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Anges Gaiens, livre 3: La Lumiere des Guides
Anges Gaiens, livre 3: La Lumiere des Guides
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Ebook846 pages18 hours

Anges Gaiens, livre 3: La Lumiere des Guides

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About this ebook

Nous scrutons les étoiles à la recherche de visiteurs, mais s’ils étaient déjà parmi nous ?
S’ils attendaient simplement de s’éveiller ?
Et si... vous en faisiez partie ?

La fin approche. Tandis que Guillaume s’apprête à partir pour son dernier voyage, les Sylvains sont poursuivis par les humains assoiffés de vengeance. Eux-mêmes traqués par une entité qui les vampirise les uns après les autres, ils convoitent le redoutable héritage des ancêtres.
Pour combattre ce fléau qui menace toute vie en Aden, nos héros partent en quête de la mythique Cité Céleste. Ils espèrent y découvrir la racine du mal qui ronge leur monde, comme il a jadis ravagé le nôtre.
Pour l’arracher ils doivent déterrer les plus sombres secrets de notre civilisation, entrevoir notre futur, découvrir comment les plans subtils unissent les univers et nous guider à temps vers la véritable Lumière.
S’ils échouent, l’humanité disparaîtra. Ils le savent. Ce qu’ils ignorent encore, c’est qu’elle a déjà scellé son destin depuis fort longtemps...

Cette "enquête initiatique" repousse les frontières de la réalité, jusqu’à fusionner le fantastique et l’histoire vraie !
Plus qu'une mise en garde sur l'avenir stérile que se construit le genre humain, le Cycle des Anges Gaïens est une réponse originale à l'éternelle question : quel est le sens de l'existence ?

Un pavé ! Parce qu’il est presque aussi épais que les deux premiers livres réunis ?
Non : un pavé lancé contre la machine, une pierre angulaire pour reconstruire notre humanité.

Voici la conclusion de la trilogie, clé de toutes les énigmes et seuil de l’Éveil. Oserez-vous en franchir la porte ?
Attention : ce livre renferme les réponses aux questions que l’on ne veut surtout pas que vous vous posiez !

LanguageFrançais
PublisherIom Kosta
Release dateMay 6, 2014
ISBN9781311306876
Anges Gaiens, livre 3: La Lumiere des Guides
Author

Iom Kosta

Tel l'Alchimiste, j'ai finalement déterré le trésor enfoui dans mon propre jardin.Après avoir exploré différents médiums artistiques, j'ai donc décidé de revenir à l'écriture, ma première passion, qui reste le moyen le plus simple de transmettre un message.Car il ne s'agit pour moi que de cela : transmettre un message.Si je soigne la forme, c'est pour valoriser le fond. Je ne me définirais pas comme un écrivain, mais plutôt comme un médiateur chargé d'une requête urgente :« Éveillez-vous ! Il est minuit moins une. »

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    Anges Gaiens, livre 3 - Iom Kosta

    Anges Gaïens, livre 3 : La Lumière des Guides

    by Iom Kosta

    Smashwords Edition

    Copyright 2014 Iom Kosta

    ISBN 9781311306876 (ePub)

    Smashwords Edition, License Notes

    This eBook is licensed for your personal enjoyment only. This eBook may not be resold or given away to other people.

    If you would like to share this book with another person, please purchase an additional copy for each person you share it with. If you're reading this book and did not purchase it, or it was not purchased for your use only, then you should return to Smashwords.com and purchase your own copy. Thank you for respecting the author's work.

    Droits d’auteur

    Tous droits réservés - Iom Kosta 2014

    Cet eBook est réservé pour votre usage personnel. Cet eBook ne peut être revendu ou donné à d’autres personnes. Merci de respecter le travail de l'auteur.

    Table des matières

    Le Cycle des Anges Gaïens

    Préface

    Prologue

    Episode 7 : Mûrissement

    Chapitre 1 - Les Anges déçus

    Chapitre 2 - Voyage au bout de l’ennui

    Chapitre 3 - La fin du Rêve

    Chapitre 4 - Raison et Résonnance

    Chapitre 5 - Je panse, donc j’essuie

    Chapitre 6 - Let flow her power

    Episode 8 : Récolte

    Chapitre 7 - À l’usure

    Chapitre 8 - Souviens-toi du futur

    Chapitre 9 - Transhumains en transhumance

    Chapitre 10 - Soleil Noir et gêne éthique

    Chapitre 11 - Sur la Voie

    Chapitre 12 - Changer d’Ère

    Episode 9 : Semailles

    Chapitre 13 - Sans maudire

    Chapitre 14 - Demandes d’asile

    Chapitre 15 - Les Âmes mnésiques

    Chapitre 16 - Deviens ce que tu hais

    Chapitre 17 - Émissaires : les premiers s’élèvent

    Chapitre 18 - Dernière alternative

    Épilogue

    Fin

    Postface

    Index des personnages Adéniens

    Index des références

    Mentions légales

    Le Cycle des Anges Gaïens :

    Livre 1 - La Toile de l’Éveil

    1 : Semaille

    2 : Germination

    3 : Pousse

    Livre 2 - La Voix des Guerriers

    4 : Prolifération

    5 : Bourgeonnement

    6 : Floraison

    Livre 3 - La Lumière des Guides

    7 : Mûrissement

    8 : Récolte

    9 : Semailles

    Tous les livres,

    au format papier ou numérique :

    www.anges-gaiens.com

    Rejoignez les Anges Gaïens :

    www.facebook.com/anges.gaiens

    IOM KOSTA

    La Lumière des Guides

    ***

    Le Cycle des Anges Gaïens

    Livre 3

    À la génération de cristal,

    arc-en-ciel soutenant la voûte céleste,

    nos guides dont dépend le futur.

    Navré de vous passer le relais si loin du but,

    nous aurons fait tout notre possible

    mais pas encore de notre mieux.

    À mes proches,

    et en particulier à mes parents

    que je regrette d’avoir tant fait souffrir.

    Puissiez-vous, à la lecture de ces livres,

    vous dire que cela en valait la peine.

    À tous mes amis,

    pour un jour ou pour la vie,

    incarnés ou immatériels.

    Toujours j’ai souffert de ma solitude,

    mais grâce à vous jamais je n’ai été seul.

    « La distinction entre le passé, le présent, le futur

    n'est qu'une illusion, aussi tenace soit-elle. »

    Albert Einstein

    « Les fous ouvrent les voies

    que des sages empruntent ensuite. »

    Nicolas Boileau

    « Ce qui est aujourd’hui prouvé

    ne fut jadis qu’imaginé. »

    William Blake

    Préface

    Vous êtes-vous jamais senti différent(e) ?

    Oui certainement, mais à quel point l’êtes-vous vraiment ?

    Peut-être tout simplement n'êtes-vous pas d'ici ?

    Seulement voilà : je ne vous parle pas d'un autre milieu, d'une autre culture, d’un autre pays, ni même d'un autre continent : je vous parle d'un autre monde !

    Le simple fait que la curiosité vous amène à parcourir ces lignes suggère que vos préoccupations dépassent le simple stade matériel. Vous voulez comprendre, ou peut-être tout simplement vous souvenir de ce que vous savez déjà en votre for intérieur.

    Et si vous ne lisiez pas ce texte par hasard ? Si c’était lui qui vous avait trouvé ?

    Peut-être êtes-vous un Éveillé, ou êtes-vous en passe de le devenir ?

    Le cas échéant peut-être en avez-vous déjà rencontré, peut-être ont-ils déjà croisé votre chemin ?

    Cet artiste dont l’inspiration semble venir d’ailleurs, cet ami que vous avez du mal à comprendre, votre propre enfant dont l'avenir vous préoccupe, tellement il refuse de s'adapter au système qu'on lui impose… et s'ils s’étaient incarnés sur Terre dans le but de transmettre un message, pour nous montrer une autre façon d’agir, de nous comporter ? S’ils étaient venus nous apprendre que la voie que nous empruntons n’est pas le seul chemin possible, et certainement pas le meilleur ?

    Voici l’histoire de l’un d’entre eux, mon histoire, telle que je l’ai vécue, et telle que je l’ai rêvée. Voici l’histoire d’un indigo dingo, rendu malade par ce monde aliéné. Voici l’histoire d’un fou ou d’un sage… à vous d’en décider.

    Prologue

    Il arrive.

    Ce n’était d’abord qu’un murmure au loin, un vague chuchotement qui aurait pu se confondre avec ceux de la forêt nocturne…

    Mais non, le bruit caractéristique s’est amplifié sans cesse. Ce roulement mécanique a grandi jusqu’à ne plus laisser le moindre doute, jusqu’à recouvrir tous les autres sons, jusqu’à saturer tout l’espace sonore.

    Et la lumière est apparue, droit devant. Une petite lueur, qui aurait pu vaciller et s’éteindre mais qui s’est mise à croître en même temps que le bruit infernal.

    Elle est braquée sur moi à présent. Elle avance à grande vitesse dans un vacarme épouvantable, ne laissant plus subsister la moindre incertitude quant à la nature de ce qui approche à toute vitesse : ce sont des phares.

    Qu’est-ce qui m’a pris ?

    Je suis là, assis en tailleur au beau milieu de la voie, coincé dans ce sac de couchage qui m’empêche de prendre la fuite.

    Mais je ne fuirai pas. Je ne fuirai sans doute plus jamais.

    Ce n’était pas une voie désaffectée. Il s’agissait bel et bien d’une ligne en service, même si les convois ne se bousculent pas sur ces rails de campagne. Je ne sais pas où va m’emmener ce train, mais il est trop tard pour renoncer au voyage.

    Après tout, c’est bien ce que j’attendais, non ?

    Je voulais savoir si je devais vivre ou si cela n’en valait pas la peine, si j’avais tort et si j’avais perdu la raison. Je devais savoir à tout prix si mes espoirs étaient fondés.

    Je voulais renaître. Or cela n’implique-t-il pas de mourir ?

    Je n’ai pas peur. Pas encore.

    J’attends, impassible, espérant l’impossible, espérant encore que le conducteur du train me verra à temps, qu’il stoppera l’imposante machine et me prendra à son bord pour m’emporter vers un lointain pays imaginaire. Vers mon destin, quel qu’il soit.

    Mais rien de tel ne se produit. Aucun signe de décélération. On n’arrête pas le progrès. Pas plus qu’un train en marche, emporté dans sa course folle.

    Peu importent les obstacles sur sa route. Le bolide continue sur sa lancée, se précipitant sur moi dans un roulement mécanique dépourvu d’âme. Le monstre charge, cheval de fer dément piétinant tout obstacle sur son passage.

    Il va labourer mon corps. Je ne peux plus lui échapper.

    Est-ce la fin du voyage ? Est-ce ici que tout finit ?

    Sur cette voie ferrée, perdue au milieu de la nuit ?

    Peut-être pas. Il me reste encore une chance, infime, de défier la réalité…

    Au dernier moment, alors que le bolide n’est plus qu’à quelques dizaines de mètres de mon visage ébahi, je me penche en arrière pour m’allonger de tout mon long sur la voie ferrée, dans le sens des rails. Et j’attends, ne pouvant plus rien faire d’autre que laisser le sort décider à ma place.

    Cette roulette russe est mon dernier espoir de triompher des lois de la physique.

    Si je survis à cette mort certaine je ne le devrai qu’à mes protecteurs, et je serai enfin libéré de l’incertitude.

    Je saurai enfin que mon existence n’est pas vaine, que j’ai encore quelque chose à accomplir, que je suis sur la bonne voie. Une voie de Lumière et non une voie ferrée. Je saurai que la quantique supplante la mécanique, que l’espoir fait vivre, que la foi déplace des montagnes, que mes Anges Gardiens ont le pouvoir d’intervenir en ce monde inepte, ce monde qui pourra donc lui aussi être sauvé.

    Le temps s’est arrêté. La seconde qui me sépare de l’impact s’égrène si doucement que le doute assaille mon esprit : cela en valait-il la peine ?

    J’ai peur soudain. L’espace d’un instant, la terreur m’envahit.

    Je pense à mes proches que je vais abandonner, à jamais, sans même leur avoir dit au revoir. Mais il est trop tard : je ne peux plus fuir. Je ne dois pas bouger.

    Si je relève la tête le front métallique du monstre rugissant me percutera de plein fouet. Si j’esquisse le moindre mouvement de côté je serai sectionné entre les rails et les roues cisaillant comme des scies à métaux. Je suis coincé dans ce sac de couchage, engoncé dans ce duvet devenu mon cocon qui sera broyé avant d’éclore si la chrysalide qu’il contient ne déploie pas ses ailes d’Ange.

    Il n’y a plus aucune échappatoire dans le monde physique, alors je me fige et je cherche la Lumière au cœur de mon Être, pour la faire rayonner au milieu des ténèbres.

    Tout au fond de moi, je trouve la volonté de rester immobile et de faire face à l’épreuve vers laquelle j’ai été aiguillé, cette ultime épreuve que je me suis imposé. Rien n’a plus d’importance que de provoquer un miracle ou d’apprendre qu’ils n’existent pas, de rejoindre l’envers de ce monde ou l’autre rive. Cette nuit je vais découvrir l’envers de la vie ou l’endroit que l’on appelle la mort. Enfin.

    De nouveau je suis serein, alors que l’avant de la locomotive s’apprête à défiler quelques centimètres seulement au-dessus de mon crâne dans un vacarme épouvantable.

    Le destin est en marche.

    Il arrive. Et rien ne peut plus l’arrêter…

    7 - Mûrissement

    I – Les Anges déçus

    Apprends comme si tu devais vivre toujours

    et vis comme si tu devais mourir demain !

    Proverbe tibétain

    Transcrit de la Mémoire Akashique

    par Azulàn de la Cité Sylvestre

    L’Arbre de Vie était mort. La Cité Sylvestre était tombée. Mais les humains étaient battus. Ils avaient perdu.

    La majorité d’entre eux avait été emportée par l’armée des ombres invoquée par les Adéniens, ou ensevelie dans le grand séisme qui avait suivi.

    D’innombrables blessés souffraient encore des lésions infligées par ces monstres venus d’un autre monde, ou plutôt d’un cercle infernal. La gangrène gangrénait les membres mordus et les cicatrices refusaient de cicatriser. Une lèpre noire se répandait dans les corps corrompus, emportant un à un tous les survivants contaminés par les démons, même ceux que les bêtes infernales n’avaient qu’effleurés de leurs griffes.

    Tarok, le chef de la horde humaine, réalisait avec amertume à quel point il avait sous-estimé les Sylvains ; lui qui s’était cru maître dans l’Art Obscur n’avait jamais été capable d’invoquer de telles forces destructrices. Il croyait les Adéniens faibles et incapables de tuer, alors qu’ils étaient en réalité redoutables et impitoyables.

    Il ne devait pourtant pas laisser cette admiration naissante ni ce respect nouveau envers les ennemis héréditaires de son peuple atténuer sa soif de vengeance. Les « angelures » avaient quasiment exterminé son armée et cela méritait un châtiment exemplaire. Il les traquerait jusqu’au dernier enfant. Il ouvrirait leurs crânes les uns après les autres, et il dévorerait leurs glandes pinéales jusqu’à ce qu’il ait acquis à son tour ce pouvoir absolu, celui d’invoquer et de contrôler lui aussi ces forces ténébreuses. Il serait alors invincible.

    Il donna l’ordre d’abandonner les derniers blessés, sachant fort bien que ceux-ci finiraient par rejoindre les ombres comme tous les autres, quels que soient les soins dont ils bénéficieraient. Ils étaient condamnés ; prolonger leur agonie n’aurait été qu’une perte de temps. Puis il ordonna à son lieutenant Goriath de recenser les survivants.

    Moins nombreux que les Sylvains mais plus qu’il n’en fallait, songea-t-il.

    Il divisa ses guerriers en petits groupes, chacun mené par un maître chien capable de remonter la trace des fuyards, et il lança la traque aux exilés. L’extermination de tout ce qui dérogeait aux valeurs guerrières de l’humanité, de tout ce qui s’était cru supérieur, était imminente et inéluctable.

    La chasse était ouverte. Une traque à mort pour l’éradication des Êtres Humains de la surface d’Aden, pour le triomphe de la race des hommes. Une grande chasse pour purifier cette île-continent de la présence angélique. Pour y construire une seule et grande nation, celle des humains qui auraient vaincu les anges gardiens de ce territoire : l’Adès.

    ***

    L’Arbre de Vie était mort. La Cité Sylvestre était tombée. Et les Êtres Humains étaient abattus. Ils étaient perdus.

    Ils s’étaient dispersés après le drame, pour accroître leurs chances de survie tandis que les humains pansaient leurs plaies. Des plaies qu’ils pensaient encore pouvoir guérir, mais qui étaient vouées à ne jamais se refermer. Le temps qu’ils le réalisent, tous les Sylvains s’étaient déjà éparpillés, brouillant les pistes, loin du titanesque tronc calciné du Grand Arbre de la Boddhi.

    Les Êtres Humains avaient convenu de voyager en petits groupes séparés et de se retrouver au pied des lointaines Montagnes Troglodytes, pour chercher refuge auprès des légendaires Alpins de la Cité Céleste. Mais sans leur Arbre, les Sylvains n’étaient plus rien. Leur identité était détruite. Leur pouvoir était perdu. Leur symbole était brisé. La malédiction était sur eux, attirée par cette poignée d’Anciens, cette souche pourrie au cœur même de leur peuple, ces racines rongées par les vers que la guerre venait de révéler.

    Comment avaient-ils pu commettre un tel crime ? Comment avaient-ils pu renoncer à la paix, rejeter tout ce en quoi ils croyaient, tout ce qu’ils enseignaient depuis des siècles ?

    Arkadiel ne comprenait pas.

    Il n’était pas Sylvain d’origine.

    C’était par adoption qu’il était devenu un Fils de l’Arbre, six printemps auparavant. À la demande du Conseil Sylvestre, lui et sa compagne Azùla étaient arrivés spécialement de la Cité Maritime pour devenir les Anges Gardiens d’une âme très particulière, qui partait s’incarner à la fin du XXe siècle, en plein cœur des Enfers Terriens.

    Quelle n’avait pas été la surprise d’Arkadiel en découvrant que cette âme dont ils auraient la charge se nommait Arcadia… et qu’elle était une autre part de lui-même : une de ses vies antérieures, une autre projection de son propre Esprit dans la matière.

    Ils s’étaient reconnus au premier regard.

    Leur brève rencontre avait laissé une empreinte profonde dans le subconscient d’Arcadia, qui devait l’aider plus tard dans sa tâche de remémoration. Selon Maître Alsim, cette expérience directe de la confrontation avec un autre Soi était capitale avant le Grand Départ qui l’entraînerait au fin fond des Enfers Terriens. Le voyage de son âme devait l’amener en plein Âge Noir, au cœur des Ténèbres, où elle devrait s’éveiller à temps pour l’Apocalypse. Cette profonde empreinte mémorielle l’y aiderait.

    Arkadiel s’était immédiatement pris de sympathie pour Alsim, son nouveau Maître qui coordonnait leur travail médiumnique d’Anges Gardiens. Il lui semblait le connaître depuis longtemps. Il avait alors réalisé que c’était bel et bien le cas, puisqu’il avait déjà été son disciple dans une vie antérieure, lorsqu’il vivait encore dans la peau d’Arcadia.

    Les surprises ne s’étaient pourtant pas arrêtées là : sa compagne Azùla avait elle aussi retrouvé une de ses anciennes incarnations au pied du Grand Arbre de la Boddhi, en la personne de l’érudit nommé Azulàn. Les Êtres Humains ne traînaient quasiment plus de karma de couple, aussi les retrouvailles d’âmes en Aden étaient-elles plutôt la règle que l’exception. Azulàn était donc le compagnon d’Arcadia, comme on pouvait s’y attendre puisque leurs âmes étaient liées. Et il était très affecté par son départ…

    Car si le garçon nommé Azulàn était déjà une très vieille âme selon les critères humains, il était encore une âme immature du point de vue des Êtres Humains. Il venait tout juste de s’extraire de ses cycles d’incarnations terrestres dans notre monde. Ce n’était que sa deuxième existence en Aden. Et des dizaines de vies semblaient s’être écoulées entre cette version d’Azulàn et sa réincarnation Azùla, la compagne d’Arkadiel.

    Les jeunes amants venus de la Cité Maritime l’avaient néanmoins pris sous leur aile comme un petit frère, puis comme un ami. Ils avaient même entrepris de lui révéler les secrets de l’Aden, les vérités dissimulées aux nouveaux arrivants.

    Évidemment Azulàn avait eu beaucoup de mal à intégrer le fait qu’Azùla soit son âme réincarnée. Se trouver face à un futur soi-même, c’était un concept qui allait encore trop loin dans le paradoxe. En tout cas pour un Adénien tout neuf, encore empêtré dans l’approche linéaire du temps propre au règne humain.

    Bien qu’il ait acquis la maîtrise de la décorporation et qu’il fut capable de consulter la Mémoire Akashique, nombre de portes de la dimension du Savoir lui demeuraient closes en raison de son manque de maturité spirituelle, et beaucoup d’Archives Universelles lui étaient encore verrouillées.

    Les Enfants de l’Eau lui avaient cependant confié leurs doutes sur l’Histoire secrète d’Aden et leurs craintes quant à l’enjeu que représentait l’interaction entre les mondes, lorsqu’était survenu un évènement tragique : un meurtre avait été commis non loin de la Cité Maritime. Tout portait à croire que l’auteur du crime n’était pas un Être Humain mais un simple humain, alors qu’on les pensait disparus depuis des siècles.

    Arkadiel ainsi que les jumeaux spirituels Azulàn et Azùla s’étaient portés volontaires pour enquêter sur place. Ils avaient ainsi fait plus ample connaissance avec Gabriel, dit Geb, qui était devenu leur nouveau Maître. C’était un curieux personnage, qui remettait encore davantage en question toutes les notions qu’ils avaient du Temps.

    Ce Grand Ancien… présentait l’apparence d’un enfant d’une dizaine d’années. Il était le Père de la Mémoire de la Cité Sylvestre ; un doyen qui, afin de prolonger son existence en prévision d’une mission mystérieuse, avait inversé le cycle de son vieillissement plus d’un siècle auparavant.

    À son contact ils avaient énormément appris.

    Il leur avait révélé que la légende disait vrai : il y avait encore des humains en Aden, des porteurs d’âmes inachevées, qui recherchaient le pouvoir pour eux-mêmes. Dans le Temple du Savoir Interdit, Geb leur avait finalement dévoilé le secret des Grands Anciens sur les origines de leur monde : Aden n’était autre que la Terre elle-même, environ un millénaire après l’Apocalypse provoquée par les Terriens au XXIe siècle.

    De nouveau ils étaient confrontés à des perspectives vertigineuses, comprenant soudain qu’ils envoyaient en fait les âmes de leurs Émissaires, comme Arcadia devenue Guillaume, s’incarner dans le passé… et non sur une autre planète comme ils l’avaient toujours cru !

    C’est alors que les humains les avaient débusqués et avaient tenté de les noyer dans le Temple du Savoir Interdit. Azulàn s’était sacrifié pour sauver la vie de Geb, qu’il savait être un Akasha incarné en Aden pour remplir une mission de la plus haute importance. Encore dépendant de son karma de couple, Azulàn était alors parti rejoindre l’âme d’Arcadia dans le passé. Il allait en fait la croiser dans de multiples vies, depuis l’aube de l’humanité…

    En arrivant à la Cité Maritime, Arkadiel avait découvert son peuple empoisonné.

    Les Marins s’étaient traînés jusqu’au Temple de l’Eau pour y rendre leur dernier souffle en tant qu’Émissaires de la Conscience, partant ainsi se réincarner sur Terre pour venir en aide aux humains du passé, cette espèce qui venait pourtant de les exterminer.

    Arkadiel et Azùla n’avaient même pas retrouvé les membres de leurs familles : les humains avaient profané les cadavres en leur ouvrant le crâne pour en extraire les glandes pinéales et s’en nourrir, pensant ainsi acquérir de nouveaux pouvoirs.

    Seuls quelques habitants de la Cité Maritime, maîtres en transmutation organique, avaient survécu à l’empoisonnement. Les humains les gardaient prisonniers et les utilisaient comme cobayes pour les soumettre à toutes sortes d’expériences sur les poisons.

    Avec l’aide d’Ezéquiel, un citoyen qui avait réussi à s’échapper, ils avaient libéré les captifs et entrepris de rallier la Cité Sylvestre pour lui éviter de connaître le même sort que la Cité Maritime. Geb était parti de son côté vers la Cité Lacustre, dans un mystérieux dessein connu de lui seul.

    Mais les avis avaient divergé au sein du Conseil Sylvestre quant à l’attitude à adopter face à l’assaut imminent de l’armée humaine. Certains voulaient fuir, d’autres défendre l’Arbre… et une petite minorité d’Anciens proposait même d’ouvrir une brèche dimensionnelle. Conscient du danger que représentait une telle tentative, le Conseil avait refusé de jouer avec la trame de l’espace-temps dans un tel contexte d’urgence, sachant qu’il risquait de perdre tout contrôle.

    Quand l’assaut avait été lancé, la Cité Sylvestre était tombée et le Grand Arbre avait finalement été incendié, malgré la résistance pacifique des Fils de l’Arbre. Une poignée d’Anciens avait alors invoqué des forces infernales qui avaient aussitôt anéanti l’armée humaine. Cette marée noire semblait vouée à se répandre en Aden telle une pandémie, quand Gabriel était intervenu. Depuis le volcan de la Cité Lacustre, il avait canalisé un Cri Primordial, une Onde de Création qui avait instantanément remodelé la croûte terrestre, ensevelissant et scellant ainsi les monstres tout droit sortis d’un enfer primitif extradimensionnel.

    Enfin tous avaient fui les ruines fumantes de ce qui avait été la Cité Sylvestre, cœur du monde Adénien : les humains battus et les Êtres Humains abattus.

    À présent Arkadiel voulait comprendre.

    Comment des Sages avaient-ils pu commettre un tel crime ?

    Pourquoi avaient-ils joué avec le feu sombre, malgré leur connaissance des rouages intimes du Cosmos ?

    Arkadiel ne voulait pas réveiller Azùla. Elle culpabilisait déjà d’avoir simplement envisagé la possibilité d’invoquer ces forces inférieures, inutile d’en rajouter. Il aurait voulu interroger Alsim, mais celui-ci était encore trop affecté par la chute de l’Arbre et la trahison de ses pairs. Il ne lui fournirait sans doute pas de réponse satisfaisante.

    Arkadiel décida alors de se tourner vers l’Ancienne, la Gardienne du Temps qu’était Xibalba. Il la trouva juchée sur une colline rocheuse, occupée à fixer les cieux étoilés en cette nuit de pleine lune. Privée de son planétarium, c’est tout naturellement qu’elle continuait de remplir son rôle depuis ce promontoire naturel qui venait provisoirement remplacer son observatoire de la Cité Sylvestre.

    — Une ombre nous suit, murmura l’Ancienne d’une voix rauque lorsqu’il la rejoignit.

    — Les humains nous traquent toujours ?

    — Oh oui, bien sûr. Mais je ne parle pas d’eux… Ils sont encore nombreux, or il s’agit d’une menace plus solitaire, plus diffuse, qui plane également sur les humains. Je peux la sentir ramper sous les branches, affamée. Elle n’est pas motivée comme eux par le désir de vengeance. Elle n’est guidée que par son désir de croître, son besoin de se nourrir. Il n’y a là aucune intelligence dans le sens où nous l’entendons, aucune loi du talion comme chez les humains, aucune soif de revanche. Il n’y a qu’un instinct de prédation.

    — Sommes-nous de nouveau en danger ?

    — Pas dans l’immédiat, mon enfant : les humains sont en première ligne. La menace se nourrit de la peur qu’elle génère, et ils en sont à présent imprégnés. Nous devrions éviter de lui accorder de l’importance, car ainsi nous lui donnerions davantage de pouvoir… mais nous devons rester vigilants.

    — Grande Mère, j’ai besoin de comprendre.

    — Comme nous tous, ironisa l’Ancienne.

    — Comment de Grands Anciens ont-ils pu commettre une telle faute ? N’étaient-ils pas des Êtres réalisés ? Comment ont-ils pu attirer une telle malédiction sur notre peuple, tout en sachant ce qu’ils faisaient ? J’étais à la Cité Maritime après l’attaque des humains : pas un seul de ses habitants n’a usé de brutalité face aux atrocités dont ils ont été victimes…

    — … et ils ont tous été exterminés, compléta l’Ancienne.

    Arkadiel baissa les yeux :

    — Ont-ils eu tort de rester pacifiques ?

    — Non. Ils ont eu tort de se laisser faire. Bien qu’ils n’aient pas vraiment eu le choix.

    — Parce que les Anciens fautifs ont eu raison ?

    — Non, ils ont eu tort également. Parce qu’ils avaient le choix.

    — Je ne suis pas sûr de comprendre…

    — Moi non plus, mon enfant, moi non plus… Je vais néanmoins te dire ce que je crois. Tout d’abord en tant que Gardienne du Temps j’appartenais — j’appartiens, se reprit-elle — au Conseil Sylvestre depuis une éternité. J’en serais même à présent la doyenne si Geb n’avait pas remodelé la Māyā¹ pour prolonger sa vie et accomplir son devoir de Mémoire. Je connaissais donc très bien les quatre Maîtres qui ont fauté, et ce depuis fort longtemps. L’un d’eux, Tamiel, a même été mon disciple, il y a une soixantaine d’années. J’étais encore jeune, à cette époque… Je m’apprêtais tout juste à devenir centenaire, ajouta-t-elle, le regard lointain.

    — Pardon, Grande Mère, cela doit être douloureux de voir chuter l’un de ses élèves.

    — Si le disciple ne se montre pas à la hauteur, le maître a sa part de responsabilité, reconnut-elle. Quoiqu’il en soit c’était déjà une tête brûlée en ce temps-là. Combien de fois, en essayant de lui enseigner la patience, ai-je failli perdre la mienne, ricana-t-elle.

    Arkadiel sourit en se remémorant Azulàn, qui avait lui aussi un tempérament impulsif.

    — Il s’est donné beaucoup de mal pour devenir Maître, ainsi que pour siéger au Conseil, reprit Xibalba. Les Anciens l’ont accepté justement parce qu’ils avaient besoin d’idées nouvelles et de points de vue différents, peut-être un peu moins raisonnables que les leurs. La sagesse consiste aussi à savoir se remettre en cause, à élargir ses horizons, à avoir le courage de changer ses habitudes, comprends-tu ? Dans le cas contraire on reste sur ses acquis. Confortablement ancré dans une certaine sécurité, certes, mais on stagne également.

    — Je vois ce que tu veux dire.

    — Ce que je peux t’affirmer, c’est qu’il n’était pas mauvais. Certainement trop impulsif. Beaucoup trop pour siéger au Conseil, selon moi. En ce qui le concerne, je pense qu’il n’a jamais eu l’intention de mal faire. Il a sans doute voulu ouvrir un pont dimensionnel, mais certainement pas pour permettre l’invasion de forces de nature inférieure. Il a été influencé par les autres.

    — Je vois. Ce n’est pas le cas de tous pourtant. L’un d’eux a explicitement fait part de ses intentions d’invoquer de telles forces avant que le Conseil, évidemment, ne refuse.

    — Oui. Il pensait pouvoir garder les entités néfastes sous contrôle. Il voulait nous protéger, ce qui en soi, est légitime. Toute vie a le droit de se développer. Être pacifique ne signifie pas qu’on doive se laisser exterminer sans rien dire. Les gens de l’Eau, ton peuple, sont d’une nature fluide, c’est peut-être la raison pour laquelle ils se sont laissés faire…

    — L’océan peut lui aussi manifester sa colère, assura Arkadiel.

    — J’en suis sûre. Les Marins étaient déjà très affaiblis, mais nous autres les Sylvains sommes très attachés à la terre, et particulièrement au Grand Arbre. Nous en faisons viscéralement partie. Lorsque l’Arbre de la Boddhi a été menacé, certains furent tentés de remettre en cause nos principes afin de défendre la Source de Vie qu’il représente pour notre peuple. Quitte à employer pour cela des énergies de mort… Mais leur intention n’était pas de tuer. Ils voulaient simplement effrayer les humains, or de telles forces sont incontrôlables. Elles vous dévorent aussitôt. Ils vont payer cher pour l’apprendre…

    — Celui qui exerce la magie noire en toute conscience régresse d’un règne, vous nous l’avez dit.

    — La plupart du temps, c’est le cas. Le chef des humains, ce Tarok, finira par retourner dans la peau d’un lombric s’il persiste à dévorer nos glandes pinéales. Les Anciens fautifs redeviendront de simples humains, et ils devront à nouveau arpenter le sentier de l’initiation pendant des milliers de vies avant de retrouver leur ancien niveau de conscience. Mais encore une fois, qui sommes-nous pour juger ? Leurs âmes se jugeront elles-mêmes quand elles auront soif de retrouver la Lumière véritable. C’est la tâche des Akashas que d’y veiller, nous sommes encore trop impliqués dans la matérialité pour nous permettre de condamner. Notre vision n’est pas assez large, pas assez élevée. Comme je l’ai déjà dit, leur acte malheureux partait sans doute d’une bonne intention. Peut-être ont-ils également endossé le mauvais rôle, peut-être avaient-ils déjà accepté ce karma avant de venir s’incarner en Aden ? C’est peut-être un sacrifice volontaire de leur part que de se faire instruments du dessein karmique ?

    — Afin de contrer l’armée humaine, qui nous aurait tous exterminés sans leur intervention ?

    — Nous ne pouvons jamais connaître entièrement le dessein divin. Essayons de voir le meilleur. Nous voyons trop souvent le pire chez les autres, car ce sont justement sur ces défauts qu’ils doivent travailler. Ils choisissent donc de s’incarner dans un corps adapté à leurs besoins, face à des circonstances de vie qui les confronteront aux problèmes qu’ils ont à résoudre, aux aspects les moins aboutis de leur âme, aux faiblesses sur lesquelles leur personnalité incarnée leur permettra de se pencher. Et le meilleur d’eux-mêmes, caché à la vue, demeure dans les plans immatériels car déjà parfait… Ne juge pas une âme de par ce que tu peux voir d’elle sur le plan Physique, car tu ne verras que le chantier en cours et pas le magnifique palais déjà construit ! Certains prennent sur eux tant d’épreuves, simplement pour progresser plus vite et se rapprocher davantage de l’Infinie Lumière qu’ils entrevoient entre chacune de leurs existences terrestres, que parfois même ils ne peuvent les supporter et renoncent finalement à venir au monde au tout dernier moment. Ce sont les mort-nés.

    Arkadiel était songeur :

    — Pourtant les Anciens sont des Êtres presque réalisés. Sur les plans inférieurs, vous êtes déjà quasiment parfaits. Si vous le souhaitiez, vous pourriez abandonner définitivement la matérialité, pour la majorité d’entre vous.

    — Certes, mais je vais te confier un secret : un Être n’est jamais complètement réalisé. Rien n’est jamais acquis, c’est un travail constant sur soi-même car la perfection n’est pas de ce monde. Sur Terre les croyants pensent encore qu’un beau jour la Lumière Divine décide de s’abattre sur un saint homme ou une sainte femme, et que soudain ces élus deviennent des Êtres parfaits, s’ils ne l’étaient pas de naissance…

    Arkadiel sourit tout en laissant échapper un rire discret :

    — Oui, c’est une vision plutôt naïve.

    — Bien entendu, pour nous qui connaissons le processus d’évolution de l’âme, cela prête à sourire. Mais ne sois pas si enclin à te moquer d’eux : à ton échelle tu fais exactement la même erreur.

    — En pensant que cela est acquis ?

    — Bien sûr ! Aucun Maître, pas même Gautama ou Jésus, ne l’est devenu d’un seul coup. Tous sont passés par les règnes antérieurs : ils ont acquis la mobilité en tant que minéraux, la sensation en tant que végétaux, l’instinct en tant qu’animaux, la conscience d’eux-mêmes en tant qu’humains, et la Conscience du Tout en tant qu’Êtres Humains. Ils ont tout d’abord eu de brefs éclairs de lucidité qu’ils ont cherché à reproduire, puis à prolonger. Au fil des vies ils ont fini par parvenir à quelques minutes d’Éveil, puis ces minutes sont devenues des heures. Jusqu’à atteindre un état de béatitude quasi-permanent, fruit d’un altruisme sans pareil et d’une attention de chaque instant concentrée sur le seul désir de s’élever pour le bien de tous. Mais on aurait tort de penser qu’ils ne peuvent pas régresser : c’est tout à fait possible. Un Être peut dans une même vie atteindre un état proche de l’Éveil, rayonner de Lumière, puis retomber dans la médiocrité s’il ne peut entretenir la flamme, s’il replonge dans ses vices ou s’il est plombé par le quotidien. Tant qu’un Être est encore aux prises avec la matière, il peut retomber dans ses ornières. Seule l’Ascension définitive vers le règne angélique nous en libère. Et comme nous venons de le voir, il existe encore des cas exceptionnels où l’on peut régresser d’un règne tout entier.

    — Un Ange pourrait-il redevenir un Être Humain ?

    — S’il vient à nuire volontairement à l’évolution des êtres dont il a la charge, je suppose que oui. Mais certains se sacrifient aussi pour permettre l’évolution d’une espèce. Connais-tu la légende de Lucifer ?

    — Quelques souvenirs alchimiques d’une vie antérieure… À l’origine Lucifer était le nom de Vénus, « l’étoile du matin ». Le nom de « Porteur de Lumière » fut ensuite donné au roi de Babylone dans l’Ancien Testament, puis au Christ « Porteur de Lumière » dans le Nouveau Testament. Ce n’est qu’au Moyen Âge que Lucifer est finalement assimilé et confondu avec Satan et ses Anges déchus.

    — Il y a une autre interprétation à tout cela : l’Archange Lucifer voulait donner aux hommes le libre-arbitre. Sa rébellion devait permettre de faire évoluer l’humanité, mais en échange de sa prise de position il a dû assumer le mauvais rôle. Car par sa faute les humains eurent la possibilité de faire des choix, y compris de mauvais choix, et ils se retrouvèrent plongés dans les Ténèbres. Mais sans cela nous n’aurions pas acquis l’autonomie de conscience indispensable pour évoluer vers le cinquième règne, celui des Êtres humains. C’est en fait une métaphore de la décision difficile qu’ont dû prendre des Akashas de la Sphère Vénusienne quant à l’évolution de l’humanité, à une époque très reculée…

    — Il est parfois nécessaire de permettre un mal temporaire pour donner un coup de pouce à l’évolution, pour amener l’espèce vers un plus grand bien… C’est ce que tu essaies de me dire Grande Mère ?

    — Non, car tu sais déjà cela. Là où je veux en venir, c’est que personne, en soi, ne souhaite véritablement le mal. Ceux qui se tournent vers la Nuit veulent faire le bien à une certaine échelle, que ce soit pour eux-mêmes, pour leur famille, pour leur entreprise, pour leur peuple, ou pour leur nation…

    — … et cela, à leurs yeux, justifie leurs actes : le bien d’une minorité à laquelle ils tiennent au détriment de l’ensemble. Ils finissent par manquer d’objectivité. C’est pourquoi nous travaillons tant sur le détachement.

    — Ces Anciens ont manqué d’objectivité et de détachement admit Xibalba. Ils ont pris un risque inconsidéré et ils vont en payer le prix. Et nous aussi, pour les avoir laissé faire…

    — Alors pourquoi essayer à tout prix de nous élever si rien n’est jamais acquis, que nous pouvons rechuter sans cesse et même devoir assumer les erreurs de certains que nous pensions bien plus sages que nous ?

    — Comme tu le sais déjà, les agents de l’Ombre, ceux qui servent temporairement ou durablement les forces négatives de l’Univers — et nous le faisons tous par moments, que nous le voulions ou non, à une quelconque échelle — sont indispensables à la Vie… Sans eux il n’y aurait pas de courant vers le positif, d’évolution. Mais ne te décourage surtout pas, car il est une autre vérité fondamentale : l’Univers tend vers la réunification ultime. Nous sommes toujours, immanquablement, attirés vers la Lumière pure. C’est la seule raison d’être de l’ombre. Nous pouvons parfois nous égarer pendant un certain nombre de vies, mais nous finissons toujours par être rattrapés par le courant karmique. C’est là que s’arrête notre libre-arbitre. Nous avons le choix entre de multiples voies, mais toutes mènent au même endroit : à la Source. Et quels que soient les méandres chaotiques que nous empruntons, c’est là que nous finirons tous par arriver.

    — En fait, la seule différence entre les Êtres, c’est le temps qu’ils mettent à retrouver la Source. Certains sont rapides, tandis que d’autres prennent leur temps…

    — Exactement. Quand je dis que rien n’est jamais définitivement acquis, c’est vrai, mais cela ne signifie pas pour autant que tout est chaque fois perdu. Les Êtres retrouvent plus facilement dans leur vie suivante les acquis des vies précédentes, même s’ils n’en ont pas de souvenir conscient. C’est la véritable différence entre l’inné et l’acquis, dont les scientifiques humains cherchent désespérément à percer le mystère selon des critères unidimensionnels. Tous les progrès sont enregistrés dans la Mémoire Akashique, et les épreuves n’ont pas à être repassées plus que nécessaire une fois qu’elles ont été surmontées et leurs leçons assimilées. Ceux qui sont voués à devenir des Maîtres étaient pour le moins de Grands Initiés dans leur vie précédente, et les circonstances karmiques leur permettent de retrouver plus vite ce savoir enfoui en leur Être profond.

    Arkadiel leva les yeux vers le ciel en fronçant les sourcils :

    — Je comprends, Grande Mère, pourtant… quelque chose me gêne dans l’image que tu as employée…

    — Toute comparaison a ses limites, reconnut l’Ancienne. Mais je t’écoute.

    — Remonter vers la Source, n’est-ce pas justement aller à contre-courant ? N’avons-nous pas tendance, au contraire, à nous en éloigner, tout comme l’Univers poursuit inlassablement son expansion ?

    L’Ancienne sourit à demi et répondit sans quitter le ciel des yeux :

    — En effet, admit-elle. Nous n’aurions aucun effort à fournir si nous n’avions qu’à nous laisser porter par le courant. Il s’agit d’ailleurs de ne plus lui opposer de résistance, plutôt que de lutter contre lui… Mais poursuivons jusqu’au bout ton raisonnement, et vois la chose sous un autre angle : de la source tu descends le ruisseau, puis le torrent, puis la rivière, puis le fleuve, et enfin la mer. Te voilà grossier et salé, impur. Tu t’es laissé aller, et tu es descendu au plus bas. Mais ton voyage s’arrête-t-il pour autant ?

    — Je suppose que non : le soleil vient réchauffer la mer…

    — … dont la vapeur d’eau épurée s’envole, pour se condenser en nuages puis se déverser en précipitations qui seront filtrées par les différentes strates du sol avant d’alimenter une nappe phréatique en eau limpide et pure… qui rejaillira de la Source. Nous y voilà.

    — Cela reste un cycle sans fin, objecta Arkadiel.

    — Précisément. L’Univers est une soupe de vie, obéissant aux cycles qui la régissent. Des galaxies en absorbent d’autres, comme le zooplancton se nourrit du phytoplancton dans l’océan. Comme tout ce qui vit, l’Univers entier procède par respirations. Il est actuellement en phase d’expansion, mais un jour il se contractera de nouveau, puis il s’effondrera pour la Nuit des Âges… avant un nouveau Big Bang.

    — Alors nous tournons en rond ?

    — Bien sûr que non : nous tournons en spirale. Ne t’ai-je pas dit que rien n’était jamais perdu ? À chaque grand cycle planétaire, solaire, galactique ou universel les compteurs sont remis à zéro, mais les éléments purifiés sont préservés pour occuper une place plus importante, pour monter d’un règne par exemple. Ceux qui sont encore trop grossiers pour passer par le tamis du règne en question se voient replacés dans un moule adapté à leur progression. Ils auront de nouveau leur chance au tour suivant, et même avec une certaine avance conférée par leurs progrès antérieurs. Le fait que tu sois déjà un Être aussi conscient est plutôt encourageant, ne trouves-tu pas ?

    — Sans doute.

    — Dans cette ronde, tu es déjà sur le chemin du retour, incroyablement évolué. Dis-toi que tu as déjà parcouru un chemin phénoménal, depuis l’époque où tu n’étais qu’une âme minérale de groupe… Et pourtant tu es encore rattaché au plan physique, le plus bas qui se puisse concevoir. Au-delà, les Grands Êtres découvrent des splendeurs à leur échelle, toujours plus étendues. Au fil des rondes, les humanités passent par les règnes angéliques et supérieurs, elles fusionnent pour devenir des planètes, les planètes des soleils, les soleils des galaxies… Et même lorsque nous atteignons l’illumination du Maha-pari-nirvana, le fond divin de toutes choses, tout ce que nous pouvons percevoir de ces Grands Êtres de Lumière et d’Amour Infini, pour nous inconcevables, c’est au mieux le sous-plan le plus bas de tous leurs sous-plans physiques…

    — Et que verrions-nous de l’Unité Divine, l’Ultime Dieu Unique ?

    — Dieu est unique et multiple, puisque c’est l’ensemble de tous les Êtres qui le composent, du microcosme au macrocosme. Et c’est là que cela devient drôle, gloussa l’Ancienne : le Dieu unique, le Créateur de tout ce qui est, nous ne pourrions absolument pas l’appréhender. Même les religions prêchant le monothéisme, par le seul fait de l’évoquer, le réduisent à un concept qui nous est accessible, le plus grand que notre imagination soit capable d’effleurer, et donc à un Grand Être de bien moindre envergure que celui qu’Il est.

    — Cela donne en effet le vertige, murmura Arkadiel en baissant les yeux.

    Il y eut un bref silence durant lequel Arkadiel s’efforçait d’imaginer sa juste place dans la merveilleuse alchimie qu’était le Cosmos.

    — Il faut que je te dise, reprit Xibalba… C’est Tamiel, mon ancien disciple, qui a soutenu Alsim dans son idée originale de t’inclure en tant que Gardien d’une de tes vies antérieures, et donc de te faire rencontrer Arcadia avant son départ.

    — Les différentes projections d’un même esprit dans la matière ne sont habituellement pas faites pour se rencontrer…

    — Les Akashas ne le permettent en effet qu’en de très rares occasions — exception faite de la vraie gémellité, dans laquelle c’est au contraire la règle ; une expérience particulière de miroir pour l’âme.

    — Je ne savais pas que nous devions notre rencontre à cet Ancien, reconnut Arkadiel, songeur.

    — Oh, il n’est pas seul en cause : j’ai également ajouté mon grain de sel, et le projet a dû recevoir la bénédiction de l’ensemble du Conseil Sylvestre, puis du Conseil Maritime, avant que la requête ne soit présentée devant votre Guide Akashique, qui lui-même a dû solliciter l’avis de ses pairs des plans supérieurs…

    — Pourquoi avoir insisté et soutenu Alsim dans ce projet ? À vrai dire, depuis que la guerre a éclaté, nous n’avons guère le temps de nous occuper de Guillaume, la réincarnation d’Arcadia. J’essaie autant que possible de le guider par la méditation que Geb nous a enseignée, mais nous n’avons plus le loisir de nous réunir en sessions Akashiques comme auparavant. Et puis notre équipe a été amputée d’Azulàn…

    — N’aie crainte, vous n’êtes pas seuls dans cette tâche. Ce n’est pour vous qu’un apprentissage, une préparation à votre future condition d’Anges, lorsque vous serez définitivement libérés de la matérialité. Mais les Akashas se chargent du karma que Guillaume a choisi d’endosser avant sa naissance, et ne cessent de le guider. Rassure-toi : nul n’est jamais livré à lui-même, ni abandonné au cœur des Enfers s’il s’efforce de suivre la Lumière de ses Guides…

    — Je n’en suis plus si sûr. La correspondance temporelle me le montre anéanti par des drogues chimiques qu’on lui injecte contre sa volonté, se débattant dans une prison aux murs immaculés que ses geôliers osent appeler un hôpital. Cela réveille de douloureux souvenirs dans mes anciennes mémoires. Je commence à comprendre pourquoi Azulàn, ne supportant plus ces visions, a voulu le rejoindre… même s’il semble avoir échoué.

    — Il n’a pas échoué, rassure-toi. Il perd seulement un peu de temps pour en gagner beaucoup plus, ajouta mystérieusement l’Ancienne. Mais garde confiance. C’est l’âme, qui, désirant rejoindre plus vite la Lumière, s’impose ses propres épreuves. Guillaume a choisi un parcours accéléré. Comme le fœtus qui repasse par tous les stades antérieurs de l’évolution avant sa naissance, il concentre sur une courte période de sa vie toutes les épreuves des initiations majeures déjà atteintes dans ses vies précédentes, pour parvenir plus vite à un certain degré d’Éveil et accomplir ainsi la mission pour laquelle Arcadia a quitté notre monde. Ta rencontre avec elle avant son départ a imprimé en lui une sensation plutôt qu’un souvenir, un profond paradoxe qui lui permettra de délivrer son message le moment venu. Car son rôle, le rôle que tu as tenu par le passé, est celui de décodeur. En conséquence il doit se souvenir à tout prix, même si cela est douloureux, car il est un gardien des clés. Il est lui-même une clé du trousseau d’Envoyés. Une clé pour déchiffrer leurs codes, pour relier entre elles les époques sans aucun lien apparent et les vérités qui semblent contradictoires, pour concrétiser les abstractions, pour démontrer l’existence des plans supérieurs et préparer certains humains aux évènements Apocalyptiques…

    — Je ne me souviens pas avoir laissé de telles clés.

    — Peut-être pas encore. Mais tu le feras. Tu l’as déjà fait. Dans une série de trois livres. Et particulièrement dans le troisième, qui sera lui-même la clé des deux précédents. En tant que Gardienne du Temps j’ai un rapport particulier avec les Akashas, tu le sais. Ils me donnent accès à certaines informations verrouillées, à certains possibles que nous nous efforçons de façonner.

    — C’est pourquoi vous avez envoyé Arcadia — vous m’avez envoyé — dans le passé ?

    — Arkadiel, Arcadia… « Arca » signifie « Arche ». Tu es une embarcation chargée des souvenirs du futur lancée par-delà le déluge, un coffre dont le trésor est la clé d’un symbolisme abstrait, d’une Histoire méconnue, celui qui décodera les messages cachés répandus par d’autres Émissaires, qui les rendra accessibles et qui les reliera entre eux, un de ceux qui annonceront certains événements à venir, qui diront ce qu’il ne faudra pas refaire et surtout qui expliqueront pourquoi. Tu es une clé.

    — Plutôt une bouteille à la mer, envoyée remonter le tumultueux cours du temps, qui vient de se briser contre les récifs.

    — Peut-être… c’est le lot de tous les Émissaires de la Conscience. Pourtant si une seule personne ramassait la bouteille brisée et parvenait à déchiffrer le message qu’elle contient, aurait-elle été envoyée en vain ?

    — Encore faudrait-il que l’encre n’ait pas été complètement effacée par son séjour prolongé dans l’eau glacée…

    — Tu l’as peut-être oublié, car il n’y en a plus sous nos latitudes, mais je peux t’assurer que la glace a de remarquables propriétés de conservation, répliqua Xibalba, prolongeant jusqu’au bout leur joute métaphorique.

    Arkadiel sourit, s’avouant vaincu, et replongea dans les souvenirs glacés de son séjour en Enfer.

    II - Voyage au bout de l’ennui

    La religion est pour ceux qui ont peur d'aller en enfer.

    La spiritualité est pour ceux qui y sont déjà allés.

    Citation de Lee Stringer

    Transcrit de la Mémoire Akashique

    par Arkadiel de la Cité Sylvestre

    Je suis brisé.

    J’ai à peine la force de mâcher le contenu de la cuiller qui exécute un lent va-et-vient entre ma bouche et l’assiette dans la main ferme de l’infirmier. Heureusement, il ne s’agit que de bouillie. J’ai à peine la force de réfléchir. Mon cerveau également ne contient plus que de la bouillie… et du brouillard. À croire qu’ils me nourrissent de ma propre cervelle.

    Comment en suis-je arrivé là ? J’essaie de rassembler mes souvenirs.

    Après ma première révélation, qu’ils appellent une « crise », je me suis retrouvé incarcéré dans cet hôpital une première fois. Ils m’ont relâché un mois plus tard pour « bonne conduite » et m’ont laissé en « liberté conditionnelle ».

    J’ai repris mes études et j’ai essayé d’oublier ce qui m’était apparu, toutes les synchronicités, ces coïncidences signifiantes qui essayaient de me faire comprendre quelque chose.

    J’ai essayé de me persuader que le monde était plat et rationnel. Comme eux le voient. Comme ils veulent que je le voie.

    Avec leur traitement tueur de rêves et de cellules grises, j’y étais presque parvenu. Tout en sombrant dans la dépression…

    Puis j’ai récidivé. Je n’ai plus supporté la fatalité d’un univers dépourvu de toute magie.

    Cet été les signes sont réapparus, plus puissants que jamais. Les coïncidences se sont de nouveau accumulées jusqu’à ridiculiser le hasard, m’annonçant l’imminence de la levée du voile, de mon Apocalypse.

    Impossible de les ignorer. Impossible de ne pas répondre à l’appel. J’ai de nouveau voulu comprendre, savoir, connaître, et rien d’autre n’avait plus d’importance.

    Je n’ai pourtant pas attenté à ma vie cette fois-ci, seulement à ma vue. Ivre de lumière, j’ai dansé en fixant l’Astre du Jour pendant des heures, reproduisant « la danse en regardant le soleil », un ancestral rituel indien dont j’ignorais tout… et que j’ai pourtant exécuté durant la période de pleine lune qui suit le solstice d’été, comme c’est la tradition dans les tribus des grandes plaines !

    Au prix d’une cécité provisoire, j’ai alors compris que la lumière du soleil n’était elle aussi que ténèbres, qu’elle n’était pas la Lumière, celle que je recherche, seulement son pâle reflet, sa contrepartie matérielle. Celle que nous recherchons tous sans même le savoir, celle vers laquelle nous sommes aimantés — car elle n’est qu’Amour — brille du même éclat dans la pénombre qu’en plein jour et se distingue avec d’autres yeux, ceux du cœur.

    Inquiets pour ma santé, mes proches ont voulu m’en éloigner. Mais l’attraction exercée était trop forte. Comme un insecte attiré par la flamme, je n’ai pu renoncer à m’en rapprocher encore, quitte à me brûler.

    Alors j’ai fugué.

    Je suis parti de nuit sur les routes, à pieds, sans rien emporter qui permette de me retrouver. Sans argent, carte de crédit, papiers d’identité ni téléphone. Comme un an et demi plus tôt, j’ai suivi les signes envoyés par mes guides. Témoin de phénomènes étranges, comme ces vibrations ressenties dans ce champ où j’ai passé la nuit, emmitouflé dans mon poncho. Cette sensation d’une masse invisible dans le ciel, occultant les étoiles. La chute dans le sommeil alors que j’allais élucider ce mystère. Le réveil dans la rosée.

    Puis j’ai repris ma route, errant dans la campagne, nourri par les vacanciers croisés en chemin. Et j’ai commis une erreur.

    En voulant éviter le ravin en contrebas, j’ai enjambé la rambarde de sécurité de l’autoroute que je longeais. J’ai marché sur la bande d’arrêt d’urgence. Trop longtemps.

    Les gendarmes sont vite arrivés pour me ramasser. Une brève halte à la maison et une ambulance me ramenait vers l’hôpital, sans aucune certitude quant à mon hypothétique libération.

    J’ai esquivé le traitement imposé pendant quelques temps, mais j’ai été trahi et mon manège fut percé à jour. Pour s’assurer que je ne puisse me soustraire à la médication, j’ai été contraint à ces injections qui m’inoculent le froid, la mort et l’oubli. J’ai essayé de faire bonne figure, de me conformer aux règles imposées en échange de la promesse d’une libération prochaine.

    Mais le psychiatre s’est joué de moi. Il m’a menti.

    Pendant toutes ces semaines de torture je ne tenais qu’en me répétant que je devais endurer cela, puisqu’il avait promis de me relâcher si j’étais sage. Mais il a sans cesse repoussé l’échéance. Et le jour tant attendu, il a finalement reporté ma sortie à une date indéterminée en affichant son petit sourire sadique, espérant que je craque pour justifier son diagnostic.

    Je ne pouvais plus lui faire confiance. Il me faisait tourner en bourrique. Ma souffrance l’amusait. Je n’en pouvais plus. Je lui ai donné raison. Je l’ai insulté. Et il a obtenu satisfaction.

    Après une nouvelle injection qui devait me mettre au tapis pour une bonne semaine, je me suis retrouvé consigné dans ma chambre. Quelques jours plus tard, quand j’ai commencé à reprendre mes esprits, rien ne comptait d’autre que de m’échapper.

    Je ne devais rester que quelques jours à l’hôpital, au départ. C’est du moins ce que l’on m’avait dit. Or j’étais ici depuis plus d’un mois. Combien exactement ? J’avais perdu le compte… Cela devenait une certitude : ils n’avaient aucune intention de me relâcher. Du moins pas avant quelques mois supplémentaires.

    Je n’en pouvais plus. Si je restais aussi longtemps enfermé ainsi, j’allais perdre définitivement la raison. Je devais m’évader avant qu’il ne soit trop tard.

    Alors j’ai tenté le tout pour le tout. J’ai disposé des « pièges » dans ma chambre — entre autres du gel douche et de la mousse à raser sur le carrelage (on fait avec ce qu’on a) — puis j’ai foutu le bordel pour attirer les infirmiers. Profitant de la confusion, j’ai réussi à m’échapper dans le couloir, mais j’ai vite été rattrapé par les gorilles de la sécurité. Il était vraiment naïf de ma part de penser que je pourrais parvenir à franchir le sas d’entrée, mais j’étais désespéré…

    Ils m’ont alors injecté une triple dose, m’ont arraché mes fringues et m’ont abandonné dans cette sombre pièce cubique aux murs matelassés, à peine pourvue de lucarnes situées au niveau du plafond, tout juste équipée d’un trou à même le sol pour se soulager et d’un hublot à travers la porte blindée pour veiller à ce que le prisonnier ne tente pas de se suicider en avalant sa langue.

    J’ai résisté comme j’ai pu, mais le poison a eu raison de moi. Une nuit d’agonie durant laquelle j’ai perdu tous mes repères s’est ensuivie. Privé de mes forces, j’avais froid, terriblement froid. Je grelottais, fiévreux, sur le sol glacé, essayant désespérément de trouver la fuite dans le sommeil. Une fuite que me refusaient la brûlure du froid et la faim qui me tenaillaient.

    Puis j’ai sombré dans l’oubli, dans les limbes de la semi-conscience. Je ne savais plus où j’étais, si ce n’était dans un néant obscur et froid, où j’étais lentement digéré par mon propre estomac, sans que cela calme ma faim pour autant. J’ai appelé à l’aide, je crois. J’ai gémi je ne sais combien de fois, mais la salle était insonorisée. Cela ne servait à rien. J’hurlais dans le vide, relégué dans les oubliettes de cette forteresse surpeuplée qu’est l’hôpital.

    Pourtant le jour revient toujours, même après la plus sombre des nuits. Au matin le protocole en vigueur a stipulé aux infirmiers de se souvenir de mon existence. On a relevé mon corps tétanisé et entrepris de me nourrir, puisque j’étais désormais trop faible pour subvenir à mes propres besoins.

    Voilà comment j’en suis arrivé là, à me faire nourrir comme un nourrisson grelottant dans cette salle de torture.

    Vu mon état pitoyable, les infirmiers de service estiment que je suis suffisamment calmé, et décident de mettre fin à mon calvaire. Celui qui me nourrissait m’aide à me lever puis recouvre d’une blouse mon corps presque nu. Pas question de me trimbaler à poil dans les couloirs, même si n’importe qui pouvait venir m’observer comme un animal en cage à travers le hublot. Le contact rêche du tissu pourtant si fin me fait un bien fou, moi qui ai grelotté toute la nuit en rêvant du tee-shirt que l’on m’avait confisqué.

    On me ramène jusqu’à ma chambre. Je marche comme un zombie jusqu’à mon lit et m’y affale pour un nouveau coma de durée indéterminée.

    Les limbes, de nouveau. L’oubli, encore. Mais sans la souffrance, cette fois.

    Je ne sais plus exactement ce qui se passe par la suite. Ou plutôt dans quel ordre. Mon esprit s’embrouille, je perds la perception du temps. Les périodes de réveil alternent avec les périodes de coma, les éclairs de lucidité avec des éternités d’oubli.

    Il y a eu ce jeune Anglais qui est arrivé.

    À ma grande surprise et à l’étonnement des infirmiers comme des patients, j’arrivais à communiquer avec lui. Je parlais anglais couramment, ce qui n’avait jamais vraiment été le cas auparavant. La phase d’euphorie dans laquelle je me trouvais balayait tous mes doutes et mes inhibitions, et je n’avais aucun mal à enchaîner les mots qui jaillissaient de mon subconscient en ordre cohérent dans la langue de Shakespeare. Les autres nous regardaient plaisanter et rire comme si nous parlions la même langue maternelle.

    Un instant. Non, cela c’était avant, alors que j’étais encore à l’aise avec mes capacités, capable d’utiliser mon cerveau au-delà de son potentiel habituel. Ce ne pouvait être qu’avant l’isolement et les injections répétées…

    Il y a aussi eu ce jeune banlieusard, à qui l’on avait attribué le même psychiatre que moi. Lui non plus ne l’aimait pas. À lui aussi il avait menti. Je me souviens l’avoir vu sortir de son bureau en le menaçant après un entretien agité : « On sait où tu habites ». Cela avait contribué à écailler la confiance que j’aurais pu avoir dans le menteur à injections, spécialiste de la torture psychologique.

    Donc ce devait aussi être avant l’isolement.

    Il y a eu Tom qui semblait devenir fou furieux lorsque je lui faisais écouter un certain morceau d’Ez3kiel², un groupe électro/dub indéfinissable. Il paraissait entrer dans un état de rage. Il fulminait, il bavait presque, et je devais alors arrêter la musique, n’ayant aucune envie de découvrir la phase suivante de son dédoublement de personnalité. Jouait-il la comédie ? Probablement.

    Était-ce avant ou après l’isolement ? Juste avant sans doute.

    Il y a eu cette phase où j’ai cru que j’étais probablement victime d’un sort ou d’une malédiction, peut-être possédé par un esprit malfaisant qu’il faudrait exorciser. J’ai voulu voir si j’étais tenté par la magie noire, si j’y succomberais. J’ai léché une goutte de mon sang et j’envisageais même de goûter ma propre urine… quand j’ai éclaté de rire.

    C’était ridicule. Non seulement de telles pratiques ne m’attiraient pas, mais elles me révulsaient. Je n’étais pas possédé, bien au contraire, j’étais libéré de toute possession. Et on essayait de m’emprisonner de nouveau, de m’incarcérer dans cette prison mentale que la majorité trouve si confortable.

    Cela, c’était quand j’étais consigné dans ma chambre… donc juste avant l’isolement. N’ai-je donc aucun souvenir de ce qui s’ensuit ?

    Il y a les dessins personnalisés que j’ai distribués aux autres patients.

    À Marcelle, une patiente d’une soixantaine d’années, brûlée sur une large partie du corps. Je l’ai représentée en chanteuse d’un groupe et intitulé l’œuvre Marcelle et son orchestre³.

    À Nico, ce jeune handicapé mental qui comprenait tout même si les gens le croyaient stupide en raison de son incapacité à articuler, qui adorait conduire le tracteur quand il allait chez lui à la campagne. J’avais dessiné une image de lui en train de piloter un avion. Il me rappelait d’ailleurs étrangement Gaétan, le frère de mon ami Jérôme, qui pratiquait le vol à voile. J’avais l’étrange impression d’avoir affaire à la même personne, à un autre stade d’incarnation.

    À Philippe, le quadragénaire qui m’a dénoncé sous la pression du chantage lorsque je ne prenais plus mes médicaments, et qui était finalement parvenu à se faire refaire la dentition rongée par les acides. J’avais donc croqué un portrait de crooner avec des lunettes noires et des dents étincelantes. Preuve que je ne lui en voulais pas d’avoir parlé pour ne pas perdre ses avantages de résident permanent…

    À un infirmier au physique de yogi avec qui j’avais fini par sympathiser. Il me laissait discuter avec lui en fumant une cigarette lorsque je n’arrivais pas à dormir plutôt que d’appeler des renforts pour me faire gober un somnifère supplémentaire, alors j’avais brossé son portrait en fakir lévitant sur un tapis persan…

    Non.... Tout cela, c’était quand j’étais encore capable de tenir un crayon. Donc c’était nécessairement avant l’isolement. À présent mes doigts tremblent tellement sous l’effet des injections que je suis devenu incapable de tracer un simple trait, voire même de garder le crayon dans la main.

    Que s’est-il donc passé depuis qu’ils m’ont laissé sortir du cube ? Dans la brume apparaissent des évènements, sans que je sache dans quel ordre les enchaîner.

    Je me souviens avoir voulu m’échapper. Encore.

    Je me souviens avoir élaboré toutes sortes de stratégies, jusqu’à envisager de me cacher dans le chariot du linge sale pour que les agents de service me traînent à leur insu dans la buanderie. Je me souviens avoir renoncé à cette idée irréalisable, et essayé de racler petit à petit le bord de la vitre blindée de ma chambre, sans plus de succès.

    Je me souviens avoir recroisé l’une des jeunes filles avec qui nous avions fait semblant de nous battre le jour de mon arrivée. Je me souviens de notre discussion assis sur l’herbe, lorsqu’elle m’a demandé si ma vue revenait, en me répétant qu’elle avait très bien vu que je n’y voyais rien, même si les infirmiers aveugles persistaient à vouloir confisquer mes lunettes de soleil.

    Je me souviens bien de ce jour-là, car il était rare que l’on nous laisse sortir.

    Je me souviens avoir trouvé un nid de plumes blanches sur le chemin du retour, étalées dans l’herbe. Je me souviens m’être dit que c’était un signe, que je devais prendre la plume. Je me souviens avoir écrit ce soir-là, et les suivants. Des paroles de chansons sans queue ni tête, dans lesquelles j’entreprenais de tout raconter. Ce n’était pas encore le bon moment…

    Je me souviens avoir bousculé les habitudes du réfectoire, en refusant de m’asseoir toujours à la même place. Les patients s’attribuaient en effet des places attitrées en fonction de leurs affinités, et lorsqu’ils m’ont vu changer chaque jour d’emplacement pour être à la table ronde de chacun, j’ai provoqué une levée de boucliers. Je chamboulais les habitudes si rassurantes, les droits arbitrairement acquis, je forçais les gens à devoir tolérer le voisinage d’autres patients qu’ils ne pouvaient pas toujours encadrer.

    Ils avaient bien fini par s’y faire.

    Personne n’avait à me dire où je devais m’asseoir, et encore moins avec qui je devais sympathiser. Le droit de choisir qui je fréquente est sacré à mes yeux. L’exclusivité ne peut m’être imposée. J’avais même cessé de voir mon meilleur ami Jérôme à cause de ce principe :

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