Théâtre
By Jules Renard
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Jules Renard
Pierre-Jules Renard, dit Jules Renard, né le 22 février 1864 à Châlons-du-Maine et mort le 22 mai 1910 dans le 8e arrondissement de Paris, est un écrivain et auteur dramatique français.
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Théâtre - Jules Renard
Jules
Théâtre
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table des matières
Huit jours à la campagne
Pièce en un acte
La pièce a été représentée pour la première fois au Théâtre de la Renaissance, le 5 février 1906.
Personnages
Maman Perrier, 67 ans. Madame Perrier, sa bru. 40 ans. Marie Perrier, sa petite-fille. 16 ans. Georges Rigal, 27 ans. La scène se passe dans un village de l’Yonne.
Une petite cour sèche, un banc, une chaise en fer. – Au fond, sur la rue, une grille à barreaux verts, sans ornement. – À droite, la façade d’une maison de village bourgeoise, blanche et presque neuve. Il faut monter trois marches. – À gauche, une bordure de buis sépare la cour du jardin.
Scène I
Georges Rigal paraît à la grille. Complet de voyageur ; une petite valise ; l’air heureux et parisien. Il cherche vainement une sonnette. Il ouvre la grille et entre.
G EORGES : Pas de sonnette ! C’est bien campagne ! On entre comme chez soi... Personne !... charmant... Quelqu’un, s’il vous plaît ?
Maman Perrier arrive lentement du jardin ; elle est vieille, petite, droite, maigre, soupçonneuse.
G EORGES: Bonjour, madame. ( Maman Perrier ne répond pas.) C’est bien ici la maison de M. Maurice Perrier ?
M AMAN P ERRIER : Non, monsieur.
G EORGES : Pardon, madame. Je croyais...
M AMAN P ERRIER : C’est la mienne.
G EORGES: On m’avait dit, dans le village, que c’était la maison de M. Maurice Perrier.
Il va s’éloigner.
M AMAN P ERRIER: Elle sera peut-être à Maurice, quand je serai morte, mais, pour le moment, elle est à moi.
G EORGES : Ah ! Elle est à vous... Bien, madame. M AMAN P ERRIER: Et moi, je suis la grand-mère de Maurice.
G EORGES : Oh ! Madame !... Je voulais dire : c’est bien ici, chez sa grand-mère, que demeure M. Maurice Perrier ?
M AMAN P ERRIER: Oui, monsieur, il y demeure, pendant ses vacances. Et il n’est pas près d’avoir un domicile à lui.
G EORGES : Moi, je suis Georges Rigal.
M AMAN P ERRIER : Plaît-il ?
G EORGES : L’ami de Maurice.
M AMAN P ERRIER : Quel ami ?
G EORGES : Celui que vous attendez.
M AMAN P ERRIER : Nous n’attendons personne. G EORGES : N’auriez-vous point reçu ma lettre ? M AMAN P ERRIER : Votre lettre ?
G EORGES : Celle que je vous ai écrite hier, de Paris.
M AMAN P ERRIER: Vous m’avez écrit une lettre à moi ?
G EORGES : Non, madame, à Maurice.
M AMAN P ERRIER : Je ne m’occupe pas des lettres de Maurice ; c’est possible qu’il ait reçu quelque chose ; je vais demander.
Elle entre à la maison.
Scène II
G EORGES, seul : Quel type remarquable de vieille paysanne ! Naturelle, point gâtée par les usages du monde. Je croyais qu’on était prévenu, mais tant mieux ! j’arrive à l’improviste. Je ne dérange personne, c’est plus drôle. ( Il renifle.) Ça sent l’herbe à plein nez ! Oh ! la coquette maison ! Il ne lui manque qu’un peu de mousse, de lierre. Mon rêve pour mes vieux jours !
Scène III
Maman Perrier, Madame Perrier, George.
M AMAN P ERRIER . Elle amène madame Perrier : Voilà ma bru.
G EORGES : Madame, je suis enchanté de faire votre connaissance. C’est bien à la mère de Maurice Perrier que j’ai l’honneur...
M ADAME P ERRIER : Oui, monsieur.
M AMAN P ERRIER : Je vous le dis.
M ADAME P ERRIER, aussi étonnée que maman Perrier, mais polie : Nous avons reçu, en effet, monsieur, cette lettre pour Maurice.
G EORGES: C’est la mienne, madame ; je reconnais mon écriture, l’enveloppe et le timbre... j’annonçais dans cette lettre mon arrivée.
M ADAME P ERRIER: Maurice est sorti ce matin, avant le passage du facteur. Il n’a donc point lu votre lettre, et je ne l’ai pas décachetée ; je l’avais mise dans ma poche. Tenez, monsieur.
G EORGES : Vous pouvez la lire, madame.
M ADAME P ERRIER : C’est inutile, monsieur, puisque vous voilà.
G EORGES, prenant la lettre : Elle ne renferme aucun secret, madame ; j’écrivais à Maurice. Il pose sa valise sur le banc, ouvre la lettre et lit : « Cher ami, mon congé m’est accordé. Il y a si longtemps que tu me retiens et que je te promets ces huit jours... »
M AMAN P ERRIER, inquiète : Huit jours !
M ADAME P ERRIER, d’un ton insignifiant, pour réparer : Huit jours.
G EORGES: J’ai mis huit jours, pour mettre un chiffre, mais je resterai autant que je voudrai, autant que Maurice voudra, autant que vous voudrez, mesdames... ( Il continue de lire la lettre.) « J’arriverai demain matin jeudi, (c’est aujourd’hui, vous voyez si je suis exact !) par le premier train ; je me fais une joie de bavarder avec toi et de connaître enfin madame ta mère et mademoiselle ta sœur... »
M AMAN P ERRIER: Et la grand-mère, on n’en parle pas ?
G EORGES : Oh ! Madame.
M AMAN P ERRIER : Elle ne compte plus !
G EORGES : Pouvez-vous dire, madame ?
M AMAN P ERRIER: Maurice, je parie, m’a déjà donnée à tuer.
G EORGES : Non, madame.
M AMAN P ERRIER: Ça ne m’étonnerait pas de lui. Vous ne saviez peut-être pas seulement que j’existe ?
G EORGES: Oh ! madame, je sais... je sais de quelle affection Maurice vous aime. Je vous ai oubliée par étourderie. Excusez-moi.
M ADAME P ERRIER, arrangeante : D’ailleurs, à quoi ça sert d’écrire des longues lettres qui n’en finissent plus, quand on va se voir ?
G EORGES : N’est-ce pas, madame ? Vous avez bien raison. Silence. Je reprends donc ma lettre. Il met la lettre dans son portefeuille et laisse tomber une dépêche.
M ADAME P ERRIER : Vous laissez tomber quelque chose.
G EORGES. Il ramasse la dépêche : Merci, madame, ce n’est qu’une vieille dépêche bonne à déchirer. Il la met dans son indicateur.
M ADAME P ERRIER: Comme je suis ennuyée que Maurice soit sorti ! mais cela ne fait rien, monsieur, donnez-vous la peine...
Elle désigne la porte de la maison. G EORGES : Rentrera-t-il bientôt, madame ? M ADAME P ERRIER : Ah oui ! sans doute.
M AMAN P ERRIER : Est-ce qu’on sait, avec lui ?
M ADAME P ERRIER: J’espère qu’il ne tardera pas. C’est un fait exprès. Maurice ne sort jamais le matin. Et, pour une fois que vous venez, il s’en va. Il doit courir par les champs. Voulez-vous qu’on le cherche ?
G EORGES: J’attendrai un peu, en votre aimable compagnie, mesdames ; et s’il tarde trop, j’irai au devant de lui : cela me promènera, je verrai votre pays, qui m’a paru très joli, mesdames, sans flatterie.
M AMAN P ERRIER : Il est joli comme tous les pays. G EORGES : Madame, j’ai beaucoup voyagé et j’en ai rarement vu de plus plaisant.
M ADAME P ERRIER: Il faudrait le juger par un beau soleil. Ce temps gris le désavantage ; il a même plu cette nuit, dites, maman.
M AMAN P ERRIER : Il n’a pas plu assez.
M ADAME P ERRIER : Qu’est-ce qu’il vous faut ?
M AMAN P ERRIER: Il me faut de la pluie... Je n’appelle pas ça pleuvoir. Le jardin meurt de soif. Après une sécheresse de trois mois, cette petite ondée lui mouille à peine la peau.
G EORGES : C’est étonnant, madame, car il a plu très fort jusqu’à notre arrivée en gare. Je craignais même de recevoir l’averse sur le dos.
M AMAN P ERRIER : Les pays d’où vous venez ont de la chance. Tout pour les autres, rien pour nous. G EORGES: Votre tour viendra, madame ; après le beau temps, la pluie.
M ADAME P ERRIER: Mais, j’y songe, personne ne vous attendait à la gare.
G EORGES : Il y avait le chef de gare, et puis c’est si proche. D’ailleurs, quoi de plus agréable que ce voyage ? On s’endort à Paris, on se réveille dans un pays inconnu, à une heure matinale. On est seul, libre. On a laissé là-bas les soucis quotidiens. On se croit une vie nouvelle et l’on se sent fier de se lever avec le soleil.
M AMAN P ERRIER : Il est frais, le soleil, aujourd’hui. G EORGES : Oh ! madame, qu’importe un nuage de plus ou de moins à la campagne ?
M ADAME P ERRIER : Je ne vous ai même pas entendu ouvrir la grille.
G EORGES: En effet, comme c’est nature ! Il n’y a pas de sonnette à votre grille.
M AMAN P ERRIER : Si fait, il y en a une, elle est chez le serrurier.
M ADAME P ERRIER : Il ne finit plus de la réparer.
M AMAN P ERRIER: Sans moi, le monsieur prenait racine dehors ; j’étais dans le jardin ; je désherbais les carottes ; j’entends appeler ; je lève la tête et qu’est-ce que je vois ? Je vois le monsieur planté là, avec son colis.
G EORGES : Ah ! j’ai dû vous surprendre.
M AMAN P ERRIER : Oui.
G EORGES : C’est bien plus drôle. (Il rit seul.) M ADAME P ERRIER: Et ce Maurice qui ne revient pas ! Entrez donc vous reposer, monsieur, vous asseoir. G EORGES , qui commence à être gêné : Oh ! merci, madame, je ne suis pas fatigué..
M AMAN P ERRIER: Monsieur s’est assis tout son content dans le train.
M ADAME P ERRIER : Mais il a peut-être besoin de se passer de l’eau sur la figure ?
G EORGES: Volontiers, madame, quoique à la campagne... (Fausse entrée.)
M AMAN P ERRIER : Alors, monsieur déjeune ?
M ADAME P ERRIER : Naturellement. Croyez-vous qu’il aura fait cinquante lieues pour nous dire bonjour et repartir sans prendre quelque chose ?
G EORGES: Madame, vous êtes mille fois trop obligeante. Surtout que je ne vous dérange pas ! M ADAME P ERRIER: Et quand vous nous dérangeriez !
M AMAN P ERRIER : Sommes-nous des sauvages ? M ADAME P ERRIER: Mais, vous savez, il y aura ce qu’il y aura.
G EORGES: Et que faudrait-il de plus, madame ? Je me régalerai d’œufs à la coque et de fromage à la crème.
M AMAN P ERRIER: Si vous comptez là-dessus, mon pauvre monsieur, vous vous brosserez le ventre ; il ne suffit pas de dire : Amen ! pour qu’une poule ponde et que le lait se mette à cailler.
G EORGES: J’ai bon appétit, je mangerai de la viande ; elle doit être de première qualité dans cette contrée ; j’ai vu, par vos prairies, des troupeaux de bœufs magnifiques.
M AMAN P ERRIER : Oui, mais on ne les tient pas, et, d’ailleurs, les bœufs magnifiques, comme vous dites, on les envoie à Paris. Notre boucher ne garde que les vieilles vaches, et encore il ne tue que le samedi ; nous aurons de la veine s’il lui reste un morceau présentable.
G EORGES : Ne vous tourmentez pas, je vous prie. À la