La sorcière de la porte rendesse
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Cette histoire débute en 1815 à l'issue des cent jours de Napoléon. « La terreur blanche » fait des ravages dans les rangs des bonapartistes. Gaston Thoraus revient à Saint Macaire pour y épouser sa promise, Isabeau Crabana. isue d'une famille de riches viticulteurs.
Eugène Villeneuve, est propriétaire de la plus grosse tonnellerie de Saint Macaire. Il ne rêve que d'augmenter le patrimoine familial en favorisant l'union ce son fils Léon avec Isabeau Crabana. Le retour du fiancé officiel ne fait pas son affaire. À la suite de manœuvres sournoises, Gaston Thoraus, victime de la répression de la « terreur blanche », et d'un procès bâclé, est passé par les armes.
Sur le bord de la tombe, Émilien Thoraus profère une malédiction.
2015. Les conditions sont réunies pour que Germain, le descendant de la famille Thoraus accomplisse la malédiction. Comment va-t-il mener à bien ce funeste dessein ?
Jean-Paul Villeneuve est le dernier descendant mâle de cette lignée.
Loriane Villeneuve une jeune fille de 17 ans possède quelques dons de naissance. Elle perçoit facilement la pensée des gens, de plus, pour une raison qu'elle peine à percevoir, les chats lui vouent une amitié indéfectible. Ce sont ces détails qui lui ont valu, de la part de ses camarades, le surnom de « Sorcière de la porte Rendesse ».
Comment la connaissance de cette malédiction est-elle parvenue jusqu'à elle ? Parviendra-t-elle avec l'aide de Benoît Laumont un jeune gendarme de la brigade locale, tombé sous son charme, à sauver son père de la mort atroce qui le guette.
Maurice, Américo LEAO
Je suis né en mille neuf cent quarante-sept, à Ambarés 33, commune sur l’estuaire de la Gironde. D’un père Portugais et d'une mère Béarnaise. Après Une carrière en gendarmeries où j’ai occupé divers postes, depuis enquêteur en section de recherches, jusqu’à commandant de brigade, en France et outre-mer, je me suis trouvé confronté au milieu avec ses magouilles et ses crimes crapuleux. Quelques-uns d’entre eux m’ont motivé pour en faire le récit. Ce sont aujourd’hui plusieurs titres qui figurent à ma bibliographie. Si les lieux où se déroulent les faits sont réels, les personnages sont de pures fictions. Les événements sortis de leur contexte d’origine pour être romancés se déroulent principalement en Gironde, Lot et Garonne mais aussi à la Martinique et en Espagne. Laissez-vous conduire sur les traces de ces mauvais garçons qui prennent vie au cours de ces affaires où gendarmes et policiers ne gagnent pas toujours et se terminent par des règlements de comptes entre gens du milieu. Beaucoup d’enquêtes ne sont jamais résolues, en douteriez-vous ?
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La sorcière de la porte rendesse - Maurice, Américo LEAO
Écrit par
Maurice, Américo, LEAO
Je dédie ces quelques lignes à ma sœur Mauricette.
Trop tôt disparue.
Déjà, gamins, nous avions dans l’idée d’écrire des bouquins.
Elle n’est plus là.
Aussi, c’est seul que je le fais.
Je suis persuadé qu’elle se serait bien amusée en les écrivant elle-même.
Que Dieu ait son âme.
Toute ressemblance avec des personnes existantes,
ou ayant existé, ne serait que le fait d’une réincarnation...
Ou le souvenir d’une vie antérieure...
La sorcière de la porte Rendesse
Et la vengeance du mage noir
Deuxième édition. Mai 2019.
ISBN 978-2-490413-15-7
e-Book 978-2-490413-16-4
Copyright © 2019
Maurice, Américo LEAO.
Dépôt légal 2 -ème trimestre 2019.
Par
Maurice, Américo LEAO
––––––––
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par l’article L.335-5 et suivant du Code de la propriété intellectuelle.
Du même auteur, chez Amazon :
Les oubliés de l’histoire.
Prends garde à la garce.
La fille du ferrailleur.
Si tu prends mon cœur.
Ha la gueuse.
Souvenir.
La sorcière de la porte Rendesse.
1
––––––––
Vingt-deux juillet mille huit cent quinze. Le soleil est déjà haut dans le ciel, lorsqu’au débouché d’un petit bois de marronniers, Gaston Thoraus aperçoit les remparts de Saint Macaire. Au lever du jour, il a quitté La Réole où les frères Faucher lui avaient proposé de passer la nuit, pour éviter de chevaucher seul.
Voilà plusieurs jours que tous trois ont quitté l’armée des Pyrénées-Orientales, où, Napoléon, revenu de l’île d’Elbe, avait nommé maréchaux de camp, les Jumeaux de La Réole : Constantin et César Faucher. Cent jours plus tard, le roi Louis XVIII revient sur le trône. Il s’empresse de faire relever de leurs commandements tous ceux que l’Empereur avait rappelés. La terreur blanche allait leur réserver un destin cruel.
Gaston Thoraus arrête un instant sa monture à l’ombre des marronniers. Il a besoin de contempler un instant, semblant dormir sur son rocher, le village qui l’a vu naître. Lorsqu’il remonte en selle, il ne lui reste plus qu’une petite heure de chevauchée avant d’atteindre les remparts. Dans sa poitrine, son cœur commence à battre plus fort. Bien sûr, il est content de revoir ses parents. Son père, Émilien, assisté de son jeune frère Louis, exploite une entreprise de batellerie. Plusieurs gabarres assurent le transport de marchandises de toutes sortes entre l’arrière-pays et le port de Bordeaux.
Gaston Thoraus ne s’est senti aucune affinité pour le travail sur le fleuve. Son choix s’est porté tout naturellement pour l’armée. Il est capitaine dans un régiment de cavalerie de Sa Majesté le Roi, affecté à l’armée des Pyrénées-Orientales. Le hasard seul a fait qu’il voyage avec les frères Faucher. Lui bénéficie d’une autorisation exceptionnelle pour épouser la douce et tendre Isabeau Crabana. Sa famille possède des terres viticoles et gère un commerce de vins florissant.
Midi sonne au clocher de l’église Saint-Sauveur lorsqu’il franchit la double porte du « Thuron ». Son allure militaire ainsi que les galons sur sa tenue, font se retourner les gens sur son passage. Fièrement, il engage son cheval dans la petite rue tortueuse du port Nava qui monte vers l’église. L’animal est fatigué, il marche depuis le matin. Gaston le laisse s’arrêter quelques minutes pour reprendre son souffle. Pendant ce temps, un homme le dépasse et pénètre dans une maison construite directement sur les remparts, au sommet du chemin qui porte aujourd’hui le nom de « Pas de la Cale ». C’est la maison d’Eugène Villeneuve. L’homme est maigre, d’une petite taille, presque fluette. Essoufflé d’avoir couru derrière le Capitaine Thoraus et son cheval, il peine à trouver ses mots.
— Eh bien mon fils ! Que t’arrive-t-il ? On dirait que tu as vu le diable.
Entre deux soupirs, Léon Villeneuve parvient à balbutier :
— Il est revenu !
— Mais, qui donc est revenu ? S’inquiète son père.
— Gaston, c’est fichu pour Isabeau.
— Ventrebleu, s’exclame Eugène Villeneuve ; n’aurait-il pu périr à la guerre contre les Espagnols ?
— Hélas non, à croire qu’il est protégé de Dieu. À ce moment, le bruit des sabots du cheval résonne dans la rue. Les deux hommes se précipitent à la fenêtre de l’étage. La figure de Gaston est presque à leur hauteur. Il les aperçoit :
— Bonjour ! Monsieur Villeneuve, je suis heureux de vous trouver en bonne santé, ainsi que Léon.
— Merci pour tes bons vœux, Gaston, je vois que tu es également solide, de plus, je constate que tu as des galons d’officier.
— C’est juste, accorde Gaston, le général m’a nommé récemment. Isabeau n’en sera que plus fière.
Poursuivant son chemin, il se dirige vers la porte « Rendesse » où demeure sa famille, tout près de la Garonne.
— Père, je n’ai plus aucune chance, se lamente Léon.
— J’en ai bien peur, mon fils. Le destin nous est contraire aujourd’hui ; à moins que...
Eugène Villeneuve ne termine pas sa phrase.
— À moins que quoi ? Interroge Léon.
— Je ne sais pas encore, laisse-moi réfléchir. J’attends des nouvelles de La Réole, il se dit que les frères Faucher sont également revenus. Il serait curieux que Gaston n’ait pas fait route en leur compagnie.
— Et alors ?
— Et alors ! Tu sais bien que ces bonapartistes ne sont pas en odeur de sainteté auprès des gardes royaux.
— Peut-être as-tu raison.
— Oui, en attendant, disparais, va surveiller les ouvriers à l’atelier, j’ai besoin de réfléchir.
Eugène Villeneuve est propriétaire de la plus importante tonnellerie de Saint Macaire, son affaire est florissante, la clientèle nombreuse. Le retour de Gaston Thoraus le contrarie profondément. Il espérait, et même, souhaitait ; le métier des armes n’étant pas sans dangers, que le jeune capitaine disparaîtrait au cours d’une bataille contre les Espagnols !
Hélas, depuis qu’avec l’aide des Anglais ils ont chassé Joseph Bonaparte et le retour de Ferdinand VII sur le trône, en mars mille huit cent quatorze, il n’y a plus de conflit avec l’Espagne.
La voie se serait dégagée toute seule, et ainsi, il pouvait demander Isabeau pour son fils Léon. Ce dernier, plus tard, deviendrait ainsi la plus grosse fortune du pays, lorsque le négoce et les terres tomberaient dans l’escarcelle du ménage.
***
— Mère, voici Gaston ! S’écrie Louis.
À ces mots, Léontine Thoraus se précipite à la rencontre de son fils. Elle lui laisse tout juste le temps de descendre de cheval pour le serrer dans ses bras.
— Mon fils, te voilà revenu, si tu savais comme je tremble pour toi. Les temps sont tellement troublés en ce moment que je crains toujours le pire.
— Mais non, mère, ne craignez pas pour moi, nous n’avons eu aucun engagement avec les Espagnols, depuis bien longtemps.
— C’est très bien ainsi, ajoute Léontine Thoraus, l’ogre corse a fait tuer bien trop de nos fils avec ses ambitions démesurées.
— Oui, reconnaît Gaston à mi-voix, je suis bien aise que le roi soit de nouveau sur le trône de France.
— Je souhaite bien fort qu’avec lui, s’installe la paix dans notre pays.
— Chut, ma mère ne parle pas de cela dans la rue, nous ignorons qu’elles sont les oreilles qui nous écoutent.
— Tu as raison, rentrons ! Louis est parti au port, prévenir ton père. Nous avons actuellement de grosses commandes de transport, pour des merrains destinés à la tonnellerie de Monsieur Villeneuve.
Sitôt rentré dans la maison, Gaston pose la question qui lui brûle les lèvres.
— Avez-vous des nouvelles d’Isabeau ?
— Mais bien sûr, depuis ton courrier annonçant ta venue elle ne cesse de faire demander si tu es arrivé.
— Et bien ! Ma mère ; hâtez-vous, de le lui faire savoir. Je me languis de l’enlacer.
— J’ai déjà envoyé Perrine l’en informer. Sais-tu que nous avons, avec ses parents, déjà tout mis au point pour vos épousailles ? Ce sera au beau mariage.
— Je n’en doute pas. Mais voici Père et Louis qui arrivent du port.
— Ainsi que Perrine, ajoute Madame Thoraus, voyons quelles nouvelles elle nous apporte.
— Mademoiselle Isabeau est rayonnante de joie, le retour de Monsieur Gaston la comble de bonheur. Monsieur et Madame Crabana souhaitent avoir Monsieur Gaston à leur table ce soir.
— Et bien, Perrine, retournez bien vite leur dire que leur invitation me fait honneur, c’est avec grand plaisir que je me rendrai chez eux.
Isabeau Crabana, demeure avec ses parents dans une grande maison bâtie au-dessus des remparts, en surplomb de la porte « Rendesse » ; non loin du port ; à quelques mètres seulement, du domicile de la famille Thoraus. Isabeau et Gaston se connaissent depuis l’enfance, ils ont grandi ensemble, partageant leurs jeux, puis leurs peines et enfin des sentiments plus tendres. Lorsque Isabeau est devenue femme, ses parents se sont montrés beaucoup plus prudents vis-à-vis des garçons en général, et de Gaston en particulier. Très pratiquants ; il était hors de question que les deux jeunes gens se laissent aller à la faute et qu’ainsi, ils déshonorent la famille.
Au cours de l’après-midi, Isabeau s’est occupée à se faire la plus belle possible, pour « son Gaston ». Lui dans le même temps faisait de même pour « son Isabeau ». Confiant son uniforme de capitaine aux bons soins de sa mère, afin qu’elle lui redonne le lustre compromis par une chevauchée de plusieurs jours, c’est à la rivière qu’il a effacé la poussière des chemins. Rasé de près, les cheveux soigneusement peignés, retenus en une courte queue de cheval, comme c’est la mode dans son régiment, il s’est fait le plus séduisant possible pour « sa belle ».
La tête haute, parcourant à grands pas les quelques mètres qui séparent leurs maisons, rejetant d’un revers de main une poussière tombée sur son uniforme, l’autre main posée naturellement sur le pommeau de son sabre, Gaston goûte par avance le bonheur de serrer sa bien-aimée entre ses bras. Sous le regard des parents bien sûr.
***
Vingt-quatre juillet mille huit cent quinze. À la nuit tombée, un homme se glisse jusqu’à la maison d’Eugène Villeneuve, il frappe à la porte d’une manière convenue :
— Qu’est-ce donc ? Interroge Léon, qui peut bien nous visiter à cette heure ?
— Celui que j’attendais depuis le retour de Gaston, précise Eugène Villeneuve.
— En quoi peut-il nous aider ?
— Laisse-le entrer et écoutons sa parole.
Eugène Villeneuve entraîne son visiteur dans son bureau, pendant que sur un regard, un geste, il invite son fils à aller chercher un pichet de vin frais. Lorsqu’il revient, les deux hommes sont installés dans des fauteuils confortables. La pièce est faiblement éclairée par une lampe à huile. Le visiteur reste dans la pénombre, Léon distingue mal son visage.
— Vous goûterez bien de ce vin, cher ami, il nous vient directement de la propriété de Monsieur Crabana.
— Avec plaisir, ses terres ont toujours produit d’excellents breuvages.
Pendant que Léon fait le service, Eugène discute de banalités avec son visiteur. Le premier gobelet vidé, il s’informe :
— Alors, comment le trouvez-vous ?
— Excellent, toujours à la hauteur de sa réputation.
— Je vous l’avais bien dit, mais, dites-moi, quelles sont les nouvelles à La Réole ?
L’homme ne dit rien, le temps que Léon remplisse de nouveau les gobelets ; il y trempe les lèvres, puis déclare.
— Mal, les nouvelles sont alarmantes.
— Comment alarmantes ; que se passe-t-il, de grave ?
— Poussées par on ne sait quel esprit malfaisant, une centaine de gardes royaux, venus de Bordeaux, ont envahi les rues de La Réole en hurlant des injures anti-bonapartistes. Ils s’en sont pris directement aux frères Faucher qu’ils accusent de mille maux. La foule réolaise s’est enflammée aussi, elle porte également des accusations graves à leur encontre.
— Voyons, c’est si grave que cela, questionne Eugène Villeneuve.
— Certainement, on parle de dépôt d’armes, de mouvement fédéraliste et d’autres crimes encore. Ces agitations créent un désordre indescriptible, et cela, ce n’est pas bon pour le commerce.
Ces révélations laissent Eugène Villeneuve songeur.
— Savez-vous, si, lorsqu’ils sont revenus de l’armée des Pyrénées-Orientales, un jeune officier les accompagnait ?
— Oui, tous trois sont passés devant chez moi. Je puis même préciser que ce jeune officier a passé la nuit chez eux.
— Vous en êtes sûr.
— Mais oui, il portait la tenue de la cavalerie et les galons de capitaine. Je le reconnaîtrais facilement.
— Voici qui pourrait arranger nos affaires.
— Comment cela ?
— Les frères Faucher, comme ce jeune capitaine sont des semeurs de troubles à l’ordre public. Il est urgent de prendre des dispositions pour les mettre rapidement, hors d’état de nuire.
— Des renseignements que je détiens ; leur arrestation est imminente, rajoute l’homme.
— Il serait, très judicieux, d’arrêter également ce jeune officier, qui, j’en suis sûr, est leur complice, dévoué à leur cause, déclare Eugène Villeneuve.
— Le connaissez-vous ?
— Oui, il demeure ici même à Saint Macaire ; chez son père, le batelier Thoraus.
— Rien de plus facile, déclare l’homme ; d’autres que moi l’ont vu quitter la demeure des frères Faucher. Il sera aisé de le confondre.
Vingt-neuf juillet mille huit cent quinze. Aux premières lueurs du jour, un fort détachement de gendarmes, renforcé par la garde royale, composée en grande partie par des soldats qui avaient déserté pendant la période des cent jours, effectue une perquisition au domicile des frères Faucher.
Attiré par le désordre causé par les gardes royaux, l’équipage de la gabarre « Dame Bertille » occupé à décharger les dernières barriques vides pour la prochaine vendange abandonne sa tâche.
— Allons voir ce qui se passe, propose le matelot, Pierre Roupiot.
— Ne tardons pas trop, tempère le timonier, Gustave Carros, sinon nous allons rater la marée pour repartir.
Pendant que se déroule la perquisition, un homme demande à voir l’officier responsable.
— Vous êtes sûr de ce que vous avancez ?
— Absolument ; monsieur l’Officier, c’est un capitaine de cavalerie ; plusieurs témoins l’ont vu, partir d’ici, au petit matin.
— Où est-il maintenant ?
— Chez ses parents à Saint Macaire, c’est le fils de Thoraus, le batelier.
— C’est très bien, vous êtes un bon Français, donnez-moi votre nom ainsi que celui des témoins, je me charge du reste.
Aussitôt un détachement part au galop en direction de Saint-Macaire.
Gustave Carros à l’oreille fine ; bien que délivrées à voix basse, il a saisi le sens général des paroles, prononcées par l’homme, surtout la dernière phrase, « c’est le fils de Thoraus, le batelier ».
— Ce bon à rien d’Ernest Gavot vient encore d’accomplir une bien vilaine besogne, murmure Gustave Carros à l’oreille de son matelot.
Pierre Roupiot est toujours prêt pour une bonne bagarre. Sitôt que le détachement des gardes royaux est parti au galop, Ernest Gavot, content de lui se dirige vers le port où il a ses habitudes à la taverne du « chat qui pêche ». Au moment où il pousse la porte de la taverne, une main rugueuse se pose sur son épaule.
— Hé oh ! L’homme, que-me veut-tu ?
Il a reconnu le matelot et le timonier de la gabarre « Dame Bertille ».
— Simplement que tu me confies à moi aussi, ce que tu as dit à l’officier des gardes royaux.
— Mais... rien, qui puisse t’intéresser.
— Allons donc, je t’ai entendu distinctement prononcer « c’est le fils de Thoraus le batelier », intervient Gustave Carros.
— Et alors, ces bonapartistes ont fait assez de mal au pays, il est de mon devoir de les signaler pour les empêcher de nuire.
— Sauf que Gaston Thoraus n’a jamais été pour l’Empereur, mais toujours fidèle au Roi. Tu as encore fait de la basse besogne.
— Cela ne te regarde pas.
— Que tu crois, déclare Pierre Roupiot, alors tu vas venir avec nous, expliquer à notre patron, pourquoi tu as parlé de son fils avec l’officier des gardes !
Ernest Gavot n’a pas le temps de refuser, d’un coup de poing à l’estomac, il lui ôte toute velléité de résistance. Il ne faut que quelques instants aux deux hommes pour l’entraîner jusqu’à leur bateau, où, après lui avoir lié bras et jambes, ils le dissimulent sous un tas de voiles.
***
Depuis le matin, des tables sont dressées dans le chai de Monsieur Crabana. Un personnel nombreux s’active autour des fourneaux. Plusieurs barriques ont été mises en perce pour régaler les convives. Gaston et ses parents sont déjà rendus à la Mairie, Isabeau et les siens ne tardent pas à les rejoindre. Le cortège se forme au bas des marches et s’apprête à y pénétrer. Tout à coup, le bruit de galopade de nombreux cavaliers fige la noce.
— Que se passe-t-il ? S’inquiète Monsieur le Maire.
Il n’a pas le temps d’obtenir une réponse, un détachement de la garde royale se déploie autour du cortège. Un officier s’approche des futurs mariés :
— C’est toi la capitaine Thoraus ?
— Oui, que me voulez-vous ?
— Vous êtes accusé de complicité de fédéralisme avec les frères Faucher, et aussi de menées subversives envers le royaume de France.
— Mais... c’est impossible.
— Gardes ! Emparez-vous de cet homme, ordonne l’officier.
***
La marée se fait encore sentir jusqu’à La Réole, elle est presque étale. Les dernières barriques sont déchargées en quelques minutes.
— C’est bon, nous pouvons y aller, déclare Gustave Carros.
Le temps que Pierre Roupiot largue les amarres, prenant appui sur le bord du quai, à l’aide d’une longue perche, il place la gabarre dans le lit du fleuve. Doucement, elle prend de la vitesse, la marée ne contrarie plus le courant de la Garonne qui reprend ses droits vers l’océan.
Pierre Roupiot a su utiliser des arguments contondants et convaincants, pour amener Ernest Gavot à se confesser.
— Misérable « carugne » ; explose Émilien Thoraus. Et tu t’es prêté à cette vilenie pour quelques pièces d’or. Perdre un loyal officier du roi pour laisser la place à cet avorton de Léon Villeneuve.
Après un procès aussi bâclé que celui des frères Faucher, Gaston Thoraus est traduit devant un conseil de guerre et condamné à la peine capitale. Il est fusillé à Bordeaux le trente septembre mille huit cent quinze. Sa dépouille est rendue à sa famille le lendemain. Sur le bord de sa tombe, Émilien Thoraus jure de se venger.
— « Soit maudit Eugène Villeneuve ; nous effacerons du livre des vivants, le nom de ton dernier héritier mâle, dussions-nous attendre de nombreuses générations ».
Vous blasphémez Monsieur Thoraus, s’insurge le prêtre, vous ne pouvez pas prononcer de malédiction.
***
— Voyons Monsieur Crabana, argumente Eugène Villeneuve, marions nos enfants, Léon est un bon parti. Il héritera de tous mes biens.
— Monsieur Villeneuve, je crains fort que vous n’arriviez trop tard. N’ayant pu épouser l’homme qu’elle aimait ; victime d’une vilenie sans nom ; ma fille a décidé d’épouser Dieu. Isabeau à notre grand désespoir est entrée au couvent.
— Ne peut-on la faire revenir sur sa décision ?
Paul Crabana quitte le fauteuil où il écoutait poliment les offres d’Eugène Villeneuve ; il ouvre grande la porte de son bureau, puis sans lui tendre la main.
— Je ne vous retiens pas, Monsieur Villeneuve !
***
— Père, il y a devant la porte Monsieur le Curé qui désire vous entretenir d’un sujet délicat.
— Et bien, fais-le entrer, Léon. Peut-être nous sera-t-il d’un précieux secours pour convaincre Isabeau de revenir sur sa décision.
— Non, Monsieur Villeneuve, j’ai entendu votre souhait concernant le choix d’Isabeau, d’épouser Dieu. C’est une noble décision qu’elle a prise là. Il ne m’appartient pas de l’en dissuader, au contraire.
— Et bien ! Dans ce cas que voulez-vous ?
— Je désire vous entretenir d’une chose grave.
— Et bien ! Parlez.
— Sachez qu’à tort ou à raison, Émilien Thoraus est persuadé que vous êtes partie prenante dans l’arrestation, puis l’exécution de son fils.
— Ce ne sont que des balivernes, personne ne peut prêter foi aux racontars de cet ivrogne d’Ernest Gavot.
— Certes, certes, Monsieur Villeneuve, mais, semble-t-il, cela n’est pas le raisonnement que se tient le sieur Thoraus. Vous savez que ces gens du fleuve sont bizarres. Celui-là en particulier, il ne vient jamais à la messe. Son regard est celui du malin. Il a le mauvais œil, nombreux sont ceux qui le disent ; « jeteur de sort ».
— Oui, je sais, j’ai déjà entendu de tels bavardages sur son compte, reconnaît Eugène Villeneuve, mais je n’y crois pas.
— Vous avez tort ! J’ai personnellement dit la messe pour que son fils repose en paix auprès de notre seigneur. Sur le bord de la tombe, il a, en ma présence, osé blasphémer.
— Cela ne m’étonne pas, Émilien Thoraus et les siens ont toujours été des rustres sans éducation ni respect pour le domaine sacré.
— Il vous a maudit ! Ainsi que votre descendance jusqu’à je ne sais quelle génération.
— Je ne crois pas à ces fadaises. Thoraus est certes un rustre, mais il n’est rien d’autre. Cette histoire de malédiction me laisse de marbre.
— Dieu m’est témoin Monsieur Villeneuve, que j’aurais fait tout ce qui est en mon pouvoir pour vous ouvrir les yeux.
— Je vous en remercie.
— Je n’ai pas fini, Monsieur Villeneuve. J’ai rapporté ces faits à notre Évêque. Il me charge de vous remettre le parchemin que voici, c’est l’unique but de ma visite.
— Un parchemin ? De quoi s’agit-il ?
— Une prière, une simple prière adressée à notre père à tous. Elle est destinée à faire échec à la malédiction proférée par Émilien Thoraus.
— Je ne crois pas à ces superstitions d’un autre âge, persiste Eugène Villeneuve.
— Prenez toujours ce parchemin, et croyez-moi ; priez Dieu, Monsieur Villeneuve, priez.
Désireux de mettre un terme à cette discussion, Monsieur Villeneuve retire quelques pièces de la poche de gousset de son gilet et les offre à Monsieur le Curé.
— Je pense que vos bonnes œuvres ont toujours besoin de soutien.
— Il est exact que Saint Macaire compte beaucoup de pauvres, les troubles incessants qui nous affligent y sont pour beaucoup. Cependant, Dieu me garde, de prendre cet argent ; pour nous, gens d’Église ; combattre le malin ne se monnaye pas. Cela fait partie de notre passage en ce monde.
D’un geste machinal, sans même y jeter un regard, Eugène Villeneuve, range le parchemin dans un coffret qui se trouvait sur sa table de travail.
— Je suis désolé que ma mise en garde trouve si peu d’écho auprès de vous, dit Monsieur le Curé, en quittant son fauteuil, mais j’ai encore beaucoup à faire.
Il ignore la main que lui tend Monsieur Villeneuve, puis au moment de franchir la porte, il se retourne.
— Je prierai pour vous.
— Croyez-vous, ce que dit l’abbé, ce batelier a-t-il le pouvoir de nous nuire ? Insiste son fils Léon.
— Non, sûrement pas ; ce n’est qu’un rustre qui ne sait même pas signer son nom.
— Mais... ce parchemin ?
— Laisse-le où il est, dit Eugène Villeneuve, en rangeant le coffret dans l’armoire où il conserve ses livres de comptes, et ne pense plus à ses inepties.
2
Premier novembre mille neuf cent quatre-vingt-seize. Jean-Paul Villeneuve déambule parmi les stands de la foire de La Réole, il est à la recherche de nouveaux équipements informatiques pour le cabinet d’assurance qu’il gère à Langon. À son bras, Josette son épouse, n’est que modérément intéressée par les gigaoctets et autre charabia que débite le responsable du stand. Son attention est attirée par une gitane qui parcourt les allées en proposant à la sauvette, une planchette divinatoire.
Son regard a accroché celui de Josette.
— C’est une véritable « Oui-Ja », dit-elle en entrouvrant le cabas dans lequel se trouvent plusieurs planchettes. Faites, et chargées de forces bénéfiques