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Pourquoi, dans l’Empire romain, le Christianisme a-t-il été adopté par le pouvoir impérial, à la
fin du IVème siècle, alors qu’il était minoritaire dans la société ?
A la lumière de ce temps et des événements qui s’y produisent, une interrogation peut-être
posée : passer du culte impérial, « religion » d’Etat, au Christianisme, religion d’Etat, est-ce
une continuité ? Est-ce une rupture ?
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Le développement s’articule autour de deux thèmes complémentaires :
• De l’empereur païen à l’empereur chrétien
• Païens et chrétiens, du temps du paganisme au temps du Christianisme
Partie 1 L’empereur
Une idéologie
Il n’y a pas à proprement parler, d’idéologie impériale, mais des idées et des principes prenant
appui sur des bases religieuses primordiales.
Source :
Histoire Auguste, Vita Severi IIIème siècle
« Septime Sévère, le jour de son arrivée à Rome en 165, trouve son hôte lisant la vie de l’empereur
Hadrien ; invité à un banquet chez l’empereur, il reçoit de ses mains, la toge de l’empereur,
portée pour les cérémonies officielles; il consulte un mathématicien, un astrologue (horoscope), au
sujet de sa géniture, de son épouse… »
Ainsi les dieux montrent, par des signes, que l’empereur est leur élu. Il est alors un homme
privilégié parmi les autres hommes, plus proche des dieux que des hommes et protégé par
eux. Ces relations génèrent chez l’empereur, une action positive.
Source :
L’Art d’aimer, Ovide Ier s.
« Sous Auguste, Ovide est le parfait traducteur de cette idée qui s’est maintenue tout au long de
l’Empire.
« César se dispose à dompter ce qui reste de l’univers ; Parthes, vous serez châtiés ; sous les auspices
du Père, du Père de la Patrie ; armes sacrées ; Mars, accordez lui votre appui divin ;
le jour où tu t’avanceras couvert d’or, à ce spectacle plein de joies… »
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- L’empereur, le meilleur des hommes, est le modèle du souverain idéal
Il est le souverain idéal car il est protégé des dieux. Il dispose de vertus morales
Source :
Sur la royauté, Diotogène
« Le roi idéal : « C’est l’homme le plus juste qui serait roi […], l’homme le plus conforme à la loi […]
Le roi a trois fonctions : commander l’armée, rendre la justice et honorer les dieux […] Le roi parfait
sera bon général, bon juge et bon prêtre […] Le roi doit bien traiter ses sujets et le combler les
bienfaits
Dieu est le meilleur […] chez les hommes, c’est le roi qui est le meilleur. »
C’est sur cette base que repose le principat tout au long de son existence et alors même qu’il
est devenu chrétien.
L’adhésion populaire
Le peuple romain sait reconnaître l’existence des rapports privilégiés de l’empereur avec les
dieux, et il y adhère.
- L’empereur est un homme au-dessus des autres hommes, un homme presque dieu
Les hommes associent les princes aux dieux, dans leurs temples. Ils leur accordent des noms
et des titres qui les placent au-dessus des hommes : Père de la Patrie ; Optimus ; Pius ; Felix
… Augustus est la dénomination la plus significative par la charge religieuse et morale qu’elle
contient. Cette reconnaissance peut aussi s’affirmer par l’attribution de la couronne civique.
Les Romains ont besoin de la protection des dieux. Ils les reconnaissent dans la personne des
empereurs, et les en remercient par les attributs qu’ils leur donnent.
Tous les empereurs cherchent à reproduire et à suivre ce modèle.
Sources :
- Histoire naturelle, Pline l’Ancien Ier s
« La couronne civique, insigne le plus éclatant du courage militaire et aussi de la clémence impériale
[…] ».
- Fastes, Ovide, Ier s
« Auguste partage son nom avec Jupiter souverain […]sous la garde des dieux, puisse l’héritier d’un
si grand nom assumer la charge du monde avec le même présage heureux que jadis son père […] Père
sacré de la Patrie, tel est le nom que la plèbe, que le Sénat t’ont donné […] Tu as sur terre le nom que
Jupiter porte au plus haut des cieux : tu es le père des hommes, il est celui des dieux […] ».
- Panégyrique de Trajan Pline le Jeune, IIème s
« Ne peut être jugé Optimus que celui qui l’emporte sur tous les hommes parfaits dans la vertu où
chacun d’eux excelle. Aussi le père des hommes et des dieux est adoré d’abord sous le nom
d’Optimus. »
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- Le culte impérial : le peuple rend un culte au numen de l’Empereur
Accueilli parmi les dieux après sa mort, l’empereur devient un dieu. Posséder un numen, c’est
posséder une puissance qui n’appartient qu’aux dieux seuls.
Source
L’inscription de Narbonne au numen Augusti (11 ap JC)
« […] vœu consacré au numen d’Auguste assumé à perpétuité par la plèbe de Narbonne […] qui s’est
engagée à rendre un culte perpétuel à son numen. La plèbe de Narbonne a élevé sur le forum un autel
auprès duquel, chaque année, le IX des calendes d’octobre, […] trois chevaliers recommandés par la
plèbe et trois affranchis immoleront chacun une victime et fourniront […] le vin et l’encens pour
adresser des prières à son numen […] ».
Il est un ciment idéologique. Partout, dans l’Empire, le culte est organisé en faveur des
empereurs vivants ou morts. Le culte est vivace à Rome et dans les provinces jusqu’au IVème
siècle. Il exprime une reconnaissance et une fidélité sincère à la grande patrie romaine.
La succession impériale se fait de divus en divus (et non d’empereur en empereur) : on est le
successeur légitime de la lignée des divinisés. Chaque divinisé est un dieu protecteur pour
l’empereur régnant, et pour tous les habitants de l’Empire.
L’adhésion populaire est véritable, et s’exprime par des serments. Le culte impérial joue un
rôle capital dans l’évolution des provinciaux vers une plus grande romanisation. Preuve en est
le nombre particulièrement important d’inscriptions dans lesquelles les provinciaux mettent
en avant la charge de flamine du culte impérial, qu’ils l’aient accomplie dans la capitale
provinciale et pour toute la province ou dans la cité dont ils sont originaires.
Le pouvoir impérial n’a pas cherché à uniformiser l’Empire, mais à intégrer les peuples par
acculturation progressive, ce qui forge un sentiment d’appartenance à la romanité. Loyauté et
unité du peuple romain vont de pair.
Pour un romain, aucune société ne peut subsister si les dieux ne la soutiennent pas.
- Un paradoxe
Il faut pointer le paradoxe, qu’est le choix par le pouvoir d’une religion importante, mais non
majoritaire. Le Christianisme est proclamé religion d’Etat et détermine la conversion très
progressive des cités et des campagnes de l’Empire.
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Source
L’Edit de Milan 313
« […] Moi, Constantin Auguste, et moi Licinius Auguste […] ayant en vue tout ce qui concerne les
intérêts et la sécurité de l’Etat, […] nous donnons donc aux chrétiens comme à tous , la libre faculté de
suivre la religion de leur choix. […] C’est une décision très juste de ne pas refuser ce droit à qui que ce
soit, qu’il adhère au culte chrétien ou à la religion qui lui paraîtra la meilleure […] Nous avons décidé
de permettre dorénavant à tous ceux qui veulent pareillement observer la religion des chrétiens, […]
de le faire librement, sans être aucunement inquiétés ou molestés […] Nous donnons aux chrétiens une
liberté absolue de pratiquer […] Aux autres est accordée la même autorisation […] comme il convient
à une époque de paix. »
texte transmis par Lactance vers 315
De la mort des persécutions, XL.VIII.
Après la plus longue et la plus violente persécution des chrétiens, sous Dioclétien, la
soudaineté de la reconnaissance officielle du Christianisme est frappante. Il s’agit d’un
retournement spectaculaire. L’Empereur incarne désormais « l’image de la monarchie
céleste » (Eusèbe de Césarée). Il devient le représentant de Dieu sur terre, le guide appelé à
assurer le salut de tous. Désormais, l’Empereur est séparé du reste de l’humanité, jusque dans
les moindres aspects du protocole.
Source
Vie de Constantin, Eusèbe de Césarée IVème siècle
« Constantin réunit la phalange de Dieu en un concile oecuménique1 . Il convoqua les évêques […].
Au jour fixé par l’ouverture du concile, […] tous les participants s’assemblèrent dans l’église même
du palais impérial […]. Tous demeuraient à leur place […] attendant l’arrivée de l’empereur. […] Il fit
son entrée […] la splendeur de son habit de pourpre éblouissait les regards ; de sa personne ornée de
l’extraordinaire splendeur de l’or et des pierreries, émanaient comme des rais de flamme. […] On
voyait comme il était paré de la crainte de Dieu et de sa religion […]. Lorsqu’il fut parvenu au premier
rang, il s’arrêta. On déposa devant lui un siège bas ouvragé d’or et, les évêques lui ayant fait signe de
s’asseoir, il prit place. […] L’évêque qui occupait le premier rang du côté droit adressa un bref
discours, où il chantait les louanges de Dieu tout-puissant et lui rendait grâce des faveurs qu’il avait
prodiguées à l’empereur. […] »
1
Concile de Nicée 325
L’Empereur protège l’Eglise, qu’il enrichit. Il intervient dans ses querelles doctrinales. Des
questions se posent alors, sur les relations nouvelles entre le religieux et le politique :
- Quelle doit être la place de l’empereur au sein de la communauté chrétienne ?
Pour l’empereur, chrétiens et évêques sont des sujets comme les autres. Pour certains évêques,
l’empereur est un fidèle comme les autres, soumis aux règles morales.
- La morale chrétienne peut-elle régir la vie de l’Etat sans l’entraîner à sa perte ?
Source
Lettres, Marcellinus apud Augustin IVème siècle
La prédication et la doctrine chrétienne ne conviennent nullement à la conduite de l’Etat. Car voici,
dit-on ses préceptes : ne rendre à personne le mal pour le mal ; si quelqu’un veut nous tourmenter,
faire double de chemin avec lui. Toutes ces maximes sont néfastes pour la conduite de l’Etat. Car qui
souffrirait que l’ennemi lui enlève quelque chose ? Qui ne voudrait, en vertu du droit de la guerre,
payer de retour celui qui a ravagé une province romaine ? […] Si de tels malheurs ont atteint l’Etat,
c’est le fait des empereurs chrétiens qui observent de leur mieux la religion chrétienne ; la chose est
claire.
(objections exprimées en public par un païen cultivé, Volusianus, correspondant d’Augustin)
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- Les querelles doctrinales, au sein de la communauté chrétienne, qui déchaînent les passions,
ne constituent-elles pas une menace réelle pour l’ordre public ?
L’arbitrage de Constantin au Concile de Nicée n’empêche pas les dissensions
Sources
Amboise de Milan, Lettres. L.1, 3-7 (Evêque de Milan 374-397)
Si l’évêque ne parle pas à celui qui le trompe, celui qui s’est trompé mourra dans sa faute, et l’évêque
sera digne du châtiment parce qu’il n’a pas averti celui qui se trompe. Empereur Auguste, écoute ceci.
Que tu aies du zèle pour la foi, je ne puis le nier ; que tu craignes Dieu, je n’en disconviens pas. Mais
tu as un naturel impétueux qui se tourne rapidement vers la clémence si on cherche à l’apaiser, mais
qui, si on l’excite, s’exaspérera jusqu’à des excès dont tu ne pourras revenir qu’à grand peine […] Il
est arrivé à Thessalonique un fait sans précédent1, que je n’ai pas réussi à empêcher ; j’en avais
dénoncé par avance toute l’atrocité, en multipliant les prières […] Je ne pouvais atténuer un tel acte.
Lorsque la nouvelle nous en parvint, un concile était rassemblé pour la venue d’évêques gaulois ; il
n’y eut personne qui ne s’en lamentât, personne qui le prit à la légère ; la communion d’Amboise ne
pouvait t’en absoudre ; au contraire, l’odieux s’en serait encore accru si personne n’avait déclaré
nécessaire la réconciliation avec notre dieu […]
Serait-ce que tu as honte, empereur, de faire ce que fit David, roi […] On lui raconta qu’un riche qui
possédait de grands troupeaux, s’empara, à cause de l’arrivée d’un hôte, de l’unique brebis d’un
pauvre et la tua ; et lui s’étant rendu compte qu’on lui –même avait fait, s’écria : « j’ai péché contre le
Seigneur. » […] Empereur […] Si tu dis ces paroles prononcées par le roi : « j’ai péché contre le
Seigneur » […] « Venez, adorons, prosternons-nous devant lui et pleurons devant le seigneur qui nous
a créés », il te sera dit à toi aussi : « Puisque tu te repens, le Seigneur te pardonnera ton péché, et tu ne
mourras pas »
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Massacre, sur ordre de Théodose, de plusieurs milliers de personnes à Thessalonique, en punition de
l’assassinat d’un général au cours d’une émeute. Théodose fut excommunié par l’évêque de Milan. Il finit par
s’incliner et fit publiquement pénitence.
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d’émigrés orientaux dans les grandes villes de l’Occident comme Lyon). De puissantes cités
sont converties de force (Gaza en 402).
Les cultes traditionnels sont réunis sous l’appellation de « paganisme », terme attribué par
leurs ennemis. Etroitement associés au pouvoir, ils créent un sentiment d’unité factice (les
sacrifices aux dieux placés sous le contrôle de magistrats civils). En réalité, ces pratiques, qui
pourtant s’adressent à des puissances surnaturelles, ne ressemblent pas à ce que nous appelons
aujourd’hui religion. Elles ne répondent qu’à des besoins particuliers. Elles ne fournissent ni
un modèle de vie, ni une réponse à des interrogations fondamentales.
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Partie 2 Païens et chrétiens
Les chrétiens suscitent la méfiance des milieux populaires, de l’Empereur et des autorités. Ils
sont considérés comme des dépravés et des criminels.
Source
Minucius Felix, Octavius, IX
« Ils se reconnaissent par des marques et des signes secrets et ils s’aiment entre eux pour ainsi dire
avant de se connaître ; de plus, ils pratiquent un peu partout , mêlés les uns aux autres, un véritable
culte de la luxure, ils vont jusqu’à s’appeler indistinctement frères et sœurs, pour donner même à l’acte
de chair banal, par le recours à un nom sacré, le caractère d’un inceste ; tant il est vrai que leur vaine et
folle superstition se glorifie du crime. […] Et qui leur prête, comme objet de leur vénération, un
homme puni pour un forfait du dernier des supplices et le bois funeste d’une croix, leur attribue un
autel qui convient à des dépravés et à des criminels, en leur faisant honorer ce qu’ils méritent. »
L’auteur, chrétien, expose les calomnies anti-chrétiennes pour les réfuter ensuite.
Dès lors, les Chrétiens sont marginalisés. On les soupçonne d’être athées, eux qui renient les
cultes de leurs pères au sein d’une culture où le respect de la tradition compte plus que tout.
Leur seule existence met en question les valeurs sur lesquelles s’est construite la civilisation
romaine. Ils suscitent les soupçons et les ragots que font naître tous ceux qui brisent le
consensus social. Ils ont le profil rêvé pour servir de boucs émissaires.
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« Rendre à César » est un sujet explosif dans un empire imprégné de sacré et gouverné par un
souverain qui incarne personnellement le lien entre Rome et ses dieux protecteurs. Il y a un
contenu implicitement révolutionnaire de l’ensemble du message chrétien.
Ils remettent en question la civilisation romaine. Trahison et menace sont associés pour fonder
l’accusation de crime contre la raison d’Etat.
Ils se sont toujours voulus citoyens exemplaires. Les païens ne comprennent pas que les
Chrétiens refusent obstinément de rendre un culte à l’empereur, selon l’usage du temps. Ils y
voient un acte d’incivisme.
Les chrétiens se défendent en expliquant que s’ils ne prient pas l’empereur, ils prient pour
l’empereur. De même, la position de Paul est ensuite celle de tous les responsables de
l’Eglise, même au plus fort des persécutions.
Sources
Tertullien Apologétique fin IIème siècle
« Par des prières incessantes, nous demandons pour les empereurs une longue vie, un règne
tranquille, un palais sûr, des troupes valeureuses, un Sénat fidèle, un peuple loyal,l’univers paisible,
enfin tout ce qu’un homme ou un césar peuvent souhaiter. »
Evangile de Matthieu
« Les Pharisiens […] envoient leurs disciples [à Jésus] pour lui dire : « Maître, nous savons que tu es
franc et que tu enseignes les chemins de Dieu en toute vérité […] Dis-nous donc ton avis : est-il
permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? […] Jésus leur dit : « Montrez-moi la monnaie qui sert
à payer le tribut […] Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? » Ils répondirent : »De
césar ». Alors il leur dit « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu, ce qui est à Dieu. »
Source
La lettre à Diognète (auteur anonyme)
« Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers […] Ils passent leur vie sur la
terre, mais sont citoyens du ciel ».
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Les IIèmes et IIIème siècles sont les siècles des persécutions qui font de plus en plus de
victimes au fur et à mesure que les chrétiens sont plus nombreux. Néanmoins il s’agit
d’épisodes localisés et brefs. C’est surtout pour incivisme que les Chrétiens sont condamnés,
dans un Empire romain tolérant à l’égard des cultes étrangers.
Au début du IVème siècle, les Chrétiens sont en butte aux persécutions les plus violentes et
les plus systématiques qu’ils aient subies, sous Dioclétien (303-305), puis sous son
successeurs Galère (312).
En 303, Dioclétien décide de sévir contre les chrétiens. Un édit de l’empereur ordonne de
« raser au sol les églises et de jeter les Ecritures au feu ». Les chrétiens de haut rang sont
exclus de l’administration et perdent leurs droits et privilèges.
Trois autres édits aggravent le premier : l’apostasie est imposée sous peine de mort. Cette
persécution fait des milliers de victimes dans l’Empire, surtout dans partie orientale où elle
dure de 303-312. Mais Constance Chlore qui gouverne la Gaule met peu de zèle à appliquer
les édits (il n’y a pas eu de martyrs).
Source
Tertullien, L’Apologétique vers 197
« Enfin, s’il est certain que nous sommes de grands criminels, pourquoi sommes-nous traités
autrement par vous-mêmes que nos pareils, c’est-à-dire que les autres criminels ? En effet, si le crime
est le même, le traitement devrait être aussi le même. Quand d’autres sont accusés de tous ces crimes
dont on nous accuse, ils peuvent, et par eux-mêmes et par une bouche mercenaire, prouver leur
innocence ; ils ont toute liberté de répondre, de répliquer, puisqu’il n’est jamais permis de condamner
un accusé sans qu’il se soit défendu, sans qu’il ait été entendu. Aux chrétiens seuls, on ne permet pas
de dire ce qui est de nature à réfuter l’accusation, à soutenir la vérité, à empêcher le juge d’être injuste.
On n’attend qu’une chose, celle qui est nécessaire à la haine publique : l’aveu de leur nom, et non une
enquête sur leur crime […]
Source
Tertullien L’Apologétique vers 197
« Le Tibre a-t-il débordé dans la Ville, la Terre a-t-elle tremblé, aussitôt on crie : « Les chrétiens aux
lions ! »
A chaque fois, la répression est arbitraire, mais limitée à un groupe ou à une ville.
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- Quels facteurs d’explication ?
Au cours de la seconde moitié du IIIème siècle, l’Empire romain, si fier de la paix, doit
affronter une grave crise qu’il n’a pas vu venir : frontières percées de toutes parts sous la
poussée des peuples barbares ; dégâts considérables et traumatisme collectif. On assiste à une
crispation des empereurs, qui se répercute dans leur attitude à l’encontre des chrétiens. Ces
gens refusent de s’intégrer, pratiquent un prosélytisme inquiétant. Ne sont-ils pas un ferment
de troubles sociaux, même s’ils n’enfreignent pas ouvertement la loi ? En refusant les cultes
civiques qui ont fait la grandeur de Rome, ne se rendent-ils pas coupables de crime contre la
raison d’Etat ? Il faut donc serrer les rangs autour de la personne de l’Empereur. Ainsi en 250,
le culte impérial, jusque là facultatif, est rendu obligatoire par Dèce. Les Juifs en sont
exemptés (au nom de la vénérable antiquité de leurs traditions), mais pas les Chrétiens. C’est
condamner à mort ceux qui refusent d’apostasier.
On ne peut évaluer les victimes. Mais en réalité, la plupart des chrétiens sont morts dans leur
lit. La clandestinité n’est pas la règle, mais l’exception. Lors des grandes persécutions, bon
nombre de Chrétiens soudoient le fonctionnaire de service pour obtenir une attestation d’acte
de culte païen qu’ils n’ont de fait pas accompli.
Source
Une déclaration de sacrifice (lors de la persécution de Dèce 250)
« Aux membres de la commission choisis pour surveiller les sacrifices.
Déclaration d’Aurelius Diogène, fils de Satabous, originaire du village d’Alexandrou Nésos, âgé de
soixante-douze ans environ, cicatrice au sourcil droit.
Non seulement j’ai été dévoué au service des dieux, mais aussi maintenant, en votreprésence, suivant
l’édit, j’ai encensé l’autel, j’ai fait la libation et j’ai mangé de la viande sacrée ; et je vous prie de me
donner votre signature.
(Diogène) : Portez-vous bien ! Moi, Aurelius Diogène, j’ai fait la requête.
(Membre de la commission) : Moi, Aurelius Syrus, j’ai enregistré Diogène comme sacrifiant avec
nous ensemble en qualité de participant.
(Scribe) : An 1 de l’empereur César Caïus Messius Quintus Trajan Dèce, pieux, heureux, Auguste […]
BGU 287 U. Wilcken Chrestomathie Traduit du grec
Le christianisme reconnu
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Source
Pline le Jeune (61-114), Lettres, X,
« Maître1 , je n’ai jamais participé à des informations contre les chrétiens. Je ne sais donc pas quels
faits et dans quelle mesure s’appliquent d’ordinaire la peine et les poursuites […] En attendant, voici
la règle que j’ai suivie envers ceux qui m’étaient déférés comme chrétiens. Je leur ai demandé à eux-
mêmes s’ils étaient chrétiens. A ceux qui avouaient, je l’ai demandé une seconde et une troisième fois,
en les menaçant du supplice ; ceux qui persévéraient, je les ai fait exécuter : quoi que signifiât leur
aveu, j’étais sûr qu’il fallait punir du moins cet entêtement et cette obstination inflexible. »
Trajan répond à Pline
« Mon cher Pline, tu as suivi la conduite que tu devais […] On ne peut instituer une règle générale
[…] Il n’y a pas à les poursuivre d’office. S’ils sont dénoncés et convaincus, il faut les condamner,
mais avec la restriction suivante : celui qui aura nié être chrétien et en aura par les faits eux-mêmes,
donné la preuve manifeste, je veux dire, en sacrifiant à nos Dieux, même s’il a été suspect en ce qui
concerne le passé, obtiendra le pardon comme prix de son repentir. »
1
Pline, gouverneur de Bithynie vers 111-112, demande l’avis de Trajan
Les premières décennies du IVème siècle constituent un tournant décisif : les successeurs de
Dioclétien prennent des édits de tolérance (Galère en Orient en 311 ; Constantin et son
collègue Licinius à Milan en 313).
Source
L’édit de Milan 313
« Etant heureusement réunis à Milan, moi Constantin Auguste et moi Licinius Auguste1 , ayant en vue
tout ce qui intéresse l’utilité de la sécurité publique, nous pensons que, parmi les autres décisions
profitables à la plupart des hommes, il faut en premier lieu placer celles qui concernent le respect dû à
la divinité et ainsi donner aux chrétiens, comme à tous, la liberté de pouvoir suivre la religion que
chacun voudrait, en sorte que ce qu’il y a de divin au céleste séjour puisse être bienveillant et propice,
à nous-mêmes et à tous ceux qui sont placés sous notre autorité. »
texte transmis par Lactance vers 315
De la mort des persécutions, XL.VIII.
1
Licinius Auguste, empereur d’Orient
Les païens
Source
Code Théodosien (extraits)
L’empereur Constance Auguste
« Que cesse la superstition, que soit abolie la folie des sacrifices. Car quiconque osera célébrer des
sacrifices contre la loi du divin prince notre père […] que la sentence appropriée requise contre lui
soit appliquée sur le champ.
[…] Nous prescrivons que soient punis de la peine capitale ceux qui sont convaincus de faire des
sacrifices ou d’adorer des idoles.
[…] Il a paru bon que les temples soient fermés et que leur accès soit interdit […] Nous voulons de
même que tous s’abstiennent des sacrifices. Mais si quelqu’un venait à perpétrer un crime de ce genre,
qu’il soit frappé de l’épée vengeresse.
Les empereurs Théodose, Arcadius et Honorius Augustes
[…] Que personne, absolument, quel que soit son rang dans les dignités humaines ne sacrifie une
victime innocente à des statues dépourvues d’intelligence […] »
A partir de la Conversion de Constantin, il faut plus de deux siècles pour réduire les païens à
n’être plus qu’une petite minorité contrainte à la clandestinité. Pour réduire les polythéismes,
la répression est souvent violente. Après les Edits de tolérance, les Chrétiens proches du trône
lancent des persécutions violentes contre ceux qu’ils considéraient comme hérétiques, contre
12
les adeptes d’autres religions (manichéisme, judaïsme, zoroastrisme) et contre les cultes
païens locaux..
En 353-356, des persécutions sont lancées contre les « Hellènes » ou « tenants de l’ancienne
foi ». Elles ont beaucoup plus d’ampleur et de durée, et un caractère beaucoup plus acharné et
méthodique que les persécutions des empereurs païens contre les Chrétiens. Il n’est
pratiquement pas parvenu de statue du culte du paganisme gréco-romain alors qu’elles se
comptaient par dizaines de milliers dans l’Empire.
Source
Quodvultdeus1, Livre des promesses et des prédictions de Dieu
L’abandon et la destruction du temple de Caelestis à Carthage (399-vers 421)
En Afrique, à Carthage, Caelestis2 avait un temple considérablement vaste, entouré des sanctuaires de
tous leurs dieux ; son esplanade décorée d’un dallage à mosaïques, ainsi que de murs et de colonnes de
grand prix, s’étendait sur près de deux mille pas. Il était fermé depuis assez longtemps et envahi en cet
abandon par une haie de broussailles épineuses quand le peuple chrétien voulut l’affecter au service de
la vraie religion ; mais le peuple païen vociférait que là-dedans se trouvaient des dragons et des
serpents chargés de protéger le temple : ce qui ne fit qu’enflammer davantage le zèle des chrétiens ; ils
débroussaillèrent tout sans subir le moindre mal et avec d’autant plus d’aisance qu’ils agissaient pour
consacrer le temple à leur véritable Roi et Seigneur céleste. De fait, lorsqu’on célébra la fête solennelle
de la Sainte Pâque, au milieu de la foule qui s’était rassemblée en ce lieu, […] et venait même de
partout avec une grande curiosité, […] l’évêque Aurelius3 établit là sa chaire à la place de Caelestis et
y siégea. […] Et comme un païen énonçait un faux oracle qu’il donnait pour venir de la même
Caelestis, et selon lequel la voie et les temples seraient à nouveau rendus à l’ancien rituel de leurs
cérémonies, ce Dieu, oui ce Dieu vrai, dont les oracles prophétiques ne savent absolument pas mentir ,
a fait, sous Constance et Augusta Placidia4, dont le fils, le pieux chrétien Valentinien5, est empereur
maintenant […] raser jusqu’au sol tous ces temples auxquels il n’a plus laissé que le terrain, pour
donner bien sûr une sépulture à des morts […]
1
Evêque de Carthage (445-455), témoin oculaire
2
jeu de mot sur le Roi du ciel qui va détrôner la déesse Caelestis
3
Evêque de Carthage de 390 à 430
4
Rufin a raconté les rixes sanglantes entre païens et chrétiens qui troublent l’ordre public ; les autorités locales,
dépassées, en ont référé à l’empereur qui a prescrit de « couper les racines de la discorde » en détruisant les
idoles.
5
364-375
13
Pour subsister, l’institution impériale reconnaît progressivement le Christianisme, à côté des
cultes païens. Mais cette coexistence n’accentue-t-elle pas, dans la société, forces centrifuges
et fragmentation qui mettent à mal la cohésion impériale originelle et son ciment, le culte à
l’empereur ?
Passer du paganisme officiel au Christianisme officiel peut apparaître comme une révolution.
C’en est une pour les populations païennes. Etre ou devenir chrétien ne signifie pas seulement
avoir la foi en la religion prêchée par Jésus. Cela implique d’appartenir à une communauté qui
se veut universelle. Le système chrétien de solidarité sociale soude la communauté. Il prend
appui sur une structure, contrôlée par les évêques, qui maille le territoire de l’Empire.
L’empereur devenu lui-même chrétien s’impose naturellement et légitimement comme maître
de ce système. Il obtient loyauté de son peuple, car il partage la même religion que lui, et est
reconnu de Dieu. Le Christianisme sauve l’institution impériale, temporairement dans son
territoire de l’Ouest, mais durablement dans son territoire de l’Est où elle subsiste au travers
de la dynastie des Ottomans et de celle des Romanov.
Anne-Marie Hazard-Tourillon
IA-IPR histoire et géographie
Académie de Créteil
Bibliographie
Sélection
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