You are on page 1of 2

Daniel Pennac, Comme un roman, Paris, Gallimard, 1992,

pp. 13-14

"Le verbe lire ne supporte pas l'impératif. Aversion qu'il


partage avec quelques autres : le verbe « aimer »… le
verbe « rêver »…

On peut toujours essayer, bien sûr. Allez-y : « Aime-moi ! »


« Rêve ! » « Lis ! » « Lis ! Mais lis donc, bon sang, je
t'ordonne de lire ! » -Monte dans ta chambre et lis !
Résultat?

Néant.

Il s'est endormi sur son livre. La fenêtre, tout à coup, lui a


paru immensément ouverte sur quelque chose d'enviable.
C'est par là qu'il s'est envolé. Pour échapper au livre. Mais
c'est un sommeil vigilent : le livre reste ouvert devant lui.
Pour peu que nous ouvrions la porte de sa chambre nous le
trouverons assis à son bureau, sagement occupé à lire.
Même si nous sommes monté à pas de loup, de la surface
de son sommeil il nous aura entendu venir.

- Alors, ça te plaît?

Il ne nous répondra pas non, ce serait un crime de lèse-


majesté. Le livre est sacré, comment peut-on ne pas aimer
lire ? Non, il nous dira que les descriptions sont trop
longues.

Rassuré, nous rejoindrons notre poste de télévision. Il se


peut même que cette réflexion suscite un passionnant
débat entre nous et les autres nôtres… - Il trouve les
descriptions trop longues. Il faut les comprendre, nous
sommes au siècle de l'audiovisuel, évidemment, les
romanciers du XIXe avaient tout à décrire… "
- Ce n'est pas une raison pour le laisser sauté la moitié des
pages ! … Ne nous fatiguons pas, il s'est rendormi.

You might also like