Alaïs ou l'histoire d'une renaissance
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About this ebook
Colette Becuzzi
Poétesse dans sa jeunesse, après avoir tardivement repris des études littéraires, Colette Becuzzi est revenue à l'écriture. L'art étant son domaine de prédilection, elle s'est aussi adonnée à la peinture. Elle a notamment publié des romans, des histoires pour enfants et des contes qu'elle a elle-même illustrés. Son dernier roman, De tout et de rien, raconte la vie quotidienne de madame tout le monde.
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Alaïs ou l'histoire d'une renaissance - Colette Becuzzi
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Écoute ton cœur. Il connaît toute chose,
parce qu’il vient de l’Âme du Monde, et qu’un jour
il y retournera¹. »
¹ Paulo Coelho, L’Alchimiste, Éditions Anne Carrière, 1988, p. 200.
Sommaire
Chapitre Un
Chapitre Deux
Chapitre Trois
Chapitre Quatre
Chapitre Cinq
Chapitre Six
Chapitre Sept
Chapitre Huit
Chapitre Neuf
Chapitre Dix
Chapitre Onze
Chapitre Douze
Chapitre Treize
Chapitre Quatorze
Chapitre Quinze
Chapitre Seize
Chapitre Dix-sept
Chapitre Dix-huit
Chapitre Dix-neuf
Chapitre Un
« Il n’y a pas de fumée sans feu ». Cette courte phrase résonne encore dans mon esprit alors que je roule à vive allure en direction de la ville. Je reviens d’une énième escapade dans le maquis par une route de campagne si sombre que même les phares de ma voiture parviennent difficilement à faire régresser la noirceur qui m’entoure. J’ai la désagréable sensation que mon être tout entier est plongé dans les ténèbres après ce que j’ai vécu il y a quelques mois. Ces retours réguliers mais vains sur le lieu où j’espérais revoir celui qui fait encore battre mon cœur n’ont fait qu’amplifier ma déception et mon mal-être. Il est vrai que je n’aurais jamais imaginé que les événements tourneraient aussi mal.
Dans le maquis corse, on peut s’attendre à tout. Mais je n’étais pas préparée à ce qui allait survenir.
Je dois avouer que j’avais beaucoup présumé de mes forces, force de caractère et force physique, le jour où j’ai décidé d’aller sur place comprendre ce qui se passait dans la relation que j’avais nouée avec cet homme. J’avais l’impression de vivre un conte de fées. Tout était magique. J’avais envie de le voir, il était là ; j’avais besoin de réconfort, il savait trouver les mots justes ; j’avais soif de vivre et les moments intenses que nous partagions me faisaient apprécier chaque seconde de ma vie. Comment ne pas succomber dans ces conditions ?
Nous étions partis en voyage et notre histoire semblait devoir durer toujours. Nous avions pris un bateau en direction de l’Égypte. Il était fasciné par ce pays dont il disait que les mystères qui entouraient la construction des pyramides l’avaient toujours fasciné ; qu’il avait lu de nombreux ouvrages sur l’histoire des pharaons mais que rien ne vaudrait une visite dans ce pays pour se rendre compte de ce qui avait pu s’y passer ; que si ce pays renfermait encore des secrets, il voulait se rendre compte par lui-même de ce qu’il laisserait éventuellement filtrer.
Ce périple aurait dû être extraordinaire si une panne de bateau n’avait dû nous y faire renoncer à peine étions-nous arrivés en Grèce. Ironie du destin, au lieu de visiter les pyramides, nous nous sommes retrouvés sur l’Acropole d’Athènes, puis nous nous sommes rendus au Parthénon, maigre compensation de nos rêves égyptiens. Nous sommes rentrés déçus et dès lors, notre relation s’est un peu dégradée.
Je ne connaissais pas cette facette acariâtre de Giorgio, mon compagnon, lorsqu’un événement ne se déroulait pas selon les plans qu’il avait prévus. Même si je n’étais pas responsable de sa déception, c’est à moi qu’il en tenait rigueur.
Nous avons pris un peu de distance pendant quelque temps. Il avait besoin d’aller se ressourcer dans le seul lieu où il sentait avoir planté de profondes racines, m’avait-il dit quelque temps après notre chaotique retour. Je savais que c’était le maquis. J’ai patienté une semaine sans me poser trop de questions, mais après une quinzaine de jours, j’ai commencé à avoir des doutes sur la durabilité de notre relation. J’ai essayé de me raisonner, mais il m’était de plus en plus difficile d’attendre sans rien tenter. Aussi est-ce au bout d’un mois environ que je pris la décision d’aller le questionner dans sa retraite.
J’avais quelques maigres indices que je croyais savoir mettre à profit en m’aidant de ce qu’une amie m’avait raconté avant même que je ne vienne m’établir en Corse. Elle avait fouillé le maquis à la recherche de sensations fortes et elle n’avait pas été déçue. Devais-je lui demander de m’accompagner ? D’une part elle était loin et venir en Corse, si elle était disponible et disposée à entreprendre un voyage maintenant, lui aurait pris du temps. D’autre part, je n’en avais pas très envie car je désirais affronter seule mon destin. Je m’en sentais parfaitement capable.
C’était cependant présumer de mes capacités à voyager en solitaire dans cette région aussi inextricable qu’imprévue.
Je faillis renoncer au bout de quelques jours, mais mon sentiment de frustration m’en empêcha. Je ne pouvais supporter l’idée de ne pas savoir où en était ma relation.
C’est donc munie de tous les instruments nécessaires à une aventurière pour me diriger de manière sûre que je commençai à me glisser dans ce désert de broussailles. Je n’allai pas bien loin car le premier sentier que j’empruntai se termina brusquement devant un fouillis de branches épineuses que je n’osai franchir. Je dus rebrousser chemin et me retrouvai quasiment à mon point de départ. La plupart de mes tentatives furent infructueuses et je cherchai donc un autre moyen de retrouver mon bien-aimé. J’étais fermement décidée à ne pas m’avouer vaincue d’avance. Je savais ce que signifiait le maquis, mais rien n’aurait pu m’empêcher d’avoir une explication de visu avec Giorgio. Malgré cela, je dus louvoyer auprès de ses amis pour que l’un d’eux me conduise à lui.
C’est avec beaucoup de réticence que Matteo accepta de me mettre sur la voie un matin de printemps quelque trois mois après que Giorgio ait disparu de ma vie. Nous allâmes assez loin en direction du sud, puis nous prîmes une route de campagne tortueuse que je ne connaissais pas, et ensuite nous marchâmes pendant au moins deux heures sur un sentier tortueux et rocailleux.
Aux abords d’un chemin de terre, il me banda les yeux et me dit que Giorgio avait décrété que c’était la condition sine qua non pour être guidée jusqu’à sa retraite.
Je jouai le jeu et c’est ainsi que nous atteignîmes son repaire en fin d’après-midi. Le trajet avait été rude car à mi-chemin la montée m’avait semblé plus raide qu’au départ. Ensuite, nous étions redescendus pendant un moment qui me parut long, la difficulté étant encore plus grande à la descente. Et même si Matteo guidait mes pas avec beaucoup de savoir-faire, l’angoisse de mal poser mes pieds avait rendu mon cheminement difficile et extrêmement désagréable. En arrivant, je demandai à mon guide s’il n’avait pas fait de nombreux détours pour me tromper, question à laquelle il s’abstint de répondre.
Heureuse à la pensée de retrouver mon cher Giorgio, anxieuse de savoir comment il m’accueillerait, je n’insistai pas. Il m’était déjà suffisamment détestable de penser que je pouvais être bafouée par celui qui me disait m’aimer et me respecter que je préférais passer sur les tromperies éventuelles de Matteo. Je me promis cependant d’éclaircir un jour le mystère.
Me remémorant les nombreuses fois où Giorgio m’assurait de ses sentiments à mon égard, je sentis la colère s’emparer de moi. N’affirmait-il pas que je n’étais pas comme les autres et méritais tous ses égards ? Il me jurait un amour sans commune mesure avec ce qu’il avait ressenti pour ses conquêtes précédentes. Il avait parfois peur que notre histoire se termine.
Il en serait tellement malheureux ! Maintenant, aurais-je le courage d’exprimer la colère sourde qui me suffoquait ?
Me connaissant, j’en doutais beaucoup alors qu’un éclat de ma part aurait été parfaitement justifié et salutaire.
J’étais vraiment perplexe. Comment pourrais-je à nouveau lui faire confiance s’il avait aujourd’hui aussi peu de considération pour moi, s’il faisait fi de toutes ses promesses à la moindre occasion ? Néanmoins, je gardais au fond de moi une lueur d’espoir. Était-ce vain ?
À l’issue de notre entretien qui, de sa part, se borna à deux ou trois phrases et un reproche que je ne sus comment interpréter, j’étais démoralisée. Il m’avait signifié sans ménagement qu’il était préférable que je reparte d’où je venais et de ne plus chercher à le revoir, puisque je l’avais si outrageusement trompé. Cela semblait clair et net et je me persuadais que tout était bien fini entre nous. Il n’avait malgré tout pas eu la franchise de me regarder dans les yeux comme il l’avait toujours fait auparavant. Son œil fuyant avait fait mine de s’intéresser à quelque chose au loin. Je n’avais pas envie de lui montrer combien j’étais humiliée et je lui tournai le dos, appelant Matteo pour que nous quittions cet endroit au plus vite.
Sur le chemin du retour, je me reprochais mon insistance qui, pensais-je, l’avait prodigieusement agacé et qui était certainement la raison pour laquelle il avait fini par me chasser de manière aussi brutale.
Il avait encore plus maltraité son ami Matteo qui avait osé me conduire jusqu’à lui. Rien ne me fâcha plus contre lui que cette attitude très cavalière et si peu reconnaissante envers une personne qui l’avait épaulé sans faillir dans les moments critiques de son existence.
Ils avaient tous deux vécu des galères dont Matteo avait su les tirer grâce à la force de caractère dont il avait su faire preuve. Giorgio s’en était remis entièrement à lui, lui faisant aveuglément confiance. Je ne saurais me montrer vaniteuse en affirmant que je lui avais apporté la stabilité dont il avait manqué pour que s’éveille en lui la combativité qu’il manifestait aujourd’hui.
Que cela se retourne contre moi avait réveillé ma rage contre les hommes et je pestais contre son ingratitude. Ce n’est pas ainsi que je l’avais jugé et cela me rendait extrêmement malheureuse. Je ne supportais pas de m’être trompée à ce point. Cela me semblait impossible. Je me sentais désemparée, bouleversée par son comportement froid et distant sans parvenir à croire qu’il ait pu changer autant en aussi peu de temps. Où était la confiance que nous avions eue l’un pour l’autre ? Nous nous étions promis de ne rien nous cacher, même dans les moments les plus difficiles de notre vie de couple. Que faisait-il aujourd’hui de tous les engagements que nous avions pris l’un envers l’autre ?
Pendant un long moment, je n’ouvris pas la bouche. Je sentais le regard de Matteo se poser sur moi à intervalle régulier.
Puis il finit par me dire :
— Ne te mets pas dans un tel état. Il a parfois des sautes d’humeur, mais elles ne durent généralement pas.
Je ne sais pas quelle mouche le pique en ce moment, je ne l’ai jamais vu ainsi auparavant et je le connais depuis plus longtemps que toi. Vraiment, je ne le comprends plus et ça me fait aussi mal qu’à toi qu’il t’ait traitée de la sorte. Il a gâché notre amitié, mais ce n’est pas grave. Des amis, on peut s’en refaire. Mais à toi, il t’a brisé le cœur, et ça, c’est vraiment moche de sa part.
— Je t’en prie Matteo, ne me parle plus de lui. Je désire oublier ce qui vient de se passer, oublier le bonheur que j’ai eu avec lui, oublier jusqu’à son existence. Aussi, ne prononce plus jamais son nom devant moi. Si tu as envie d’évoquer des vieux souvenirs, fais-le avec quelqu’un d’autre, mais à l’avenir, de grâce, ni avec moi ni devant moi.
Je savais que les événements importants de la vie de Matteo étaient liés à Giorgio. J’imaginais combien il devait lui être douloureux, à lui aussi, de penser qu’il ne verrait plus cet ami de tous les instants et de tirer un trait sur son passé, sachant que j’étais une des rares personnes avec qui il pouvait l’évoquer. Mais est-il nécessaire de sans cesse se retourner sur le passé ? Les bons souvenirs peuvent parfois nous aider à aller de l’avant, mais les ressasser ne présente, selon moi, aucun intérêt. C’est ce que je tentais d’expliquer à Matteo, mais il m’écoutait à peine. Il ruminait son chagrin.
Et moi, par cette pléthore de paroles, que cherchais-je à faire ? M’étourdir pour oublier ? Me convaincre que les conseils que je lui prodiguais étaient aussi valables pour moi ?
Nous arrivâmes devant mon appartement plus rapidement que je ne l’aurais cru. Je pris machinalement le courrier qui se trouvait dans ma boîte aux lettres. Nous avions fait une halte à Bastelicaccia. J’avais besoin de marcher dans un lieu où j’étais certaine de trouver une atmosphère de calme et de sérénité avant de rejoindre Ajaccio. J’étais encore sous l’effet lénifiant de ce petit village de montagne et je ne vis pas immédiatement l’adresse indiquée au dos de l’enveloppe. Le cachet de la poste était illisible, comme si on avait cherché à en effacer la date en y versant de l’eau. Désirant être seule pour ouvrir mon courrier, je saluai Matteo très rapidement. J’eus juste le temps de voir un drôle de rictus sur son visage, que j’attribuai à ma façon cavalière de prendre congé de lui.
Rentrée chez moi, je décachetai fébrilement l’enveloppe et commençai à lire. Il ne me fallut pas très longtemps pour arriver à la fin du message qui était plutôt laconique, et pas du tout dans le style de son signataire. L’écriture semblait mal assurée.
« J’ai appris sur toi des choses que je ne peux accepter. Ne cherche plus à me revoir, j’ai pris le maquis pour que tu ne retrouves jamais ma trace. Mes amis ont ordre de ne pas te conduire à moi, même s’ils savent où je suis. » Je comprenais mieux son insinuation lorsqu’il m’avait dit : « Il n’y a pas de fumée sans feu ».
De sombres pensées m’assaillirent. « S’il a pris le maquis, me disais-je, c’est qu’il a fait quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire et qu’il est menacé par quelqu’un de puissant. On ne prend pas le maquis pour rien. »
Et dire que j’avais vécu auprès d’un homme peu recommandable et que je l’ignorais.
Il avait bien su cacher son jeu. J’enrageais contre mon manque de perspicacité, contre ma niaiserie. « Notre relation devait être basée sur la confiance » avait-il insisté ! Quelle confiance ? Sa première phrase insinuait que j’avais trahi sa confiance, et lui-même avait aussi trahi la mienne en réagissant de manière totalement différente de ce que je connaissais de lui.
Je me cloîtrai chez moi pendant une semaine, en proie à une déception qui me cloua au lit. Lorsque je ne dormais pas, je ruminais. À la fin de la semaine, n’y tenant plus, j’allai avec sa lettre voir un autre de ses amis. Il connaissait Giorgio moins bien que Matteo, mais suffisamment pour me dire si ce message était bien de lui. Lorsque je sonnai à