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Les Crimes Bleus
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Les Crimes Bleus

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LES CRIMES BLEUS par Enrique Laso

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Un polar magnifique. Captivant de la première à la dernière page.

Deux cadavres dans une lagune.
Un agent spécial du FBI très prometteur.
Un crime commis il y a près de vingt ans.
Un mystère qui vous emporte.

Commentaires

'Un livre haletant mêlant sentiments, suspens et humanité. Des le début de la lecture on ne peut plus s'arrêter on est pris par la personnalité d'Ethan.'

'Particulierement bien construit, prenant du debut a la fin, avec des personnages attachants qu'on aimerait retrouver et dont on aimerait voir approfondir la psychologie.'

Si vous avez aimé « Le silence des agneaux » ou les séries « Twin Peaks » ou « True Detective », voilà l’intrigue que vous attendiez !

LanguageFrançais
PublisherBadPress
Release dateDec 10, 2017
ISBN9781507121733
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    Les Crimes Bleus - Enrique Laso

    La victoire, le succès, ont parfois un goût amer. Cet arrière-goût peut rester prisonnier de notre mémoire pendant des années et nous empêcher à jamais de savourer la gloire.

    Voilà donc le récit d'un terrible échec...

    Chapitre I

    Lorsque j’ai reçu leur coup de fil, une semaine entière s’était écoulée depuis la découverte du second corps. Cela pouvait nous coûter cher car une bonne partie des preuves avait certainement disparu à présent, et j’allais devoir travailler avec le peu de preuves que la police locale, peu habituée à ce genre de crime, avait pu être capable de recueillir. Par chance, on m’avait affecté une équipe d’enquêteurs de scène de crime plutôt compétente, et dans l’avion qui nous menait de Washington à l’Aéroport International de Kansas City, nous nous disions, à juste titre d’ailleurs, que la scène de crime avait certainement été souillée par des dizaines de flics aussi bien intentionnés qu'empotés.

    Liz, que je connaissais déjà pour avoir travaillé avec elle sur la seule affaire qui m’ait jamais été confiée jusqu’à présent, me tendit un dossier contenant des photos ; les corps cyanosés de deux jeunes femmes totalement nues, abandonnés dans une lagune tels les vestiges d'un paisible pique-nique dominical. Je restais les yeux écarquillés sur l’image de l'une des jeunes femmes, qui ne devait pas avoir dépassé la vingtaine, lorsque que je fus saisi par sa supplique : « Trouve celui qui m’a fait ça. »

    Saisi d’horreur, je retournai les photos et jetai un œil par le hublot du petit Gulfstream III ; nous survolions déjà l’Illinois. Il y avait peu de nuages dans le ciel, et je me souviens avoir parfaitement distingué, ou du moins l’ai-je imaginée, la ville de Springfield et son célèbre lac ; la majesté et la paix qui se dégageaient de cette vision contrastaient avec le bourbier dans lequel j’allais patauger dans un avenir proche. Je fermai les yeux et vis mon père me lancer une balle de base-ball toute neuve. Je voulais me noyer dans cette image parfaite pour ne plus jamais en sortir.

    Mais la réalité se rappela vite à moi. J’avais un nouveau défi à relever, et l’enjeu était considérable. Ma première affaire s’était conclue par un succès retentissant : j'étais parvenu à établir le profil d’un tueur en série qui, depuis des mois, terrorisait les citoyens de Détroit, cette ville décadente. Au départ, les flics qui enquêtaient sur les différentes affaires n’avaient pu établir aucun lien entre elles, et les dossiers moisissaient parmi des centaines d'autres, entassés dans les archives de la ville dont le taux de criminalité était le plus élevé des Etats-Unis. Et c’est là-bas que mon nouveau patron, Peter Wharton, Directeur du Département d’Analyse Comportementale au siège du FBI à Quantico, m'avait expédié. Il m’avait fait confiance pour deux raisons : mon dossier universitaire irréprochable, qui faisait état de ma première place en cours de Psychologie à l'Université de Stanford, et mon impressionnante capacité de déduction qu'il avait personnellement mise à l'épreuve des dizaines de fois pendant ma formation en me soumettant des études de cas détaillées basées sur des faits réels. Je ne l’avais pas déçu.  Après plusieurs semaines de travail acharné, je n’étais pas seulement arrivé à dresser le profil du criminel avec 92% de correspondance mais j'avais également identifié ses terrains de prédilection et désigné le quartier dans lequel il demeurait probablement. En trois mois, nous avions mis la main sur un monstre qui avait ôté la vie à pas moins de 21 victimes innocentes.

    De retour à Washington, tous mes collègues, ou presque, m’avaient accueilli en héros et Peter avait également commencé à voir en moi l'incarnation d'une nouvelle génération d'Agents spéciaux tout droit sortis de Quantico. Mon succès lui était incontestablement dû en grande partie et, de ce fait, c'était aussi le sien.

    Six mois seulement avaient passé depuis. La moitié d’une année à me reposer sur mes lauriers, à jouir de ma place au sommet, à observer l'action sur le banc de touche, à compléter ma formation et à étudier des affaires, dont je connaissais déjà la solution pour la plupart. La belle vie, quoi.  Mais rien ne dure jamais.

    Le jet tout confort me conduisait, à presque 1 000 kilomètres heure et à plus de 12 000 mètres d’altitude, vers un sort incertain qui allait sceller mon avenir :  un nouveau succès allait m’ouvrir les portes des ascenseurs les plus rapides du FBI ; un échec remettrait en cause mes compétences et, jusqu’à ce qu’une nouvelle affaire se présente à moi, personne ne saurait plus vraiment si moi, Ethan Bush, j'étais un génie qui avait eu un coup de mou ou un abruti fini qui, un jour, avait eu un coup de bol.

    Chapitre II

    Il ne nous fallut qu’une heure pour arriver dans le bureau du Shérif du Comté de Jefferson, à la sortie de la petite ville d’Oskaloosa, sur la Route 59, à bord d’un van confortable que conduisait un flic du coin, sympathique mais assez distant, sûrement sur les conseils de son boss. Dans des petits bleds comme celui-là, l’arrivée d’agents fédéraux est souvent accueillie avec beaucoup de réserve.

    Le bureau était un bâtiment modeste d'un seul tenant dont le plâtre frais des façades avait une jolie teinte de gris. A l’extérieur du van, l’air était frais et humide.

    ‘Belle journée aujourd’hui. Le vent vient de l’ouest et il rafraîchit le lac’, lança sèchement le flic en nous conduisant vers le bâtiment.

    Clark Stevens, le shérif du comté, nous attendait dans une grande pièce au centre de laquelle trônait une table ronde. Un écran de 50 pouces était installé au mur et des dizaines de photos, de notes et de feuilles volantes étaient punaisées sur un autre mur tapissé de liège. 

    ‘Bonjour. Vous devez être Ethan Bush et ça, ça doit être votre équipe formidable’ lança Clark en me tendant une main aimable, sans que je sache précisément comment prendre son « équipe formidable ».

    ‘C’est bien ça. C’est un plaisir de vous rencontrer, Shérif Stevens. Merci de nous accueillir chez vous’, répondis-je avec une politesse étudiée.

    Je lui présentai les trois personnes qui m’accompagnaient, mes trois aides de camp pour cette mission.

    ‘J’ai demandé l’aide du FBI car jamais nous n’avons connu un crime de ce genre dans notre petite contrée, et encore moins deux en une seule semaine’ déclara Stevens, dans le but probable de nous faire savoir que c'était lui le chef de meute et que, s'il ne nous avait pas appelés, nous ne serions certainement pas là.

    ‘Evidemment, shérif, et vous pouvez compter sur notre entière collaboration’ rétorquai-je tout en sachant que, tôt ou tard, une certaine tension viendrait s’installer entre nous.

    ‘Le Comté de Jefferson compte moins de 20 000 âmes, et Oskaloosa à peine plus d'un millier. Dans le coin, l’endroit le plus agréable pour séjourner, c’est le camp au sud-est du lac, mais ça ne nous a pas semblé pratique, alors nous vous avons installés dans un appartement de fonction qui appartient à la ville. Nous avons fait le ménage et nous espérons que vous vous y sentirez comme chez vous. Tous les jours, quelqu’un viendra passer le balai et vous préparer à manger. Vous aurez tous les services d’un hôtel dans un cadre familial.’

    ‘Parfait’ lança Liz en s’avançant. Jusque-là, elle était restée étonnamment silencieuse.

    Clark se leva et tira deux dossiers d’un tiroir de classement qu’il jeta sur la table.

    ‘Voilà tout ce que nous avons jusqu’à maintenant : le rapport de l'adjoint du légiste, la vie des deux victimes, des photos et la liste des criminels notoires du comté’.

    Je pris l’un des dossiers et le consultai. A Quantico, nous ne disposions que de quelques pages et de quatre ou cinq clichés des scènes de crime.

    ‘Shérif, je veux que mon équipe procède à une nouvelle autopsie des deux corps...’ murmurai-je, en relevant que c’était la première fois que j’insistais sur le « Je ».

    Stevens encaissa le coup et prit une profonde inspiration. Cet homme d’âge mûr à l’air prudent avait de lui-même demandé notre coopération, mais il savait que l’affaire allait lui échapper.

    ‘Vous n’avez pas encore lu le rapport du légiste ?’  ...

    ‘Nous allons le lire. Mais Liz, Mark et Tom ont l’habitude des autopsies. J’espère que vous comprenez’.

    ‘Oui, bien sûr... Mais vous voyez, Ethan... Vous me permettez de vous appeler Ethan ?’

    ‘Absolument. Je serai plus à l’aise’ répondis-je en toute sincérité.

    ‘Parfait. Appelez-moi Clark. Comme je le disais, Ethan, j'ai fait appel à vous, j'ai demandé votre aide...’

    Le shérif Stevens prit à nouveau une grande inspiration. Sa façon d’être, toute cette communication non-verbale, me furent d’une grande aide pour me mettre à sa place, le comprendre et ressentir une empathie immédiate pour lui.

    ‘Oui ?’ l'interrogeai-je avec déférence pour l’amener à poursuivre.

    ‘Voilà, comme je vous l’ai déjà dit, nous ne sommes pas habitués aux meurtres ici, bien que nous en ayons déjà résolu quelques-uns sans difficulté. Mais là c’est autre chose. Affronter un tueur en série, vous voyez ce que je veux dire...’

    ‘Clark, je crois qu’il est trop tôt pour parler de tueur en série. Il est vrai que la découverte de deux corps dans la même zone à tout juste une semaine d’intervalle amène inévitablement à penser que c'est l'œuvre d'un seul tueur. Mais, à Quantico, on nous apprend à ne pas émettre de jugements de valeur précipités. Le second meurtre pourrait être l’œuvre d’un plagiaire, aussi cruel et simple que cela puisse paraître. Deux homicides ne constituent pas une série’ avançai-je, quoi qu’en mon for intérieur, j’étais plutôt d’accord avec lui. Mais il était tout aussi vrai qu’on m’avait appris à ne pas tirer de conclusions hâtives.

    Le shérif s’approcha de mon siège. Précautionneusement, il reprit le dossier qu’il m’avait remis quelques instants auparavant et désigna une feuille marquée d’un Post-it bleu.

    ‘Et trois meurtres... ça fait une série ?’

    J’observai la feuille qu’il pointait du doigt. C’était la photo d'une jeune femme, une autre femme que les deux dont j'avais vu les clichés dans le jet qui me conduisait vers Kansas City. Au vu de la qualité des couleurs légèrement passées, on aurait dit un vieil instantané. J’étais déconcerté.

    ‘Je ne comprends pas... On ne nous a parlé que de deux victimes’ m'emportai-je, comme si Washington pouvait m'entendre.

    ‘Calmez-vous, Ethan. Nous avons gardé cette information pour votre arrivée, j’espérais que nous en discuterions ensemble après que vous ayez lu le rapport. Elle s’appelle Sharon Nichols et son meurtre ne date pas d’hier. Son cadavre a été retrouvé au même endroit que les deux autres malheureuses mais... en 1998, soit il y a 17 ans. Cette affaire n’a jamais été résolue et on a fini par la classer, comme tant d'autres. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de vous. Nous craignons d’avoir affaire à un tueur en série qui serait revenu dans la région... Qui peut dire combien de victimes il peut avoir faites depuis ces vingt dernières années !’

    Chapitre III

    Cette nuit-là, je rêvai de mon père. Nous nous trouvions tous les deux sur un terrain de base-ball totalement désert. C’était certainement celui des Giants de San Francisco, mais je ne saurais le dire avec certitude tant mes yeux étaient rivés sur mon père. C'était lui le lanceur et moi, je serrais une batte junior entre mes mains. De loin, mon père avait l’air immense, presque invincible. Ses yeux noirs inspiraient le respect – un respect gagné par le pouvoir de la connaissance, pas par la force.

    ‘Tu n’as que deux essais, concentre-toi sur ce lancer’ dit-il, comme s’il était mon entraîneur et non mon adversaire.

    ‘Compris !’ m'exclamai-je, encouragé par ses paroles.

    Je me concentrai sur la superbe balle en cuir toute luisante que nous allions frapper pour la toute première fois, et j'ajustai ma casquette de façon à ce que ma visière protège mes yeux d'un soleil au zénith. Mon père lança la balle comme seuls les professionnels savent le faire mais, par chance, j'exécutai une frappe parfaite qui me permit de quitter le marbre pour rejoindre la première base. Je partis comme une flèche et avant même que mon père, si tant est qu’il ait essayé, ait pu attraper la balle, j’avais déjà réalisé un home run en un temps record.

    ‘Génial, Ethan ! Tu viens de gagner une « Bud » bien fraîche.’

    Quand j’étais ado, mon père me récompensait parfois en m’offrant une bière. Dans un sens, c’était un moyen de nous retrouver entre mecs ; d’un autre côté, je suppose qu’il avait voulu que ma première rencontre avec l’alcool, qui aurait lieu un jour ou l'autre, se fasse en sa présence pour plus de sûreté.

    Dans mon rêve, mon père sortit deux Budweiser d’une glacière remplie de glace finement pilée et me gratifia d’un sourire rayonnant qui illumina le stade. Puis, nous nous assîmes tous deux sur le banc de touche.

    ‘Tu n’aimes pas le base-ball, pas vrai ?’ me demanda-t-il en détournant le regard pour me permettre de lui répondre en toute franchise.

    Je réfléchis quelques instants. Voilà deux ans que cette question était en sommeil. Depuis l’époque où j’avais quitté l’équipe de base-ball de l’école pour rejoindre le club d’athlétisme. Ma mère le savait, mais je le lui avais caché à lui.

    ‘J’adore le base-ball. J’adore aller voir les Giants avec toi au stade’, répondis-je, en tentant d’éviter le vrai sujet.

    ‘Tu sais bien que je ne te parle pas de ça. Je sais que tu aimes regarder les matches de base-ball, même s'ils durent cinq heures. Je te parle de jouer au base-ball...’

    Lorsqu’on rêve, le temps ne s’écoule pas au même rythme que dans la réalité. Dans ce rêve, il me fallu au moins deux ou trois jours pour répondre à mon père, qui attendait en pensant que le silence était ma réponse à sa question.

    ‘Non, papa. Je n’aime pas ça. Le seul truc qui me plaît dans le base-ball, c'est de passer du temps avec toi’.

    Mon père passa un bras solide autour de moi et m’attira contre lui. L'émotion lui avait fait monter les larmes aux yeux. C’était un costaud, un dur, mais il avait un cœur gigantesque.

    ‘Tu sais, tout à l’heure, quand je t’ai vu toucher les bases les unes après les autres, tu m’as impressionné. Un guépard n’aurait jamais pu te rattraper.’

    ‘C’est vrai !’ m'exclamai-je, soulagé.

    ‘Tu aimes courir ?’

    Cette question me désarçonna et, l’espace d’un instant, je me dit que ma mère lui avait certainement confié notre petit secret.

    ‘Oui, j’adore ça, papa. Je fais partie du club d’athlétisme depuis deux ans. Je ne joue plus au base-ball...’

    J’avais l’esprit en paix.

    Mon père me donna deux tapes dans le dos et m’adressa un regard rempli d’admiration.

    ‘Et tu aimes ça, l’athlétisme ?’

    ‘Je fais partie des meilleurs !’ m'exclamai-je. Ce n’était pas totalement vrai : je n’étais pas l’un des meilleurs... J’étais LE meilleur, l’un des meilleurs fondeurs de toute la Californie.

    ‘Bon alors c’est plié. A partir de maintenant, le base-ball c’est fini. Bien sûr, on continuera à aller voir les Giants. Mais je t’accompagnerai à l’entraînement. Je veux être là où tu es vraiment heureux, fiston.’

    Je réveillai trempé de sueur, comme si je venais de terminer le Marathon de Boston un jour de printemps pluvieux. Je mis un peu de temps à réaliser que je me trouvais dans la maison que le Shérif nous avait réservée pour séjourner.

    Ce rêve était vraiment étrange : la réalité se mêlait à l’imaginaire. Je ne parvenais pas à comprendre pourquoi mon esprit s’acharnait tellement à se remémorer ces moments du passé pour les transposer dans le présent. Sans réfléchir, je pris mon Smartphone et déroulai la liste de mes contacts jusqu’à trouver le bon : Papa. Tandis que j’appuyais sur le bouton, je me rendis compte que personne ne décrocherait. Son vieux portable était conservé tel un trésor dans l’un des tiroirs de mon appartement aux abords de Washington. Je payais toujours son forfait, même s’il y avait plus de vingt ans que je l'avais enterré dans le petit cimetière de Mariposa, en Californie.

    Chapitre IV

    Le van qui nous avait récupérés à l’aéroport de Kansas City nous emmenait à présent vers la lagune où les deux cadavres avaient été découverts. Cette fois-ci, au volant, c’était l’adjoint du Shérif, Ryan Bowen, un jeune flic sec et distant mais plutôt pro en apparence.

    ‘L’été, c’est bondé par ici, mais à cette période de l’année, quand il commence à faire bon, on croise rarement quelqu'un', dit-il tout en désignant un vieux chemin poussiéreux qui traversait des broussailles pour déboucher sur le lac, un peu plus loin.

    ‘Mais... on n'est pas trop près de la route ?' demanda Tom, devançant ma question.

    ‘En effet. Curieux, non ?’

    Nous avançâmes prudemment le long du chemin couleur argile, en suivant les traces profondes et sèches que d’autres véhicules, probablement des SUV, avaient laissé plus tôt.  Ryan se rangea près des broussailles. Après être descendus du van, il nous dirigea vers une forme creuse imprimée dans la poussière, bordée de végétaux brisés.

    ‘C’est là qu’on les a trouvées toutes les deux’, déclara le shérif adjoint d’un ton sec.

    Liz, Mark et Tom se mirent rapidement à l’œuvre. Ils étaient parfaitement équipés. Même s’ils n’emportaient que rarement des vêtements, ils n’oubliaient jamais le moindre de leurs précieux instruments de médecine légale. Ryan et moi reculâmes, pour éviter de gêner le travail de mon équipe de pros.

    Je m’aperçus très vite que quelque chose ne collait pas. Nous tournions le dos au rivage du Lac Perry, très éloigné des lieux les plus fréquentés, à dix mètres à peine de l’eau. Mais la zone que l’adjoint Bowen avait désignée était un vrai bourbier. Je ressortis les photos du lieu où les victimes étaient censées avoir été découvertes et je relevai que leurs corps dénudés étaient légèrement immergés dans ce qui semblait être les bas-fonds d'une lagune.

    ‘Vous êtes certain que c’est bien là qu’on a trouvé les corps ?’ demandai-je, perplexe.

    Ryan jeta un bref coup d’œil aux photos que je tenais dans la main droite et me lança un regard suffisant.

    ‘Evidemment. Cette zone est inondée à chaque fois qu’il pleut. Deux jours plus tard, ça devient un marécage comme celui-là.’

    ‘Donc... il a plu toute la semaine ?’ insistai-je, tentant de lui faire comprendre que je n'avais pas terminé ma digression et qu'elle était sur le point de déboucher sur quelque chose qui n’aurait jamais pu lui venir à l’esprit.

    ‘Non’ répondit-il platement. Il se mit à caresser sa barbe de trois jours et, apparemment ennuyé, lança quelques coups de pieds dans les herbes hautes. ‘Maintenant que vous le dites, il n’a plu que la nuit précédant chaque meurtre...’

    J’abandonnai Bowen derrière moi, perdu dans ses pensées, afin de pouvoir me concentrer sur les miennes. Si les meurtres étaient le fait d'un même auteur, il n'était certainement pas stupide. Et bien qu’il me fût impossible de l’ignorer totalement, l’idée que nous cherchions un tueur désorganisé m’apparut moins probable. Il répondait davantage au profil de quelqu’un qui savait que la pluie constituait un sérieux obstacle pour quiconque enquêtait sur un crime. Il y avait bien longtemps que je ne croyais plus aux coïncidences, mais je n'étais pas encore assez vieux pour les écarter totalement. Je refis le chemin depuis la route que le suspect avait certainement empruntée pour arriver jusqu’ici. Je tombai rapidement sur les sillons laissés par le SUV qui avait guidé notre van.

    ‘Ils ont relevé les traces de pneu ?’ demandai-je suffisamment fort pour que Ryan puisse m’entendre et sorte de sa torpeur.

    ‘Non, non... Je crois qu’il n'y avait aucune empreinte de pneu.’

    ‘Et... celles-ci ?’

    ‘Elles doivent avoir été laissées par notre Ford Explorer Interceptor’, répondit laconiquement l’adjoint.

    Un SUV de la police. C’était possible, mais je voulais exclure l’idée que les roues avaient recouvert les marques de pneu qui s'y trouvaient déjà.

    ‘Quelqu’un s’est-il donné la peine de prendre des photos avant que le Ford passe par ici ? ...’ murmurai-je, presque avec condescendance.

    ‘Le fait est que je ne m’en souviens pas. Tout doit se trouver dans le dossier que vous a remis le Shérif Stevens.’

    Bowen avait raison. Tout devait se trouver là, parmi les documents que je tenais sous mon bras gauche mais que j’avais à peine examinés. Inconsciemment, je savais qu’ils seraient bourrés d’hypothèses bancales qui finiraient par m’influencer. J’avais étudié ce genre de trucs dans des dizaines d’affaires. Ils avaient failli ruiner mon premier succès à Détroit.

    ‘OK. Mais j’aime bien voir les choses sous différents angles. Vous savez comment fonctionnent les psychologues... pour nous, la bonne voie est la plus longue’ tentai-je de me défendre.

    ‘J’en sais rien...’

    ‘Qui sont les personnes qui ont découvert les corps ?’ m'enquis-je en essayant de changer rapidement de sujet.

    ‘Qui sont-elles ? Mieux vaut demander qui EST-ELLE...’ répondit l'adjoint d'un ton plus assuré.

    J’ouvris le dossier, le parcourus rapidement comme si je l'avais déjà examiné mais, parmi toutes ses pages, je décelai quelque chose qui ne collait pas avec l'information qu'on venait tout juste de me donner. Cela me donna également le temps de faire le point.

    ‘C’est la même personne qui a trouvé les deux cadavres ?’

    ‘Oui. Il s’appelle Tim Nolan, il pêche la perche. Il y en a énormément dans cette partie du lac. Croyez-moi’ dit-il, percevant sans doute quelque chose de louche dans mon regard, ‘Ce n'est pas un mauvais bougre. Il fréquente ce coin.’

    ‘Ouais, mais Ryan,’ je l’appelai par son prénom pour paraître plus sûr de mon hypothèse, ‘vous devez admettre qu’il est extrêmement suspect que le même homme trébuche sur deux cadavres en une semaine.'

    ‘C’est clair, mais si vous le connaissiez depuis des lustres comme moi, vous ne penseriez pas ça. Mais je suppose que c’est la raison pour laquelle Clark vous a demandé de l’aide. Vous n’avez pas de préjugés, n’est-ce pas ?’

    ‘Plus ou moins’, répondis-je en relevant que dans ces petites villes, le travail de la police est bien plus complexe qu’il peut paraître depuis le confort d’un bureau de Washington.

    De là où je me trouvais, près de l’endroit où le van était garé, je pouvais voir la rive gauche du lac et une partie du bassin où les victimes avaient été découvertes ; sur ma droite se trouvait la piste sinueuse et poussiéreuse qui menait à la route. Je regardai plusieurs fois d'un côté et de l'autre.

    ‘Il y a beaucoup de passage sur cette route ?’

    ‘A peine quelques voitures par jour.’

    ‘Quoi qu’il en soit, vous conviendrez qu’il est fort risqué de se débarrasser d’un corps ici. J’aurais certainement choisi un autre endroit.’

    ‘Vous marquez un point’ répliqua Bowen, en opinant du chef.

    ‘Seul quelqu’un qui connaît bien le coin et qui s’y rend souvent pouvait être sûr de ne courir quasiment aucun risque’, ajoutai-je.

    Chapitre V

    Liz m’avait déjà dit qu’elle n’avait pas tiré grand-chose du corps de la première victime, Clara Rose. Elle avait été inhumée après la première autopsie, donc son exhumation ajoutée aux deux semaines qu'elle avait passées sous la pluie après sa mort et la destruction du premier rapport d'autopsie, ne laissait que peu de choses à découvrir.

    Néanmoins, par chance, le corps de la seconde victime, Donna Malick, avait été mieux conservé car il était resté à la morgue et le Shérif Stevens était parvenu à convaincre sa famille de retarder les obsèques car une équipe du FBI était en route et qu'il pouvait s'avérer nécessaire de procéder à un nouvel examen. A contrecœur, la famille Malick avait accepté la situation et ne s’y était pas opposée, ce qui avait incontestablement évité de devoir faire intervenir des avocats, des juges et de subir bien d’autres désagréments.

    Pendant que Liz travaillait sur la malheureuse Donna, j’avais loué une petite Chevrolet Spark couleur citron vert. Je serais ainsi plus libre de mes mouvements et n'aurais plus à dépendre du bureau du Shérif du Comté de Jefferson.

    Armé d’une carte et du GPS basique de mon Smartphone, je passai la matinée à faire le tour du lac et à me rendre dans quelques-uns des villages les plus proches. Je voulais absolument me familiariser avec un environnement qui, je le savais, serait le mien pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

    Donc, me dirigeant vers le sud en partant d’Oskaloosa, je visitai rapidement les petits villages de Perry, Grantville et Meriden pour échouer à Valley Falls. Chaque village comptait moins d’un millier d’habitants. Je ne sais pas si les résidents de ces petites bourgades se connaissaient tous sur le bout des ongles mais il était pratiquement certain que chacun connaissait à 90% la vie de ses voisins. J’avais parcouru un peu plus de 160 kilomètres en tout, ce qui indiquait que ces villages étaient relativement proches les uns des autres et plus ou moins bien reliés. C’est dans ce genre d’endroit qu’on pouvait avoir envie d’aller s’installer à la retraite. L’idée que le calme et la tranquillité de ces lieux idylliques aient été perturbés par deux crimes aussi monstrueux me perturbait.

    A mon retour à Oskaloosa, Liz m’accueillit avec un demi-sourire ; je supposai qu’elle avait tiré quelque chose de la seconde autopsie.

    ‘Tu as déjeuné ?’ lui demandai-je avant de revenir à notre affaire.

    ‘Non, en fait j’ai l’impression de ne rien avoir avalé depuis des siècles’.

    ‘OK. J’ai repéré un endroit sympa en centre-ville, leurs hamburgers ont l'air délicieux, ils les préparent comme tu les aimes.’

    ‘Super !’

    Installé dans la Chevrolet, Liz à mes côtés, je me souvins que peu de temps auparavant, nous étions ensemble. Quelques mois avaient passé mais le souvenir était encore vivace. Ce fut moi qui, après quelques semaines de vie presque commune et avoir partagé deux week-ends complets, avais décidé de mettre un terme à notre relation. Liz était une femme extraordinaire : intelligente, éloquente, brillante, chaleureuse, loquace et, oui, très belle aussi. Ses yeux d’un bleu profond et ses cheveux châtains mi-longs attiraient l’attention de tous. Mais je sentais que si la flamme de l’amour brûlait chaque jour plus fort en elle, seules quelques braises luttaient en moi pour rester vives. J’étais mal à l’aise avec ça et je n’ai pas voulu que cela dure.  Après la rupture, je me suis rendu compte que j'avais perdu la femme de ma vie et je pensais que j'aurais le temps de demander son pardon et d'essayer de limiter la casse. Je m’étais montré aussi honnête que possible. Je risquais sans doute de la perdre pour toujours. Non seulement je perdais une compagne éphémère mais également le genre d’amie que l’on aimerait garder près de soi pour l'éternité. Aujourd’hui, il avait coulé suffisamment d’eau sous les ponts pour que je réalise hélas que, bien qu’elle fût quelqu’un de sensationnel, elle n'était pas la femme de ma vie. Néanmoins, je sentais quand même qu’au fond d’elle, l’espoir d’une seconde chance était encore vivant.

    ‘Je sais que tu as trouvé quelque chose. Je te connais. Le sourire avec lequel tu m'as accueilli te trahit à des kilomètres’, lui dis-je en attendant que le gentil serveur vienne nous apporter les hamburgers d’une demi-livre à la sauce barbecue que nous avions commandés.

    ‘Tu me connais sur le bout des doigts...  Revenons à nos moutons. Comme le soupçonnaient le Shérif Stevens et le légiste, je peux te confirmer que Donna Malick n’a pas été tuée dans la lagune. C'est sans doute ce qui s'est passé aussi pour Clara Rose. Le légiste n’a pas rédigé de rapport d’autopsie, mais il a pris la peine de prendre des tas de photos, ce qui va grandement nous aider.’

    Le serveur arriva avec nos énormes hamburgers. Je ne suis pas fan de ce genre de bouffe, mais Liz méritait bien qu'on l'invite là où ça lui faisait plaisir. Elle adorait les hamburgers.

    ‘Comment peux-tu affirmer que Donna n’a pas été assassinée dans la lagune... ?’

    ‘On lui a administré du cyanure de potassium.

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