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About this ebook

«Non, je ne sais pas comment elles font pour survivre à leur quart, pour trouver du sens et de la cohérence dans ces actes qu’elles doivent poser, jour après jour, comme des bêtes automates.»

Francis, un jeune homme désabusé, cherche sa place dans un monde survolté où il voit peu d’espoir. Après avoir traversé une période de découragement et songé au suicide, Francis se retrouve, par un concours de circonstances, préposé au bénéficiaire, histoire de gagner sa vie. Cet emploi lui redonne un peu de confiance, mais Francis ne se doute pas de ce qui l’attend. Dans les hôpitaux, des drames humains, terribles, se jouent quotidiennement. Confronté à la déshumanisation du système de santé, à la souffrance et à la mort, Francis voit ses convictions profondément affectées. Lui qui voulait en finir, il prend soudainement conscience de la valeur et de la fragilité de la vie.

Marc-André Moutquin signe ici son premier roman, qui est brillant de vérité et de lucidité. Il jette un regard critique, empreint de cynisme mais aussi de compassion, sur le monde hospitalier, qu’on croit, à tort, bien connaître.
LanguageFrançais
Release dateFeb 28, 2012
ISBN9782894555781
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Author

Marc-André Moutquin

Né en 1977 en Nouvelle-Zélande, Marc-André Moutquin a étudié les arts, les lettres et les langues avant de se tourner vers le domaine de la santé. Il poursuit actuellement une maîtrise à l’université de Montréal à titre d’infirmier praticien de première ligne. Attiré par les cultures différentes de la sienne, il a effectué plusieurs stages à l’étranger durant ses études. En 2008, son nom apparaissait parmi les finalistes pour le prestigieux prix Anne-Hébert pour son premier roman, No code.

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    No code - Marc-André Moutquin

    roman.

    Chapitre 1

    Un duo de cafés bien fumants s’interpose entre nos corps repus. Encore une fois, nous avons exagéré, choisissant pour notre rencontre un restaurant reconnu pour le gigantisme de ses portions. Style américain paraît-il. Mais, entre moi et Tonio, c’est vraiment lui qui remporte la palme du goinfre toutes catégories. En effet, non content d’avoir englouti une corbeille de petits pains, un velouté de gingembre, une entrée de canard confit suivis d’une bavette bardée de frites, Tonio réitère dans la boulimie et se commande une marquise fardée de crème fraîche.

    Énorme sans aucun doute, mais faut bien dire qu’il est doté d’un pancréas et des cellules sécrétrices d’insuline pouvant faire face à la musique. Alors il mange, bouffe, croque et avale quatre ou cinq fois par jour. De fait, prendre un gueuleton avec lui, c’est tout comme aller au cirque des horreurs.

    Évidemment, il n’y est pour rien dans la qualité de ses organes, il a pas choisi, parce qu’au fond, de naissance, on ne décide pas grand-chose. Ce n’est que bien plus tard, lorsque les gonades* s’activent à tout rompre, que l’on s’intéresse aux qualités de notre physionomie et bien entendu, à celles du sexe opposé.

    Il enfourne donc, Tonio. Mais bon, cette histoire n’a rien à voir avec la discussion que nous tenons lui et moi, aujourd’hui, protégés par ce paravent formé de nos cafés.

    — Ciao, le bac en lettres ? me demande-t-il.

    — Ciao, que je réponds.

    — Et ton diplôme ?

    — J’abandonne.

    — Mais l’écriture, c’était pas ton rêve ?

    — Peut-être, mais écrire, c’est tout ce qu’on peut trouver quand on a pas le courage d’affronter sa propre vie.

    — T’es pas obligé d’écrire, tu peux devenir professeur.

    — Rien à faire, j’ai plus le cœur aux études.

    — Classique ton coup du spleen, non ?

    — Peut-être.

    — T’as pensé aller voir un médecin ? T’es peut-être dépressif, faudrait savoir ?

    — Toujours les papiers dans la vie ! On a juste le droit de crever une fois le légiste passé, hein ? Pourtant, le dernier des sagouins peut te le prendre, ton pouls, et te le frotter, ton sternum, pour vérifier. Évidemment, c’est tellement mieux avec le diplôme et la blouse blanche ! Notre propre opinion suffit plus ! Faut de l’expertise pour confirmer l’impression qu’on a de sa propre personne ! Mais je sais bien que je suis déprimé ! Que c’est pas ma faute ! que je lui vomis sonore dans les oreilles.

    — Criss ! Si tu cherchais pas toujours à fuir et que tu levais la tête au ciel, tu y verrais peut-être un peu de lumière dans cette chienne de vie ! me crache-t-il au visage, sans faire de quartier, comme si je n’étais qu’un vulgaire déchet que l’on tasse du pied.

    — Idem à celle qu’on aperçoit au bout du tunnel, juste avant de crever ? que je lui réplique du tac au tac, pour le faire taire un instant.

    Mais rien n’y fait, et c’est tout de go qu’il repart à l’assaut de mon moi minuscule.

    — Tu veux aller faire tata à l’ami saint Pierre maintenant ? m’enquiquine-t-il rieur, ce qui me coupe un peu mon envie de continuer ma petite guéguerre.

    Ne me reste plus qu’à opter pour la franchise, laquelle demeure parfois bien plus déroutante que le mensonge.

    — Non, j’ai pas trop envie de crever même si parfois, j’avoue, j’aurais bien envie de le rendre, mon dernier souffle.

    — Alors ?

    — Alors rien, c’est comme tout dans la vie, ça passe.

    — C’est pas la peur, plutôt, qui t’empêche de sauter ?

    — Aucune idée. Seulement, chaque fois que je ressens l’envie d’en finir, y a toujours un petit réflexe de vie qui m’empêche de faire le grand saut, et de pas sauter, c’est d’avouer qu’il faut continuer ; alors je continue. C’est pour cette raison que je voulais te voir, pour te dire que je déménage à Montréal.

    — Montréal ?

    — Besoin de changer d’air.

    — Et Julie ?

    — Julie ?

    — Je croyais que tu l’aimais.

    — Oui, peut-être, mais tu veux que je lui offre quoi, moi, mon petit moi ? Moi qui étudie plus, qui travaille pas ? Et à elle, elle qui fait sa médecine ; elle qui est tenace, brillante et battante ; elle qui est tout ce que je suis pas, mon alter ego ?

    — Elle t’aime pourtant.

    — Que tu dis.

    — Que je sais.

    — C’est Montréal malgré tout.

    — Fais comme tu veux.

    — Comme je veux, oui.

    Puis, c’est une nouvelle salve de cafés qui a achevé notre rencontre. Et j’en suis bien peiné de cette déchirure. Faut pourtant croire qu’il y a des appels qu’aucun amour ne peut empêcher. Et de toute manière, je me dois bien de trouver une solution à ma personne qui perdure depuis que ma mère m’a déféqué dans les mains d’un quelconque docteur. Alors, Montréal ou autre chose ? On n’a pas toujours la chance d’avoir une guerre pour disparaître. Faut donc avancer, coûte que coûte, histoire d’arriver un jour au bout des choses. D’arriver, oui.

    Voilà déjà deux semaines que je stagne à ma fenêtre, plus immobile qu’un dolmen. Tellement immobile que je ne serais pas trop surpris de découvrir un matin quelques lichens venus coloniser la plante de mes pieds.

    Le ciel est pourtant beau comme un trait de fusain et les arbres grugés d’hiver font bruyamment craquer leur écorce. Je perçois l’écho lointain des charrues. Et, n’ayant rien de mieux à faire, je décide d’attendre leur entrée dans ma rue.

    J’aperçois d’abord la trogne d’une souffleuse, puis quelques hommes, soldats de la nuit, qui suivent des yeux ce rutilant cortège. Vraisemblablement s’assurent-ils qu’aucun citadin ne se trouve déchiqueté par la dentition circulaire de ces insatiables monstres.

    Dix minutes suffisent à déneiger la rue et bientôt, j’observe le dernier char disparaître, emportant jusqu’à plus loin le tohu-bohu des ronronnements diesels. Désormais spectateur d’une rue désertée, l’âme rouée d’une autre journée d’inertie, je décide d’aller au lit pour m’anesthésier momentanément d’un long sommeil.

    Engonçant ma tête dans les sables mouvants de l’oreiller, je songe qu’il est grand temps de me trouver une direction à suivre, car si je détestais l’école, il m’apparaît aujourd’hui que cet établissement m’offrait néanmoins l’avantage de me prendre en charge, organisant mon horaire dans ses moindres retranchements.

    Mais cette nuit, acculé à la solitude de mon appartement, j’ai froid et force m’est de constater qu’aucune viande ne se trouve à mes côtés pour me réchauffer de quelques caresses.

    Dèche totale.

    Fatigué, je ferme les yeux à la manière d’un éboueur posant un couvercle sur une poubelle et instinctivement, comme chaque soir, je porte ma main droite sous l’oreiller pour sentir l’acier froid d’un petit couteau que je couve en permanence depuis mon arrivée à Montréal.

    Garder un couteau sous l’oreiller peut sembler, de prime abord, quelque chose de bien étrange à moins d’être une personne anxieuse, craignant d’être cambriolée par des brigands sanguinaires. Pour ma part, je ne souffre d’aucune phobie du genre. Ce petit couteau me sert tout bonnement de possibilité. Si un soir je craquais, incapable de supporter plus longuement ma triste personne, je saurais où trouver traitement à mes souffrances.

    Ironiquement, c’est Julie, sans le savoir, en me racontant ses mésaventures avec des patients suicidaires, qui a semé en moi l’idée d’en finir de la sorte. À ce que j’ai compris, la plupart des gens désireux de crever se tranchent tout bonnement les veines du poignet à la verticale. Or, outre le manque d’originalité, cette méthode demeure plutôt bête puisque le sang coagule rapidement et que le système nerveux, percevant une fluctuation de la pression artérielle, orchestre une vasoconstriction périphérique afin de stabiliser la pression et d’irriguer les organes vitaux. De fait, l’hémorragie s’apaise d’elle-même, obligeant le suicidaire à fomenter de nouveaux plans d’évasion.

    Donc, selon Julie, si l’on désire réellement périr par l’arme blanche, il vaut mieux localiser une artère et s’offrir une coupe au sens de l’horizon, histoire que le sang glougloute dans un torrent d’avril. Et de là, si l’on se cache avec zèle, c’est un petit cadavre tout desséché et bien raide qu’on retrouvera au matin.

    C’est vrai que c’est extrême, mais quand on veut réussir son dernier voyage, faut avoir les bonnes directives. Alors moi, tel un samouraï gardant son wakizashi* à portée, je tiens ce couteau tout près, attendant que sonne l’heure du seppuku*.

    Mais, comme toujours, à force d’espérer l’émergence du sommeil, je sens mon cœur changer de rythme, se désorganiser, battre la chamade et tendre vers l’insomnie.

    Incapable de dormir, je ressens l’irrésistible envie de quitter ces draps nauséabonds et d’enfiler vêtements, bottes et manteau. Oui, m’habiller et foutre le camp dehors, dans la nuit glaciale, et courir jusqu’à m’exténuer complètement, jusqu’à ce que mon corps demande grâce et qu’il s’effondre tel un bœuf assommé d’un merlin.

    Décidément lâche, je tente néanmoins de résister à cet appel, préférant l’absence du roupillon à l’effort physique. Fragile doit pourtant être la forteresse de ma détermination puisqu’en moins de deux, je suis à courir de manière effrénée dans ma rue fraîchement déblayée. Je cours et chacun de mes pas s’abattant sur le macadam porte en lui la sourde espérance d’atteindre un jour le bout des choses.

    Abattu, défait, répandu comme des boyaux sur le comptoir d’un boucher, je suis de nouveau à cailler dans mon lit. J’ignore combien de temps j’ai couru. Je sais seulement que ce marathon m’a permis de retrouver ce déserteur qu’est devenu mon sommeil. Mais avant de m’abandonner aux diaphanes caresses de Morphée, je conviens qu’il importe, dès demain, de me rendre au bureau d’emploi afin de m’y dégoter un job. Et même qu’avec un peu de chance, je vais peut-être trouver une certaine satisfaction à m’activer le gras du ventre. Tout ne peut pas être aussi noir, même au plus creux de la nuit.

    Chapitre 2

    J’ai abouti dans une firme de sondage. Rien de glorieux mais rémunéré ce qu’il faut pour vivre. Je joue au cow-boy urbain, le combiné d’un téléphone en main que je dégaine aux cinq minutes. Étrangement, malgré la satisfaction que devrait m’apporter cette nouvelle situation d’employé, je n’arrive que très difficilement à m’en réjouir. Je crois d’ailleurs connaître l’épicentre de cette morosité. C’est qu’hier, regardant les infos du soir, j’ai remarqué que le taux de chômage se trouvait bien égal à celui de la veille ; que malgré mon embauche, rien n’avait changé, il gravitait obstinément aux alentours de huit virgule quatre. Je ne sais trop pourquoi, mais j’ai trouvé très dur de constater que notre présence sur terre n’apporte pas grand-chose au reste du monde. Pas même un chiffre après une virgule.

    De fait, puisqu’il faut savoir motiver ses troupes, histoire d’éviter les désertions de masse, il existe des possibilités de se voir gratifier de quelques primes, sinon d’une augmentation salariale. Mais il n’y a que les immigrés pour vivre d’un tel espoir. Les Québécois de souche, eux, ne survivent qu’une semaine ou deux ici, écœurés de s’adonner à pareil emploi. Et moi, manque de chance, je suis du type souche.

    Or, moi, comme je sais que je ne survivrai pas à ce boulot, j’ai décidé de livrer une petite guéguerre à cette entreprise. En effet, lorsqu’un quidam décroche et qu’il n’a pas le courage de me raccrocher au nez, je m’affuble d’une voix si monotone qu’au simple fait de m’entendre, l’individu pendouillant à l’autre bout du fil ne peut que s’excuser, se souvenant subitement qu’il se doit à d’importantes obligations. Il y a même un type qui m’a dit un jour, pour se débarrasser de moi, que sa maison se trouvait en feu. Comme quoi les hommes, pris au dépourvu, peuvent balancer n’importe quoi, ce qui en dit long sur l’espèce.

    Cependant, comme tout stratagème possède son talon d’Achille, deux situations, tout aussi imparables l’une que l’autre, viennent parfois court-circuiter cette technique de sabotage. Primo, il y a toujours une mère Teresa de service pour me prendre en pitié, et pour saluer mon courage d’effectuer un tel travail. Fort heureusement, les samaritains porteurs de cette tare ne sont pas légion. Secundo, il y a les petits chefs, les kapos, anciens sondeurs qui, après des années de loyaux services, sont affublés du pompeux titre de superviseur et qui épient nos conversations téléphoniques pour évaluer

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