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Normandie légendaire: histoires courtes 2
Normandie légendaire: histoires courtes 2
Normandie légendaire: histoires courtes 2
Ebook274 pages14 hours

Normandie légendaire: histoires courtes 2

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About this ebook

La série des histoires courtes de Normandie Légendaire est la nouvelle édition, totalement revue et augmentée de 1000 ans sous les pommiers. Cet ouvrage, édité en 1981 par les éditions Charles Corlet, est épuisé depuis longtemps. D'autres textes ont été conçus depuis. Leur publication sous une autre forme est maintenant justifiée.
Ce sont en fait des historiettes ayant la Normandie pour cadre ou bien des plongées, façon reportage en direct, au cœur d'événements de l'Histoire normande, ainsi que des légendes ou des contes entièrement revisités. Tout cela permet de voyager à travers l'espace et le temps, picorant selon son humeur un moment privilégié mariant culture et détente. Le caractère de ces histoires offre au lecteur un moyen d'occuper des moments disponibles en y prenant plaisir, en particulier dans les transports en commun grâce à sa tablette ou son smartphone.

LanguageFrançais
Release dateMar 14, 2014
ISBN9781310216084
Normandie légendaire: histoires courtes 2
Author

Bruno Robert des Douets

Bruno Robert est auteur, essentiellement romancier, après avoir été bibliothécaire de l’État aux universités de Caen et du Havre.Il a été Président de l'Office de documentation et d'information de Normandie, et a fait la promotion de l’édition normande pendant plusieurs années au salon du livre de Québec. Il a été membre de la Société des écrivains normands.Bibliographie :Romans et nouvelles- 1000 ans sous les pommiers, Condé-sur-Noireau, éditions Charles Corlet, 1981 (nouvelles) ;- Fin de jeu, Paris, Téqui, coll. Défi, 1998 (roman jeunesse, historique) ;- Une rose de sang, Paris, Téqui, coll. Défi, 1999 (roman jeunesse, historique, suite du précédent) ;- Snorri, le fils du Viking, Paris, Téqui, coll. Défi, 2005 (roman jeunesse, historique) ;- L’Enseigne du Soleil Royal, Paris, Téqui, coll. Défi, 2007 (roman jeunesse, historique).- Normandie légendaire - histoires courtes, Smashwords edition, 2013 (collection de contes et nouvelles en mode ebook) ;- Le secret du manuscrit perdu, Aventures à la ligne, 2013 (polar médiéval/première enquête) ;- Des ombres et la lumière, aux éditions Delahaye, 2013, coll. Signe de Piste (roman historique - aventures en Russie) ;- Les survivants de Sébastopol, aux éditions Delahaye, 2014, coll. Signe de Piste (roman historique - aventures en Crimée) ;- Normandie, croisière de rêve ou cauchemard ?, Aventures à la ligne, 2014 (thriller).- L'énigme du vaisseau fantôme, Aventures à la ligne, 2014 (polar médiéval/deuxième enquête).Essais et documents- Randonnées sur les chemins de paradis, aux éditions Charles Corlet, 1984 (guide historique et géographique) ;- Dans le vent, la grande Histoire des scouts marins, aux éditions Artège, 2010 ("digest" historique).Inédits (je suis ouvert aux offres de nouveaux éditeurs)- Comme un soleil au coeur de la nuit (roman historique médiéval) ;- Petite vitesse (roman jeunesse - aventures).En chantier- Troisième opus de la trilogie russe ;- Polar médiéval (troisième enquête).En projet- Polar médiéval (six autres enquêtes) ;- Regards croisés Est-Ouest (document sur l'ex URSS et la société occidentale).

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    Normandie légendaire - Bruno Robert des Douets

    Bataille à Cherbourg

    — Monsieur de Tourville, je crains fort que le Soleil Royal ne puisse aller jusqu’à la Hougue, avertit le capitaine. Les voies d’eau se sont aggravées durant le franchissement manqué du raz.

    L’amiral ne put croire son capitaine de pavillon. Il voulut constater de ses propres yeux l'étendue du désastre. Après son inspection, quand François Vatry le vit réapparaître dans l’encadrement de l’écoutille du tillac, il remarqua que Monsieur de Tourville avait le visage décomposé.

    — Que l’on mette mon canot à l’eau ! avait-il aussitôt commandé.

    L’amiral se résignait à quitter enfin son navire.

    Il fallut que François se retînt pour ne pas en pleurer. Le garçon ressentait tant de peine et de rage, à cet instant-là, qu’il courut jusqu’à la dunette afin de s’isoler quelques instants pour que l’on ne pût voir le grand désarroi qui l’agitait.

    C’était en réalité l’équipage entier qui se désolait de voir ainsi Monsieur de Tourville contraint de le quitter.

    Quand on vint prévenir l’amiral que le canot major était paré, le jeune enseigne se précipita au pavois. Il ne pouvait se faire à l’idée que le Soleil Royal n’était plus le navire amiral, que ce serait désormais à l’Ambitieux de présider aux destinées de la flotte. Et pourtant, l’amiral descendait déjà les degrés de la coupée au bas de laquelle dansait son embarcation.

    Parvenu au dernier échelon, l’amiral sauta lestement dans le canot qui déborda aussitôt pour prendre le large en direction de l’Ambitieux.

    La soirée ne prédisposait pas à la tristesse. Un soleil absolument magnifique entamait son plongeon sanglant dans les immensités océanes. En dépit du flamboiement de gloire enveloppant le valeureux navire, il perla sur la joue de Monsieur de Tourville, emporté sur son embarcation, des gouttelettes humides et cela scintilla jusqu’au vaisseau d’où François les remarqua parfaitement. Debout dans la chambre du canot, tourné vers son navire, l’amiral était dans l’impossibilité de détacher les yeux du Soleil Royal. Il ne cherchait même plus à cacher l’intense émotion qui l’étreignait.

    François sentait lui-même, à nouveau, des sanglots lui monter du cœur. En regardant tout autour de lui, notre apprenti marin découvrit que tous ces rudes soldats pleuraient sans pudeur. En vérité, pourtant matelots endurcis par la mer et les combats, tous avaient bourlingué de concert avec l’amiral.

    Alors, comme un gosse, il fondit en larmes.

    À deux pas de là, Clérac, le fanfaron, ne semblait pas moins émotionné. Le jeune officier s’approcha de son ami qu’il prit par l’épaule. Ils contemplèrent ainsi, longuement, le petit esquif en train de s’éloigner dans le couchant.

    Dans l’heure qui suivit, le canot major disparut à bord de l’Ambitieux, puis ce navire hissa les voiles et prit le chemin de l’est, entrainant l’escadre à sa suite.

    Ainsi restait Le Soleil Royal, abandonné de ce fait à son triste sort. Il gardait près de lui l’Admirable et le Triomphant dont l’état ne se révélait guère plus brillant ni le sort plus enviable.

    En dernier recours, il restait à tous trois de se traîner jusqu’à la baie de Cherbourg afin de s’y échouer le plus près possible du château qui s’y trouvait. Là, restait à espérer que les Anglais ne vinssent point, car ce fort, à la vérité, n’offrait que peu de défenses en direction de la mer et contre l’ennemi.

    Mais encore fallait-il y parvenir !

    Le navire entrait progressivement dans une situation qui devenait irrémédiablement catastrophique. À présent, la ligne de flottaison disparaissait sous la surface de la mer et, dans les soutes, on commençait à évacuer les dernières provisions de poudre et de gargousses, essayant de les sauver de l’humidité qui pénétrait insidieusement les fonds.

    Le vaisseau, pour tout dire, était en train de sombrer.

    Sur le pont, l’impatience était à chaque instant d’autant plus exacerbée d’atteindre la côte. On distinguait maintenant le clocher de la Trinité de Cherbourg et les quelques toits de lauzes aux reflets bleutés qui l’environnaient. Cependant, il semblait que le petit port n’approchât pas.

    Mais, plus le bâtiment s’alourdissait, plus il se traînait et plus il s’enfonçait !

    Monsieur Desnos appela Monsieur Pâtel et lui demanda de gréer tout ce que l’on pouvait trouver de toile à bord. Il sembla que cela ne changeât rien.

    D’autre part, on envisagea d’armer des avirons de galère au travers des sabords de la batterie basse. Hélas ! Ils se révélèrent immergés dans la soute aux porques, entièrement inondée.

    Désarmés par le sort, équipage, officiers durent alors se résigner, rongeant leur frein. L’aumônier les engagea finalement à prier, ce qu’ils firent à ce moment là sans hésitation comme ils l’auraient fait au cœur de quelque épouvantable tempête. En ces instants ultimes, un geste du ciel offrirait pensaient-ils un dernier espoir.

    Alors, Cherbourg parut approcher. Bientôt, l’on fut suffisamment près de la cité pour distinguer l’entrée du petit havre où ne sauraient entrer de si gros vaisseaux que le Soleil Royal, l’Admirable et même le Triomphant. S’ils y parvenaient jamais, restait à mouiller devant le château qui les protègerait de son mieux de l’Anglais, si ce n’était de la mer et des coups de vent.

    L’Admirable et le Triomphant qui avaient jusqu’à présent suivi le Soleil Royal de peur de le voir couler bas, le dépassèrent une fois qu’ils le virent assez près de terre. On jugeait que son équipage allait pouvoir enfin se sortir d’affaire tout seul.

    À bord du Soleil Royal, on les vit ainsi filer devant. Les deux navires embouquèrent un peu plus tard le chenal qui serpentait parmi les bancs de sable. Ils s’échouèrent enfin, doucement, tout près de la forteresse et de ceux qui défendaient Cherbourg.

    En ce qui concernait l’ancien vaisseau-amiral, il approchait finalement de l’objectif espéré. Le pilote en avait déjà repéré le chenal d’accès. Monsieur Pâtel était de prendre ses dispositions pour aller l’embouquer.

    — Mettez les chaloupes à l’eau ! cria-t-il.

    À force palans de vergues ou de bossoirs et de poulies geignantes aux cordages suifés poissant les paumes, à force d’ahanements et de chansons à virer, les trois embarcations du vaisseau s’élevèrent au dessus de leurs berceaux, franchirent la démarcation du pavois, puis descendirent avec précaution jusqu’à la mer où elles se balancèrent bientôt toutes les trois.

    L’une après l’autre, on les approcha de l’échelle de coupée. Déjà la dévalaient, ceux des mariniers que l’on avait requis pour former les équipages de nage.

    À peine embarqués, ces hommes allaient doit à leur banc, tandis que l’un d’entre eux prenait la barre et l’installait pour gouverner l’embarcation. Finalement, un officier venait prendre place à son tour. Avirons sur le bord, on débordait pour aller se placer en position de remorquage.

    En tant qu’officier du grade le plus élevé, Monsieur de Clérac commandait la première embarcation. François Vatry commandait la seconde et le contre maître dirigeait la troisième.

    Elles se disposèrent en fer de lance à l’avant du vaisseau. Des lance-amarre, à ce moment, jaillirent de la poulaine, habilement récupérés par les hommes des chaloupes. On déhala ces filins trainant les trois câblots de remorque.

    Alors commença la manœuvre du remorquage !

    En souquant ferme et tenant bon, les mariniers mirent en branle assez rapidement leurs chaloupes. Alors, peu à peu, cela permit de raidir les aussières. Un instant, les embarcation semblèrent rappelées par ces dernières et cependant les retendirent, ayant finalement raison de la masse extrêmement pesante du vaisseau.

    Les bras vigoureux des hommes enduraient la charge supplémentaire. Elle se rapportait à la masse d’eau remplissant les fonds. Ces braves étaient à la peine ! Il ne fallut pas moins que l’intervention de leurs officiers, tonnant fermement la cadence, pour qu’ils ne relâchassent point leur effort. Et pourtant, la progression restait imperceptible. Il en fallait vraiment, du cœur au ventre, pour ne pas se décourager ! Il en fallait d’autant plus que l’on annonça des voiles à l’horizon, dans le nord. À coup sûr, il s’agissait-là d’Anglais !

    L’annonce de la présence ennemie décupla les forces des nageurs. Ils parvinrent à mener le pesant vaisseau dans le chenal du port.

    Hélas ! le bâtiment qui était enfoncé de plusieurs brasses au-dessus de la ligne de flottaison, ne put franchir le seuil qui barrait ce chenal à mi-distance. On entendit un grand raclement tandis que le navire, freiné par le fond sablonneux, retenait brusquement ses trois chaloupes. En raison du choc, assez violent, ce qui restait de mâture valide instantanément s’effondra. Le Soleil Royal était immobilisé, définitivement !

    Pendant ce temps, l’Anglais s’approchait, flairant sa proie !

    Monsieur Desnos avait gardé tout son sang-froid. L’officier distribua ses ordres. Il fit amarrer les chaloupes sur les flancs, réembarquer leurs équipages et préparer son vaisseau pour un dernier combat.

    Monsieur Desnos ne se faisait déjà plus la moindre illusion. Son vaisseau, malheureusement, se trouvait hors de portée du château de Cherbourg et l’on comptait déjà dix-sept vaisseaux ennemis venant à la curée ! Cependant, l’obscurité s’étendit peu à peu sur la mer.

    Au cours de la nuit, rien ne se passa. Les vigies se trouvaient doublées, mais elles n’eurent absolument rien à signaler.

    Du côté de l’équipage, on acheva de préparer les batteries, d’approvisionner les canons en boulets, en poudre fine, en gargousses et en amorces. On dormit un peu, d’un sommeil agité par l’inquiétude et puis on attendit la venue du jour et de l’Anglais. Ce fut dans une paradoxale impatience.

    L’équipage espérait tout de même en sortir une nouvelle fois. Les officiers l’espéraient. Le capitaine espérait lui aussi.

    Finalement, la situation dans laquelle était le brillant vaisseau, pour critique qu’elle fût, n’était pas désespérée au point de se trouver sans issue.

    Certes, le Soleil Royal était un vaisseau qui gisait maintenant en travers du chenal, à une demi lieue de la côte, non loin de la pointe du Hommet, échoué, immobile ! Certes, à son bord il y avait beaucoup de morts et de blessés ! Pourtant, ce navire restait tout de même la plus redoutable des forteresses.

    Il bénéficiait de la présence des bancs de sable voisins. Cela rendait son approche difficile voire dangereuse et ses trois batteries aux quatre-vingt-dix-huit canons d’airain poli, quasiment intactes, conservaient toujours leur effroyable puissance de feu.

    Les gabiers venaient de dégringoler jusqu’aux entreponts. Devenus inutiles en haut, ces matelots pouvaient secourir leurs camarades canonniers, remplaçant les morts et les blessés, secondant leurs collègues valides. Ainsi, fort de sa réputation, de la fougue démontrée devant Barfleur, en mesure de tirer maintenant simultanément sur les deux bords par l’apport que fournissaient les gabiers, l’équipage se sentait capable, et cela sans forfanterie exagérée, de repousser les dix-sept navires de l’assaillant sans l’aide que qui que ce fut.

    Au point du jour, alors que le soleil dardait ses premiers rayons depuis l’horizon, le Soleil Royal apparut, seul au milieu de la baie, dans toute sa puissance auparavant devenue légendaire. Jamais il n’avait été si resplendissant et sa mâture enchevêtrée l’auréolait d’une sorte de gloire qui dépassait la magnificence de ses formes.

    Il devait être beau, vu de la côte ou vu du large, présentant son flanc basbord à la lumière, éclatante, en ce joli matin d’un samedi de mai !

    Ce devait être mieux que beau. Ce devait être merveilleux, cette coque aux bandeaux du bas au haut noir, blanc, ventre de biche, blanc encore et bleu de roi, batterie sur batterie, le tout coupé de listons chatoyants comme s’ils étaient d’or, le tout parsemé des mantelets rouge vif au dessus des sabords grand ouverts !

    Et ces sculptures orgueilleuses et rutilantes !

    Et ces gueules de canons menaçants qui semblaient tapies dans l’ombre des sabords !

    Au loin, l’Anglais paraissait hésiter.

    Et ce fameux pavillon blanc flottant fièrement au vent qui semblait appeler l’ennemi !

    Sur la dunette, le capitaine Desnos enrageait de l’indécision des Anglais. Ses officiers l’entendaient grommeler sans cesse. Il était excédé.

    — Qu’ils y viennent ou qu’ils s’en aillent, marmonnait-il entre ses dents, mais qu’on en finisse, que diable ! Nous n’allons tout de même pas rester indéfiniment assis sur ce haut-fond. Le siège est par trop inconfortable !

    L’enseigne alors prit la lunette. Il lui semblait avoir remarqué quelque chose à l’horizon de nouveau.

    Longuement, il visa l’escadre anglaise.

    — L’ennemi porte plein, Monsieur ! s’écria-t-il. Il pique au suroît et fait route sur nous !

    — Enfin ! soupira le capitaine.

    *

    Il ne devait pas être loin de dix heures quand l’ennemi parvint à portée de canon.

    Pour la plupart, les vaisseaux anglais restèrent en retrait, prudemment, se contentant d’une canonnade à distance.

    Les boulets pleuvaient tout autour de leur proie. Les gerbes d’eau couronnées d’écume blanche s’élevaient alentour, mais le Soleil Royal n’en souffrit point.

    Deux ou trois navires s’aventurèrent. Ils s’approchèrent sournoisement, cherchant à envelopper le fier vaisseau français. L’un d’entre eux portait la marque de l’amiral Anglais.

    Le Soleil Royal les accueillit dignement, à feu nourri, transperçant les coques et mitraillant les ponts, hachant les mâtures à coups de boulets ramés, laissant partout de sanglantes et sinistres traces. Au plein de la canonnade, il était environné de fumée. Le bruit soulevait des frissons sur la surface des eaux calmes. Il était assourdissant. La bataille était sans merci.

    Dans la grande batterie, François Vatry soutenait du geste et de la voix l’ardeur des hommes. Il n’hésitait pas à transporter gargousses ou boulets, houspillant tel canonnier défaillant au passage, encourageant les uns comme aidant les autres.

    Ils avaient le visage et le torse luisant, poisseux. Lui tout autant ! L’atmosphère irrespirable qui régnait en suffoquait plus d’un. De temps en temps, certains d’entre eux devaient mettre le nez à l’air, au travers d’un sabord, afin d’y aspirer goulument de l’air frais.

    Les conditions du combat ne paraissaient pas plus âpres que devant Barfleur, au contraire ! La présence, dans les batteries, des camarades de mâture et de pont rehaussait le tonus de chacun. On se sentait fort, très fort, et nul ne redoutait la mort.

    Il y avait presque de la joie, de l’enthousiasme ! Une extraordinaire fraternité d’armes, une magnifique solidarité, soudaient l’équipage : mariniers et officiers, jeunes ou vieux, pilotes et calfats. Tous étaient, au combat, soudés comme les doigts d’une main.

    L’émulation donnait des ailes, en plus ! On préparait les canons, chargeait, tirait, curait, le tout à un rythme à laisser pantois. N’y avait-il pas du diable, là-dedans ? C’est bien ce qu’en pensaient les Anglais !

    L’un des plus proches assaillants, durement touché, commençait à se retirer sans qu’on le remplace. On pouvait le constater, les coups du Soleil Royal allaient presque tous au but et ceux de l’adversaire, à contrario, ne faisaient que des égratignures.

    En dépit de sa situation douloureuse, l’ancien vaisseau-amiral de Monsieur de Tourville se découvrait un avantage inespéré, mais aussi précieux. La mer avait baissé. Le bâtiment se trouvait maintenant confortablement assis sur le fond sablonneux. Plus de roulis, moins de tangage encore. Ainsi, les canonniers pouvaient pointer à leur aise et posément, sans avoir à anticiper les effets de la mer. Il n’en était pas de même en ce qui concernait les Anglais. Leurs officiers redoutaient déjà, en temps normal, les canons français, mais se rendaient compte à présent de l’incompréhensible efficacité qu’avait le Soleil Royal.

    Ainsi, comblé grâce au nombre de ses matelots, le maître canonnier se permit de raffiner l’ouvrage. Il ordonna les tirs, il les appropria par rapport à la position et à l’état des assaillants.

    De la sorte, une seule bordée de boulets ramés, qu’expédia la batterie haute, eut raison de tout le gréement d’un vaisseau de 38 ! Il s’effondra tel un château de cartes ! Un effet psychologique en résultat. Ce fut immédiat ! Le vaisseau mit ses canots à l’eau, puis se remorqua pour de mettre hors de portée.

    Ne restait plus, face du grand bâtiment blessé, que l’amiral Anglais.

    Ce vaisseau combattait avec vaillance. Il cherchait à faire entendre raison au Français. Mais le Français n’avait pas peur, au contraire ! Des deux, cela devenait difficile de savoir qui était le chasseur ou le gibier, tant le feu du Soleil Royal continuait, menaçant. Le Français tenait tête, et sans faiblir un seul instant, sans nullement songer à se rendre !

    Le pavillon du roi flottait toujours avec orgueil.

    On n’en sortait pas ! L’Anglais finissait par enrager ! Mortifié devant Barfleur, il voulait s’assurer la revanche. Imprudemment, il s’approcha. Le maître canonnier du Soleil Royal le laissa venir, ce qui laissa probablement penser à l’ennemi qu’à bout de souffle, le vaisseau français allait se rendre.

    Alors, l’Anglais s’enhardit, s’approchant encore. En vis à vis, le Soleil Royal se taisait. Était-ce la fin ?

    Mais quand le navire ennemi se trouva à moins d’une encablure, quand il eut relâché quelque peu ses tirs, alors ce fut terrible !

    Quatorze canons menaçants venaient de sortir leurs gueules fumantes hors des sabords de la batterie basse. Doucement, très doucement, avec une irritante lenteur, dans un ensemble inquiétant, ils s’élevèrent, ils se tournèrent en direction du bâtiment proche.

    Et puis, ce fut l’enfer !

    Chargés à boulets et à mitraille, ces quatorze canons transpercèrent et, littéralement, rasèrent le navire anglais jusqu’à n’en laisser que loques et bois déchiqueté, cadavres et gémissements.

    Ce fut un silence impressionnant qui suivi l’épouvantable déflagration, mais il s’était à peine installé que l’air fut déchiré par une autre salve. Il s’agissait de la grande batterie qui achevait l’Anglais de ses quatorze bouches à feu. Quelques instants plus tard, on entendit les vingt-et-un canons de la batterie haute et des gaillards. Ils ne laissèrent plus qu’une épave ensanglantée.

    Côté français, ce furent des hourrahs de victoire. Côté anglais, des cris de douleur, de honte et de désolation.

    Des chaloupes emportèrent le vaincu. Les Anglais se retiraient, déshonorés !

    Vers la tombée de la nuit, sur les vaisseaux retranchés, chacun se prépara pour un nouveau combat. Qui pouvait douter que l’Anglais ne revint à la charge aux aurores ? On se jeta dès que l’on put dans son branle, étant donné l’épuisement. Cela se lisait sur les visages ! Il ne resta que plusieurs vigies tantôt sur le gaillard d’avant, tantôt sur la dunette. Équipés de falots, ces hommes avaient entamé leur ronde incessante.

    Au cours de la nuit, François Vatry se réveilla plusieurs fois. L’enseigne entendait le pas du garde, allant et venant sur le plancher du dessus, veillant inlassablement sur le repos de l’équipage. À chaque fois, les pensées se bousculaient dans l’esprit du jeune homme. Il se demanda de quoi serait fait le lendemain. Quel sort allait être réservé tant au vaisseau qu’à lui-même ? Évidemment, l’action permet d’éluder les questions, mais le repos favorise, à contrario, de douloureuses réflexions.

    Serait-il possible qu’un miracle intervint pour sauver le bâtiment ? François le souhaitait ardemment ! L’instant d’après, son esprit vagabondait du côté de Saint-Vaast qui était si proche ! Il s’était fallu de peu que le voyage ait été s’achevé, cette année-là, tout près de sa paroisse. Et s’il ne devait pas la revoir ! Et s’il ne devait plus retrouver son père et sa mère, et la chère Anne, et le petit Nicolas ! Le garçon pensa de même à Bastien, rêva de sa tendre Perrine alors vivant si loin, mais non, il ne fallait pas ainsi penser ! La mort de Monsieur de Hautefort ou celle de Monsieur de Rémondis qu’il connaissait moins, ne signifiait pas que tous allaient forcément périr.

    Plaise à Dieu – demain serait dimanche – qu’un sort heureux fut réservé au vaillant équipage du Soleil Royal !

    Quant à Monsieur de Tourville, sans doute mouillait-il à présent sous les forts de la Hougue et de l’île de Tatihou, tout près de Saint-Vaast, avec les vaisseaux qu’il conduisait. Nicolas de Saumaretz aussi devait y être, à bord de l’Ambitieux.

    La sentinelle était toujours en train de faire les cent pas, là-haut sur la dunette. On entendait de temps en temps l’appel des vigies qui marquait les heures au loin, quelque part au bout des gaillards. Alors, François s’endormit.

    Le réveil ne fut guère différent de ce qu’il se passait quand le vaisseau voguait pacifiquement, par le passé, sur les mers océanes. On entendit le sifflet du maître appeler au branle-bas. L’équipage se réunit pour la prière matinale un peu plus tard. Elle sembla plus fervente qu’à l’accoutumée ! Le maître coq, enfin, servit le petit-déjeuner.

    Quand les hommes eurent dévoré à belles dents leur biscuit, quand ils eurent avalé leur bolée de cidre, on les vit se précipiter au pavois pour essayer d’apercevoir les Anglais.

    Les vaisseaux de l’ennemi se trouvaient toujours là, mouillant non

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