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Dia Linn - IV - Le Livre de Neve (Une Bealach)
Dia Linn - IV - Le Livre de Neve (Une Bealach)
Dia Linn - IV - Le Livre de Neve (Une Bealach)
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Dia Linn - IV - Le Livre de Neve (Une Bealach)

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About this ebook

Une Bealach : c’est le cri de guerre de la Fighting 69, le plus célèbre des régiments de la brigade irlandaise engagée dans la guerre de Sécession, dans le camp de l’Union.
Une Bealach : « ouvrir la voie », en gaélique. Ouvrir la voie face à ses frères, devenus ennemis pour avoir choisi le camp des rebelles ; ouvrir la voie pour gagner sa place dans ce pays encore neuf mais déchiré par la guerre civile.
Neve et Neal, les jumeaux d’Eileen, devront également trouver leur voie, écrire leur livre pour mettre leurs pas dans ceux de Wyatt et de son étrange testament.
Leur oncle Wyatt a tout abandonné pour retrouver ses enfants, partis avec Ugo et Jolene dans les plaines. Horrifié par le meurtre qu’il a laissé son frère de sang commettre, il choisit l’exil et la vie avec les Indiens.
La jeune Neve est aux commandes de la plantation, son frère Neal ne rêve que de combats malgré son jeune âge, Aïdan tente de faire sa place dans ce pays à feu et à sang... et Liam expie ses fautes de la plus terrible des manières...

Le tome IV de Dia Linn, Une Bealach, est la fin d’un monde. Les O’Callaghan et leurs proches – ceux qui survivront aux batailles, aux flambées de haine du Ku Klux Klan, aux premiers soubresauts de révolte de la vieille Irlande après la Famine, aux guerres indiennes... – ceux-là ne pourront, peut-être, pas échapper à une autre sorte de violence. Celle, plus intime, qui croît dans le cœur des hommes lorsqu’on leur a enlevé leur âme.

LanguageFrançais
Release dateDec 19, 2014
ISBN9782370112514
Dia Linn - IV - Le Livre de Neve (Une Bealach)
Author

Marie-Pierre Bardou

Née en Afrique équatoriale dans une famille d’oiseaux migrateurs, Marie-Pierre Bardou a gardé de ses voyages précoces le goût des départs, même en imagination. Elle teste un peu tous les genres – poésie, nouvelle… - mais c’est avec le roman qu’elle peut, réellement, se laisser « embarquer ». Grande admiratrice du génie fiévreux d’un Dostoïevski ou de l’implacable plume d’un Ross Mc Donald ou d’un Liam O’ Flaherty, elle adore les romans historiques et les thrillers. C’est le plus souvent dans les drames familiaux qu’elle puise sa propre inspiration. Elle a une prédilection pour les grasses matinées et les séries TV, et de temps en temps se laisse séduire par quelques chutes libres – mais toujours avec un parachute. Sinon, son bureau ou son canapé seront les endroits où vous la trouverez la plupart du temps. L’avantage étant qu’ils sont dans la même pièce, pour une très agréable économie de mouvement.

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    Dia Linn - IV - Le Livre de Neve (Une Bealach) - Marie-Pierre Bardou

    cover.jpg

    DIA LINN

    4 : LE LIVRE DE NEVE

    Une Bealach

    Marie-Pierre BARDOU

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2014 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2014. Collection Littérature. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-251-4

    Résumé des tomes précédents

    Tome 1 :

    Irlande, 1848.

    La Grande Famine pousse Eileen et Wyatt O’Callaghan à fuir leur pays après la mort de leur famille. Ils laissent derrière eux leur frère aîné Aïdan, exilé en Australie pour s’être révolté contre la domination anglaise, et Liam O’Brien, leur frère de lait, qui a rejoint pour les mêmes raisons le parti des Jeunes Irlandais. Eileen est enceinte de Liam, et elle a également hérité des dons des femmes de sa famille : prémonitions, capacités à lire dans le cœur des hommes…

    Tome 2 :

    1848-1857

    En Louisiane, Désirée de Rocheclaire prend les jeunes Irlandais sous son aile. Héritière d’une puissante famille créole et incapable d’avoir des enfants, elle adopte les jumeaux d’Eileen, Neal et Neve, qui seront ses héritiers. Tandis que Wyatt, pilote de steamer, écume le Mississippi, Eileen devient la maîtresse et la complice d’un joueur de poker professionnel. Elle retrouve Liam, parti en quête des Irlandais exilés pour créer la fraternité Feniane. Lors d’une partie de poker, Eileen gagne la propriété d’une mine d’or : Liam la tue pour la lui voler.

    Tome 3 :

    1857-1862

    Wyatt doit retrouver le meurtrier de sa sœur, pour honorer la díoltas celte et reprendre la mine d’or à Liam.

    Avec sa femme, Kinta, il rejoint une caravane de pionniers en route vers le Colorado. Il sauve ainsi la jeune Rachel, seule rescapée d’un convoi, qui devient sa maîtresse. Tandis que Kinta donne naissance à ses jumeaux, Aindreas et Siobhán, Wyatt retrouve Liam, sa femme et leur fille Aisling, entourés d’hommes de main. Liam provoque une attaque des Cheyennes pour se débarrasser de son frère si encombrant et Kinta y laisse la vie. Wyatt confie ses enfants à ses amis, Ugo et Jolene, qui ont décidé de suivre les Indiens dans les plaines du Nord. Il revendique également la mine au nom de Neal et de Neve.

    Il est temps d’achever sa mission… Mais lors de leur affrontement final, c’est Aïdan, revenu de son exil, qui commet l’irréparable : il tue Aisling, la petite fille de Liam.

    Wyatt s’enfonce à son tour dans le Nord sauvage, à la recherche de ses enfants, laissant derrière lui son livre et son testament. À charge pour les descendants des O’Callaghan de veiller à ce que Liam n’ait jamais de descendance, et ne puisse jamais récupérer la mine de Dearfield. Tandis qu’il disparaît, la guerre civile éclate. Neve et Neal doivent reprendre le flambeau en pleine guerre de Sécession, et écrire leur propre livre.

    Préface

    « Come all you gallant heroes,

    And along with me combined

    I'll sing a song, it won't take long,

    Of the Fighting Sixty Ninth

    They're a band of men brave, stout and bold,

    From Ireland they came

    And they have a leader to the fold,

    And Cocoran was his name.

    Venez tous, vaillants héros

    Et vous joignant à moi

    Je vais chanter une chanson

    Qui ne durera pas longtemps,

    À propos du 69e régiment de combat.

    Ils sont un groupe d’hommes braves, vaillants et téméraires,

    Venus d’Irlande,

    Et ils ont un chef du nom de Corcoran.

    It was in the month of April,

    When the boys they sailed away

    And they made a sight so glorious,

    As they marched along Broadway

    They marched right down Broadway, me boys,

    Until they reached the shore

    And from there they went to Washington,

    And straight unto the war.

    On était au mois d’avril

    Quand les gars s’embarquèrent,

    Et ils défilèrent auréolés de gloire

    En descendant Broadway, mes amis,

    Jusqu’à ce qu’ils atteignent la rive

    Et de là ils se rendirent à Washington,

    Puis partirent directement à la guerre.

    So we gave them a hearty cheer, me boys,

    It was greeted with a smile

    Singing here's to the boys who feared no noise,

    We're the Fighting Sixty Ninth.

    Alors nous les acclamâmes, mes amis.

    Cela fut accueilli avec le sourire.

    Chantant à la santé des gars qui ne craignaient pas le bruit,

    Nous sommes le 69e bataillon.

    And when the war is said and done,

    May heaven spare our lives

    For its only then we can return,

    To our loved ones and our wives

    We'll take them in our arms, me boys,

    For a long night and a day

    And we'll hope that war will come no more,

    To sweet America.

    Une fois la guerre achevée,

    Que les cieux épargnent nos vies

    Car ce ne sera qu’à ce moment-là que nous pourrons retourner

    Auprès de ceux que nous chérissons et auprès de nos femmes

    Que nous prendrons dans nos bras, mes amis,

    Pendant une longue nuit et un jour.

    Et nous vivrons dans l’espoir

    Que la guerre n’arrivera plus

    Dans notre douce Amérique.

    So farewell unto you dear New York,

    Will I e'er see you once more

    For it fills my heart with sorrow,

    To leave your sylvan shore

    But the country now it is calling us,

    And we must hasten fore

    So here's to the stars and stripes, me boys,

    And to Ireland's lovely shore.

    Alors adieu à toi, cher New York,

    Te reverrai-je jamais

    Car cela remplit mon cœur de chagrin,

    De quitter ta côte boisée

    Mais le pays maintenant nous appelle,

    Et nous devons nous hâter de partir

    Alors à la santé de la bannière étoilée, mes amis,

    Et à la santé de la jolie côte irlandaise.

    And here's to Murphy and Devine,

    Of honour and renown

    Who did escort our heroes,

    Unto the battle ground

    And said unto our Colonel,

    We must fight hand to hand

    Until we plant the stars and stripes,

    Way down in Dixieland.

    Et à la santé de Murphy et Devine,

    Hommes d’honneur et de renom

    Qui escortèrent effectivement nos héros,

    Jusqu’au champ de bataille

    Et dirent à notre Colonel,

    Nous devons nous battre main à main

    Jusqu’à ce que nous plantions la bannière étoilée

    Tout en bas de Dixieland. »I

    Personnages

    img1.jpg

    Prologue

    — Je ne suis pas sûre que tu aies bien compris les enjeux, Cyan.

    — J’ai parfaitement compris, merci. Tu me les as suffisamment détaillés.

    Dans son appartement londonien, le soleil jouait à cache-cache entre les rideaux qu’une brise légère gonflait doucement, faisant valser avec grâce leurs ombres sur le parquet ciré. Cyan venait de terminer sa conférence en téléport avec toute son équipe : trois heures durant lesquelles ils avaient disséqué, analysé et critiqué chacun de ses coups pendant le dernier tournoi.

    Le téléport leur permettait de simuler une réunion physique, tout en étant chacun à l’autre bout du monde : les corps étaient recréés visuellement en 3D autour d’une table virtuelle, chaque participant portant un équipement – casque et lunettes – pour s’approcher autant que possible de la fameuse téléportation, une technologie qui n’était pas encore vraiment au point.

    Elle était épuisée. Elle rêvait de se glisser dans un bain chaud, et peut-être même de se commander un amant ; mais Carol, son coach principal, avait insisté pour discuter en privé avec elle après la conférence.

    Comme leur championne comptait partir plusieurs semaines en voyage et se déconnecter complètement, Carol devait donc saisir cette dernière occasion de lui faire entendre raison.

    Les deux femmes avaient maintenant ôté leur équipement et étaient passées en visio classique.

    Cyan s’étira sur son divan, dénouant un à un chacun de ses muscles. Elle sursauta quand une griffe vicieuse s’enfonça dans son épaule : Ness se dressait derrière elle, hissée sur ses pattes arrière. L’hermine la dévisageait tranquillement de l’accoudoir où elle était perchée, ses petits yeux noirs plantés dans les yeux verts de sa maîtresse, la mettant au défi de la déloger. Elle lui tira la langue. Ness remua une oreille.

    Cyan se redressa en se massant la nuque. Les derniers jours avaient été éprouvants. Après le tournoi, pendant une partie de poker, elle avait eu un flash l’avertissant de la fuite de Connor. La jeune femme avait ensuite passé les jours suivants à alerter l’Autorité, à lancer les agents dans les rues de Dublin pour retrouver son jumeau. Ils l’avaient enfin repéré, deux jours plus tôt, et ne quittaient plus son frère d’une semelle : leur surveillance discrète lui était rapportée en détail chaque jour. Cyan était à moitié rassurée, mais elle s’était laissé convaincre de ne pas chercher à entrer elle-même en contact avec Connor : l’Autorité était curieuse de comprendre ce qui avait motivé la fuite de son extra-lucide de frère, de connaître son but. Elle avait accepté de mauvaise grâce de les laisser faire, à condition d’être tenue au courant en temps réel. Pour le moment, Connor était dans un petit hôtel du vieux centre-ville, et il écumait les bars et les tripots sans que l’on sache ce qu’il y cherchait. Cinq agents se relayaient, scotchés à ses basques nuit et jour.

    Elle ne pourrait pas se permettre de partir en voyage tant que Connor ne serait pas en sécurité au Centre ou avec elle.

    Cyan soupira.

    La table de réunion avait disparu, avec ses équipiers : Nathan, le spécialiste du bluff, Lydia, la statisticienne, Camille, le physionomiste et Pearl, son agent.

    Sur le mur blanc, en face d’elle, il y avait maintenant le visage de Carol, son hologramme projeté jusqu’à la taille. C’était elle qui coordonnait l’équipe et la seule, également, à oser lui tenir tête.

    — Je dois m’inscrire avant minuit, sinon ce sera trop tard. Carol, je sais ce que tu en penses, je sais ce que vous en pensez tous, mais c’est inutile de me le rabâcher. Je vais m’inscrire.

    — Le tournoi des Challengers n’est pas destiné aux pros, et il n’obéit pas aux mêmes règles ! Quand ils vont savoir que tu en fais partie, ça sera la curée !

    — Ce ne sera pas la première fois qu’un pro se lance dans cette arène.

    — Et tu en connais le résultat.

    En effet, depuis que le poker était devenu cette institution mondiale, ce « sport » qui déchaînait les passions et brassait des fortunes inimaginables, le tournoi des Challengers était un véritable ovni dans ce monde policé et balisé à l’extrême.

    Les tournois internationaux – quinze au total – rythmaient la vie médiatique et professionnelle des champions, qui bénéficiaient de cette aura de star que l’on pouvait comparer à celle des footballeurs du XXe et XXIe siècle, ou aux acteurs du septième art. Une vingtaine de joueurs de poker étaient de véritables monstres médiatiques, coursés sans cesse par une centaine de brillants challengers. Régulièrement, une étoile tombait, une autre prenait sa place. Les gloires n’étaient jamais éternelles, sauf dans la mémoire des « vrais » joueurs, des passionnés.

    Cyan, « Cyanure », avait pour le moment sa place tout en haut du panier. Pour le moment. La fin de sa carrière arriverait vite, elle le savait, elle avait dominé son art pendant trop longtemps et le poker était également un jeu de hasard. Oui, il arriverait vite, ce jour où un adversaire plus chanceux, plus concentré ou plus agressif la détrônerait.

    Ça ne lui posait aucun problème, il y avait longtemps qu’elle avait accepté la règle de base du poker : « You have to expect bad beats to happen », toujours s’attendre au pire. Non, le problème était que sa fin, cette fin programmée, était désespérément prévisible : il ne faisait aucun doute, pour elle comme pour tous ceux, pros ou non, qui suivaient ses exploits, que ce serait Tom Wadden qui, un jour, trouverait la faille et la battrait.

    Il la talonnait depuis trop longtemps, était trop acharné pour que cela n’arrive pas. Trop doué, aussi. Il ne lui manquait qu’une seule chose pour la vaincre : le sang-froid. Et, à force de travail, il parviendrait à maîtriser cette arme absolue, lui aussi.

    Cette fin programmée, Cyan n’en voulait pas. Elle avait eu une belle carrière, longue, sulfureuse, flamboyante. Elle avait toujours réussi à surprendre, à être là où on ne l’attendait pas, et c’était ce qui l’avait rendue célèbre. Non, elle ne voulait pas d’une mort prévisible.

    Aussi avait-elle décidé de s’inscrire au seul tournoi auquel aucun des pros ne participait jamais, les Challengers.

    À l’origine, ce tournoi devait servir de tremplin aux jeunes joueurs, ceux qui ne bénéficiaient pas encore d’un staff, d’une équipe de conseillers, ceux qui n’avaient que leur ambition et leur talent à opposer à leurs adversaires. Il était pourtant ouvert à tous, mais si aucun pro n’y mettait les pieds c’était tout simplement parce qu’il s’agissait d’un tournoi… à mort.

    À mort réelle. Le gagnant mettait tout simplement une balle dans la tête de son challenger, en direct, devant des millions de téléspectateurs.

    Et c’était une fin tout à fait digne d’elle.

    JUS AD BELLUM II : 1861-1862

    NEVE

    Chapitre 1

    6 juin 1861

    Assise à l’ombre du pacanier, Neve tournait les pages entre ses mains fines, comme si elle cherchait un passage qui lui aurait échappé. Mais les feuillets étaient peu nombreux, elle avait déjà tout lu, il n’y avait rien d’autre. Rien qui pût la réconforter, calmer l’angoisse sourde et lancinante qui l’oppressait depuis que son oncle lui avait envoyé son carnet.

    Une griffe se planta dans la feuille qu’elle avait sous les yeux, lui arrachant un cri de surprise. Derrière le feuillet, deux petites oreilles noires s’agitaient. Elle agrippa la patte du monstre, qui n’apprécia guère, pour retirer la griffe sans déchirer la lettre. La bête feula, cracha, mais se contenta de lui lancer un regard mauvais tandis que Neve rapprochait son visage du museau frémissant :

    — Laisse ces feuilles, sale bête ! Lâche !

    Le monstre dégagea sa patte et sauta au sol d’un bond souple, arquant le dos. Neve ne put s’empêcher de rire en voyant le chat minuscule, noir comme le charbon, qui s’éloignait le poil hérissé, les pattes dressées, sautillant dans une parodie de danse guerrière.

    Celui que son frère surnommait « la charogne », et auquel elle n’avait toujours pas trouvé de nom adéquat, disparut dans un bosquet de fleurs.

    Le sourire de Neve s’effaça lorsqu’elle reposa les yeux sur les feuilles qu’elle tenait à la main.

    Pourquoi à elle ? Wyatt estimait-il que Neal ne serait pas assez attentif, qu’il fallait que ce soit la douce et sérieuse Neve qui prenne possession de cet étrange testament ? Le « livre » leur était destiné à tous les deux…

    Elle releva la tête. Autour d’elle, la plantation écrasée de chaleur semblait pétrifiée. Pas un bruit, pas même le bruissement d’une feuille dans les arbres. Le Mississippi paraissait aussi immobile que la terre rouge et ocre, que les champs de canne à sucre et de coton déserts. C’étaient les heures les plus chaudes de la journée, celles que l’on ne pouvait supporter qu’en sommeillant dans la fraîcheur relative des chambres aux volets clos.

    Neve ne pouvait pas s’adonner à la sieste rituelle. Le courrier de Wyatt était arrivé la veille. Neal était introuvable depuis trois jours, ce qui agaçait Désirée, mais ne l’inquiétait pas outre mesure : c’était devenu une habitude. Son frère disparaissait ainsi très régulièrement, parfois pendant une semaine entière. Il réapparaissait un matin comme un génie sorti de sa boîte, un sourire éclatant aux lèvres et sans plus chercher d’excuses. Neve savait qu’il s’acoquinait avec des fils de planteurs à La Nouvelle-Orléans, qu’ils aimaient les showboats, les tripots du Vieux Quartier, qu’ils se réunissaient également pour s’entraîner à la guerre dont leur jeune âge les écartait. Parce qu’il avait grandi comme un champignon, parce qu’il était ardent et plein de fougue, Neal ne se consolait pas de n’avoir que 13 ans. Ses amis, plus vieux de quelques années, espéraient pouvoir rejoindre les milices confédérées avant la fin du conflit, si celui-ci ne se terminait pas très vite – mais tout le monde, en Louisiane, prédisait une guerre très rapide. Les Gris n’avaient-ils pas remporté une victoire éclatante à Fort Sumter, sans même faire couler une seule goutte de sang ? Depuis le succès confédéré, les deux camps mettaient leurs forces en ordre de bataille. D’autres États avaient rejoint la Confédération : l’Arkansas et la Caroline du Nord. Le Tennessee et la Virginie avaient proposé un référendum pour savoir s’ils allaient, eux aussi, adhérer à la nouvelle Constitution ; on attendait les résultats d’un jour à l’autre. À Columbia, en Caroline du Sud, une cloche sonnait à chaque nouvel État qui entrait dans les forces des confédérés : le pionnier de la sécession saluait ses alliés d’un joyeux tintamarre de métal… Mais, pour le moment, on attendait.

    Neal passait donc son temps à mimer une guerre qu’il ne ferait pas, à se battre et à jouer au poker pendant que sa sœur s’occupait du domaine.

    Désirée la laissait maintenant diriger le domaine à sa guise, n’intervenant qu’en cas de besoin. Personne ne s’étonnait qu’une fille aussi jeune soit à la tête d’une plantation comme l’Éléonore ; après tout, c’était la coutume. Certes, à cet âge les demoiselles étaient d’ordinaire en pension à La Nouvelle-Orléans ou en Europe pour parfaire leur éducation, mais c’était la guerre. Les cancans étaient dirigés contre Neal, sans excès. On accordait aux garçons, chez les Créoles, bien plus de liberté – et bien moins d’importance.

    Neve soupira en repliant les feuillets couverts de l’écriture ample et nerveuse de son oncle. Elle referma soigneusement l’enveloppe, le cœur lourd. Wyatt espérait-il vraiment qu’elle allait mettre un enquêteur sur les traces de son propre père, qu’elle irait payer un tueur à gages pour éliminer un nouveau-né, si leur naissait un demi-frère ou une demi-sœur ? Elle avait le vertige rien qu’à envisager que son oncle ait pu leur laisser un héritage aussi morbide, aussi violent. La petite Aisling…

    L’homme de son rêve, celui qui ressemblait tant à Neal, était son oncle Aïdan en fin de compte. Comment s’était-il échappé de son exil australien, cela restait un mystère, et Neve n’était pas pressée de l’apprendre. Elle haïssait, sans le connaître, cet oncle monstrueux qui n’avait pas hésité à trancher la gorge d’une petite fille pour faire souffrir Liam. Certes, leur père était aussi un meurtrier, il devait payer pour la mort de leur mère… Mais Aisling ? Songeuse, Neve pensait que ses veines charriaient des ondes maléfiques, pleines de vengeances, de sang et de violence. Elle n’en voulait pas. Elle, elle serait différente.

    Sous la chaleur écrasante de ce début d’après-midi, Neve de Rocheclaire se sentait soudain étrangère à ce monde dont elle était la reine depuis sa naissance. Dans l’une de ces chambres, celle à l’extrémité est de la véranda, son frère et elle avaient vu le jour. Dans ces allées de gravier, à l’ombre des grands chênes bleus, elle avait fait ses premiers pas. Elle avait attendu son oncle Wyatt lors de ses escales, quand il était pilote, sur le petit débarcadère qu’elle voyait de son banc. Les écuries, le quartier des esclaves, la raffinerie, l’infirmerie, les champs, les forêts, les bayous, le fleuve, le carillon en bois que Tom lui avait fabriqué et qui se balançait mollement dans l’air sucré, les galops et les heures passées enfermée dans le bureau à faire les comptes, donner ses ordres à Carston… son univers, son royaume, tout cela lui paraissait soudain sorti d’un songe. À quelques kilomètres de là, des hommes se préparaient à mourir pour défendre des royaumes tels que le sien. Pour conserver le droit de considérer d’autres hommes comme des objets, de les vendre ou de les tuer, de nier leur âme pour la bonne marche de l’économie de plantation. Neve savait – depuis toujours, lui semblait-il – que c’était un péché. Que les justifications des sudistes n’étaient que le refus de renoncer à leurs privilèges.

    Elle n’avait jamais fait frapper un esclave. Lorsque l’un des Noirs s’échappait, ou volait, ou encore se rebellait contre Carston, elle refusait l’emploi du fouet et se contentait de vendre le fautif. Était-ce mieux ? Asservir abîmait son âme, elle le savait. Depuis qu’elle dirigeait l’Éléonore, Neve avait mis un terme à la pratique d’élevage de Désirée, qui consistait à « fabriquer » des nègres en sélectionnant les meilleurs reproducteurs. Désirée n’avait pas protesté, déclarant simplement que c’était à elle de prendre les décisions, désormais. La plantation y perdait financièrement, mais elle ne regrettait pas son choix.

    Neve ferma les yeux. Elle sentait quelque chose s’agiter au fond d’elle, des images se télescoper derrière ses paupières. Elle les chassa. Elle ne voulait pas des visions, des songes dont elle avait hérité de sa mère, qui la perturbaient et l’emplissaient de malaise : depuis le rêve qu’elle avait eu de ses oncles, elle avait décidé de ne plus écouter ce que ce monde obscur et effrayant essayait de lui dire. Quels que soient les messages que lui apportait la nuit, elle les ignorait. Peu à peu, leurs voix s’atténuaient, les ombres ne venaient plus lui chuchoter leurs mots énigmatiques.

    Elle ouvrit les yeux.

    L’humidité poisseuse, la chaleur étouffante, l’odeur de limon et de boue venue du Mississippi, c’était son monde. Elle savait que le fleuve grignotait les terres, lentement, gagnant année après année quelques pouces de terrain, s’approchant de la maison. Il avait déjà englouti plusieurs grands chênes de l’allée, lors de la dernière crue. Le débarcadère, emporté presque à tous les printemps, lors des fureurs annuelles du Mississippi, était reconstruit chaque fois un peu plus près des terres. Ces champs si fertiles, ceux qui créaient la richesse de la plantation, étaient eux aussi peu à peu engloutis par les eaux lourdes et grasses qui faisaient à la fois leur fortune et leur perte. Un jour viendrait où tout disparaîtrait… Dans plusieurs siècles, sans doute, mais cela adviendrait. Était-ce pour cela que des hommes allaient mourir ? Pour repousser l’inéluctable ? Pour défendre leur droit à asservir ?

    Lorsque Désirée se réveilla de sa sieste, une heure plus tard, elle sursauta en apercevant une silhouette qui se découpait à contre-jour sur la porte-fenêtre. Elle se redressa, émergeant brutalement du sommeil.

    — Neve ! Que faites-vous donc là, ma fille ?

    — J’ai pris une décision, mère. Je vais émanciper tous nos esclaves.

    Chapitre 2

    13 juin 1861

    — Moi, j’écrirai mon livre.

    Droit comme un i sur sa chaise, Neal défiait sa sœur du regard. Neve était assise face à lui, les mains sagement posées sur la belle table d’acajou lustrée, sur laquelle les rayons du soleil matinal venaient ricocher dans des tons fauves et chatoyants.

    La nursery était leur pièce préférée, depuis leur enfance. Ils s’y entraînaient au piano, y jouaient – des jeux d’enfants, puis les échecs et les jeux de cartes –, s’y confiaient, dans leur babillage de nourrissons inaccessible aux adultes puis en gaélique, incompréhensible pour Désirée et les vieilles tantes Leclerc. Les murs étaient tapissés de ces lourds volumes reliés de cuir que les jumeaux avaient tous dévorés au fil des années. La pièce n’avait rien de spécial ; ils s’y sentaient bien, tout simplement. Ils étaient chez eux.

    Neve observait leurs deux silhouettes dans le reflet que lui renvoyait le grand miroir biseauté ornant le mur adjacent : sa propre apparence, si menue, ses anglaises brunes bien sages, qui encadraient un visage un peu pointu dévoré par d’immenses yeux sombres, aux cils interminables. Neve ne se trouvait pas bien jolie. Elle avait des lèvres un peu trop minces, un front un peu trop haut, elle semblait figée dans un corps mi-femme, mi-enfant… Mais, aux dires de ses proches, tout cela n’avait aucune importance : deux adorables fossettes au creux des joues, et ces yeux qui dévoraient votre âme, faisaient oublier tout le reste.

    Face à elle, la dépassant d’une bonne tête, le reflet de Neal était bien différent. Les boucles blondes et rebelles, le menton volontaire et têtu et les yeux d’un bleu saisissant composaient un tableau beaucoup plus affirmé. Mais pas encore celui d’un homme. Sa voix était presque stabilisée, mais il dérapait encore sur les aigus lorsqu’il s’énervait ou laissait éclater sa joie, lorsqu’il était gêné aussi. Le torse s’élargissait, mais était encore creux et maigre, la musculature à peine ébauchée.

    Elle soupira tandis que Neal se carrait encore davantage sur son siège.

    — Et pour les… recommandations d’oncle Wyatt ? Que comptes-tu faire ?

    — Les suivre, bien sûr ! répondit-il avec conviction.

    — Il nous demande explicitement d’assassiner nos demi-frères, ou nos demi-sœurs ! N’es-tu pas horrifié par le meurtre d’Aisling ? Elle n’avait pas 4 ans !

    Neal haussa les épaules. Il était fatigué. Il était rentré à l’aube, comme presque tous les jours. Il flottait encore autour de lui un parfum de scandale, de whisky, de jeux clandestins et de spectacles licencieux. Sous la forfanterie, pourtant, les yeux d’un bleu minéral étaient encore ceux d’un enfant. Il était beau, jeune et riche ; on pouvait même rajouter un « très » devant chacun de ces adjectifs : un cocktail affolant pour toute la gent féminine, de la prostituée du bordel de Chez Ami aux amies de sa mère, chacune rêvant de déniaiser cet homme-enfant si délectable. Mais Neal était encore trop jeune pour faire davantage que désirer.

    — Grâce à oncle Aïdan, nous avons hérité de la mine. Et maman est vengée…

    — Ce n’est plus une vengeance, c’est un meurtre pur et simple ! Ne sens-tu pas à quel point tout cela est horrible ?

    — Je suis un O’Callaghan, quoi qu’en disent mes papiers d’identité. Je voudrais juste avoir des nouvelles d’oncle Wyatt… J’aimerais être auprès de lui, ce serait fabuleux de vivre dans les grandes plaines ! Et rencontrer oncle Aïdan, aussi… il doit avoir des choses extraordinaires à nous raconter !

    Il s’agitait, sa voix dérapant à nouveau et trahissant son âge.

    Neve soupira, renonçant à faire entendre raison à son frère. Neal semblait prêt à suivre les horribles traces de Wyatt, à pardonner à leur oncle Aïdan. Il était intelligent, pourtant : comment ne pouvait-il pas percevoir toute l’amoralité, toute l’horreur de cet héritage ?

    — Maîtresse…

    Une tête crépue dans l’entrebâillement de la porte. Un petit visage à la peau sombre, aux yeux toujours baissés vers le sol. Petty n’osait pas entrer complètement dans la pièce. Depuis sa naissance, elle semblait toujours sur le point de s’enfuir au moindre geste brusque, à la première parole un peu vive. Elle agaçait beaucoup Désirée et les vieilles tantes.

    — Entre, Petty. Qu’y a-t-il ?

    La petite Noire ouvrit enfin la porte et se planta devant les jeunes gens, triturant son tablier, se dandinant d’un pied sur l’autre.

    — Y’a un monsieur qui vient d’arriver. Il demande à vous parler. À vous et à m’sieur Neal.

    — Il t’a dit son nom, je suppose ?

    — Il a dit qu’il était vot’oncle, Maîtresse.

    — Oncle Wyatt ?

    Se précipitant dans le couloir, Neve n’eut pas le temps d’entendre la réponse bredouillée de Petty :

    — Nan, Maîtresse. Pas vot’oncle Wyatt.

    Elle courait déjà vers le grand salon. Les talons de ses bottines claquaient fiévreusement sur le bois patiné du plancher, dans un envol joyeux de jupons et de crinolines. Elle déboula dans la grande pièce claire et élégante, se figea instantanément. Ce n’était pas l’homme qu’elle espérait y voir.

    Assis, très raide, sur le lourd canapé damassé, un homme grand et lumineux la dévisageait avec surprise. Elle n’avait pas besoin qu’il lui dise son nom : les cheveux très blonds, que le soleil avait éclaircis au point de les rendre presque blancs, les hautes pommettes et, surtout, les yeux d’un bleu extraordinaire qui la fixaient étaient une réplique très masculine de ceux de son frère.

    Et très dure. Neal deviendrait-il, à son tour, aussi puissant, aussi rugueux que cet homme ? Non, sans doute : Aïdan avait marché pieds nus sur les chemins d’Irlande, il avait vécu la déportation, le bagne… Il n’y avait aucun vernis sur cette silhouette, qui portait maladroitement un costume mal coupé et dans lequel sa carrure semblait bien à l’étroit.

    Elle s’aperçut, sans vraiment en avoir conscience tant elle était sous le choc, qu’il y avait quelqu’un d’autre dans la pièce. Un adolescent assis dans l’un des fauteuils, près d’une fenêtre. Elle lui jeta un regard distrait, revenant aussitôt à l’homme sur le canapé.

    — Oncle Aïdan.

    L’homme se leva maladroitement. Il semblait complètement incongru dans cette pièce d’apparat, aux rideaux de velours, chargée de tableaux et de portraits ; le beau visage dur et magnétique de son oncle semblait venu d’un autre monde, sauvage, cruel. Il dégageait une énergie incroyable. Et il était immense.

    — Tu dois être Neve.

    Aïdan s’avança de quelques pas, mais se figea devant le geste de recul instinctif de sa nièce. Neve regardait l’homme qui avait égorgé une petite fille. Un monstre.

    — Oncle Aïdan !

    Un jeune garçon était contre lui, accolade chaleureuse, poigne ferme contre ses épaules. De taille plus modeste – mais, sans doute, plus pour très longtemps –, son neveu le dévisageait avec un

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