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L' HISTOIRE DE LEA
L' HISTOIRE DE LEA
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Ebook183 pages2 hours

L' HISTOIRE DE LEA

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About this ebook

Léa, une jeune fille vivant dans une famille dysfonctionnelle, décroche un emploi dans une boulangerie. Rapidement, elle développe une véritable passion pour ce métier et se réjouit de cette nouvelle vie qui s'ouvre à elle. Le rêve tourne au cauchemar lorsque survient l'irréparable, Léa est victime d'une agression. Rejetée et traitée de fabulatrice par sa famille, elle se retrouve seule avec ses blessures. Le refus de nourrir ce corps qui l'a trahie devient dès lors une obsession qui mènera Léa loin d'elle-même. Ce roman est inspiré d'une histoire vécue. Bouleversante, L'histoire de Léa: Une vie en miettes dépeint avec subtilité la honte des victimes d'abus sexuels et le processus destructeur de l'anorexie.
LanguageFrançais
Release dateOct 15, 2013
ISBN9782894556863
L' HISTOIRE DE LEA
Author

Christine Benoit

Le parcours de Christine Benoit est très diversifié, tant par ses études (entrepreneuriat et communication) que par ses multiples activités (professeure d'économie, entrepreneure et sophrologue). Dynamique et déterminée, cette femme charismatique consacre son temps à l'écriture et la formation.

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    L' HISTOIRE DE LEA - Christine Benoit

    vie.

    Partie 1

    1

    Depuis toujours, j’attends que la vie m’offre autre chose.

    Je souris en lisant cette phrase dans mon journal intime. J’imagine mon prof de français s’offusquant d’une telle banalité. S’il découvrait cette formulation, il exigerait que je remplace le autre chose, qui marque l’imprécision, la facilité intellectuelle, la platitude et que sais-je encore, par un mot concret qui préciserait pleinement ma pensée.

    Mais j’ai le droit de ne pas nommer l’amour, le bonheur ou l’argent… comme l’attente d’un cadeau de la vie. Parce que la banalité n’est pas forcément là où on la voit. Parce que c’est mon journal, mon seul et unique espace de liberté. Si cette chose devait absolument être remplacée par une autre, alors j’opterais pour qu’il s’agisse d’un vêtement réversible. Après l’avoir porté à l’envers, je pourrais le mettre à l’endroit. Et ma vie, ainsi retournée, pourrait enfin devenir belle.

    « À dix-huit ans, j’ai toute la vie devant moi. » Encore une formulation simpliste mais cette fois, énoncée par les adultes ! Mon cher journal, tu sais que j’ai seulement l’âge de commencer à vivre ma vie, mais sans savoir comment. Et je désespère de trouver ma voie.

    Cher confident, tu vas être heureux de savoir que je ne pleurerai plus sur mon sort. En une nuit, la situation a complètement changé. Le vêtement réversible n’est ni une formule magique ni une figure de style qui donne à l’adjectif « réversible », pourtant invariable en genre, le pouvoir de transformer ma vie. Il s’agit désormais d’un habit réel, que je qualifierais de banal ou d’utile, voire un brin désuet. Je reconnais que je n’imaginais pas que cette description m’apporterait autant de bonheur. Pourtant, je peux écrire que mon vœu est exaucé.

    Il a surgi dans cette petite annonce qui s’abandonne sur mon lit comme une fille lascive.

    « Urgent. Cherche apprenti (e) en boulangerie. »

    Plus je lis l’annonce, plus je sens qu’elle s’adresse à moi. Cette apprentie, c’est moi. Petite, timide, remarquée qu’après efforts. Ajouté après le masculin. Comme un regret. Une fille, c’est mieux que rien. Moi, au milieu de mes deux frères.

    Ce (e), c’est aussi le euh qui exaspère les profs. Il est mis à l’écart, entre parenthèses, comme ma vie qui s’impatiente. Mais plus pour longtemps. Plus je regarde l’annonce et plus ce (e) m’attire. Cette voyelle insignifiante devient tout à coup une urgence. Une détermination et un courage jusque-là inconnus me poussent à composer le numéro de téléphone publié.

    Un rendez-vous est pris.

    Ce petit (e) devient la première lettre du mot espoir. Il est l’attente obscure, la force nouvelle de ma vie, le désir qui prend forme.

    Le lendemain, je suis sélectionnée. Mes parents, réticents, finissent par accepter que je quitte l’école. La vie m’a entendue. Elle a fait d’un tablier une chose d’importance.

    2

    Il est cinq heures. La maison dort encore, étrangère à ma vie qui s’éveille.

    Je saute du lit comme j’ai plongé la première fois dans une piscine. D’un bond, sans réfléchir. C’est ma manière personnelle d’éviter le trac. L’action vaut mieux que la pensée, qui érige des dangers à me clouer sur place et à me tordre le ventre.

    Le pied posé sur le sol donne un élan à tout mon corps. Il suffirait d’une musique pour que l’autre esquisse un pas de danse. Des notes à la mesure de ma joie matinale. Le ronflement du père à travers la cloison rappelle à mes pieds d’être sages.

    La rue leur rend la liberté.

    Lorsque je pousse la porte, la boulangerie offre déjà ses baguettes chaudes, ses croissants et ses pains au chocolat. L’odeur de la viennoiserie m’envahit comme une bouffée de bonheur. Un plaisir d’autant plus fort que je n’ai pas pris le temps de déjeuner.

    La boulangère, derrière son comptoir, une femme brune qui a dépassé la trentaine, petite et ronde comme une religieuse au café, m’accueille chaleureusement. Son père et son frère sont au laboratoire.

    — Occupés, très occupés. Il faut fournir pour le haut, il faut produire me dit-elle en guise d’excuses.

    — Je peux descendre me présenter ?

    — Il est formellement interdit de se rendre au fournil.

    — Pourquoi ?

    — Parce que c’est interdit, riposte-t-elle d’un ton sec.

    Je réalise que j’ai déjà fait une gaffe. En bas, c’est le lieu de la fabrication du pain. L’antre des recettes, par conséquent des secrets. Le désir pressant d’être intégrée m’a fait oublier les précieux conseils de ma grand-mère. Pour elle, une recette, c’est une suite de gestes, de proportions et de confidences qui se transmettent uniquement de génération en génération.

    Et moi, je demande dès le premier jour à pénétrer dans le saint des saints espaces. D’un simple bonjour, j’imagine créer la confiance qui se noue, jour après jour, dans la sueur et la farine. Le fournil doit être à la boulangerie ce qu’est la salle des coffres à une banque. Je regrette d’avoir voulu forcer la porte aussi rapidement.

    En quelques minutes et entre deux clients, la boulangère a retrouvé sa gaieté. Je comprends qu’elle m’a pardonné. Elle m’indique mon horaire et mes tâches avec bienveillance. Je dois vendre toutes sortes de pains, de gâteaux et de bonbons. Cette perspective me ravit. Je joue à la marchande pour de vrai. Et pas n’importe quelle marchande ! Une marchande de mille douceurs.

    À dix heures, la boulangère m’offre un pain au chocolat.

    — Tu l’as bien mérité, dit-elle en me le tendant gentiment. Tu es courageuse et serviable. Exactement l’apprentie que je recherchais.

    Je la remercie. Ce qu’elle ignore, c’est que la viennoiserie comble non seulement ma faim et ma gourmandise, mais elle nourrit aussi ma vie. Je déguste l’instant avec un plaisir nouveau, celui d’être appréciée.

    La journée s’enfuit comme une voleuse, laissant la vitrine vide et mes pieds en compote. Lorsque tout est remis en ordre, la boulangère, dans un grand sourire, me crie « à demain ! ». Je suis heureuse d’entendre ainsi sa satisfaction dans la promesse du lendemain.

    Je rentre chez moi, contente à l’idée de raconter ma merveilleuse journée. Le silence de la maison qui m’accueille me replonge dans la réalité. La boulangerie me l’avait fait oublier. Le père n’est pas encore rentré. Depuis un an, il traîne son licenciement de bar en bar. Sa soif incessante de chaleur humaine et de compréhension s’épanche au comptoir à coup de pastis. Pendant qu’il remplit d’alcool le vide de son existence, ma mère fait des ménages. Le soir, chacun ramène colère et lassitude, donnant à leur vie un visage meurtri.

    Un bruit de clé dans la serrure qui s’éternise à céder. La porte d’entrée qui claque. Un pas lourd dans les marches qui mènent aux chambres. Je reconnais celui du père qui n’en finit pas de monter. Il est encore saoul. Je reste immobile sur ma chaise afin de ne pas lui signifier ma présence par un bruit quelconque. J’entends sa voix grave et agressive. Ses jurons quand sa tête cogne la poutre. Son affalement sur le lit qui grince. Je respire. S’il cuve avant le repas, il ne me tapera pas.

    Cinq minutes plus tard, Nicolas, mon petit frère de quatorze ans, sonne à la porte. Il n’a pas de clé. Le père dit qu’il peut la perdre à l’école. Que les enfants n’ont pas de tête. Qu’il faudra changer la serrure. Que le serrurier et le plombier sont plus chers que le médecin. Qu’on n’a pas les moyens. Je cours lui ouvrir avant qu’il réveille le père par un second coup de sonnette.

    Je lui prépare son goûter malgré l’heure tardive. Il est naturellement heureux. Dans son esprit, la vie est un vaste terrain de jeux. Il rêve d’aventures exaltantes. Comme grimper sur le toit d’en face, piquer ma mobylette, aller fouiner dans la grange du voisin, emprunter une voiture et s’entraîner à conduire sur l’aire désaffectée de l’usine d’à côté… Du pain et un morceau de fromage en main, il file jouer au ballon dans le jardin.

    Un coup d’œil à la pendule. Le bruit d’un moteur coupé. David est là. Mon cœur impatient s’emballe à l’idée de partager mon expérience. Mon grand frère saura me comprendre, il est pâtissier. Il entre dans la cuisine. Se sert un verre d’eau. Ressort sans avoir prononcé un mot. Son travail l’épuise. Comme tous les jours, il va se coucher jusqu’à vingt-deux heures, heure à laquelle il se lève pour dîner. Pour lui, aujourd’hui n’est pas un jour différent. Il a oublié la première journée de ma nouvelle vie. Je comprends. Ce n’était pas la sienne.

    Dix-neuf heures quarante. Maman arrive, un panier à la main. Elle se jette directement sur ses casseroles. Si le repas n’est pas prêt à temps, cela déclenchera les coups du père. L’estomac de maman lui sert d’horloge. Une précision de montre suisse. Nous le savons tous. Je ne veux pas d’histoire. Comme à mon habitude, je dresse la table, même si je meurs d’envie de parler de mon expérience à la boulangerie. La peur des coups est plus forte que l’envie de me confier. Nous nous activons chacune de notre côté.

    Depuis le licenciement du père, nous mangeons en silence pour ne pas énerver celui-ci. Je l’appelle le père car je ne peux pas dire « papa ». Mes frères non plus. Dans le mot papa, il y a des tonnes d’affection que nous ne lui portons plus. À chaque volée reçue, nous avons puisé dans notre capital d’amour. Dorénavant, nous sommes fauchés. Le désigner par le père, ça nous permet de mettre de la distance entre lui et nous. De penser que si ses coups font mal à notre chair, ils n’atteignent plus notre cœur. De croire que nous sommes différents de lui.

    Avant qu’il soit mis à la porte de l’usine, la conversation à table reposait immanquablement sur trois sujets.

    Le premier, l’école. Ce sujet entraînait des efforts de mastication d’une lenteur infinie de manière à garder toujours la bouche pleine pour osciller simplement de la tête. De bas en haut, pour « ça s’est bien passé ». De droite à gauche, pour « on n’a pas eu de notes aujourd’hui ».

    Le deuxième, l’usine. Le troisième, les ménages. Quoique, après réflexion, le deuxième sujet et le troisième n’en faisaient qu’un : « Des cons aux commandes, des exploités au boulot. » Si bien qu’immanquablement, le père revenait au premier. « Les enfants, si vous voulez réussir dans la vie, il faut bien travailler à l’école. » Si j’avais eu le courage, j’aurais aimé faire une boucle avec le fil de la conversation. Avec insolence, j’aurais déclaré que « si je travaillais bien à l’école, je deviendrais une conne aux commandes ».

    Mon audace est toujours restée au stade de la formulation intérieure. J’avais deux bonnes raisons pour ne pas laisser ces mots forcer la frontière de mes lèvres. Je n’ai jamais eu de bonnes notes à l’école et mon corps a pris tant de bleus pour rien qu’il évite d’en prendre pour une cause perdue d’avance. J’ai préféré me servir de la boucle pour étrangler mes mots. Question de survie.

    Le père est fier de savoir dompter l’adolescence. Il tape pour un regard trop long, un léger rictus ou une phrase anodine. Dans sa tête, tout sonne comme une provocation. Sur nos corps s’inscrivent les marques de ses frustrations. Le moindre écart, le plus petit faux pas réveille la colère qui sommeille en lui. Et si maman s’interpose, elle reçoit les raclées qui nous sont destinées.

    Ce soir n’est pas différent des autres soirs. Le père a le regard qui guette sa prochaine victime. Le silence nous protège. Nous venons de finir de dîner. Le père vide son dernier verre. Il a fini sa bouteille. Le vin rouge du soir lui sert de somnifère. Mon enthousiasme me donne le courage de parler de la boulangerie. Avant qu’il plie sa serviette sur la table, signifiant ainsi la fin du repas, je me lance :

    — Ma journée s’est bien passée.

    Il dort déjà à moitié. Je crois qu’il n’a pas entendu. Je n’ose pas répéter.

    Ma mère lève le menton, en guise d’avertissement.

    — Heureusement pour toi car tu serais repartie illico à l’école !

    Je baisse la tête pour dissimuler ma déception. Je m’attendais à ce qu’elle me pose mille questions. À la place, son regard se pose sur mon assiette vide.

    — Si t’as fini de manger, commence à débarrasser, m’ordonne-t-elle pour s’évader plus vite devant la télé.

    Je me lève et m’exécute. Je ne discute pas. Un ordre, c’est un ordre. Même venant de maman.

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