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Vieux Bouté entre tempêtes
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Ebook56 pages54 minutes

Vieux Bouté entre tempêtes

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Un vagabond dans une ville étrangère. Il suffit d'un rien pour que sa vie bascule.
Une nouvelle sur la présence et l'absence, sur le droit de parler et le devoir de se taire, sur la place de l'autre dans nos villes.
LanguageFrançais
PublisherXinXii
Release dateApr 5, 2017
ISBN9782955882009
Vieux Bouté entre tempêtes

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    Vieux Bouté entre tempêtes - Eric Bernard

    2

    1

    Les enfants lui jetèrent des pierres. Il se déplaça un peu pour les éviter, sans mouvement brusque, sans colère. Il avait l’habitude. Ces enfants, il les connaissait depuis qu’ils étaient nés. Ils n’étaient pas méchants. Ils lui lançaient de petites pierres pour jouer, comme on remue un crapaud amorphe avec un bâton. Pour se convaincre qu’il est encore vivant. Le mouvement qu’il esquissa suffit à faire cesser le jeu. Satisfaits pour les plus grands, un peu effrayés pour les petits, les enfants s’enfuirent en criant. Il se retrouva seul à nouveau, seul à l’orée de ce qui voulait pompeusement se décrire comme une ville, immense et vide, et qui n’était qu’une presque ville, une cité potentielle, un embryon de civilisation.

    Le soleil commençait à frapper fort la toile bleue qui fermait un côté de son abri. Bien qu’elle soit en plastique, il en émanait une odeur de viande brûlée mêlée à un je-ne-sais-quoi de plus indéfinissable, une odeur âcre qui pouvait être associée à de la poussière ou de la sueur. Ces relents indéterminés, favorisés par la chaleur maintenant implacable, rendaient la proximité de son abri difficilement supportable. Autour de lui le terrain vague – moitié chantier, moitié décharge – s’épanchait vers les premiers contreforts de la ville. La terre sèche et sablonneuse léchait les bâtiments en construction, dans une lutte encore incertaine. De son point de vue, il était difficile de déterminer quelle friche était primordiale et laquelle, au bout du compte, aurait le dessus. Les constructions semblaient parfois redevenir poussière tout comme le sable, mis en mouvement par le va-et-vient des bétonneuses, se transformait lentement en bâtisse. Depuis son installation sur ce terrain, Bouté ne pouvait pas s’assurer d’une avancée significative de l’un ou de l’autre. La presque ville veillait campée sur sa ceinture de sable et celle-ci semblait attendre patiemment son heure pour reprendre son dû. Il se leva enfin pour contempler son empire fouetté par les vents et mordu par le soleil. Il aimait ce moment où, après l’incursion matinale et furtive des enfants se rendant à l’école, il pouvait se croire seul au monde. Aucune âme à l’horizon, ni chien errant, ni bétail marron, ni le moindre poulet imprudent ne se risquait encore à traverser ces vestiges d’un futur incertain. Il aimait son coin de terre. Il y avait trouvé un refuge au bord du monde, le havre de paix qu’il cherchait depuis longtemps.

    Il ne manquait de rien. La solitude était d’autant moins pesante qu’il lui suffisait d‘une poignée de minutes pour atteindre les premiers bâtiments. Le feu dont il se servait avec parcimonie pour ses rares repas chauds et dont il maintenait les braises aussi longtemps que possible ne pouvait gêner personne et il n’y avait aucun risque d’incendie dans sa cahutte. Ses rares possessions étaient soigneusement rangées et par chance il n’avait connu aucun vol depuis son installation, malgré quelques visites inopportunes. Il avait de l’eau propre disponible à profusion grâce à une pompe de chantier encore en service. Manquer d’eau était sa plus grande crainte, moins pour boire que pour être propre autant qu’il lui était possible. Ses vêtements étaient usés certes, mais propres. Il y veillait avec le plus grand soin. Sa barbe grisonnante, qu’il taillait régulièrement avec de vieux ciseaux qu’il avait remoulés lui-même sur une pierre dure du terrain vague, était noble et il prenait soin à ce que ses cheveux ne soient jamais trop longs. Tous les jours en se levant, il regardait de l’autre côté de la démarcation, vers la ville, comme s’il craignait qu’un matin les bâtiments aient profité de la nuit pour l’envahir et le forcer par leur seul grouillement à déguerpir de nouveau. Il ne voulait plus bouger, même si tous les ailleurs qu’il avait connus ne lui avaient pas laissé des souvenirs uniformément désagréables.

    Il fut un temps où il résidait près d’une université. Il aimait bien discuter avec les étudiants lorsque l’un d’eux, par bravade ou par sincère pitié, s’approchait de lui pour partager un peu de son repas ou lui glisser une pièce.

    Certains avaient conclu que rien ne lui faisait plus plaisir que de recevoir un livre. En réalité, il ne lisait plus depuis longtemps mais il lui semblait que dans le geste de recevoir un livre et de le caresser comme s’il s’agissait d’un trésor, il recouvrait un peu d’humanité auprès de ces jeunes. Le plaisir qu’il manifestait était celui de, pendant quelques instants, partager un espoir commun, celui des livres comme source de savoir et d’évolution. Il n’y

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