15 ans de cinema suedois contemporain
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15 ans de cinéma suédois contemporain présente, en 7 chapitres thématiques, les bouleversements majeurs, les films phares et les auteurs incontournables qui façonnent le cinéma de Suède depuis 2000.
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15 ans de cinema suedois contemporain - Aurore Berger Bjursell
Du même auteur :
101 ans de cinéma norvégien (2013) [ISBN 978-2-9546477-0-8] cinema-norvegien.com
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 (2 et 3° alinéa), d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, sous réserve du nom de l'auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants causes est illicite » (art. L. 122- 4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que se soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivant du code de la propriété intellectuelle.
––––––––
ISBN : 978-2-9546477-5-3
stilkr 4 B rue Maurice Sand 36400 La Châtre
conception graphique : Dayana Naydenov
Dépôt légal © novembre 2015
Pour Olivier Guerpillon,
créateur, connecteur et ami
REMERCIEMENTS
Pour m'avoir donné accès à des films suédois récents :
Mia Engberg, pour le screener de Belleville Baby ; Viktor Johansson, pour celui de Flogsta Heaven ; Nicolas Schmerkin, pour celui de Chansons du deuxième étage avant même sa sélection au Festival de Cannes 2000 ; Julien Siri pour l'accès au documentaire TV Kusin Al Fakir, Maria Sjöberg- Lamouroux, pour tout CinéNordica ; ainsi que les festivals m'ayant accréditée à Stockholm, Tallinn et Lübeck.
Pour avoir pris le temps de répondre à mes questions :
Jakob Abrahamsson, Jon Asp, Wanda Bendjelloul, Maria Blom, Niclas Gillberg, George Ivanov, Johan Jonason, Ragna Jorming, Jesper Klevenås, Sebastian Lindvall, Måns Månsson, Johannes Nyholm, Sophia Olsson, Kristian Petri, Ingrid Rudefors, Björn Runge, Petrus Sjövik, Carl Henrik Svenstedt, Bettan von Horn, Aril Wretblad.
Pour m'avoir donné l'autorisation d'utiliser leurs images et leurs données :
Anna Byvald, Silverosa Film ; Mathilde Dedye, French Quarter Film ; Olivier Guerpillon, DFM ; Johan Fröberg, SFI, Martin Jern & Emil Larsson, Dansk Skalle ; Viktor Johansson, Isbergets produktion ; Jean-Paul Lucasson, Picture Wings ; Måns Månsson, Mampasi ; Magnus Paulsson, Solid Entertainment.
Pour m'avoir conseillée tout au long de l'écriture de ce livre :
Gunnar Bjursell, Jacques Depierreux, Kari Gjertrud Dølgaard & David Giordanella, bêta-lecteurs ; Damien Aubanton, Hervé Cadet, François Caligny Delahaye, Jean-Marc Cozic, Elodie De Carvalho, Jocelyn Du Bouetiez, Léon Fuchs, Jaques Gambade, Frédérique Gosnik/FredMJG, Christelle Gourdain, Olivier Hahn, Dominic Idier, Guillaume Jacquot, Marion Jhöaner, Naomi Jones, Hadda Kerzale, Mona Kramer, Romane Kugel, François Lambert, Elvire Lamprière, Guillaume Lebeau, Nicolas Martinez, Nicolas Mauclert, Bertrand Porcherot, Gérard Prugnaud, Cécile Rondeau-Arnaud, Vincent Roussel, Céline Rouzet Dieudonné, Vanessa Seva, Celly Stein et les lecteurs de cineaster.net
AVANT-PROPOS
Pourquoi le cinéma suédois ?
C'est une question qui revient. Trop souvent. Comme si s'intéresser à un cinéma européen était exotique. Jamais les fans de cinéma américain ne doivent se justifier de leurs goûts. Tout au moins, je l'imagine.
Quel est le point commun entre le Berry, ma province natale, et la Scandinavie ? Une relation privilégiée avec la nature, avec le silence, avec le calme, avec la marge. J'aime un certain cinéma nordique pour cela. Il sait créer des ambiances en montrant l'oisiveté, le temps, la réflexion, le manque. Il réfléchit mon monde.
Je deviens cinéphile en 1991. J'ai alors 13 ans et j'aime la culture. Je dévore les pièces de théâtre classiques et je regarde tout ce qui me tombe sous les yeux. Cinéphile de la diagonale du vide, je vois les films art et essai essentiellement à la télévision. Un soir, sur une chaîne publique, je rencontre le cinéma scandinave avec Vampyr de Carl Theodor Dreyer. Je suis en train de me passionner pour les films stylisés et distanciés. Je découvre en l'espace de quelques mois, l'expressionnisme allemand, Europa de Lars von Trier et Le Silence (Tystnaden, 1963) d'Ingmar Bergman.
Ces films, problématisant la parole, me séduisent autant que les films d'horreur que je continue à regarder. Les années passent. Après un baccalauréat Littéraire option cinéma, j'étudie les arts du spectacle en Sorbonne Nouvelle. Arrive le moment fatidique où choisir une spécialité pour l'année de maîtrise est nécessaire. Adepte des ambiances nordiques, du design aux musiques extrêmes, je décide d'opter pour le cinéma suédois. Cela tombe bien, puisqu'en 2000, deux films suédois concourent en sélection officielle au Festival de Cannes : Infidèle réalisé par la Norvégienne Liv Ullmann et Chansons du deuxième étage de Roy Andersson. J'aimerais alors me consacrer à l'esthétique de Roy Andersson. Toutefois, en 2000, les sources sont rares. Au détour d'anecdotes de début de carrière, je réalise que Roy Andersson a collaboré avec Bo Widerberg, c'est à dire le maître à penser de la Nouvelle Vague suédoise. Mais Bo Widerberg ne m'impressionne guère. Je lui préfère ses directeurs de la photographie.
Signe du destin, c'est à cette période qu'Arte diffuse 491 (1964), le premier film suédois interdit par la censure suédoise. Son réalisateur, Vilgot Sjöman, est un des auteurs de la Nouvelle Vague suédoise. Il a réalisé un making-of sur Les Communiants d'Ingmar Bergman, et a un parcours assez proche de celui de Bo Widerberg. Je décide donc d'abandonner Roy Andersson au profit des Mises en scène de la frontière dans 491. J'écris un mémoire tandis que mon directeur de recherches est malade. Je ne validerai jamais cette maîtrise. À la place, je pars en Suède. Mais aucun emploi n'est accessible avec une simple licence. Je cherche donc la formation qui me permettra d'utiliser ma cinéphilie à tendance nordique. Le master professionnel valorisation des patrimoines cinématographiques et audiovisuels préparé à l'Université Saint-Denis Paris 8 semble correspondre à mes exigences. Une année passée à l'Étranger est obligatoire. Après une maîtrise validée en neuf mois, en août 2004, tandis que le géant de l'exploitation cinématographique suédoise Svensk Filmindustri essaie de racheter Sandrews, je m'installe à nouveau en Suède.
Le premier film suédois que je vois dans la ville qui m'accueille est A Hole in my heart (Ett hål i mitt hjärta, 2004), projeté au cinéma Röda Kvarn (signifiant « Moulin Rouge »), à Stockholm. C'est un coup de foudre non partagé par le reste de la salle. Je viens de réaliser que le public suédois n'est pas friand de cinéma suédois. Étudiante Erasmus en filmologie à l'Université de Stockholm (à la Maison du Film, Filmhuset), j'effectue en parallèle un stage au département programmation du Festival international du film de Stockholm. C'est là que je croise Måns Månsson, venu déposer une copie de son court-métrage Kinchen. Quelques mois plus tard, je rencontre celui qui va devenir mon époux dans le cinéma d'art et d'essai Sture. Mon séjour Erasmus vient de devenir la première étape d'une émigration cinéphile qui va durer jusqu'à la mi 2009. Je vais découvrir des films inédits en France, assister à des débats et rencontrer des talents trop peu connus dans l'hexagone. Quand je rentre en France en 2009, je constate que le cinéma scandinave contemporain se résume à quelques noms. Et ce, bien qu'Ingmar Bergman soit mort en 2007. Je dois donc remédier à cette injustice. Écrire les ouvrages que je ne peux pas trouver en rayons est une idée qu'un employé de la Librairie Ciné Reflet à Paris m'a soufflée quand j'étais en licence.
Il faut attendre 2013 pour que je publie mon premier livre, dédié à la seule histoire du cinéma norvégien et 2015 pour que je puisse transcrire ma relation intime aux films suédois actuels.
Là où 101 ans de cinéma norvégien était avant tout une histoire chronologique, 15 ans de cinéma suédois contemporain se distingue en étant un ouvrage thématique. Ici, les habituelles sections sur les infrastructures, les sociétés de production, une poignée d'auteurs et quelques films à succès sont absentes.
Dans 15 ans de cinéma suédois contemporain, chefs d’œuvre et scandinavets se côtoient, car tous s'inscrivent dans un contexte social et esthétique, où palmarès, succès public ou renommée ne valent pas mieux qu'échecs, accueils tièdes et films indépendants confidentiels. Consacré aux films produits majoritairement par la Suède, quelles que soient l'origine de leurs cinéastes où les pays où les films sont tournés, 15 ans de cinéma suédois contemporain est un ouvrage de surface, qui, s'il remplit son objectif, vous donnera envie de découvrir des films rares, d'en revoir d'autres et d'aller peut-être en Suède confronter le cinéma suédois avec sa réalité.
Pourquoi le cinéma suédois contemporain ?
Parce qu'il est subtil, singulier et reflète la société.
ACRONYMES
DI : L'école du cinéma de Stockholm, Dramatiska Institutet
DN : Le quotidien Dagens Nyheter
FIPRESCI : Fédération Internationale de la Presse Cinématographique
NSD : Le quotidien Norrländska Socialdemokraten
SBB : Statens Biografbyrå, l'Office de censure
SF : Svensk Filmindustri
SFI : Svenska Filminsitutet, l'Institut suédois du film
SU : Université de Stockholm
SvD : Le quotidien Svenska Dagbladet
SVT : Sveriges Television, chaîne publique de TV suédoise
TPB : The Pirate Bay
UE : Union Européenne
VOD : Vidéo à la demande
PROLOGUE
Jusqu'à 2015, le cinéma suédois a connu trois âges d'or.
Le premier, durant la période muette, est celui des adaptations littéraires par des réalisateurs comme Victor Sjöström (1879-1960) ou Mauritz Stiller (1883-1928). Romantiques et tournés vers la nature, ces films vont sceller une esthétique que le professeur de cinéma suédois Bo Florin qualifie de style national. Ce style, lent, silencieux, introspectif, serait successivement critiqué puis adulé par-delà les frontières du royaume.
Le second âge d'or du cinéma suédois impressionne les cinéphiles trois décennies plus tard, dans les années cinquante, quand des films d'Alf Sjöberg, Arne Mattsson ou Ingmar Bergman sont récompensés dans des festivals internationaux, de Cannes aux Oscars. Ce second âge d'or fera prendre conscience aux autorités en Suède que le cinéma est une industrie et un art à prendre au sérieux. Toutefois, malgré l'apparition de nouveaux auteurs à l'esthétique singulière, le cinéma suédois va se raréfier sur les écrans étrangers, à l'exception de quelques Schwedenfilmer érotiques et du phénomène Ingmar Bergman.
Après les succès d'estime des années quatre-vingt, de Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander, 1982) à Ma Vie de chien (Mitt Liv som hund, 1985), il faut attendre les années deux-mille pour témoigner des débuts d'un troisième âge d'or pour le cinéma suédois.
Nouveau siècle, nouveaux réseaux
2000 est une année importante pour la Suède. Deux longs-métrages suédois concourent en Sélection officielle lors du cinquante-troisième Festival de Cannes. C'est pourtant un autre film scandinave qui gagne la Palme d'or : Dancer in the dark, film du Danois Lars von Trier, coproduit par et tourné en Suède. Les paysages de l'ouest suédois servent de milieu à une fiction produite par le voisin continental qu'est le Danemark. La même année, c'est aussi via le Danemark que la Suède rejoint le réseau ferroviaire et routier de l'Europe.
Membre de l'Union Européenne (UE) depuis 1995, la Suède assiste à l'inauguration, le 1er juillet 2000, du pont d'Öresund, entre la Scanie, région du sud du royaume et Copenhague. Grâce aux sept kilomètres la reliant au Danemark, la Suède a dorénavant un accès plus direct sur l'Europe. Six mois plus tard, le pays assure la présidence de l'UE. En l'espace d'à peine six années, le royaume s'est imposé dans le paysage européen.
Stockholm n'est pas la capitale du cinéma suédois
L'inauguration du pont d'Öresund aurait pu rester anecdotique. Devenu célèbre internationalement avec la série TV suédo-danoise Bron/Broen – écrite par le duo de Suédois Björn Stein et Måns Mårlind – le pont d'Öresund représente pourtant une excellente porte d'entrée dans le cinéma suédois d'aujourd'hui.
Métaphore d'un monde où les réseaux redessinent les cartes et les rapports de force, il rappelle que la Suède ne se résume pas à sa capitale. Ni dans le monde des affaires, ni dans le tourisme, ni même la culture.
Car malgré une forte concentration d'institutions dans la capitale suédoise depuis des décennies, Stockholm n'est pas vraiment la capitale du cinéma en Suède.
Rappel historique
La présentation d'images en mouvements apparaît à 500 km de Stockholm, en Scanie. C'est là que se déroulent les premières projections de bandes filmées, à Malmö, le 28 juin 1896. Non loin de là, à Kristianstad, une entreprise bientôt baptisée AB Svenska Biografteatern (abrégée Svenska Bio) construit le premier studio de cinéma suédois en 1907.
Svensk Filmindustri
En 1911, l'entreprise s'installe à Stockholm et fait construire des studios bien équipés en proche banlieue, à Lidingö, puis plus tard à Solna. Elle va développer ses activités et devenir une sorte de Pathé suédois, à la fois productrice, distributrice et exploitante. La Svenska Bio s'impose comme une société importante en 1916, quand Victor Sjöström met en scène le premier long-métrage suédois avec une intention artistique forte : Terje Vigen. La première du film est organisée au Röda Kvarn, salle stockholmoise inaugurée le 30 décembre 1915 et qui reste jusqu’à 2005[1] la salle de la capitale suédoise la plus ancienne détenue par la chaîne de cinémas de la Svensk Filmindustri (SF), nom de la Svenska Bio après sa fusion avec Filmindustri Skandia AB en 1919.
Terje Vigen, adaptation d'un poème de l’auteur norvégien Henrik Ibsen, émeut le public autant que la critique. Une ère propice débute pour la production et la diffusion du cinéma suédois. Dès la seconde moitié des années dix et le début des années vingt, le cinéma suédois conquiert le marché international. Terje Vigen est distribué aux États-Unis au printemps 1920 sous le titre A man there was. C'est un succès. Le film révèle la Suède comme pays producteur au reste du monde.
Pour accompagner cet essor est construite, à Solna, dans le quartier de Råsunda, « La Cité du cinéma » (Filmstaden). Mais aux lendemains de la Première Guerre mondiale, la Suède est touchée par la dépression. Le chômage atteint son point culminant en 1921, année où Victor Sjöström réalise La Charrette fantôme (Körkarlen, 1921), premier film tourné dans les studios de Filmstaden.En 1923, Victor Sjöström, part pour Hollywood et y réalise sous le nom de Victor Seastrom un premier film décevant: Le Glaive de la loi (1924). Il est rejoint en 1925 par son collègue Mauritz Stiller et l'actrice Greta Garbo. Pour Ture Dahlin, auteur d’un texte sur le cinéma suédois dans un numéro de « l’Art Cinématographique[2] » à Paris, c’est l'exaspération. Ce qui était supposé incarner une âme suédoise n’est plus. Avis que partagent des historiens qui nous sont contemporains comme Leif Furhammar (1937-2015) ou Jan Olsson (1951-).
Le départ de grands noms suédois devient synonyme de production cinématographique décadente – avec son lot de comédies populaires et de mélodrames – jusqu'à la moitié des années quarante. À partir de 1937, SF voit des concurrents apparaître comme EuropaFilm et Sandrews. Dans ce contexte assez peu remarquable artistiquement, SF demeure une firme puissante.
L'Institut suédois du film
Au début des années cinquante débute le second âge d'or du cinéma suédois. Des films triomphent dans les festivals internationaux, de Mademoiselle Julie (Fröken Julie, 1951) d'Alf Sjöberg aux Fraises sauvages (Smultronstället, 1957) d'Ingmar Bergman ou Elle n'a dansé qu'un seul été (Hon dansade en sommar, 1951) d'Arne Mattsson. En 1956, 80 millions de spectateurs vont encore au cinéma en Suède. L'année suivante, la Télévision entre dans les foyers et témoigne d'un succès fulgurant.
La fréquentation en salles chute. La production, également. Seulement 15 films sont produits en Suède en 1961. Cette crise dans l’industrie cinématographique pousse Harry Schein (1924-2006), alors époux de l'actrice du Silence Ingrid Thulin (1926-2004), à publier en 1962 un article intitulé « Pouvons-nous nous offrir la culture ? »[3]. Il s'avère que l'industrie cinématographique suédoise est sclérosée alors qu’un film suédois enregistre trois fois plus d’entrées qu’une production étrangère. En 1963, la fréquentation est à son niveau le plus bas : 40 millions d'entrées sont enregistrées, soit deux fois moins que seulement sept ans auparavant. La population s'élève à moins de 8 millions d'habitants, et déjà 1.8 million de téléviseurs ont été achetés. Il est impératif d'agir en faveur de l'industrie cinématographique suédoise.Harry Schein se sert de ses contacts politiques pour aider à la création de l'Institut suédois du film (SFI) en 1963. Le SFI est un organisme rappelant le Centre national du cinéma et de l'image animée français. Il veille à attribuer des subventions pour aider la production, la distribution, la promotion et crée bientôt une école spécialisée. Le cinéma est devenu une industrie culturelle importante en Suède. Une nouvelle ère débute.
Un contrat consigne les obligations, les opportunités et les formes de la taxe spéciale nouvellement mise en place pour remplacer une taxe punitive de 25%. Cet accord signé entre les producteurs, les distributeurs, les exploitants et le SFI est baptisé sobrement « le Traité cinématographique » (Filmavtalet). Tandis que sa première mouture est une nécessité, au fil des ans, le Traité semble de moins en moins adapté aux métamorphoses du marché du film. Malgré de premières modifications dans les années soixante-dix, et de nouveaux apports en moyenne tous les cinq ans, il accuse un retard de plus en plus marqué sur les réalités technologiques, artistiques et économiques du jour.
Dans les années quatre-vingt, les éditeurs vidéo ratifient le Traité, bientôt suivis par les chaînes de TV en 1992. Après tout, l'entrée de la vidéo domestique est partiellement responsable de la chute de la fréquentation en salles, et il semble naturel que ces nouveaux acteurs participent au financement du cinéma en reversant une part de leurs recettes. Après une suite de querelles, les éditeurs vidéo se retirent en 1998.
Les disputes sont nombreuses et fréquentes. En effet, la spécificité du Traité est sa nature injuste. Liant l’État suédois à l'industrie, contrôlé par des forces politiques (les salles de cinéma politisées) et par une minorité de grosses compagnies, le Traité ne dynamise plus la production depuis bien longtemps. Au lieu de cela, il ralentit les innovations technologiques, empêche l'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché et permet le financement de films peu originaux mais avec un fort potentiel populaire avantageant aussi bien les salles de cinéma que la poignée de producteurs mastodontes.
Au début du XXIe siècle, plusieurs personnalités du secteur cinématographique suédois – de petits producteurs surtout – questionnent la pertinence d'un accord écrit dans les années soixante, à une époque où la TV ne diffusait pas systématiquement de films et où des festivals ne se déroulaient pas annuellement dans chaque ville moyenne.
Le Traité, synonyme de qualité filmique dans la Suède des années soixante, est devenu un frein aux envies de cinéma de producteurs et réalisateurs indépendants. Ses limitations sont telles qu'un jeune producteur ne peut prétendre à aucune subvention si son projet n'a pas déjà trouvé de distributeur en salles avant même le tournage.
Plus le Traité est modifié, plus il fait grincer des dents. En juin 2014, la crise est consommée. Plusieurs signataires, parmi lesquels, les centres cinématographiques régionaux, se retirent. Ce départ, à une date qui peut paraître surprenante, est stratégique. L’accord en vigueur depuis le premier janvier 2013 est renouvelé automatiquement pour deux ans si aucun signataire ne se retire dix-huit mois avant l'échéance prévue. Espérant que la discussion suivant leur décision va finir d'enterrer ce texte, l'Association des producteurs de cinéma & de TV (Film- & TV-producenterna), et les centres régionaux Film i Väst, Filmpool Nord et Film i Skåne sont bientôt déçus. En septembre, les élections battent leur plein. Lena Adelsohn Liljeroth qui est encore ministre de la Culture pour quelques semaines fait valider le Traité version 2013. Pour deux ans de plus, alors que depuis 2006, de nombreux acteurs du secteur attendent le chant du cygne de ce vestige de 1963. Enfin, le 8 mai 2015, la nouvelle ministre de la Culture, Alice Bah Kuhnke, annonce que Le Traité cinématographique sera définitivement abandonné le 31 décembre 2016.
Craintes et espoirs naissent.
I. Pour les films suédois, en notre temps
Avec une quinzaine d'années de retard, l'aide à la production de films en Suède entre dans le XXIe siècle. Toutefois, un pan de l'industrie cinématographique traverse une crise profonde depuis plus d'une décennie : celui de la distribution et de l'exploitation.
Distribution et exploitation en crise
La Suède aime les monopoles en matière de vente d'alcool[4] comme de cinéma. SF, producteur, distributeur et exploitant historique du pays est en quasi situation de monopole. Le réalisateur Jan Troell (1931-), d'ordinaire réservé, dénonce cette situation quand son film Instants éternels (Maria Larssons eviga ögonblick, 2008), en lice pour le Golden Globe du meilleur film étranger, ne dispose d'aucun écran dans les cinémas des villes moyennes.
Il existe pourtant une volonté de proposer une expérience différente du cinéma, loin des multiplexes empestant le popcorn. Bien que les histoires de la distribution et de l'exploitation soient consignées, par exemple, par l'historien Leif Furhammar dans Filmen i Sverige (2003), aucun acteur de l'industrie cinématographique des années deux-mille n'a la bonne idée d'apprendre des erreurs du passé pour construire le présent et anticiper l'avenir. C'est ainsi qu'entre 2004 et 2007, un scénario malheureux et prévisible se répète. Triangelfilm (1988-2007) est une boîte de distribution orientée art et essai, basée à Malmö, en Scanie. En 2004, l'entreprise rachète, avec l'aide des sociétés Fladen Film et Atlantic Film, les salles de cinéma Sandrews.
Son objectif est d'imposer son nouveau réseau de salles comme le concurrent le plus sérieux de SF. Privilégier les films art et essai dans un parc de salles exclusives devrait redorer l'image du cinéma en salles. Dotées d'un nouveau logo vert acidulé aux yeux de chouette stylisés, rénovées et rebaptisées Astoria, ces salles doivent devenir l'alternative à SF que toute la Suède attend. À un oubli près.