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L' ORACLE ET LE REVOLVER
L' ORACLE ET LE REVOLVER
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Ebook383 pages6 hours

L' ORACLE ET LE REVOLVER

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About this ebook

Joseph, qu’on surnomme l’Amiral, se réveille dans un village côtier où rien ne lui semble familier. À sa surprise, les habitants sont convaincus qu’il est «celui que tout le monde attendait». Lui, le sauveur annoncé par une mystérieuse prophétie?

Son premier devoir : exécuter la sentence d’un condamné à mort. Mais Joseph n’est pas un tueur… Son refus de disposer de la vie d’un inconnu entraînera le village dans un chaos sans nom.

Comment survivre? Comment s’échapper?
Les seuls espoirs de l’Amiral reposent sur une vieille chaloupe, une arme sans munition, deux bouteilles de scotch, un nouvel ami et quelques alliés terrorisés. Sauvera-t-il sa peau?

Une dystopie troublante qui soulève des questions morales fascinantes, par l’auteur de L’affaire Mélodie Cormier.
LanguageFrançais
Release dateOct 3, 2018
ISBN9782897585297
L' ORACLE ET LE REVOLVER
Author

Guillaume Morrissette

Polymathe et membre actif de MENSA Canada, Guillaume Morrissette habite à Trois-Rivières et enseigne à l’UQTR. Après cinq enquêtes de l’inspecteur Héroux (L’affaire Mélodie Cormier, Terreur domestique, Des fleurs pour ta première fois, Deux coups de pied de trop et Le tribunal de la rue Quirion), Guillaume Morrissette nous offre le premier texte 100% québécois de la collection Psycho Thriller.

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    L' ORACLE ET LE REVOLVER - Guillaume Morrissette

    combat

    CHAPITRE 1

    Larbin

    Joseph avait ce don de savoir instinctivement où il se trouvait dès qu’il ouvrait les yeux en se réveillant. C’est la raison pour laquelle il eut un moment de panique en remarquant le plafond. De la chaume tressée, supportée par des traverses de bois foncé… rien qui ne s’apparentât à sa chambre habituelle. Le battement de son cœur s’accéléra. L’anxiété monta en lui comme l’eau dans un geyser. Il bougea l’extrémité de ses jambes et de ses bras pour s’assurer qu’il était en un seul morceau, bien qu’il n’eût pas souvenir d’un accident quelconque dans lequel il aurait pu s’être blessé. Une fois convaincu d’être indemne, il se souvint de la dernière fois où il avait aperçu un toit semblable. Le genre de matériau que l’on trouve dans les endroits où il fait chaud l’année durant. Dans les Antilles, par exemple. Mais comment était-ce possible? Il habitait au nord, là où la neige tombe en hiver et où les toits sont en bois bien solide.

    En regardant devant lui, il s’aperçut que la pièce était grande, que son lit était disposé dans un coin un peu comme dans un loft. Et quelle chaleur! Peut-être était-il réellement dans un pays chaud? Si c’était le cas, il fallait trouver une explication; et vite. Le voyage en avion était absent de ses souvenirs et il se trouvait chez lui la veille, en plein hiver. Il percevait des sons épars: des gens, du vent et de l’eau. Des vagues, il entendait le claquement des vagues sur la grève. Il se trouvait près d’un plan d’eau. Il avait souvenir d’un bateau…, sûrement un rêve. Mais il y avait fort à parier que cette chambre n’avait rien d’une étape de croisière. Il chercha en vain son téléphone dans les draps.

    Un bruit soudain le fit sursauter: quelque chose avait bougé dans la pièce. Il eut le réflexe de se relever, mais n’en eut pas le temps.

    — Comment vous sentez-vous, maître? résonna une voix.

    Joseph fut pris de court. À sa droite, derrière son épaule, un homme était assis près de son lit. Droit comme un poteau, les mains posées sur les genoux à la manière du Sphinx, l’homme le regardait. Joseph décelait-il une émotion de bonheur dans ce visage tranquille?

    — Vous m’avez fait peur! répliqua-t-il en s’asseyant. Qui êtes-vous?

    Joseph se saisit de l’oreiller à sa gauche pour le mettre sur ses cuisses et s’appuyer dessus. L’homme fit un mouvement avec ses lèvres et sourcilla; il était surpris par la question.

    — Vous parlez français? Qu’est-ce que je fais ici? demanda encore Joseph devant le stoïcisme de l’autre.

    — Je suis Larbin, maître.

    Joseph cherchait des réponses dans le faciès de son interlocuteur.

    — Je suis retenu en otage?

    — Hein? Mais pas du tout!

    — Donc, je peux partir.

    — Eh bien… oui, en quelque sorte.

    — En quelque sorte…

    — Sans sortir du village, bien sûr, c’est ce que je voulais dire.

    — Du village? Je suis la victime d’une farce, c’est ça?

    Rien à faire. Larbin souriait timidement sans répondre. Joseph décida de prendre les devants et tendit la main.

    — Je suis Joseph. Pourquoi m’appelez-vous «maître», Larbin?

    Cette fois, l’homme troqua son sourire pour une expression de malaise. Il semblait petit, mais il était assis, ce qui empêchait de le jauger avec certitude. Il avait le dessus de la tête chauve et les tempes grisonnantes. Un moine sans la soutane, pensa Joseph. Il estima son âge à environ cinquante ans. Il était plutôt frêle et ne démontrait aucune agressivité; sinon une stupéfaction évidente.

    — Mais, parce qu’il le faut… vous êtes mon maître, monsieur, gloussa l’homme. Je ne sais pas quoi dire… vous savez, n’est-ce pas?

    Bien qu’il n’eût aucune idée de qui était cet homme, Joseph jugea qu’il était préférable de ne pas le dévoiler sur le coup. Intuition? Il était trop tard, les mots sortirent d’eux-mêmes:

    — Oui, je… bien sûr, je m’en souviens. Pardonnez-moi, Larbin, j’ai dormi trop longtemps.

    Ce dernier se leva subitement, ce qui fit sursauter Joseph de nouveau.

    — Je vais vous chercher de l’eau, maître, déclara-t-il sans attendre d’approbation.

    Larbin se dirigea face au lit, vers ce qui semblait être la cuisine de l’endroit. Une petite table accompagnée de deux chaises jouxtait un comptoir plus élevé sur lequel il prit un verre avant de le plonger dans un seau. Dans l’intention de se lever, Joseph déplaça l’oreiller et les couvertures, mais s’aperçut qu’il ne portait qu’un sous-vêtement. Il chercha du regard s’il ne pouvait pas trouver de quoi s’habiller au moment où Larbin revenait avec sa boisson dans les mains; qu’il tendit poliment en baissant la tête, au grand étonnement de Joseph.

    — Larbin, s’il vous plaît, où sont mes vêtements?

    — Ils seront prêts dans quelques instants, maître, veuillez me pardonner pour ce retard. Nous ne savions pas quand vous alliez vous réveiller! Est-ce que vous vous sentez mieux?

    Joseph se sentait très bien.

    — Oui, merci.

    Un autre échange silencieux passa, pendant lequel Joseph prit une gorgée d’eau.

    — Et vous… ça ne vous étonne pas du tout que je sois ici, c’est ça?

    — Bien au contraire, maître.

    — Étais-je malade?

    — Vous étiez inconscient au départ, mais une fois étendu dans ce lit… vous étiez délirant! s’exclama Larbin. Toutes ces choses que vous avez dites…

    — Et j’y suis depuis quand, dans ce lit?

    — Depuis près de deux jours! Deux jours sans manger ni boire!

    Joseph fronça les sourcils. Il ne ressentait pas la faim outre mesure, mais le verre d’eau lui faisait le plus grand bien.

    — Je ne me souviens pas d’avoir parlé, avoua Joseph en se grattant la tête. J’étais somnambule?

    — Non, non. Je crois que vous aviez la fièvre du légionnaire! expliqua le serviteur en gesticulant. Votre front perlait, vos bras bougeaient…, vous avez dit des choses!

    Larbin écarquilla les yeux et se repositionna sur sa chaise.

    — Buvez, je vous en prie, insista-t-il. Oh, mon pauvre maître… Je ne sais pas si j’ai déjà eu aussi peur de toute ma vie. Bien sûr, j’ai souvent rêvé de vous, mais je ne vous ai pas imaginé souffrant! J’ai déjà côtoyé des malades par le passé, mais jamais je n’ai entendu hurler de la sorte! Je ne savais pas si vous seriez un enfant, un vieillard, ou même une femme!

    Joseph écoutait, plus qu’intéressé.

    — Une femme? Je… Mais que disais-je, dites-moi?

    — Oh… vous avez parlé de changement, à plusieurs reprises. Parfois du passé, vous étiez incohérent. Vous vouliez partir, c’est cela! Partir très loin! Et que c’était dangereux, mais qu’il fallait le faire! Quelle idée vous avez eue!

    Joseph se sentait très loin. Il respira profondément et écarquilla les yeux, ne sachant trop quoi dire.

    — Vous aviez rêvé de moi? questionna-t-il finalement, à demi sérieux.

    — Tous les jours, maître! déclara Larbin. Je suis votre serviteur!

    Joseph laissa échapper un rire spontané.

    — Mais Larbin, depuis quand me connaissez-vous? demanda-t-il.

    — Moi? Eh bien… depuis la première fois où l’on m’a parlé de votre venue, quand j’étais tout jeune.

    Joseph leva les sourcils, se pencha plus près de l’homme et lui fit signe de s’approcher un peu, ce à quoi il obéit.

    — Je pense que j’ai un problème, annonça-t-il en baissant la voix. Peut-être deux, même.

    — Que voulez-vous dire, maître? chuchota le serviteur pour prendre le même ton que Joseph.

    — Je ne voudrais pas vous insulter, mais je crois bien que je suis plus jeune que vous. Il me semble impossible que vous puissiez avoir entendu parler de moi dans votre enfance. Et de plus…

    — Oui…

    — Vous pouvez garder un secret?

    — Sur ma vie, maître.

    Satisfait de la réponse, Joseph se lança.

    — Je ne sais pas où je suis. Et je ne vous ai moi-même jamais vu de ma vie, Larbin.

    La réplique fut instantanée.

    — Tout comme moi. Eh bien, avant votre arrivée, bien sûr.

    Le visage à quelques centimètres de Larbin, ses yeux dans les siens, Joseph demeura stoïque pendant dix bonnes secondes. Calmement, il dit:

    — Mais vous venez de dire à l’instant que vous me connaissiez depuis toujours.

    — C’est la vérité! s’exclama le serviteur, offusqué.

    — Mais vous ne m’avez jamais vu? C’est quoi ce délire?

    Larbin était confus.

    — Je ne délire pas! Je… je vous attends depuis longtemps, maître. Je vous connais de par ce que l’on m’a dit, vous savez…

    — Non, je ne sais pas. Je ne sais pas non plus de quoi vous parlez! Et j’aimerais bien pouvoir m’habiller!

    Dans le court silence inconfortable qui suivit, Joseph poursuivit:

    — J’habite au Canada, déclara-t-il. Et je suis certain de ne pas être chez moi en ce moment! Croyez-moi sur parole, j’en connais un rayon sur la météo! Vu l’air qui circule ici, nous serions gelés comme des icebergs!

    Larbin recula, étonné par la confession.

    — Des quoi? Mais… je me suis entraîné longtemps pour votre arrivée, dévoila-t-il. Je savais que vous alliez venir, voilà tout. On me l’a dit, et on ne m’avait pas menti! Mais…

    — Mais quoi?

    — Vous habitez au… au Canada? s’enquit Larbin à voix basse.

    — Oui, acquiesça Joseph, en baissant le ton aussi par réflexe. Vous connaissez?

    — Non, ça ne me dit rien, avoua-t-il. Qu’est-ce que c’est?

    L’expression sur son visage témoignait de son incrédulité. Le serviteur n’aurait sans doute jamais ri devant son maître, mais il trouvait la situation cocasse. Peut-être attribuait-il ce délire à la récente poussée de fièvre dont il avait été témoin? Il ne jouait pas de jeu, Joseph aurait pu le jurer: le pays lui était inconnu.

    — Je vois bien que vous me trouvez bizarre, constata Joseph en reprenant une voix normale, mais je vous assure que j’habite dans un tout autre endroit qu’ici. Le Canada, c’est un grand pays. Et il fait froid à cette période de l’année! Pas comme ici en ce moment. À ce propos, où sommes-nous?

    Larbin ne parlait toujours pas. Il bougeait les yeux de gauche à droite, soit parce qu’il ne connaissait pas la réponse, ou parce qu’elle était évidente. En vérité, il ne s’attendait pas à toutes ces questions.

    — Que voulez-vous dire, où sommes-nous?

    — Dans quel pays, quelle ville? À qui appartient cette maison?

    Larbin s’emporta.

    — Mais vous êtes ici chez vous, maître! Vous êtes dans votre maison, dans votre chambre! Je ne comprends même pas ce que vous dites! Le Canada… Il n’y a rien, ailleurs!

    Le serviteur s’étonna du visage de son maître. Il se reprit et questionna:

    — À moins que…

    — Ça, je vous le confirme, Larbin, j’ai effectivement une autre maison ailleurs. Et seulement une, à ce que je sache. J’ai toujours été au Canada. Et la terre est immense, il faudra sortir de chez vous ou suivre des cours de géographie. Moi, c’est le fait d’être ici qui me dérange.

    C’était sans espoir. Le pauvre serviteur parut peiné par la dernière affirmation, ce qui mit Joseph de nouveau mal à l’aise.

    — Je ne sais pas quoi dire, maître. Je fais de mon mieux, vous savez.

    Avant que Joseph ne puisse corriger son propos, on cogna à la porte. Après un échange silencieux avec Larbin, Joseph en déduisit qu’il devait répondre.

    — Entrez! tonna-t-il.

    Une grande femme mince pénétra dans la chambre et déposa une pile de vêtements blancs immaculés sur le meuble devant le lit.

    — Vos vêtements, Amiral.

    Alors qu’elle se retournait pour quitter la pièce, il décida de l’apostropher.

    — Attendez! Puis-je vous parler un instant?

    La femme se retourna et sourit.

    — Bien sûr, Amiral.

    Joseph tira les couvertures plus près de lui et appuya ses coudes dessus.

    — Merci pour les vêtements. Pourquoi m’appelez-vous «Amiral»?

    Un échange discret entre Larbin et la femme n’échappa pas à Joseph, qui se sentait de nouveau isolé.

    — Mais vous êtes l’Amiral, monsieur, expliqua-t-elle en fronçant les sourcils. Vous êtes arrivé par la mer! En bateau! Le bateau de l’Amiral, le premier bateau. La Voix nous a expliqué que votre arrivée était un grand moment pour nous.

    — Et vous, qui êtes-vous?

    C’était une jolie femme à la peau pâle, vêtue d’une robe sobre qui allait jusqu’au sol. Ses cheveux auburn étaient attachés en toque sur sa tête, retenus par une broche qui dépassait de chaque côté.

    — Je suis Isalind, Amiral, dit-elle en cherchant une explication quelque part. Je suis à votre service. Vous ne me connaissez pas?

    Joseph eut l’impression de connaître cette femme. Il ne put s’empêcher de sourire et de lancer un regard à Larbin. Il ne fallait surtout pas blesser ces gens.

    — Non, je ne vous connais ni l’un ni l’autre, et vous m’en voyez bien désolé. Je ne sais pas combien j’ai payé pour être ici et je suis sûr que vous faites de l’excellent boulot, mais je ne crois pas avoir besoin de serviteurs!

    Aussitôt la phrase terminée, Larbin se leva et se plaça aux côtés d’Isalind. Les deux baissèrent la tête en soumission, sans mot dire. Joseph tenta de se lever, mais se souvint de sa quasi-nudité et replaça rapidement les couvertures. Il se passait quelque chose de grave dans la pièce.

    — Nous comprenons, maître, dit Larbin sur un ton solennel et respectueux. Quand allez-vous nous tuer?

    CHAPITRE 2

    Le Barde

    Joseph mesurait tout près de deux mètres. Sa taille étonnait partout où il passait, mais sous le géant se cachait un être incapable de violence. De toute sa vie il n’avait jamais physiquement fait de mal à un autre être humain de façon volontaire.

    — J’ai dit que je n’allais pas vous tuer, un point c’est tout! répéta-t-il d’un ton sec. Depuis quand tue-t-on les gens aussi simplement? Vous êtes malades? Retournez-vous, s’il vous plaît. Retournez-vous!

    Il était réellement fâché.

    Pendant qu’Isalind et Larbin regardaient vers la porte pour lui laisser un brin d’intimité, Joseph se pencha et étira le bras pour atteindre la pile de vêtements propres. Il enfila le pantalon et se débarrassa finalement des draps qui le gênaient.

    — Bon, ça va, dit-il en se levant. Et arrêtez d’agir comme si j’étais empereur, ça suffit! Pourquoi devriez-vous m’écouter, de toute façon? Trouvez-moi quelqu’un qui peut me dire où je suis, je quitte cet endroit sur-le-champ.

    Loin d’obéir, comme s’il n’avait pas parlé, les deux serviteurs se retournèrent et firent quelques pas en reculant vers la porte. Rien n’était normal, ici. Joseph se radoucit et s’approcha d’eux, torse nu. Il leva la main pour les calmer, mais son geste eut l’effet contraire: l’homme et la femme eurent un mouvement de repli: ils étaient terrorisés.

    — Je vous en prie, implora-t-il en baissant le bras. N’ayez pas peur de moi, je ne vous veux pas de mal! Regardez, je vous parle, mais je ne m’approche pas! Hey! Je reste ici, je ne bouge pas, voyez? Si cela peut vous faire plaisir, je veux bien vous garder à mon service, mais j’ai besoin de savoir combien ça va me coûter, tout ça.

    La réaction sur leur visage changea instantanément: il venait de faire deux heureux.

    — Mais c’est gratuit! Maître, vous ne le regretterez pas! lança Larbin.

    — Je serai la meilleure, renchérit Isalind en faisant la révérence.

    — Ça va, ça va, coupa Joseph tout en enfilant une chemise blanche. Sont-ce là mes seuls vêtements?

    — Oui, Amiral, confirma Isalind. Nous avions hâte de vous voir les porter! Ils vous vont à merveille.

    Même s’il était pour le moins inusité, il fallait avouer que le genre était plutôt classe. Le veston blanc complétait un ensemble très réussi, ce qui ne déplaisait pas à Joseph.

    — Vos souliers, monsieur, indiqua Larbin.

    Au pied du lit, deux magnifiques richelieus noirs attendaient de se faire «marcher dessus». Joseph les enfila avec soin et se contempla devant un miroir vertical apposé sur le mur adjacent à la cuisine.

    — Vous êtes très élégant, Amiral, fit remarquer Isalind.

    — Merci, c’est gentil. Gratuit, hein?

    — Oh, je vous assure.

    — Mais vous, qui vous paye? Et Larbin?

    — Nous ne manquons de rien, monsieur. Ne vous inquiétez pas avec ces détails. Si nous n’étions pas là, d’autres se précipiteraient pour nous remplacer.

    Joseph fronça les sourcils. Larbin ouvrit la porte, comme pour indiquer que c’était là que son maître devait logiquement se diriger.

    — Je dois sortir?

    — Oui, maître, il est temps.

    — Temps de quoi?

    — De rendre justice! C’est la Providence qui vous envoie!

    Joseph n’y comprenait rien. Après une courte hésitation, il avança en direction de la porte. Il percevait des sons à l’extérieur. En fait, il y avait foule. Des gens, donc des réponses à ses questions. Mais il se trompait.

    Il était attendu.

    Il franchit la porte et se trouva face à une trentaine de personnes qui souriaient. Des gens lui faisaient la révérence et les murmures circulaient allègrement. C’était des gens normaux, des citoyens qui semblaient célébrer son arrivée. Joseph s’arrêta sur le seuil et fit signe à Larbin de s’approcher. Il lui demanda à l’oreille:

    — Je ne comprends pas. Que dois-je faire? Qu’est-ce que c’est que ce délire, rendre justice? Et qui sont ces gens?

    — Ce sont des habitants du village. Ils vous attendaient, tout comme moi. Vous allez droit devant, maître, ajouta Larbin sans hésiter, tout va bien se passer. Vous allez rencontrer la Voix et rendre la sentence au Barde! C’est un grand honneur pour vous.

    — Au Barde? Qui c’est, le Barde?

    — Ah! C’est vrai, vous ne le connaissez pas. Allez, je vous accompagne, maître.

    Nullement convaincu, Joseph le remercia et replaça son veston, essayant de trouver des repères à gauche et à droite tout en gardant la tête haute. Il croisa le regard de plusieurs adultes en hochant la tête en guise de salutations.

    Et il avança.

    Le chemin était fait de dalles imbriquées les unes dans les autres. La première impression qu’il avait eue en se réveillant se confirmait: il se trouvait bel et bien à proximité d’une plage. Le ciel était d’un bleu immaculé et il faisait chaud. Les arbres étaient différents de ceux qu’il connaissait, le sol était sec.

    Joseph toucha la manche de son veston blanc et le contraste avec la façon dont les gens étaient habillés lui sauta au visage. Il ressentit un malaise. Non pas que ceux-ci fussent en lambeaux, mais rien ne pouvait rivaliser avec la façon dont lui-même était vêtu. Le blanc de son ensemble devait être visible à des kilomètres à la ronde.

    Il avait tout simplement l’air d’un prince.

    — Amiral! cria un homme. Justice au Barde!

    — Oui! hurla un autre. Que la Voix se fasse entendre! Mort au traître!

    — On veut la justice! dit encore une femme.

    Décidément, l’étonnement était au rendez-vous. De nouveau, et moins subtilement que la fois précédente, Joseph apostropha Larbin.

    — Maître? demanda ce dernier à son oreille.

    — Ça va durer encore longtemps, ces phrases à mon endroit? Je ne connais même pas ces gens! Ni le Barde! Ils habitent tous ici?

    — Oui, oui!

    — Et pourquoi me crient-ils après?

    — Je n’y peux rien, maître, se désola le serviteur. Ils vous attendaient!

    — Qui est le Barde, Larbin?

    — Un condamné à mort, maître.

    — Vraiment? Si grave que ça?

    — Oh oui, très grave, maître. Heureusement, vous êtes celui qui décide!

    — Moi?

    Larbin avait parlé de rendre la justice. Joseph s’arrêta subitement et le regarda dans les yeux.

    — Mais je ne veux faire tuer personne! murmura-t-il en serrant le bras du serviteur.

    — C’est votre travail! répondit Larbin, insistant.

    — Mais il a fait quoi, le Barde, pour être condamné à mort?

    — La pire des choses, maître. La sentence est juste, vous ne pouvez qu’être d’accord.

    S’imaginant le meurtre d’un enfant ou une atrocité semblable, Joseph avança machinalement jusqu’à une place publique ornée d’une estrade basse. Devant lui, plusieurs hommes et femmes étaient assis en demi-cercle. Derrière, d’autres personnes se trouvaient debout et observaient. Si le relief avait été surélevé, on aurait dit un petit amphithéâtre naturel. Joseph chercha Larbin du regard et le vit derrière lui, à sa droite. Isalind était disparue. La foule s’agita lorsqu’un homme se présenta sur la gauche, derrière l’estrade, entouré d’une suite de gens. C’était un être grand, très grand! Joseph eut l’impression d’être plus petit de plusieurs centimètres, ce qui était une chose rare. Mince comme un poteau, celui qui s’amenait était drôlement vêtu pour un homme. De loin, il portait une robe.

    Et de près aussi.

    De larges manches qui s’arrêtent aux avant-bras, des souliers se terminant en pointe qui bifurque vers le haut… un accoutrement des plus inusités. Et le visage. Un homme-enfant, pensa Joseph. À la limite albinos. Avait-il vingt ou cinquante ans? Une peau pâle sans ride. Et des yeux foncés, trop foncés, dont la couleur jurait avec la blancheur de son teint.

    — Qui est-ce? demanda Joseph par-dessus son épaule pendant que la foule ouvrait une brèche.

    — C’est la Voix, répondit Larbin après s’être avancé près de lui.

    — La voix? La voix de qui?

    — La Voix, tout simplement. Celui qui sait! C’est l’Oracle¹!

    — Celui… donc c’est un homme, n’est-ce pas?

    — Que voulez-vous dire?

    Joseph ne persista pas sur cette avenue.

    — Je ne connais pas d’oracle, déclara-t-il à voix basse. Lui me connaît?

    — Tout le monde vous connaît, maître.

    Le grand homme approcha et s’arrêta sur la marche qui menait à une estrade en bois d’environ deux mètres sur deux mètres. Il regarda alors l’Amiral sans émotion. Autoritaire. Hautain. Un petit sourire se forma sur ses lèvres. Joseph fut pris d’un mauvais pressentiment.

    Au même moment, un autre homme apparut dans le demi-cercle et brisa l’échange silencieux qui se tramait. Il était escorté par deux gaillards et fut poussé jusqu’à en perdre l’équilibre pour finalement se retrouver à genoux dans le sable, seul devant la Voix, qui avait pris place sur l’estrade. La foule referma l’espace et les regards se tournèrent en entier vers le centre. La Voix se tenait debout. Il était fascinant: c’était un être androgyne dont les manières étaient tantôt efféminées, tantôt masculines. Il dominait tout le monde tellement il était grand. Ses yeux noirs perçants bougeaient rapidement et donnaient l’impression de regarder à plusieurs endroits simultanément.

    Joseph ne savait pas quoi faire. Personne ne parlait et l’homme enchaîné regardait devant lui. Il paraissait en état de choc. Une guitare était dans son dos, tenue par un bandeau de cuir qui lui ceinturait le torse en diagonale de l’épaule jusqu’à la hanche opposée. L’Oracle présenta Joseph, ce à quoi la foule répondit en acclamant.

    — Alors! Vais-je mourir aujourd’hui, Amiral? lança aussitôt le prisonnier qui venait de se relever.

    Joseph était plus qu’étonné de voir que c’était à lui que l’on s’adressait. Le Barde fit un pas de côté et poursuivit son discours.

    — Vous saurez au moins en donner la raison? La vraie raison? Ai-je vécu vingt-cinq ans pour terminer ainsi, alors que tout le monde ici présent me connaît et fait semblant de ne pas savoir pourquoi je suis enchaîné en ce moment? Il cria à la foule: Vous êtes des pleutres! Jamais vous ne sortirez d’ici en vous taisant!

    L’Oracle observait et ne bronchait pas.

    — Les choses changeront-elles après ma mort? Ou ce sera en vain? Et vous. Vous voilà enfin, le prophète! Parlez, Amiral!

    Joseph eut le réflexe de ne pas se sentir visé par l’invective dont il était l’objet. Il scruta le prisonnier. Il était difficile de supposer qu’il ait été en captivité depuis longtemps. Si c’était le cas, il avait été bien traité. Il avait une besace à sa hanche et se tenait droit comme un soldat. De longs cheveux couvraient ses épaules. Joseph sentit la pression monter en lui: on attendait qu’il se manifeste.

    Mieux valait essayer d’en apprendre un peu plus. De toute façon, il n’avait aucunement l’intention de faire du mal à cet homme ni à qui que ce soit, d’ailleurs. Il lança un bref coup d’œil derrière lui et vit que l’Oracle avait les mains jointes dans son dos, le regard placide.

    — Cela fait beaucoup de questions, glissa Joseph à l’attention du prisonnier.

    — Et j’en ai encore plusieurs autres, renchérit le Barde.

    — Je viens tout juste d’arriver ici.

    — Je sais! J’aurais pu être condamné bien avant aujourd’hui! Et pourquoi maintenant, vous croyez, hein? C’est à cause de vous!

    — Pourquoi devriez-vous mourir? lança Joseph devant la foule silencieuse. Vous êtes tout jeune…

    — La Voix l’a décrété, Amiral, répondit l’homme après avoir envoyé un sourire narquois en direction de l’estrade. Votre arrivée ici… C’est le moment idéal pour une purge, vous ne croyez pas?

    Joseph jeta un nouveau regard vers la Voix. Ce dernier semblait s’amuser.

    — Quel est votre nom, déjà? redemanda Joseph au prisonnier.

    — Je… je suis le Barde, Amiral.

    Joseph hocha la tête, en toute ignorance de cause.

    — Le Barde…

    — Oui, Amiral.

    — Larbin!

    Le serviteur sursauta.

    — Maître?

    — Approchez!

    Il obéit aussitôt. Une fois rendu à l’oreille de Joseph, il demanda très bas:

    — Vous allez bien, maître?

    — Oui, oui, ça va. Larbin, de grâce, gardez la voix basse. Pourquoi cet homme doit-il mourir? De quoi est-il coupable? Aidez-moi!

    — Mais… c’est le

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