Notes De L’enfer: Une historie vraie
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C'est la confession d'une femme tout à fait ordinaire dont le visage deviendra familier au monde entier. Le récit d'une européenne impliquée dans un procès absurde sans analogie en droit international. Le livre retrace non seulement l'histoire du procès et de ces femmes appelées par le monde entier “les cinq infirmières bulgares” mais aussi l'histoire personnelle de Valya Tchervéniyachka.
“Notes de l'enfer” dépeint les détails de son travail à Benghazi, les causes de l'infection des enfants, les tortures monstrueuses auxquelles elle est soumise, l'horreur, l'incertitude, l'hostilité et l'amitié dans les prisons libyennes ainsi que son ressenti des trois peines de morts et le fait de s'en échapper.
Le livre nous donne aussi des éléments sur le rôle de Cécilia Sarkozy dans la résolution de cette crise qui endeuille des centaines de familles sur deux continents et invite le lecteur de se mettre à la place d'une femme ordinaire retournée de l'enfer.
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Notes De L’enfer - Nikolay Yordanov
moi-même…
Arrivée en Libye
J’ai vu la Libye pour la première fois le 4 décembre 1984. A cette époque-là, nous vivions dans la Bulgarie communiste et chaque sortie à l’étranger – même dans un autre Etat totalitaire, était une chance rare pour une vie meilleure. Comme cette chance est apparue, il m’était impossible de la rater. C’est moi qui suis partie d’abord. Mon mari, Emile, est venu quelques mois après.
J’y suis allée travailler dans ma spécialité de formation – infirmière. J’ai commencé à faire ce métier par hasard. J’avais postulé pour des études d’athlétisme à l’Institut des sports mais j’avais raté les examens d’entrée. Une amie m’a dit alors:
- Faisons d’autres études, pendant que nous nous entraînons pour l’année prochaine.
Nous nous sommes inscrites à une formation pour infirmières. Effectivement, un an plus tard elle a été admise à l’Institut des sports, et moi, j’ai poursuivi ma formation d’infirmière. Ce n’était pas exactement mon métier de rêve mais avec le temps je me suis mise à l’aimer. J’ai commencé en pédiatrie et je me plaisais énormément à pouvoir aider les petits. J’aime les enfants. En Libye je soignais justement des enfants.
La première fois j’étais à Tarhounah. Je travaillais à l’hôpital « bulgare » – la quasi-totalité de mes collègues étaient des compatriotes et tout était organisé selon nos standards à nous. Il y avait seulement deux Libyennes, agents de propreté, qui nettoyaient les couloirs. Les médecins étaient principalement des Libyens, mais respectaient notre façon de travailler. Tout était très propre, on changeait régulièrement les draps, on utilisait des seringues jetables, les parents avaient le droit de visiter leurs enfants seulement deux fois par semaine. J’étais très contente, le travail était intéressant, les conditions parfaites et la rémunération était bonne en comparaison avec ce que je touchais en Bulgarie. A ce moment-là, la Libye m’a semblé un pays organisé. Il n’y avait pas grand-chose dans les magasins – du riz, de la purée de tomates, du sucre et du sel. Mais je venais d’un pays où il fallait attendre pendant des années pour acheter une voiture ou bien avoir une ligne téléphonique chez soi, donc ces choses-là ne m’impressionnaient pas tant. Le monde des Libyens était différent mais je les acceptais tels quels. J’y ai appris un peu l’arabe. J’apprenais surtout des enfants – en demandant à un certain son prénom, à un autre s’il allait bien ou bien comment dire ceci ou cela, et ainsi peu à peu j’ai commencé à comprendre certains mots. Je ne garde que de bons souvenirs de mon séjour à Tarhounah. Le travail était intéressant et à la fin ma fiche d’évaluation indiquait « Deux fois meilleure employée de l’hôpital. Très bien préparée, elle ne commet aucune erreur dans son travail ». A l’échéance de nos contrats au bout de deux ans et demi, nous avons quitté la Libye ensemble avec Emile. Quand j’ai pris l’avion le 5 mai 1987 pour m’en aller, j’étais sûre que ce serait à jamais.
Après la chute du communisme en Bulgarie, les temps étaient très durs. Mon époux insistait pour que nous partions de nouveau à l’étranger car l’argent que l’on gagnait n’était pas du tout suffisant pour nous et nos deux filles. Je ne voulais pas tellement qu’on y aille mais Emile insistait. Une collègue, Vilma, qui travaillait déjà en Libye m’a dit que les choses ont changé et qu’il n’y avait pas tant d’argent. Cependant c’était plus que ce que l’on gagnait en Bulgarie. Nous avons reçu une première proposition d’expatriation en Libye en 199, mais quelque chose nous arrêtait à chaque possibilité. J’avais reçu un visa au début des années quatre-vingt-dix, mais juste avant mon départ ma fille Tonnie a fait un accident de route et je suis restée à ses côtés. En 1996, on m’a téléphoné de nouveau de l’entreprise d’Etat qui avait organisé mon séjour précédent, et mon départ semblait bien réel quand ma mère est décédée. Un ami de famille – médecin, a dit:
- Comme s’il est écrit dans ton destin que tu ne dois pas y aller. Dieu te fait signe.
Je n’ai pas prêté attention à ces paroles… Si j’avais été plus attentive à celles-ci, je me serais épargné des tortures indescriptibles.
Au début de 1998 mes deux filles ont été admises à l’université. Avec nos deux salaires, c’était impossible que nous réussissions à subvenir à leurs besoins. Nous n’aurions même pas pu payer leur scolarité. Ainsi, l’occasion venue, je suis repartie en Lybie; suivant notre plan, Emile réussirait à me rejoindre comme la fois dernière. Le travail était bien organisé, on connaissait le contexte, et j’étais très tranquille.
Je suis arrivée de nouveau en Libye le 3 février 1998. J’étais répartie à Benghazi; or, je n’avais pas du tout envie d’y aller car un deuxième membre de la famille n’avait pas le droit de travailler dans cette ville, et moi, je ne voulais pas partir sans mon époux. Il m’a toutefois convaincue qu’il réussirait à graisser la patte à quelqu’un pour me rejoindre – c’est comme ça que cela se faisait à l’époque en Bulgarie. Beaucoup de gens me disaient « Ce n’est pas une ville agréable, n’y va pas, les conditions ne sont pas favorables… ». Toujours est-il que j’avais déjà l’expérience du pays, et je n’y avais rencontré aucun problème.
Au départ, notre groupe était composé de 65 personnes. Cinq médecins et soixante infirmières. Pendant les trois premières semaines nous étions accueillies dans un pensionnat d’infirmières – il fallait attendre la répartition. J’y ai fait la connaissance de certaines de mes collègues, venues comme moi sauver la situation et gagner quelques sous.
Une d’entre elles s’appelait Roumiana. Nous avions fait ensemble le voyage jusqu’en Libye. Nous nous sommes rapprochées en attendant d’être réparties par le Ministère dans des hôpitaux différents. Il nous est arrivé plusieurs fois de déjeuner ensemble à la cantine du pensionnat et d’engager une conversation. Nous nous sommes liées d’amitié. Roumiana aimait lire dans le marc de café. À ma surprise, elle voyait toujours une seule et même chose dans ma tasse: « Tu auras des problèmes dans un an, des problèmes graves avec la police. » Elle était très insistante. Je ne suis pas superstitieuse, et je ne lui prêtais pas bien sûr une attention particulière. Mais elle répétait la même chose avec entêtement – des problèmes avec la police, encore ces problèmes avec la police. Peu à peu j’ai arrêté de faire attention à ses prédictions. J’avais trop de choses à faire pour m’inquiéter des problèmes imaginaires qu’elle prévoyait.
Nous avons été réparties dans des hôpitaux différents mais notre amitié a perduré. Roumiana a été envoyée dans un hôpital chirurgical alors que j’ai été répartie à l’unité pédiatrique d’« Al-Fatah ». Mis à part ses visions dans mes tasses de café, elle me plaisait bien et nous sommes restées des amies.
Le 17ième jour après notre arrivée, j’ai franchi pour la première fois le seuil d’ « Al- Fatah ». Dès le premier jour je me suis rendu compte que peu de choses étaient restées les mêmes dans le système de santé libyen – et pas nécessairement pour le meilleur. J’étais littéralement choquée à la vue de la saleté là-bas. Les draps jetables d’autrefois n’y étaient plus, c’était sale, même les conditions de travail basiques n’étaient pas assurées. Tous les enfants avaient plusieurs accompagnateurs, chacun avait amené de chez soi des chiffons servant de couverture de lit et partout ça sentait à plein nez les huiles. Tous ne respectaient pas le même niveau d’hygiène - certains étaient plus propres, d’autres nageaient dans la crasse et la puanteur. De façon générale, le milieu hospitalier ne répondait pas à nos standards européens. Et tout cela dans une des plus grandes villes de Libye, ancienne capitale. Mais à cette époque-là le pays était sous embargo – une raison à tout justifier. À cause des sanctions il n’y avait pas de consommables médicaux, les médicaments ne suffisaient pas – ou du moins c’est ce que l’on nous expliquait.
L’emploi du temps était organisé de la façon suivante : un service de jour et un service de nuit suivis de deux jours de repos. J’étais en équipe avec une Philippine et deux Libyennes. Il y avait également une division du travail au sein de notre groupe et nous faisions les tâches à tour de rôle. Un jour je m’occupais des prescriptions, celui d’après je donnais les médicaments, le lendemain j’étais chargée des nouvelles admissions à l’unité, le dernier jour je prenais des températures et ainsi de suite. De tout le monde, les Philippines s’en sortaient de mal en pis.
Elles ne respectaient pas les exigences de stérilisation, réutilisaient les consommables jetables et se fichaient des règles de bases du travail hospitalier. C’était en fait leur façon de travailler. Moi-même et les autres Bulgares, nous n’avons jamais utilisé deux fois la même seringue parce que nous sommes formées comme ça. En Bulgarie la stérilisation est une règle à ne jamais transgresser. Tant de fois nous avons essayé de faire comprendre aux différentes Philippines et Libyennes que leur façon de travailler était dangereuse. Elles répliquaient simplement : « A vous de faire comme bon vous semble, nous sommes responsables de nous-mêmes ! On ne se mêle pas de vos affaires, ne vous mêlez pas des nôtres! » Nous avons parlé plusieurs fois avec les responsables de l’hôpital mais personne ne nous prenait au sérieux. Enfin de compte, on a arrêté de protester.
Trois mois plus tard, mon mari Emile a enfin obtenu un visa pour la Libye et m’a enfin rejointe malgré les prévisions de tout le monde. Il n’avait pas où habiter et c’est pour cela que nous avons déménagé illégalement chez Galya - une collègue qui venait de la même ville en Bulgarie que moi. Elles étaient déjà plusieurs filles qui habitaient ensemble mais elles nous ont quand même hébergés. Je connaissais vaguement une d’entre elles. Elle s’appelait Nasia Nénova. Dans les années à venir nous allions nous rapprocher bon gré mal gré.
Nous logions trop à l’étroit car on était huit et nous nous relayions pour dormir dans les lits de celles qui étaient en service à l’hôpital. Nous y avons passé comme ça quelques mois. J’ai adressé plusieurs demandes pour obtenir une chambre individuelle en internat pour moi et mon mari mais je recevais toujours une réponse négative de la direction de l’hôpital. Nous avons fini par louer un logement bien que cela revînt considérablement plus cher.
Je faisais le ménage dans la maison d’une famille libyenne avec huit enfants les jours où je ne travaillais pas à l’hôpital pour gagner plus d’argent pour notre loyer. La mère s’appelait Fatma. Ils habitaient tout près de chez nous – dans la rue d’à côté – nos maisons étaient l’une derrière l’autre. En plus du fait de nettoyer la maison, j’étais devenue comme une mère à ses enfants. Nous nous sommes beaucoup rapprochés et j’ai dormi plusieurs fois chez eux. Mon boulot consistait à faire la lessive, à nettoyer et ranger les chambres tous les deux jours. Emile s’occupait des travaux d’entretien. La famille qui y habitait ne voyait aucun problème dans le fait que nous étions des chrétiens. Avant de commencer à travailler, je mettais un voile, mais j’avais le droit de circuler librement dans la maison. Nous nous entendions bien. On peut même dire que nous étions amis. Comme les parents voyageaient souvent, parfois je prenais soin des enfants plusieurs jours d’affilée. J’essayais de les choyer, de satisfaire leurs moindres demandes pour qu’ils soient contents car je les aimais bien et j’avais vraiment besoin de ce boulot. Une fois j’ai essayé de leur préparer des pâtes mas je les ai complètement ratées.
- Apparemment je ne sais pas faire des pâtes. Je vous préparerai maintenant ce que je sais bien faire.
Après j’ai préparé des mets de famille avec des aubergines, des courgettes, de la liuténitsa1, de la cuisine bulgare. Et ça a marché. Les enfants ont trouvé les plats bons à s’en lécher les doigts.
Je me rappelle encore un vendredi, la mère et le père étaient en déplacement et un de leurs fils, un gosse d’une dizaine d’années, s’est pointé chez nous. Le petit est apparu d’un coup et s’est mis à m’appeler par mon prénom:
- Valya, Valya, tu viendras quand, tu reviendras quand chez nous ?
Je ne voulais pas du tout y aller, c’était ma journée de repos de l’hôpital mais l’enfant est entré dans la cour malgré le très méchant chien qu’il y avait. Comment refuser à un enfant qui entre chez toi au risque de se faire mordre par un chien. J’y suis allée. Les enfants ressentent l’amour véritable et reconnaissent l’hypocrisie et le mensonge. C’est notamment pourquoi ils sentaient de façon perspicace le fait que je pouvais facilement m’attacher à eux.
Et voilà mon quotidien habituel. Comment aurais-je pu savoir que d’invisibles yeux nous traquaient pendant des mois, que des plans secrets s’échafaudaient ? Des vies s’éteignaient et quelqu’un devait en porter le fardeau de la rédemption. Bientôt mon existence serait ébranlée de façon affligeante et d’une infirmière ordinaire je deviendrais une femme maudite par certains, et dont le sort serait déploré par d’autres.
[←1]
Caviar de poivrons et de tomates utilisé pour relever le goût de certaines viandes et garnitures, ou bien consommé avec du pain;
Les enfants de la Libye
Je soignais beaucoup d’enfants à l’hôpital mais quelques-uns m’avaient fait une vive impression. Leurs histoires se sont imprégnées dans ma mémoire alors que le destin de certains s’est imbriqué dans l’immense drame que j’allais traverser.
Je me rappelle comment j’ai fait la connaissance d’un de ces enfants, un petit garçon. Sa mère était Egyptienne. Comme son fils n’était plus nourrisson, il passait ses journées seul au lit sans accompagnateur. Il était officiellement diagnostiqué d’une maladie pulmonaire. Ensuite, il s’est avéré qu’en réalité c’était le SIDA. Le virus était déjà en lui mais on soignait ses poumons. Il avait quatre ou cinq ans, un grand mignon. Sa mère répétait sans cesse qu’il est mon ami et d’une certaine façon je l’aimais et le trouvais sympathique. En fait, c’était vraiment mon chouchou. Il était un enfant si gai et souriant que tout le monde se réjouissaient de le voir et certaines infirmières l’avaient même dessiné, et accroché le dessin dans l’unité hospitalière. Je l’amenais partout avec moi quand j’étais en service. Je me souviens de la première fois où je l’ai vu. Je marchais dans le couloir et il me poursuivait. Je lui ai demandé:
- Toi, tu t’appelles comment ?
- Je suis Ahmed – m’a-t-il dit sans arrêter de m’emboîter le pas.
- Je suis Valya – ai-je répondu.
- Va-lya…Valya - a-t-il répété, et il m’a accompagné jusqu’à la fin de ma journée de travail.
Je lui prêtais plus d’attention car il était seul la plupart du temps, sans accompagnement permanent. Il était installé ensemble avec des enfants handicapés qui normalement restaient tout seuls et cela me faisait de la peine. J’allais donc souvent lui jeter un coup d’œil et voir ce qu’il faisait. Sa mère avait de bons sentiments pour moi en raison des soins que j’assurais pour son fils. En serrant Ahmed dans mes bras devant elle, je ne m’imaginais pas du tout qu’un jour cette femme commettrait une grande injustice contre moi et qu’elle en serait sévèrement punie.
Quant à Achour, il était un petit bébé de quelques mois à peine. Il était joli et engraissait bien. Sa mère – elle était maigre et chétive. Aucune infirmière ne voulait poser de voie veineuse à Achour car on n’arrivait pas à piquer ses veines. C’est seulement moi qui y réussisais sans problème et sa mère m’appelait et me disait : « S’il te plaît, sister, va auprès de lui, tu sais comment te débrouiller. » J’ai connu aussi son père. Achour est devenu un autre parmi mes favoris. Plus tard, il s’est avéré lui aussi parmi les enfants infectés du VIH.
Il y avait également certains gosses qui vivaient à l’unité pédiatrique. Deux de ces enfants souffraient d’une maladie dermatologique rare – l’ichtyose, appelée autrement « peau de poisson ». C’est génétique et cela cause des lésions affreuses au corps. Ces deux-là avec la « peau de poisson » s’appelaient Djamila et Oualid. J’avais un faible pour Oualid. Il allait bientôt fêter ses 16 ans, et était plutôt grand; il était pourtant extrêmement faible physiquement. Il ne pouvait pas marcher et utilisait un fauteuil roulant. Parler lui était difficile mais il y parvenait. Djamila marchait toute seule mais ne pouvait pas parler. J’ai pris à cœur le destin du garçon car très peu de gens à l’hôpital voulaient le soigner. Ils avaient peur, certains en étaient écœurés. Il était d’une apparence atroce – ce n’était plus qu’un bout d’homme. Il avait perdu ses cheveux et il fallait tout le temps l’enduire d’huile de poisson qui puait l’étang. Il était solitaire, abandonné par ses parents, délaissé par la grande partie du personnel. Oualid s’est beaucoup attaché à moi et poussait sa chaise roulante le long des couloirs pour me suivre. Par exemple, quand j’allais dehors fumer une cigarette ou boire un café, je le sortais dans sa chaise, et je partageais ma pause avec lui. Je lui faisais apprendre le bulgare