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Vivre et Mourir d'Aimer
Vivre et Mourir d'Aimer
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Vivre et Mourir d'Aimer

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About this ebook

Vivre et mourir d'aimer est l'histoire actuelle d'un amour indéfectible entre Eurélie et Uriel. Elle s'ouvre sur les chemins de l'adolescence que ces deux jeunes gens suivent indépendamment l'un de l'autre, chacun de son côté. Eurélie est étudiante en lettres modernes à l'université de Strasbourg. Elle prend aussi des leçons de piano avec sa tante Adrienne. Par goût naturel du dessin et de la peinture, Uriel aurait aimé intégrer l'école des beaux-arts. Mais les exigences de la vie l'ont contraint à faire des études techniques, contrariant ainsi sa vocation d'artiste. À cette époque, alors qu'Eurélie est encore étudiante, lui travaille déjà dans l'industrie, à Plaisance-sur-Rhin. Ils ne se connaissent pas. Ils partagent cependant l'espoir d'être touchés un jour par la grâce de l'amour. La Providence est à l'écoute de leurs cœurs disponibles. Aussi, un soir d'orage, en mai 1968, leur attente est-elle comblée, soudainement épris à jamais l'un de l'autre. Mais la mauvaise fée qui préside aux destinées tragiques ourdit déjà contre eux le malheur qui, bien des années plus tard, foudroiera leur bonheur de vivre encore ensemble. Celui-ci frappe alors à leur porte sous l'apparence d'une maladie qui, peu à peu, va dépersonnaliser Eurélie en assujettissant son cerveau à une sorte de folie douce. Puis, à un moment de l'évolution de sa maladie, le glas sonne tout à coup son départ pour Hupnos, ce pays qui se révèle aux soleils couchants. Dès lors, à l'instar d'Ulysse en route vers Ithaque pour retrouver Pénélope, son épouse, Uriel n'a de cesse de chercher à rejoindre Eurélie dans son royaume, ce lieu où l'on chemine à rebours pour tout recommencer.

LanguageFrançais
Release dateApr 15, 2015
ISBN9781310045950
Vivre et Mourir d'Aimer
Author

Roger Henri Dobric

Je suis marié. Dany, mon épouse, est enseignante. Nous avons un fils, Raphaël, qui exerce avec compétence la profession d'ostéopathe. Quant à moi, j'ai une formation à la fois scientifique et orientée vers l'administration des entreprises industrielles. Tant dans la sphère familiale qu'en société je m'efforce (sans toujours y parvenir) de structurer ma conduite à travers un compromis entre la lucidité de la raison et l'intelligence du coeur. Celle-ci procède également de valeurs qui, à l'instar des étoiles pour le nomade ou le marin, m'orientent tout en scintillant dans mon propre ciel. Je fais allusion ici à l'honnêteté, le respect (de soi, d'autrui, des biens communs, quels qu'ils soient, culturels ou inhérents à la nature elle-même), l'engagement, afin de préserver une cohérence entre ce que je dis et ce que je fais. À propos des arts, dont je ne fais aucune distinction entre majeurs et mineurs puisque je suis essentiellement attaché à l'écho émotionnel qu'une oeuvre répercute dans mon univers intérieur, j'aime :Le cinéma d'auteurs qui se déclinent d'Ingmar Bergman à Clint Eastwood en passant par Roman Polanski, Bernardo Bertolucci, David Lynch et bien d'autres ; la peinture figurative qui par son style, sa facture, est capable de s'émanciper de la réalité immédiatement perceptible des choses, comme l'impressionnisme, certaines oeuvres expressionnistes et la peinture onirique de l'artiste Marie-Claire d'Armagnac ; la littérature qui, par le truchement de l'écrit, me permet d'entrer en relation avec des esprits et de regarder alors le monde à travers le prisme de perception de ceux-ci. J'aime une multitude d'écrivains, mais j'avoue être un inconditionnel d'Albert Camus. Enfin, comme quiconque, je chevauche malgré moi le temps qui passe, ce temps qui m'emporte vers mon destin à un rythme plus ou moins soutenu selon les jours, tantôt au galop, tantôt au trot.

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    Vivre et Mourir d'Aimer - Roger Henri Dobric

    By

    Roger Henri Dobric

    Copyright 2015 Roger Henri Dobric

    Du même auteur sur Smashwords.com

    Les Mangeurs d’Âmes

    Jesus : The Salt of the Men

    https://www.smashwords.com/profile/view/Dobric

    ISBN : 979-10-93010-06-9

    Smashwords Edition

    Smashwords Edition, License Notes :

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    Thank you for respecting the hard work of this author.

    Table des matières

    Titre du livre

    Prologue : l’invitation au voyage pour Hupnos

    Chapitre 1

    Chapitre 2

    Chapitre 3

    Chapitre 4

    Chapitre 5

    Chapitre 6

    Chapitre 7

    Chapitre 8

    Epilogue

    À propos de l’auteur

    Prologue : L’invitation au voyage pour hupnos

    Les Landes de la Gascogne

    C’est le point du jour. Sur la côte d’argent, la plage du courant d’Huchet émerge lentement de la nuit automnale. Elle y était ensevelie depuis la veille au soir. L’océan, lui, s’apaise, soudain exorcisé de ses fureurs nocturnes par la présence de l’aube. Il n’est cependant pas encore tout à fait calme, rasséréné au point d’être étale. Il ondoie en effet au gré des balancements du ressac. À cause de cette agitation toujours renouvelée de petites vagues se soulèvent sans cesse à sa surface ; puis, du plus loin où elles se sont formées, elles accourent vers la plage, dans le sillage à cette heure du courant de flot. Au terme de leur course, elles s’effondrent sur le sable. À ce moment, certaines d’entre elles, portées plus avant que les autres, caressent au bout de leur élan le cadavre étendu sur la plage, à la lisière de l’eau, là où les vagues expirent dans un bouillonnement d’écume. C’est le cadavre d’un homme aux cheveux gris. Il est allongé sur le ventre, une joue contre le sable humide, l’autre offerte aux mornes lueurs du ciel. Ses vêtements sont détrempés, souillés par endroits d’une boue ocrée de jaune, à l’apparence sablonneuse. Ils laissent néanmoins entrevoir l’élégance que le vieil homme affichait au moment où il embrassa sa propre mort. Il est vêtu en effet d’un costume sombre et d’une chemise qui fut sans doute blanche avant d’être soumise à l’incessant lessivage du ressac ; des chaussures de ville en cuir noir ainsi qu’une cravate, dont un morceau seul dépasse du buste appuyé contre le sol, parfont sa tenue vestimentaire.

    L’annulaire de la main gauche est bagué d’une alliance et d’une grosse chevalière. Un motif pour le moins inhabituel, dont le mystère s’exhale de son étrangeté même, est ouvragé sur le méplat de la chevalière. Il s’émaille de teintes vertes, jaunes, et d’un peu de rouge vermillon. Il s’agit là de la tête d’un monstre, dont l’opulente chevelure se compose d’une multitude de serpents en éveil, prêts à mordre. Les yeux sont dilatés et la bouche largement ouverte. Du côté droit de cette tête monstrueuse, tranchée à mi-cou, comme pétrifiée dans une expression de stupéfaction, un filet de liquide rouge s’en écoule pour dessiner un E et un U, deux lettres stylisées et étroitement entrelacées l’une à l’autre.

    À trois ou peut-être quatre mètres du vieil homme, les vagues fluent et refluent inlassablement sur la toile d’un tableau échoué sur la plage. De ce dernier on ne voit pas la peinture, mais seulement l’envers de la toile et le montant transversal du châssis. Un peu plus loin encore, éparpillés çà et là sur le sable, on distingue, outre des coquillages et des paquets de varech à l’odeur putride, toutes sortes de déchets, d’immondices, en somme tout ce que dans de violents haut-le-cœur rythmés par les marées l’océan vomit sur la terre ferme.

    Des mouettes tournoient au-dessus de l’océan. On entend par moments leurs cris, mêlés aux halètements des vagues.

    La plage où le vieil homme gît sans vie est isolée et déserte en cette saison. Elle se situe au-delà d’une immense forêt de pins, derrière les dunes de sable, à environ une dizaine de kilomètres de Messanges, un hameau qui se compose d’une petite poignée de chalets en bois, résidences secondaires inhabitées à cette époque de l’année.

    D’abord une heure, puis une autre encore se sont écoulées depuis les premières manifestations de l’aube. Entre temps les mouettes ont disparu ; elles s’en sont allées vers d’autres lieux, des ailleurs connus d’elles seules, comme peut-être ce mystérieux pays qui, hier, au soleil couchant, tandis que la tempête faisait rage, se donnait à voir dans le ciel, tout au bout de l’océan, là où celui-là prend appui sur celui-ci, le long de l’horizon.

    La journée s’annonce grise, brumeuse, et gluante de cette humidité que le paysage alentour transpire déjà par tous ses pores. Des vapeurs montent de toutes parts vers les draps sales dont se couvre le ciel. L’océan fume, et la terre aussi, du côté des dunes. Ces exhalaisons de brume automnale font songer à des elfes qui, portées par les courants d’air, viennent lentement s’agglutiner sur la plage. De ces associations entre les vapeurs de l’océan et celles de la terre naissent des îlots de brouillard peu dense, dont les formes sans cesse changeantes évoquent des silhouettes tantôt animales, tantôt humaines. D’ailleurs, près du cadavre, on distingue maintenant un adolescent pétri de brume, une brume aussi blanche que la livrée des mouettes qui s’en sont allées on ne sait où exactement. L’adolescent est assis sur le sable, le front bas, les bras noués autour des genoux. Il pleure. Autour de lui, la danse des elfes se poursuit, et aussi la lente métamorphose de l’apparence des agglomérats de brume. De l’un d’eux émerge à présent la silhouette d’une dame plus très jeune, mais pas très âgée non plus. D’abord immobile, cette dernière s’extrait maintenant de la gangue vaporeuse et se met en mouvement. Elle est vêtue de blanc, d’une longue robe soyeuse et blanche. Elle a dans les yeux le bleu qui fait aujourd’hui défaut au ciel. Ses longs cheveux grisonnants, noués derrière la nuque avec un ruban rouge, ruissellent sur ses épaules. Elle se dirige vers l’adolescent dévoué tout entier à son chagrin. À cause des bruits chuchotés que font les vagues, on n’entend point ses pas crisser sur le sable. L’adolescent ne bronche pas, demeure figé dans sa posture chagrine, apparemment indifférent à la présence qui marche lentement vers lui. Au fur et à mesure qu’elle s’en rapproche, la dame en blanc ne cesse de rajeunir pour, tout au bout de ses métamorphoses successives, s’incarner finalement en une jeune fille à peu près de l’âge de l’adolescent qu’elle a maintenant rejoint. Elle se penche légèrement vers le garçon toujours assis sur le sable et, du moins semble-t-il de loin, lui parle. Elle s’adresse en effet au jeune homme. Mais, à cause de la distance, sa voix est inaudible pour quiconque d’autre que son interlocuteur. Toutefois, en lisant sur ses lèvres, on parvient à comprendre ce qu’elle lui dit :

    « Bonjour, Uriel. Tu ne me reconnais pas ? Je suis Eurélie, ta bien-aimée. Il est vrai que j’ai beaucoup changé depuis que le destin m’a détournée de toi, voilà bientôt trois ans. Mais tu as également changé, Uriel. Tu as rajeuni. En somme, nos morts respectives nous ont dépouillés des vieilles personnes que nous étions, toi et moi. Et cela a été pour l’un et pour l’autre comme une renaissance puisque nous avons recouvré notre jeunesse. Nous sommes redevenus tels que nous étions ce soir de pluie où, à Plaisance-sur-Rhin, nos chemins se sont croisés pour la première fois. Viens, Uriel. Viens avec moi, partons ensemble pour Hupnos, ce pays qui nous ressemble. »

    Et l’adolescent se relève. Du plat de la main il éponge quelques larmes sur ses joues, puis emboîte le pas de la jeune fille qui le précède. Il s’est rapidement porté à la hauteur de celle-ci et, maintenant, il lui donne la main. Lentement, main dans la main, ils s’éloignent du cadavre abandonné sur la plage. Leurs silhouettes rapetissent peu à peu, tout en devenant floues, inconsistantes, de plus en plus évanescentes. À voir Uriel et Eurélie s’évanouir ainsi, on dirait que l’un et l’autre transmigrent sans se hâter de leurs corps vaporeux dans d’autres corps, mystérieux, aux formes encore indéterminées, encore en devenir, pas encore définitivement figées dans la brume par quelque sortilège. Dans un instant, tous deux se seront entièrement volatilisés. Ce sera alors un peu comme si cette jeune fille et ce garçon n’avaient jamais existé, n’avaient jamais foulé de leurs pieds le sable de la plage aux elfes, à quelques kilomètres de Messanges, au sud de la plage de Moliets et Maa.

    Chapitre 1

    Environ cinq ans plutôt, vers la mi-avril.

    À cette époque, Eurélie et Uriel Laherte habitaient une maison de campagne au charme désuet, à la périphérie de Lectoure, dans le département du Gers. C’est une grande bâtisse en pierres, esseulée parmi les champs, au sommet d’une éminence d’où le regard porte loin, jusqu’à la chaîne des Pyrénées lorsque le temps est clair, dégagé. Elle est entièrement circonscrite par un parc agrémenté d’imposants tilleuls. Vers le milieu du printemps, les feuillages de ces grands arbres se mettent à déverser en abondance des fraîcheurs parfumées. Le bassin aux nénuphars se situe vers le milieu du parc. Quand on se penche au-dessus de son eau verte comme pour s’y mirer, on aperçoit par transparence quelques poissons rouges. Cependant, à la belle saison, outre les poissons rouges, le bassin compte également des grenouilles parmi ses hôtes, des grenouilles qui coassent sans désemparer, le jour comme la nuit. Mais ces cris ininterrompus n’insupportaient jamais ni Uriel ni Eurélie. Ils semblaient même éprouver l’un et l’autre du plaisir à entendre ces coassements.

    Depuis quelques jours déjà, le rosier grimpant saignait par toutes ses fleurs écloses le long de la façade principale de la maison. Et les roses, réchauffées par le soleil de l’après-midi, exhalaient un puissant parfum dont les abeilles et toutes sortes d’insectes s’enivraient. Un papillon entreprit l’ascension du rosier. Le vol incertain, pas très assuré, il titubait dans l’air bleu et doré, un peu comme si l’haleine des roses l’eût réellement soûlé. À l’étage, là où était aménagé le jardin d’hiver, un piano laissait entendre au-dehors une sourde mélodie. C’était un air émouvant parce qu’il incitait à la mélancolie, à songer à des choses sans lendemain, aussi éphémères que la fraîcheur des roses, la beauté des jeunes filles. Le papillon progressait le long du rosier, et à mesure qu’il s’élevait les sonorités du piano gagnaient en intensité. Maintenant, parvenu à l’étage, il se cognait avec entêtement contre la vitre d’une baie, un peu comme si, pareillement à la lumière de cette fin d’après-midi printanière, il voulût pénétrer à l’intérieur du jardin d’hiver par cette grande baie, presque aussi haute que large. De l’autre côté de la vitre qui faisait obstacle au papillon, on pouvait voir de nombreux choses, dispersées à travers la vaste pièce. Il y avait là diverses plantes vertes, un citronnier en fleurs, plusieurs fauteuils en osier, une statue de jardin en terre cuite qui représentait un enfant nu et potelé, coiffé de feuilles de vigne en guise de chapeau, les bras chargés de raisin et de quantité d’autres fruits, mais aussi de beaux masques inspirés de ceux que l’on porte lors des fêtes à Venise, une multitude de tableaux accrochés aux murs et, ici puis là, une foule d’objets qui, chacun à leur manière, participaient à la poétisation du lieu. Eurélie était assise devant un piano blanc. Les yeux mi-clos, elle laissait courir ses longs doigts sur le clavier composé de touches blanches et noires. Uriel se tenait un peu à l’écart de son épouse, assis sur une simple chaise paillée. Un bloc de feuilles à dessin reposait sur ses genoux. Entre le pouce et l’index de la main droite il tenait un morceau de fusain ; il s’appliquait à dessiner Eurélie devant son piano, profondément absorbée par la mélodie qu’elle était en train de jouer. Il avait souvent entendu cette mélodie ; mais, par manque de curiosité, il ne savait toujours pas quel en était le compositeur. Ce genre de musique-là ne le laissait pourtant pas indifférent, son âme y était même sensible, mais il n’en comprenait pas bien le langage. Aussi s’efforçait-il d’apprécier la musique classique, non pas spontanément, par goût personnel, mais parce qu’elle faisait partie de l’univers d’Eurélie, sa femme depuis bientôt quarante ans. Uriel aimait tant Eurélie qu’il désirait tout partager avec elle, ses joies et ses souffrances, ses espoirs et ses craintes, ses passions et, bien entendu, son goût pour la musique classique. Il avait d’ailleurs toujours considéré Eurélie comme son île au trésor, mais son admiration pour elle s’était encore accrue ces derniers mois, depuis qu’il la savait gravement malade, un peu comme si cette révélation eût ancré plus solidement en lui la certitude que seul l’amour qu’il partageait depuis si longtemps avec son épouse avait donné jusqu’ici un vrai sens à sa vie.

    Il n’était pas satisfait de son dessin. Il jugeait le sujet trop présent, trop près de la réalité, pas suffisamment onirique, dilué dans l’atmosphère des songes que lui inspirait la vue de son modèle en train de jouer un air mélancolique au piano. Il était mécontent de lui mais cependant conscient que son talent de dessinateur s’était un peu émoussé depuis qu’il n’esquissait plus sur la toile les sujets à peindre d’abord au crayon ou au fusain, mais directement au pinceau, de sorte que la forme de ceux-ci se précisait peu à peu au gré de l’inspiration, enfantée progressivement par la juxtaposition des couleurs sur la toile et non comme autrefois par la seule dextérité de sa main d’artiste. Il s’apprêtait à recommencer son dessin sur une feuille vierge quand Eurélie s’interrompit de jouer. Cependant elle ne se leva pas, elle demeura assise sur le siège du piano. Pensive, elle regardait fixement ses deux mains ouvertes devant elle, un peu comme si elle les eût interrogées du regard. Cela dura plusieurs minutes, jusqu’au moment où, s’étant approché d’elle, Uriel la persuada de s’installer dans un fauteuil à côté du sien.

    « Dis-moi, Eurélie, qu’est-ce qui ne va pas ? »

    Elle souleva légèrement ses épaules, comme pour exprimer son incompréhension de la situation à laquelle elle était confrontée. Puis, montrant ses mains ouvertes à Uriel, elle dit :

    « Tout mon être est menacé par l’oubli… pas seulement ma tête. Même mes mains oublient, ne se souviennent plus de ce que j’ai mis si longtemps à leur apprendre. À cause de cet oubli elles ne m’obéissent plus et ne font que ce que bon leur semble. Je voulais jouer un certain morceau et voilà que mes mains en jouent délibérément un autre, faisant abstraction de mon propre désir. J’ai essayé à plusieurs reprises de leur imposer ma volonté, mais en vain. J’ai l’impression de me dépersonnaliser lentement, jour après jour. C’est horrible ce sentiment de délitement de soi, de perte par morceaux de ce que j’étais avant que la maladie ne m’accable. »

    Uriel était ému jusqu’aux larmes, non pas à cause de cet aveu mais de la lucidité dont sa femme faisait preuve en ce moment. Un tel discernement était en effet de plus en plus rare chez Eurélie, victime de la maladie d’Alzheimer. Et qu’elle fût soudain capable d’exprimer si clairement les symptômes de son mal incurable perturbait Uriel. Car il était conscient que, dans cette terrible épreuve qu’il partageait avec Eurélie, il ne pouvait lui offrir la guérison, mais seulement son soutien affectif. Il lova son bras autour des épaules de sa femme et se pencha tendrement vers elle.

    « Ne te tourmente pas… Tu verras, demain ça ira beaucoup mieux… Tes mains se souviendront alors, elles auront retrouvé la mémoire de tout ce que tu leur as appris. Mais maintenant repose-toi, pendant ce temps, je vais préparer notre dîner. »

    Uriel s’éclipsa doucement. Il revint chercher Eurélie moins d’une heure plus tard. Il avait dressé la table au rez-de-chaussée, dans la salle à manger parce qu’en cette saison les soirées étaient encore trop fraîches pour dîner dehors, sur la terrasse. Eurélie s’était installée à sa place habituelle, face à la fenêtre. Ainsi, pendant le repas, elle pourrait suivre le déclin du jour sur les vitres, derrière la dentelle des rideaux. Uriel avait prévu pour ce dîner de la salade verte, une petite terrine de pâté et des lentilles au lard, accompagnées de morceaux de saucisse de porc noir. Mais Eurélie n’avait pas très faim et se contenta pour son dîner de quelques feuilles de salade et d’une tranche de pâté. Selon leur habitude, ils prirent après le repas une tisane de thym, édulcorée avec un peu de miel. Complices, ils retardaient à présent le moment de se lever de table pour aller se coucher. Assis devant leur tasse vide, ils différaient ainsi l’instant où, une fois seule dans sa chambre, Eurélie devrait affronter ses angoisses nocturnes avant de sombrer dans le sommeil, épuisée par de longues heures d’insomnie peuplées de démons bien réels, du moins pour elle. Ce soir-là, autour de la table ronde de la salle à

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