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Les Fondements Éthiques De La Bioéthique
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Les Fondements Éthiques De La Bioéthique

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Les fondements thiques de la biothique

La biothique est une discipline trs jeune qui n'a pas encore trouv de bases solides. Elle est ne au moment o des nouveaux problmes, jusque-l inconnus, sont apparus en sciences biomdicales. Les proccupations de lthique mdicale taient totalement tournes vers le mdecin en valuant ce quil devait faire et ce quil ne devait pas faire face un(e) malade. La nouvelle donne est que le malade a galement quelque chose dire, surtout sil sagit de sa maladie.

Lintrt de ce livre est de montrer justement que la biothique a tout intrt reposer sur des bases philosophiques thiques. La biothique ne se prsente pas comme une panace. Cest une sorte de starting-block pour mieux cerner les questions thiques que nous rencontrons spcialement dans les soins de sant, lenvironnement et les sciences mdicales. Partir dune base philosophique, cest rendre clairs des concepts fondamentaux que lon utilise. Trois concepts que lon utilise frquemment en biothique sont analyss ici : la loi naturelle, la justice et la conscience.

Mais la philosophie se proccupe galement de donner des explications sur nos croyances et sur la nature de la ralit, de lunivers. Il ne sagit pas uniquement de nous comprendre nous-mmes et de comprendre ce qui nous entoure, mais il est galement question de comprendre chaque personne raisonnable dans ses relations avec les autres. Parmi les courants philosophiques qui sont analyss, il y a le principalisme, lthique thologique, les thories dontologiques, lutilitarisme, et lthique de la vertu.

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The ethical Basics of Bioethics

Bioethics took shape at a time medical ethics was at a crossroad and could any longer meet new problems which were till then unknown. Medical ethics was chiefly concern with problems physicians ought to do in front of their patients. The new order concedes that the patient has to keep a wary eye on everything relating to his/her health.

This book gains its significance in showing that bioethics rests on ethical philosophical foundations. Bioethics is not a cure-all. It is rather a philosophical starting point of reflections that leads to investigating ethical problems in health care, environment and in medical science. One of the main concerns of a philosopher is to scrutinize and clarify used basic concepts. Three mostly used ethical concepts are analyzed, i.e. natural law, justice, and conscience.

The philosopher is also concerned with beliefs of man and the nature of the world. The question is not only to understand ourselves as human beings and the world around us, but to understand also each rational person in his/her relations to others. Among the current philosophical trends discussed here are principlism, theological ethics, deontological ethics (Kantianism), utilitarianism, and virtue ethics.

LanguageFrançais
PublisheriUniverse
Release dateNov 20, 2013
ISBN9781491715246
Les Fondements Éthiques De La Bioéthique
Author

Basile Ekanga

Professor of Ethics and Bioethics, has a Ph.D. degree in Theology (University of Munich - Germany 1985) and in Philosophy (Ghent University - Belgium 2002). Has previously published two books, Social Justice and Democracy (2005) and Der Einfluss der Fruchtbarkeit in der afrikanischen Familie (1997).

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    Book preview

    Les Fondements Éthiques De La Bioéthique - Basile Ekanga

    Contents

    Avant-propos

    Introduction générale

    0.1 La problématique

    0.2 Objectifs et limites

    0.3 Intérêt et méthode

    0.4 Le plan du travail

    Première partie: La bioéthique aux sources de la morale

    Chapitre I Que veut dire la bioéthique ?

    1.1 Définition et évolution de la consolidation du terme

    1.1.1 Les caractéristiques spécifiques de la bioéthique et les étapes successives de sa transformation

    1.1.2 Naissance de deux grands centres bioéthiques aux États-Unis

    1.2 Le domaine et les disciplines connexes de la bioéthique

    1.3 La méthode

    1.3.1 Le problème de méthode en bioéthique

    1.3.2 La philosophie

    1.3.2.1 Un problème éthique et les codes éthiques

    1.3.2.2 L’éthique normative

    1.3.2.3 La méta-éthique et l’éthique descriptive

    1.3.3 Les codes professionnels

    1.3.3.1 Comme argument d’autorité

    1.3.3.2 L’autorité morale des codes professionnels et les abus

    1.3.4 Les méthodes légales

    1.3.4.1 Les relations entre l’éthique et la loi

    1.3.4.2 La loi et la bioéthique

    1.3.5 La casuistique

    1.3.5.1 Les circonstances et les sujets

    1.3.5.2 Les maximes et les principes

    1.3.5.3 Les paradigmes et les analogies dans la casuistique

    1.3.5. 4 Que dire de la casuistique comme méthode ?

    1.3.6 La méthode historique

    1.3.6.1 Description du terrain et le métier de l’historien

    1.3.6.2 Application des cas d’analyse historique

    1.3.7 Les méthodes qualitatives

    1.3.7.1 Les techniques de recherche empirique

    1.3.7.2 La recherche qualitative en éthique médicale

    1.3.8 Les méthodes ethnographiques

    1.3.8.1 L’ethnographie face aux méthodes qualitatives et quantitatives

    1.3.8.2 Les forces et les faiblesses des méthodes ethnographiques

    1.3.9 Les enquêtes quantitatives

    1.3.9.1 Présentation de la technique de recherche

    1.3.9.2 Appréciation et critique de la recherche d’enquête en éthique médicale

    1.3.10 Les méthodes expérimentales

    1.3.10.1 Définition et techniques des méthodes expérimentales

    1.3.10.2 L’analyse des données

    1.3.10.3 Les forces et les faiblesses de la méthode expérimentale

    1.3.11 L’économie et la science de décision

    1.3.11.1 Les techniques d’analyse de décision

    1.3.11.2 Appréciation de la méthode d’analyse de décision

    Chapitre II Les contraintes de la pensée philosophique

    2.1 L’objet de la philosophie

    2.2 La philosophie morale ou l’éthique

    2.2.1 La clarification et l’évaluation

    2.2.2 Le problème de la justification objective

    2.2.3 Un homme rationnel doit être aussi une personne de principe moral

    2.3 L’intuition morale et le problème de la méthode en éthique

    Chapitre III La loi morale (naturelle), la liberté humaine et la conscience

    3.1 La loi morale naturelle

    3.1.1 Qu’est-ce à dire ?

    3.1.2 La loi naturelle

    3.1.2.1 Les origines conceptuelles de la loi naturelle

    3.1.2.2 Les défis que rencontre la loi naturelle

    3.1.2.3 La pluralité d’interprétations de la loi naturelle

    3.1.2.4 Que veut dire la loi naturelle aujourd’hui ?

    3.2 La liberté

    3.2.1 Que veut dire être libre ?

    3.2.2 Quelques théories de la liberté

    3.2.2.1 La liberté humaine provient de Dieu : Thomas d’Aquin

    3.2.2.2 La théorie de la liberté d’après Immanuel Kant

    3.2.2.2.1 La liberté pratique et la liberté absolue ; la matière et la forme de la volonté

    3.2.2.2.2 L’impératif catégorique et la liberté d’action

    3.2.2.3 Le déterminisme social de Hegel

    3.2.2.3.1 Le cadre de la philosophie de Hegel

    3.2.2.3.2 La liberté de la philosophie de l’histoire

    3.2.2.3.3 La liberté de la philosophie du droit

    3.2.2.3.4 De la philosophie du droit à l’esprit absolu : la liberté au-delà de la volonté par l’art, la religion et la philosophie

    3.2.2.4 La liberté dans la philosophie de notre époque

    3.2.2.4.1 La philosophie analytique

    3.2.2.4.2 Le libre arbitre comme harmonie entre l’idéal de la volonté et la volonté : Harry Frankfurt

    3.3 La conscience morale

    3.3.1 La liberté de conscience comme normativité humaine

    3.3.2 Les fonctions de la conscience et son autonomie

    3.3.3 La conscience personnelle face à l’enseignement de l’Église et les conditions d’amélioration de la conscience morale

    Deuxième partie: Les différentes théories éthiques en rapport avec la bioéthique

    Chapitre IV Le principalisme

    4.1 Le contexte historique de la naissance du principalisme

    4.2 L’autonomie ou La représentation libérale

    4.3 La bienfaisance et la non-malfaisance

    4.4 La justice ou l’équité

    4.5 Appréciation : Est-il difficile à l’aide du principalisme d’arriver à une décision proprement morale?

    Chapitre V Les commandements de Dieu comme principes de base en morale? L’éthique théologique

    5.1 La Théorie du commandement divin

    5.2 La personne à la lumière de la Révélation Divine et Dieu comme origine des règles sociales

    5.3 Faudra-t-il faire ce que Dieu nous demande ou s’en passer?

    5.4 La préséance de la morale ou de la foi en bioéthique?

    5.5 L’investigation théologique est autonome, continue et dialectique

    Chapitre VI Les théories déontologiques et le kantisme

    6.1 Les théories déontologiques de l’acte et de la règle

    6.2 Le kantisme: L’éthique déontologique d’Immanuel Kant

    6.2.1 La base de la moralité

    6.2.2 La bonne volonté comme principe de base de tout bien

    6.2.3 L’impératif catégorique

    6.2.4 Le devoir de bienveillance et du respect de la personne

    6.2.5 Le problème du mal

    6.2.6 Les objections à la théorie morale de Kant

    6.3 Que pouvons-nous dire ?

    Chapitre VII L’utilitarisme

    7.1 C’est quoi l’utilitarisme ?

    7.2 Les bases de l’utilitarisme classique

    7.2.1 Les utilitaristes des premières heures

    7.2.2 Jeremy Bentham (1748 – 1832)

    7.2.3 John Stuart Mill (1806 – 1873)

    7.2.4 Henry Sidgwick (1838 – 1900)

    7.3 Au cœur du principe utilitariste

    7.4 Les différentes interprétations de l’utilitarisme

    7.4.1 L’utilitarisme de l’acte

    7.4.2 L’utilitarisme de la règle et institutionnel

    7.5 La représentation sociologico-utilitariste

    7.5.1 Le principe d’utilité comme critère d’évaluation du bien et du mal

    7.5.2 Le principe d’utilité et l’obligation de justice

    7.6 Les objections à l’utilitarisme

    7.7 Conclusion

    Chapitre VIII Le Néo-aristotélisme et l’éthique de la vertu

    8.1 Que veut dire l’éthique de la vertu ?

    8.2 Qu’est-ce qui fait qu’une personne soit un homme de bien ?

    8.3 Les aspects essentiels qui font la particularité distinctive des vertus

    8.4 L’état moral de l’individu en face du monde et la forme que prennent les vertus

    8.5 Les critiques adressées à l’éthique de la vertu

    8.6 Conclusion : S’en remettre à sa conscience

    Chapitre IX À quoi servent toutes ces théories éthiques, ces principes et ces méthodes pour la Bioéthique ?

    9.1 Les principes, les théories et les méthodes

    9.1.1 Les principes conséquentialistes

    9.1.2 Les principes déontologiques

    9.1.3 Les approches principalistes

    9.1.4 Partir des principes pour atteindre des cas

    9.2 Des méthodes basées sur des cas

    9.3 L’éthique de la vertu

    9.4 L’éthique des soins et les perspectives communautaristes

    Conclusion générale : La bioéthique a-t-elle besoin de philosophie ?

    Excursus : Le Magistère de l’Église et la Bioéthique

    Bibliographie

    Endnotes

    En mémoire de Monseigneur Jean-Adalbert Nyeme,

    recteur, et de Marguerite Christine Elongo, ma mère

    Avant-propos

    C’est depuis les débuts des années 1960 que les problèmes éthiques en soins de santé et en sciences biomédicales retiennent la conscience publique. Cela est du en partie grâce à des nouveaux développements qui sont parfois révolutionnaires en sciences biomédicales et en médecine clinique. Il est devenu plus facile de maintenir des malades en vie par la dialyse, la ventilation assistée et par la transplantation des organes. Il est possible aujourd’hui d’avoir des enfants pour les femmes qui sont en incapacité de concevoir à travers la fertilisation in vitro et d’autres techniques apparentées de reproduction. Les femmes et les couples désireux peuvent faire le choix du nombre et du genre des enfants qu’ils veulent avoir grâce au développement des moyens contraceptifs modernes, des tests prénataux et de la disponibilité des avortements sans risque. Ces percées technologiques n’ont pas été le seul facteur dans l’accroissement de l’intérêt porté aux problèmes éthiques dans ce domaine. Un autre facteur important fut la préoccupation grandissante concernant l’autorité exercée sur les patients par les médecins et les hommes de science. Ce souci mettait clairement à jour les droits que devaient exercer les patients et la communauté en s’impliquant dans la prise de décision les concernant.

    C’est au milieu de ces nouvelles questions éthiques que va naître la bioéthique. Celle-ci s’applique à l’intérêt toujours grandissant dans les questions éthiques qui surgissent dans les soins de santé, les sciences médicales, l’environnement et autres.

    C’est depuis bientôt sept ans que je travaille sur la bioéthique. Durant ces années, j’ai eu la collaboration de plusieurs personnes et institutions d’enseignement. Dans un sens plus immédiat, le travail que je publie aujourd’hui provient de ma rencontre, en 2005, avec Monseigneur Jean Adalbert Nyeme alors recteur de l’université Notre-Dame du Kasayi. Le recteur me demanda à cette époque d’assurer le cours d’éthique médicale. Je venais alors de terminer mon doctorat en philosophie à l’université de Gand en Belgique trois ans auparavant en 2002. Ma thèse de doctorat portait sur la justice et la démocratie. Dans cette thèse, j’ai essayé de voir comment la théorie de justice de John Rawls pouvait bien s’appliquer dans les jeunes démocraties d’Afrique, notamment dans trois pays : le Kenya, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud. Accepter d’assurer le cours d’éthique médicale ouvrait pour moi des nouveaux horizons. Ce qui veut dire qu’il fallait creuser de nouveaux terrains et combler les anciens.

    Monseigneur Jean-Adalbert Nyeme, recteur de l’université Notre-Dame du Kasayi m’a poussé à aller plus loin dans les recherches. Quelques mois avant sa mort en 2010, il me réitéra encore sa confiance et le désir de voir le bon dénouement de ce travail.

    Durant mes recherches, j’ai eu l’occasion de visiter plusieurs institutions d’enseignement universitaire et des grandes bibliothèques. L’université catholique de Louvain en Belgique a été une place tournante pour mes recherches. C’est ainsi que j’ai à plusieurs reprises visité les bibliothèques de philosophie, de médecine et celle des sciences sociales. Je remercie ces nombreuses personnes qui m’ont aidé à travailler dans le calme et dans la sérénité.

    Le comité consultatif de bioéthique de Belgique possède une petite bibliothèque à Bruxelles non loin de la gare du Midi sur 4, rue de l’Autonomie, possédant des livres intéressants sur des sujets brûlants de la bioéthique. Un grand merci à toutes ces personnes qui m’ont facilité l’accès à cette bibliothèque. Je pense à Monique Bossom, responsable de l’information, et particulièrement à Hedwig Billiet.

    Durant l’été 2012, j’ai effectué un voyage aux États-Unis d’Amérique où j’ai passé un mois à Washington. J’ai eu l’occasion de faire des recherches dans le « Healy Hall », au numéro 102 qui est l’emplacement de la bibliothèque de bioéthique de l’université de Georgetown. J’ai trouvé la disponibilité des bibliothécaires qui m’ont tendrement assisté pour faciliter mes recherches dans un cadre très agréable. Je remercie spécialement Richard M. Anderson, Martina Darragh et Kathleen A. Schroeder pour ne citer que ceux-là.

    Un grand merci à Adrien Ndjekambudi, Louis Sokola et Paul Okamba d’avoir acceptés de lire et de corriger le manuscrit de ce travail. J’adresse également mes remerciements à Paul Okamba pour ses conseils et surtout d’avoir lu et corrigé le manuscrit du premier livre publie cette même année en août sur l’euthanasie. Je n’oublie pas de remercier tous ceux et celles qui m’ont aidé et soutenu durant toutes ces années d’une manière ou d’une autre pour que le travail entrepris réussisse.

    Lasne, le 15 octobre 2013.

    Basile D. Ekanga

    Introduction générale

    0.1 La problématique

    Il faudrait disposer aujourd’hui d’un guide moral à la portée de tous. La raison est simple. Nous sommes confrontés presque chaque jour à des problèmes qui nous obligent à prendre plusieurs décisions que les générations écoulées n’ont jamais rencontrées. Il s’agit, entre autres, de progrès dans le domaine de la biotechnologie qui nous imposent de nouveaux défis et auxquels il faut des réponses adéquates. Faut-il par exemple faire le clonage de l’homme ? Jusqu’à quel point est-il permis de pousser des recherches sur les tissus fœtaux ? Jusqu’où et pour quelle raison peut-on permettre la manipulation des matières génétiques humaines ? Toutes ces découvertes scientifiques ont soulevé de nombreux problèmes auxquels nous n’avions pas jusque dans un passé encore récent pu faire face.

    Mais on peut dire aussi de manière générale que beaucoup de personnes ont perdu une certaine orientation morale. Nous vivons aujourd’hui dans une époque qui n’accepte généralement pas un organisme de connaissance morale où existeraient des normes dominantes qui guideraient la vie de tout un chacun. À part quelques normes morales qui se sont établies dans nos sociétés, comme le fait que le meurtre et le viol soient exécrables et répressibles, nous sommes constamment confrontés à nous-mêmes pour prendre des décisions, pour choisir la boussole morale de notre propre vie. Mais comment alors arriver à faire un choix convenable et se comporter comme il faut dans des circonstances particulières ? De manière plus générale, les questions les plus urgentes aujourd’hui concernent le pourquoi et la manière dont nous devons vivre. En d’autres termes, quelle série de valeurs, de principes ou de normes auxquelles nous devrions faire appel pour nous guider moralement et pourquoi devrions-nous adopter cette série de moralités plutôt qu’une autre ?

    La bioéthique est une science jeune, qui a vu le jour dans les années 1970, une science qui se cherche encore, et qui ne cesse de se développer. Tous les problèmes qui ont trait à la vie relèvent de la bioéthique. Celle-ci fait siens aussi des termes qui ont été largement connus dans le monde de la santé comme l’éthique, la morale et la déontologie. Des problèmes comme ceux qui sont relatifs à l’avortement ou à l’euthanasie exigent que l’homme puisse prendre partie et réagir. Il ne s’agit pas seulement des rapports de l’homme avec lui-même et les autres ses semblables, il est également question des rapports de l’homme avec son environnement : la vie et la mort, la santé et la maladie, la qualité de la vie et la souffrance, le suicide assisté, le génie génétique, la technologie reproductive, la biotechnologie, la transplantation d’organes, la recherche sur les êtres humains et des problèmes d’environnement. Comme le dit E. Pellegrino, aussi longtemps que les hommes seront mortels, deviennent à un moment donné malades et sont parfois diminués dans leur existence par la maladie, ils auront toujours besoin d’aide, de guérison et des soins. La relation entre l’homme et son existence pourrait être réalisée et modulée par la culture, la technologie ou la croyance ; mais la base fondamentale de l’homme ne disparaîtra jamais.¹ Bref, la bioéthique voudrait répondre au questionnement nouveau suite à un développement accéléré du domaine technico-médical et à une transformation visible des sociétés modernes.

    Le problème qui nous préoccupe dans ce travail est d’examiner avec une attention soutenue le sujet de notre étude. Qu’est-ce que la bioéthique et que faut-il faire pour mieux la comprendre et la cerner ? Quels sont les préalables éthiques qu’il faudrait avoir pour aborder et comprendre les sujets variés de la bioéthique ? Pour répondre correctement à ces questions, nous partons de ce principe de base qu’il faudrait passer par la philosophie et plus particulièrement par un discours éthique pour mieux aborder la bioéthique. La philosophie pour sa part a toujours été considérée comme étant une discipline qui peut établir son contenu et des affirmations éthiques sans faire appel à une culture, une opinion ou une vision du monde spécifique.

    Pour un certain nombre de chercheurs en la matière, la bioéthique relève de la science et uniquement d’elle. Ainsi pensent beaucoup de médecins et d’hommes de sciences. Il est vrai que les contacts que les médecins entretiennent avec les patients peuvent les conduire à penser que l’avortement ou l’euthanasie, par exemple, relève uniquement de la médecine. Parce que la médecine est une pratique et non pas, principalement un discours, comme l’éthique, elle tient compte de certains décalages entre les règles et les actions. Mais la médecine convenablement pratiquée se présente comme une éthique en action. Ce qu’il y a à souligner dans la bioéthique, c’est ce rapport d’homme à homme entre le médecin et son patient. Si le médecin considère le patient comme un être humain comme lui ou comme un client ou encore qu’il puisse penser qu’en face de son patient, ce qui importe, c’est qu’il fasse tout simplement son travail, alors les relations seront empreintes des idées préconçues qui enlèvent toute dynamique aux relations humaines. C’est pourquoi la bioéthique est un plus pour le médecin qui, s’appuyant non seulement sur les exigences du serment d’Hippocrate, mais également des notions sur la vie, la liberté et d’autres encore, ouvrent des perspectives nouvelles pour les patients. L’éthique médicale qui était une discipline à part entière et autonome, fait désormais partie de la bioéthique. Le champ de la bioéthique s’élargit à partir de sa base philosophique et théologique vers des horizons divers ; d’où une certaine ouverture d’interdisciplinarité. C’est pour cela que la bioéthique concerne tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, s’occupent de la santé en général et de la maladie en particulier. La bioéthique inclut aujourd’hui des domaines comme les analyses conceptuelles des principes éthiques ; les estimations empiriques des convictions et des attitudes que les travailleurs de soins de santé détiennent ; les critiques éthiques des politiques de santé ; et les analyses interdisciplinaires sur le terrain comme l’anthropologie, la littérature, et l’histoire. En plus, les bioéthiciens essayent de jeter un œil critique vers les outils et les méthodes de l’analyse éthique qu’ils utilisent eux-mêmes.²

    L’éthique médicale est tout simplement une éthique qui touche un domaine particulier de la vie, auquel s’intéresse de manière spéciale la médecine. Étant la vieille éthique que nous avons toujours connue, l’éthique médicale ne possède pas des principes particuliers ou des méthodes ou même des règles spéciales. La tâche dévolue à l’éthique médicale est celle de la sensibilisation. On attire l’attention sur les détails du monde biomédical possédant des implications éthiques. Des livres et articles qui ont été taxés d’éthique médicale n’ont fait que cela. On y trouve très peu d’arguments, mais bien un éventail de descriptions, d’anecdotes et des implications. Il faut dire que l’éthique peut être précise et rigoureuse, mais elle ne détermine pas une seule action à entreprendre. Elle propose parfois des alternatives dans lesquelles des actions possibles peuvent rester dans le cercle de ce qui est moralement acceptable.

    Il faut dire que de manière traditionnelle, l’éthique médicale s’était principalement concentrée sur les relations entre le patient et le médecin et sur les belles vertus que devait avoir le médecin. Elle portait également des efforts sur les relations entre les collègues à l’intérieur de la profession. L’éthique médicale était fortement implantée sur le terrain de la politique de santé incluant la législation, les hôpitaux, les assurances et les responsabilités en matière de santé. Il faut aussi ajouter dans ce domaine, des rendements de la santé et des comportements du public, y compris les attitudes envers son propre corps, envers la médication et les médicaments, l’éducation à la santé, les attitudes envers la maladie et la mort, etc. La bioéthique par contre est une entreprise ouvertement critique et réflexive. Elle ne se limite pas seulement à se poser de questions de dimension éthique sur les relations entre le malade et le médecin, et les relations entre les médecins, eux-mêmes, mais elle va au-delà de ces perspectives traditionnelles. D’abord, le but de la bioéthique n’est pas le développement ou l’adhésion à un code ou une série de préceptes ; elle est plutôt la meilleure compréhension des problèmes qui se posent. En deuxième lieu, la bioéthique pose des questions philosophiques profondes concernant la nature de l’éthique, la valeur de la vie, le fait d’être une personne et ce que ce terme renferme, la signification de l’être humain, etc. Et, finalement, elle englobe les problèmes de politique publique, de la direction, et du contrôle de la science.

    Des problèmes qui sont abordés et résolus par la bioéthique ne sont pas tout à fait nouveaux. Dans l’histoire, nous savons que la relation médecin – patient soulevait et soulève encore aujourd’hui une évaluation spécifiquement morale. Ainsi, le corpus hippocraticum comme le célèbre Serment est en bloc un témoignage de la part du médecin d’un engagement éthique en faveur du malade. Cette relation entre le médecin et le patient ne se limite pas seulement à un rapport technico-professionnel, mais elle est surtout une relation humaine, d’homme à homme.

    On ne saurait oublier de mentionner l’apport du christianisme et de sa morale qui accorde une attention toute particulière aux questions de la vie sur base du commandement divin qui stipule le respect de celle-ci. « Tu ne tueras pas. »³ À partir de là, le médecin considère désormais le ou la malade comme étant un frère, une sœur, un autre Christ qui est l’objet de soins et d’attention.

    Les causes expliquant la percée de la bioéthique sont nombreuses. Nous ne retiendrons ici que les causes les plus importantes, à savoir les droits de l’homme et le progrès biomédical.

    Un point de départ important de la bioéthique est la Deuxième Guerre mondiale. L’on se souviendra de nombreux crimes commis souvent avec la complicité des médecins et des chercheurs durant cette guerre. Il fallait alors à partir de toutes ces expériences de la guerre établir des frontières claires pour éviter toute oppression et suppression de la vie. Le code de Nuremberg a été rédigé en réponse aux pratiques nazies qui avaient fait des expériences à hauts risques et souvent mortelles sur des prisonniers et sur des sujets non-consentants. Depuis la formulation de ce code en 1947, plusieurs codes éthiques se sont succédés et beaucoup de livres traitant des aspects éthiques de l’expérimentation sur l’homme ont été écrits. Et ce Code de Nuremberg détermine les conditions de l’expérimentation humaine.⁴ Les nouvelles lois dans ce sens n’ont jamais été inclues dans les lois généralement établies.

    Les droits légaux et institutionnels sont accordés par des lois spécifiques et consignées dans des manuels des lois. Ainsi, les droits moraux peuvent être appliqués à tous les droits qui existent avant ou indépendamment des lois légales ou institutionnelles. Ces droits moraux peuvent porter des significations différentes. Nous en énumérons ici quatre : (1) Un droit conventionnel est un droit qui provient des coutumes et des attentes établies. Celles-ci peuvent être reconnues ou non par la loi. Par exemple, le droit de céder une place assise à une personne âgée dans les transports en commun. (2) Un droit idéal n’est pas nécessairement un droit réel, mais plutôt ce que doit être un droit positif, et serait ainsi dans un système légal ou dans un code conventionnel. (3) Un droit de conscience est une revendication de reconnaissance par des principes d’une conscience individuelle éclairée. (4) Un droit pratique n’est pas – à vrai dire – un droit, bien qu’il soit ainsi utilisé dans l’usage populaire et courant. C’est tout simplement une justification morale dans l’exercice d’un droit.

    Quand quelqu’un parle de droit moral, il peut bien se référer à un droit génériquement moral non spécifié ou d’un droit pris dans un des quatre sens énumérés plus haut. Parmi les droits qui sont communément appelés des droits moraux dans le sens générique du terme, c’est-à-dire des droits qui ne dépendent pas de la reconnaissance légale ou institutionnelle, nous avons les droits de l’homme. Ceux-ci sont parfois compris comme étant des droits idéaux, parfois aussi comme des droits de conscience, et même parfois comme dans les deux sens pris ensemble. Dans tous les cas, ils sont étroitement associés aux revendications de fait. C’est dans ce sens qu’il faudrait désormais comprendre les droits de l’homme dont on fait constamment référence.

    En 1948, l’Organisation des Nations Unies (ONU), encore à ses débuts, publiera la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette Déclaration exigeait, entre autres, dans une intervention médicale : - Le consentement éclairé et volontaire du sujet ; - Le respect de la méthodologie scientifique à la page ; - Une finalité bienfaisante allant vers la thérapie et une évaluation des avantages et désavantages d’une intervention ; - La réversibilité des dommages éventuels. On retiendra que par la suite, il y aura d’autres déclarations, d’autres conventions, d’autres cartes et d’autres codes allant dans le sens du respect de la vie. C’est ainsi que nous avons, entre autres, le traité de Rome de 1950 sur la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que le Code d’Éthique médicale, publié une année auparavant, en 1949, par l’Association Médicale Mondiale qui intégrera les principes des Droits de l’homme dans sa Déclaration d’Helsinki (1964). Ce code souligne l’importance de l’évaluation scientifique et éthique collective des projets de recherche (1975) et des mesures de protection des personnes faibles. Par la suite, tout ceci fera partie de la Déclaration de Genève, qui ira dans le même sens du respect de la vie dès la conception.

    Malgré cet impact juridique sur le droit à la vie, il faudrait en plus être capable de fournir une justification rationnelle à toutes ces questions posées. Les réflexions philosophique et éthique s’avèrent alors nécessaires. Ces réflexions renvoient à l’étude de l’homme dans tous les domaines y compris celui de la biologie et de la médecine. La bioéthique prend alors plus de consistance comme philosophie morale de la recherche et de la pratique biomédicale.

    Quant au progrès biomédical, il faut dire que les découvertes scientifiques durant le siècle écoulé et des applications techniques ont révolutionné la pratique médicale. Parmi ces découvertes, on peut citer la découverte des antibiotiques et le perfectionnement de la chirurgie, la mise au point des premiers contraceptifs chimiques (la pilule) par Gregory Goodwin Pincus en 1952 qui révolutionna radicalement la sexualité humaine et surtout la psychologie de la femme.

    En 1954, naît une discipline nouvelle, la réanimation, qui s’occupe des personnes qui, normalement, seraient destinées à une mort certaine suite à une maladie, à un accident ou à une intoxication, mais sont maintenues en vie grâce à cette technologie extraordinaire et complexe.

    À côté de l’insémination artificielle, nous nous trouvons en présence de la fécondation in vitro. On s’achemine ainsi vers les nouvelles technologies de la reproduction humaine qui ouvrent de nouvelles relations entre les parents et les enfants, y compris la naissance des enfants qui n’ont aucune relation génétique avec les femmes qui les portent. Les techniques modernes de contraception, les tests prénataux très fiables et le fait que l’on puisse pratiquer des avortements sans danger, ont donné aux femmes et aux couples la possibilité de choisir le nombre et le genre d’enfants qu’ils voudraient avoir.

    Il faut signaler aussi le développement des techniques nouvelles : la technique des greffes d’organes, la technique du prélèvement et de la greffe de tissus fœtaux humains, la technique de différentes manipulations génétiques. La découverte du dialyseur, du respirateur artificiel, offrent la possibilité de maintenir en vie des malades qui, hier, pouvaient facilement trouver la mort sur le lit de l’hôpital.

    Toutes ces découvertes de la science et de la technique touchent la vie humaine. Elles peuvent intervenir sur le processus de la procréation, elles peuvent contrôler le code génétique de la personne, etc.

    C’est donc l’homme vivant qui est en jeu. Il faudrait encore une fois de plus une réflexion philosophique et éthique sur les valeurs et les droits inviolables de l’homme et sur ses exigences inaliénables. L’homme devient responsable non seulement de la rectitude de ses actions, mais également de l’intégrité de l’espèce ; il devient responsable en plus, des conséquences de sa conduite à court terme, mais aussi à longue échéance tant que durera la vie de l’homme sur la terre. Un autre facteur a été la préoccupation grandissante du pouvoir exercé par les médecins et les hommes de science, qui montre qu’il faudrait tenir compte du droit du patient et des droits des communautés dans la gestion de la précarité de la vie dans les hôpitaux.

    0.2 Objectifs et limites

    Ce travail voudrait explorer principalement les conditions qui peuvent nous permettre de mieux comprendre la bioéthique. Celle-ci est avant tout philosophique et théologique par ses origines comme nous l’avons dit plus haut. C’est pourquoi nous essayons en premier lieu de comprendre ce que veut dire l’éthique ou la philosophie morale. Les courants éthiques les plus importants de notre temps nous mettent en présence des attitudes variées de l’homme face aux problèmes de notre époque. Toutes ces théories que nous exposons ici existent complètement en dehors de la médecine professionnelle organisée. Nous n’essayons pas dans cette étude de choisir et de préférer une théorie éthique quelconque par rapport aux autres, dans la mesure où la validité des jugements moraux dépend de leur acceptation par une communauté donnée. Mais en même temps ces jugements impliquent des guides d’actions dans des situations concrètes

    Ce travail ne vise pas à faire une application directe de ces courants de pensée sur les problèmes actuels particuliers comme l’euthanasie, l’avortement, le conseil génétique, les nouvelles technologies de procréation, les transplantations d’organes, etc. Nous reviendrons plus en détails sur ces problèmes dans nos travaux ultérieurs.

    Ce travail ne met aucun accent sur les recherches et les travaux de certains centres bioéthiques en Europe comme en Amérique avec leurs particularités. Il est vrai que certains auteurs marquent et soulignent les différences qui caractérisent les préoccupations des chercheurs selon les pays et les continents. Nous pensons pour notre part que la base éthique de ces nombreuses recherches reste la même partout.

    Les démarches qui sont proposées dans ce travail ne sont pas transculturelles. Dans sa forme, le travail se préoccupe en grande partie, sinon entièrement, des valeurs de l’Occident comme l’autonomie, l’individualisme, la vie privée, etc. Le fait que la bioéthique soit née et développée dans cette partie du monde suite au développement de la technologie biomédicale dans les soins de santé, ne veut pas dire qu’elle ne peut transcender les cultures. Ce qui est à encourager dans ce domaine, c’est un dialogue transculturel sur les valeurs qui devra guider le projet d’une bioéthique dans un monde devenant de plus en plus petit.

    0.3 Intérêt et méthode

    Comme base ou fondement, ce travail trouve son intérêt en ce qu’il nous aide à mieux comprendre la bioéthique et même à nous armer à faire – pourquoi pas – nous-mêmes la bioéthique. Nous expliquons de la manière la plus simple possible les termes philosophiques ordinaires comme la liberté, la conscience et le devoir. Mais il a aussi un autre intérêt: le lecteur qui aborde ce travail et possède déjà une position éthique déterminée ou se trouvant dans l’une ou l’autre courant éthique pourra approfondir sa position et élargir ses horizons. Nous nous alignons ainsi sur l’approche de la bioéthique que décrivent T. Beauchamp et J. Childress dans leur livre, Principles of Biomedical Ethics, comme étant une théorie composite en opposition à des théories monistes ou absolutistes. Cela permet, d’après eux, à chaque principe de base d’avoir du poids sans pouvoir n’attribuer aucune priorité en classant ou en mettant du poids sur un seul principe. Le principe qui l’emporte sur les autres dans le cas d’un conflit entre eux, dépendra du contexte particulier. Ainsi, selon les circonstances en présence, n’importe quelle règle peut, de manière théorique, être valablement supplantée par une autre règle morale en concurrence.

    Pour tous ceux qui sont déjà familiers avec la philosophie, ce travail pourrait paraître quelque peu une redondance. En intitulant ce travail de fondements, notre préoccupation est de cerner les bases éthiques de la bioéthique. H. Tristram Engelhardt publiait en 1975 son livre The Foundations of Bioethics. Ce livre reconnaît l’existence des communautés concrètes à l’intérieur desquelles les hommes et les femmes peuvent vivre leur moral de manière cohérente et être à la recherche d’une vie vertueuse. Dans ces communautés, on trouve des Juifs, des Protestants, des Orthodoxes, des Catholiques, des Musulmans, des Hindous et autres. On y trouve également des Égalitaristes et des Libertaires, des Capitalistes et des Socialistes. Le but poursuivi par l’auteur est de bâtir une bioéthique purement profane. La morale qui ressort justement de cet ouvrage est d’atteindre les individus au-delà de leurs communautés morales.

    Ce bouquin, l’auteur l’affirme lui-même, ne donne pas un guide moral où tous ceux qui le veulent peuvent venir y puiser la manière de mener leur vie morale de façon concrète. Il offre plutôt un cadre à n’importe quel individu de se sentir lié aux autres par une structure morale commune et qu’il fasse appel à une bioéthique commune. N’endossant pas une vision morale particulière, l’auteur cherche à éviter les difficultés qui entourent les explications profanes.

    Nous nous démarquons de cet auteur dans la mesure où notre travail ne prend position pour aucune théorie déterminée. Nous trouvons qu’il est intéressant d’exposer d’abord les grandes théories morales et ensuite de voir leurs faiblesses et leurs forces face aux questions bioéthiques d’aujourd’hui. Nous privilégions la capacité de l’homme et surtout son autonomie à prendre des décisions et à porter ses responsabilités.

    Beaucoup de débats à l’intérieur de la bioéthique sont centrés sur ce problème théorique classique de méthode, à savoir que les problèmes éthiques sont résolus par les approches qui partent de haut en bas, c’est-à-dire des approches qui mettent l’accent sur les principes ou les théories qui peuvent être appliquées parfois de manière déductive aux problèmes spécifiques ; ou alors les problèmes sont résolus par des approches qui vont de bas en haut, c’est-à-dire des approches qui partent des contextes ou des particularités d’un cas pour arriver aux paradigmes et aux principes. Certains bioéthiciens rejettent le modèle de l’application directe des théories aux problèmes bioéthiques. Cela veut dire que celui qui aborde un problème éthique en annonçant à l’avance quelle théorie il va appliquer ou suivre et à quel résultat il voudrait atteindre, risque fort bien d’être à côté de la plaque.⁶ Pour eux, la moralité ne pourrait être codifiée dans un ensemble de règles. Les théories sont, en général, abstraites, alors que la vie réelle se présente d’une manière désordonnée en offrant plus de détails. Il faudrait sans doute, pour résoudre ce problème, adopter le modèle d’étude des cas.

    En plus, il y a des doutes qui sont particulièrement causés par le grand nombre de théories éthiques à notre disposition. Il ne s’agit pas de faire comme s’il n’existait qu’une seule théorie à laquelle tout le monde s’accorderait. À la place, nous avons à notre disposition beaucoup de théories éthiques qui sont parfois en contradiction les unes des autres. Que devrait alors faire le bioéthicien dans ces conditions ? Y a-t-il un principe à suivre pour choisir une seule théorie ou faudra-t-il simplement faire un choix arbitraire⁷ ?

    Ce problème fut soulevé au XVIIIe siècle par David Hume qui arriva à la conclusion que finalement les mœurs étaient basées sur les sentiments et non sur la raison. Hume savait très bien que les jugements moraux ont besoin d’un support rationnel ; mais il fit remarquer que chaque chaîne de raisonnement nous ramenait à un certain principe premier qui semble toujours injustifié. On pourrait penser ici aux axiomes en mathématiques ou dans les sciences. Et s’il nous était demandé de justifier ce principe, nous arriverions toujours à donner une justification, en faisant appel une fois de plus à une autre hypothèse injustifiée, et ainsi de suite. Nous ne pourrons jamais justifier toutes nos hypothèses ; et il faut se rendre tout de même à l’évidence que nous devons commencer à construire un raisonnement quelque part à partir d’un point bien déterminé.

    David Hume constata en outre dans son livre Treatise of Human Nature que beaucoup d’arguments éthiques, surtout dans la philosophie scolastique, qui étaient en somme qu’une série d’états de fait utilisant le verbe « être » conduisaient à une conclusion faisant usage du verbe « devoir » (ought). Pour Hume, cela lui semblait très particulier et étrange. Il se demandait, si une série de faits pouvait en soi conduire à une conclusion normative.

    Certains, comme John Searle⁸ ont affirmé que quelques faits sociaux pouvaient bien conduire à des conclusions normatives. Searle montre que le fait que je promets de faire quelque chose implique par le fait même une conclusion normative, c’est-à-dire, que je dois accomplir la promesse faite. D’autres philosophes encore ont soutenu que certains faits concernant le rôle et le but associé à quelque chose ou à quelqu’un impliquaient aussi des conclusions normatives. Alasdair MacIntyre⁹, par exemple, montre que le fait que quelque chose soit connu comme étant un « couteau », peut nous conduire à partir de ce fait, à tirer certaines conclusions au sujet de ce qu’un objet que nous nommons « couteau » doit normalement être. Ce qui fait que, lorsque nous disons qu’un couteau est bon, cela nous conduirait à énumérer les caractéristiques qui font que ce « couteau » est tranchant et qu’il puisse couper convenablement des objets. De même, le fait qu’une personne occupe une fonction bien déterminée ou un métier quelconque, nous amène à tirer des conclusions au sujet de ce qui fait que cet individu est bon dans ce qu’il fait comme métier. Par exemple, le fait que quelqu’un soit militaire, implique qu’il soit un bon militaire ; on s’attend à ce que cette personne soit courageuse, loyale, etc. De la même manière, lorsque nous disons qu’une telle personne est médecin, nous sommes capables d’associer à cet individu les qualités qui sont normalement attribuées à un bon médecin. C’est par exemple que cette personne est compétente, respectueuse, etc.

    Un contre-argument, qui s’adresse aussi bien à Searle qu’à MacIntyre, est que ces buts qui sont fixés par l’homme et ces faits sociaux appartiennent déjà implicitement à l’ordre de la morale. Ces genres de faits sont différents des faits bruts au sujet du monde qui n’englobent pas en soi des conclusions normatives. De ce point de vue, les faits sociaux et les buts fixés par l’homme ne violeraient pas la distinction entre le fait et la valeur ou les valeurs qui y sont associées, parce que ces genres de faits contiennent déjà de manière implicite des prémices morales. En réponse, on peut dire qu’il existe réellement un but ou un objectif déterminé qui est lié au fait que l’on soit médecin. Si on pouvait mieux comprendre ce que cela voulait dire que d’être un excellent médecin, alors on aurait à coup sûr sa propre manière d’avoir un système d’éthique médicale.

    Alasdair MacIntyre de son côté avance une autre objection.¹⁰ Pour lui, la rationalité n’a de sens qu’à l’intérieur d’une tradition historique. L’idée de la raison impartiale, qui justifie les normes de conduite s’imposant à tout le monde, est pour lui une illusion qui fut encouragée par le Siècle des Lumières. En réalité, les traditions historiques placent des normes d’enquête pour ceux qui travaillent à l’intérieur de ces traditions. Mais les normes de la pensée rationnelle diffèrent d’une tradition à une autre, et ainsi, on ne peut pas parler de ce qu’exigerait la raison dans un sens universel. Il n’existe pas pour ainsi dire des normes qui sont neutres sans tradition.

    Ce que nous pouvons dire est qu’il est difficile d’accepter que les théories morales ne soient que l’expression des sentiments ou l’expression des traditions historiques. Mais nous devons retenir que même si la raison à elle seule ne savait déterminer quels principes ultimes nous devrions accepter, cela ne veut pas dire que nos choix devraient se faire de façon arbitraire. Il existe beaucoup de contraintes sur ce que nous pourrions choisir comme principes, et ces contraintes nous donnent une base d’espoir, dans le sens où les gens raisonnables seront toujours capables d’atteindre un accord. Tout le monde ou presque a les mêmes besoins de base comme la nourriture, l’amitié, l’affection, la protection contre le danger, un travail utile, pour ne citer que quelques-uns. Nous éprouvons parfois de la souffrance et nous sommes tous vulnérables à la maladie. Nous sommes des êtres altruistes et des êtres sociaux qui vivons en société. C’est pourquoi, il faudrait que nous puissions accepter des règles qui sont nécessaires pour que la vie sociale soit possible. Ces faits et beaucoup d’autres faits encore semblables nous imposent des limites évidentes sur les genres de principes que nous pouvons accepter comme étant rationnels.

    Il faut dire aussi que ce que MacIntyre soutient n’est pas totalement faux lorsqu’il dit que les normes de la pensée rationnelle diffèrent d’une tradition historique à une autre. Mais cela ne veut pas dire que les traditions sont à l’abri de toutes critiques. Nous constatons par exemple que certaines traditions morales font confiance aux hypothèses théologiques qui sont contradictoires ou arbitraires. D’autres traditions font des hypothèses concernant la nature du monde qui sont en contradiction avec les sciences modernes. D’autres encore sont basées sur des points de vue intenables concernant la nature humaine. On ne saurait affirmer que toutes les traditions sont à traiter de la même manière.

    À partir de tout ce que nous venons de dire, nous pouvons être quelque peu optimiste concernant ce que la raison peut bien accomplir. Nous pouvons ainsi arriver à découvrir des arguments éthiques qui font généralement appel aux gens rationnels.

    La méthode philosophique consiste à mener une réflexion rigoureuse sur son objet d’étude. Il ne s’agit pas uniquement ici de rendre correctement les idées des auteurs et des courants éthiques étudiés, mais il s’agit aussi de critiquer et de voir comment un courant ou une idée pourrait servir la bioéthique. Méthode veut dire à la fois beaucoup de choses différentes ; mais dans sa plus simple signification, la méthode désigne des instructions qu’il faut avoir pour aller d’un lieu à un autre. Le terme dérive du grec meta et de odos ; s’il faut prendre la traduction à la lettre cela veut dire « sur la route ». Pour voyager sur une route il faut des cartes, des repères. Le voyage de la raison ou de l’intelligence à travers un problème donné est facilité par la méthode. Les méthodes diffèrent d’une discipline à l’autre ; cela dépend en grande partie de ce que la discipline étudie et des genres des problèmes à résoudre. Une méthode qui convient à l’analyse philosophique de l’éthique sera différente d’une méthode que l’on utilise pour résoudre un problème de mathématique ou de technique. Et même un problème philosophique d’éthique peut être posé de manière à ce qu’il faille utiliser différentes méthodes pour le résoudre. Ainsi, à la question de savoir quels principes éthiques il faudrait utiliser ou qui peuvent guider les recherches avec les sujets humains, un philosophe qui fait face à cette question pourrait recourir à des théories éthiques qui sont déjà bien établies, comme la déontologie kantienne et partir des présuppositions théoriques de cette théorie pour arriver à des conclusions générales. Ainsi, le philosophe qui travaille selon les implications de l’impératif pratique de Kant, « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité comme une fin, et jamais simplement comme un moyen », pourrait conclure que personne ne serait sujet de recherche à moins qu’il y ait eu consentement de la personne même. Un autre philosophe pourrait recourir à la théorie de l’utilitarisme de la règle et arriver à la même conclusion en passant par une voie tout à fait différente d’arguments. Les deux routes partent d’une théorie et d’un principe général vers une conclusion. Les deux sont des méthodes convenablement philosophiques pour conduire des arguments. En général, une théorie éthique est un processus par lequel nous essayons de justifier une décision ou une réponse à une question normative spécifique. Les théories éthiques organisent les informations complexes et les valeurs ou les intérêts contradictoires, et nous aident ainsi à formuler des réponses à des questions du genre, Que dois-je faire ? Quel type de personne dois-je être ? Ou quelle action dois-je entreprendre ? Le but principal d’une théorie est de nous fournir de la cohérence et de la consistance dans la prise de nos décisions.

    Les deux routes sont des plans ou des cartes distinctes. Tout philosophe astucieux qui utilise ces cartes sait que certains chemins de la carte sont dangereux parce qu’ils conduisent à des complexités logiques à partir desquelles il est difficile de sortir. Le philosophe va ainsi arrêter son voyage et examiner le chemin en détail, et essayer de trouver un chemin logiquement défendable pour continuer son voyage. Et si vraiment il n’y arrive pas, il doit alors mettre fin à son voyage intellectuel. C’est la manière caractéristique de penser en philosophie et surtout en morale : on dirige son attention vers les mouvements de la pensée, la définition des termes, les hypothèses, les implications, et les preuves. Cependant, le voyage est plus qu’un mouvement de pensée à travers certains méandres logiques et conceptuels. C’est aussi des mouvements à travers un terrain peuplé d’individus d’un certain âge, sexe, et statut et qui sont situés dans des cadres réels de vie, de temps, de lieu, et des problèmes.

    La majeure partie de notre bibliographie est pleine d’ouvrages anglais ou américains. Cela pourrait s’expliquer aisément dans la mesure où la bioéthique s’est beaucoup développée dans les pays anglo-saxons et qui l’ont vu naitre. En plus, certains courants de pensée comme l’utilitarisme et le principalisme ont pris racine dans un environnement typiquement anglo-saxon. Les grands philosophes qui ont marqué notre époque sont d’origine allemande et nous n’avons pas hésité d’utiliser les sources originales ; ce qui pourrait parfois rendre la lecture lourde.

    0.4 Le plan du travail

    Nous avons divisé ce travail en deux parties, qui sont d’ailleurs inégales, comprenant neuf chapitres. Il faut y ajouter un excursus qui se trouve à la fin du travail sur le Magistère de l’Église et la question de la bioéthique. La première partie comporte trois chapitres et traite en premier lieu de la bioéthique, de son domaine et de ses disciplines connexes; ensuite, de la philosophie et plus spécialement de la philosophie morale; et enfin, de trois termes qui sont importants en éthique et surtout en bioéthique, à savoir, la loi, la liberté, et la conscience. La deuxième partie qui comporte six chapitres étudie quelques théories éthiques utilisées en bioéthique. Il s’agit du principalisme, de l’éthique théologique, les théories déontologiques dont le kantisme, l’utilitarisme et l’éthique de la vertu. Le dernier chapitre traite de l’utilité de toutes ces théories philosophiques, des principes et des méthodes en bioéthique. La conclusion finale reprend les grands points traités dans ce travail et se termine par la question de savoir si la bioéthique avait réellement besoin de philosophie pour s’établir comme discipline autonome. Revenons quelque peu en arrière pour présenter de manière explicite les neuf chapitres.

    Le premier chapitre donne une définition ou des définitions de la bioéthique qui ne s’arrêtent pas à la formation de deux termes: bio qui veut dire vie; et éthique. Étant une science très jeune, la bioéthique prend de plus en plus du terrain. C’est ainsi que le domaine de la bioéthique englobe le domaine de la nature avec les perturbations de l’écosystème, la pollution, etc. Dans le domaine de la vie, on peut parler du problème de la contraception et de l’euthanasie. Sur le plan social, nous avons la politique de la santé. Dans ce même chapitre, nous traitons non seulement de la méthode de la bioéthique qui relève en partie sinon totalement de la philosophie morale, mais également des disciplines connexes à la bioéthique comme l’éthique de l’environnement, l’éthique animale et l’éthique médicale. Nous nous étendons en longueur sur le problème de la méthode en bioéthique. C’est ainsi que nous exposons les différentes méthodes qui peuvent aider la bioéthique dans ses investigations : la philosophie, les codes professionnels, les méthodes légales, la casuistique, la méthode historique, les méthodes qualitatives, les méthodes ethnographiques, les enquêtes quantitatives, les méthodes expérimentales, et finalement l’économie et la science de décision.

    Ayant situé la bioéthique dans la philosophie morale, le deuxième chapitre va plus en profondeur pour tracer le contour de l’objet de la philosophie. Celle-ci s’intéresse à l’analyse des concepts fondamentaux. Elle s’occupe à donner des justifications concernant les croyances de l’homme. Elle a enfin comme tâche de fournir des explications sur la nature de la réalité. La morale gouverne le comportement de toute personne raisonnable dans ses rapports avec les autres.

    Après avoir montré dans le deuxième chapitre que la philosophie a comme tâche d’analyser des concepts fondamentaux, le troisième chapitre s’attarde à l’analyse de trois concepts importants : la loi morale, la liberté humaine et la conscience morale. La loi morale peut être considérée comme des préceptes qui viennent de l’extérieur et que l’homme doit suivre sous peine de sanction. En morale, on suit des règles parce que celles-ci possèdent une certaine autorité. Dans le même ordre d’idées, nous analysons aussi la loi naturelle qui est considérée par certains auteurs comme étant la loi divine. Nous analysons tour à tour les idées de certains auteurs sur la question comme Thomas d’Aquin, Suarez, Pufendorf, Grotius, Kant, et Finnis.

    Le deuxième point que nous développons dans ce chapitre est celui de la liberté. Nous essayons ici de comprendre la liberté tant personnelle qu’institutionnelle. Ensuite, il sera question de parcourir quelques théories philosophiques sur la liberté. Nous nous étendrons sûrement sur les idées, entre autres de Thomas d’Aquin, de Kant et de son impératif catégorique, du déterminisme social de Hegel, de la liberté dans la philosophie analytique et enfin, de la liberté selon Harry Frankfurt.

    Le troisième terme qui nous préoccupe dans ce chapitre est celui de la conscience morale. Celle-ci a pris plusieurs significations dans l’histoire. Elle est, de toutes les façons, considérée comme la plus haute juridiction de la raison, comme jugement humain, comme volonté, comme voix de la collectivité, bref, comme normativité humaine. Parmi les fonctions que l’on attribue à la conscience, on peut citer sa fonction de témoin ou de plaignant et sa fonction d’évaluation morale. Nous analysons également le problème de la conscience morale face à l’enseignement de l’Église et la manière dont nous pouvons arriver à améliorer cette conscience morale.

    Le quatrième chapitre présente la théorie éthique que l’on appelle le principalisme. Celui-ci est un ensemble de principes qui sont acceptables et qui sont capables de résoudre des conflits. Dans ce dessein, le principalisme met en avant quatre principes : l’autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance, et la justice.

    Le cinquième chapitre traite de l’éthique théologique ou de la théologie morale. Il s’agit de savoir si les commandements de Dieu pouvaient être considérés comme des principes de base en morale. Si nous acceptons que la morale fasse une partie essentielle de la religion, alors celle-ci doit jouer un rôle dans la manière dont nous voyons le monde et dirigeons nos actions. Ce qui est bon ou mauvais provient ainsi de la volonté de Dieu. Un acte est bon ou mauvais, dans la mesure où cet acte est commandé ou interdit par Dieu. Mais si Dieu veut quelque chose, c’est parce que ce qu’il veut est bon. Or, si nous acceptons l’existence d’un bien qui est à faire et qui est objectif et indépendant de Dieu, alors nous pouvons faire le bien sans passer par Dieu. Faudra-t-il alors tuer Dieu ? De toutes les façons, celui qui croit que Dieu existe continuera toujours à croire que Dieu est en œuvre en lui et dans le monde.

    Au sixième chapitre, nous exposons la conception des théories déontologiques et en particulier du kantisme. Les théories déontologiques mettent l’accent sur le fait que chaque action humaine doit être appréciée selon sa conformité ou sa non-conformité à certains devoirs. Nous distinguons ainsi les théories déontologiques de l’acte des théories déontologiques de la règle. Les premières nous offrent des méthodes basées sur l’expérience pratique. Le fait que l’on puisse se décider à faire quelque chose rend cet acte juste. Pour les théories déontologiques de la règle, la norme comprend des règles spécifiques comme celle qui consiste à dire qu’il faut toujours dire la vérité. Quant à l’éthique déontologique de Kant, elle s’appuie sur les principes d’autonomie et de la dignité de la personne. Celle-ci est un être humain qui est en lui-même un but en soi et ne saurait être considéré comme un instrument. L’éthique kantienne est une éthique du devoir qui gouverne l’action sans tenir compte des conséquences. La morale de Kant tourne autour de l’impératif catégorique qui est une nécessité pratique inconditionnelle.

    Le septième chapitre présente et analyse l’utilitarisme. Comme le terme l’indique, l’utilitarisme part du principe éthique d’utilité. Ce terme a pris plusieurs significations dans l’histoire. Jeremy Bentham dira que l’utilité reste un principe qui considère toute action comme juste ou injuste dans la mesure où celle-ci augmente ou diminue le bonheur d’un individu ou d’un groupe. À part la signification de l’utilitarisme, nous étudions aussi dans ce chapitre les bases de l’utilitarisme classique avec des noms comme Jeremy Bentham, John Stuart Mill et Henry Sidgwick. Étant donné que l’utilitarisme se préoccupe de la maximisation du bonheur, les préoccupations des utilitaristes modernes se trouvent dans la signification de ce bonheur et le lien que celui-ci entretient avec la morale. Nous terminons ce chapitre en parcourant les différentes théories autour de l’utilitarisme comme le « welfarisme », le conséquentialisme, la maximisation et l’universalisme. Nous nous attardons plus longuement sur ce courant philosophique, pour la simple raison que ce courant a influencé pendant longtemps et même jusqu’à nos jours la vie sociale, économique et politique de l’Occident.

    Le huitième chapitre traite de l’éthique de la vertu. Cette éthique ne s’occupe pas des actes isolés des individus, mais bien de l’homme entier. C’est ainsi que l’accent est porté sur le caractère et la vertu. C’est toute la personne qui est bonne ou mauvaise et il ne s’agit pas de considérer un acte isolé. Nous nous interrogeons également dans ce chapitre, sur la manière dont nous pourrons considérer un homme comme étant quelqu’un de bien. C’est bien sûr par les vertus qu’il possède, qui sont bénéfiques pour la personne elle-même, mais également pour la société. Dans toutes les vertus, on distingue certains modes de base de la reconnaissance morale comme l’amour universel, la réceptivité et l’appréciation, l’amour de soi, le respect universel et le respect de soi et la créativité. Les vertus en général nécessitent de l’objectivité, de l’exigence et des contraintes. À la fin du chapitre nous formulons quelques critiques envers l’éthique des vertus. La plus importante de ces critiques provient des sciences sociales spécialement de la psychologie de la situation qui trouve que la différence de comportement entre les individus provient de leurs situations respectives dans un environnement déterminé plutôt que de leurs tempéraments.

    Le neuvième chapitre répond à la question de savoir l’utilité, la nécessité de toutes ces théories morales, de ces principes et de toutes ces méthodes en rapport avec la bioéthique. Toute méthode est basée sur un principe moral pour servir de guide d’action. Les principes conséquentialistes ou utilitaristes sont orientés vers la production du plus grand bien pour le plus grand nombre. Parmi leurs valeurs importantes, nous avons le plaisir, le bonheur, et les préférences individuelles. Lorsque nous mettons l’accent sur les effets des actions particulières, nous sommes en présence des conséquentialistes des actes ; et si nous mettons l’accent sur des règles qui déterminent différents types d’actions, nous sommes en présence des conséquentialistes de la règle. Il y a lieu de se poser des questions en ce qui concerne la coordination, la coopération ou même la confiance dans les relations entre le médecin qui vise le bonheur général des malades et d’un malade en particulier. Les principes déontologiques sont les plus usités en bioéthique. C’est ainsi que nous trouvons des principes comme la dignité humaine, l’autonomie et le respect pour les personnes très en vogue dans les textes bioéthiques. Deux principes déontologiques majeurs sont souvent considérés comme étant antagonistes. Il s’agit de la sainteté de la vie et du respect pour l’autonomie. Un exemple flagrant à ce sujet est l’euthanasie active. Qui est pour la sainteté de la vie sera contre l’euthanasie, alors que l’autonomie nous demande de suivre la volonté du patient. Les approches principalistes se rangent parmi les approches pluralistes qui sont obligatoires. Mais ces principes semblent trop généraux et vagues pour guider les actions. Étant donné ce fait, les principes moraux exigent de l’interprétation. Pour éliminer ou réduire les conflits entre les principes, on pourrait arriver à spécifier en déterminant quel principe l’emporte sur l’autre. Pour résoudre les conflits, on pourrait également arranger les principes moraux dans un certain ordre lexical a priori. Sinon on peut aller de la base en partant des cas dans la compréhension concrète des circonstances et des cas précis. Une alternative distincte et constructive se présente dans l’éthique de la vertu. Celle-ci fait attention plutôt au comportement qu’à l’acte, au caractère plutôt qu’à la conduite. Plus concret et contextuel est l’éthique des soins. Au lieu de se consacrer aux actes individuels, on pourrait prendre en compte la communauté et la tradition.

    À la fin du travail, nous avons une conclusion générale qui reprend les principaux points du travail et nous nous demandons si la bioéthique a réellement besoin de la philosophie pour s’établir comme une discipline autonome. Les deux disciplines, la philosophie et la médecine, ont toujours été associées depuis l’époque des écoles de médecine de l’ancienne Grèce. Il y a toujours eu de réflexion éthique qui impliquait la médecine. La bioéthique vient ainsi répondre aux questions soulevées par les dimensions sociales de la médecine. L’évolution des nouvelles technologies médicales dans la société moderne et l’existence du multiculturalisme ont fait que l’on puisse tenir compte de différentes voies et manières d’appréhender la morale et les soins médicaux.

    Ce travail dans son ensemble vise quelques groupes des lecteurs. En premier lieu, le travail s’adresse aux lecteurs de langue française en général qui voudraient avoir une vue générale sur la bioéthique. En deuxième lieu, ce travail vise les professeurs et les étudiants. Il peut être utilisé comme une introduction générale à la bioéthique. Il serait très intéressant pour les étudiants de médecine qui suivent mes cours et qui ne sont pas spécialement habitués à la terminologie philosophique.

    Première partie:

    La bioéthique aux sources de la morale

    Chapitre I

    Que veut dire la bioéthique ?

    1.1 Définition et évolution de la consolidation du terme

    1.1.1 Les caractéristiques spécifiques de la bioéthique et les étapes successives de sa transformation

    La bioéthique étant une discipline jeune, il est actuellement difficile de trouver un consensus sur sa définition. Ce qui fait que l’on trouve une diversité de définitions. Certains considèrent la bioéthique comme étant la prolongation de l’ancienne morale ou éthique médicale ; d’autres vont mettre en avant sa nouveauté en l’intégrant à la philosophie ou au droit ; d’autres encore classent la bioéthique parmi les disciplines scientifiques particulières et les disciplines professionnelles diverses ; ou alors tout simplement, la bioéthique est présentée comme étant une discipline nouvelle.

    Il faut remonter jusque dans les années 1970 dans un article du cancérologue américain Van Rensselaer Potter pour trouver pour la première fois le terme « bioéthique ». Son livre portait comme titre : Bioethics, the Science of Survival. Il reprendra le terme dans son livre qui paraît l’année suivante en 1971 : Bioethics : Bridge to the Future.¹¹ La bioéthique peut être conçue, d’après Van Rensselaer Potter, comme étant une mobilisation de toutes les forces en vue d’engendrer une sagesse, un savoir relatif à la manière d’utiliser cet ensemble des connaissances dans l’intention du bien social et de canaliser les sciences biologiques à apporter leur appui pour l’amélioration de la qualité de la vie.¹² Van Rensselaer Potter proposait ce terme de bioéthique pour la science de la survie dans un sens purement écologique – c’est-à-dire une étude interdisciplinaire qui aurait pour but de garantir la préservation de la biosphère. Cette terminologie ne s’est pas répandue, mais à la place, la bioéthique vint se confronter à l’intérêt toujours grandissant dans les problèmes éthiques issus des soins de santé et des sciences biomédicales. D. Callahan considère la bioéthique comme une discipline ayant pour objectif de mettre au point une méthodologie prête à aider les médecins et les hommes de science à faire des choix appropriés.¹³ D. Roy met plutôt l’accent sur l’évolution équilibrée des individus et des collectivités. Quant à A. Varga, il voit la bioéthique comme l’étude de la moralité de toute conduite humaine ayant un certain rapport avec la vie. Cette étude inclut l’éthique médicale et toutes les questions posées par les sciences biologiques. Pour O. Hoffe, la bioéthique a pour objet les questions éthiques liées à la vie et à la mort : avortement, stérilisation, contrôle des naissances, manipulation génétique, l’euthanasie et l’expérimentation humaine.¹⁴

    Pour G. Hottois « la bioéthique couvre un ensemble de recherches, de discours et de pratiques, généralement pluridisciplinaires et pluralistes, ayant pour objet de clarifier et, si possible, de résoudre des questions, qui ont une portée éthique et qui sont suscitées par la recherche et le développement biomédical et biotechnologique au sein de sociétés caractérisées à des degrés divers comme étant individualistes, multiculturelles et évolutives. »¹⁵

    La célèbre Encyclopedia of Bioethics dans son édition de 1995 définit la bioéthique comme l’étude selon un ordre logique et cohérent des aspects moraux des sciences de la vie et de la santé. Ces aspects moraux comprennent la vision morale, les décisions, la conduite, et les politiques. Tout cela se fait à travers les différentes méthodes éthiques et dans un contexte interdisciplinaire.¹⁶

    Avec cette définition, la bioéthique ouvre la porte

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