux pieds de son sinistre maître pour lui faire son rapport. Les deux créatures semblèrent converser sur la façon de procéder. L’homme vêtu de noir renvoya son serviteur et leva le bras main tendue vers le ciel. Il fit des signes, comme pour indiquer des avancées et des directions. Aussitôt, du mouvement se fit dans les buissons et bosquets alentours. Seul l’homme était pleinement visible. Des formes sombres semblaient bouger rapidement, trop rapidement et de façon trop silencieuse pour de simples humains.

    Là encore, si l’on connaissait l’homme à qui l’on avait à faire, il n’y avait aucune sorte de mystère.

    Ses serviteurs étaient placés sous l’influence de drogues puissantes. Ces produits étaient tellement nocifs que le plus souvent après quelques utilisations les consommateurs mouraient dans des souffrances atroces.

    L’homme s’en moquait.

    Ses hommes de mains étaient issus de la lie de l’humanité comme des criminels en fuite, évadés d’un bagne. Ils étaient payés pour laisser parler leurs instincts sanguinaires sans être jamais inquiétés en restant à son service. Certains devaient mourir ? Peut importait, cela faisait partie intégrante de leur constitution d’assassins.

    Les drogues les rendaient rapides, forts et puissants. Pour quelques heures cela valait la peine. Leurs sens étaient comme décuplés et ils pouvaient réaliser des choses que l’on ne pouvait qu’imaginer.

    Leur chef, un homme Noir, consommait ses produits sans que cela n’ait d’incidence sur sa vie. Il n’y avait que son physique qui s’était rapidement dégradé.

    ***

    - « Ils ne nous ont pas encore trouvé, nous disposons d’un moment pour trouver vite une solution.

    - Qui donc, Père ? Demanda Charles.

    - Lavalière et ses sbires sinistres, répondit mon Père. Ils me cherchent, c’est évident. Nous sommes coincés ici.

    - Père, cette potion que vous gardez, ne pourrait elle pas nous être utile, risqua son fils à voix basse et tremblante ?

    - Comment cela, Charles ? Que veux tu dire ?

    - Et bien, si cette fiole peut nous faire disparaitre ne serait-ce que quelques instants, cela pourrait être suffisant pour que vos poursuivants se lassent de nous retrouver…

    - Mais nous ne savons pas exactement combien de temps nous resteront dans le futur ni dans quelle mesure notre saut dans le temps nous donnera l’occasion d’éviter Lavalière. Je ne puis mesurer avec précision la valeur d’une simple gorgée. Nous pourrions tout aussi bien nous absenter quinze minutes que comme cinq.

    - Père, si c’était la seule solution, essayerions nous ? »

    Après avoir semblé réfléchir un instant, il ouvrit sa sacoche et en sortit la fiole.

    - « Si tu es en danger, oui, sans hésitation. Son contenu est inoffensif, par rapport à ce démon et ses sbires, bien entendu… »

    Si l’histoire du vieil Abbé était fondée, la perspective de voir l’avenir amusait beaucoup Charles. Soudain, il eu un sursaut :

    - « Regardez, Père, là, sous ma main…

    - Et bien ? Dit celui-ci.

    - Cette pierre n’était pas là à notre arrivée, j’en suis certain ! Je n’ai pas changé de position et j’ai senti soudainement sous ma paume une surface solide au lieu de la terre molle.

    - Quel est ce tour de magie encore ?

    - Mais c’est la vérité, Père. Cette pierre ne se trouvait pas ici il y a seulement quelques instants. »

    Lucien sortit un couteau de sa poche et commença à dégager la gangue de terre autour de la pierre. Elle était carrée, visiblement taillée par la main de l’homme. Sans aucune inscription d’aucune sorte. Mais elle était creuse à un endroit. Dans l’espace dégagé, un petit tube de cuir que Nerve ôta.

    - « Mais qu’est-ce donc ? »

    Du cylindre il eut tôt fait d’extraire une feuille manuscrite qu’il se mit à lire.

    - « C’est impossible, c’est impossible… »

    Il semblait égaré, comme assommé par le contenu du document.

    - « Qu’est-ce donc, Père ?

    - Un avertissement ! Une mise en garde.

    - Comment cela ? Demanda Charles plutôt inquiet

    - Il se trouve que cette lettre, par je ne sais quel mystère, est écrite de ma propre main. Elle nous enjoint de quitter ce lieu rapidement en utilisant la fiole « si nous avons mangé un bonbon anisé » est-il bien précisé.

    - Mais c’est impossible, Père, vous n’avez pas eu le temps d’écrire quoi que ce soit !

    - Je le sais bien, mon enfant, mais il faut se rendre à l’évidence. Nous avons effectivement pris un bonbon pour nous ressaisir, c’est un fait connu de nous seuls. Nous sommes ici, assez éloignés de notre demeure, avec Lavalière à nos trousses et cette pierre et son message n'étaient pas là à notre arrivée. Je dois en déduire que des forces qui nous dépassent sont à l’oeuvre et que leur avertissement mérite d’être pris au sérieux. Nous allons donc nous y soumettre. »

    Le professeur sorti de sa gibecière la fiole de terre.

    - « Une gorgée chacun, pas plus surtout ! Nous ne savons pas ce qui peut nous arriver après coup, avec ces histoires d’avertissement mystérieux. Tâchons de conserver un peu de liquide si nous devons fuir à nouveau. »

    Il tendit le breuvage à son fils puis à son tour porta lui aussi la fiole à ses lèvres. Dans le lointain Lavalière et ses hommes approchaient.

    Père et fils disparurent soudain à la vue.

    ***

    Quand ?

    Charles fut le premier à apparaître. Sa première inquiétude fut de chercher son père du regard mais il ne le vit point. Le petit décalage dans l'absorption du breuvage pouvait expliquer cela. Mais le jeune homme était tout de même très angoissé. Soudainement, Nerve se matérialisa à ses côtés.

    - « Père !

    - Mon fils ! Me voici ! »

    L'accolade qu’ils se donnèrent trahissait l’angoisse des moments qu’ils venaient de vivre. Enfin le père relâcha son emprise. Il se rajusta et redevint le Professeur.

    - « Bien, bien, nous devons attendre maintenant que les effets de la potion se dissipent pour retourner dans notre époque. Il est inutile de se déplacer, nous serons de retour dans notre temps au même endroit qu’à notre départ. »

    Marquant un temps d’arrêt, il scruta l’espace autour d’eux. Les deux hommes eurent comme un hoquet. L'atmosphère était pesante, l’air presque irrespirable. Une odeur atroce, irritante, qui brûlait les poumons. Ils étaient tous deux effrayés par cette atmosphère empoisonnée. Et Charles qui trouvait l’idée du voyage dans le temps extraordinaire, quelle belle leçon que celle qu’il recevait à l’instant...

    ***

    Paris - Tout est arrivé

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