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La pensée dirigée: Traité sur le raisonnement et les logiques
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La pensée dirigée: Traité sur le raisonnement et les logiques

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La pensée dirigée. Traité sur le raisonnement et les logiques

Le qualificatif « dirigée » appliqué à la pensée représente une direction (sans aucune connotation de domination ou d’autorité), un mouvement déterminé, un développement, une évolution, comme une flèche qui relie un point de départ à un point d’arrivée ou à un but que nous espérons atteindre, un chemin que parcourt la pensée entre deux « lieux ».
Ce traité recense une grande diversité de modes de raisonnement, depuis l’intuition jusqu’aux différentes logiques, en passant par l’analogie. Il fournit des clés pour être plus efficace dans les prises de décision, pour être plus convaincant dans les discussions, mais aussi pour mieux comprendre le monde, les sciences, notre environnement, les individus et les sociétés, etc.
LanguageFrançais
Release dateAug 26, 2016
ISBN9782322115822
La pensée dirigée: Traité sur le raisonnement et les logiques
Author

Claire Wagner-Rémy

Mathématicienne de formation, écrivain et journaliste scientifique, Claire WAGNER-REMY s'est intéressée à l'histoire des sciences et à ceux et celles qui l'ont faite. Outre la rédaction d'articles et de traités scientifiques, elle a publié des traductions de textes de physiciens du XXe siècle. C'est en découvrant la correspondance entre Albert Einstein et Mileva qu'elle s'est attachée à reconstituer la vie méconnue de cette femme de sciences.

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    La pensée dirigée - Claire Wagner-Rémy

    TABLE DES MATIERES

    Introduction

    Prologue

    Chapitre 1.

    L’homme ou la machine - Un essai de définition de l’intelligence artificielle – Algorithmique - Raisonnement et informatique

    Chapitre 2.

    Raison et logique, le latin et le grec - Le mouvement de la pensée : la fin et les moyens - Transcrire le raisonnement - Raisonnement et construction du monde - Du cosmos au chaos

    Chapitre 3.

    Causalité et raisonnement scientifique - La finalité, déclinaison de la causalité - Les rôles de la causalité et de la finalité - Le sens du raisonnement - La pensée contrainte

    Chapitre 4.

    Raison du raisonnement - Raisonnement et réalité - En deçà du raisonnement - Connaître ou reconnaître - De l’observation à la théorie - Connaissances et métaconnaissances - Apprentissage et mémoire, association et identité

    Chapitre 5.

    Sujet et objet - Objectivité et subjectivité - Raisonnement et libre-arbitre - Le règne de la quantité - Négation et non-dualité

    Chapitre 6.

    Qu’est-ce que raisonner ? - Raisonnement et vérité - Raisonnement et jugement - Raisonnement et discussion : la dialectique - Raisonnement et négation

    Chapitre 7.

    Différentes formes de raisonnement - Bon sens, reproduction, répétition, degré zéro du raisonnement - Le raisonnement proprement dit - L’intuition - Raisonnement et communication - Raisonnement et évolution - Général et particulier - Limites du raisonnement

    Chapitre 8.

    Le tout et les parties - Systèmes et systémique – La démarche analytique - Le structuralisme - Cartes et territoires - Les fractales - L’holographie - L’analyse non standard - Notion d’émergence - Des neurones au cerveau - Boîte noire, boîte blanche

    Chapitre 9.

    Raisonnement qualitatif - Raisonnement associatif - L’analogie - Raisonnement basé sur le cas - Analogie, modèle ou artefact - Théorie des catastrophes et morphogénèse - Analogie informatique : le paradigme de l’ordinateur - Deux modèles pour l’intelligence

    Chapitre 10.

    La logique - Origine et formes de la logique - Un mode de raisonnement universel - Les principes de la logique classique - Failles et écueils de la logique - Implication et inférence - Règles d’inférence et chaînage avant ou arrière - Déduction, induction, abduction - Logique, temps et causalité

    Chapitre 11.

    Logique et mathématiques - Logique et théorie des ensembles - Logique propositionnelle et calcul des prédicats - Le formalisme et ses limites - Constructivisme et intuitionnisme

    Chapitre 12.

    Logique classique et paradoxes - Sortir de la logique classique - Le cas des géométries non euclidiennes - Vers les logiques non standard - Logiques non standard et diversité

    Chapitre 13.

    Modalités et vérité - Possibilité, contingence et nécessité - L’évidentialité - Logiques modales - Logique épistémique - Logiques possibiliste et probabiliste - Logique non monotone - Logique temporelle, logique spatiale - Logique de l’action

    Chapitre 14.

    Logiques multivalentes - Logique quantique - Logique floue - Logique floue et linguistique - Applications de la logique floue

    Chapitre 15.

    Raisonnements volontairement absurdes, aberrants ou impossibles - Le hasard contre la raison - Sérendipité et voies détournées - Clinamen et ‘Pataphysique - Double contrainte et dilemme - Systèmes exotiques - La méthode paranoïaque-critique

    Conclusion

    Annexe : Repères biographiques

    Index alphabétique des auteurs

    INTRODUCTION

    Pourquoi n’apprend-on pas à raisonner ? Pourquoi le raisonnement n’est-il pas enseigné dans les écoles ? Tout au plus, certains de ses aspects sont-ils abordés en tant que notions historiques ou littéraires en classe terminale des filières générales.

    Sans la maîtrise du raisonnement, nous sommes condamnés à croire ce qui nous est communiqué ; nous nous livrons pieds et poings liés aux experts ; les médias parlent de pédagogie [1] au lieu d’explication ; l’enseignement affiche comme objectif la transmission des savoirs et non le développement des connaissances, etc. Il ne s’agit pas là de nuances sémantiques, mais bien de fossé qui sépare ces différents termes. Lors d’une discussion, l’expression « C’est plus compliqué que cela » coupe court à tout raisonnement. La liste serait longue de tous ces raccourcis qui nous dispensent de raisonner, ou même d’imaginer qu’il existe un raisonnement qui fait passer d’une situation donnée à un ordre ou une injonction.

    John Taylor Gatto, enseignant américain, auteur d’essais critiquant le principe de l’école obligatoire pour l’éducation des enfants, cite les dix capacités essentielles pour réussir à s’adapter au monde du travail en changement rapide, selon l’une des institutions de Harvard [2] :

    Définir des problèmes sans guide.

    Mettre en question des présuppositions largement admises.

    Travailler en équipe sans direction de conduite.

    Travailler complètement seul.

    Persuader autrui que vous avez raison.

    Discuter des problèmes et des techniques en public concernant des décisions politiques.

    Conceptualiser et réorganiser l’information pour créer de nouvelles combinaisons.

    Tirer rapidement l’information pertinente à partir de masses de données.

    Penser de manière inductive, déductive et dialectique.

    Attaquer des problèmes de manière heuristique.

    Les termes soulignés par J.T. Gatto mettent en exergue l’importance de l’autonomie dans la pensée, ce qui entre en contradiction non seulement avec les méthodes d’enseignement général qui s’adressent aux enfants, mais aussi et surtout avec la manière dont les « autorités » (politiques, économiques, médiatiques, etc.) s’adressent au « peuple » (cf. note [1]), alors que celui-ci devrait être considéré comme formé de personnes adultes et responsables.

    Raisonner, c’est être capable d’organiser sa pensée, de la diriger soi-même, sans l’asservir à des idées toutes faites, à des idéologies ou à des autorités, quelles qu’elles soient. Raisonner permet de se convaincre et de convaincre d’autres personnes, au lieu d’être soumis aux dictats. Maîtriser le raisonnement, c’est se libérer de tout assujettissement mental, et par suite de toute forme d’assujettissement en général.

    *

    « Il existe trois sortes de cerveaux : les uns comprennent les choses d’eux-mêmes, les seconds quand elles leur sont expliquées, les troisièmes ne comprennent ni d’une façon ni de l’autre ; les premiers sont les meilleurs, les seconds encore excellents, les troisièmes inutiles », dit Machiavel. Le raisonnement ainsi que ce livre s’adressent principalement aux seconds.

    Notes

    [1] « pédagogie » vient du grec παιδαγωγειν (paidagogein) signifiant « conduire les enfants », lui-même issu de παις (pais), « l’enfant », et αγωγος (agogos), « le guide ». Ce terme est aujourd’hui utilisé couramment à l’intention d’adultes. Ceux-ci ont-ils envie d’être conduits ou guidés comme des enfants ?

    [2] Texte original de John Taylor Gatto (The Curriculum of Necessity or What Must an Educated Person Know?) :

    Ten qualities were offered as essential to successfully adapting to the rapidly changing world of work :

    The ability to define problems without a guide.

    The ability to ask hard questions which challenge prevailing assumptions.

    The ability to work in teams without guidance.

    The ability to work absolutely alone.

    The ability to persuade others that your course is the right one.

    The ability to discuss issues and techniques in public with an eye to reaching decisions about policy.

    The ability to conceptualize and reorganize information into new patterns.

    The ability to pull what you need quickly from masses of irrelevant data.

    The ability to think inductively, deductively, and dialectically.

    The ability to attack problems heuristically.

    PROLOGUE

    L’homme commence à raisonner lorsqu’il sort de la préhistoire pour entrer dans l’histoire, lorsqu’il prend conscience de son individualité, de sa séparation du cosmos ou de la divinité, de sa sortie du monde mythique, de son existence dans le monde temporel. Il cherche à comprendre l’univers qui l’entoure, à l’expliquer, à le maîtriser. Il structure sa pensée, invente le langage pour la communiquer, il lui donne une direction, un sens, il l’oriente vers un but, une cible, un objectif. Il se dote d’une technique de pensée, le raisonnement, ce que nous appellerons la « pensée dirigée ». Même si, en nous référant aux récentes avancées archéologiques, nous devons admettre que cette « pensée dirigée » est probablement bien antérieure à la période historique : « Les gestes impliqués dans les chaînes opératoires, dont la séquence se tend vers un but, le biface, sont tout à fait homologues d’un point de vue cognitif à la construction des phrases dans le langage humain. La retouche, par exemple, s’identifie à une propriété particulière du langage qui est la récursivité. » [1]

    Le présent traité n’a pas pour ambition de retracer la genèse du raisonnement ni d’écrire une histoire de la logique. Pour suivre la chronologie, le lecteur pourra se reporter à l’annexe « Repères biographiques ». Il ne vise pas plus à faire « avancer » le sujet qui a déjà été amplement développé au cours des siècles par les philosophes, logiciens, linguistes, épistémologues, ni même d’en proposer une étude exhaustive. Notre objectif est plutôt de replacer les différents modes de raisonnement les uns par rapport aux autres, de montrer leur diversité, leur complémentarité, leurs limites, et surtout de faire comprendre au lecteur, sans l’ensevelir sous des amoncellements de formules absconses, que cette matière est toujours vivante et que chacun peut y puiser matière à penser, y trouver des outils pour aller plus loin ou y ajouter ses propres réflexions.

    Cette étude nous a conduit à appliquer notre pensée à l’étude de la pensée, nos idées pour comprendre l’émergence des idées, notre raisonnement à l’analyse du raisonnement, notre intelligence à la réflexion sur différents aspects de l’intelligence, en général. Cette autoréférence omniprésente mais inévitable est sans doute à l’origine de la distorsion affectant certains développements, dont nous espérons que le lecteur ne nous tiendra pas rigueur. Toutefois, afin de prendre du recul par rapport à l’autoréférence, nous nous sommes appuyés sur de nombreux résultats, depuis les plus anciens, élaborés par les penseurs de la Grèce antique, jusqu’aux avancées récentes, notamment celles motivées par la conception de logiciels et de systèmes informatiques, et de les articuler par rapport à notre expérience personnelle de l’activité intellectuelle, de l’intelligence, de la capacité à raisonner.

    A quelques exceptions près, puisées notamment dans la pensée et la culture indiennes et chinoises, nous avons essentiellement limité notre étude à la pensée occidentale, sachant qu’il existe d’autres modes de fonctionnement mental chez d’autres peuples, notamment extrême-orientaux, africains, amérindiens, etc., sans doute très féconds, mais nécessitant une investigation poussée de ces civilisations que nous n’avons pas effectuée dans le cadre du présent ouvrage.

    Note

    [1] Pascal Picq, L’archéologie entre le passé et l’avenir de l’homme, in « L’avenir du passé », ouvrage collectif, La Découverte, 2008.

    CHAPITRE 1.

    « Ce qui est simple est faux, ce qui est compliqué est inutilisable. » (Paul Valéry)

    L’étude du fonctionnement des ordinateurs, de l’informatique et singulièrement de l’intelligence artificielle a constitué le point de départ de la présente investigation sur le raisonnement et la logique. La réflexion sur les ordinateurs entraîne, en effet, une nouvelle manière de nous regarder penser, de considérer le monde et notre relation à lui. Les travaux en intelligence artificielle s’appuient sur ceux des logiciens et des mathématiciens, mais ont aussi montré la nécessité de recourir à de nouvelles logiques et de chercher une formulation pour celles-ci, au-delà de la logique formelle classique. Enfin, ces mêmes travaux mettent en évidence la difficulté, voire l’impossibilité à formaliser certains raisonnements qui, bien que très féconds, demeurent implicites.

    L’homme ou la machine

    Nous sommes en 1991. Je suis chargée de donner une conférence sur l’intelligence artificielle devant un auditoire grec dans le cadre d’un séminaire organisé à Paris sur le thème des « technosciences ». Je reproduis ici un extrait de mon intervention intitulée « Le renouvellement des logiques par les technosciences ».

    Imaginons que, pendant que je vous parle en français, vous entendez mes paroles en grec via des écouteurs miniaturisés. Mon discours pourrait aussi s’inscrire automatiquement sur un petit écran plat devant vos yeux, ou s’imprimer grâce à une imprimante portative, dans la langue que vous souhaitez. Seulement voilà : vous êtes assis là, certains devant une feuille de papier ou un bloc-notes, d’autres munis d’un petit magnétophone de poche. Vous me comprenez grâce à une excellente interprète tout à fait humaine, qui vous permet d’entendre mes propos dans votre langue maternelle par le truchement d’un casque audio, et vous êtes obligés de prendre des notes si vous voulez garder une trace écrite de ce que je vous raconte.

    Pourquoi ce scénario ? Parce que dans les années 1950, donc une quarantaine d’années plus tôt, on commençait à entrevoir ce type d’applications pour l’ordinateur. Il était alors utilisé surtout comme calculateur, dans des applications essentiellement militaires, industrielles et spatiales telles que la balistique, les calculs de trajectoires, l’industrie nucléaire, l’aéronautique, la météo et toutes ces choses qui demandent énormément de calculs. Mais les ingénieurs imaginaient aussi de pouvoir l’utiliser dans d’autres applications. La faisabilité d’un système capable de résoudre les problèmes les plus généraux (General Problem Solver) a fait l’objet de nombreuses recherches. Et la fin des années cinquante et le début des années soixante ont aussi été l’époque des grands programmes spatiaux. L’URSS était pionnier dans ce domaine, avec le Spoutnik, le premier engin envoyé par les hommes dans l’espace et capable d’émettre des informations depuis là-haut. Avides de profiter des progrès des Soviétiques sur ce sujet, et surtout désireux de les surpasser, ne fût-ce que pour des raisons idéologiques, les Américains se sont attaqués au problème de la traduction automatique.

    La traduction est évidemment un problème fondamentalement différent de celui qui consiste à calculer des masses, des volumes, des vitesses, etc., c’est-à-dire des valeurs numériques. Là, les données ne sont plus des nombres, mais des suites de mots composés de caractères alphabétiques, entrecoupées de ponctuation. Chaque mot peut être transcrit numériquement, il suffit pour cela de lui affecter une valeur numérique (codage), de numériser un dictionnaire et de retranscrire à nouveau les mots dans la langue cible. Mais cette opération ne permet d’effectuer qu’une traduction mot à mot, ce qui n’est évidemment pas suffisant. Il faut ajouter des codes pour exprimer des règles grammaticales (accords des mots, conjugaison des verbes, déclinaison des noms, etc.) ; il faut tenir compte du contexte pour trouver l’équivalent exact d’un mot possédant des homonymes, prendre des expressions comme un tout et les transposer, reconnaître des allusions, des éléments culturels implicites, etc. Chacune de ces opérations représente déjà un problème complexe, mais réalisable. Toutefois, même les programmes qui affirment intégrer toutes ces informations donnent des résultats décevants. Les exemples, plus ou moins véridiques, des pièges de la traduction automatique sont légion. On raconte qu’après un aller-retour entre français et russe, la phrase « l’esprit est fort, mais la chair est faible » est devenue « la vodka est bonne, mais la viande est pourrie » ; qu’une machine à traduire de l’anglais au chinois, partant de la devise « Out of sight, out of mind » (« Loin des yeux, loin du cœur »), a généré une expression chinoise signifiant « Invisible idiot » ! Nous pourrions encore évoquer les nombreuses notices d’appareils fabriqués en Asie, dont le mode d’emploi dans une langue européenne est parfaitement saugrenu.

    A ce jour, après plus d’un demi-siècle de recherche, la traduction automatique, et plus généralement le traitement du langage naturel, ne donne pas encore des résultats complètement satisfaisants. C’est que, pour faire une bonne traduction, il faut de l’intelligence, c’est-à-dire une certaine capacité à raisonner. Un concept bien difficile à définir, une fonction délicate à cerner et à reproduire, et un problème fondamental sur lequel se sont penchés les chercheurs en intelligence artificielle.

    Un essai de définition de l’intelligence artificielle

    Signalons en préambule que le terme « intelligence artificielle » (Artificial Intelligence) a été inventé par l’Américain John McCarthy. A ses débuts, ce terme a suscité de vives polémiques quant à la possibilité d’appliquer l’intelligence, cette caractéristique des êtres pensants, à des machines. Notre propos n’est pas ici d’entrer dans ce débat, que nous considérons d’ailleurs comme un combat d’arrière-garde. En effet, il ne s’agit nullement d’une sorte d’ « intelligence » qui serait synthétisée par l’ordinateur et il faudrait être un « savant fou » pour chercher à ravir cette particularité de l’homme qu’est l’intelligence pour l’incarner dans un objet mécanique ou électronique.

    Avant d’aborder le fonctionnement de la pensée humaine, nous commençons donc par nous intéresser à celui des ordinateurs. A l’origine, l’ordinateur n’est autre qu’un calculateur évolué, comme en témoigne le terme anglo-saxon computer, venant d’un ancien mot français relatif aux comptes. Lorsque, dans la suite de ce développement, nous parlerons d’ordinateurs, nous entendrons ce terme au sens large, sachant que le fonctionnement de tous les dispositifs électroniques que nous utilisons, du téléphone mobile au lave-linge, en passant par l’automobile et les moteurs de recherche, est régi par un ordinateur qui constitue le cœur de ces dispositifs.

    L’ordinateur est un outil particulièrement intéressant pour aborder le sujet du raisonnement qui nous occupe ici car, dans la mesure où il est utilisé pour résoudre ou aider à résoudre des problèmes, il permet de comprendre ce que nous entendons par « raisonnement » en obligeant à décomposer celui-ci, ainsi que les capacités dont un individu (ou une entité) doit être doté pour raisonner. Capacités que nous désignons sous le terme générique d’« intelligence », sans prétendre définir ce dernier terme.

    Pour schématiser, il existe trois manières de poser un problème et de le résoudre ou le faire résoudre par un ordinateur :

    Étant donné des valeurs numériques définies, le problème consiste à calculer une valeur dérivée. Par exemple, nous connaissons les dimensions d’un cube et sa densité, et voulons obtenir sa masse. Nous appliquons une formule, remplaçons les paramètres par des valeurs numériques et obtenons un et un seul résultat. C’est le calcul numérique.

    Étant donné un problème que nous savons résoudre, et dont la résolution consiste dans une suite d’opérations (algorithme), à chaque jeu de données en entrée correspond une donnée en sortie, après application de la formule ou de l’algorithme. C’est le calcul formel ou algorithmique.

    Étant donné une catégorie de problèmes dans un certain domaine de compétences, nous ne connaissons pas a priori la manière de le résoudre (traitement, suite d’opérations ou algorithme), mais savons quelles sont les lois ou les règles (base de connaissances) qui régissent ce domaine. Nous entrons dans le domaine de l’« intelligence ».

    A partir de ces trois problèmes se dégagent les différents types de traitements automatiques. Le premier est résolu à l’aide d’une simple calculatrice (calculette). Le deuxième fait l’objet d’un traitement informatique classique, c’est-à-dire d’un programme algorithmique ou procédural. Le troisième problème peut également être résolu par traitement informatique, mais d’un type spécial que l’on désigne par « intelligence artificielle » (IA), « système expert » ou « système à base de règles » ; une règle s’énonce souvent sous la forme « si P1, alors P2 » ; c’est un mode de raisonnement classique, appelé « inférence », qui consiste à inférer une nouvelle proposition P2 (conclusion) à partir d’une proposition initiale P1 (prémisse).

    Le cœur d’un programme d’IA est une sorte de programme informatique appelé « moteur d’inférence », qui consiste à articuler les propositions entre elles. Ainsi, un programme d’IA peut se dérouler des prémisses vers les conclusions (chaînage avant) ou des conclusions vers les prémisses (chaînage arrière), ce dernier mode servant à vérifier si une situation finale est possible et quelles conditions initiales doivent être remplies à cet effet.

    Un tel programme simule une forme d’intelligence, dans la mesure où il n’exécute pas une séquence d’opérations définie a priori par le programmeur, mais grâce à son « moteur d’inférence », qui se charge d’enchaîner les règles de la base de connaissances à partir d’une situation donnée en entrée (base de faits), il parvient à une situation finale en sortie, en réponse à la situation initiale. La sortie correspond à la résolution du problème, ce dernier étant exprimé dans la base de faits. Pour cela, le programme peut procéder par tâtonnement, en avançant pas à pas vers la solution comme s’il naviguait dans un labyrinthe, revenant en arrière dès qu’il se heurte à une impasse. La principale difficulté de ce type de procédure réside dans le fait que, pour beaucoup de problèmes, le nombre de chemins possibles vers la solution est excessivement grand, c’est la fameuse « explosion combinatoire ». Pour limiter l’espace de recherche, plusieurs pistes ont été explorées. Dans certains cas, le programme trouve par lui-même la manière de résoudre le problème, d’où le nom de ce type de programmation : « heuristique » (du grec ευρισκειν, euriskein, trouver). Dans d’autres cas, le programme calcule l’action optimale à effectuer dans une situation donnée pour parvenir à une solution. Ce dernier type d’approche s’appuie sur des théories plus anciennes, comme la cybernétique (du grec κυβερνησις, kubernèsis, action de gouverner, de diriger à l’aide d’un gouvernail), conçue par Norbert Wiener dans les années 1940 et développée par McCulloch et Pitts. Ces programmes peuvent être complétés par des capacités d’apprentissage ou de reconnaissance – notions nécessitant une certaine intelligence. Par exemple, la loi d’apprentissage de Hebb et le perceptron de Rosenblatt dans les années 1960, et les réseaux de neurones formels de Hopfield dans les années 1980, ont été utilisés pour la reconnaissance d’image ou plus généralement de signal.

    D’une manière générale, l’IA se fonde sur l’hypothèse que le raisonnement humain est un processus qui peut être automatisé. Ses premières applications ont été la démonstration de théorèmes, la résolution de problèmes mathématiques, les jeux de stratégie (échecs), le déchiffrement de codes secrets, la traduction automatique, la reconnaissance de la parole, la compréhension de la langue naturelle, la vision et la reconnaissance d’images, la robotique… tous processus ou dispositifs nécessitant une certaine autonomie. Pour certaines de ces applications, les recherches commencées depuis plusieurs décennies n’ont toujours pas abouti à des systèmes réellement efficaces. Dans d’autres cas, comme le diagnostic médical ou mécanique, l’aide à la décision dans une situation bien définie, certains jeux de stratégie, bref dans les domaines où les connaissances sont explicites et peuvent être énoncées à peu près exhaustivement, les résultats sont assez concluants.

    Par exemple, dans le jeu d’échec, les positions de toutes les pièces sont connues et les règles du jeu sont bien déterminées et complètes. Le but est de prendre le roi de l’adversaire, étant donné une

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