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Haïti. De la dictature à la démocratie?
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Haïti. De la dictature à la démocratie?
Ebook598 pages8 hours

Haïti. De la dictature à la démocratie?

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About this ebook

Quels moyens l’État haïtien s’est-il donné de rendre justice et de surmonter les séquelles de la dictature? Rassemblés en 2014 pour en débattre, chercheurs et militants de tous les milieux (sciences politiques, philosophie, droit, anthropologie…) en discutent collectivement, librement, apportent leurs expériences des transitions démocratiques en Haïti et dans des pays comme le Chili, l'Argentine ou encore le Rwanda. Un travail de mémoire et de restitution pour rompre le silence et dire la violence.
Ce collectif est une contribution singulière à l’avènement d’une démocratie à venir.
LanguageFrançais
Release dateFeb 16, 2016
ISBN9782897123109
Haïti. De la dictature à la démocratie?
Author

Étienne Balibar

Étienne Balibar, né le 23 avril 1942 à Avallon dans l'Yonne, est un philosophe français.

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    Haïti. De la dictature à la démocratie? - Étienne Balibar

    Haïti

    De la dictature

    à la démocratie?

    Sous la direction de

    Bérard Cénatus, Stéphane Douailler,

    Michèle Duvivier Pierre-Louis

    et Étienne Tassin

    Préface d’Étienne Balibar

    Cet ouvrage est réalisé en collaboration avec la Fondation Connaissance et Liberté, à la suite du colloque international « De la dictature à la démocratie? Transition, mémoire, justice » qui s’est tenu à Port-au-Prince, en juin 2014. Sa parution coïncide avec le trentième anniversaire du départ du dictateur, Jean-Claude Duvalier.

    Mise en page : Claude Bergeron

    Couverture : Étienne Bienvenu

    Dépôt légal : 1er trimestre 2016

    © Éditions Mémoire d’encrier

    ISBN 978-2-89712-309-3 (Papier)

    ISBN 978-2-89712-311-6 (PDF)

    ISBN 978-2-89712-310-9 (ePub)

    F1921.H34 2014      972.94      C2015-941609-4

    Mémoire d’encrier • 1260, rue Bélanger, bur. 201

    Montréal • Québec • H2S 1H9

    Tél. : 514 989 1491 • Téléc. : 514 938 9217

    info@memoiredencrier.com • www.memoiredencrier.com

    Fabrication du ePub : Stéphane Cormier

    Préface

    Étienne Balibar

    Je suis profondément touché et honoré d’avoir été sollicité d’écrire quelques mots de « préface » pour les actes du Colloque de Port-au-Prince sur « De la dictature à la démocratie? Transition, mémoire, justice ». N’ayant pu y assister moi-même, en dépit de ma présence symbolique dans son Comité scientifique, j’ai ainsi le sentiment d’en rejoindre les participants et de bénéficier, de surcroît, de tout leur travail pour faire avancer ma propre réflexion. Prenant connaissance des exposés qui y ont été prononcés, je suis d’emblée frappé par deux caractéristiques : la première, c’est que le colloque, et par voie de conséquence ce volume qui nous le présente, associe une diversité extraordinairement significative de chercheurs européens et américains (du Nord et du Sud), issus de plusieurs générations (chercheurs confirmés et jeunes débutants pleins de sérieux et de talent) et sur plusieurs disciplines, mais aussi de militants et de militantes engagé(e)s pour la justice et la mémoire; la seconde, c’est que la question dont ils nous entretiennent, si bien entendu elle dépend partout de circonstances historiques et de traditions politiques et culturelles spécifiques, est de portée absolument universelle. En ce sens on pourrait croire qu’elle ferait l’objet d’un traitement analogue en n’importe quel lieu. Or, il n’en est rien. Il est très significatif que ce soit en Haïti, en jetant un regard rétrospectif et prospectif sur les terribles épreuves que le pays a subies et en essayant d’évaluer ses chances de les surmonter pour de bon, que les questions de la justice, de la mémoire et de la démocratie, intriquées en un seul nœud, soient ainsi poussées plus avant, pour le plus grand bénéfice de tous. C’est en particulier cette dimension d’universalité que ces quelques phrases d’introduction cherchent à révéler : universalité située, universalité qu’on serait tenté de dire « contentieuse » ou « conflictuelle » (expression dont s’est servie Judith Butler dans sa grande discussion avec Ernesto Laclau et Slavoj Zizek, dont on attend toujours la traduction en français), nullement diminuée pour autant, mais au contraire inscrite dans une dialectique inachevée, à venir et, peut-être plus encore, à faire.

    Je n’ai garde d’oublier que le colloque, dans un constant va-et-vient entre la réflexion théorique et la connaissance des spécificités historiques, a constitué d’abord un exercice de jugement sur l’expérience du peuple haïtien, allant des effets récurrents de la violence esclavagiste (et du prix que le « monde » a voulu infliger à ceux qui s’en étaient libérés) jusqu’à la contradiction des exigences de justice et des conditions de l’extrême pauvreté, en passant par l’histoire de la dictature (duvaliériste) qui lui donne son titre et par l’ambivalence d’une « république des O.N.G. » qui semble devoir maintenir ce peuple indéfiniment en tutelle – donc, d’une certaine façon, d’une république sans citoyenneté. Cette richesse concrète, qui peut faire l’objet d’une comparaison, mais non d’une substitution, est naturellement l’arrière-plan de tout ce que je peux dire – y compris parce que c’est d’elle que surgissent, dans leur productivité même, les conflits et les contradictions évoqués par Jacky Dahomay dans son « premier bilan » conclusif. Mais je n’ai aucune prétention, on s’en doute, à compléter ce qui s’est dit ou à trancher de ce qui est en litige. Je suis ici en position d’apprenti.

    Voici donc, parmi d’autres possibles, les deux questions générales, investies d’une dimension d’universalité, auxquelles il m’a semblé que cet ensemble apportait une contribution singulière : d’une part celle du caractère évolutif de la démocratie, ou de la démocratie comme mouvement; d’autre part celle du rôle que l’exigence de justice, pour aporétique qu’elle soit sans doute destinée à demeurer, remplit entre le passé de répression (antipolitique) et l’à venir de civilité (politique), comme un opérateur de conversion historique et anthropologique. Dans les deux cas, naturellement, c’est des formes et des effets de la violence comme double condition de possibilité et d’impossibilité pour la vie en société (ou l’être en commun) dont il s’agit fondamentalement. Et l’on voit bien qu’elle n’a rien de simple. Quelques mots sur chacun de ces deux points.

    L’objet spécifique du colloque, ce sont les problèmes d’une transition entre dictature et démocratie, mais du même coup se trouve posé un problème général, qui est celui du mouvement vers la démocratie. Il apparaît que ce mouvement n’est effectif, ou qu’il ne surmonte les innombrables obstacles objectifs et subjectifs qui se dressent devant lui, rapports de pouvoir et rapports de consentement, que s’il est conduit lui-même dans une forme démocratique, dont fait partie le travail de mémoire et de véridiction. Mais cela n’est-il pas vrai de toute procédure démocratique? Et peut-on penser, en vérité, une démocratie qui ne soit pas sa propre recréation permanente, sa propre « démocratisation »? À la limite de cette interrogation, on est amené à récuser l’idée que la démocratie soit jamais définissable comme un régime politique, en tout cas au sens des critères de la science politique, et j’avoue avoir été tenté de le faire, sur les traces en particulier de Jacques Rancière. Mais quelque chose doit sans doute nous retenir sur cette pente, ou nous amener à en compliquer l’idée, quelque chose que ces textes documentent admirablement. Comme le dit Laënnec Hurbon, on ne saurait demeurer indéfiniment dans une « politique de transition interminable ». Et cela tient au fait que l’expérience de la dictature (ou de la destruction radicale des procédures et des libertés démocratiques, publiques et privées) constitue une butée incontournable. Il faut en sortir, et il y a des critères pour cela, si fragiles soient-ils, et c’est précisément à les consolider que doit s’employer le travail de mémoire et d’élucidation. Disons donc plutôt que l’expérience démocratique est toujours dialectiquement celle d’un processus et d’un régime, mais dans laquelle la première a le primat normatif et explicatif. C’est pourquoi la transition démocratique, dans ce qu’elle doit avoir de « transitoire » elle-même, constitue une expérience-limite, dont nous pouvons tous apprendre, mais dont nous apprenons d’autant plus que nous ne la banalisons pas.

    Les considérations sur la justice comme opérateur de conversion de la violence, ou plus subtilement d’un rapport d’aliénation radicale à la violence en un autre rapport dans lequel elle serait affrontée « à mesure d’homme », vont dans le même sens. Les communications n’insistent pas seulement sur la difficulté qu’il y a à définir des procédures ou « solutions de justice » politiques et à les mettre en œuvre (ce qui veut dire aussi les faire comprendre), elles illustrent remarquablement une dimension temporelle (ou dimension d’historicité) des actions de justice qui, là encore, me semble-t-il, revêt une signification universalisable. D’abord, elles insistent sur le fait que ce problème est étroitement lié, dans la pratique, à celui de la transmission de la mémoire d’une génération à une autre, qui est comme la base matérielle de l’existence des communautés politiques. Ensuite elles montrent que l’ouverture des projets politiques, et donc l’avenir même d’une citoyenneté démocratique, dépend directement de la façon dont aura été pris en compte le passé traumatique, ce qui implique qu’il soit d’abord reconnu pour ce qu’il a été, dans une dialectique complexe de réactivation des conflits, nécessaire en particulier pour que la différence des bourreaux et des victimes ne s’efface pas dans une neutralité complaisante et mystificatrice. Mais une fois de plus ces réflexions débouchent potentiellement sur une analyse de la différence du rapport à la mémoire qu’entretiennent des sociétés inégalement « constituées » à différents moments de leur histoire, et qu’on ne saurait confondre sans mystification. Sans doute n’y a-t-il pas de sociétés qui ne reposent pas sur des traumatismes, des refoulements et des dénégations. On pensera, dans le cas de la France, à son expérience coloniale, ou même plus précisément à sa façon propre d’oublier constamment l’esclavage, la ségrégation, le racisme institutionnel, etc., qu’elle perpétue de ce fait en son propre sein. Mais les modalités de leurs rapports à la double exigence contradictoire de la coupure avec le passé et de sa rétention aux fins d’élaboration critique sont profondément hétérogènes. À quoi l’on devrait, je pense, ajouter que toutes ces questions, aujourd’hui, se posent sans doute dans des cadres nationaux, mais ne sont intelligibles que de façon comparative et, mieux encore, de façon dialogique, puisque les expériences correspondantes ont été dans le passé interdépendantes (au prix de terribles rapports de domination) et le demeurent en fait dans le présent.

    J’espère en avoir dit assez, sans empiéter sur le contenu même des exposés qui suivent, pour faire pressentir à une multiplicité de lecteurs l’intérêt et le profit qu’ils trouveront à les lire – depuis ceux, de plus en plus nombreux dans le monde, qui ont pris conscience de la place centrale occupée par l’histoire tragique d’Haïti dans notre civilisation, jusqu’à ceux (en partie les mêmes, bien sûr) qui – sub specie universitatis – ont souci de la matière politique et de l’imprévu qu’elle fomente. Qu’ils n’hésitent pas à se mettre maintenant en route pour Port-au-Prince, par la pensée à tout le moins.

    Transitions

    Les dictatures ou la suppression du politique

    Pour un centre de recherche sur les dictatures

    Laënnec Hurbon

    Depuis les années 1980, on sait que les dictatures sont mortelles et que la démocratie, comme le moins mauvais de tous les régimes possibles, est devenue l’objet d’un consensus universel. On eut même à annoncer non sans raison qu’ainsi la fin de l’histoire¹ est arrivée. Dans ce contexte, la dictature ne semble plus être un objet d’étude suffisamment noble pour qu’on lui consacre des travaux importants et des centres de recherche. Elle représenterait une page tournée dans l’histoire contemporaine. Il est curieux de constater qu’on a adopté la même attitude de pensée face à la traite négrière et à l’esclavage outre-Atlantique : il ne serait plus guère besoin de chercher à l’étudier, car tous les peuples caracolent aujourd’hui vers la liberté.

    Or, cette situation appelle au moins deux remarques importantes.

    La première, c’est que les dictatures représentent un phénomène massif qui occupe beaucoup plus de place dans l’histoire contemporaine que la démocratie. Elles caractérisent non seulement presque tous les pays de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud jusqu’à tout récemment, toute l’Afrique noire et arabe après les années 1960 et plusieurs pays de l’Europe (Portugal, Espagne…). En ce qui concerne Haïti, nous nous reconnaissons facilement une palme, tant sont rares, fugaces et volatiles nos régimes démocratiques. Cette palme tient en grande partie à notre amnésie bien entretenue vis-à-vis du passé des dictatures : après avoir été chassés par des émeutes populaires, de nombreux chefs d’État reviennent plusieurs années après au pays pour un accueil triomphal, leurs biens leur sont restitués et leurs crimes oubliés².

    La deuxième remarque : le passage à la démocratie a donné lieu partout à un enthousiasme, à une euphorie même qui masque la réalité. Or, cette réalité est celle d’un État qui porte obligatoirement les marques de la criminalité des pratiques dictatoriales. De la sorte ce qu’on appelle démocratie (lors d’un renversement d’un régime dictatorial) ne serait qu’une démocratie mimétique. Les structures de l’ancien système sont en effet tellement solides qu’on finit par croire qu’à n’importe quel moment le régime peut dériver vers la dictature. Sans doute, il n’y aurait d’ailleurs pas de régime démocratique qui puisse se targuer d’être implanté une fois pour toutes. Il convient de se remettre à penser ce qui a rendu possibles l’apparition et la longue durée des systèmes politiques dictatoriaux.

    Les dictatures entre historisation et mémoire

    On ne peut s’empêcher de reconnaître qu’il existe des formes patentes et parfois subtiles de continuité des dictatures. C’est avec justesse qu’Alain Rouquié parle des démocraties établies « à l’ombre des dictatures ». Assistant à l’investiture du président Edouardo Frei au Chili, il raconte qu’il s’est trouvé à sa surprise à quelques mètres du fauteuil d’Augusto Pinochet, chamarré et fier de lui, comme s’il était l’œil de la démocratie naissante³. À ce propos, je suggère qu’on porte une attention particulière sur quatre problèmes principaux :

    Quand des chefs d’État dictatoriaux réclament pour eux-mêmes l’amnistie, ils ouvrent une perspective qui séduit autant les foules que les classes politiques nouvelles qui se pressent aux portes du pouvoir. L’idéologie de la réconciliation nationale est en effet pour cela extrêmement efficace. Si la dictature a pu s’établir dans le pays, c’est que tous seraient coupables : bourreaux et victimes peuvent se donner la main. La société fonctionne alors comme une assemblée religieuse. Et le conflit est dilué. Or ce que produisait une dictature, c’est justement un processus qui revient à faire taire les conflits et les dissensions, c’est-à-dire la politique comme telle. Les opposants à la dictature seraient les seuls responsables du devenir dictateur du chef d’État, dans la mesure où ils prétendent exprimer des désaccords. On peut en pastichant Rousseau reprendre ici une thématique des défenseurs de la dictature de trente ans des Duvalier⁴ : Duvalier est bon, c’est l’opposition qui le corrompt, c’est-à-dire qui le pousse à prendre des mesures dictatoriales.

    Une tâche d’oblitération de la mémoire et d’évitement de la mémoire est mise en œuvre en vue de produire une seconde mort des victimes de la dictature. Pendant les années de la dictature, les victimes sont en règle générale réduites au silence, aucune possibilité n’étant offerte pour rendre compte dans l’espace public des abus des forces répressives, des tortures, des exécutions sommaires ou des massacres, pendant que les médias ne sont autorisés qu’a des dithyrambes pour le pouvoir établi. Que ces pratiques retombent dans le silence, une fois que le dictateur a été contraint de prendre la fuite, ne peut être que l’indice de la seconde mort des victimes. En effet, l’impossibilité de faire le deuil, et donc l’incitation à une politique de l’oubli, a pour conséquence d’augmenter la souffrance des victimes qui deviennent incapables de se projeter dans l’avenir.

    La perspective qui demeure liée à cette politique de l’oubli est celle de la banalisation du phénomène dictatorial. Celle-ci consiste à inscrire le phénomène dans la continuité de l’histoire du pays, et donc à le naturaliser aux yeux des victimes. Il n’est pas inutile de rappeler la querelle des historiens (notamment Broszat et Frielander) autour de l’unicité ou du caractère paradigmatique de « la solution finale » en Allemagne pendant les années 1933-1945, et dont vient de rendre compte l’ouvrage de Enzo Traverso, L’histoire comme champ de bataille⁵. Broszat, dans Plaidoyer pour une historisation du national-socialisme, soutient que l’historisation ne signifie pas la relativisation des forfaits du régime, mais qu’elle prétend ne pas faire de la condamnation morale son seul guide pour les analyses du système. L’historisation consiste ainsi à chercher à découvrir des racines à la catastrophe du national-socialisme, comme si donc il y avait une latence de ce régime politique criminel, ou si l’on veut, comme s’il fallait se tourner vers le passé pour saisir les sources véritables de ce régime. Mais sur cette base, on peut facilement aboutir à la banalisation du régime, dans la mesure où justement on entre dans un processus de « distanciation objectivante », qui ferait perdre l’unicité du régime, sa singularité, son caractère de rupture dans la vie quotidienne. Broszat essaie de sortir de ce qu’il déclare être une condamnation morale et politique du nazisme et il tente de réintégrer le national-socialisme dans la continuité de l’histoire allemande. Avec le principe de la continuité, l’extermination des Juifs ne représenterait pas une obsession pour la population dans la vie quotidienne et il n’y aurait pas une adhésion totale à la vision du monde du Führer. Sur cette base, Broszat finit par demander d’exclure la mémoire, car celle-ci apparaît comme un « souvenir mythique des victimes » et en cela serait un obstacle à la reconstruction du passé.

    Le point de vue opposé est exprimé par Saul Friedlander. Pour lui, la position de Broszat aboutit à une relativisation de la dimension criminelle du nazisme, c’est-à-dire à une occultation des rapports entre la vie quotidienne et la politique d’extermination. Or dès 1933, la vie politique est entrée dans une spirale qui conduit douze ans plus tard aux camps d’extermination. Il s’agit donc d’un phénomène sans précédent, car dans la vie quotidienne il n’y avait pas moyen d’opposer facilement une résistance. L’enthousiasme des foules envers le régime nazi ne parvient pas à cacher qu’elles sont contraintes au silence. Le national-socialisme, explique encore Friedlander, change le cours ordinaire de la vie quotidienne. On ne saurait donc voir en Auschwitz une opposition entre mémoire et histoire, car on n’a pas à souhaiter un regard « débarrassé de toute implication subjective⁶ », car Auschwitz représente un phénomène « exceptionnel », « une illustration paradigmatique de la dimension criminelle de l’ère nazie », et à ce titre, Frielander peut soutenir avec Habermas que l’évènement Auschwitz a changé la continuité de la trame historique de la vie. Et ce, pas seulement en Allemagne⁷ ».

    On retrouve, à mon avis, le même enjeu entre l’historisation et l’implication subjective de la mémoire dans les interprétations actuelles et les analyses souvent proposées de la dictature des Duvalier père et fils. Cette dictature est-elle un enracinement dans l’histoire, au sens qu’elle serait l’aboutissement de celle-ci? Ou bien est-elle un évènement inédit, une irruption, une rupture dans l’ordre quotidien?

    Il est effectivement malaisé de faire fi de l’histoire quand on essaie de comprendre le phénomène de la dictature duvaliériste en Haïti. C’est une dictature qui s’est construite et s’est imposée par étapes, mais avec des moments d’accélération. Elle ne pouvait s’établir et se consolider que grâce à une nappe de représentations déjà inscrites dans la société haïtienne et qu’elle a su exploiter et, plus exactement, qu’elle a tenté de mettre sous contrôle. La société haïtienne est en effet marquée par une sorte d’apartheid social qu’on reconnaît au traitement que l’État a fait de la paysannerie, en profitant de l’agriculture, longtemps base essentielle de l’économie, mais en négligeant de doter la paysannerie d’écoles, de centres de santé, d’infrastructures (l’eau, l’électricité étant pensées uniquement pour les besoins des villes). Ce type particulier d’apartheid est recouvert ou accompagné par les représentations culturelles péjoratives comme celles du culte vodou, de la langue créole, de la couleur (noire pour la majorité de la population, mulâtre pour une minorité de citadins considérés comme privilégiés économiquement⁸). Des institutions comme l’Église catholique et le système scolaire, sous contrôle des congrégations religieuses étrangères, sont tenues responsables d’avoir soutenu et renforcé ces représentations. Le courant idéologique et littéraire dit de l’indigénisme, qui a émergé au cours de l’occupation américaine pendant les années 1930, est à la pointe de ces critiques.

    Dès son accession au pouvoir, François Duvalier n’a eu de cesse de mettre au pas l’Église catholique en expulsant du pays de nombreux prêtres et évêques et des congrégations comme celle des Jésuites (canadiens) ou celle des Spiritains (français). Peu après, les partis politiques sont dissous, pendant que leurs leaders et leurs membres sont emprisonnés ou tués. Dès lors, une prison, tenue pour un centre de torture – le Fort Dimanche – dont on ne revient que par hasard, fonctionne à plein. Une force spéciale appelée tontons macoutes fait une apparition, opérant de nuit avec des cagoules, pour être finalement quelques mois après officialisée comme organisation parallèle à l’armée et susceptible de la contrôler. Elle a pour mission de défendre la présidence à vie et la personne de Duvalier; pour cela, la chasse aux opposants ou supposés tels est ouverte et ne cessera qu’à la chute du régime le 7 février 1986. Duvalier passe alors pour le sauveur de la nation. Tout bon nationaliste est censé se reconnaître dans cette dictature qui ne souffre point de critique; les représentants des masses noires et des classes dites moyennes peuvent enfin voir en Duvalier un point d’aboutissement de l’histoire d’Haïti.

    Ce bref rappel des éléments essentiels – actuellement très connus – de la dictature duvaliériste nous donne à voir et à prendre au sérieux la thèse de l’historisation de la dictature, qu’on trouve dans de nombreux discours relevant du sens commun. Il y aurait donc, depuis l’histoire des rapports sociaux, des représentations qui accompagnent les prémisses de l’éclosion de la dictature. Celle-ci aurait ainsi un enracinement dans notre histoire et dans notre culture politique. C’est par exemple le point de vue du regretté Marcel d’Ans dans son ouvrage Haïti, paysage et société⁹. Pour lui, « la contre-propagande anti-duvaliériste fourmille d’exagérations fantasmagoriques », « le régime de Duvalier n’a jamais été un régime fasciste, et la terreur qui ciblait les couches pauvres traditionnellement visait maintenant les fractions substantielles de l’élite¹⁰ », et l’élite en question est « l’oligarchie mulâtre » qui aurait depuis toujours tout le pouvoir. Plus loin, d’Ans soutient que les organisations parentales et religieuses « donnent aux masses le sentiment d’une familiarité plus grande avec le pouvoir ». C’est pourquoi il est souvent moins exact de dire que « les tontonmacoutes oppriment le peuple », que d’observer que chacun dans le peuple s’efforce de compter un ou plusieurs totonmacoutes dans son cercle de relations, à défaut de pouvoir soi-même en devenir un¹¹ ». On ne peut pas mieux montrer le caractère naturel et normal des trente ans de la dictature duvaliériste qui n’ont rien, dit encore d’Ans, d’une « parenthèse regrettable¹² ».

    Il n’y aurait plus à se plaindre de ce que nous, Haïtiens, avons vécu, tous nos déboires s’éclairant quand nous les rapportons à notre histoire. Les crimes de Duvalier rentreraient donc dans notre cadre historique, car la dictature nous ressemblerait, elle serait congruente à notre mentalité et culture. Cet imaginaire politique de la dictature persisterait à hanter la vie quotidienne et à investir insidieusement les pratiques politiques. Aussi cherche-t-on à faire de l’oubli une vertu pour éviter de tomber dans un ressassement indéfini de ce passé. La tentation historisante est celle de nombreux leaders politiques. Du coup, ils sont enclins à réserver aux seuls militants des droits humains la tâche de faire mémoire des trente ans de la dictature duvaliériste.

    Or, si on prend en compte la souffrance des victimes de la dictature, on s’apercevra qu’une vision objectiviste et historisante est insuffisante pour permettre une approche véritable de la dictature. Le rapport à l’histoire suppose en effet un rapport apaisé, et même anonyme, comme dirait Paul Ricœur (2000) et n’est pas nécessairement objectiviste. Certes, la continuité historique, c’est-à-dire l’enracinement de la dictature dans l’histoire, peut en effet passer facilement à côté de la rupture que la dictature a instaurée dans la vie quotidienne. Cette rupture a dû produire un trauma dans la vie individuelle comme dans la collectivité : disparitions forcées, morts sans sépulture, exécutions sommaires, terreur, suspicion jetée sur tous les proches et finalement fuite vers l’étranger, autant de pratiques qui témoignent d’une déconstruction inédite de l’ordre quotidien, mais aussi d’un excès de violence non nécessaire aux fins du dictateur. L’implication subjective est alors incontournable, et c’est par un travail de la mémoire sur les crimes de la dictature que pourra être rendue dicible la souffrance des victimes. Ce qu’on appelle aujourd’hui « un devoir de mémoire » doit cependant être constamment éclairé par l’histoire qui a, comme le dit Paul Ricoeur, « vocation à l’universel¹³ », car en principe l’histoire n’évacue ni les sujets ni les victimes.

    Il y a un dernier aspect non moins troublant qui mérite d’être examiné à propos des dictatures : c’est la tendance à déclarer que finalement on perd son temps à exhumer le passé des dictatures, pour la simple raison que « le peuple », c’est-à-dire le peuple identifié aux masses ou aux couches sociales les plus pauvres, n’a pas le temps de penser au politique, qu’il suffise de lui trouver du travail, du logement, ses soins de santé, de l’éducation, et la paix sera établie. Telle est au fond l’idéologie du système néolibéral régnant. Cette idéologie fait rage en Haïti, mais comme par hasard fait rage aussi l’insécurité par suite de la difficulté qu’éprouvent les pouvoirs à donner priorité à la justice et à assumer le principe de l’égalité devant la loi. Plus la dictature est absoute ou, si l’on veut, plus elle est banalisée par suite d’un sentiment d’épuisement et de désespoir venu de l’insuccès des demandes démocratiques, plus les dictatures peuvent prendre des formes subtiles et inédites de continuité, cette fois à l’ombre même des discours pléthoriques sur la démocratie.

    Dans le cas d’Haïti, force est de constater par exemple l’absence d’une véritable mémoire de l’esclavage, puisque les lieux de fonctionnement de cette pratique criminelle sont laissés en ruines et à l’abandon, car dès l’indépendance en 1804, une politique de l’oubli de la période de l’esclavage conçue comme celle d’une honte est entreprise de manière systématique, presque par décret. Sur cette base, le spectre de l’esclavage revient s’inscrire dans le système politique qui donnera naissance à plusieurs régimes despotiques. En règle générale, on est en Haïti sous l’empire de la perspective d’une histoire héroïque qui tend à faire de la création d’Haïti l’œuvre de quelques personnages exceptionnels, figures de proue de la guerre de l’Indépendance.

    L’absence de lieux de mémoire sur la dictature de Duvalier renvoie à la pénurie d’informations sur les méthodes, les moyens et les objectifs de la dictature. À côté de nous, en République dominicaine, il existe un musée sur la dictature de Trujillo, et il est même interdit aux fils du dictateur de revenir au pays. Un travail considérable sur les crimes de la dictature militaire en Argentine se poursuit encore de nos jours pour que la vérité soit faite sur les bourreaux et sur les victimes. De même au Chili et en Uruguay, un refus est opposé au régime d’amnistie. En effet, là où le passé est ignoré ou refoulé, on est condamné à le revivre, à le voir revenir sous différentes formes et à rendre impossible toute perspective d’avenir. Sans ce travail de la mémoire et de la vérité sur les crimes de la dictature, l’histoire ne serait plus que l’histoire des vainqueurs.

    D’aucuns s’interrogent sur les capacités exceptionnelles d’un pays comme Haïti de passer dans l’oubli les crimes de la dictature des Duvalier. Il faudrait cependant se rendre compte que les difficultés de faire la vérité sur ces crimes sont effectivement de taille. Le traitement de la mémoire est obligatoirement différent d’un pays à l’autre au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique du Sud. Dans le cas d’Haïti, à la chute de Jean-Claude Duvalier, l’armée prend le pouvoir, or cette armée est celle de la dictature et elle représente la continuité du régime, pendant que les pays de la communauté internationale, les États-Unis en tête, tentent d’être les acteurs principaux de la transition vers la démocratie. Les militaires auront finalement le pouvoir de 1986 à 1994. L’exil de nombreux cadres fuyant la répression donne à voir une sorte de rupture générationnelle, de telle sorte que de nombreux jeunes (plus de 50% de la population a moins de 25 ans) sont désemparés devant les crises politiques qui se succèdent en Haïti, sans pouvoir être informés du passé des institutions de l’État. Finalement, la lutte contre le retour de la dictature dès 1986 n’offrait guère le temps d’élaborer une stratégie conséquente pour faire la vérité sur les crimes du système et mettre en place des dispositifs de mémoire.

    De l’État criminel au retour du politique

    Le respect pour les victimes d’une dictature présuppose l’action de la justice réparatrice. Or, l’État auquel la demande de justice devra être faite est encore un État criminel tel que du moins la dictature l’a produit, même si de nombreux agents ou fonctionnaires pouvaient reconnaître pour eux-mêmes qu’ils étaient contraints d’avaliser les pratiques criminelles de la dictature. Justement, c’est ce qui prouve a contrario la transformation criminelle que la dictature a fait subir à l’État. Pour rendre justice, l’État devrait obligatoirement remplir désormais le rôle du « tiers ».

    Cette figure du tiers est reprise par Sandrine Lefranc¹⁴ à partir de la réflexion théorique de Pierre Legendre sur le rôle de l’État conçu comme « Tiers fondateur » ou comme « Référence absolue » qu’on doit découvrir dans la figure du Juge et les textes de droit. Il est important de rappeler ici quelques éléments de cette analyse. La perspective que Pierre Legendre propose sur le plan psychanalytique souligne que l’État n’a pas à se considérer comme un simple arbitre entre victimes et bourreaux; il s’agit plutôt de penser l’État comme source d’une normativité – un peu comme la fonction paternelle – susceptible de favoriser la constitution du sujet et le soutien du lien social. En revanche, pour l’auteure des Politiques du pardon, « la violence d’État massive » rend difficile sinon idéaliste la perspective de l’État fonctionnant en Tiers pour les victimes : « le régime qui succède au régime criminel, sans rompre avec lui, est l’héritier d’un État privé de fonction tierce¹⁵. » Serions-nous donc dans une impasse, une aporie pour l’instauration d’un régime démocratique? Ou devrions-nous nous résigner, après un régime criminel, à nous installer dans une transition interminable, qui conduirait victimes et membres de l’ancien régime à se regarder en chiens de faïence? Pierre Legendre semble s’orienter pour une refondation de l’État vers une demande politique du pardon. Mais là encore, on est au rouet, puisque, comme le soutient Sandrine Lefranc après Jankélévitch¹⁶, ce serait « prendre la parole pour le mort » et une seconde fois « le réduire au silence¹⁷ ». Le recours au droit international comme à un « tiers super-étatique » est souvent recherché pour une refondation de l’État, mais en règle générale, c’est le statu quo de transition interminable qui est sauvé. Sandrine Lefranc, au terme de ses analyses, semble aboutir à une impasse dans cette problématique de la justice pour les victimes et pour la sortie réelle de l’État criminel.

    Il me semble que l’Haïti de 1986 à nos jours est une illustration de ces difficultés et apories rencontrées dans le rétablissement d’un système de justice fonctionnant comme un tiers, au sens que Pierre Legendre donne à ce concept. Ce que justement Duvalier en 1957 préconisait, c’est « la réconciliation nationale », et le nationalisme, d’où il pouvait déclarer que le pays authentique sont les masses dites noires face aux groupes appelés mulâtres. Pour lui, les masses noires ont leurs représentants à travers un leader noir, c’est-à-dire à travers sa personne. Quand par exemple, on propose une amnistie pour les crimes de la dictature duvaliériste, on évoque la nécessité d’une « réconciliation nationale », et tout se passe comme si on excusait ou absolvait ainsi inconsciemment les pratiques criminelles du régime. Ces pratiques proviendraient d’une incompréhension de ce que le régime visait, à savoir justement « l’unité nationale ». Pour le dictateur, l’unique parti autorisé à exister sur le territoire national s’appelle comme par hasard parti de l’Unité nationale.

    La théorie de la réconciliation nationale est à l’œuvre un peu partout en Amérique du Sud pour favoriser l’oubli des crimes des régimes dictatoriaux et inciter les victimes à pardonner et à oublier pour que le pays puisse se développer. C’est en particulier en Haïti que la vérité sur les crimes de la dictature des Duvalier ne parvient pas à susciter l’intérêt des pouvoirs de 1986 à nos jours, encore moins l’intérêt de la communauté internationale. Il en résulte qu’une grande partie de la population continue de plus belle à se fier à une conception du temps comme celle de la roue qui tourne : un jour et un jour seulement justice sera faite pour les victimes, on s’en remet ainsi à la nature ou, ce qui revient au même, à la surnature. Dans l’au-delà on verra enfin la justice et, du coup, la société ne cesse de ressembler à une assemblée religieuse dans laquelle tous les crimes et délits sont pardonnés ou pardonnables. À la limite, si crimes il y a eu, ils retombent sur la responsabilité des victimes.

    La demande de la vérité sur les crimes de la dictature et d’une justice réparatrice peut, il est vrai, ne pas être honorée, vu les difficultés qu’elle rencontre à cause de la criminalité bureaucratique prégnante encore dans l’État. Mais cette demande devrait être maintenue et assortie d’une politique de la mémoire capable d’ouvrir la voie au retour du politique et donc à la possibilité d’être désormais acteurs dans l’organisation de la vie sociale et politique, ce qui était en principe exclu par la dictature.

    Car au fond, quelle a été la finalité réelle de la dictature, si ce n’est le refus du principe même du politique? Un refus qui se manifeste non seulement dans la suppression des contre-pouvoirs, des partis politiques et de toute opposition politique, mais qui vise plus clairement à éviter tout conflit et tout dissensus. C’est peut-être à ce niveau qu’on peut reprendre la thématique du mal radical, telle que Balibar (2010) la développe après Hannah Arendt dans Violence et civilité : « le propre de l’extrême violence n’est pas tant, peut-être, de détruire la paix ou de la rendre impossible, que d’anéantir le conflit lui-même, en lui imposant une démesure qui le prive de toute histoire et de toute incertitude¹⁸. » Cette situation, qui relève du psychanalytique et du philosophique à la fois, indique que toute politique peut éventuellement tomber dans les mêmes excès de la dictature qu’elle prétendait combattre. Tout se passe comme si justement il aura fallu un excès de violence, un surcroît de répression ou encore l’absence de limite dans la répression pour exprimer ainsi la volonté d’en finir avec la politique.

    La démesure dans la répression exercée par exemple dans la dictature de Duvalier indique justement que le pays ne peut que s’installer dans une crise profonde, structurelle même, dans la mesure où le pouvoir et les couches dominantes ressentent comme un danger la volonté exprimée par les couches populaires d’intervenir dans la vie politique¹⁹. Il convient donc de penser les imaginaires mis en jeu dans cette difficulté d’instituer le politique²⁰ et de construire un « monde commun²¹ » au sens de Hannah Arendt. Un monde commun où la politique peut se déployer hors de toute violence et de toute pratique de domination, donc dans l’acceptation de la pluralité des positions sur l’organisation de la société et sur le sens du monde.

    Pour sortir de la politique de transition interminable vers la démocratie, un laboratoire de recherche devra savoir articuler histoire et mémoire, penser les tendances à l’établissement d’une démocratie mimétique qui maintient encore en vie les structures du régime dictatorial; plus encore, un laboratoire devrait être capable d’interroger – à partir d’une approche comparative sur les différents régimes dictatoriaux du XXe siècle – sur les plans philosophique, anthropologique et historique à la fois cette capacité ou cette propension des pouvoirs à franchir toute limite dans les pratiques répressives et donc à se laisser aller à la fantasmatisation des rapports sociaux et politiques.

    Références bibliographiques

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    HURBON, Laeënnec, « Mémoire et politique en Haïti », dans le collectif sous la direction de Labelle et al., Le devoir de mémoire et les politiques du pardon, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2005, p. 173-186.

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    LEFRANC, Sandrine, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002.

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    RICŒUR, Paul, La mémoire, l’histoire et l’oubli, Paris, Seuil, 2000.

    ROSANVALLON, Pierre, La contre-démocratie. La politique à l’âge de défiance, Paris, Seuil, 2006.

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    TURNIER, Alain, Quand la nation demande des comptes, Port-au-Prince, Éditions Le Natal, 1989.

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    TRAVERSO, Enzo, L’Histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du XXe siècle, Paris, La Découverte, 2011.


    1 Voir Francis Fukuyama, La fin de l’Histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.

    2 Nous avons développé plus longuement cette thématique de l’amnésie en Haïti vis-à-vis des régimes dictatoriaux du passé dans notre contribution, « Mémoire et politique en Haïti », à l’ouvrage Le Devoir de mémoire et les politiques du pardon, Micheline Labelle et al. (dir.), Presses de l’Université du Québec, 2005, p. 173-186, une analyse que j’ai proposée à partir d’une méditation sur l’ouvrage d’Alain Turnier, Quand la nation demande des comptes (1989).

    3 Cf. Alain Rouquié, À l’ombre des dictatures. La démocratie en Amérique, Paris, Albin Michel, 2010, p. 369. On se reportera en particulier aux p. 116-187, le chapitre sur « La dictature poursuivie par d’autres moyens ».

    4 Nous n’avons pas la prétention de rendre compte ici des ouvrages et articles publiés sur la dictature des Duvalier, mais citons entre autres G. Pierre-Charles (1973), M. Lundhal (1993), M.R. Trouillot (1986), E. Charles (1994), et bien entendu les travaux de Bernard Diederich, comme par exemple Le prix du sang avec la préface de Jean-Claude Bajeux; certains ouvrages dont celui de R. Gilot (2010) tentent récemment de trouver des circonstances atténuantes à la dictature de Duvalier, le titre de l’ouvrage donne le ton et le programme : Duvalier le mal aimé.

    5 Enzo Traverso, L’histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du XXe siècle, Paris, La Découverte, 2011, p. 132 ss.

    6 Ibid., p. 140.

    7 Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, no 24, avril-septembre 1990, « Échange de lettres sur l’historisation du national-socialisme », p. 66.

    8 Voir nos articles « Mémoire, justice et vengeance » et « Le crime, l’oubli et le pardon », publiés dans la revue haitiano-caribéenne, Chemins critiques (1990 et 1997), puis repris dans notre ouvrage Pour une sociologie d’Haïti au XXIe siècle. La démocratie introuvable, Paris, Karthala, 2001, p. 99-124. La question de la justice pour les victimes a été souvent agitée par le regretté Jean-Claude Bajeux, fondateur du centre œcuménique des droits humains en Haïti; voir en particulier son texte profond intitulé Impossible justice. Le piège de l’amnésie, où il écrit : « Comment donc l’acte de justice pourrait-il avoir lieu si les victimes elles-mêmes s’enfoncent dans un vague sentiment de culpabilité, et si un doute persiste sur la culpabilité du bourreau? Le mécanisme de la justice se trouve freiné par une hésitation du jugement éthique… Il y a donc bien de la part de l’ensemble de cette société-là une volonté d’oublier, un glissement voulu dans l’amnésie, un torpillage du passé. » CEDH/ édition Antilia, 5 mars 2000, p. 31.

    9 Marcel d’Ans, Haïti, payage et société, Paris, Karthala, 1987.

    10 Ibid., p. 207.

    11 Ibid., p. 209-210.

    12 Ibid., p. 207.

    13 Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire et l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 524.

    14 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p. 240 ss.

    15 Ibid., p. 250.

    16 Vladimir Jankélévitch, Philosophe et musicologue, dans un texte retentissant publié en 1948 et réédité en 1986 aux Éditions du Seuil, L’Imprescriptible. Pardonner? Dans l’honneur et la dignité, soutient qu’il faut maintenir indéfiniment le deuil contre les camps nazis de la mort et déclarer ces crimes impardonnables.

    17 Sandrine Lefranc, op. cit., p. 252.

    18 Étienne Balibar, Violence et civilité. Welleck Library Lectures et autres essais de philosophie politique, Paris, Éditions Galilée, 2010, p. 416. L’extrême violence exercée par les régimes répressifs conduit Hannah Arendt (Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2000) à contester la définition de l’État moderne comme monopole de la violence légitime et à penser le politique autrement, en proposant une nouvelle définition du pouvoir comme mise en commun des paroles. Voir à ce sujet notre contribution, « Françoise Collin, lectrice de Arendt. Actualité et limites et limites de l’œuvre de Hannah Arendt », à l’ouvrage collectif sur Françoise Collin (sous la direction de C. Veauvy et M. Azzoug, 2014). Voir aussi Myriam Revault d’Allones, Ce que l’homme fait à l’homme. Essai sur le mal radical, Paris, Seuil et Flammarion, 1995 et 1999), sa réflexion sur le mal politique à partir de l’œuvre de Hannah Arendt et sur le tragique de « ce que l’homme fait à l’homme ».

    19 On lira avec profit le travail de Michel Hector, Crises et mouvements populaires en Haïti, Port-au-Prince, Presses nationales d’Haïti, 2e édition, 2006, qui montre avec rigueur l’ancrage historique des grandes crises sociales et politiques du pays.

    20 Voir par exemple les travaux de André Corten (2000 et 2012) qui souligne l’importance des imaginaires religieux et culturels en jeu dans la vie politique en Haïti et en Amérique latine.

    21 Concernant les mécanismes qui portent à dissoudre l’appartenance à un monde commun, voir les réflexions de Pierre Rosavallon, Crises et mouvements populaires en Haïti, Port-au-Prince, Presses nationales d’Haïti, 2e édition, 2006, p. 28-29.

    Justice et pauvreté

    Michèle Duvivier Pierre-Louis

    Haïti est et restera longtemps encore « le pays le plus pauvre de la région, le plus pauvre de l’hémisphère ». Le verdict est sans appel et répétitif. Je viens de relire le dernier livre de Mats Lundahl¹, puissante démonstration d’un économiste qui a suivi l’évolution d’Haïti depuis plusieurs décennies et qui en cours d’analyse réitère cette assertion, déjà émise dès sa première étude, Peasants and Poverty : A Study of Haiti², publiée en 1979. Je pourrais prendre à témoin tant d’autres auteurs qui reprennent ces analyses. Mais mon propos est autre.

    J’essaie de saisir l’intention qui s’est construite derrière l’anathème mille fois médiatisé, jeté sur le pays dès lors qu’il est nommé. Il y aurait en effet comme un reproche, comme un constat permanent d’échec. Tout se passe comme si nous étions supposés être riches ou au mieux ne pas être pauvres, mais qu’en fin de compte, malgré tout, nous restions désespérément pauvres.

    Quelle est donc cette perception de la pauvreté que nous portons comme un fardeau honteux? Derrière le simple constat, largement axé il est vrai sur une combinaison d’indicateurs au rouge finement analysés par Lundahl, il semble bien pourtant y avoir jugement de valeur. Il y aurait donc quelque part une faute irrémédiable commise dans le temps, mais que le temps n’arrive toujours pas à expurger. La pauvreté serait donc une tare qui nous situe en quelque sorte en marge, en périphérie d’un monde développé, et il y aurait chez nous comme un déficit global de civilisation impossible à combler.

    Infranchissables écarts qui nous tiennent à distance. Du même coup, dans l’ordre marchand qui domine le monde et qui a inventé les droits humains, le poids de la pauvreté pèse sur nous comme négation des droits.

    Pourtant, une chose est certaine, nous sommes nés de l’ordre marchand, qui a fait de nous pendant des siècles des parias, objets de transbordement, d’enchères et d’asservissement pour livrer au monde civilisé les produits prisés de l’époque : sucre, café, cacao, indigo, coton, etc. Et lorsque, de

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