Claude Monet: Vol 1
By Nathalia Brodskaïa and Nina Kalitina
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About this ebook
fascinent encore aujourd’hui les amateurs d’art à travers le monde.
Dans cet ouvrage composé de deux volumes illustrés, Nathalia Brodskaïa et Nina Kalitina nousv invitent à un voyage à travers le temps pour découvrir ou redécouvrir l’histoire d’un mouvement et d’un peintre aux destins à jamais liés : Claude Monet et l’impressionnisme. Spécialistes de l’art des XIXe et XXe siècles, les deux auteurs mettent en lumière la naissance de la modernité en peinture, véritable révolution qui a rendu possible l’épanouissement du paysage artistique du XXe siècle.
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Claude Monet - Nathalia Brodskaïa
illustrations
Pierre-Auguste Renoir, Portrait de Claude Monet, 1875.
Huile sur toile, 85 x 60,5 cm. Musée d’Orsay, Paris.
Préface
Impression, soleil levant, ainsi s’intitulait un des tableaux de Claude Monet présenté en 1874, à la première exposition de la « Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs, graveurs, etc. ». En prévision de cet événement, il sélectionna pour l’exposition les meilleurs de ses paysages havrais. Le journaliste Edmond Renoir, frère du peintre, s’occupait de la rédaction du catalogue. Il reprocha à Monet l’uniformité des titres de ses tableaux : le peintre n’avait rien inventé de plus intéressant que Vue du Havre. Parmi d’autres, il y avait un paysage peint le matin de bonne heure. Un brouillard bleuté y transforme en fantômes les contours des voiliers, des silhouettes noires de bateaux glissent sur l’eau et, au-dessus de l’horizon, se lève le disque orange et plat du soleil, qui trace sur la mer un premier sentier orange. Ce n’est même pas un tableau, mais plutôt, une esquisse spontanée à la peinture à l’huile ; il n’y a qu’ainsi que l’on peut saisir cet instant si fugitif où la mer et le ciel se figent en attendant la lumière aveuglante du jour. Le titre, Vue du Havre, ne convenait manifestement pas à ce tableau : le Havre en est totalement absent. « Écrivez Impression », dit Monet à Edmond Renoir, et ce fut là le début de l’histoire de l’impressionnisme. Le 25 avril 1874, le critique Louis Leroy publia, dans le journal Charivari, un article satirique qui racontait la visite de l’exposition par un artiste officiel. À mesure qu’il passe d’un tableau à un autre, le maître peu à peu perd la raison. Il prend la surface d’une œuvre de Camille Pissarro, représentant un champ labouré, pour les raclures d’une palette jetées sur une toile sale. Il n’arrive pas à discerner le bas du haut et un côté de l’autre. Le paysage de Claude Monet intitulé Boulevard des Capucines l’horrifie. C’est justement à Monet qu’il revient de porter à l’académicien le coup fatal. S’étant arrêté devant un paysage du Havre, il demande ce que représente ce tableau : Impression, soleil levant. « Impression, j’en étais sûr », marmonne l’académicien. « Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans… et quelle liberté, quelle aisance dans la facture ! Le papier peint à l’état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là ! ». Sur quoi, il se met à danser la gigue devant les tableaux, en s’écriant : « Hi ! Ho ! Je suis une impression ambulante, je suis une spatule vengeresse ! » Leroy intitula son article : « L’Exposition des impressionnistes ». Avec une agilité d’esprit purement française, à partir du titre du tableau, il avait forgé un nouveau mot. Il se trouva être si juste qu’il fut destiné à rester pour toujours dans le vocabulaire de l’histoire de l’art. « C’est moi-même qui ai trouvé le mot », dit Claude Monet en répondant aux questions d’un journaliste en 1880, « ou qui, du moins, par un tableau que j’avais exposé, ai fourni à un reporter quelconque du Figaro l’occasion de lancer ce brûlot. Il a eu du succès comme vous voyez ».
Pierre-Auguste Renoir, Claude Monet, 1872.
Huile sur toile, 65 x 50 cm. National Gallery of Art, Washington, D.C.
Monet, l’homme
Gustave Geffroy, ami et biographe de Claude Monet, a reproduit dans sa monographie sur le peintre deux de ses portraits. Sur le premier, réalisé par un artiste sans renom, Monet a dix-huit ans. Un jeune homme brun portant une blouse à rayures est assis à califourchon sur une chaise, les bras pliés appuyés sur le dossier. Cette pose est pleine d’ingénuité et de vie ; sur le visage encadré par des cheveux tombant jusqu’aux épaules se lit l’anxiété (dans les yeux) et la volonté (ligne de la bouche, menton).
La seconde partie du livre de Geffroy s’ouvre sur le photoportrait de Monet à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Un vieillard trapu à la barbe blanche en éventail se tient debout sur ses jambes largement écartées. Monet est tout calme et sagesse, il connaît la valeur des choses et ne croit qu’en la force immortelle de l’art. Ce n’est pas sans raison qu’il a voulu poser avec sa palette dans les mains, sur le fond d’un panneau de la suite des Nymphéas. Il existe de nombreuses représentations de Monet : autoportraits, œuvres d’amis parmi lesquelles celles de Manet et de Renoir, photoportraits de Carjat et Nadar qui ont gravé les traits de l’artiste à différents moments de sa vie.
De nombreuses descriptions de Monet nous sont parvenues, plus fréquentes après que le peintre fut devenu célèbre, quand journalistes et hommes de lettres cherchaient à le rencontrer.
Comment Monet apparaît-il à nos yeux ? Selon une photographie des années 1870, c’est un homme déjà mûr, à la barbe et à la moustache épaisses et noires. Un front légèrement recouvert de cheveux coupés court et des yeux bruns très vifs. Tout son visage exprime l’énergie et l’assurance. C’est Monet, dans une lutte tendue et sans merci pour affirmer de nouveaux idéaux esthétiques. Un autoportrait datant de 1886 le représente coiffé d’un béret.
C’est à cette époque que Geffroy fit sa connaissance à Belle-Île sur la côte sud de la Bretagne. « À première vue, j’aurais pu le prendre pour un des pilotes qui se réunissaient là presque chaque jour, car il était botté, vêtu, coiffé à peu près comme eux, pour affronter le vent et la pluie de la côte… » Quelques lignes plus loin Geffroy ajoute : « Un fort gaillard, vêtu d’un tricot, coiffé d’un béret, la barbe en broussaille et les yeux brillants, aigus qui me transpercèrent dès la porte. »
En 1919, Monet qui vivait presque en ermite à Giverny, non loin de Vernon, eut la visite de Fernand Léger qui a vu devant lui « un petit homme coiffé d’un panama et portant un élégant costume gris clair coupé à l’anglaise… Il avait une grande barbe blanche, un visage rosé et de petits yeux gais et vifs reflétant un peu de méfiance… »
Les portraits littéraires et picturaux représentent Monet comme un homme instable, versatile et inquiet. Il pouvait donner l’impression d’être audacieux et résolu, il pouvait sembler (surtout dans la deuxième moitié de sa vie) sûr de lui et calme. Mais le calme et la maîtrise de soi chez Monet n’étaient qu’une apparence.
Ses amis de jeunesse, Bazille, Renoir, Cézanne, Manet et ceux qui venaient le voir à Giverny, Gustave Geffroy, Octave Mirbeau et Georges Clemenceau, savaient bien à quels accès d’insatisfaction il était sujet et quels doutes affreux il éprouvait. La colère accumulée, le mécontentement de soi-même se manifestaient dans des actes déchaînés, spontanés, au cours desquels Monet détruisait des dizaines de toiles, grattant la couleur, les découpant en morceaux et les brûlant parfois.
Le marchand de tableaux Paul Durand-Ruel, auquel Monet était lié par un contrat, recevait de lui une quantité de lettres qui lui demandaient de retarder le jour de la présentation des tableaux. Monet disait qu’il a « non seulement gratté, mais crevé » les études commencées et que, pour être satisfait, il devait apporter des corrections et que le résultat n’était pas en rapport avec le mal qu’il s’était donné et qu’il était « dans une mauvaise passe ; bon à rien ».
Le peintre était capable d’accomplir des actes héroïques, dictés par le devoir et par un sens civique noble, et en même temps il montrait parfois de la lâcheté, et avait des sautes d’humeur incohérentes. En 1872, accompagné du peintre Eugène Boudin, Monet rendit visite à l’idole de sa jeunesse, Gustave Courbet, qui était alors en prison. Cet événement n’était en soi pas très important, mais dans les conditions de persécution générale auxquelles était soumis le communard Courbet, ce geste était de la part de Monet, hardi et noble.
Envers la mémoire d’Édouard Manet, Monet agit comme ne le fit aucun de ceux qui avaient appartenu à l’entourage de l’ancien chef du groupe des Batignolles. En 1889, ayant appris du peintre américain Sargent que l’Olympia de Manet pouvait être vendue aux ╔États-Unis, Monet mobilisa l’intelligentsia française pour faire une collecte et acheter le tableau afin de le remettre au Louvre. Dans les années 1890, lors de l’affaire Dreyfus, Monet prit le parti des Dreyfusards, admirant le courage d’Émile Zola.
Pierre-Auguste Renoir, Portrait de Claude Monet, 1872.
Huile sur toile, 61 x 50 cm. Musée Marmottan, Paris.
La Pointe de la Hève à marée basse, 1865.
Huile sur toile, 90,2 x 150,5 cm. Kimbell Art Museum, Fort Worth (Texas).
L’Impressionnisme
Les Impressionnistes et l’école classique
L’épisode suivant révèle la générosité de son caractère : devenu veuf, Monet s’unit dans les années 1880 à Alice Hoschedé qui avait cinq enfants d’un premier mariage. Monet les accueillit de grand cœur et les appela toujours « mes enfants ». Mais sa conduite fût moins noble lorsque, à la fin des années 1860, dans une période de grande pauvreté et d’incompréhension, il abandonna plusieurs fois sa première femme Camille et son petit garçon Jean. Le désespoir l’emportant, il se jetait à corps perdu dans n’importe quelle entreprise pour fuir son entourage et quitter l’endroit où il avait connu des échecs dans sa vie quotidienne et artistique. Un jour, il voulut même se suicider. Il se conduisit incorrectement envers les autres impressionnistes lorsque, suivant l’exemple de Renoir, il refusa de participer à la cinquième, sixième et huitième exposition du groupe, violant ainsi « l’union sacrée ». Degas, apprenant le refus de Monet d’exposer en 1880 avec les impressionnistes, l’accusa de faire une publicité tapageuse. Il était absolument intolérant et injustement hostile envers Paul Gauguin. Ces exemples révèlent l’ambiguïté du caractère de Monet.
Il semble qu’il soit risqué de diviser une personnalité en deux : d’un côté, un homme ordinaire dans toute sa complexité et avec sa vie trépidante, d’un autre, un peintre brillant qui a inscrit son nom dans l’histoire de l’art mondial. Les grandes œuvres ne sont pas créées par des prototypes humains idéaux et si la connaissance de leur caractère n’aide pas à comprendre leurs chefs-d’œuvre, celle-ci est importante pour en saisir la genèse.
Les tâtonnements de Monet, le constant mécontentement de soi, la spontanéité et une grande sensibilité se transformant en un esprit froid et méthodique, la conscience de soi comme personnalité associée aux intérêts