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pénal,
Dr Yoûssouf al-Qardâwi
La foi et la vie
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aussi positives que le contentement, la sérénité, l'espoir, la
constance etc. Il ajoute encore que la foi et la morale sont
intimement liées et que si les hommes sont empreints de nobles
vertus, c'est la société toute entière qui récoltera les fruits de
cette moralité car elle seule est en mesure de lui faire conserver
son intégrité et sa stabilité.
Mais plus que tout il nous a semblé que la lecture de ce
livre était une réelle invitation pour chaque croyant à partir à la
reconquête de sa propre foi, de la raffermir jusqu'à la sentir
couler dans le sang et pénétrer au plus profond du coeur. C'est
pourquoi nous remercions sincèrement le Dr Quaradâwî pour ce
noble travail et nous prions Dieu qu'il l'agréé. Nous remercions
également la traductrice, madame Claude Dabbak pour son
travail empreint de sincérité ainsi que madame Nelly Leboucher
pour sa collaboration.
Abdelhakim SEFRIOUI
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Introduction
Dieu soit loué, et que la paix et la bénédiction soient sur
le Prophète, sa famille et ses Compagnons ainsi que sur tous
ceux qui auront suivi son enseignement.
La question de « la foi » n'est nullement une question
marginale qu'il nous serait permis d'ignorer ou de laisser de
côté. Cette question ne concerne-t-elle pas, en effet, l'existence
même de l'homme et son destin ? La question de la foi est
même, à mon avis, la plus importante des grandes questions qui
se posent à l'être humain.
C'est elle qui détermine le bonheur ou le malheur éternel,
le Paradis ou l'Enfer. Tout être doué de raison doit
inévitablement y réfléchir afin de pouvoir atteindre la vérité.
Nombreux sont les esprits éclairés qui se sont penchés
sur cette question et qui sont parvenus, chacun à sa manière, à
confirmer la foi en Dieu.
Certains se sont référés pour cela à la voix de leur nature
profonde, puisque la foi est innée en l'homme :
« Peut-on douter de Dieu, le Créateur des cieux et de
la terre ? » 1
« selon la disposition innée que Dieu a donnée aux
hommes en les créant » 2.
D'autres se sont fondés sur le principe de la causalité, qui
établit que chaque acte ne peut manquer d'avoir un auteur, qu'à
chaque oeuvre il faut un artisan, à chaque mouvement un
instigateur, à chaque horloge un horloger. Ce principe
incontournable constitue l'un des fondements primordiaux de
tout raisonnement.
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D'autres encore ont abordé la question sous la forme
d'un calcul arithmétique, et sont parvenus à la conclusion qu'il
était plus sûr, pour cette vie comme pour l'autre, de croire en
Dieu, au Jour dernier, à la résurrection et au Jugement. Le poète
philosophe Aboû 1-`Alâ al-Ma'arrî dit en ce sens :
«L'astronome et le médecin disent tous deux : les morts
ne seront point ressuscités. Je leur réponds :
Si vous avez raison je ne perds rien ; si c'est moi qui dis
vrai vous serez les perdants. »
Le philosophe et mathématicien Pascal a dit quant à lui :
« Examinons donc ce point, et disons : `Dieu est, ou il n'est pas.'
Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien
déterminer ; il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un
jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou
pile... Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en
prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous
gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien...
Mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner,
un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et
ce que vous jouez est fini. »' '
Nous ajouterons quant à nous : Celui qui croit en Dieu et
au Jour dernier ne met pas en jeu sa vie éphémère ici-bas pour
gagner l'éternité dans l'Au-delà... Bien au contraire, sa foi lui
permet d'être gagnant dans les deux vies, et d'avoir tout à la fois
le bien d'ici-bas et celui de l'Au-delà. La Parole de Dieu est
vraie :
« Que celui qui désire la récompense d'ici-bas sache
qu'auprès de Dieu se trouvent la récompense d'ici-bas et
celle de l'Au-delà. »2
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« Ceux qui agissent bien recevront un bien dans la vie
de ce monde, mais la demeure dernière est certes
meilleure. » t
Les pratiques cultuelles prescrites par la religion ne sont
que des moyens pour purifier le coeur et élever l'âme du
croyant : l'effort fourni est bien minime par rapport au bien ainsi
obtenu.
Les interdits formulés par la religion ne sont, quant à
eux, qu'une protection pour le croyant ; leur prohibition vise à
préserver sa raison, ses moeurs, sa personne, ses biens, son
honneur et sa descendance. Le Coran dit du Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) : « Il leur ordonne ce qui
est convenable, il leur interdit ce qui est blâmable ; il déclare
licite, pour eux, ce qui est bon ; il déclare illicite, pour eux, ce
qui est impur ; il ôte les liens et les carcans qui pesaient sur
eux. »Z
Lorsque la religion interdit quelque chose aux gens, elle
leur accorde en échange quelque chose de meilleur qui ne
comporte pas les effets nuisibles de la chose interdite.
Le croyant n'a donc rien à perdre à adorer Dieu Tout-
Puissant et à éviter ce que Dieu lui a interdit. Il a au contraire
tout à gagner, puisqu'il sera ainsi guidé sur la voie de la vérité et
du bien, s'élèvera au-dessus de ses passions et jouira d'un coeur
en paix et d'une vie sereine.
De nos jours, les gens sont tellement obsédés par la
recherche de l'intérêt matériel que beaucoup d'entre eux
considèrent que la vérité est ce qui leur procure un avantage et
non pas ce qui est conforme à la réalité ou confirmé par des
preuves.
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Une école de pensée, le pragmatisme, va ainsi jusqu'à
affirmer que « l'utilité est le critère de la vérité » et considère
que les choses ne valent que par leurs effets et par les
conséquences qu'elles produisent dans notre vie pratique... que
la vérité d'une proposition ne réside pas en ce qu'elle soit
conforme à la réalité, mais en ce qu'elle concorde avec le cours
des événements ; ainsi, on jugera de toute chose selon les effets
qui en résultent : si ces effets concordent avec nos objectifs et
nos attentes, ladite chose sera bonne et vraie, et s'il en est
autrement elle sera mauvaise et fausse. On ne dira donc pas
qu'une action est bonne ou mauvaise, ni qu'une parole est vraie
ou fausse, avant d'en connaître les conséquences. l
La position de cette école, que nous rejetons dans son
ensemble, ne met cependant nullement en cause notre foi : nous
sommes convaincus que la chose la plus utile aux hommes est la
vérité, et que la plus nuisible est l'erreur. Le Coran compare la
vérité à l'eau courante et au métal pur, tandis qu'il compare
l'erreur à l'écume qui se forme à la surface de l'eau d'une rivière
ou aux déchets flottant sur le métal que l'on fait fondre au feu
pour en faire des bijoux ou des outils. Puis le Tout-Puissant
conclut ainsi la comparaison :
« Ainsi Dieu oppose-t-Il en parabole le vrai et le faux :
l'écume est rejetée tandis que ce qui est utile aux hommes
reste dans la terre. C'est ainsi que Dieu propose des
paraboles. »2
Ce qui reste dans la terre, c'est le vrai, que le Coran
désigne par l'expression «ce qui est utile aux hommes ». C'est-
à-dire qu'il leur est utile aussi bien dans un sens concret
qu'abstrait, sur le plan matériel comme sur celui du coeur et de
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l'esprit, au niveau individuel comme au niveau collectif, dans ce
monde comme dans l'autre.
Bien que nous soyons d'accord sur la prise en
considération de l'utilité d'une manière générale, nous différons
avec les matérialistes quant à l'évaluation de la nature et de
l'étendue de cette utilité. En effet, nous n'évaluons pas l'utilité
de manière purement quantitative et concrète, et nous ne
considérons pas uniquement l'intérêt individuel. Notre
évaluation est qualitative autant que quantitative ; nous prenons
en compte aussi bien l'âme que la matière, et aussi bien la
société que l'individu.
En outre, l'utilité ne se limite pas, pour nous, à la vie de
ce monde, mais nous prenons toujours en compte la vie future,
la vie éternelle dans l'Au-delà qui a été préparée pour les
hommes et pour laquelle les hommes ont été préparés.
Ces quelques lignes sont un préliminaire nécessaire pour
expliquer l'objectif que nous recherchons à travers cet ouvrage,
La foi et la vie.
Nous souhaitons en effet mettre en évidence les
conséquences positives de la religion dans la vie de l'être
humain, en considérant uniquement la religion en tant que foi,
que croyance en Dieu et Ses Prophètes, à l'Au-delà et au
Jugement conduisant à la récompense ou au châtiment.
Ce livre fera apparaître clairement l'erreur de ceux qui
prétendent, à l'instar des marxistes, que la religion est l'opium
du peuple et qu'elle va à l'encontre de la vie.
Assurément, même si nous nous référions au seul critère
de l'utilité et si nous acceptions le raisonnement de ceux qui
n'adoptent une idée que s'ils y trouvent un intérêt, et de surcroît
uniquement un intérêt dans cette vie, nous trouverions
néanmoins que la religion représente une force considérable.
L'histoire et l'anthropologie ont montré que la religion est une
nécessité indispensable : une nécessité pour l'individu auquel
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elle apporte la sérénité, le bonheur et la purification de l'âme, et
une nécessité pour la société à laquelle elle assure la stabilité, la
cohésion et le progrès.
Un individu sans religion ni foi est pareil à une plume
volant au gré du vent : il ne connaît aucune stabilité mais change
sans cesse de direction. Un individu sans religion ni foi n'a pas
de valeurs, pas de racines, il est troublé, inquiet, il ignore qui il
est et pourquoi il existe, il ne sait qui l'a revêtu de l'habit de la
vie, ni dans quel but, ni pourquoi cet habit lui sera ôté un jour.
Sans religion ni foi, il n'est qu'un animal ou une bête féroce, que
ni l'éducation ni la loi, à elles seules, ne suffisent à dompter.
Une société sans religion ni foi n'est qu'une jungle,
même si elle est ornée des apparences de la civilisation. Ce sont
les plus forts et les plus rudes qui y survivent, et non pas les
meilleurs et les plus pieux. C'est une société de malheur et de
peine, malgré tous les facteurs de confort et de bien-être qui
peuvent y abonder... une société sans valeur, car les ambitions
des gens qui la peuplent ne dépassent pas l'assouvissement des
désirs du ventre et de la chair : ils ne font que jouir et manger
comme les animaux.
Le progrès scientifique, aussi avancé qu'il soit, est
incapable d'apporter aux gens la paix intérieure et le bonheur.
En effet, la science améliore la vie dans ses aspects matériels, et
elle est capable de réduire les lointains périples et les longs
labeurs : c'est pourquoi on appelle notre époque l'ère de la
vitesse, de la réduction des distances.
Mais qui pourrait appeler cette époque l'ère de la vertu,
l'ère de la sérénité, l'ère du bonheur de l'humanité ?
La science a mis au service de l'homme moderne des
moyens de vivre, mais elle n'a pas su le guider vers les buts de
la vie. Elle a embelli pour lui la surface de la vie sans lui en faire
atteindre les profondeurs. Or, il est bien malheureux, l'homme
qui se préoccupe des moyens au point d'en oublier les fins, qui
ne connaît que les apparences et ignore tout de l'essence !
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La science matérielle a fourni à l'homme de nombreux
instruments, mais elle ne lui a pas donné d'idéal ni de but pour
lequel vivre et mourir.
En effet, ce n'est pas là l'objectif ni le rôle de la science :
ce rôle est celui de la religion.
Certains penseurs et philosophes, tout en ne croyant pas
en Dieu, ont déclaré croire à la foi en Dieu, en ce sens qu'ils
étaient convaincus de l'utilité de cette foi en tant que force
d'orientation morale, en tant qu'influence positive et
qu'inspiration créatrice.
Ces penseurs n'ont pas pu nier les effets bénéfiques de la
foi en Dieu sur le coeur de l'individu et sur la vie de la société.
L'un d'eux a été jusqu'à dire : « Si Dieu n'existait pas, il
faudrait l'inventer ! » - c'est-à-dire qu'il faudrait donner aux
hommes une divinité en laquelle ils croiraient, qu'ils
s'efforceraient de satisfaire, dont ils craindraient le jugement,
afin que les mauvais penchants puissent être réprimés et que les
populations conservent un comportement moral.
Ou encore : « Ne jetez pas le doute sur Dieu, sans Lui ma
femme me tromperait et mon domestique me volerait ! »
Nous ne sommes pas d'accord avec le raisonnement de
ces penseurs : c'est la vérité qui mérite le plus d'être suivie, et
les erreurs doivent être rejetées, quelles qu'en soient les
conséquences. Nous retiendrons toutefois de ces propos des
détracteurs de la religion et des ennemis de la foi, qu'aucun
esprit honnête, même s'il ne croit pas, ne peut nier les effets
bénéfiques de la religion et de la foi sur les coeurs et la vie.
La vérité doit être respectée pour elle-même, quand bien
même elle n' apporterait aucun avantage et n' éloignerait aucun
mal : qu'en sera-t-il donc, lorsqu'on sait qu'elle est porteuse des
plus grands bénéfices et des meilleurs fruits ?
L'existence de Dieu Tout-Puissant, qui seul possède la
souveraineté et le contrôle du monde et mérite d'être adoré,
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l'origine divine du message des prophètes et la véracité de ce
qu'ils nous ont dit au sujet de l'Au-delà, tout cela est une vérité
établie et confirmée par des preuves : y croire est un devoir, car
c'est la vérité. Et non seulement c'est la vérité, mais c'est
également une source de bien apparent et caché, de progrès pour
l'individu et pour la société, de bonheur ici-bas et dans l'Au-
delà.
Lorsque nous parlons des effets bénéfiques de la foi sur
le coeur de l'être humain et la vie, c'est bien sûr d'une foi
puissante et vive que nous parlons : la foi qui s'épanouit et
illumine les coeurs, celle qui pénètre au plus profond des âmes.
Nous ne parlons pas de la foi faible et hésitante, de la foi
engourdie, mais bien de la foi vivante et éveillée. Peu importe
que les porteurs d'une telle foi soient peu nombreux. Nous nous
adressons aux matérialistes qui mettent en doute la valeur de la
foi, pour leur montrer que plus la foi qu'ils combattent
s'enracine dans les coeurs et s'affermit dans les âmes, plus ses
effets bénéfiques se font sentir tant sur le plan individuel que
collectif.
Si telle est la conséquence de la foi d'une manière
générale, la foi islamique est plus bénéfique encore. En effet,
dans les autres religions, la foi a souvent été altérée, de sorte que
les enseignements de certaines religions ou le comportement de
certains religieux ont pu donner à penser que la religion était
l'ennemie de la vie ou l'opium du peuple. Telle était l'opinion
du juif Karl Marx, une opinion qui a été avalée et répétée à
l'envi par les perroquets de chez nous sans réflexion aucune. Or,
notre religion n'est pas la même que celle dont il parlait, et notre
société n'est pas pareille à la sienne.
La foi de l'islam englobe le spirituel et le matériel, la
vérité et la force, la religion et la science, la vie de ce monde et
celle de l'Au-delà ; c'est la foi en l'unicité divine, qui enracine
dans les coeurs la dignité et la liberté, qui considère toute
servitude envers un autre que Dieu comme de la mécréance, de
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la perversion et de l'injustice, et qui interdit aux gens de se
prendre les uns les autres pour maîtres au lieu de Dieu.
Bien que la religion et la foi aient une telle influence
dans tous les pays du monde, leur influence est plus profonde et
leur nécessité est plus impérieuse dans les pays musulmans,
arabes en particulier.
Chaque serrure possède en effet sa clé : tous les efforts
que l'on peut faire pour ouvrir une serrure avec une autre clé que
la sienne sont inutiles et voués à l'échec, ce n'est que du temps
perdu à des tentatives infructueuses.
Or, la clé de l'identité musulmane, et arabe en particulier,
c'est cette religion, cette foi qu'est l'islam.
Tous les efforts que l'on pourrait déployer pour éveiller
cette identité et pour ranimer ses énergies cachées par un moyen
autre que le sien propre, c'est-à-dire que la religion et la foi,
seront des efforts futiles, comme de construire sur de l'eau ou
d'écrire dans l'air.
C'est la foi musulmane qui a permis aux Arabes de
quitter leur péninsule pour faire sortir le monde des ténèbres et
le guider vers la lumière, pour soumettre les empereurs de Perse
et de Byzance et tous les tyrans arrogants. Au fur et à mesure de
leur progression, ils libéraient les gens de leur servitude envers
d'autres créatures pour les conduire à n'adorer que le Créateur,
ils les libéraient d'une vie de contrainte ici-bas pour leur offrir
l'aisance ici-bas et dans l'Au-delà, et ils leur apportaient, à la
place de l'oppression des religions et des despotes, la justice de
l'islam.
C'est la foi musulmane qui a permis à notre nation arabe
de triompher de l'Europe qui avait uni toutes ses forces contre
elle pendant neuf croisades dans le but de dévorer tout ce qui
pouvait l'être dans cet Orient musulman.
C'est la foi musulmane qui lui a encore permis de
triompher de l'invasion tatare qui a déferlé sur l'Orient comme
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le vent dévastateur, « ne laissant rien sur son passage sans le
réduire en poussière »', une invasion qui aurait anéanti la
civilisation humaine si Dieu ne lui avait opposé des musulmans
d'Égypte et de Syrie qui la repoussèrent et la vainquirent par Sa
permission à `Ayn Jâloût. La clé de cette victoire fut le cri de
ralliement de « Ô islam ! » lancé par le chef mamelouk Qoutouz,
un cri historique qui enflamma les troupes, stimulant leur ardeur,
affermissant leur volonté et leur faisant sentir l'odeur du Paradis.
Or, notre communauté arabe a aujourd'hui à faire face à
un autre ennemi insidieux qui occupe le coeur de son territoire et
menace son existence et son intégrité : je parle de l'État d'Israël,
aidé et soutenu par tous les partisans de l'incroyance en Orient et
en Occident. Nous ne trouverons pas, pour nous opposer à cet
ennemi qui s'emploie à nous diviser, d'arme meilleure et plus
durable que la foi.
Bien sûr, la préparation militaire et la force matérielle
que Dieu nous a ordonné de rassembler sont indispensables pour
inspirer la crainte à l'ennemi de Dieu et de notre communauté,
mais les armes ne sont efficaces qu'entre les mains de héros, et
seule la foi produit des héros.
Certains d'entre nous se sont laissés séduire par les idées
matérialistes modernes importées d'Occident, qui n'accordent
aucune place à Dieu ni à l'Au-delà dans la vie et ne
reconnaissent pas à la religion d'autre rôle que celui d'un
instrument pouvant être employé, si nécessaire, pour satisfaire
les foules attachées à la religion et les pousser à l'action pour un
objectif temporaire.
C'est pourquoi la religion et la foi ont été privées de leur
place dans l'orientation et l'éducation de la communauté, et ont
été retirées de l'enseignement, de la culture, des médias, de tous
les domaines de notre vie intellectuelle et pratique, sociale et
politique : la religion n'a conservé qu'un rôle symbolique, basé
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sur quelques éléments superficiels et de pure forme mais qui ne
lui confèrent aucune portée réelle.
Lors de la guerre arabo-israélienne de 1967, nous
possédions une force militaire considérable mais très peu de foi :
les armes ne nous ont été d'aucun secours, les tanks, les avions,
les flottes, les bases et les missiles n'ont servi à rien, parce que
ces armes, pour modernes et puissantes qu'elles étaient,
n'étaient pas tenues par des croyants. Dieu fasse miséricorde au
poète al-Moutanabbî qui a dit :
« Les nobles coursiers et les lames sont sans utilité
si les nobles coursiers ne portent pas de nobles
cavaliers »
C'est la vérité, même si elle est dure et amère : nous
devons avoir le courage de l'admettre et d'en tirer les
conséquences afin de bâtir notre vie sur les fondations de la foi
et de ses implications, et de changer ce qui est en nous afin que
Dieu change notre situation, sans quoi nous continuerons à
tourner en rond comme le boeuf de trait autour du puits
d'irrigation.
Alors que notre ennemi endoctrine ses soldats avec des
idéaux religieux et les envoie combattre au nom de la grandeur
d'Israël, du royaume de Salomon, des prophéties de la Torah,
comment pouvons-nous de notre côté nier le rôle de la foi,
écarter les croyants ou même les soumettre à la répression et à la
torture ! Voilà que nous lançons des slogans comme « la victoire
aux révolutionnaires », « que le peuple l'emporte », alors que
notre communauté sait seulement que « la victoire attend les
croyants, et la fin heureuse sera pour les gens pieux ». 1
' Voir à ce propos l'ouvrage du même auteur sur la défaite arabe de 1967 :
Dars an-nakba ath-thâniya : limâdhâ anhazamnâ wa-kayfa nantasir ? (« La
leçon de la deuxième défaite : pourquoi nous avons été vaincus et comment
nous pourrons vaincre »).
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Toute action contre la religion dans nos pays est un coup
porté au coeur même de notre être, à ce qui fait notre vie et
permet notre réussite.
« Nous sommes un peuple croyant », et cette foi est le
fondement de notre identité et le secret de notre force. C'est
notre porte-drapeau, c'est elle qui a fait notre grandeur passée,
qui motive nos révoltes présentes, qui est la source de nos
espoirs pour l'avenir.
« Nous sommes un peuple croyant » : c'est une question
fondamentale, et la plume de l'écrivain, la langue de l'orateur, la
pensée du philosophe, l'émotion du poète, le pinceau du peintre,
les lois du législateur, l'autorité du gouvernement, la force de
l'armée, le contrôle du peuple, doivent s'unir dans un même
effort pour préserver cette foi, la renforcer et la répandre.
Tel doit être le rôle du père dans son foyer, de
l'instituteur dans son école, du professeur dans ses leçons, du
romancier dans ses récits, du journaliste dans ses articles, de
l'écrivain dans ses ouvrages, de chaque artiste dans son art.
Toute brèche que l'on ouvre dans quelque côté de notre
vie culturelle, artistique ou pratique pour faire pénétrer les
atteintes du doute et de la négation jusqu'au coeur de la foi
constitue une haute trahison envers notre nation ; c'est s'écarter
de ses principes, se dissocier d'elle pour rejoindre les rangs de
l'ennemi et entraver la lutte positive et constructive qu'elle mène
par ailleurs.
Je suis convaincu que la foi aura le dessus et finira par
triompher, tandis que la mécréance et le doute seront les
perdants ; la Parole de Dieu est vraie : « Ne vois-tu pas
comment Dieu propose en parabole une bonne parole
semblable à un bon arbre solidement enraciné et dressant
ses branches dans le ciel, qui donne ses fruits à tout moment
avec la permission de son Seigneur ? Dieu propose des
paraboles aux êtres humains, - ainsi peut-être réfléchiront-
ils. Et une mauvaise parole est semblable à un mauvais arbre
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déraciné de la surface de la terre et qui n'a aucune
stabilité. »'
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La foi dont nous parlons
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foi : « Ils les nièrent par injustice et par orgueil tandis qu'en
eux-mêmes ils en étaient convaincus. » 1 La fierté, l'envie et
l'amour de ce bas-monde se sont interposés entre eux et cette foi
qu'ils connaissaient, après qu'ils avaient compris la vérité : « Un
groupe d'entre eux dissimulent la vérité alors qu'ils
savent. »2
La foi, en réalité, ne se situe pas uniquement au niveau
de la parole, de l'action physique ou de la compréhension
intellectuelle. La foi fait en réalité intervenir la totalité de l'être
et englobe aussi bien la connaissance que la volonté et les
sentiments.
Elle se fonde nécessairement sur une connaissance
intellectuelle dévoilant la nature réelle des vérités de l'existence,
une connaissance qui ne peut être apportée que par la voie de la
révélation divine infaillible.
Cette connaissance intellectuelle doit devenir une
certitude absolue, inébranlable, totalement inaccessible au
doute : « Les vrais croyants sont ceux qui croient en Dieu et
Son Prophète puis ne doutent plus. » s
Cette certitude absolue doit être accompagnée d'un
engagement du coeur, d'une soumission de la volonté
s'exprimant par l'obéissance au jugement de Celui en qui on
croit, une obéissance fondée sur un consentement total et sans
arrière-pensée :
« Non, par ton Seigneur, ils ne croiront pas tant qu'ils
ne te feront pas juge de leurs différends, pour ensuite
accepter ton jugement sans rancoeur et s'y soumettre
totalement. » 4
21
« Lorsque les croyants sont appelés devant Dieu et
Son Prophète pour que celui-ci juge entre eux, ils se
contentent de dire : nous écoutons et nous obéissons ; voilà
ceux qui connaîtront le succès. » 1
« Il n'appartient pas à un croyant ni à une croyante,
une fois que Dieu et Son Prophète en ont jugé, de conserver
le choix sur une affaire. » 2
Cette connaissance et cette soumission doivent
également être accompagnées d'un profond attachement
sentimental, qui pousse le croyant à agir en conséquence de sa
foi, à se conformer à ses principes de morale et de
comportement et à lutter pour cette foi avec ses biens et sa
personne. C'est pourquoi le Saint Coran décrit les croyants en
ces termes : « Les vrais croyants sont ceux dont les coeurs
frémissent lorsqu'on mentionne Dieu, dont la foi augmente
lorsqu'on leur récite Ses versets et qui s'en remettent à leur
Seigneur, ceux qui accomplissent la prière et dépensent des
biens que Nous leur avons dispensés, - ceux-là sont
véritablement les croyants. » 3
Le Coran présente toujours la foi à travers une morale
vivante et des actions manifestes, par lesquelles les croyants se
distinguent des mécréants et des hypocrites :
« Bienheureux les croyants, qui se recueillent
humblement dans leurs prières, qui évitent les vains propos,
qui acquittent l'aumône purificatrice, qui s'abstiennent des
rapports charnels, sauf avec leurs épouses et leurs esclaves -
on ne peut donc les blâmer, tandis que ceux qui convoitent
d'autres femmes sont, eux, les transgresseurs - qui
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respectent les dépôts confiés ainsi que leurs engagements, et
qui sont assidus dans leurs prières. » 1
Dieu décrit encore ainsi les croyants sincères : « Les vrais
croyants sont ceux qui croient en Dieu et Son Prophète puis ne
doutent plus, et qui luttent avec leur personne et leurs biens dans
la voie de Dieu : voilà ceux qui sont sincères. »2
Le martyr de l'islam Sayyid Qoutb (que Dieu lui fasse
miséricorde) dit à propos de ce verset dans son commentaire Fî
dhilâl al-qour'ân :
« La foi est une reconnaissance par le coeur de la vérité de
Dieu et de Son Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur
lui), une reconnaissance inaccessible au doute, une
reconnaissance sereine et ferme fondée sur une conviction
inébranlable et invariable, au-dessus de toute hésitation du coeur
ou des sentiments, et qui conduit à lutter de sa personne et de ses
biens dans la voie de Dieu. Lorsque le coeur a goûté à la douceur
de cette foi et s'y est fermement engagé, il est nécessairement
poussé à actualiser cette foi hors du coeur, dans la vie pratique,
dans le monde des hommes, afin d'harmoniser le sentiment
intérieur de la réalité de la foi et le déroulement concret de la vie
autour de lui. Il ne supporte pas que la vision de la foi qui
l'habite se trouve en contradiction avec la nature de la réalité qui
l'entoure, car une telle contradiction le heurte et le fait souffrir à
chaque instant : c'est cela qui le pousse à lutter de sa personne et
de ses biens dans la voie de Dieu. Cette motivation émane du
plus profond de l'être du croyant : celui-ci cherche à réaliser la
vision éclatante qui habite son coeur, afin de la voir se manifester
dans la vie et chez les gens autour de lui. Le conflit entre le
croyant et la vie païenne qui l'entoure est un conflit essentiel
émanant de son refus d'une vie où la vision de la foi et la réalité
pratique se trouvent en opposition, ainsi que du refus de tout
23
compromis à l'encontre de cette vision de la foi, pure et parfaite,
au nom d'une réalité pratique insatisfaisante et défigurée qu'il ne
peut admettre. Il ne peut alors que combattre le paganisme qui
l'entoure, jusqu'à ce que celui-ci accepte la vision de la foi et la
vie de la foi. »
Tous ces éléments mentionnés précédemment constituent
ensemble la foi véritable, ou la croyance véritable, tandis que si
certains éléments en sont absents, ce qui en reste ne mérite plus
d'être appelé la foi.
On pourra appeler cela une idée, une théorie, une opinion
ou quelque chose d'approchant, mais la foi véritable est celle qui
illumine tous les aspects de la personne, rayonnant de lumière,
de chaleur et de vie. Cette foi rayonne dans l'esprit qu'elle
convainc et tranquillise, dans le coeur qu'elle émeut et motive,
dans la volonté qu'elle oriente : si l'esprit est convaincu, si le
coeur est ému, si la volonté est orientée, le corps répond et est
poussé à agir avec le zèle d'un fidèle serviteur.
J'aime ce qu'a écrit le professeur Ahmad Amîn (que
Dieu lui fasse miséricorde) à propos de la différence entre
l'opinion et la conviction religieuse :
« Il est une grande différence entre adopter une opinion et
avoir une foi : l'opinion se situe au niveau des connaissances
que l'on possède tandis que la foi coule dans le sang, pénètre
jusqu'à la moelle des os et au plus profond du coeur.
Le partisan d'une opinion est philosophe et dit : `Je
considère que ceci est juste, mais il se peut en réalité que ce soit
faux ; c'est ce qui a été prouvé pour l'instant, mais on prouvera
peut-être le contraire demain ; il se peut que j'aie raison comme
il se peut que j'aie tort.'
Mais celui qui possède une foi est profondément
convaincu, sa certitude ne souffre aucun doute, sa foi est la
vérité, elle est vraie aujourd'hui et le restera demain ; elle n'a
24
plus besoin d'être prouvée ' et n'a plus à faire face aux doutes et
aux hypothèses.
Le partisan d'une opinion est peu enthousiaste ; si son
opinion se vérifie il sourira avec calme et pondération, mais ne
se chagrinera pas outre mesure si elle ne se vérifie pas, puisqu'il
avait déjà admis l'hypothèse que son opinion, tout en étant juste,
pouvait s'avérer fausse, tandis que l'opinion des autres, tout en
étant fausse, pouvait s'avérer juste. Mais celui qui possède une
foi est plein d'ardeur et son zèle ne s'apaisera que lorsqu'il aura
réalisé ce en quoi il croit.
Le partisan d'une opinion peut facilement en changer et
la remettre en cause : il s'appuie sur une preuve, ou sur une
utilité qui lui sert de preuve. Mais la position de celui qui
possède une foi est le mieux exprimée par cette parole de
l'Envoyé de Dieu : `Si l'on mettait le soleil dans ma main droite
et la lune dans ma main gauche, à condition que je renonce au
message que j'apporte, je n'y renoncerais pas.'
L'opinion est un corps inerte, elle ne vit pas tant que la
foi n'y a pas insufflé de son esprit ; l'opinion est une caverne
obscure, que seule la lumière de la foi peut éclairer ; l'opinion
est un marécage d'eau stagnante infesté de moustiques, tandis
que la foi est une mer débordante qui ne permet pas à sa surface
de croupir ; l'opinion est une nébuleuse qui se forme, la foi une
étoile qui s'accroche.
L'opinion pose des difficultés, crée des obstacles, prête
attention aux souhaits du corps, suscite doutes et hésitations...
La foi, elle, affronte les dangers, ébranle les montagnes, modèle
le destin, change le cours de l'histoire, fait s'envoler les doutes
' C'est le cas une fois que l'on a acquis une conviction certaine ; mais avant
cela, l'islam ne se satisfait pas d'une foi fondée sur la seule imitation : la foi
du musulman doit être une certitude fondée sur des preuves claires, et nous
montrerons plus loin qu'une des caractéristiques de la foi islamique est
justement d'être une foi fondée sur des preuves.
25
et les hésitations, suscite la conviction et la certitude et ne se
satisfait que de ce que l'âme désire. » 1
26
vérités éternelles qui ne sauraient subir ni variation ni
changement, les vérités au sujet de Dieu et de Sa relation avec ce
monde... de ce que nous pouvons en percevoir et de ce qui
dépasse notre perception ; au sujet de la véritable nature de cette
vie, du rôle qu'y joue l'homme et du sort qu'il connaîtra ensuite.
Ce sont les vérités qu'Adam a enseignées à ses enfants, que Noé
a enseignées à son peuple, les vérités auxquelles Hoûd et Sâlih
ont appelé les `Ad et les Thamoûd, les vérités qu'ont proclamées
Abraham, Ismaël, Isaac et les autres prophètes de Dieu, et qu'ont
confirmées Moïse dans la Torah, David dans les Psaumes, Jésus
dans l'Évangile.
Tout ce qu'a fait l'islam, cela a été de purifier cette foi
des distorsions et de la débarrasser des corps étrangers qui s'y
étaient introduits avec le temps, altérant sa pureté et corrompant
son monothéisme, comme la croyance à la trinité, à
l'intercession, la servitude envers d'autres maîtres que Dieu, qui
l'avaient déformée par des déviations vers l'anthropomorphisme
ou l'attribution au Dieu sublime et transcendant des faiblesses et
des imperfections humaines, qui avaient brouillé sa vision de
l'univers, de la vie, de l'homme et de son rapport à Dieu, à la
révélation et aux enseignements religieux. Le rôle de l'islam a
également été de présenter cette foi d'une manière nouvelle,
convenant au message dont la sagesse divine a voulu faire la
dernière des révélations et le but de tout être humain jusqu'à la
fin des temps.
La foi de l'islam est donc venue purifier la notion de
monothéisme et de perfection divine de tout ce qui avait pu la
brouiller au cours du temps, comme elle a purifié la notion de
prophétie et de révélation des conceptions erronées qui étaient
venues l'entacher.
Elle a également purifié la notion de récompense dans
l'Au-delà des inventions païennes, des déviations, des
usurpations et des impostures.
27
Les éléments fondamentaux de cette foi sont la croyance
en Dieu, la croyance aux prophètes et la croyance en l'Au-delà.
On peut considérer que la foi en Dieu englobe la
croyance en l'Au-delà ; en outre, la foi en Dieu comprend la foi
en Son existence, la foi en Son unicité et la foi en Sa perfection.
28
et de l'Occident » : « Dis : Chercherais-je un autre seigneur que
Dieu, alors qu'Il est le Seigneur de toute chose ? » 1
Rappelons-nous comment le Coran nous relate le
dialogue entre Moïse et le Pharaon où est soulignée la totale
souveraineté du Tout-Puissant :
« Le Pharaon dit : `Et qu'est-ce que le Seigneur des
Mondes ?' (Moïse) dit : `Le Seigneur des cieux et de la terre
et de ce qui se trouve entre les deux, si seulement vous
croyiez fermement.' (Le Pharaon) dit à ceux qui
l'entouraient : `N'entendez-vous pas ?' (Moïse) dit : `C'est
votre Seigneur et le Seigneur de vos plus lointains ancêtres.'
(Le Pharaon) dit : `Votre messager qui vous a été envoyé est
assurément fou.' (Moïse) dit : `C'est le Seigneur de l'Orient
et de l'Occident et de ce qui se trouve entre les deux, si
seulement vous raisonniez.' » 2
Le Coran apporte de multiples preuves de
l'existence de Dieu :
1. Il invite l'esprit et l'intelligence à contempler, dans
l'Univers, les nombreux signes indiquant la présence d'un
sage Créateur. Il s'agit d'une loi fondamentale de la raison
qui croit naturellement au principe de la causalité sans
avoir besoin pour cela d'apprentissage ni de
démonstration.
« Dans la création des cieux et de la terre, dans
l'alternance de la nuit et du jour, dans le bateau qui
vogue sur la mer chargé de ce qui est utile aux
hommes, dans l'eau que Dieu fait descendre du ciel
pour faire revivre la terre après sa mort, la terre où Il
a disséminé toutes sortes de bêtes, dans la variation des
29
vents et les nuages assujettis entre le ciel et la terre, il
est certes des signes pour des gens qui raisonnent. » 1
30
entourer de toutes parts ; se sentant cernés, ils
invoquèrent alors Dieu, Lui vouant un culte exclusif :
`si Tu nous délivres de ceci, nous serons assurément au
nombre de ceux qui sont reconnaissants.' »'
31
avaient traité Nos signes de mensonge : ils étaient
certes des gens aveugles. » 1
32
« Et votre Dieu est un Dieu unique, il n'y a pas
d'autre divinité que Lui, le Miséricordieux, plein de
miséricorde. » 1
Toute l'extraordinaire organisation de l'univers prouve
que celui-ci a été créé et est régi par un seul être. En effet, s'il se
trouvait, derrière cet univers, plus d'un esprit et d'une volonté
pour en régir l'organisation, cela serait une source de désordre et
de conflits entre ses lois. La Parole de Dieu est vraie : « S'il se
trouvait dans le ciel et la terre d'autres divinités que Dieu, le
désordre y régnerait. - Gloire à Dieu, le Seigneur du Trône,
infiniment supérieur à ce qu'ils Lui attribuent. » 2
« Dieu ne s'est pas attribué d'enfant, et aucune autre
divinité ne se trouve avec Lui. Sinon, chaque divinité
emporterait ce qu'elle aurait créé et les unes seraient
supérieures aux autres. - Gloire à Dieu, infiniment supérieur
à ce qu'ils Lui attribuent. » 3
Dieu est donc unique dans Sa souveraineté : Il est le
Seigneur des cieux et de la terre ainsi que de tous les êtres et
choses qui s'y trouvent, Il a créé toute chose dans sa juste
proportion, a donné à chaque chose sa nature puis l'a dirigée.
Aucune de Ses créatures ne saurait prétendre avoir créé ou
contrôler la moindre particule dans les cieux ou sur la terre, ni
encore en assurer la subsistance : « Cela ne convient pas à leur
nature et ils ne le peuvent pas. » 4
Dieu est également unique dans Sa divinité : Lui seul est
digne d'être adoré, et il n'est pas permis de se tourner vers un
autre que Lui dans la crainte ou l'espoir. On ne doit craindre que
Lui et se soumettre qu'à Lui ; on ne doit espérer qu'en Sa
miséricorde, on ne doit compter que sur Lui et on ne doit se
i
Sourate al-Baqara, « La vache », verset 163.
2
Sourate al-Anbiyâ', «Les prophètes », verset 22.
Sourate al-Mou' minoûn, «Les croyants », verset 91.
4
Sourate ach-Chou'arâ', « Les poètes », verset 211.
33
conformer qu'à Son jugement. Tous les êtres humains, y
compris les prophètes, les justes, les rois et les gouvernants, sont
des serviteurs de Dieu : ils n'ont aucun pouvoir d'influer en bien
ou en mal sur leur propre sort, aucun contrôle sur la mort, la vie
ni la résurrection. Celui qui prendrait l'un d'eux pour divinité, le
craignant et s'assujettissant à lui, lui attribuerait ainsi une
importance excessive en même temps qu'il se sous-estimerait
lui-même.
C'est pourquoi l'islam lance cet appel à tous les êtres
humains, et aux Gens du Livre en particulier : « Ô gens du
Livre ! Venez à une parole commune entre nous et vous :
que nous n'adorions que Dieu sans rien Lui associer, et que
nous ne nous prenions pas les uns les autres pour seigneurs
en dehors de Dieu. » 1
Le Coran a seulement dit de Mohammed, le Prophète de
l'islam (que la bénédiction et la paix soient sur lui), qu'il était :
« Un prophète, avant qui d'autres prophètes ont passé »2 ,
tandis que lui-même n'a jamais prétendu être plus que « le
serviteur de Dieu et Son prophète ». 3
Tous les prophètes ne sont' rien de plus, nous dit le
Coran, que des êtres humains comme nous, que Dieu a choisis
pour porter Son message à Ses créatures et les appeler à L'adorer
et à ne croire qu'en Lui seul. C'est pourquoi leur premier appel a
toujours été : « Adorez Dieu, vous n'avez pas d'autre divinité
que Lui ». 4
34
Le Coran dit à ce propos : « Nous avons envoyé dans
chaque communauté un messager disant : `Adorez Dieu et
éloignez-vous des fausses divinités'. » 1
« Nous n'avons pas envoyé de prophète avant toi sans
lui inspirer : il n'y a pas d'autre divinité que Moi, adorez-
Moi donc ». 2
C'est donc une erreur manifeste que de prétendre que
l'un de ces prophètes ait appelé les gens à faire de lui une
divinité et à vénérer sa personne :
« Il n'appartient pas à un être humain à qui Dieu a
donné l'Ecriture, la Compréhension et la Prophétie, de dire
aux gens : `Soyez mes serviteurs au lieu de ceux de Dieu.'
Mais soyez plutôt de pieux savants, puisque vous enseignez
et étudiez l'Ecriture. Et il ne vous ordonnera pas de prendre
les anges et les prophètes comme seigneurs : vous
ordonnerait-il la mécréance alors que vous êtes
musulmans ? »;
C'est pourquoi la foi musulmane se résume dans cette
parole sublime, connue des musulmans comme l'attestation de
l'unicité divine, du culte pur ou de la piété : «Il n'y a pas d'autre
divinité que Dieu. »
Ces mots, « il n'y a pas d'autre divinité que Dieu », ont
servi à proclamer la révolte contre les tyrans de la terre et les
fausses divinités du paganisme... La révolte contre toutes les
idoles et tous les objets de culte adorés à la place de Dieu, qu'ils
soient des arbres, des pierres ou des hommes.
Ces mots, « il n'y a pas d'autre divinité que Dieu », ont
été un appel universel à libérer l'être humain de toute servitude
35
envers les autres hommes, la nature et tous les êtres et choses
créés par Dieu.
Ces mots, « il n'y a pas d'autre divinité que Dieu »,
annonçaient une voie nouvelle, qui n'émanait ni d'un sage ni
d'un philosophe, la voie de Dieu, le Seul vers qui les visages se
tournent, le Seul à qui les coeurs obéissent et se soumettent.
Ces mots, « il n'y a pas d'autre divinité que Dieu »,
annonçaient la naissance d'une société nouvelle différente des
sociétés païennes : une société se distinguant par sa foi et par ses
institutions, ne reconnaissant pas les différences raciales,
géographiques ou sociales, parce qu'elle ne reconnaît pas d'autre
autorité que celle du Dieu unique.
Les chefs et les tyrans païens avaient fort bien compris la
menace que représentait cet appel, « il n'y a pas d'autre divinité
que Dieu », pour leur autorité, comment il pouvait anéantir leur
pouvoir despotique et soutenir contre eux les peuples opprimés.
C'est pourquoi ils déployèrent tous leurs efforts pour le
combattre et tentèrent par tous les moyens d'y faire obstacle et
de détourner les croyants de la voie de Dieu.
Le plus grand malheur de l'humanité était que certains
hommes s'étaient érigés en dieux ou en demi-dieux, ou que
d'autres hommes leur avaient attribué ce rôle : c'était eux que
les gens vénéraient, c'était à eux qu'ils se soumettaient, devant
eux qu'ils s'inclinaient et se prosternaient, à eux qu'ils
obéissaient.
Mais la foi en l'unicité de Dieu parvint à élever les coeurs
des croyants de sorte que jamais plus un être humain n'était
considéré comme un dieu, ni un demi-dieu, ni un tiers de Dieu,
ni un fils de Dieu... que jamais plus un être humain n'était en
aucune façon déifié.
Jamais plus un être humain ne se prosternait ou ne
s'inclinait devant un autre être humain, ou ne baisait le sol
devant lui. C'est là le fondement de la véritable fraternité
36
humaine, de la véritable liberté, de la véritable dignité : en effet,
il ne peut exister de fraternité entre l'adorateur et l'objet de son
adoration, ni de liberté pour un homme devant un dieu ou une
supposée divinité, ni de dignité pour quelqu'un qui s'incline ou
se prosterne devant une créature semblable à lui ou qui lui obéit
au lieu d'obéir à Dieu.
Aboû Moûsâ al-Ach'arî a relaté : « Nous arrivâmes
auprès du Négus alors qu'il tenait assemblée ; `Amr ibn al-'Âs
était à sa droite et `Oumâra à sa gauche, tandis que les
dignitaires religieux étaient assis en deux rangées. `Amr et
`Oumâra (les deux délégués envoyés par les païens qoraïchites
de La Mecque au Négus pour lui réclamer les émigrés
musulmans) lui avaient dit : `Ils ne se prosternent pas devant
toi'. Lorsque nous arrivâmes, les dignitaires religieux et les
prêtres nous retinrent en disant : `Prosternez-vous devant le roi'.
Mais Ja'far ibn Abî Tâlib répondit : `Nous ne nous prosternons
que devant Dieu !' ».
Alors même qu'ils étaient des émigrés qui avaient fui la
répression, des étrangers réfugiés chez ce roi et donc en son
pouvoir, ils refusèrent de dévier, ne fût-ce qu'un instant, de leur
foi en l'unicité divine pour se prosterner devant un autre que
Dieu, et Ja'far prononça ces mots qui devinrent la devise de tout
musulman : « Nous ne nous prosternons que devant Dieu. »
37
semblable à Lui, Il est Celui qui entend et qui voit
parfaitement. » 1
Toute l'extraordinaire organisation de l'univers concourt
à le prouver, la nature humaine éclairée le sait instinctivement,
et les messages divins révélés par l'intermédiaire des prophètes
le confirment précisément.
Dieu, le Sublime, est l'Omniscient à qui rien n'échappe :
« Il possède les clés de l'Invisible. Lui seul les connaît. Il
connaît ce qui est dans la terre et la mer ; pas une feuille ne
tombe sans qu'Il n'en ait connaissance, il n'est pas une
graine dans les ténèbres de la terre, rien de frais ni de sec,
qui ne se trouve dans un écrit explicite. »2
Il est le Tout-Puissant : Il fait ce qu'Il veut, rien ne peut
Le vaincre ni s'opposer à Sa volonté : « Dis : ô mon Dieu,
maître de la royauté, Tu donnes la royauté à qui Tu veux,
Tu ôtes la royauté à qui Tu veux, Tu rends puissant qui Tu
veux et Tu humilies qui Tu veux. Tu détiens le bien : Tu as
pouvoir sur toute chose. » 3
Il est l'Omnipotent, sa capacité est illimitée : Il exauce la
prière de l'opprimé, Il écarte le malheur, Il rend la vie aux
ossements alors qu'ils étaient poussière et ramène les créatures à
la forme première qu'Il leur avait donnée, et cela lui est facile :
« Béni soit Celui qui détient la Royauté et a pouvoir sur
toute chose. »4
est le Sage qui n'a rien créé en vain, qui ne laisse rien à
Il
l'abandon, qui n'agit et ne légifère que pour de bonnes raisons,
connues de certains et ignorées des autres. Les Anges eux-
mêmes en témoignent au ciel : « Ils dirent : `Gloire à Toi !
38
Nous n'avons d'autre savoir que ce que Tu nous a appris.
C'est Toi qui es l'Omniscient, le Sage.' »'
Les prophètes et les amis de Dieu en témoignent
également, ainsi que les gens doués d'intelligence : « Ceux qui
invoquent Dieu, debout, assis ou couchés, et qui méditent sur
la création des cieux et de la terre. Seigneur ! Ce n'est pas en
vain que tu as créé cela. Gloire à Toi ! »2
Il est le Miséricordieux, Celui dont la miséricorde
l'emporte sur son courroux, dont la miséricorde s'étend à toute
chose tout comme Son savoir s'étend à toute chose. Le Coran
relate l'invocation des Anges : « Notre Seigneur, Tu étends à
toute chose Ta miséricorde et Ton savoir. » 3
Dieu dit : « J'infligerai Mon châtiment à qui Je veux,
et Ma miséricorde s'étend à toute chose. »4
Les sourates du Coran commencent par les mots « Au
nom de Dieu, le Miséricordieux, plein de miséricorde » pour
rappeler l'étendue de la miséricorde divine et fortifier l'espoir
dans les coeurs des croyants, malgré tous les péchés qu'ils ont pu
commettre : « Dis : ô mes serviteurs qui avez commis des
excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la
miséricorde de Dieu : Dieu pardonne tous les péchés, c'est
Lui le Pardonneur, Celui qui est plein de miséricorde. » 5
L'islam ne considère pas que Dieu se tienne à l'écart de
cet univers et de ses habitants, comme le Dieu envisagé par
Aristote, qui L'appelait le premier moteur ou la cause première
et Le définissait par des caractéristiques purement négatives,
sans Lui reconnaître de pouvoir véritable d'intervention ni de
détermination. Le Dieu de la philosophie d'Aristote ne connaît
39
que Lui-même et ne sait rien de ce qui se passe dans ce vaste
univers.
Le Dieu d'Aristote et de la philosophie grecque n'a pas
créé cet univers à partir du néant : pour les Grecs, le monde est
éternel, il n'a pas de commencement et n'a pas été créé.
Le Dieu d'Aristote n'a aucun lien avec ce monde, Il ne
s'y intéresse pas et n'influe en rien sur ce qui s'y passe ; Il n'a
aucune connaissance des événements de ce monde, de ce qui
sort de la terre ou y pénètre, de ce qui descend du ciel ou s'y
élève. Tout ce qu'Aristote et ses partisans disent de Dieu, c'est
qu'Il n'a ni qualité ni quantité, ni commencement ni fin, qu'Il
n'est ni un ensemble ni une partie d'un ensemble, qu'Il n'est ni
intérieur ni extérieur au monde, ni lié à lui ni séparé de lui :
toutes ces négations ne permettent pas de considérer la divinité
comme un être suscitant l'espoir et la crainte, ni de lier les êtres
humains à Dieu dans une relation claire fondée sur le contrôle
divin, la piété, la confiance, l'abandon, la crainte et l'amour.
Ce Dieu détaché du monde, connu de la pensée grecque
puis, à sa suite, de la pensée occidentale moderne, est étranger à
la pensée musulmane. L'islam ne connaît qu'un seul Dieu :
« Celui qui a créé la terre et les cieux élevés ; le
Miséricordieux s'est établi sur le Trône, à Lui appartient ce
qui est dans les cieux et sur la terre, ce qui est entre eux et ce
qui est sous la glèbe. Si tu parles à haute voix, Il connaît
certes les secrets et ce qui est le mieux caché. Dieu ! Il n'y a
pas d'autre divinité que Lui, les plus beaux noms Lui
appartiennent. » 1
« Dieu ! Il n'y a pas d'autre divinité que Lui, le
Vivant, l'Immuable. Il n'est pas sujet à la somnolence ni au
sommeil. Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre Lui
appartient. Qui donc intercède auprès de Lui, si ce n'est par
40
Sa permission ? Il sait ce qui est devant eux et ce qui est
derrière eux, tandis qu'ils ne peuvent rien appréhender de
Son savoir, hormis ce qu'Il veut. Son Trône s'étend aux
cieux et à la terre ; leur préservation ne Le fatigue en rien ;
Il est l'Élevé, l'Immense. » 1
Dieu, selon l'islam, est le Créateur de toute chose. C'est
Lui qui dispense leur subsistance à tous les êtres vivants, qui
dirige toute chose ; son savoir embrasse tout, Il a fait le
décompte exact de toute chose, et Sa miséricorde s'étend à toute
chose. C'est Lui qui a créé et formé harmonieusement,
déterminé et guidé. Il entend et Il voit, Il connaît les secrets et les
conversations particulières :
« Il n'est pas de conversation particulière entre trois
êtres sans qu'Il ne soit le quatrième, ni entre cinq sans qu'Il
ne soit le sixième, ni entre moins ni plus que cela sans qu'Il
ne soit avec eux où qu'ils se trouvent ; puis Il les informera
de leurs actions le Jour de la Résurrection. » 2
C'est Lui qui crée et ordonne, Il détient la Royauté sur
toute chose, Il fait pénétrer la nuit dans le jour et le jour dans la
nuit, Il fait sortir le vivant du mort et le mort du vivant, Il
dispense la subsistance à qui Il veut sans compter.
Il est le Possesseur et le Maître de tout ce qui est dans les
cieux et sur la terre : personne ne possède ne serait-ce que le
poids d'un atome des cieux et de la terre, personne n'y partage
Son pouvoir. Le soleil, la lune et les étoiles sont assujettis selon
son ordre, la terre, avec ce qui s'y trouve, est aplanie grâce à Son
pouvoir, elle obéit à Sa volonté, conformément à Sa sagesse.
C'est Lui qui envoie les vents pour amonceler les nuages
qu'Il étend ensuite dans le ciel comme Il veut, pour en faire des
fragments d'où tombe la pluie. C'est lui qui a assujetti les
41
bateaux pour qu'ils voguent sur la mer selon Son ordre, et qui
empêche le ciel de tomber sur la terre, si ce n'est par Sa
permission. C'est Lui qui a soumis la terre pour que les gens en
parcourent les étendues et en tirent leur subsistance.
Tous les êtres qui peuplent les cieux et la terre sont Ses
créatures et Ses serviteurs : les anges dans les cieux, les djinns et
les êtres humains sur la terre, tous sont soumis à Son pouvoir et
obéissent à Sa volonté. Les anges sont, de par leur nature, Ses
soldats obéissants :
« Ils ne prennent pas la parole avant Lui et ils
agissent selon Son ordre. » t
« Ils ne désobéissent pas à Dieu en ce qu'Il leur
ordonne, et ils font ce qui leur est ordonné. » 2
Les djinns et les êtres humains, bien que Dieu leur ait
donné la liberté de choix, ne peuvent pas se soustraire à la
volonté et à la souveraineté divines : ils n'ont aucun pouvoir sur
leur mort, leur vie ou leur résurrection, et ceux qui se rebellent
aujourd'hui contre leur servitude envers Lui auront des comptes
à rendre demain : « Tous ceux qui sont dans les cieux et sur la
terre se présentent au Miséricordieux comme de simples
serviteurs. Il les a dénombrés ; Il les a bien comptés. Tous
viendront à Lui, un à un, le Jour de la Résurrection. » 3
Dieu, le Sublime, est présent auprès de tous Ses
serviteurs de par Son omniscience : « Il est avec vous où que
vous soyez. »4 Il est, en particulier, présent auprès des croyants
par Son soutien et Son aide : « Dieu est avec ceux qui sont
pieux et qui font le bien. » 5 « Dieu est avec les croyants. » 6
42
L'univers et tout ce qu'il comprend, du plus élevé au plus
bas, animé et inanimé, doué ou non de parole, tout est soumis à
l' Ordre de Dieu, obéit à Sa loi, témoigne de Son unicité et de Sa
toute-puissance, évoque les signes de Sa science et de Sa
sagesse ; tout célèbre en permanence Sa gloire et Sa louange :
« Les sept cieux et la terre, et tout ce qui est en leur sein,
célèbrent les louanges de Dieu ; il n'est pas une chose qui ne
célèbre Ses louanges, mais vous ne comprenez pas leur
chant. Il est certes plein de mansuétude, enclin au pardon. »'
Le fait que l'univers tout entier chante la gloire de Dieu
et se prosterne devant Lui est une vérité profonde que souvent
les yeux et les oreilles ne perçoivent pas, mais qui apparaît de
toute évidence à ceux qui regardent avec clairvoyance et
écoutent avec le coeur ; ils voient alors que le monde entier est
un oratoire, que tous les règnes de la Création se prosternent
avec révérence et répètent la gloire et la louange du Tout-
Puissant, du Sage, du Miséricordieux, plein de miséricorde :
« C'est devant Dieu que se prosternent, de gré ou de
force, tous ceux qui se trouvent dans les cieux et sur la Terre
ainsi que leurs ombres, matin et soir. » 2
« N'as-tu pas vu que devant Dieu se prosternent tous
ceux qui se trouvent dans les cieux et sur la terre, le soleil, la
lune, les étoiles, les montagnes, les arbres, les animaux et un
grand nombre d'êtres humains ? » 3
« Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre chante
la gloire de Dieu : c'est Lui le Puissant, le Sage. La royauté
des cieux et de la terre lui appartient. Il fait vivre et Il fait
mourir, et Il a pouvoir sur toute chose. C'est Lui le Premier
43
et le Dernier, l'Apparent et le Caché, et Il connaît
parfaitement toute chose. »1
La foi en la prophétie
Il n'est pas difficile de croire en la prophétie, une fois
que l'on est convaincu que Dieu est parfait, infiniment sage et
miséricordieux, qu'Il veille sur l'univers et le contrôle et qu'Il a
honoré l'être humain. La foi en la prophétie découle
nécessairement de tout cela : Dieu ayant créé l'homme et lui
ayant assujetti tout ce qui se trouve dans l'univers, Il ne saurait
ensuite le laisser se débattre sans le guider. La sagesse divine
requiert en effet que Dieu guide l'homme en lui montrant la voie
de l'Au-delà tout comme Il le guide dans la vie de ce monde,
qu'Il lui fournisse sa subsistance spirituelle tout comme Il lui
fournit sa subsistance matérielle, qu'Il fasse descendre des cieux
une révélation porteuse de vie pour les coeurs et les esprits, tout
comme Il en fait descendre une eau qui rend la vie à la terre
après sa mort.
La sagesse divine exigeait que l'homme ne soit pas livré
à lui-même, que l'individu ne soit pas tiraillé par des forces et
des autorités divergentes, que la société humaine ne soit pas
disloquée par ses passions et ses intérêts contradictoires. La
sagesse divine exigeait, bien au contraire, que des prophètes
soient envoyés avec des preuves claires, pour guider les êtres
humains vers Dieu et établir l'équilibre et la justice entre les
serviteurs de Dieu.
C'est pourquoi les prophètes ont reproché à leurs
concitoyens de s'étonner que Dieu ait envoyé des messagers
pour transmettre Ses ordres et Ses interdictions. Ainsi, Noé a
dit : « Ô mon peuple, je ne suis pas en proie à l'égarement,
mais je suis un messager du Seigneur des Mondes. Je vous
transmets les messages de mon Seigneur, je vous conseille
44
sincèrement, je sais de Dieu ce que vous ne savez pas. Vous
étonnez-vous qu'un rappel vous parvienne de votre Seigneur
par l'intermédiaire d'un homme d'entre vous, afin qu'il
vous avertisse et que vous craigniez Dieu, et que peut-être il
vous soit fait miséricorde ? » 1 Hoûd s'est lui aussi adressé à
son peuple en des termes semblables.
Le Coran dit encore en réponse aux polythéistes qui
refusaient de croire au message de Mohammed : « Est-il
étonnant pour les gens que Nous ayons inspiré à un homme
d'entre eux : `Avertis les gens et annonce à ceux qui auront
cru qu'ils auront une préséance méritée auprès de leur
Seigneur' ? Les mécréants disent : `Assurément, c'est bien
un magicien.' »2
L'orientation par la révélation est le plus haut degré de
l'orientation par laquelle Dieu guide l'être humain.
Il existe aussi une orientation naturelle universelle, celle
à laquelle faisait allusion le savant qui a dit, comme on lui
demandait depuis quand il possédait la faculté de comprendre :
« Depuis que ma mère m'a mis au monde : je me suis mis à téter
le sein, et lorsque j'avais mal je pleurais ! »
Cette orientation naturelle n'est pas particulière à l'être
humain : on la trouve chez tous les animaux, les oiseaux, les
insectes ; le Coran la décrit, à propos des abeilles, comme une
inspiration divine : « Et ton Seigneur a inspiré aux abeilles :
`Prenez des demeures dans les montagnes, dans les arbres et
dans les constructions.' » 3 Tous les éléments de l'univers sont
ainsi guidés : depuis les plantes qui tirent leur nourriture des
constituants du sol selon des proportions précises et
prédéterminées, jusqu'aux planètes dont chacune vogue sans
jamais dépasser son orbite, selon des lois jamais enfreintes : « Il
i
Sourate al-A'râf, « Les murailles », versets 61-63.
2
Sourate Yoûnous, « Jonas », verset 2.
' Sourate an-Nahl, « Les abeilles », verset 68.
45
ne convient pas au soleil de rattraper la lune, pas plus que la
nuit ne devance le jour ; chacun vogue dans une orbite. » 1
Dieu oriente et guide toutes les créatures, des plus nobles
aux plus infimes : d'où la réponse de Moïse au Pharaon,
évoquée par le Coran : « 'Qui est donc votre Seigneur, ô
Moïse ?' Il dit : `Notre Seigneur est Celui qui a donné à
chaque chose sa nature puis l'a dirigée'. » 2
Dieu dit : « Glorifie le nom de ton Seigneur, le Très-
Élevé, Lui qui a créé et agencé harmonieusement, décrété et
guidé. » 3
Le second degré d'orientation divine est fondé sur la
perception sensorielle (l'ouïe, la vue, l'odorat, le goût) et les
sensations instinctives (la faim, la soif, le désir sensuel, la
tristesse). Ce degré d'orientation est plus élevé que le degré
précédent, puisqu'il implique une attention et une forme
d'appréhension de la réalité, même si cette perception n'est pas
exempte d'erreur, comme dans le cas du mirage que
l'observateur imagine être de l'eau, ou de l'ombre qui paraît
immobile alors qu'elle se déplace.
Le troisième degré d'orientation est fondé sur la raison
avec ses pouvoirs et ses capacités divers. Ce degré est supérieur
à celui de la perception sensorielle, quoique la raison s'appuie
largement sur les sens pour juger et déduire et soit par
conséquent exposée à l'erreur, tout comme elle est susceptible
de se tromper en organisant les hypothèses et en tirant les
conclusions. La raison, par les opérations qu'elle effectue, est la
caractéristique la plus élevée de l'être humain et celle qui le
distingue des animaux.
46
Le quatrième degré est celui de l'orientation par la
révélation : c'est elle qui permet de corriger les erreurs de la
raison humaine, de dissiper les illusions des sens, de tracer la
voie à laquelle la raison seule ne peut aboutir et de trancher les
différends sur lesquels les esprits ne parviennent pas à
s'accorder.
« Les gens formaient une seule communauté. Puis
Dieu envoya les messagers pour porter la bonne nouvelle et
avertir, et Il révéla avec eux l'Ecriture avec la vérité afin de
juger entre les gens au sujet de leurs divergences. Ceux-là
mêmes à qui elle avait été donnée divergèrent à son sujet
après que les preuves décisives leur étaient parvenues, par
esprit de rivalité. Dieu guida alors ceux qui croyaient vers la
Vérité sur laquelle ceux-là divergeaient, avec Sa permission.
- Dieu guide qui Il veut vers une Voie droite. » 1
« Nous avons certes envoyé Nos messagers avec les
preuves décisives et Nous avons révélé avec eux l'Ecriture et
la Balance afin que les gens pratiquent l'équité. » 2
« Des messagers pour porter la bonne nouvelle et
avertir, afin que les gens ne puissent plus, après la venue des
messagers, opposer d'argument à Dieu. »3
Croire à la prophétie et à la révélation divine comporte
de nombreuses implications :
1. Cela implique de croire à l'infinie sagesse et à l'infinie
miséricorde de Dieu. En effet, c'est cette sagesse et cette
miséricorde qui requièrent que les êtres humains ne soient
pas laissés à l'abandon, qu'ils n'encourent pas de
châtiment avant d'avoir reçu un message porteur de bonne
nouvelle et d'avertissement et qu'ils ne soient pas laissés à
47
leurs différends sans pouvoir se référer à un jugement
décisif :
« L'être humain croit-il être laissé à
l'abandon ? » 1
48
polythéistes. Dieu élit qui Il veut et guide vers Lui celui
qui revient contrit. » 1
49
comme messager ? » 1 Dieu leur répondit alors : « Dis : si
la terre était peuplée d'anges marchant tranquillement,
Nous leur aurions certes fait descendre du ciel un ange
comme messager. »2
Selon le Coran, les prophètes ne sont ni des dieux, ni des
demi-dieux, ni des fils de dieux : ce sont tout simplement des
êtres humains comme nous, auxquels Dieu a octroyé la grâce de
la révélation afin qu'ils transmettent Son message à l'humanité :
« Leurs messagers leur dirent : certes, nous ne sommes que
des êtres humains comme vous, mais Dieu octroie Sa faveur
à qui Il veut parmi Ses serviteurs. Il ne nous appartient pas
de vous apporter de preuve, sinon par la permission de
Dieu : que les croyants placent donc leur confiance en
Dieu. » 3
La foi en l'Au-delà
La vie de l'être humain se réduit-elle à ce bas-monde ?
Est-ce que l'homme ne naît que pour être avalé par la terre ? Ou
encore, comme le Saint Coran le fait dire à un peuple, est-ce que
vraiment : « Il n'y a que notre vie de ce monde, nous mourons
et nous vivons et nous ne serons pas ressuscités » 4 ?
D'où vient alors ce sentiment instinctif, caché au
tréfonds de chaque coeur humain depuis la nuit des temps, qui
nous fait pressentir que nous n'avons pas uniquement été créés
pour cette vie, pour cette période si brève ? Comment expliquer
que l'être humain se sente, dans cette vie, comme un étranger ou
un passant, comme un visiteur qui partira bientôt pour sa
demeure permanente ?
50
Ce sentiment existait chez les anciens Égyptiens et les
poussait à momifier les morts et à édifier les pyramides, tout
comme il s'est manifesté chez de nombreux peuples de diverses
manières.
Le cheikh Mohammed `Abdouh a dit : « Tous les êtres
humains, monothéistes ou idolâtres, prophètes ou philosophes -
sauf un nombre insignifiant - se sont toujours accordés à
considérer que l'âme humaine possède une permanence qui fait
qu'elle continue à vivre une fois qu'elle a quitté le corps, qu'elle
ne meurt pas définitivement, de sorte que la mort inévitable
n'est qu'une forme de disparition ou d'occultation ; et cela,
malgré les différences dans leur vision de cette permanence et de
sa réalisation et dans leur approche de l'argumentation à ce
propos. Ainsi, certains croient à la réincarnation perpétuelle de
l'âme à travers d'autres êtres humains vivants ou à travers des
animaux, d'autres pensent que cette réincarnation prend fin
lorsque l'âme atteint le plus haut degré de perfection ; d'autres
encore disent qu'une fois que l'âme a quitté le corps, elle
retourne à son état immatériel tout en conservant ce qui fait son
plaisir ou sa misère, tandis que pour d'autres elle s'attache à des
corps éthérés plus légers que nos corps visibles...
Ce sentiment général de l'existence d'une vie après cette
vie, présent à toutes les époques chez tous les êtres humains quel
que soit leur degré de connaissance ou la nature de leur
civilisation, ne peut être considéré comme une simple vue de
l'esprit ni comme un produit de l'imagination : il fait au
contraire partie des inspirations qui sont le propre de l'espèce
humaine. De même qu'il a été inspiré à l'être humain que son
esprit et sa pensée sont le fondement de sa survie ici-bas - même
si quelques penseurs marginaux ont nié cela ou l'ont mis en
doute — il a été inspiré à l'esprit humain, et ce sentiment a été
placé dans les coeurs, que l'existence humaine n'est pas limitée à
cette brève vie mais que l'être humain se départit de ce corps
comme on ôte un vêtement pour atteindre ensuite une autre
51
étape où il vivra éternellement, bien qu'il soit incapable d'en
pénétrer le secret.
Ce sentiment inspiré possède une force dépassant
presque celle de l'évidence : il fait comprendre à chacun qu'il a
été créé avec une âme prête à recevoir certaines connaissances
immenses, par des voies indéfinissables, une âme aspirant à des
délices infinis et sans limite, préparée à des degrés de perfection
que ne sauraient cerner les catégories connues. »
En outre, comment l'esprit pourrait-il accepter que le
grand marché qu'est cette vie prenne fin, alors que certains ont
pillé ou volé, que d'autres ont tué ou ont été des agresseurs ou
des oppresseurs, sans que les coupables ne soient châtiés... alors
qu'au contraire, ils ont pu non seulement commettre leurs crimes
impunément, mais encore soumettre les autres à leur puissance
et à leur tyrannie ?
Par ailleurs, combien de gens ont bien agi, ont lutté et se
sont sacrifiés, sans être récompensés pour leurs actions, soit
parce qu'ils étaient des soldats inconnus, soit parce que l'envie
et la haine ont poussé les autres à les renier au lieu de
reconnaître leur mérite, soit encore parce que la mort les a
atteints avant qu'ils n'aient récolté les fruits de leurs bonnes
actions. Combien de gens ont appelé au bien, y ont oeuvré et
l'ont défendu, mais ont rencontré l'opposition des injustes, ont
subi des dommages, ont dû supporter la torture, la répression et
l'exil puis sont morts, alors que leurs ennemis, les tyrans, vivent
en toute sécurité et même se complaisent dans le luxe...
Ne semble-t-il pas plus logique à l'esprit qui croit à la
justice du Dieu unique, ne lui semble-t-il pas inévitable, qu'il
existe une autre vie où les bons seront récompensés pour leurs
bonnes actions, et les mauvais punis pour leurs crimes ? C'est
cette vérité qu'exprime la sagesse régissant chaque atome des
cieux et de la terre : « Nous n'avons pas créé les cieux et la
terre et ce qui est entre eux par divertissement ; Nous ne les
avons créés qu'en toute vérité, mais la plupart d'entre eux
52
ne savent pas. Le jour de la Décision sera leur rendez-vous à
tous. » 1
« Nous n'avons pas créé sans but les cieux et la terre
et ce qui est entre eux ; c'est ce que s'imaginent les
mécréants : malheur aux mécréants à cause du Feu !
Traiterons-Nous donc ceux qui ont cru et fait le bien comme
ceux qui ont semé la corruption sur terre, ou traiterons-Nous
les gens pieux comme les pervers ? » 2
« Ceux qui ont fait le mal pensent-ils donc que nous
les traiterons comme ceux qui ont cru et fait le bien, leur vie
étant pareille à leur mort ? Quel mauvais jugement ! Dieu a
créé les cieux et la terre en toute vérité, afin que chacun soit
rétribué pour ce qu'il aura acquis, sans qu'ils ne soient
lésés. » 3
« C'est à Dieu qu'appartient ce qui est dans les cieux
et sur la terre afin qu'Il rétribue ceux qui ont mal agi selon
leurs actions et qu'Il rétribue ceux qui ont bien agi d'une
très belle récompense. » 4
Enfin, ressusciter les hommes après leur mort n'est
nullement difficile à Celui qui les a créés une première fois :
« C'est Lui qui commence la Création puis la renouvelle, -
cela Lui est très facile. Il possède la transcendance absolue
dans les cieux et sur la terre : c'est Lui le Puissant, le
Sage. » 5
Le Coran évoque cette première création pour prouver
que la résurrection est possible ; il invoque également comme
preuve les manifestations de la toute-puissance divine dans le
monde végétal : « Ô êtres humains ! Si vous êtes dans le doute
53
au sujet de la résurrection, sachez que Nous vous avons créés
de poussière, puis d'une goutte de semence, puis d'une
adhérence, puis d'un morceau mâché formé et non formé, -
cela afin de vous expliquer. Nous établissons dans les
matrices ce que Nous voulons jusqu'à un terme fixé, puis
Nous vous faisons sortir sous forme d'enfants, pour
qu'ensuite vous atteigniez votre maturité. Tel d'entre vous
mourra ; tel autre parviendra à l'âge de la décrépitude de
sorte qu'il ne saura plus rien de ce qu'il savait auparavant.
Tu vois la terre desséchée, et lorsque Nous y faisons
descendre l'eau elle se meut, elle gonfle et elle fait pousser
une végétation luxuriante de toutes espèces. Il en est ainsi
parce que Dieu est la Vérité, qu'Il fait revivre les morts et a
pouvoir sur toute chose. Parce que l'Heure viendra sans
aucun doute, et que Dieu ressuscitera ceux qui sont dans les
tombes. » 1
Le Coran évoque également, pour prouver que la
résurrection est possible, la création de l'univers, des vastes
corps des cieux et de la terre, une création qui, si on y réfléchit,
est bien plus extraordinaire et plus considérable que la création
de l'être humain :
« Celui qui a créé les cieux et la terre ne serait-Il pas
capable de créer leur pareil ? Mais si ! Il est le Créateur par
excellence, l'Omniscient. » 2
« Ne voient-ils pas que Dieu, qui a créé les cieux et la
terre sans que leur création ne Le fatigue, est capable de
faire revivre les morts ? Mais si ! Il a pouvoir sur toute
chose. » 3
Après la résurrection vient le jugement, où le compte
exact des actions des hommes est effectué en toute équité : « Ce
54
jour-là, chaque âme sera rétribuée selon ce qu'elle aura
acquis ; pas d'injustice ce jour-là : Dieu est prompt dans Ses
comptes. » 1
« Nous poserons les balances exactes le Jour de la
Résurrection. Aucune âme ne sera lésée en rien : ne serait-ce
que le poids d'un grain de moutarde, nous le ferons venir.
Nous suffisons pour dresser les comptes. » 2
C'est alors que les hommes sont partagés entre les
bienheureux et les damnés :
« Les damnés seront en Enfer, où ils connaîtront les
gémissements et les sanglots ; ils y demeureront immortels
aussi longtemps que dureront les cieux et la terre, à moins
que ton Seigneur ne veuille autrement : ton Seigneur fait
absolument ce qu'Il veut. Les bienheureux seront au Paradis
où ils demeureront immortels aussi longtemps que dureront
les cieux et la terre, à moins que ton Seigneur ne veuille
autrement, - ce sera un don ininterrompu. » 3
Le Paradis est une demeure que Dieu a préparée pour le
repos de Ses serviteurs vertueux et où Il les comblera de
bonheurs spirituels et matériels, qu'Il évoque en ces termes dans
le hadîth goudousi : « J'ai préparé pour Mes serviteurs vertueux
ce que nul oeil n'a vu, que nulle oreille n'a entendu et que nul
homme n'a imaginé », - récitez, si vous le voulez, la Parole de
Dieu : « Nul être ne sait quelle joie leur est gardée en réserve
en récompense de ce qu'ils faisaient. » 5
55
La vie au Paradis est la vie véritable, et l'esprit humain
est impuissant à imaginer les bonheurs qu'il renferme. Le
bonheur du Paradis n'est ni purement spirituel, ni uniquement
matériel : c'est un mélange des deux. En effet, l'homme lui-
même n'est ni purement esprit, ni uniquement matière, mais est
composé des deux ; et l'homme dans l'Au-delà est le
prolongement de l'homme ici-bas, malgré les différences
qualitatives et de détail. Il n'est donc pas étonnant que le Paradis
contienne des fruits, de la chair d'oiseaux et des houris aux
grands yeux, « et la satisfaction de Dieu est plus grande
encore ».
56
Caractéristiques de la foi islamique
57
la création de Dieu -. Voilà la religion droite - mais la
plupart des gens ne savent pas. » 1
De même, le Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) a dit : « Chaque nouveau-né porte en lui à sa
naissance la pureté naturelle (c'est-à-dire l'islam), mais ce sont
ses parents qui le rendent juif, chrétien ou zoroastrien. »2
Ce hadîth indique que l'islam correspond à la nature que
Dieu a placée en l'être humain et ne nécessite pas l'influence des
parents, tandis que les autres religions, comme le judaïsme, le
christianisme ou le Zoroastrianisme, sont inculquées par les
parents.
58
l'islam ne les reconnaît absolument pas et elles ne sauraient
servir d'arguments à son encontre.
' Sourate al-Baqara, «La vache », verset 111 ; sourate an-Narnl, « Les
fourmis », verset 64.
59
« afin qu'Il rétribue ceux qui ont mal agi selon leurs actions
et qu'Il rétribue ceux qui ont bien agi d'une très belle
récompense. » i
60
Inversement, elle est exempte de l'anthropomorphisme et
de la personnification où sont tombées d'autres religions comme
le judaïsme, où le Créateur est placé au même niveau que Ses
créatures humaines, étant décrit comme sujet au sommeil, à la
fatigue et au besoin de repos, comme capable de partialité, de
favoritisme ou de cruauté. On y évoque même une rencontre
entre Dieu et un prophète, donnant lieu à une lutte où le
Seigneur n'a pas pu se défaire du prophète tant qu'Il ne lui a pas
octroyé un nouveau nom !
La foi islamique, au contraire, affirme expressément que
Dieu est exempt de toute ressemblance à Ses créatures : « Rien
n'est semblable à Lui, Il est Celui qui entend et qui voit
parfaitement. » 1 « Nul n'est égal à Lui. » 2
En même temps, elle le décrit clairement par des attributs
positifs et actifs :
« Dieu ! Il n'y a pas d'autre divinité que Lui, le
Vivant, l'Immuable. Il n'est pas sujet à la somnolence ni au
sommeil. Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre Lui
appartient. Qui donc intercède auprès de Lui, si ce n'est par
Sa permission ? Il sait ce qui est devant eux et ce qui est
derrière eux, tandis qu'ils ne peuvent rien appréhender de
Son savoir, hormis ce qu'Il veut. Son Trône s'étend aux
cieux et à la terre ; leur préservation ne Le fatigue en rien ;
Il est l'Élevé, l'Immense. »3
« En vérité, la rigueur de ton Seigneur est terrible.
C'est Lui qui commence et qui renouvelle. C'est Lui le
Pardonneur, l'Affectueux, le Maître du Trône, le Glorieux. Il
réalise parfaitement ce qu'Il veut. » 4
61
Cette foi se situe au juste milieu entre, d'une part,
l'acceptation naïve qui consiste à recevoir par héritage les
croyances des ancêtres au même titre que leurs terres et leurs
biens, « Nous avons trouvé nos ancêtres suivant une voie et
nous marchons sur leurs traces »', et d'autre part l'attitude de
ceux qui voudraient pénétrer le secret de toute chose, même de
la divinité, alors même qu'ils sont incapables de connaître le
secret de leur propre être, la nature de leur vie et de leur mort, ni
de percer le secret d'aucune des forces cosmiques qui les
entourent. — Comment alors l'esprit pourrait-il espérer connaître
la nature de la divinité ? Le relatif pourrait-il connaître l'absolu,
et le fini pourrait-il connaître la réalité de l'infini ?
Pourtant, elle ouvre la porte à la contemplation de
l'univers et à la réflexion à son propos. Le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) a dit : « Réfléchissez à la
création de Dieu et ne réfléchissez pas à propos de Dieu car vous
seriez perdus. » 2
62
« Et il y a sur la terre des signes pour ceux qui croient
fermement, ainsi qu'en eux-mêmes ; ne voyez-vous donc
pas?»t
63
s'il s'agit de parents très proches : « Tu ne trouveras pas de
gens croyant en Dieu et au Jour dernier qui se lient d'amitié
avec ceux qui s'opposent à Dieu et à Son prophète, seraient-
ils leurs pères, leurs fils, leurs frères ou appartiendraient-ils
à leur clan. »'
Toutefois, elle tend une main charitable et secourable à
ceux qui, tout en ayant un point de vue différent du sien, ne lui
manifestent pas d'hostilité : « Dieu ne vous interdit pas d'être
bons et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus
à cause de votre religion et qui ne vous ont pas chassés de
vos maisons. Dieu aime ceux qui sont équitables. » 2
De même, elle se situe au juste milieu entre d'une part
ceux qui acceptent trop facilement les croyances et admettent les
conjectures, les doutes et les suppositions, ce qui ouvre la voie à
l'acceptation des légendes et fables de toutes sortes, et, d'autre
part, ceux qui veulent absolument préserver la foi de toute
pensée fugace ou de toute imagination passagère.
L'islam rejette les conjectures au sujet des fondements de
la foi, tout comme il rejette les doutes et les suppositions ; Dieu
dit :
« La plupart d'entre eux ne suivent que la
conjecture : mais la conjecture ne sert à rien contre la
vérité. »3
« Ce ne sont que des noms que vous avez inventés,
vous et vos ancêtres ; Dieu n'a apporté aucune preuve à leur
sujet. Ils ne suivent que la conjecture et les passions de
l'âme. »;
64
« Ils n'en ont aucune connaissance, ils ne suivent que
la conjecture ; mais la conjecture ne sert à rien contre la
vérité. » 1
Cependant, l'islam est indulgent devant les pensées
auxquelles l'esprit humain ne peut échapper, allant même
jusqu'à considérer qu'elles sont parfois la marque d'un esprit
éveillé, porteur d'une foi sereine et d'une connaissance certaine.
Un des Compagnons a dit : « Envoyé de Dieu, nous trouvons
parfois en nous des pensées telles que nous préférerions devenir
du charbon brûlé plutôt que d'en parler », - faisant allusion aux
idées qui peuvent traverser l'esprit sur les questions relatives au
divin. Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
répondit clairement et fermement : « Qu'importe que vous ayez
de telles pensées ? Elles sont l'expression de la foi. »2
Al-Hâkim rapporte qu'Ibn `Abbâs et Ibn `Omar se
rencontrèrent et qu'Ibn `Abbâs demanda à Ibn `Omar : « Quel
verset du Livre de Dieu est le plus porteur d'espérance ? » Ibn
`Omar répondit : « La Parole de Dieu : « Et lorsqu'Abraham
dit : `Seigneur, montre-moi comment Tu fais revivre les
morts.' Il lui dit : `Ne crois-tu donc pas ?' Il dit : `Mais si,
mais c'est pour tranquilliser mon coeur.' » 3 Dieu a été satisfait
de lui grâce à la réponse `Mais si'. Cela est valable lorsque les
chuchotements du démon surviennent dans le coeur. »
De tels chuchotements du démon sont vite dissipés par
l'inspiration du Seigneur dans le coeur du croyant ; ce ne sont
que des pensées fugaces, des idées sans fondement qui passent
puis disparaissent lorsqu'on se soumet totalement à Dieu, qu'on
s'attache fermement à Son enseignement et qu'on récite Ses
versets : « Quiconque s'attache fermement à Dieu est certes
65
guidé vers une voie droite. » 1 « Quiconque soumet son être à
Dieu tout en faisant le bien a certes saisi l'anse la plus solide.
L'issue de toute chose appartient à Dieu. » 2
La foi islamique se situe encore au juste milieu en ce qui
concerne le statut des prophètes. Elle n'élève pas les prophètes
au rang du divin, de sorte que les gens se tourneraient vers eux
pour les adorer ou les faire intervenir pour eux auprès de Dieu,
comme les adeptes d'autres religions l'ont fait avec leurs
prophètes. Elle ne les abaisse pas non plus au niveau des pires
des hommes, leur attribuant des actes immoraux et des
comportements répréhensibles comme de boire du vin, de
s'abandonner aux passions, d'aller même jusqu'à tuer pour les
satisfaire, comme dans les récits de l'Ancien Testament au sujet
des prophètes.
Les prophètes sont uniquement, selon la foi islamique,
des êtres humains purs à qui Dieu, connaissant leur nature
généreuse et leur aptitude à cette mission, a choisi de révéler
3
Son message : « Dieu sait mieux où placer Son message. » Il
en a fait des modèles pour leurs adeptes et les a gardés exempts
des péchés et des fautes, afin que cette menace de Dieu ne puisse
leur être adressée : « Commanderez-vous aux gens la bonté
pieuse en vous oubliant vous-mêmes, alors que vous récitez
l'Écriture ? Ne comprenez-vous donc pas ? »4 – et afin qu'ils
soient dignes de la promesse de Dieu : « Il dit : Mon
engagement ne s'applique pas aux injustes. » 5
Elle se situe au juste milieu en ce qui concerne la
question de la volonté humaine, du déterminisme et du libre-
arbitre, cette question sur laquelle la raison humaine a tant de
mal à formuler une opinion et dont les philosophes, les
66
moralistes, les psychologues et les pédagogues n'ont cessé de
débattre depuis l'aube de la philosophie jusqu'à nos jours.
La foi islamique représente à ce sujet la position
équilibrée, conforme à l'intuition de tout esprit sain comme à la
réalité manifeste. L'être humain, à l'intérieur du cercle des
actions où s'exerce son libre-arbitre, est libre et responsable de
lui-même et de ses actes ; il peut accomplir les actions ou s'en
abstenir, avancer ou s'en détourner, comme en témoignent
l'évidence et les sens et comme le rappellent les textes du
Coran :
67
au destin la responsabilité de leur idolâtrie et de leurs fautes et
arguent que cela provient de la volonté de Dieu :
« Les idolâtres diront : Si Dieu l'avait voulu, nous et
nos pères, nous n'aurions pas été idolâtres et nous n'aurions
rien déclaré illicite. Ainsi ceux qui les ont précédés criaient-
ils au mensonge, jusqu'au moment où ils ont goûté Notre
rigueur. Dis : Avez-vous quelque savoir à nous exhiber ?
Vous ne suivez que des conjectures et vous ne faites que
supposer. » 1
« Les idolâtres ont dit : Si Dieu l'avait voulu, nous et
nos pères n'aurions adoré que Lui et nous n'aurions pas
respecté d'autres interdits que les Siens. C'est ainsi
qu'agissaient ceux qui les avaient précédés. Qu'incombe-t-il
aux prophètes, sinon de transmettre clairement le
message ? » 2
« Lorsqu'on leur dit : `Dépensez en aumônes de ce
que Dieu vous a dispensé', ceux qui mécroient disent à ceux
qui croient : `Nourrirons-nous quelqu'un que Dieu aurait
nourri s'Il l'avait voulu ? Vous n'êtes que dans un
égarement manifeste.' » 3
Mais l'être humain ne dispose pas non plus, la réalité
l'atteste, d'une volonté totalement libre, d'un libre-arbitre absolu
qui lui permettrait de faire ce qu'il voudrait et de réaliser tous
ses désirs, car si tel était le cas il serait un dieu.
Personne, même le plus ardent défenseur de la liberté
humaine, ne peut nier que la volonté de l'être humain est
limitée. Certains ont souligné le rôle de l'hérédité, de
l'environnement ou des deux à la fois ; certains ont déclaré que
« l'homme est libre à l'intérieur d'un ensemble de contraintes ».
68
Le matérialisme dialectique considère même que la liberté
humaine est limitée par les moyens de production et les
phénomènes économiques, de sorte qu'il ramène l'être humain
au plus bas degré du déterminisme en voyant en lui l'esclave des
phénomènes matériels, et non pas, comme l'affirme le Coran, un
maître auquel le monde matériel est assujetti.
Cette réalité unanimement reconnue est affirmée par le
Coran sous une forme plus favorable à l'honneur et à la dignité
de l'homme. En effet, le Coran affirme que l'homme est libre à
l'intérieur du cercle des lois de l'existence définies par Dieu et
par lesquelles Dieu, dans Sa science, Sa sagesse et Sa volonté
absolues, régit tous les éléments de l'univers, y compris l'être
humain. L'être humain est donc libre parce que Dieu a voulu lui
donner la liberté ; il veut parce que Dieu l'a déterminé en lui
donnant la volonté, — « mais vous ne voudrez qu'autant que
Dieu veuille ». 1
Tout en affirmant la liberté de la volonté humaine, le
Coran rappelle donc également l'autre aspect, celui de la volonté
souveraine, du pouvoir absolu de Dieu :
« Si ton Seigneur l'avait voulu, tous ceux qui sont sur
la terre auraient cru. » 2
« Ne dis jamais de quelque chose : `Je ferai cela
demain', sans ajouter : `Si Dieu le veut'. » 3
« Ton Seigneur dispense largement Ses dons à qui Il
veut ou les mesure. » 4
« Il égare qui Il veut et Il guide qui Il veut. » 5
« Dis : Tout vient de Dieu. » 1
69
Le Coran prend donc en compte tous les aspects de la
réalité, sans sous-estimer la toute-puissance divine ni restreindre
le rôle de l'être humain. L'ampleur et la globalité de sa vision
assurent la portée universelle de ce Livre, en tout temps et en
tout lieu.
Le Professeur Mohammed `Abd al-Hâdî Aboû Rayda
écrit :
« Le Coran s'adresse à l'humanité tout entière, il
s'applique à toutes les catégories d'êtres humains et exprime
parfaitement cela. Ainsi, le pieux dévot qui éprouve le sentiment
profond de n'être qu'une créature et qui, voulant renoncer à son
propre pouvoir, attribue tout bien à Dieu et tout mal à lui-même,
ou qui attribue tout à Dieu sur le plan métaphysique plutôt que
matériel, trouvera dans le Coran de quoi justifier son attitude,
comme par exemple : « Tout bien qui t'atteint vient de Dieu,
tout mal qui t'atteint vient de toi-même » 2 , « Dis : Tout vient
de Dieu. » 3
Le croyant pieux qui est fier de faire le bien tout en
reconnaissant sa responsabilité dans le mal qu'il fait, y trouvera
de quoi conforter sa conscience de sa propre volonté et
confirmer la justice qu'il pressent, comme par exemple :
« Quiconque fait le bien le fait pour lui-même, et
quiconque fait le mal le fait contre lui-même. » 4
« Quiconque aura fait le poids d'un atome de bien le
verra, et quiconque aura fait le poids d'un atome de mal le
verra. » 5
70
Le pécheur qui s'est fait du tort à lui-même y trouvera,
s'il se repent et revient à Dieu d'un coeur contrit, de quoi apaiser
son désespoir et le rassurer sur son sort, comme par exemple :
« Dis : Ô mes serviteurs qui avez commis des excès à votre
propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde de
Dieu : Dieu pardonne tous les péchés, c'est Lui le
Pardonneur, Celui qui est plein de miséricorde. » 1
Celui qui porte sur le monde une vision métaphysique
profonde y trouvera de quoi conforter sa vision...
Le perdant qui prétend être ruiné et n'être destiné qu'au
mal et à la peine y trouvera également de quoi confirmer sa
description de sa situation...
Ainsi, le Coran ne s'adresse pas aux esprits bornés ou à
ceux qui s'obstinent à n'envisager les choses que sous un seul
angle et à ne considérer qu'une chose : il s'adresse à une
humanité évoluée, poursuivant son évolution vers la perfection,
vers la pensée, vers une vision unifiée. » 2
71
Comment la foi influence la vie de
l'individu
72
Mais l'individu aspire également à autre chose, que tous
les êtres humains recherchent éperdument. Il aspire au bonheur,
qu'il voudrait atteindre dans cette vie et non pas seulement dans
l'Au-delà. Il ne veut pas passer le peu de temps qui lui est
imparti ici-bas dans la peine et la misère. Il veut vivre en
jouissant de la paix intérieure, le coeur serein ; il veut éprouver
au plus profond de lui-même un sentiment de sécurité et de
satisfaction ; il veut voir l'espoir éclairer les horizons de sa vie
et un grand amour inonder de lumière le moindre recoin de son
existence ici-bas.
Telles sont les plus grandes aspirations de l'être humain
équilibré, pour lui-même comme pour les siens et pour tous les
gens qu'il aime.
Quant aux marginaux qui ne veulent vivre que pour
manger et jouir de ce monde comme les animaux, pour périr
ensuite, toujours comme des animaux ; quant à ceux qui veulent
vivre comme des loups et des rapaces, ne voulant qu'agresser,
violenter, dominer, ne connaissant que la loi du plus fort, et
trouvant en cela du plaisir ; quant à ceux-là et à leurs pareils, ils
ne sauraient être représentatifs de tous les êtres humains.
Et pourtant, il arrive que l'un d'entre eux se réveille, se
demande où est son âme, où est son être, et se mette à
rechercher, avec les êtres humains normaux, la dignité et la
force, le bonheur et la sérénité, toutes ces hautes valeurs
humaines sans lesquelles l'être humain ne peut se trouver lui-
même, ne peut trouver goût à la vie, ne peut éprouver le
sentiment que son existence possède un sens ou une valeur.
La foi joue-t-elle un rôle dans la vie de l'individu qui lui
permette de réaliser ces nobles idéaux et ces buts profonds ?
C'est à cette question que nous tenterons de répondre, si
Dieu le veut, dans les pages qui vont suivre.
73
La foi et la dignité humaine
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Voilà ce que nous apprend l'astronomie moderne, et
nous savons depuis Copernic que l'être humain n'est qu'un
point minuscule dans ce vaste univers. Telle serait donc la place
de l'être humain.
Quant à l'histoire, les darwinistes et les géologues nous
affirment que l'homme n'y représente également qu'un point
insignifiant. Si la terre est âgée de centaines de millions
d'années, quelle peut être la valeur d'un siècle, ou même de
plusieurs siècles, de l'histoire humaine ?
Voilà donc comment les matérialistes envisagent la place
de l'être humain dans l'univers et son rôle dans l'histoire. Ils ne
considèrent pas, comme d'autres le font, qu'il est un être à part
possédant « le souffle divin » ou « une âme douée de parole » :
l'homme n'est, selon eux, rien de plus que cette structure
matérielle, ce corps animal.
Et quelle est la valeur de ce corps qui constitue l'être
humain ?
« Un savant a réduit le corps de l'être humain à ses
constituants fondamentaux et est parvenu au résultat suivant :
Si nous prenons un homme de soixante-dix kilos et que
nous examinons de quoi il est constitué, nous nous apercevrons
que son corps comprend les matériaux suivants :
Une quantité de graisse suffisante pour fabriquer sept
savonnettes.
Une quantité de carbone suffisante pour fabriquer sept
crayons.
Une quantité de phosphore suffisante pour fabriquer les
bouts de cent vingt allumettes.
Une quantité de sel de magnésium correspondant à une
seule dose de purge.
Une quantité de fer qui pourrait servir à fabriquer un clou
de taille moyenne.
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Une quantité de chaux qui suffirait à blanchir un
poulailler.
Une quantité de souffre qui suffirait à débarrasser un seul
chien de ses puces.
Une quantité d'eau suffisante pour remplir un tonneau de
quarante litres !
Tous ces matériaux peuvent être achetés n'importe où à
un prix modique. Voilà quelle est la valeur matérielle de l'être
humain ! » 1
II n'y a là ni âme, ni souffle divin qui distingue cet être
unique !
Un auteur athée arabe contemporain dit encore :
« Sommes-nous une idée plus que ne le sont les
insectes ? Notre valeur ne dépasse pas celle de notre personne, et
on peut en dire autant des insectes. Nous ne voulons rien de plus
que nous réaliser nous-mêmes, et on peut aussi en dire autant
des insectes !
La différence entre nous et les insectes n'est qu'une
question de supériorité ; et le degré de supériorité qui nous
sépare des animaux les plus élevés ne dépasse guère le degré de
supériorité qui sépare l'insecte le plus vil de l'animal le plus
élevé.
Que perdons-nous, que perd l'univers ou que perdent le
soleil et la lune, lorsque nous disparaissons ? »
La conception de l'homme de Darwin, de Freud ou
d'autres matérialistes ne vaut guère mieux que celle énoncée ci-
dessus. L'homme est pour eux de même nature que les insectes,
il n'est qu'un descendant du singe ! Leur vision superficielle de
l'être humain s'arrête à l'enveloppe extérieure, ils ne voient en
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lui rien de plus que l'argile et la boue infecte : l'homme est une
créature naturellement attirée par tout ce qui est vil plutôt qu'un
être habité de nobles aspirations ; sa nature le porte à s'abaisser
vers la terre plutôt qu'à s'élever vers les cieux. Bref, l'homme
est « un animal évolué », il s'est élevé progressivement d'un état
à un autre jusqu'à atteindre son état actuel. Pour les
matérialistes, l'homme se résume tout entier dans sa nature
animale.
Quelle suggestion pourrait avoir un effet plus nocif que
celle-ci sur l'âme humaine ? Si l'homme se considère comme
une créature vile, un animal fait de terre et de boue, il ne
s'étonne pas alors d'être bas, impur et trivial, il ne se retient pas
de se vautrer dans la souillure et dans la boue et de s'en maculer
totalement. Il est alors plutôt étonnant de le voir rechercher
l'innocence et la pureté, vivre propre en s'élevant au-dessus des
désirs et des aspirations matérielles, lutter de ses biens et de sa
personne dans la voie de la vérité sans autre but que la
satisfaction divine !
Par contre, aux yeux des croyants, l'être humain est une
créature honorée de Dieu. Son Seigneur l'a créé sous la
meilleure des formes, Il l'a modelé harmonieusement, l'a
façonné et lui a insufflé de Son esprit. Il a ordonné à Ses anges
de se prosterner devant lui, Il l'a distingué en lui octroyant la
connaissance et la volonté. Puis Il en a fait Son lieutenant sur la
terre, le centre de l'activité du monde, Il lui a assujetti tout ce
qui est dans les cieux et sur la terre et l'a comblé de Ses bienfaits
apparents et cachés. Tout ce qui se trouve dans l'univers est à
son service, tandis que lui-même a été créé pour servir Dieu.
Dieu dit dans des hadîth goudousî : « Enfant d'Adam,
c'est pour Moi que Je t'ai créé et c'est pour toi que J'ai créé
toute chose. Tu me dois de ne pas laisser ce que J'ai créé pour
toi te détourner du but pour lequel Je t'ai créé. » « Enfant
d'Adam, c'est pour Moi que je t'ai créé : ne badine pas. C'est
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Moi qui Me suis chargé de ta subsistance : ne t'épuise pas.
Enfant d'Adam, implore-Moi et tu Me trouveras : si tu Me
trouves tu auras tout trouvé, mais si Je t'échappe tout t'aura
échappé. Je te suis préférable à toute chose. »
Certes, l'être humain est physiquement bien peu de chose
par rapport à l'immensité de l'univers, mais il est grand par son
âme et son entité morale. Or, l'être humain est-il en réalité autre
chose que cette âme et cette entité morale ?
Comme le dit si bien le poète :
« Ton remède est en toi et en ta vision / et ton mal est en
toi et en tes sentiments
Tu prétends n'être rien qu'un point insignifiant / alors
que tu contiens cet immense univers »
Certes, la durée de vie de l'homme sur cette terre fait de
lui un point minuscule dans l'immensité des époques
géologiques remontant jusqu'à la nuit des temps, si les théories
scientifiques sont justes. Mais les croyants sont convaincus que
la mort ne constitue pas la fin de l'être humain, qu'elle n'est
qu'une transition vers l'éternité qui, elle, n'a pas de fin, vers la
demeure de l'immortalité où les croyants s'entendront dire :
« La paix soit sur vous, vous avez été bons, entrez donc pour
y demeurer éternellement. »'
Si telle est la dignité de l'homme aux yeux de la religion
en général, l'islam en particulier lui accorde une position
d'honneur. Le Coran évoque l'être humain dans des dizaines,
sinon des centaines de versets. Il suffira pour l'instant de
rappeler que les premiers versets révélés par l'Esprit Fidèle au
coeur du Prophète Mohammed (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) n'ont pas manqué d'évoquer la nature de l'être
humain et sa relation avec son Seigneur, qui l'a créé et honoré,
qui le guide et lui dispense Son enseignement. Ces versets
78
emploient le mot rabb, « Seigneur », qui évoque une relation
fondée sur l'éducation, la protection, l'élévation vers la
perfection. Ces premiers versets révélés du Coran sont :
« Lis au nom de ton Seigneur qui a créé, créé l'être
humain d'une adhérence ! Lis, car ton Seigneur est le Très-
Généreux, qui a enseigné par la plume, enseigné à l'être
humain ce qu'il ne savait pas ! » 1
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sans qu'Il ne soit avec eux où qu'ils se trouvent ; puis II les
informera de leurs actions le Jour de la Résurrection. » 1
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
confirme encore cela dans les hadîth où il rapporte les propos de
son Seigneur : « Je suis tel que Mon serviteur M'imagine et Je
suis avec lui lorsqu'il M'invoque : s'il se souvient de Moi en
lui-même, Je Me souviens de lui en Moi-même ; s'il se souvient
de Moi dans une assemblée, Je Me souviens de lui dans une
assemblée plus noble encore ; s'il se rapproche de Moi d'un
empan, Je Me rapproche de lui d'une coudée ; s'il se rapproche
de Moi d'une coudée, Je Me rapproche de lui d'une brasse ; s'il
vient à moi en marchant, Je vais à lui en toute hâte. » 2
Telle est la place d'honneur que Dieu confère à l'être
humain.
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que ce que Tu nous a appris. C'est Toi qui es l'Omniscient,
le Sage.' Dieu dit : `Ô Adam, informe-les de leurs noms.'
Lorsque celui-ci les eut informés de leurs noms, Dieu dit :
`Ne vous ai-Je pas dit que Je connais l'Invisible des cieux et
de la terre et que Je sais ce que vous divulguez et ce que vous
gardez caché ?' » 1
Dieu voulut honorer l'espèce humaine et lui réserver un
accueil qui mettrait en évidence sa place au sein de ces mondes
spirituels. Il ordonna donc aux anges de saluer cet être nouveau
et de se prosterner devant lui en signe de révérence et de
respect :
« Lorsque ton Seigneur dit aux anges : Je vais créer
un être humain d'argile. Lorsque Je l'aurai modelé et que Je
lui aurai insufflé de Mon esprit, tombez prosternés devant
lui. Tous les anges se prosternèrent ; seul Iblîs fit
exception... » 2
Iblîs se rebella contre l'ordre de son Seigneur de saluer
l'être humain. L'envie et la vanité le poussèrent à refuser, à
s'enorgueillir et à se placer parmi les mécréants ; il adopta alors
vis-à-vis de l'être humain une attitude de défi et d'antagonisme.
Quelle fin fut réservée à cet ennemi déclaré ? Comme le rappelle
le Coran, Dieu lui dit : « Sors d'ici, te voilà banni. Ma
malédiction sera sur toi jusqu'au Jour de la Rétribution. » 3
Telle est donc la place de l'être humain dans les mondes
spirituels.
81
La place de l'être humain dans le monde
matériel
Dans ce vaste univers matériel, la place de l'être humain
est celle d'un maître libre de ses actes, à qui tout ce que le
monde contient est assujetti afin qu'il en tire utilité et profit.
C'est comme si tout ce qui est dans l'univers avait été tissé pour
lui et taillé pour lui sur mesure. Dieu dit :
« C'est Dieu qui a créé les cieux et la terre et qui du
ciel a fait descendre de l'eau, grâce à laquelle Il a produit des
fruits qui sont votre subsistance ; Il a mis à votre service les
vaisseaux pour qu'ils voguent sur la mer selon Son ordre, Il
a mis à votre service les fleuves, Il a mis à votre service le
soleil et la lune en perpétuel mouvement, Il a mis à votre
service la nuit et le jour et Il vous a accordé de tout ce que
vous Lui avez demandé. Et si vous comptiez les bienfaits de
Dieu, vous ne pourriez les dénombrer. L'être humain est
vraiment très injuste et très ingrat. » t
« Nous avons certes honoré les enfants d'Adam. Nous
les avons transportés sur la terre et sur la mer, Nous leur
avons dispensé d'excellentes nourritures et Nous les avons
nettement préférés à un grand nombre de Nos créatures. » 2
« C'est Dieu qui vous a assujetti la mer pour que les
vaisseaux y voguent selon Son ordre et pour que vous
recherchiez Sa faveur, - ainsi peut-être serez-vous
reconnaissants. Il vous a assujetti tout ce qui est dans les
cieux et sur la terre ; tout vient de Lui. Il y a vraiment là des
signes pour des gens qui réfléchissent. » 3
82
« Ne voyez-vous pas que Dieu vous a assujetti tout ce
qui est dans les cieux et tout ce qui est sur la terre, et vous a
prodigué Ses bienfaits apparents et cachés ? » 1
Telle est donc la place de l'être humain dans l'univers, et
telle est sa relation avec ce qui s'y trouve.
Pourquoi donc l'être humain a-t-il reçu une position aussi
élevée, alors que l'univers abonde de corps plus grands et plus
robustes que lui ?
C'est parce qu'il renferme une étincelle de la lumière
divine et un souffle de l'Esprit divin.
C'est ce souffle divin qui l'a rendu prêt à assumer le rôle
de lieutenant de Dieu sur terre, à se charger du dépôt suprême,
celui de la responsabilité, que le Coran évoque en ces ternies
grandioses : « Nous avons proposé le dépôt aux cieux, à la
terre et aux montagnes : ils ont refusé de s'en charger, ils en
ont été effrayés ; c'est l'homme qui s'en est chargé. » 2
83
L'imam al-Ghazâlî analyse dans Ihyâ `ouloam ad-dîn les
motifs pour lesquels le serviteur de Dieu aime son Seigneur. Il
mentionne, entre autres, la concordance et la ressemblance entre
la nature de l'homme et celle de Dieu ; c'est bien entendu une
concordance purement intérieure, liée non pas aux formes et aux
apparences mais à des notions intérieures dont certaines peuvent
être évoquées dans les livres tandis qu'il ne convient pas de
débattre des autres... Al-Ghazâlî nous dit : [ Ce qui peut être
évoqué, c'est le fait que l'homme est proche de son Seigneur
Sublime et Transcendant, par les caractéristiques pour lesquelles
il lui a été ordonné de prendre modèle sur l'éthique divine, de
sorte que l'on dit : « Adoptez l'éthique de Dieu. » Cela concerne
l'acquisition des plus hautes qualités qui font partie des attributs
divins, comme la connaissance, la bonté, la bienfaisance, la
douceur, la charité et la miséricorde envers les créatures, le désir
sincère de leur être utile, le fait de les guider vers le bien et de
les détourner du mal, ainsi que les autres valeurs définies par la
Loi divine. Tout cela rapproche de Dieu Tout-Puissant.
Ce dont il ne faut pas débattre dans les livres, c'est la
concordance particulière par laquelle l'être humain a été
distingué des autres créatures, et qu'évoque la Parole de Dieu :
« Ils t'interrogent au sujet de l'âme. Dis : L'âme relève de
l' Ordre de mon Seigneur. » t Cela est expliqué plus clairement
dans le verset : « Lorsque Je l'aurai modelé et que Je lui
aurai insufflé de Mon esprit »2 , et c'est pour cela que Dieu a
ordonné aux anges de se prosterner devant l'homme. Le verset
« Nous avons fait de toi un lieutenant sur la terre »3 y fait
également allusion, puisque seule cette propriété permet à Adam
de mériter ce rôle de lieutenant de Dieu... C'est également à
84
cela que fait symboliquement allusion la parole du Prophète (que
la bénédiction et la paix soient sur lui) : « Dieu a créé Adam à
Son image »'. Les esprits étroits, croyant qu'il n'était pas d'autre
image que l'image apparente perceptible par les sens, sont alors
tombés dans l'anthropomorphisme et la personnification – exalté
soit Dieu, Il est infiniment supérieur à ce qu'affirment les
ignorants ! Les propos de Dieu à Moïse y font également
allusion : « `Je suis tombé malade et tu ne M'as pas rendu
visite.' Il demanda : `Ô Seigneur, comment cela ?' Il répondit :
`Mon serviteur untel est tombé malade et tu ne lui as pas rendu
visite : si tu lui avais rendu visite, tu M'aurais trouvé auprès de
lui.' »
Cette correspondance ne peut être perçue que lorsqu'on
pratique assidûment les actes surérogatoires tout en s'acquittant
fidèlement des rites prescrits, comme le dit Dieu Tout-Puissant
dans le hadîth qoudousî : « Mon serviteur ne cesse de se
rapprocher de Moi par les pratiques surérogatoires jusqu'à ce
que Je l'aime. Lorsque Je l'aime, Je deviens l'ouïe par laquelle il
entend, la vue par laquelle il voit, la langue par laquelle il
parle... » (Rapporté par al-Boukhârî).] 2
L'imam Ibn al-Qayyim dit quant à lui : « Sache que Dieu,
Sublime et Transcendant, a conféré un statut particulier à
l'espèce humaine, parmi Ses créatures, en l'honorant, en lui
accordant Sa préférence et en la distinguant. Dieu a créé l'être
humain pour Lui-même et a tout créé pour l'être humain ; Il lui a
réservé des bienfaits qu'Il n'a octroyés à nul autre, comme Sa
connaissance, Son amour, Sa proximité, Sa faveur ; Il lui a
assujetti tout ce qui est dans les cieux et sur la terre et ce qui est
entre eux ; Il a même placé à son service les anges, Ses
familiers, et les a chargés de veiller sur l'homme dans son
sommeil comme lorsqu'il est éveillé, lorsqu'il voyage comme
85
lorsqu'il est chez lui... Il a révélé à l'homme, et par son
intermédiaire, Ses Écritures ; Il a choisi des hommes pour
messagers et a envoyé des messagers aux hommes ; Il S'est
même adressé à l'homme directement... L'être humain jouit
donc d'une position dont ne bénéficient pas les autres
créatures. » 1
86
la paix soient sur lui) : « Et c'est à Dieu qu'appartient la
puissance, ainsi qu'à Son Prophète et aux croyants. » 1
Il sait que Dieu l'a destiné à la dignité et à la liberté, à
triompher et dominer plutôt qu'à être humilié et asservi :
« Jamais Dieu ne permettra aux mécréants de l'emporter sur
les croyants. » 2
Il sait qu'il est sous la protection de Dieu, le Bienfaiteur,
le Généreux, qui l'aide et le soutient, veille sur lui et le guide :
« Il en est ainsi parce que Dieu est le protecteur de
ceux qui croient, tandis que les mécréants n'ont pas de
protecteur. » 3
« Dieu est le protecteur de ceux qui croient, Il les fait
sortir des ténèbres vers la lumière ; et ceux qui mécroient
ont pour protecteurs les fausses divinités, qui les font sortir
de la lumière vers les ténèbres. »4
Le croyant sait qu'il est en compagnie de Dieu, qui le suit
toujours de Son regard inaccessible au sommeil, qui lui assure
Sa protection indéfectible, qui lui apporte Son soutien
invincible :
« Dieu est avec les croyants. » 5
« Et il Nous incombait de secourir les croyants. » 6
« Ensuite Nous délivrerons nos prophètes et ceux qui
auront cru : c'est ainsi qu'il Nous incombe de délivrer les
croyants. »'
87
Le croyant sait qu'il est sous la protection de Dieu Tout-
Puissant, qui le préserve et détourne de lui les coups et les
manigances de ses ennemis : « Dieu prend la défense de ceux
qui croient. Dieu n'aime aucun traître ingrat. »'
Le Coran fait du jugement des croyants un critère pour
distinguer les bonnes actions des mauvaises ; leur jugement à
propos des actions a son poids auprès de Dieu et est mentionné à
la suite du jugement de Dieu et de Son Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) : « Et dis : Agissez ; Dieu
verra vos actions, ainsi que Son Prophète et les croyants. » 2
Ce verset indique que la satisfaction des croyants découle
de la satisfaction de Dieu ; de la même manière, la réprobation
divine implique la réprobation des croyants : « Cela est
grandement haïssable auprès de Dieu et de ceux qui
croient. »3
Lorsqu'un individu possède ces hautes valeurs et ces
sentiments élevés, ils font de lui un être fort et généreux, à l'âme
et aux aspirations nobles, un être humain qui ne baisse la tête
devant aucune créature, qui ne s'incline ni devant la tyrannie ou
l'autorité arbitraire, ni devant l'argent ni le pouvoir. Il est un être
libre et ne reconnaît de servitude qu'envers Dieu seul.
Nous n'avons pas alors à nous étonner de voir un esclave
noir comme Bilâl ibn Rabâh, lorsque la foi emplit son coeur,
relever fièrement la tête face aux « maîtres » orgueilleux : la foi
lui a conféré une position plus haute et plus noble auprès de
Dieu, et il considère alors Oumayya ibn Khalaf, Aboû Jahl ibn
Hichâm et les autres notables de Qoraïch et chefs de La Mecque
comme l'homme clairvoyant considère l'aveugle, comme
l'homme qui se dirige dans la lumière considère celui qui se
débat dans les ténèbres :
88
« Celui qui était mort et que nous avons fait vivre, et
à qui nous avons accordé une lumière grâce à laquelle il
marche parmi les gens, est-il pareil à celui qui est dans les
ténèbres sans pouvoir en sortir ? » 1
« Est-ce celui qui marche face contre terre qui est le
mieux guidé, ou celui qui marche debout sur une voie
droite ? »2
Il n'est nullement surprenant de voir un rude bédouin
illettré comme Rib'î ibn `Âmir, une fois que son coeur a été
touché par la foi musulmane et que sa pensée a été éclairée par
les versets du Coran, faire face à Roustum, le général en chef des
Perses, au faîte de sa gloire et de sa puissance, sans être en rien
intimidé ni préoccupé par ce personnage ni par la multitude de
serviteurs et toutes les richesses qui l'entouraient. Et lorsque
Roustum lui demanda : « Qui êtes-vous ? », le Bédouin répondit,
avec la fierté conférée par une foi inébranlable, par ces mots que
l'histoire a immortalisés : « Nous sommes un peuple envoyé par
Dieu pour libérer les gens de toute servitude envers les hommes
afin qu'ils ne servent plus que Dieu seul, pour les libérer d'une
vie de contrainte ici-bas et leur apporter l'aisance, pour
remplacer la tyrannie des religions par la justice de l'islam. »
Il ne faut pas s'étonner de lire sous la plume d'un poète
croyant ces vers adressés à Dieu dans l'esprit de servitude à la
fois humble et fière d'un coeur qui aspire à Dieu et n'a besoin
que de Lui :
«Et ce qui m'a rendu plus noble et plus fier, jusqu'à
presque fouler de mes pieds les Pléiades,
C'est d'accepter Ta parole `Ô mes serviteurs', et que Tu
m'aies envoyé comme Prophète Ahmad ! »
89
La vision de l'homme en islam et chez les
matérialistes
Lorsque l'homme est convaincu d'être honoré par Dieu,
d'avoir sa place dans les hautes sphères, d'être à la tête de
l'univers, il ressent sa propre importance et s'attache à lui-même
une haute valeur car il est fier de son lien originel avec Dieu et
de son rapport avec le reste de la Création. Il vit fier, la tête
haute, il refuse l'injustice et l'humiliation et ne se sent jamais
abandonné, perdu, livré au vide et au néant. Ce sentiment qui
accompagne le croyant dans sa vie n'est en rien négligeable :
c'est un immense bienfait et une grande richesse pour l'être
humain... une richesse aussi bien sur le plan sentimental et
psychologique que sur celui de la vie pratique et du
comportement.
Combien grande est la différence entre, d'une part,
l'homme qui vit en se considérant comme un simple animal
d'une espèce supérieure, un animal qui avant sa vie n'avait pas
de racines, qui après sa mort ne connaîtra pas de suite, et qui,
durant sa vie, n'a pas plus de lien avec le reste de ce vaste
univers que n'en ont les singes... Et, d'autre part, l'homme qui
vit dans la conviction d'être le lieutenant de Dieu sur terre,
porteur de la responsabilité de faire régner la vérité et de
répandre le bien et la beauté dans ce monde ! Ce dernier est
habité par le sentiment que l'univers tout entier est à son service,
que les nobles anges le gardent, que le Maître de l'Univers
l'accompagne et que lui-même est de la même trempe que les
Prophètes, les Véridiques, les martyrs et les gens vertueux que
Dieu a comblés de Ses bienfaits. Il sait que sa vie ne s'achèvera
pas avec la mort, que sa destination finale n'est pas le tombeau,
mais qu'il a été créé pour l'immortalité et pour l'éternité.
Ce sentiment profond, cette certitude, quant à la position
de l'homme dans l'univers, est un des éléments essentiels par
lesquels la foi musulmane s'oppose à la conception matérialiste
de l'être humain qui domine aujourd'hui la civilisation
occidentale.
90
Ces deux conceptions s'opposent sur trois points
fondamentaux :
1. La position de l'homme dans l'univers.
2. La nature de l'être humain.
3. Le but et le rôle de l'être humain dans cette vie.
91
animal. Néanmoins, la science expérimentale lui a permis de
« dominer » la nature et d'imposer sa volonté sur la matière, et
cette science a fait de lui cet animal évolué qui se considère
comme un dieu libre de se comporter sur terre comme bon lui
semble et qui s'imagine en avoir le pouvoir.
Telle est la conception matérialiste de l'être humain, une
conception qui suscite deux sentiments contradictoires :
D'une part, l'homme se sent perdu, abandonné, et se
considère comme un simple animal.
D'autre part, il éprouve ce sentiment de vanité et
d'orgueil qui le fait se considérer comme un dieu et refuser
d'envisager l'existence du Vrai Dieu. Il se comporte alors
comme s'il était un dieu n'ayant aucun compte à rendre, comme
l'a écrit Julian Huxley : « Dans le monde moderne, l'homme lui-
même est devenu le Dieu qui suscite et qui veut » !
Lorsque dans le courant du vingtième siècle, l'homme a
commencé à reprendre ses esprits après l'ivresse de la vanité
suscitée par le progrès scientifique, la révolution industrielle et
l'épanouissement matériel, il a commencé à prendre conscience
de la crise qu'il traversait en tant qu'être humain unique. Cette
prise de conscience s'exprime par exemple dans les écrits
d'esprits critiques comme Alexis Carrel, l'auteur de L'Homme,
cet inconnu, de Spengler, l'auteur du Déclin de l'Occident, ou
encore de Toynbee, de René Guénon, de Colin Wilson ou
d'autres.
92
Le Professeur américain Siechott, de l'Université de
Bâle, a écrit dans son livre La vie de l'esprit :
« Il est une question qui préoccupe les savants depuis les
temps les plus reculés : c'est celle de la nature de l'être humain,
avec son étrange dualité. Il possède un aspect matériel, le corps,
qui vit, se développe et meurt, mais il semble que ce corps soit
contrôlé par quelque chose qui dépasse la perception sensorielle,
quelque chose qui est capable de sentiments et de pensée. Et
c'est dans cet aspect de l'homme que se situe l'essentiel de son
être.
On dirait que l'homme est fait de deux entités : une entité
matérielle à laquelle fait face une autre entité non matérielle. On
peut alors se demander si ces deux entités sont réelles ou si l'une
d'elles n'est qu'une illusion !
De fait, les erreurs et les déviations dans la
compréhension de l'homme et dans la conception de sa nature
véritable proviennent de la négligence de l'un ou l'autre de ces
éléments de sa constitution ou de la tentative de les dissocier et
de les traiter comme des éléments distincts. »
L'islam a donné une définition claire et exacte de la
nature de l'être humain. C'est que l'islam est la parole de Dieu
et que l'homme a été créé par Dieu : or, celui qui a créé et
fabriqué quelque chose ne saurait en ignorer la nature : « Ne
connaît-Il pas celui qu'Il a créé, Lui qui est le Subtil, Celui
qui est parfaitement informé ? » I
Dieu, en créant l'homme, l'a doté d'un corps pesant et
d'une âme éthérée, d'un corps qui le maintient à terre et d'une
âme qui s'élève vers le ciel ; d'un corps qui a ses instincts et ses
désirs, et d'une âme qui a ses quêtes et ses aspirations ; d'un
corps dont les besoins sont proches de ceux des animaux, et
d'une âme dont les élans le font ressembler aux anges.
93
Cette double nature n'est pas un aspect accidentel ou
secondaire de l'être humain : elle fait partie de la nature innée
que Dieu lui a donnée en le créant pour en faire Son lieutenant
sur terre, depuis qu'Il a créé l'homme à partir d'une poignée de
terre et d'un souffle de Son esprit :
« C'est Lui qui connaît l'Invisible et le perceptible ; le
Puissant, plein de miséricorde. Celui qui a créé toute chose à
la perfection et a commencé la création de l'homme d'argile.
Puis Il a fait sa progéniture de la quintessence d'une eau
vile. Puis Il lui a donné sa forme parfaite et II lui a insufflé
de Son esprit, et Il vous a donné l'ouïe, la vue et le coeur. Que
vous êtes peu reconnaissants ! » 1
La foi musulmane, elle, ne néglige pas l'esprit au profit
de l'argile, ni l'argile au profit de l'esprit. Elle les mêle tous
deux en un tout harmonieux et reconnaît les droits du corps
comme ceux de l'esprit, sans excès dans un sens ni dans l'autre.
L'histoire a connu des religions et des dogmes fondés sur
la négligence du côté matériel et physique de l'être humain,
qu'ils s'efforçaient de mortifier et d'affaiblir afin de développer,
de purifier et de renforcer le côté spirituel : c'est le cas du
brahmanisme hindou ou du monachisme chrétien.
Cette attitude a suscité, en réaction, l'attitude matérialiste
qui refuse de reconnaître l'existence de l'âme en l'homme ou de
Dieu dans l'univers, ne croyant qu'à ce qui est matériel,
perceptible par les sens et accessible par l'expérience.
Cette attitude ne fait plus de l'homme qu'un demi-
homme, un homme qui, pire encore, ne vit plus que pour son
côté animal.
94
Le but de l'être humain
La foi musulmane explique de façon parfaitement claire
le but et le rôle de l'être humain dans la vie : l'homme n'a pas
été créé sans but, il n'est pas laissé à l'abandon, mais il a été
créé dans un but précis et sa création a un sens. Il n'a pas été
créé pour lui-même, pas plus qu'il n'a été créé pour adorer tel ou
tel élément de l'univers ; il n'a pas non plus été créé pour
simplement jouir de la vie à la manière des animaux, ni pour
vivre pour une période plus ou moins longue avant d'être avalé
par la terre et mangé par les vers et de fondre dans le néant.
Au contraire, l'homme a été créé pour connaître et adorer
Dieu, pour être le lieutenant de Dieu sur terre, pour porter,
durant cette courte vie, la charge du dépôt suprême, le dépôt de
la responsabilité. Il affronte des épreuves et assume des
responsabilités, se préparant ainsi à une autre vie, celle de
l'éternité, de la permanence et de l'immortalité.
C'est vraiment là un fait capital que de savoir que l'être
humain n'a pas été créé pour lui-même, mais qu'il a été créé
pour adorer Dieu. Qu'il n'a pas été créé pour la courte vie
éphémère d'ici-bas, mais qu'il a été créé pour l'immortalité dans
une vie éternelle.
Certains disent : les sots vivent pour manger, les hommes
intelligents mangent pour vivre.
Cela ne résout pourtant pas le problème, car ceux-là
vivent toujours pour eux-mêmes, et non pas dans un but précis.
La question demeure de savoir pourquoi l'homme vit.
Les matérialistes disent : l'homme vit pour lui-même et
pour jouir de la vie.
Mais les croyants répondent : l'homme vit pour son
Seigneur Tout-Puissant, et pour sa vie éternelle dans l'Au-delà.
95
« Pensiez-vous donc que nous vous avions créés sans
but et que vous ne seriez pas ramenés vers Nous ? Exalté soit
Dieu, le Souverain, le Vrai ! » 1
La différence est immense entre celui qui ne vit que pour
lui-même et celui qui vit pour son Seigneur, entre celui qui ne
vit que pour cette vie limitée et celui qui vit pour une existence
éternelle et infinie !
La conception matérialiste athée ne reconnaît pas de but
à l'être humain. En effet, un but suppose une intention, et une
intention suppose un auteur. Or, les matérialistes nient que l'être
humain ait été créé dans une intention quelconque, et c'est
pourquoi ils considèrent que l'homme n'a pas d'autre mission à
accomplir que de lutter pour l'amélioration de ses conditions de
vie.
Autrement dit, le rôle de l'être humain se limite pour eux
à jouir au mieux des agréments de ce monde ; et lorsque au bout
d'une brève période la vie d'un homme s'achève, son existence
entière prend fin. Combien sont vrais ces mots du Coran :
« Dis : la jouissance d'ici-bas est éphémère » 2 !
Non seulement cette jouissance ne dure que peu de
temps, mais elle n'a également que peu de valeur : c'est une
jouissance méprisable car purement animale. Ainsi un écrivain
a-t-il dit, pour se moquer des gens dont les ambitions se limitent
aux plaisirs de ce monde : « Ceux qui n'ont pas d'autre but que
leur ventre et leurs parties génitales n'ont pas plus de valeur que
ce qui en sort ! »
Qu'il nous suffise de lire ce qu'en dit le Saint Coran :
« Et ceux qui mécroient jouissent et mangent comme
mangent les bestiaux, et le Feu sera leur lieu de séjour. » 3
96
La conception matérialiste de l'être humain le limite à
tourner autour de lui-même, autour de ses passions et de ses
désirs, autour des besoins de son corps, autour de la partie
animale de sa nature. Elle conduit à développer le côté matériel
et animal de l'être humain et à lui accorder une importance
exagérée, aux dépens des autres aspects de sa nature qui alors
dépérissent et se flétrissent, s'ils ne disparaissent pas
complètement.
Ce développement excessif et trop rapide du côté
matériel et animal de l'homme est un développement néfaste,
comparable à un cancer qui finit par conduire à la mort de
l'individu.
L'être humain doit vivre pour un objectif au-delà de ses
passions et de ses désirs, sans quoi il ne fera que marcher en
rond comme un âne autour d'une meule à grain ou comme un
boeuf autour d'un puits d'irrigation, tournant et tournant pour
revenir sans cesse à son point de départ.
Un écrivain occidental a dit à propos des existentialistes,
dont la philosophie se borne à la réalisation par l'homme de sa
propre existence : « L'existentialiste est semblable au chien qui
court en tournant en rond pour attraper sa queue : il ne parvient
pas à attraper sa queue et ne s'arrête pas pour autant de courir ;
c'est un jeu auquel se livrent les chiens quand ils se trouvent
désoeuvrés, s'occupant ainsi à une action qui n'aboutit à rien. »
Cette comparaison nous rappelle la parabole coranique à
propos de ceux qui s'écartent des Signes de Dieu, qui restent
abaissés vers la terre et qui suivent leurs passions : Dieu dit :
« Et parle-leur de celui à qui Nous avions donné Nos
signes et qui s'en écarta. Le Démon le poursuivit alors et il
fut au nombre des égarés. Si Nous l'avions voulu, Nous
l'aurions élevé grâce à ces signes, mais il s'abaissa vers la
terre et suivit sa propre passion, semblable à un chien qui
halète lorsqu'on l'attaque, et qui halète aussi lorsqu'on le
laisse tranquille. Voilà à quoi ressemblent les gens qui
97
traitent Nos signes de mensonges. Raconte donc le récit, ainsi
peut-être réfléchiront-ils ! Quel mauvais exemple que ces
gens qui traitent Nos signes de mensonges, alors que c'est à
eux-mêmes qu'ils font du tort. » 1
98
La foi et le bonheur
Où se trouve le bonheur ?
Toutefois, les hommes se heurtent depuis toujours à la
question : où se trouve le bonheur ?
Nombreux sont ceux qui l'ont recherché là où il ne se
trouvait pas, et qui sont revenus les mains vides, épuisés,
désespérés, comme quelqu'un qui aurait cherché des perles dans
le désert !
Certes, à toutes les époques, les gens ont essayé de le
trouver dans les jouissances matérielles les plus diverses, dans
tous les plaisirs des sens ; mais ils se sont aperçus que cela ne
suffisait jamais à conduire au bonheur, et que chaque nouveau
plaisir ne faisait souvent que leur créer de nouveaux soucis.
99
Le rédacteur en chef de la revue égyptienne Roûz al-
yoûsouf, que l'on ne saurait pourtant taxer de parti pris en faveur
des valeurs spirituelles, publiait voici quelques années un
reportage en deux volets, intitulé : « Les habitants du Paradis ne
sont pas heureux ». Les habitants du Paradis dont il parlait
étaient les habitants de la Suède, qui jouissent d'un niveau
économique très élevé et n'ont quasiment pas à craindre la
pauvreté, la vieillesse, le chômage ni aucune des catastrophes
qui peuvent survenir dans la vie : en effet, le gouvernement
garantit des allocations généreuses à toute personne touchée par
ce genre de situation, de sorte qu'aucun citoyen n'a à se plaindre
de pauvreté ou de difficultés économiques.
Le revenu moyen par habitant est très élevé en Suède, et
le gouvernement socialiste est pratiquement parvenu à effacer
les différences entre les classes sociales aussi bien grâce à
l'impôt sur le revenu que grâce à toute une panoplie
d'assurances sociales et sanitaires inégalée dans les autres pays.
« Tout citoyen suédois a droit à une retraite, à des
indemnités de maladie, à une pension d'invalidité, à un
complément de revenu, à une aide au logement, à une allocation
en cas de cécité, et bénéficie de soins gratuits dans les hôpitaux.
Toutes les femmes perçoivent une allocation de
maternité couvrant les dépenses nécessaires pour les enfants et
les soins médicaux, ainsi qu'une aide supplémentaire pour
chaque nouvel enfant.
L'assurance contre les accidents du travail est
obligatoire.
Les conditions pour bénéficier des allocations en cas de
chômage sont les plus souples au monde.
L'aide sociale à l'enfance fournie par le gouvernement
relève de l'utopie : des allocations familiales pour chaque enfant
jusqu'à l'âge de 16 ans, les soins médicaux gratuits, les
transports scolaires gratuits jusqu'à l'âge de 14 ans, des écoles
100
maternelles à très bas prix prenant en charge toute la journée les
enfants d'âge préscolaire.
L'enseignement est gratuit à tous les niveaux, et les
élèves bénéficient en outre d'aides pour l'achat de vêtements, de
compléments de revenu pour les familles en difficulté, de
bourses d'études généreuses.
L'État propose aux jeunes ménages des prêts à taux très
réduit, remboursables sur cinq ans, pour l'achat de mobilier.
Le tiers des impôts payés par le peuple suédois est
consacré aux assurances sociales ; 80% de ce montant sont
versés sous forme d'aides financières. Le budget le plus
important est celui du Ministère des Affaires Sociales, suivi par
celui du Ministère de l'Éducation. »
Malgré ces garanties qui parent à toutes les éventualités,
le journaliste relate que les gens mènent une vie troublée, faite
d'ennui, de tension, de mécontentement et de désespoir. En
conséquence, les gens cherchent à fuir cette vie triste et
malheureuse par le suicide, auquel ont recours des milliers de
gens qui cherchent ainsi à mettre fin à leurs souffrances
psychologiques.
L'auteur du reportage aboutit à la conclusion que la
raison profonde de ce désespoir réside dans la perte de la foi,
quelle qu'elle soit.
Les États-Unis, le pays le plus riche au monde, ne
parviennent pas à assurer le bonheur de leurs habitants, malgré
les gratte-ciel, les vaisseaux spatiaux et l'or qui coule à flots...
Cette façade luxueuse masque en fait un réel désarroi.
Tous ceux, en Orient comme en Occident, qui ont des
yeux pour voir ont pu remarquer ce désarroi et cette tristesse.
Ainsi en Orient le martyr Sayyid Qoutb en a-t-il parlé dans son
livre, inédit à ce jour, L'Amérique que j'ai vue.
En Occident, la romancière française Françoise Sagan a
écrit, dans un livre rédigé après deux voyages à New York, que
101
New York écrase l'être humain et que cette ville fait battre son
coeur plus vite que le rythme de vie de ses habitants. En réalité,
ajoute-t-elle, les habitants de New York vivent une crise
sentimentale. Le sang bouillonne dans les veines de ces
Américains fatigués, abattus, toujours pressés. Ils veulent gagner
du temps sans savoir comment utiliser ce temps...
De même, le Professeur Colin Wilson a décrit en ces
termes la civilisation new-yorkaise et son opulence toute
matérielle : « C'est une belle façade couvrant la détresse et la
peine... »
L'abondance des richesses ne fait pas le bonheur et n'en
constitue même pas l'élément principal. Au contraire, la richesse
matérielle fait parfois le malheur de son propriétaire dans ce
monde avant l'autre. C'est pourquoi Dieu dit de certains
hypocrites : « Que leurs biens et leurs enfants ne
t'émerveillent pas ! Dieu veut seulement les tourmenter par
cela dans la vie de ce monde. » 1 Le tourment mentionné ici est
celui causé par la peine, le malheur, la douleur et les soucis ;
c'est une souffrance ressentie ici-bas, dans la vie présente, à
l'image de celle évoquée dans le hadîth « Voyager fait goûter au
tourment ». Or, c'est bien ce que nous constatons chez tous ceux
dont l'argent et la vie de ce monde sont la principale
préoccupation, le seul objectif et l'unique aspiration : ceux-là
ressentent toujours une souffrance psychologique, une lassitude
du coeur, une pesanteur de l'âme ; qu'ils aient peu ou beaucoup,
jamais ils ne sont satisfaits.
Le hadîth rapporté par Anas d'après le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) décrit bien ces esprits
torturés : « Celui qui se préoccupe de l'Au-delà, Dieu place sa
richesse dans son coeur et rassemble les siens autour de lui, et ce
bas-monde est contraint de venir à lui ; mais celui qui se
préoccupe de ce bas-monde, Dieu place sa pauvreté devant lui et
102
disperse les siens, et il ne recevra pas d'autre part de ce bas-
monde que celle qui lui est réservée. » 1
La pire souffrance ici-bas, comme l'a fait remarquer Ibn
al-Qayyim, 2 est bien de disperser ses efforts, d'avoir le coeur
divisé et d'éprouver toujours devant soi la présence de la
pauvreté. Si ces gens n'étaient pas si emportés par l'amour de ce
bas-monde, ils chercheraient sûrement à échapper à une telle
souffrance... mais la plupart d'entre eux continuent à souffrir et
à gémir. Cette souffrance prend plusieurs formes, elle est à la
fois physique et psychologique, puisque ces gens doivent
supporter les tracasseries de ce bas-monde et endurer l'hostilité
des autres. Comme l'a dit un auteur ancien, « Celui qui aime ce
bas-monde doit être déterminé à supporter les malheurs ».
L'amoureux de ce bas-monde ne peut échapper à trois choses :
un souci permanent, une fatigue incessante et un regret
interminable. En effet, l'amoureux de ce bas-monde ne parvient
pas plus tôt à obtenir une chose qu'il ne se met à en désirer une
autre, comme le dit le hadîth : « Si l'enfant d'Adam possédait
deux rivières d'or, il en désirerait une troisième. » Jésus, fils de
Marie (la paix soit sur lui) a comparé l'amoureux de ce bas-
monde au buveur de vin : plus il boit, plus il a soif.
Rapporté par at-Tirmidhî par la voie d'Anas, et rapporté par Ibn Mâjah et
d'autres en termes semblables par la voie de Zayd ibn Thâbit.
2
Dans son ouvrage Ighâthat al-lahfân (« Le secours de l'affligé »).
103
Ainsi un père se lamente-t-il ainsi en s'adressant à son
enfant :
«Je t'ai nourri tout petit, enfant j'ai pourvu à tes besoins
/ Tu grandissais en t'abreuvant de mes conseils
Si un soir t'avait causé quelque peine, / j'en passais la
nuit éveillé, agité
Mais lorsque tu as atteint l'âge adulte / et le but que pour
toi je n'osais espérer
Voilà que tu me récompenses par la dureté et la brutalité,
/ comme si c'était toi le généreux bienfaiteur ! »
Nous avons vu bien des exemples étranges de
l'ingratitude des enfants et de la détresse des parents, et nous en
avons entendu parler d'autres plus étranges encore. Les parents
se sont, de tous temps, désespérés de l'ingratitude de leurs
enfants, à l'image du Roi Lear de Shakespeare qui s'exclamait :
« O combien plus cruelle que la dent du serpent est l'ingratitude
d'un enfant » !
Un poète oriental se lamente également :
« Les enfants sont source de malheur, et heureux est celui
qui demeure stérile
Ou l'enfant qu'on élève devient un ennemi, ou bien on le
laisse orphelin,
Ou bien la mort l'emporte et il n'en reste qu'un éternel
chagrin. »
Que dire enfin des gens qui n'ont pas d'enfant ? Allons-
nous les condamner à vivre malheureux, et à ne trouver sur terre
aucun bonheur?
104
Certes, comme le dit le Docteur Mohammed Housayn
Haykal ' , la science nous a permis de découvrir un grand nombre
de secrets de la vie et d'en tirer profit à un degré que nos
prédécesseurs n'auraient même pas imaginé.
Il est vrai également que la soif de connaissance fait
partie de la nature humaine. L'homme ne parvient pas plus tôt à
connaître une chose, qu'il n'aspire à approfondir encore sa
connaissance ou ne se tourne vers un autre objet de recherche.
Mais il est vrai aussi que la science n'ouvre pas la porte du
bonheur. Au contraire, elle conduit souvent à l'ennui ou à
l'inquiétude. Le bonheur, c'est ce beau rêve que nous voyons
briller devant nous, que nous cherchons à saisir mais dont nous
n'avons jamais assez : depuis l'aube de l'humanité, les hommes
ont toujours couru derrière le bonheur, mais dès qu'ils pensent
avoir atteint le but, voilà que le démon du malheur vient leur
barrer la route. Ce bonheur tant cherché ne réside pas dans la
science, car la science correspond à un désir, et le désir ne
saurait apporter le bonheur. Combien de savants ont consacré
leur vie à la science, pour éprouver, au bout du chemin, d'amers
regrets en constatant que leur science ne leur avait apporté qu'un
surcroît de peine ; ceux-là ont alors recommandé que leurs
enfants soient éduqués dans la foi et suivent leur nature, sans
demander à la science de décrypter les mystères de l'Invisible.
Notre connaissance, aussi vaste qu'elle puisse être, reste
infime par rapport à l'immensité de cet univers infini. Ainsi
Nietzsche et d'autres grands penseurs, qui dans la flamme de
leur jeunesse affirmaient que la science parviendrait un jour ou
l'autre à déchirer le voile de l'Invisible, ont faibli en voyant que
ce voile était sans fin, et ont bien dû admettre qu'ils couraient
derrière un mirage dépourvu de réalité, même si le but de ce
mirage était justement de percer le secret de la réalité.
105
Le philosophe britannique contemporain Bertrand
Russel, malgré son point de vue matérialiste, reconnaît que si la
science a permis à l'homme de sortir vainqueur de sa lutte contre
la nature, elle ne lui a été d'aucun secours dans sa lutte contre
lui-même, et que dans ce domaine c'est toujours la foi qui
l'emporte.
Le Docteur Henry Lenk, célèbre psychologue américain,
s'oppose à ceux qui nient la foi en l'Invisible au nom de la
science et du respect de la pensée, et montre que la science ne
peut suffire à elle seule à procurer à l'être humain le bonheur
véritable :
« En réalité, il se trouve aujourd'hui dans chaque
domaine de la science des phénomènes susceptibles d'alimenter
le feu de cette erreur qui consiste à accorder à la pensée une
importance excessive. Et pourtant, ce sont les psychologues qui
sont parvenus à la conclusion que s'appuyer uniquement sur la
pensée est nuisible au bonheur de l'être humain même si cela ne
nuit pas à son succès. Ces découvertes ont été révélées à la suite
de l'expérience de ces psychologues avec les gens et des études
scientifiques qu'ils ont menées sur des milliers de personnes.
Ajoutons encore que les recherches qui ont abouti à ces
découvertes ont tenu compte de leur rapport avec les méthodes
pédagogiques, la religion, la personnalité et la philosophie de la
vie en général.
Nous n'avons pas pu parvenir à une solution définitive
des problèmes complexes de la vie, et nous ne boirons pas à la
source du bonheur par le seul moyen du progrès des
connaissances et de la science. Le progrès scientifique signifie
plus de perplexité et de tourment. Tant que ces sciences ne
seront pas unifiées en une conception claire appliquée aux
vérités de la vie quotidienne, elles ne parviendront pas à libérer
les esprits qui leur ont donné naissance, mais ne manqueront pas
au contraire de conduire ces esprits à leur destruction et à leur
décomposition. En outre, cette unification devra inévitablement
106
venir par une autre voie que celle de la science : je veux dire par
la voie de la foi. » 1
107
La femme répondit avec conviction : « Je trouve le
bonheur dans ma foi, et ma foi est dans mon coeur ; et personne
n'a de pouvoir sur mon coeur, à part Dieu ! »
Voilà ce qu'est le bonheur véritable, le bonheur qu'aucun
être humain n'a le pouvoir de donner, ni de reprendre à celui qui
le possède. C'est ce bonheur qui a fait dire à un pieux croyant :
« Si les rois savaient quel bonheur est le nôtre, ils nous
combattraient de leurs sabres ! »
Un autre, envahi par cette extase spirituelle, a dit : « Je
vis des moments où je me dis : si les hôtes du Paradis
connaissent un tel bonheur, ils sont assurément comblés. » Ceux
à qui il est donné de connaître pareil bonheur se moquent des
événements, même si l'orage gronde ; ils sourient à la vie même
si elle leur montre les dents, et prennent les peines avec
philosophie. Les épreuves se métamorphosent pour eux en
bienfaits suscitant la reconnaissance, là où d'autres ne voient
que des malheurs dont ils se lamentent. C'est comme s'ils
possédaient des glandes spirituelles particulières secrétant une
substance qui transformerait les catastrophes de la vie en
bienfaits.
' Rapporté par Ahmad avec une chaîne de transmission authentifiée, par la
voie de Sa 'd ibn Abî Waqqâs.
108
matériels susceptibles de troubler l'existence, comme une
mauvaise femme, une mauvaise habitation ou une mauvaise
monture, de jouir de la sécurité et de la santé et de pouvoir
assurer sa subsistance sans difficulté excessive. Combien juste
est cette parole du Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui) : « Celui qui se réveille le matin en sécurité, en bonne
santé, avec devant lui de quoi manger pour la journée, c'est
comme si ce bas-monde tout entier lui appartenait. » 1
Si le bonheur est un arbre qui prend racine dans l'âme et
dans le coeur de l'être humain, la foi en Dieu et en l'Au-delà en
sont l'eau et la nourriture, l'air et la lumière.
La foi fait jaillir dans le coeur de l'être humain des
sources intarissables sans lesquelles le bonheur ne saurait se
réaliser : ces sources sont la sérénité, la sécurité, l'espoir, le
contentement et l'amour. Nous évoquerons ces thèmes à tour de
rôle dans les pages qui vont suivre.
109
La sérénité
110
Il m'avait alors paru difficile d'accepter un tel point de
vue, mais aujourd'hui, après un demi-siècle d'expérience
personnelle et d'observation attentive, je sais que la sérénité est
le but idéal d'une vie juste. Je sais maintenant que toutes les
autres qualités réunies n'apporteront pas nécessairement à leur
possesseur la sérénité. J'ai vu au contraire cette sérénité
s'épanouir sans aucune aide de l'argent, ni même sans aucun
soutien de la santé. La sérénité est capable de transformer une
chaumière en palais accueillant, tandis que son absence peut
faire du palais d'un roi une cage et une prison. »
Ce sont là les propos d'un homme qui vit en Amérique,
au pays du confort et de la richesse, de l'or et de la science, de la
liberté et du progrès. II parle ainsi après avoir acquis une longue
expérience de la vie, car il n'a pas trouvé dans la vie de bienfait
meilleur ni plus précieux que la sérénité et la paix intérieure. Ce
sont les propos d'un homme sage que nous consignons ici pour
en tirer profit, car la sagesse, où qu'elle se trouve, est le but du
croyant et lui revient de droit.
111
précisément ceux qui ne jouissent pas de cet immense bienfait
qu'est la foi.
Leur vie est insipide, même si elle se déroule dans les
plaisirs et le confort, car ils ne lui trouvent aucun sens, ils ne
savent pas où ils vont ni pourquoi : comment alors pourraient-ils
connaître la sérénité et le bonheur ?
Cette sérénité est un des fruits de la foi, de l'arbre
bienfaisant du monothéisme qui donne ses fruits en permanence
avec la permission de son Seigneur.
C'est un don du ciel que Dieu fait descendre dans le coeur
des croyants pour qu'ils soient constants devant ce qui déroute
les gens, pour qu'ils acceptent leur sort alors que les autres s'en
désespèrent, pour qu'ils connaissent la certitude là où les autres
sont dans le doute, pour qu'ils se montrent patients là où les
autres faiblissent et qu'ils gardent leur sang-froid quand les
autres perdent la tête.
C'est cette sérénité qui habitait le coeur du Prophète (que
la bénédiction et la paix soient sur lui) le jour de l'émigration à
Médine et qui lui permit d'aller de l'avant en toute confiance
sans crainte ni affliction et sans éprouver le moindre doute :
« Dieu lui avait porté secours lorsque les mécréants
l'avaient chassé, le deuxième de deux ; lorsque, comme ils
étaient dans la grotte, il disait à son compagnon : `Ne
t'afflige pas, Dieu est avec nous.' Dieu fit alors descendre sur
lui Sa sérénité et le soutint par des armées que vous ne
voyiez pas. » t
Le Compagnon du Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui), Aboû Bah as-Siddîq, était alors envahi par le
chagrin et la crainte, non pour lui-même et sa propre vie, mais
pour le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) et
l'avenir de sa mission. Il dit, comme les ennemis encerclaient la
112
grotte : « Envoyé de Dieu, si l'un d'eux regarde sous ses pieds il
va nous voir ! » Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui), le coeur constant, lui répondit : « Aboû Bah, que peut-il
arriver à deux hommes qui ont Dieu pour troisième ? »
Cette sérénité est une paix et une lumière de Dieu ; elle
apaise la peur, calme l'anxiété, atténue la tristesse, dissipe la
fatigue, procure la force et la confiance.
En accordant à Ses serviteurs croyants la sérénité, Dieu
leur ouvre une fenêtre sur le Paradis laissant entrer vers eux ses
lumières et ses parfums, afin de leur donner un avant-goût des
bienfaits qui les attendent en récompense de leurs bonnes actions
et de les faire jouir de la grâce divine, de la paix et de la sécurité.
113
La nature humaine comporte un vide qui ne peut être
comblé ni par la science, ni par la culture ni par la philosophie,
un vide qui ne peut être comblé que par la foi en Dieu Tout-
Puissant.
La nature humaine éprouvera toujours une tension, une
faim et une soif, jusqu'à ce qu'elle trouve Dieu, croie en Lui et
se tourne vers Lui.
Alors elle trouve le repos, elle peut étancher sa soif et
apaiser ses craintes. Elle trouve le bon chemin et la stabilité
après tant d'hésitation et d'agitation ; elle connaît la quiétude
après l'anxiété et se retrouve chez elle après un long exil. Son
périple est enfin terminé, et elle connaît la joie du voyageur de
retour parmi les siens.
Mais qu'il est malheureux, l'homme qui ne trouve pas
son Seigneur, alors que pourtant Celui-ci est plus proche de lui
que sa veine jugulaire ! Que son sort est pénible ! Il ne trouvera
pas le bonheur, il ne trouvera pas la sérénité, il ne trouvera pas la
vérité... Il ne se trouvera pas lui-même, « comme ceux qui ont
oublié Dieu, et qu'Il a alors fait s'oublier eux-mêmes ». 1
Imaginons ce que peut être un homme qui vit sans s'être
trouvé lui-même, alors qu'il se considère, et que les autres le
voient également, comme quelqu'un de raisonnable et
d'intelligent, qu'il est peut-être un universitaire cultivé, peut-être
même un « docteur » célèbre dans quelque branche des sciences
ou des lettres !
Comment quelqu'un pourrait-il se trouver s'il ne se
connaît pas lui-même ? Et comment pourrait-il se connaître si
l'orgueil et la vanité l'en empêchent ? S'il en est détourné par la
poursuite des passions et des basses préoccupations, par les
plaisirs des sens et les viles exigences du corps ?
114
L'être humain est une créature étonnante, faite de
l'assemblage d'une poignée d'argile et d'un souffle de l'esprit
divin. Celui qui connaît ce côté terrestre mais oublie le souffle
d'esprit ne sait pas ce qu'est véritablement l'être humain.
Si quelqu'un nourrit et abreuve son côté terrestre sans
donner à son côté spirituel la nourriture de foi et de connaissance
de Dieu qu'il requiert, il bafoue les droits de la nature humaine,
il la méconnaît et la prive de ce qui fait sa vie et son équilibre.
Ibn al-Qayyim (que Dieu lui fasse miséricorde) a dit :
« Le coeur contient un désordre auquel on ne peut
remédier qu'en se tournant vers Dieu.
Il contient une solitude que seule peut dissiper la
compagnie de Dieu.
Il contient une tristesse que seuls peuvent apaiser le
plaisir de Sa connaissance et la sincérité de la relation avec Lui.
Il contient une anxiété qu'on ne peut calmer qu'en étant
en accord avec Lui et en se réfugiant vers Lui.
Il contient des feux de regrets que seule peut éteindre
l'acceptation de Ses ordres, de Ses interdictions et du destin
qu'Il a fixé, dans l'attente patiente du moment de Le rencontrer.
Il contient un manque qui ne peut être comblé qu'en
aimant Dieu, en se tournant vers Lui dans le repentir, en
L'invoquant sans cesse, en Lui vouant un culte exclusif : la
possession de ce bas-monde et de tout ce qu'il contient ne
suffirait jamais à combler ce manque. » 1
Ces propos ne sont pas seulement ceux d'un érudit, ce
sont également ceux d'un homme d'expérience qui décrit ce
qu'il sait pour l'avoir éprouvé en lui-même et pour l'avoir
constaté autour de lui.
115
C'est la nature originelle de l'être humain qui ne trouve
la sérénité que lorsqu'elle trouve le chemin de Dieu, croit en Lui
et se réfugie auprès de Lui.
Cette disposition naturelle, même les polythéistes arabes
ne pouvaient pas la nier, malgré leur orgueil et leur entêtement :
« Et si tu leur demandes qui a créé les cieux et la terre
et assujetti le soleil et la lune, ils répondront assurément :
Dieu. » 1
Cette disposition naturelle peut être obscurcie par les
doutes et les désirs, elle peut être déviée et corrompue lorsque
les hommes suivent les conjectures et les passions, lorsqu'ils
imitent naïvement les pratiques de leurs ancêtres, lorsqu'ils
obéissent aveuglément aux chefs et aux puissants. Les hommes
peuvent être emportés par la vanité et s'imaginer pouvoir se
suffire à eux-mêmes et se passer de Dieu !
Toutefois, cette disposition originelle peut faiblir, mais
elle ne meurt pas ; elle peut être cachée, mais pas totalement
étouffée. Lorsque quelqu'un se trouve confronté à l'un des
malheurs de la vie, qu'il est totalement désemparé et s'aperçoit
que ni lui, ni aucun homme n'a le pouvoir d'améliorer son sort,
l'écorce superficielle des apparences illusoires a tôt fait de
disparaître pour révéler la nature profonde qu'elle dissimulait, et
dont la voix étouffée s'élève alors pour implorer son Seigneur et
se tourner vers Lui. Rappelons la Parole de Dieu : « Lorsque le
malheur vous atteint en mer, tous ceux que vous invoquez
disparaissent, sauf Lui ». 2
Cette disposition naturelle de l'être humain est une vérité
unanimement reconnue par les historiens des religions et des
civilisations, qui savent que l'être humain, depuis les temps les
116
plus reculés, a toujours eu une religion, célébré un culte et adoré
un Dieu. Ainsi, un grand historien a dit : « On a vu dans
l'histoire des cités sans palais, sans ateliers et sans remparts,
mais on n'a jamais vu de cité sans lieu de culte. »
L'importante déviation qu'a subie l'humanité au cours de
sa longue histoire n'a pas consisté à nier l'existence de Dieu ni
la servitude de l'homme envers Lui, mais plutôt à adorer
d'autres que Lui et à Lui associer d'autres divinités parmi les
créatures de la terre ou du ciel.
C'est pourquoi la mission de tous les messagers de Dieu,
à toutes les époques, a été de ramener les hommes de l'adoration
des créatures à l'adoration du Créateur ; le premier appel qu'ils
lançaient à leur peuple était toujours : « Adorez Dieu, et
éloignez-vous des fausses divinités. » 1 « Adorez Dieu, vous
n'avez pas d'autre divinité que Lui. » 2
C'est également pourquoi la principale préoccupation du
Livre éternel de Dieu, le Saint Coran, est d'appeler à croire en
un seul Dieu, à Lui vouer un culte exclusif, à ne chercher de
secours qu'en Lui et à ne se tourner que vers Lui. Prouver
l'existence même de Dieu est d'importance secondaire, car cela
est généralement accepté sans difficulté : ce n'est un sujet de
polémique, à chaque époque, que chez un petit nombre de
vaniteux dont les arguments ont en réalité peu de poids.
Un auteur athée, connu pour ses positions visant à mettre
en doute la religion, a écrit ces lignes étonnantes, où il demande
à ses lecteurs de ne pas le croire lorsque lui-même, dans ses
écrits, nie la foi ou adopte des positions athées.
Voici ce qu'il a écrit : « Même si je voulais imposer à
mon être et à ma raison de douter, je ne le pourrais pas ; même
117
s'ils voulaient me faire douter, ils ne le pourraient pas. Même si
je niais verbalement ma foi, mes paroles ne seraient pas sincères,
car la force de mes sentiments dépasse celle de toutes mes
paroles ! Admettons que quelqu'un dise qu'il ne s'aime pas lui-
même et qu'il n'aime pas la vie, pourrait-on le croire ? Se
croirait-il lui-même ? Nous est-il possible de nier notre être ou le
sentiment que nous en avons, par des paroles ? Les grandes
vérités ne peuvent pas être détruites par les mots. Ainsi, la foi en
Dieu, aux prophètes et aux religions fait partie de ces vérités si
puissantes qu'elles ne peuvent pas être affaiblies ni mises en
doute par des paroles qui peuvent être confuses ou dérisoires
pour avoir été prononcées dans quelque moment
d'enthousiasme.
Ma foi signifie : j'existe, donc je crois ; je pense, donc je
crois ; je suis un être humain, donc je crois ! »
L'auteur de ces lignes a ensuite tenu, tout au long de
nombreuses pages, des propos relevant de la mécréance, du
doute et de l'égarement le plus profond. Mais le fait qu'il ait
reconnu sa foi avec une telle franchise et avec une telle force
montre bien que la foi, comme nous l'avons dit, est une
disposition naturelle de l'être humain contre laquelle on ne peut
lutter et qu'on ne saurait vaincre.
Ce qui nous importe ici, c'est que l'être humain ne peut
pas vivre sans foi, sans Dieu à vénérer et à adorer, en qui placer
sa confiance, vers qui se tourner dans la crainte et l'espoir ; et
ce, même s'il ne donne pas à l'être adoré le nom de Dieu, et
même s'il n'appelle pas sa soumission adoration.
J'ai la plus grande pitié pour ces pauvres gens qui ont
refoulé leur nature, qui l'ignorent même et dont le coeur obscur
est inaccessible aux rayons de la foi ; pour ces malheureux
égarés qui polémiquent au sujet de Dieu sans connaissance, sans
Direction, sans Livre porteur de lumière.
J'ai doublement pitié de ces gens-là :
118
D'une part, parce qu'ils vivent et meurent sans jouir du
meilleur, du plus grand des bienfaits, la foi. Ce sont
véritablement de misérables déshérités. Lorsqu'un des plaisirs
de la vie échappe à quelqu'un, les gens disent : il a perdu la
moitié de son existence. Que dira-t-on alors de quelqu'un à qui
échappe l'âme de la vie, la vie de l'âme ? De quelqu'un qui
prive son coeur de la douceur de la foi ?
Ces malheureux se perdent eux-mêmes, ils perdent leurs
efforts, ils perdent leur vie ici-bas et dans l'Au-delà, ils perdent
l'éternité, ils perdent tout, parce qu'ils ont perdu la foi. Qu'on
réfléchisse à la sagesse de ce hadîth qoudousî où Dieu dit à Son
serviteur : « Mon serviteur, cherche-Moi, tu Me trouveras ; celui
qui M'a trouvé a tout trouvé, celui qui M'a perdu a tout perdu. »
Que Dieu fasse miséricorde à Son pieux serviteur qui a
dit : « Mon Dieu, que peut avoir trouvé celui à qui Tu fais
défaut ? Et qu'est-ce qui peut faire défaut à celui qui T'a
trouvé ? Grande est la perte de celui qui se satisfait d'autre chose
que Toi et qui persiste à s'éloigner de Toi. »
D'autre part, j'ai pitié des malheureux athées privés de la
foi en voyant que, tout en refusant de se considérer comme
serviteurs de Dieu, ils tombent dans la servitude envers d'autres
que Dieu.
Ces gens-là s'imaginent et prétendent s'être « libérés » de
toute servitude, avoir totalement rejeté la soumission à Dieu et la
foi en un Seigneur.
Mais ce n'est qu'un mensonge, car en réalité ils ont
échangé un bien contre un mal en échangeant la servitude envers
le Créateur contre la servitude envers les créatures ; en
échangeant le Dieu unique contre plusieurs divinités, et en se
prenant les uns les autres pour maîtres à la place de Dieu.
Il n'est pas un seul d'entre eux qui ne soit au service de
plusieurs maîtres et soumis à plusieurs divinités, de sorte qu'il se
trouve tiraillé entre des intérêts divergents.
119
Grande est la différence entre leur situation et celle du
croyant, qui rejette en bloc toutes les fausses divinités, qui a
détruit dans son coeur toutes les idoles, qui ne reconnaît que
Dieu comme Maître, qui ne s'en remet qu'à Lui, qui se tourne
vers Lui, s'appuie sur Lui et Lui obéit ; qui n'accepte pas d'autre
maître que Dieu, ne cherche pas d'autre protecteur que Lui et ne
se soumet au jugement d'aucun autre que Lui !
Qu'on me dise donc qui est dans une meilleure position
et suit la meilleure voie : celui qui connaît Dieu et ne s'incline
devant aucun autre que Lui ou celui qui, ignorant Dieu, est
devenu le serviteur de plusieurs divinités ?
« Est-ce que des maîtres dispersés valent mieux que
Dieu, l'Unique, le Dominateur Suprême ? » 1
« Dieu donne en exemple un homme appartenant à
plusieurs associés qui se querellent, et un homme
appartenant à un seul homme : leur situation est-elle
semblable ? Louange à Dieu ! Mais la plupart d'entre eux ne
savent pas. » 2
Ce verset compare le polythéiste à un esclave appartenant
à plusieurs maîtres, des associés qui se querellent, chacun
demandant à l'esclave une chose différente et le tirant dans une
direction, tandis que l'esclave hésite et souffre car il ne sait
comment les contenter tous à la fois.
Le croyant, lui, est semblable à un esclave appartenant en
exclusivité à un seul maître : il ne fait pas l'objet de disputes ; au
contraire, il connaît son maître et sait comment le satisfaire.
Ce verset parle des polythéistes et des monothéistes ;
mais la réalité a démontré que tous les athées sont en fait des
polythéistes. La différence est que les polythéistes adorent
120
d'autres divinités en même temps que Dieu, tandis que les
athées adorent des divinités multiples à la place de Dieu.
121
« Dirige ton visage vers la religion en un culte pur,
selon la disposition innée que Dieu a donnée aux hommes en
les créant. » 1
Si la nature humaine était laissée à elle-même, sans
aucune influence extérieure, elle ne manquerait pas d'aboutir à
l'islam. Ainsi, le Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui) a dit dans un hadîth authentique : « Chaque nouveau-né
vient au monde selon la disposition innée de l'être humain (al-
fitra), et ce sont seulement ses parents qui en font un juif, un
chrétien ou un zoroastrien. »
La nature et la raison de l'être humain lui disent que
l'homme n'a pas été créé sans rien, qu'il ne s'est pas créé lui-
même, qu'il n'a pas non plus créé un seul atome de tout ce qui
se trouve dans les cieux et sur la terre.
Le Coran dit : « Auraient-ils été créés sans rien, ou
seraient-ils eux-mêmes les créateurs ? Auraient-ils créé les
cieux et la terre ? » 2
La nature et la raison de l'être humain lui disent : Il faut
donc bien nécessairement que cet être étonnant qu'est l'homme
et cet immense univers aient un Créateur ; il faut nécessairement
que ce Créateur possède une science et une sagesse infinies, une
volonté souveraine, une puissance sans limite.
Le Coran dit : « Tel est Dieu, votre Seigneur, le
Créateur de toute chose. Il n'y a pas d'autre divinité que
Lui. Comment vous détournez-vous ? C'est ainsi que se
détournent ceux qui récusent les Signes de Dieu. – C'est Dieu
qui a fait pour vous de la terre un lieu de séjour et du ciel un
édifice, qui vous a donné une forme harmonieuse et qui vous
1
Sourate ar-Roûm, « Les Romains », verset 30.
2
Sourate at-Toûr, « Le mont », versets 35-36.
122
a dispensé d'excellentes nourritures. Tel est Dieu, votre
Seigneur : béni soit Dieu, Seigneur des Mondes ! » 1
La nature et la raison de l'être humain disent : C'est
sûrement pour une bonne raison, et dans un but précis, que ce
Créateur à la sagesse infinie a ainsi organisé cet univers et y a
placé l'être humain. Sa sagesse est telle qu'Il ne peut pas avoir
créé tout cela en vain.
Le Coran dit : « Nous n'avons pas créé les cieux et la
terre et ce qui est entre eux par divertissement ; Nous ne les
avons créés qu'en toute vérité, mais la plupart d'entre eux
ne savent pas. » 2
Cette vérité selon laquelle les cieux et la terre ont été
créés, la raison la devine et l'instinct la pressent confusément :
c'est que l'être humain possède une mission dans l'existence, et
qu'il se trouve, derrière cette vie pénible et éphémère, une autre
vie qui en est le but et l'aboutissement ; un Au-delà où les
hommes seront rétribués pour leurs bonnes ou leurs mauvaises
actions afin que, comme l'exige la sagesse, les bons et les
mauvais, les gens de bien et les pécheurs ne connaissent pas le
même sort.
Le Coran dit : « Nous n'avons pas créé sans but les
cieux et la terre et ce qui est entre eux ; c'est ce que
s'imaginent les mécréants : malheur aux mécréants à cause
du Feu ! Traiterons-Nous donc ceux qui ont cru et fait le
bien comme ceux qui ont semé la corruption sur terre, ou
traiterons-Nous les gens pieux comme les pervers ? » 3
« Pensiez-vous donc que nous vous avions créés sans
but et que vous ne seriez pas ramenés vers Nous ? »4
123
La nature et la raison sentent que les hommes ont des
devoirs envers ce Créateur Tout-Puissant, puisqu'Il a créé Ses
serviteurs et les a comblés d'innombrables bienfaits : le devoir
de reconnaître Sa présence plutôt que de la nier ; de Le remercier
et de ne pas être ingrats ; de Lui obéir et de ne pas s'y refuser ;
de n'adorer que Lui sans rien Lui associer.
Le Coran lance cet appel à tous les êtres humains : « Ô
êtres humains, adorez votre Seigneur qui vous a créés ainsi
que ceux qui vous ont précédés - ainsi peut-être Le
craindrez-vous ; Celui qui a fait pour vous de la terre un lit
de repos et du ciel un édifice, et qui a fait descendre du ciel
une eau dont Il a tiré des fruits pour assurer votre
subsistance. N'attribuez donc pas à Dieu d'égaux, alors que
vous savez. » i
Le Coran explique ainsi le but de la création des cieux et
de la terre en général, et des êtres humains et des djinns en
particulier : « Dieu est Celui qui a créé sept cieux et autant de
terres, entre lesquels le commandement descend, afin que
vous sachiez que Dieu est puissant sur toute chose et que la
science de Dieu embrasse toute chose. » 2
« Je n'ai créé les djinns et les êtres humains que pour
qu'ils M'adorent. Je n'attends d'eux aucun don et Je
n'attends pas d'eux qu'ils Me nourrissent. » 3
Ces réponses coraniques conduisent le croyant à
découvrir le sens de son existence et de celle de l'univers tout
entier. Il connaît Dieu, et cette connaissance lui permet de
connaître toute chose, lui procure la clé de toutes les énigmes, le
guide vers tout le bien. Le monde est le royaume de Dieu, tout
ce qui s'y trouve est la manifestation de Sa miséricorde. L'être
humain est le lieutenant de Dieu sur terre ; il a été créé pour
124
L'adorer, il a accepté de porter la responsabilité que Dieu lui a
confiée. La vie provient de–Dieu, la mort est décrétée par Lui. La
vie de ce monde est le champ où l'on sème l'obéissance à Dieu :
l' Au-delà est le temps de la récolte où Dieu rétribuera nos
actions. Les bienheureux sont ceux qui acceptent d'être guidés
par Dieu, et les malheureux sont ceux qui se détournent de
l'invocation de Dieu.
Dans cette demeure éphémère, l'être humain est soumis à
des épreuves et tenu pour responsable de ses actes, afin de le
préparer à l'immortalité dans la demeure éternelle ; la mort est le
pont qui relie les deux demeures. Ces questions sur lesquelles
les philosophes se sont penchés jusqu'à y épuiser toute leur vie
sans pouvoir trouver de quoi étancher leur soif intellectuelle, le
croyant y a trouvé réponse en toute tranquillité. Il sait d'où il
vient, pourquoi il est là, où il va, pourquoi il vit, pourquoi il
meurt et ce qui l'attend dans l'Au-delà. Il tient ce savoir d'une
source inaccessible à l'erreur et à l'oubli, la Révélation émanant
de Dieu Tout-Puissant. Celui qui tient du Seigneur de l'Univers
la connaissance du sens profond de l'existence, celui-là est guidé
sur la Voie droite.
Un philosophe athée sceptique s'exclama, au moment de
mourir et d'être confronté à ce qui se passe après la mort :
« Maintenant qu'est venue l'heure du grand voyage, je ne
sais où je vais
Je ne sais où part l'âme après avoir quitté les ruines de ce
corps usé... »
Un homme pieux, apprenant cela, dit : « Que nous
i mporte son ignorance, s'il ne savait pas où il allait ? Nous
savons, quant à nous, quelle est la destination de notre voyage et
du sien ; Dieu dit : « Les justes seront dans un délice, et les
libertins dans une fournaise. »'
125
La religion est en harmonie avec la nature humaine et
accompagne la raison : elle n'est ni en opposition avec notre
nature, ni en contradiction avec notre raison.
Ce que notre nature ressent confusément, la religion
l'explique clairement et le complète. Ce que notre raison
comprend de manière globale et incertaine, la religion l'expose
en détail et en dissipe le doute. Elle rejette les égarements de la
raison et les illusions des sens. Elle indique clairement l'objectif
et trace la voie à suivre.
La nature humaine n'est pas faite uniquement de pensée,
ni uniquement de sentiments : elle est fondée sur le mélange de
la pensée et des sentiments, et la religion s'adresse à cette nature
dans sa totalité, à la pensée comme aux sentiments. Elle
s'adresse à la raison mais aussi au coeur. Ceux qui voudraient ne
s'appuyer que sur le pouvoir de la raison pour parvenir à une
conviction profonde et juste, à une vision d'ensemble claire qui
expliquerait le sens de l'existence et en éluciderait les énigmes,
ceux-là outrepassent les limites de la raison et le rôle qui est le
sien. Ils négligent un aspect important de la nature humaine,
celui des sentiments et de l'émotion, celui du coeur. Ils se
ferment à eux-mêmes une vaste porte qui leur est profondément
nécessaire et sans laquelle ils ne peuvent que s'égarer : la porte
de la Révélation.
La raison, quelles que soient son intelligence et son
aptitude à expérimenter, à réfléchir et à déduire, demeure
toujours limitée en raison des limitations même des capacités
humaines. Elle est soumise aux contraintes du temps, du lieu, de
l'hérédité et du milieu. Elle ne peut se passer d'aide et de soutien
pour corriger ses erreurs, la ramener sur le droit chemin et la
guider vers la vérité : ce soutien, c'est la Révélation, qui est le
fondement de la religion.
La Révélation soulage l'homme de la charge de
s'engager dans une recherche qui dépasse ses capacités et ne
peut être qu'infructueuse. Elle le dispense d'entreprendre un
126
long périple, de suivre les méandres de chemins obscurs sans
savoir où il va aboutir. Elle lui apporte ce qu'il doit savoir — et
ce qu'il peut savoir — quant à l'origine et à la fin de l'existence, à
sa raison d'être et à ses secrets. Elle lui fournit cette
connaissance en la mettant à sa portée en toute clarté, sans les
arguties des dialecticiens, les subtilités des prétendus
philosophes, les simagrées des ergoteurs.
Je me demande bien ce que l'être humain pourrait savoir
de sa propre existence, de celle de l'immense univers qui
l'entoure et du Souverain de ce vaste royaume, s'il avançait seul
le long du chemin, sans être guidé par la Révélation divine...
Il errerait dans un désert où il ne trouverait pas son
chemin, où il ne verrait que des mirages qu'il penserait être de
l'eau, et qui se dissiperaient à son arrivée... Il se débattrait,
incapable de trouver la terre ferme, dans des eaux ténébreuses
comme celles évoquées par Dieu dans le Coran : « Comme les
ténèbres d'une mer abyssale, recouverte par une vague, puis
au-dessus une autre vague, puis au-dessus des nuages — des
ténèbres les unes au-dessus des autres ; si quelqu'un étendait
la main, il ne la verrait presque pas. Celui que Dieu n'a pas
pourvu de lumière n'a aucune lumière. » 1
Mais oui. De nombreux penseurs anciens et modernes se
sont efforcés de résoudre les énigmes de l'existence, de parvenir
à la paix intérieure au moyen de la philosophie humaine sans se
laisser guider par Dieu, par la Révélation : ils ont échoué
lamentablement.
Al-Fakhr ar-Râzî a dit, après avoir étudié les idées des
penseurs anciens et contemporains et fait le tour du champ de
connaissances des philosophes et des théologiens rationalistes de
son époque : «J'ai réfléchi sur les ouvrages des théologiens
rationalistes et sur les écoles de pensée philosophiques, et je les
ai trouvés incapables d'étancher la soif ou d'apaiser la douleur.
127
Je me suis rendu compte que la voie la plus directe est celle du
Coran... Quiconque partage mon expérience partage aussi mes
conclusions. » 1
L'un de ces penseurs a écrit ces vers à propos de la
philosophie et de ceux qui s'y adonnent :
« J'ai fait le tour de toutes ces écoles, je me suis promené
dans tous ces instituts :
Je n'ai vu que des gens perplexes, le menton sur la main,
ou d'autres en proie aux plus amers regrets ! »
Un autre, à la fin de sa vie, regrettait de ne pas posséder
une foi pareille à celle des vieilles femmes... car les prétendus
philosophes ne parviennent même pas à la foi des vieilles
femmes.
La philosophie humaine n'a donc pas réussi à apporter au
coeur des hommes la quiétude, qui est l'élément essentiel du
bonheur. Comment en effet un homme pourrait-il être heureux,
si la nuit il est rongé par le doute et s'il passe ses jours dans
l'anxiété ?
Les justes savent, quant à eux, que la voie la meilleure, la
plus directe et la plus apte à apporter la paix intérieure est celle
de l'infaillible Révélation divine. C'est la protection contre le
doute dévastateur et contre l'angoisse terrifiante.
« Tiens fermement à ce qui t'a été révélé, tu es certes
sur une voie droite. » 2
« Place ta confiance en Dieu, tu es certes dans la
vérité éclatante. » 3
' Al-Fakhr ar-Râzî, Aqsâm al-ladhdhât (« Les catégories des voluptés »).
2
Sourate az-Zoukhrouf, « L'ornement », verset 43.
3
Sourate an-Naml, « Les fourmis », verset 79.
128
La vérité éclatante est celle qui est claire et nette,
exempte de toute obscurité et de toute ambiguïté, à l'abri des
doutes et des divergences.
Ce sentiment d'être « dans la vérité éclatante », d'être
« sur une voie droite », seul peut y parvenir le croyant qui se
laisse guider par la Révélation divine.
Par contre, quelqu'un qui se détourne de l'enseignement
divin est « pareil à celui que les démons ont séduit de sorte
qu'il erre, perplexe, sur la terre, tandis que ses compagnons
l'appellent dans la bonne direction : `Viens avec nous !' Dis :
c'est la Direction de Dieu qui est la bonne direction. » 1
La Révélation est le seul et unique chemin conduisant à
une conviction certaine quant aux grands problèmes de
l'existence. Sans la Révélation, aucune certitude n'est possible ;
sans certitude, aucune sérénité n'est possible, et sans sérénité
aucun bonheur n'est possible.
La Révélation permet au croyant d'accéder au degré de la
connaissance certaine ; son âme peut même s'élever jusqu'à
atteindre la vision fondée sur la certitude ou la vérité irréfutable.
L'un des pieux Anciens a dit : « Même si le voile de
l'Invisible était levé, cela n'ajouterait rien à ma certitude ! »
C'est que sa foi en ce que la Révélation lui avait appris était telle
que les vérités de l'existence étaient connues de son coeur aussi
clairement que s'il les voyait de ses yeux, directement et sans
intermédiaire, comme le soleil du matin lorsque ni nuages, ni
brume ne viennent l'obscurcir.
Un autre des pieux Anciens a dit : « J'ai réellement vu le
Paradis et l'Enfer. » Comme on lui demandait : « Et comment
as-tu pu les voir alors que tu es ici-bas ? » Il répondit : « Le
Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) les a vus,
et je les ai vus par ses yeux. Il m'est préférable de les avoir vus
1
Sourate al-An'âm, « Les bestiaux », verset 71.
129
par les yeux du Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur
lui) que de les avoir vus de mes propres yeux : en effet, ma
vision aurait pu faiblir ou me faire défaut à ce spectacle, tandis
que la vision du Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui) n'a pas faibli et ne lui a pas fait défaut. »
130
pour une autre vie, meilleure et plus durable, où chacun sera
rétribué en fonction de ses actions et verra ainsi son sort fixé
pour l'éternité. Cette connaissance libère le croyant des grandes
interrogations sur le sens de la vie et de la mort et sur ce qui leur
fait suite : il est en effet profondément convaincu qu'il a été créé
pour l'éternité et que la mort ne fait que le transporter d'un état à
un autre, d'une demeure à une autre.
Le croyant sait qu'il n'a pas été créé en vain dans cette
vie, qu'il n'est pas laissé à l'abandon. Dieu lui a envoyé Ses
prophètes avec des preuves évidentes, pour guider et enseigner,
porter la bonne nouvelle et avertir, afin que les hommes trouvent
le chemin de la vérité et reconnaissent les signes indiquant la
bonne voie. Afin que, sachant ce qui plaît à Dieu, ils s'emploient
à le suivre, et sachant ce qui suscite Sa colère, ils l'évitent ; afin
qu'ils établissent la justice parmi les hommes et tranchent leurs
différends ; afin qu'ils soient des exemples vivants du bon
comportement et des hautes valeurs morales, pouvant fournir un
modèle aux autres.
Le croyant sait qu'il n'est pas étranger à ce vaste univers
qui l'entoure. Il n'est pas coupé du monde, et grâce à sa foi il
n'est plus seul. L'univers tout entier est avec lui. En effet, la foi
correspond à la nature même de l'univers, dont chaque élément
ne cesse de glorifier Son Seigneur, le Très-Élevé, et de se
prosterner devant Celui qui a créé et agencé harmonieusement,
décrété et guidé :
« Les sept cieux et la terre, et tout ce qui est en leur
sein, célèbrent les louanges de Dieu ; il n'est pas une chose
qui ne célèbre Ses louanges, mais vous ne comprenez pas
leur chant. Il est certes plein de mansuétude, enclin au
pardon. » 1
Le croyant possède là un précieux trésor, que seuls
peuvent estimer à sa juste valeur les gens qui en sont privés, ou
'
Sourate al-Isrâ , «Le voyage nocturne », verset 44.
131
ceux qui méditent avec clairvoyance sur la situation de ces
derniers.
Les gens qui refusent de croire en Dieu ou qui
entretiennent des doutes à Son propos et à propos du Jour du
Jugement ont une vie dépourvue de goût, dépourvue de sens.
Une vie qui n'est faite que d'anxiété et de perplexité, qui est
pleine de points d'interrogation. Une vie peuplée de questions
dont ils ne connaissent pas la réponse.
Ils ne possèdent aucune conviction certaine susceptible
d'apaiser leurs questionnements quant à leur propre existence et
à celle de l'univers qui les entoure. D'où viennent-ils ? Qui les a
faits, et pourquoi ? Où iront-ils, après cette courte période dont
ils ne comprennent pas le sens et dont ils ne connaissent pas le
but ? Qu'est-ce que cet univers ? Quels en sont l'origine et le
but ? Quel lien ont-ils avec lui ?
Ces questions les harcèlent sans que leur esprit limité
puisse y apporter une réponse apaisante et convaincante,
susceptible de dissiper les ténèbres du doute, de la perplexité et
de la confusion.
Si un jour, parfois, ils semblent avoir trouvé une réponse
à ces questions angoissantes, ils reviennent le lendemain sur ce
qu'ils avaient dit et retournent à leur point de départ.
Ils ne se maintiennent pas sur une seule voie et sont
incapables d'adopter une vision constante : ils sont « Comme la
plume au vent, agitée et instable ».
Nous en trouvons un exemple chez les auteurs anciens
avec Ibn ach-Chayl al-Baghdâdî qui dit dans son magnifique
poème :
« Par ton Seigneur, ô globe arrondi, est-ce une intention
qui te guide ou une nécessité ? »
Puis il s'exclame en s'interrogeant sur la raison d'être de
l'existence :
132
« Comment saurions-nous gré d'une existence qui nous
est imposée ?
Ce seraient des bienfaits si nous avions le choix, si l'on
nous consultait ! »
Puisqu'il a vu le jour sans l'avoir choisi et sans avoir été
consulté, le poète clame sa colère contre cette existence qui
n'est, selon lui, qu'un malheur qui lui est infligé à cause du désir
passager de son père et de sa mère ; il dit à ce propos :
« Dieu maudisse un plaisir qu'ont pris à nos dépens les
mères et les pères ;
Sans l'existence, nous ne connaîtrions point la perte :
nous mettre au monde, c'est nous infliger le malheur. »
`Omar al-Khayyam dit aussi en ce sens :
« On m'a fait endosser le vêtement de la vie sans me
consulter, et j'erre, indécis, au milieu des idées
J'ôterai ce vêtement sans savoir pourquoi je suis venu, ni
où je partirai. »
Il se plaint d'avoir été obligé de revêtir le vêtement de la
vie et de ne pas avoir été consulté, s'imaginant que, si on l'avait
consulté, il aurait pu mieux décider de son propre sort que ne l'a
fait son Seigneur. Puis il ôtera ce vêtement en mourant, sans
savoir quel est le sens de son existence ni ce qu'il y aura après.
Aboû al-`Alâ' al-Ma'arrî disait lui aussi, alors qu'il était
rongé par le doute et la perplexité :
« Nous quittons la vie sans avoir pu savoir quel est le
dessein de l'existence humaine.
Aucune connaissance ne nous est parvenue par la
transmission ni par une étoile observée de la terre. »
Il ajoutait :
« Je m'interroge chaque jour sur le lendemain, envahi
d'inquiétude,
133
Je ne possède aucune certitude, tout au plus puis-je
arriver à quelques conjectures. »
Il disait encore :
« Vous m'avez questionné, et vous répondre m'a épuisé :
il ment, celui qui prétend qu'il sait. »
Ce doute qui le prive de certitude et de stabilité le met en
colère contre la vie et le pousse à envisager celle-ci avec un
profond pessimisme. Le voilà qui dit :
« Nous avons ri, mais notre rire était sottise : les hôtes de
la terre feraient mieux de pleurer.
Le temps qui passe nous réduit à des débris de verre,
mais ce verre ne peut être fondu à nouveau. »
Il va jusqu'à s'abstenir de se marier afin de ne pas mettre
au monde d'enfants comme son père et sa mère l'avaient mis au
monde :
«J'ai soulagé mes enfants : ils sont dans le bonheur du
néant, que j'ai préféré aux délices du présent. »
Plongé dans une vision déterministe, il dit encore :
«Je n'ai pas fait le choix de ma naissance, de ma
vieillesse ni de ma vie : que me reste-t-il alors à
choisir ? »
Il dit aussi :
« Nous sommes venus malgré nous et nous partons
contraints ; entre ces deux moments tout semble nous
être imposé ».
A l'époque moderne, un autre poète, Ilyâ Aboû Mâdî dit
dans son poème intitulé « Les énigmes » :
« Je suis venu je ne sais d'où, mais je suis là,
J'ai vu devant moi un chemin et je l'ai suivi
Je poursuivrai ma route, que je le veuille ou non.
Comment suis-je venu ? Comment ai-je vu le chemin ?
134
Je ne sais pas !
Suis-je nouveau ou ancien dans cette existence ?
Suis-je libre de toute entrave ou prisonnier de chaînes ?
Est-ce moi qui dirige ma vie ou suis-je dirigé ?
Je voudrais bien le savoir, mais...
Je ne sais pas !
Et mon chemin, quel est mon chemin ? Est-il long ou court ?
Me fera-t-il monter, ou descendre et déchoir ?
Est-ce moi qui marche sur le sentier, ou est-ce le sentier qui
marche ?
Ou sommes-nous tous immobiles, tandis que le temps passe ?
Je ne sais pas !
Est-ce qu'avant d'être un homme harmonieux
Je n'étais rien du tout, ou j'étais quelque chose ?
Ce mystère sera-t-il résolu, ou demeurera-t-il à jamais ?
Je ne sais pas... et pourquoi ne sais-je pas ?
Je ne sais pas ! »
Ce n'est pas chose facile à porter que cette incertitude,
cette agitation et cette angoisse où se débattent les sceptiques qui
doutent de la présence et de la sagesse de Dieu, de Sa justice et
de Sa miséricorde, de Sa rétribution de nos actions dans l'Au-
delà et des Révélations qu'Il a faites aux prophètes. C'est une
profonde souffrance, une brèche ouverte sur l'Enfer par où les
flammes s'échappent pour brûler le coeur des sceptiques ; dès
que leur feu s'atténue, le vent du doute souffle en tempête pour
l'attiser à nouveau afin de les faire goûter au supplice.
Ils ne peuvent échapper à cette angoisse, qui les privera
de la paix intérieure et de la tranquillité de la conscience, qui
leur pèsera et leur empoisonnera la vie, qui troublera leurs nuits
et obscurcira leurs jours : ils mèneront, selon l'expression
coranique, « une vie pleine de gêne » 1 .
135
Le croyant connaît son but et la voie qu'il doit
suivre
Les incroyants vivent dans ce monde tiraillés entre de
multiples préoccupations, entre des objectifs divers : penchant
tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, ils sont en proie à un
conflit intérieur continuel. Ils ne savent lequel de leurs désirs
satisfaire, hésitent entre l'instinct de conservation et le combat,
etc.
Ils hésitent encore entre satisfaire leurs instincts ou
satisfaire la société où ils vivent ; et lorsqu'il s'agit de satisfaire
la société, ils ne savent pas non plus à laquelle de ses
composantes ils doivent chercher à plaire. En effet, vivre pour
plaire aux autres est un objectif impossible : à satisfaire les uns,
on mécontente nécessairement les autres, et inversement.
La sagesse populaire le sait bien, qui nous raconte
l'histoire du vieillard, de son fils et de son âne : Le vieillard
monta sur l'âne, et le garçon marcha derrière, mais les femmes
blâmèrent le vieillard. Alors le garçon monta sur l'âne, et le
vieillard marcha derrière : mais ce furent les hommes qui
blâmèrent le garçon. Ils montèrent donc tous les deux sur l'âne,
ce qui les exposa aux critiques des protecteurs des animaux. Ils
descendirent enfin tous les deux et marchèrent derrière l'âne,
mais ils furent la risée des enfants. Le garçon proposa alors à son
père qu'ils portent à eux deux l'âne afin de se mettre à l'abri des
critiques. Mais le vieux père répondit : « Si nous faisons cela,
nous nous fatiguerons et les gens nous traiteront de fous si nous
portons l'âne au lieu de le monter. Mon enfant, il est impossible
de satisfaire les gens. »
Le poète n'a-t-il pas dit :
« Qui d'entre nous peut donc contenter tout le monde,
quand les désirs des gens sont aussi différents ? »
Le croyant n'est pas confronté à ce genre de difficulté. Il
n'a qu'un seul but vers lequel il concentre tous ses efforts :
136
satisfaire Dieu Tout-Puissant. Peu lui importe de contenter les
hommes ou de leur déplaire, car il dit, comme le poète :
«J'aspire à Ta douceur dans une vie amère, quitte à
déplaire aux gens je veux Te satisfaire
Si je Te suis lié par un lien solide, peu m'importe mon
lien avec tout l'univers
Si Ton amour est là tout est facile : tout ce qui est sur
terre n'est que poussière. »
De même, le croyant n'a qu'une seule et unique
préoccupation : suivre la voie menant à la satisfaction divine. Il
implore Dieu maintes fois, à chaque prière, de le guider vers
cette voie et de lui permettre de la suivre : « Guide-nous sur la
Voie droite. » t C'est un chemin unique, rectiligne et sans
détour : « Ceci est Ma voie, dans sa rectitude : suivez-la, et ne
suivez pas les chemins qui vous écarteraient de son
chemin. »2
Grande est la différence entre l'homme tranquille et
serein qui connaît son but et sait comment y parvenir, et celui,
égaré et aveugle, qui chemine sans but, sans savoir où il va ni
quelle sera sa destination finale !
« Est-ce celui qui marche face contre terre qui est le
mieux guidé, ou celui qui marche debout sur une voie
droite ? » 3
Pour atteindre ce but, le croyant fait fi de toutes les
difficultés, il accepte toutes les souffrances, est prêt à tous les
sacrifices et s'y dirige même volontiers, le coeur léger. Ainsi le
Compagnon Khoubayb ibn Zayd, capturé et crucifié par les
polythéistes, exposé à leur vengeance, ne flancha pas comme
ceux-ci l'espéraient mais les regarda au contraire avec une
conviction et une détermination intactes en déclamant :
137
« Peu m'importe quand je serai tué musulman, par où,
pour Dieu, aura lieu mon trépas.
Cela est voué à Dieu, et s'Il le veut, il bénira les
membres d'un corps déchiré. »
De même, les Compagnons et leurs vertueux successeurs
se jetaient dans la bataille, alors qu'autour d'eux la mort faisait
rage, en s'exclamant : « Et je me suis hâté vers Toi, Seigneur,
afin que Tu sois satisfait. » 1
Cet autre encore, le corps transpercé par une flèche,
s'écria en rendant l'âme : « J'ai gagné, par le Seigneur de la
Ka'ba !»
Lors de la campagne contre les coalisés, les croyants
furent confrontés à une rude épreuve. Ils furent fortement
ébranlés, entourés par l'ennemi de toutes parts, les yeux hagards,
le coeur serré. Certains hommes se mirent à douter, les
hypocrites se dévoilèrent et se mirent à dire que Dieu et Son
Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) leur
avaient fait de fausses promesses.
Dans cette atmosphère terrifiante, les croyants surent
conserver leur calme et leur sérénité habituels. Dieu évoque cette
épreuve dans le Coran : « Lorsque les croyants virent les
coalisés, ils dirent : `Voilà ce que Dieu et Son messager nous
avaient promis, Dieu et Son messager ont dit vrai.' Cela ne
fit qu'accroître leur foi et leur soumission. » 2
Qu'est-ce qui donnait à ces combattants une telle
sérénité, alors que la bataille faisait rage ? Qu'est-ce qui leur
donnait la quiétude alors que la mort les attendait ? C'était la foi,
bien entendu. Dieu dit :
138
« C'est Lui qui a fait descendre la sérénité dans le
coeur des croyants pour qu'une foi plus grande vienne
accroître leur foi. » 1
« Dis : Dieu égare qui Il veut et guide vers Lui ceux
qui se repentent, ceux qui croient et dont les coeurs
s'apaisent au souvenir de Dieu. N'est-ce pas au souvenir de
Dieu que s'apaisent les coeurs ? » 2
Le croyant connaît son but et la voie qu'il doit suivre, et
les accepte sereinement. Il sait qu'il suit la voie de tous ceux,
prophètes, véridiques, martyrs et justes, que Dieu a comblés de
bienfaits, la Voie droite à laquelle appelle le Prophète
Mohammed (que la bénédiction et la paix soient sur lui) : « En
vérité, tu guides vers une voie droite, la voie de Dieu, Lui à
qui appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. » 3
Grâce à cette voie droite, le croyant est serein et ferme
dans sa moralité et son comportement. Sa vision est claire et
simple. Il est à l'abri de l'inquiétude et de l'hésitation. Il ne se
soucie guère des contradictions des diverses tendances, il n'est
pas tourmenté par le tiraillement de ses désirs, ni en proie à un
conflit intérieur destructeur entre agir ou ne pas agir, faire ceci
ou faire cela.
Ses principes sont clairs, ses critères invariables. Il peut
s'y référer afin de déterminer, pour chaque action et chaque
comportement, s'il peut aller de l'avant ou s'il doit s'arrêter. Le
Livre de Dieu lui suffit comme guide, et Son Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) comme modèle :
« Il vous est venu, de la part de Dieu, une lumière et
un Livre clair par lequel Dieu guide ceux qui cherchent à
Lui plaire vers les chemins du salut, les fait sortir des
139
ténèbres vers la lumière par Sa permission et les guide vers
une voie droite. » 1
Mais le croyant a aussi une conscience éveillée, un coeur
éclairé qui le conseille dans les situations équivoques et le guide
dans l'adversité. Comme l'aiguille magnétique, ce coeur pointe
toujours dans la bonne direction et il peut suivre son conseil sans
se soucier du tumulte qui l'entoure.
Pour un croyant, le critère de comportement est clair et
invariable : il se résume dans la recherche de la satisfaction
divine, dans l'obéissance aux ordres de Dieu et l'abstention de
ce qu'Il interdit. Car le croyant est convaincu que c'est là que
réside son bonheur ici-bas et dans l'Au-delà et que c'est un bien
pour lui et pour l'humanité entière. Il s'en tient donc résolument
aux limites fixées par Dieu et obéit promptement aux ordres de
son Seigneur, et ce, même au prix de son intérêt immédiat et
même s'il doit pour cela maîtriser ses désirs ou résister à ses
sentiments, à ses instincts ou au poids de la coutume.
Voilà ce qu'est une foi profonde et sincère, et voilà quels
en sont les fruits.
L'étonnante histoire qui va suivre, celle d'un père et d'un
fils croyant, est un exemple éclatant de cette certitude
inaccessible au doute, de cette promptitude à obéir à l'ordre de
Dieu, sans hésitation, sans inquiétude, sans démission.
Un vieil homme, désireux d'avoir un enfant, invoqua
son Seigneur. Celui-ci lui donna un fils malgré son grand âge : le
Ciel lui fit l'heureuse annonce d'un « garçon doux de
caractère ». Il s'attacha à cet enfant, auquel il voua toute sa
tendresse et tout son amour. Plus l'enfant grandissait, plus
l'amour du père augmentait et plus ses espoirs se portaient sur
lui. Mais voilà que la sagesse divine voulut les unir dans une
terrible épreuve : que le père immole son fils pour Dieu et
140
immole avec lui son amour et ses espoirs. Le père s'y refusa-t-
il ? Ou hésita-t-il seulement entre l'appel des sentiments et celui
de la foi, entre la voix de l'inspiration divine venant d'en haut et
celle de la paternité émanant de son coeur ? Le fils se révolta-t-il
contre un ordre qui concernait sa vie ? Les arguments
antagoniques de l'amour de la vie et de l'obéissance à Dieu
entrèrent-ils seulement en conflit dans son coeur ?
Absolument pas. Leur conviction était plus forte que
leurs penchants humains et qu'une quelconque réticence : le père
offrit son fils, et le fils offrit sa vie.
Telle est l'histoire d'Abraham, l'ami privilégié de Dieu,
et de son fils Ismaël (la paix soit sur eux).
Le Coran donne la description la plus juste et la plus
admirable de ces deux coeurs croyants, de la sérénité avec
laquelle ils firent face à cette terrible épreuve et de la fermeté
morale exprimée par l'immense sacrifice du père et la noble
patience du fils.
Dieu dit à propos d'Abraham et de son fils Ismaël :
« Nous lui fîmes alors l'heureuse annonce d'un
garçon doux de caractère. Lorsque celui-ci fut en âge de
l'accompagner, il lui dit : `Ô mon fils, j'ai vu en songe que je
t'immolais. Vois ce que tu en penses.' Il répondit : `Ô mon
père, fais ce qui t'est ordonné, tu me trouveras si Dieu le
veut de ceux qui font preuve de patience.' Lorsque tous deux
se furent soumis et qu'il l'eut placé le front à terre, Nous
l'appelâmes : `Ô Abraham, tu as confirmé la vision. C'est
ainsi que Nous récompensons les gens de bien.' Voilà
l'épreuve manifeste. Nous le rachetâmes par un sacrifice
solennel. Nous perpétuâmes son souvenir dans la postérité.
La paix soit sur Abraham. C'est ainsi que Nous
141
récompensons les gens de bien. Il était de Nos serviteurs
croyants. » 1
Dans cette conclusion se trouve la clé de toute l'histoire,
l'explication de tant d'héroïsme et de sacrifice : « Il était de Nos
serviteurs croyants. »
Il ne vouait de servitude qu'à Dieu seul, ne croyait qu'en
Dieu seul. « Il était de Nos serviteurs croyants. » Or, la
servitude envers Dieu signifie la libération de tout
assujettissement à qui que ce soit ou quoi que ce soit d'autre que
Lui. Qui se soumet à Dieu ne se soumet à aucune créature
terrestre ni céleste. Même le démon qui chuchote le mal n'a
aucun pouvoir sur le coeur des serviteurs de Dieu : « Quant à
Mes serviteurs, tu n'as aucun pouvoir sur eux. » 2
La servitude envers Dieu signifie accepter le jugement du
Tout-Puissant, le coeur satisfait et dans une attitude de totale
soumission, sans doute ni hésitation, parce qu'on est pleinement
convaincu que la décision de Dieu est préférable à toute décision
que l'on pourrait prendre soi-même, que Dieu est plus
miséricordieux envers Ses créatures que leurs propres parents et
qu'Il sait mieux que quiconque ce qui leur convient et les
purifie.
Le croyant sincère est celui qui, reconnaissant les
implications de cette servitude, dirige son être vers le Créateur
des cieux et de la terre, détruit les idoles dans son coeur et refuse
toutes les fausses divinités. Il n'admet pour maître que Dieu, il
ne prend nul autre que Dieu comme protecteur, il ne recherche le
jugement de nul autre que Lui. Il sait clairement où il va, le
chemin est droit devant lui, sans confusion et sans détour :
« Dis : Dieu m'a guidé vers une voie droite, une
religion droite, le monothéisme pur d'Abraham, - il ne
142
faisait pas partie des idolâtres. Dis : Ma prière, mes actes de
dévotion, ma vie et ma mort appartiennent à Dieu, Seigneur
des Mondes. Il n'a pas d'associé. Voilà ce qui m'a été
ordonné : je suis le premier de ceux qui se soumettent. Dis :
Chercherais-je un autre seigneur que Dieu, alors qu'Il est le
Seigneur de toute chose ? » 1
Cette orientation claire permet au croyant de résoudre les
problèmes de son coeur et de sa vie. Il connaît la voie et la suit
en toute clairvoyance, à l'abri de l'hésitation, du doute et de
l'inquiétude. C'est la voie de l'obéissance à l'ordre de Dieu, de
la soumission absolue à Son jugement, de la certitude que le
bien de ce monde et de l'autre réside dans cette acceptation
pleinement satisfaite :
« Il n'appartient pas à un croyant ni à une croyante,
une fois que Dieu et Son Prophète en ont jugé, de conserver
le choix sur une affaire. » 2
« Lorsque les croyants sont appelés devant Dieu et
Son Prophète pour que celui-ci juge entre eux, ils se
contentent de dire : nous écoutons et nous obéissons ; voilà
ceux qui connaîtront le succès. » 3
Oui, ils connaîtront le succès en effet : le succès dans
l'Au-delà en entrant au Paradis, avec une satisfaction de Dieu
plus grande encore ; le succès ici-bas, grâce à la sérénité, à la
paix intérieure et au bonheur dont Dieu les comble.
143
sait lié. L'univers n'est pas son ennemi, il ne lui est pas
étranger : c'est le lieu de sa réflexion, le théâtre de son
observation et de ses méditations, où la miséricorde de Dieu se
manifeste à travers Ses innombrables bienfaits.
Ce vaste univers tout entier est soumis, comme le croyant
lui-même, aux lois voulues par Dieu. Comme le croyant, il
célèbre la louange de Dieu.
Lorsque le croyant regarde l'univers, il y voit des preuves
qui le guident vers Dieu, il y voit un ami qui lui tient compagnie.
Ce regard affectueux et ouvert qu'il porte sur le monde
qui l'entoure rend le coeur du croyant plus léger, sa vie plus
facile, ses horizons plus larges.
Quel coeur, en effet, pourrait être plus ouvert que celui du
croyant, qui s'étend aux mondes visibles et invisibles, au monde
perceptible et à ce qui dépasse la perception humaine ; qui
s'étend aux deux vies : ici-bas et l'Au-delà, la vie de l'éphémère
et celle de l'éternité ; qui s'étend aux deux réalités, la réalité
relative de la contingence, et la réalité suprême de la
transcendance et de l'éternité, la réalité de Dieu, le Sublime ?
Et quel coeur pourrait être plus fermé que celui de l'athée,
qui doute de Dieu et de l'Au-delà ? Sa vie est plus étroite qu'une
prison, plus étroite qu'un cachot. Il vit coupé de l'éternité, d'hier
et de demain. Il ne connaît que le présent, et de ce présent même
il ne connaît que les plaisirs des sens. Il vit coupé du vaste
monde, dont il ne voit que sa propre personne et quelques autres
autour de lui ; et de sa personne même, il ne voit que le corps
matériel et les pulsions animales.
C'est là une vérité confirmée par l'expérience des longs
siècles écoulés depuis que Dieu a fait descendre Adam et son
épouse sur terre et leur a dit : « Une Direction vous sera
indiquée de Ma part. Quiconque suivra Ma Direction ne
144
sera ni égaré, ni malheureux. Quiconque se détournera de
Mon Rappel mènera une vie pleine de gêne. » I
Si parfois nous voyons ces gens qui se détournent du
message divin mener une vie matérielle florissante et jouir de
bienfaits concrets, cela ne doit pas nous tromper sur la réalité de
leur situation : la gêne véritable est dans leur coeur. Or, lorsque
le coeur est mal à l'aise, le malaise s'étend à la vie tout entière,
tandis que lorsque le coeur est en paix la vie rayonne de bien-
être. Le bonheur est dans le coeur et non pas dans les
circonstances extérieures.
Chez les animaux, la sphère de l'existence est étroite :
leur vie se limite à leur ventre et à la nourriture et au pâturage
qui permettent de le remplir. Ils ne voient pas plus loin que cela.
Le petit enfant n'est pas loin de ce stade : son existence
se résume d'abord à sa mère et au sein maternel, puis elle
s'élargit peu à peu à son père, à ses frères et soeurs et au théâtre
de ses jeux. Plus il se développe, plus la sphère de ses
perceptions s'élargit ; puis, en avançant vers l'âge adulte, il
passe du concret à l'abstrait et commence à saisir les concepts
généraux et les idées abstraites.
Ainsi la foi en Dieu et en ce qui dépasse la perception
humaine permet-elle à l'homme de s'élever de la condition
animale à la condition humaine, de l'enfance à l'âge adulte. En
effet, elle l'élève du monde des sens à celui de l'intellect, du
monde du visible à celui de l'invisible, du monde du perceptible
à celui du non perceptible.
Le croyant est à l'aise dans son esprit et dans son coeur,
même lorsqu'il est dans une situation matérielle difficile. C'est
que la foi est source de bien-être pour l'esprit, le coeur et la vie
tout entière, car elle met le croyant en relation avec le reste de
l'univers, avec ce que nous en voyons comme avec ce qui nous
145
est caché, la substance et l'essence, le supérieur et l'inférieur, le
passé, le présent et l'avenir. Elle le met en relation avec les
cieux et la terre et tous ceux qui les peuplent, avec les anges, les
porteurs du Trône et les forces spirituelles au service de Dieu
que Lui seul connaît. Elle le met en relation avec les porteurs de
la lumière divine, avec les messagers de Dieu depuis Adam, le
père de l'humanité, jusqu'à Mohammed (que la bénédiction et la
paix soient sur lui), avec les véridiques, les martyrs et les justes
de toutes les communautés et de toutes les époques. Elle le met
en relation avec l'Au-delà, la Résurrection, le Jugement, le
Paradis et l'Enfer. Bref, elle le met en relation avec l'univers et
avec le Seigneur de l'univers, le Premier et le Dernier,
l'Apparent et le Caché.
L'âme croyante est ouverte et épanouie, car elle vit grâce
à une lumière qui la guide et éclaire tout autour d'elle. Or, la
nature de la lumière est bien d'élargir la sphère où vit l'être
humain, tandis qu'au contraire quelqu'un qui vit dans l'obscurité
ne voit pas les êtres et les choses qui sont autour de lui. Il ne voit
même pas ce qui est à portée de sa main, il ne se voit pas lui-
même, il ne voit pas ce qui est plus proche de lui que lui-même.
Lorsqu'un rai de lumière filtre, il commence à voir un peu de
lui-même et de ce qui l'entoure ; lorsque la lumière devient
éclatante, elle illumine une sphère encore plus large. Ainsi, la
puissance de la lumière et la puissance de la vision que possède
l'être humain déterminent la largeur de ses horizons.
Interrogé sur le sens de la Parole de Dieu : « Est-ce que
celui dont Dieu a ouvert le coeur à l'islam et qui détient ainsi
une lumière de son Seigneur... » 1 , le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) a dit : « Lorsque la lumière
pénètre dans un coeur, il s'ouvre et se trouve à l'aise. »
Le coeur s'ouvre et s'emplit de bien-être grâce à la
lumière de la foi et de la certitude, de même qu'il se referme et
146
se contracte dans l'obscurité de l'athéisme, du doute et de
l'hypocrisie : « Celui que Dieu veut guider, Il ouvre sa
poitrine à l'islam, et celui qu'Il veut égarer, il rend sa
poitrine étroite et gênée ».'
147
Un tel homme peut-il être actif et productif ? Peut-il
conserver sa conscience et sa capacité de compréhension et de
concentration ? Un tel homme peut-il atteindre la sérénité et la
paix intérieure ? La réponse est non, évidemment.
Selon les médecins, cette maladie a même des effets
physiques. Elle affecte le corps de l'individu au même titre que
ses mouvements et son comportement. Elle peut entraîner des
vertiges, des sueurs, une accélération du rythme cardiaque,
comme lorsqu'on est terrifié par un ennemi redoutable ou
confronté à une situation difficile. Les mouvements et la
démarche peuvent devenir désordonnés, comme lorsque
quelqu'un cherche à s'enfuir.
C'est ce qui a fait dire au Docteur Moses Gobthiel, chef
de service psychiatrique à New York : « La maladie du
sentiment de solitude est un des principaux facteurs des troubles
psychiques. »
Les médecins et les psychologues n'ont pas épargné leurs
efforts pour tenter de trouver un remède à ce mal. Après des
recherches poussées et de nombreuses expériences, les plus
avisés d'entre eux sont parvenus à la conclusion que le meilleur
remède à cette maladie est de recourir à la religion et de
s'appuyer sur le soutien de la foi pour faire prendre conscience
au malade de la présence de Dieu à ses côtés.
Ainsi, une foi solide est le meilleur des remèdes et la
meilleure des préventions contre cette grave maladie.
Un psychologue allemand, le Docteur Frank Lubach, a
dit à ce propos : « Quelque puisse être votre sentiment de
solitude, sachez que vous n'êtes jamais seul. Si vous marchez
d'un côté de la route, soyez certain que Dieu vous accompagne
de l'autre côté. » 1
148
La conviction du musulman est plus grande et plus
profonde encore : il croit fermement que Dieu est avec lui où
qu'il se trouve, et pas seulement qu'Il est de l'autre côté de la
route. Dieu, exalté soit-Il, dit dans un hadîth qoudousî : « Je suis
tel que Mon serviteur M'imagine et Je suis avec lui lorsqu'il
M'invoque. » Il dit dans le Saint Coran : « Ne faiblissez pas en
appelant à la paix alors que vous avez la supériorité, que
Dieu est avec vous et qu'Il ne vous frustrera pas de vos
actions. » 1
Un écrivain occidental a dit dans un discours à l'occasion
de la nouvelle année : «J'ai demandé à l'homme qui gardait la
porte de la nouvelle année de me donner une lumière pour
éclairer les ténèbres du chemin ; il m'a répondu : `Place ta main
dans celle de Dieu, Il te guidera dans le droit chemin.' ».
Grâce à ce sentiment que sa main est dans la main de
Dieu, qu'Il est à ses côtés, veille sur lui de Son oeil qui ne dort
jamais et l'accompagne où qu'il se trouve, le croyant se
débarrasse du spectre de la solitude et se délivre de cette
obsession terrifiante.
Comment pourrait-on se sentir seul, lorsqu'on lit dans le
Livre de Dieu :
« C'est à Dieu qu'appartiennent l'Orient et
l' Occident, et où que vous vous tourniez, la face de Dieu est
là. » 2
« Il est avec vous où que vous soyez, et Dieu voit
parfaitement ce que vous faites. » 3
Le croyant éprouve le même sentiment que Moïse
lorsqu'il dit aux juifs :
« Mon Seigneur est avec moi, Il me guidera. »1
149
Ou encore que Mohammed (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) lorsque, réfugié dans la grotte, il dit à son
compagnon :
« Ne t'afflige pas, Dieu est avec nous. » 2
Fort de ce sentiment que Dieu est à ses côtés en toute
circonstance, le croyant éprouve toujours la sécurité et le bien-
être procurés par cette présence. La lumière inonde toujours son
coeur, même dans la nuit la plus noire. Cette présence remplit sa
vie même s'il n'a pas d'autre compagnie. Il dit, à l'image de cet
homme pieux s'adressant à son Seigneur :
« Un coeur habité de Ta présence n'a nul besoin de
lampes,
L'espoir de Ta face sera notre argument le Jour où les
hommes présenteront leurs arguments. »
150
au-delà des générations, des époques et des distances
géographiques, il vit également avec tous les croyants de tous les
temps : « Notre Seigneur, pardonne-nous ainsi qu'à nos
frères qui nous ont précédés dans la foi. » 1
Le croyant sent que, par sa foi et ses bonnes actions, il vit
en compagnie des messagers et des prophètes proches de Dieu,
et en compagnie de tous les véridiques, les martyrs et les justes
de toutes les communautés et de toutes les époques : « Et ceux
qui obéiront à Dieu et au Messager seront avec ceux que
Dieu a comblés de Ses bienfaits : les prophètes, les
véridiques, les martyrs et les justes, – quels bons
compagnons que ceux-là ! » 2
Quel être humain pourrait être plus heureux que celui qui
jouit d'une telle compagnie ? Ce n'est pas une compagnie
physique, mais une compagnie spirituelle, morale, intellectuelle
et affective. Il ne demande rien de plus que d'être « avec » eux,
et non pas seulement derrière eux ou proche d'eux. La
compagnie de tels hommes, pour le croyant, est loin d'être chose
négligeable. Grande est la différence, en effet, entre quelqu'un
dont l'histoire se limite à l'histoire de sa personne ou à celle de
sa famille ou de son parti par exemple, et quelqu'un dont
l'histoire est liée à l'histoire de la foi et de la piété depuis
l'époque d'Adam, quelqu'un dont l'histoire est celle de tous les
grands prophètes, Noé, Abraham, Moïse, Jésus, Mohammed, et
tous les messagers porteurs de l'enseignement divin depuis que
Dieu a voulu envoyer aux hommes des prophètes et révéler des
Écritures. Le croyant se réfère à ce passé si riche en piété lors de
chaque événement de sa vie, face à chaque problème et à chaque
obstacle, et il y trouve un modèle et un guide, mais aussi la
consolation et le réconfort. Tout cela nourrit sa pensée, éclaire
son coeur et renforce sa volonté.
151
La prière et les invocations contribuent à la
sérénité
152
« N'hésitez pas à prier et à implorer et supplier Dieu,
sous prétexte que vous n'êtes pas porté à la religiosité de par
votre tempérament ou votre éducation : soyez sûrs que la prière
vous apportera un soutien plus grand que vous ne l'imaginez.
Elle a un rôle pratique et efficace. Vous me demanderez ce que
j'entends par un rôle pratique et efficace : je vous répondrai que
la prière est capable de réaliser trois choses dont aucun être
humain ne peut se passer, qu'il soit croyant ou athée :
1. La prière nous aide à exprimer, fidèlement et
précisément, ce qui nous préoccupe, et nous avons
montré précédemment qu'il est impossible de
confronter un problème tant qu'il demeure confus et
n'est pas clairement formulé. La prière ressemble à
l'écriture par laquelle l'écrivain exprime ses soucis.
Si nous voulons résoudre notre problème, nous
devons le verbaliser clairement : c'est ce que nous
faisons lorsque nous confions nos peines à Dieu.
2. La prière nous fait éprouver le sentiment de ne pas
être seuls face à nos problèmes et à nos soucis. Rares
sont les gens qui peuvent supporter seuls les poids les
plus lourds et les difficultés les plus pénibles. En
outre, il est fréquent que nos problèmes touchent à ce
qui nous est le plus intime, et que nous nous sentions
incapables de les confier même à nos proches : mais
nous n'avons pas de mal à les confier au Créateur
Tout-Puissant dans nos prières. Or, les psychologues
sont unanimes à considérer que le remède de la
tension nerveuse et des crises spirituelles réside en
grande partie dans le fait de pouvoir parler du motif
de la tension ou de la cause de la crise, que ce soit à
un ami proche ou à un parent bienveillant, – et si
nous n'avons personne à qui nous confier, il nous
suffit de nous tourner vers Dieu.
3. Enfin, la prière nous incite à agir et à aller de l'avant,
elle est même le premier pas vers l'action. Je doute
153
qu'on puisse pratiquer la prière jour après jour sans
en éprouver d'effet bénéfique ; autrement dit, sans
faire des pas fructueux vers l'amélioration de sa
situation et la résolution de ses problèmes. Alexis
Carrel ' a écrit : `La prière est la plus importante
source de dynamisme connue à ce jour, pourquoi ne
pas en tirer profit ?' »2
Quelle sérénité le croyant éprouve, lorsqu'il se tourne
vers son Seigneur dans les moments difficiles ou lors d'un
malheur, et prononce cette invocation à la suite du Prophète
Mohammed (que la bénédiction et la paix soient sur lui) : « Mon
Dieu, Seigneur des sept cieux, Seigneur du Trône immense,
notre Seigneur et le Seigneur de toute chose, Toi qui fends la
graine et le noyau, Toi qui as révélé la Thora, l'Évangile et le
Coran, je recherche Ta protection contre tout être que Tu tiens
en Ton pouvoir, Tu es le Premier et rien n'était avant Toi, Tu es
le Dernier et rien ne sera après Toi, Tu es l'Apparent et rien
n'est au-dessus de Toi, Tu es le Caché et rien n'est en dehors de
Toi ; acquitte mes dettes et épargne-moi la pauvreté. » 3
Quelle quiétude que celle qui envahit le coeur de
Mohammed, le Prophète de l'islam (que la bénédiction et la paix
soient sur lui), lorsque revenant d'at-Tâ'if, les pieds en sang et le
coeur blessé par le rejet qu'il avait subi, il ne lui resta plus qu'à
lever les mains vers le ciel, dont il frappa la porte en implorant
son Seigneur par ces paroles vibrantes d'émotion et qui lui
apportèrent apaisement et réconfort : « Mon Dieu, je me plains à
Toi de ma faiblesse, de mon manque de moyens et du dédain
que je rencontre, ô Toi l'infiniment miséricordieux, Tu es le
Seigneur des opprimés et Tu es mon Seigneur... »
154
Le croyant ne passe pas sa vie entre les
souhaits et les regrets
La tendance de l'être humain à regretter le passé, à se
révolter contre le présent et à craindre l'avenir est un des
principaux facteurs de trouble qui le privent de la paix intérieure
et du sentiment de stabilité et de satisfaction.
Il est des gens qui sont tellement abattus par les malheurs
qui peuvent survenir dans la vie, qu'ils passent des mois, voire
des années à ruminer leurs souffrances et à revivre leurs
souvenirs, avec regret ou nostalgie, en se disant : si j'avais fait
ceci, si je n'avais pas fait cela, mais si j'avais fait ceci alors il
serait arrivé cela, etc. Comme le disait le poète :
« Si seulement je savais... mais comment le saurais-je ?
Les souhaits et les regrets sont peine perdue »
Voilà pourquoi les psychologues, les travailleurs sociaux,
les éducateurs et les chercheurs conseillent aux gens d'oublier
leurs peines passées et de vivre dans le présent, car on ne peut
jamais faire revenir le passé.
« Le passé est révolu, l'avenir est inconnu, seul le présent
nous appartient... »
Un professeur d'université américain expliqua un jour
cela en demandant à ses étudiants : « Qui d'entre vous a déjà
scié du bois ? » De nombreux étudiants levèrent le doigt. Il leur
demanda alors : « Et qui d'entre vous a déjà scié de la sciure de
bois ? » Personne ne leva le doigt, et le professeur poursuivit :
« Bien sûr, personne ne peut scier de la sciure de bois,
puisqu'elle est déjà sciée... Il en est de même pour le passé :
lorsque vous ressassez vos peines à propos d'événements qui
sont arrivés dans le passé, sachez que vous sciez de la sciure ! »
Dale Carnegie cite ces propos ainsi que les suivants : « Je
me suis rendu compte qu'éprouver de la peine pour le passé
n'apporte rien, tout comme il ne sert strictement à rien de
155
moudre de la farine ou de scier de la sciure. Une telle peine
n'apporte que des rides sur le visage et un ulcère à l'estomac. » 1
Mais souvent la faiblesse humaine l'emporte, et pousse
les gens à moudre de la farine, à pleurer sur un passé révolu et à
se tordre les mains de regret pour ce qui ne reviendra jamais.
Le croyant qui place toute sa confiance en Dieu et croit
fermement au destin ne se laissera pas aller, quant à lui, à ces
sentiments douloureux et à ces idées noires. Il ne sera pas rongé
de regrets pour le passé : il est convaincu que les événements du
passé ont été décidés par Dieu et ne pouvaient donc pas se
dérouler autrement ; il accepte donc le sort que Dieu lui a fixé
avec satisfaction et soumission et dit avec le poète :
« Dieu a déjà décrété et jugé, donc épargne à ton coeur les
`peut-être' et les `si' »
Un autre dit encore :
« Je ne peux faire revenir le passé, par des `hélas', des `si
seulement', des j'aurais dû' »
Le croyant ne dit donc pas : « Si j'avais fait ceci il se
serait passé cela », mais il dit : « Dieu en a décidé ainsi et Il a
exécuté Sa volonté. » Les « si » ouvrent la porte à l'oeuvre du
Démon, comme nous l'a enseigné le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui). 2
Le croyant est convaincu que ce que Dieu a décrété
arrivera de toute façon : à quoi bon alors se révolter, à quoi bon
souffrir et se morfondre, alors que Dieu dit :
« Nul malheur n'atteint la terre ni vous-même qui ne
soit dans un écrit avant que Nous le suscitions, – voilà qui est
facile pour Dieu. Cela, afin que vous ne vous attristiez pas au
sujet de ce qui vous a échappé et que vous n'exultiez pas
156
pour ce qu'Il vous a donné : Dieu n'aime pas tout
présomptueux plein de gloriole. » 1
Lors de la bataille d'Ouhoud où soixante-dix musulmans
trouvèrent la mort, une révélation coranique blâma certains
hypocrites au coeur malade et à la foi faible qui se répandaient en
regrets :
« Tandis que d'autres, soucieux pour eux-mêmes,
pensaient au sujet de Dieu autre chose que la vérité, comme
au temps de l'Ignorance, et disaient : `Avons-nous quelque
part dans cette affaire ?' Dis : `Tout dépend de Dieu.'
Dissimulant en eux-mêmes ce qu'ils ne te montraient pas, ils
disaient : `Si cela dépendait de nous, nous ne nous ferions
pas tuer ici.' Dis : `Eussiez-vous été dans vos maisons, ceux
pour qui la mort était décrétée seraient sortis jusqu'au lieu
où ils devaient tomber.' » 2
Il est répondu à ceux qui, restés en arrière, disaient de
leurs frères : « S'ils nous avaient obéi ils n'auraient pas été
tués » : « Dis : Empêchez donc la mort de vous atteindre, si
vous dites la vérité ! » 3
L'attitude du croyant n'est pas semblable à celle de ces
hypocrites, ni à celle des mécréants dont le Coran interdit
d'imiter les regrets et les lamentations : « Ô vous qui croyez, ne
soyez pas comme les mécréants qui disent de leurs frères
partis en voyage ou au combat : s'ils étaient restés avec nous
ils ne seraient pas morts, ils n'auraient pas été tués. Ainsi
Dieu en fait-Il un sujet de regret dans leur coeur. C'est Dieu
qui fait vivre et mourir, et Dieu voit parfaitement ce que
vous faites. Si vous êtes tués dans la voie de Dieu ou si vous
mourez, un pardon et une miséricorde de Dieu valent mieux
157
que ce qu'ils amassent. Si vous mourez ou êtes tués, c'est
vers Dieu que vous serez ramenés. » I
Le croyant dit toujours : « Dieu en a décidé ainsi et Il a
exécuté Sa volonté ; louange à Dieu en toute circonstance. »
Ainsi, il ne se lamente pas sur ce qui lui échappe, ne vit pas
plongé dans des souvenirs douloureux, mais se contente de
réciter la Parole de Dieu : « Aucun malheur n'advient, si ce
n'est par la permission de Dieu. Dieu dirige le coeur de
quiconque croit en Lui : Dieu connaît parfaitement toute
chose. » 2 Cela permet également au croyant d'être content de
son sort, un bienfait dont nous discuterons ci-dessous.
158
Le contentement
159
L'être révolté vit dans la peine et la mélancolie : le coeur
toujours serré, il est mal à l'aise avec les autres et avec lui-même
comme dans sa vie tout entière. Le vaste monde lui semble aussi
étroit que le trou d'une aiguille.
Le croyant peut être sujet à la mélancolie, il peut avoir du
chagrin, et c'est pourquoi Dieu a dit à Son Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) : « et ne t'afflige pas à leur
sujet » 1 , « et que leurs propos ne t'affligent pas » 2 . Mais le
croyant est triste pour les autres plus qu'il ne l'est pour lui-
même, et s'il s'afflige pour lui-même c'est à propos de sa vie
future plutôt que de sa vie ici-bas. Quant aux chagrins liés à la
vie de ce monde, ils sont passagers, comme les nuages en été, et
ont tôt fait d'être dissipés quand souffle la brise de la foi. Même
les tempéraments angoissés et pessimistes sont éclairés et
apaisés par la foi, qui dissipe dans une large mesure les motifs
de leur inquiétude, de leur colère et de leur pessimisme.
Par contre, quelqu'un qui doute de Dieu et de l'Au-delà
vit dans une affliction ininterrompue, car il est continuellement
en proie à l'indignation et à la révolte, contre les autres, contre
lui-même, contre la vie, contre tout. Or, comme le dit le
proverbe, longue est la colère de celui qui se révolte contre la
vie. Un tel homme vit donc dans une tristesse permanente, il
pleure sur son sort, se fait des reproches, se lamente sans arrêt
sur sa vie. Ainsi un sceptique se décrivait-il en disant qu'il était
triste dans ses sentiments, ses pensées et son comportement...
triste de par son tempérament et celui du monde, des dieux, des
êtres et des choses... qu'il ne savait pas pourquoi il était, et était
triste pour cela, cependant qu'il ne savait pas pourquoi il était
triste, pas plus qu'il ne savait pourquoi il était !
Ainsi le contentement est-il la première cause de la paix
intérieure, qui elle-même est le secret du bonheur.
160
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
a dit : « Consulter son Seigneur et être satisfait de ce qu'Il décide
contribue au bonheur de l'homme ; s'abstenir de Le consulter et
ne pas être satisfait de ce qu'Il décide contribue au malheur de
l'homme. » 1
Avant d'entreprendre quelque chose, le croyant implore
Dieu de le guider vers la meilleure des actions et la voie la plus
juste. Ainsi le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur
lui) nous a-t-il enseigné l'invocation suivante : « Mon Dieu, si
Tu sais que cette affaire comporte un bien pour moi, dans ma
religion, ma subsistance et mon destin, alors facilite-moi cette
affaire et bénis-la pour moi. Si Tu sais que cette affaire
comporte un mal pour moi, dans ma religion, ma subsistance et
mon destin, alors détourne-la de moi et détourne-moi d'elle.
Décide le bien pour moi où qu'il soit, puis fais que j'en sois
satisfait. »2
Seul le croyant est toujours satisfait, quelque soit le sort
que Dieu a décidé pour lui.
L'état d'esprit du croyant est tel que son coeur est en
paix, qu'il porte un regard serein sur lui-même et sur l'univers,
la vie et les hommes, sans anxiété ni révolte. Cet état d'esprit
émane de son contentement, quant à sa propre existence
individuelle et quant au monde qui l'entoure, un contentement
qui prend sa source dans la foi en Dieu, Seigneur des mondes.
Ce contentement est un immense bienfait spirituel que
l'on ne peut atteindre lorsqu'on nie la présence de Dieu ou qu'on
en doute, ou lorsqu'on doute de la rétribution des actions dans
l'Au-delà. Pour l'atteindre, il faut croire fermement en Dieu et
être profondément lié à Lui. Ainsi dans le Coran, Dieu S'adresse
Rapporté par al-Bazzâr ; d'autres textes de même sens existent chez Ahmad
et at-Tirmidhî.
2
Rapporté par al-Boukhârî et d'autres.
161
à Son Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) en
ces termes :
« Supporte avec patience ce qu'ils disent et célèbre la
louange de ton Seigneur avant le lever du soleil et avant son
coucher ; pendant la nuit célèbre Sa gloire, ainsi qu'aux
extrémités du jour, – ainsi peut-être seras-tu satisfait. » 1
Il évoque Ses bienfaits envers lui en disant : « Certes, ton
Seigneur t'accordera Ses dons et tu seras satisfait. »2
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
a dit : « II goûte à la foi, celui qui agrée Dieu comme Seigneur,
l'islam comme religion et Mohammed comme prophète. » 3
Dieu fait encore l'éloge des croyants en disant : « Dieu
les agrée et ils L'agréent. » 4
162
bienfaits envers lui sont innombrables et Sa grâce est infinie. Il
sait que les bienfaits dont il jouit viennent de Dieu, que le bien
qui lui arrive vient de Dieu et que le mal qui lui arrive ne
provient que de lui-même. Il répète sans cesse cet éloge répété
avant lui par notre père Abraham, l'ami privilégié du
Miséricordieux : « C'est Lui qui m'a créé et qui me guide,
c'est Lui qui me nourrit et qui m'abreuve, Lui qui, lorsque
je suis malade, me guérit, Lui qui me fera mourir puis me
fera vivre à nouveau, Lui dont j'espère qu'Il pardonnera
mes fautes le Jour du Jugement. » 1
Le croyant est absolument convaincu que Dieu régit sa
vie mieux qu'il ne pourrait le faire lui-même et qu'Il est plus
bienveillant envers lui que ses propres parents. Regardant les
êtres et le monde qui l'entourent, il contemple les marques de la
générosité et de la miséricorde divines et dit à son Seigneur :
« Tu détiens le bien. Tu as pouvoir sur toute chose. » 2 II
détient le bien et le mal Lui est étranger, car ce que les hommes
pensent être du mal dans l'existence n'en est pas véritablement.
En réalité, même si l'on doit néanmoins utiliser le mot « mal »,
c'est un mal partiel et spécifique, insignifiant par rapport au bien
général qui apparaît à une vision d'ensemble. Ce mal partiel, ce
qu'on pense être du mal, est requis par l'interdépendance des
divers éléments de l'existence, comme l'explique le Professeur
al-`Aggâd :
« La conviction de cette interdépendance conduit à
considérer que le mal ne contredit nullement le bien dans son
essence, mais qu'au contraire il en est un élément
complémentaire, ou qu'il est une condition préalable à sa
réalisation. En effet, le courage n'a pas de sens sans le danger, ni
la générosité sans le besoin, ni la patience sans l'adversité ;
aucune des hautes valeurs n'a de sens sans son contraire auquel
elle s'oppose et est préférable. Cela est vrai des plaisirs des sens
163
aussi bien que des valeurs morales et des principes intellectuels ;
pour apprécier le plaisir d'être rassasié il faut avoir connu la
faim, pour apprécier de se désaltérer il faut avoir éprouvé la soif,
et nous ne prendrions pas plaisir à contempler la beauté s'il
n'était pas dans notre nature de détester la laideur. » 1
164
atteint, ni ôter la santé, la perfection, la richesse ou quelque bien
à quelqu'un à qui Dieu avait permis d'en jouir. Si l'on examine
avec la plus grande attention tout ce que Dieu a créé dans les
cieux et sur terre, on n'y trouvera aucun défaut, aucune brèche.
Si l'on examine la manière dont Dieu a réparti entre Ses
serviteurs les biens et la longévité, la joie et la tristesse, la force
et la faiblesse, la foi et la mécréance, la soumission et la
désobéissance, on n'y verra que la justice la plus parfaite et
l'équilibre le plus équitable. Les choses sont telles qu'elles
doivent être, elles sont agencées de la manière nécessaire et dans
la mesure nécessaire. Il est totalement impossible que le monde
puisse être agencé de manière meilleure, plus complète ou plus
parfaite que celle-ci, car si cela était possible et que Dieu ne le
faisait pas alors qu'Il en était capable, cela impliquerait une
parcimonie incompatible avec Sa générosité et une iniquité
incompatible avec Sa justice, tandis que s'Il n'en était pas
capable cela constituerait une faille dans Sa toute-puissance
incompatible avec la divinité. » 1
Le croyant se satisfait de ce qu'il sait de la sagesse de
Dieu qui se manifeste dans la Création et des mystères de
l'univers ; pour ce qui lui demeure caché, il place sa confiance
en Dieu et dit, avec la modestie qui sied aux êtres doués
d'intelligence : « Seigneur ! Ce n'est pas en vain que Tu as
créé cela. Gloire à Toi ! » 2
Ainsi le croyant accepte-t-il sereinement le sort que Dieu
a décidé pour lui, plaçant sa confiance en la perfection divine
qu'il découvre en contemplant la Création.
' Aboû Hâmid al-Ghazâlî, Ilyâ' 'ouloûm ad-dîn (La Revivification des
sciences religieuses), Tome des vertus salvatrices, Livre de la confiance en
Dieu, p. 222 (éd. al-Halabî).
2
Sourate Âl Imrân, « La famille de 'Imrân », verset 191.
165
Le croyant ressent profondément les bienfaits
dont Dieu le comble
Ce qui pousse les gens à se révolter contre eux-mêmes et
contre leur vie et qui les prive du bonheur du contentement, c'est
qu'ils ne se rendent pas compte des immenses bienfaits dont ils
jouissent, des bienfaits qu'ils n'apprécient pas soit parce que
l'habitude les leur fait oublier, soit parce qu'ils les ont obtenus
trop facilement. Ils ne cessent de dire : il nous manque ceci,
nous voulons cela, au lieu de dire : nous avons ceci et cela.
Mais le croyant, lui, ressent profondément la générosité
et la bienveillance de Dieu, qui l'entoure de bienfaits de toutes
parts. Il sait combien Dieu l'a comblé de Ses faveurs, depuis
qu'il était un petit enfant et même lorsqu'il était encore dans le
ventre de sa mère. Il sait que lorsqu'il était encore un bébé
incapable de mâcher, de tenir avec sa main ou de se déplacer,
Dieu lui a fourni deux douces sources, dans la poitrine de sa
mère, pour l'abreuver d'un lait pur, nourrissant, toujours à la
bonne température. Il sait que Dieu a placé dans le coeur de ses
parents un amour tel qu'ils ne pouvaient pas manger, boire,
dormir, ni faire quoi que ce soit, tant qu'ils n'avaient pas pourvu
à ses besoins et assuré sa protection.
Lorsqu'il était encore un foetus dans le ventre de sa mère,
Dieu lui a assuré un lieu de séjour stable et confortable et lui a
fourni le moyen de se nourrir, de se maintenir au chaud et de
respirer : « Ne vous avons-Nous pas créés d'une eau vile, que
Nous avons placée dans un réceptacle sûr pour une durée
connue ? Ainsi l'avons-Nous déterminé — avec quelle
perfection Nous déterminons les choses ! » 1
Le croyant éprouve la bonté de Dieu envers lui à travers
tout ce qui l'entoure. Il voit dans chaque atome de la terre et du
ciel un don de Dieu visant à lui faciliter la vie et à l'aider à
166
remplir sa mission dans l'existence. Lorsque le vent souffle,
lorsque les nuages se meuvent, lorsque les rivières jaillissent,
lorsque le soleil apparaît, lorsque l'aube se lève, lorsque le jour
monte, lorsque la nuit s'étend, lorsque les bêtes le servent,
lorsque les plantes poussent, le croyant a conscience des faveurs
de Dieu.
Ces faveurs sont évoquées dans de nombreux versets du
Coran dont nous citerons quelques-uns :
« Ne voyez-vous pas que Dieu vous a assujetti tout ce
qui est dans les cieux et tout ce qui est sur la terre, et vous a
prodigué Ses bienfaits apparents et cachés ? » 1
« C'est Dieu qui vous a assujetti la mer pour que les
vaisseaux y voguent selon Son ordre et pour que vous partiez
en quête de Sa faveur, – ainsi peut-être serez-vous
reconnaissants. Il vous a assujetti tout ce qui est dans les
cieux et sur la terre ; tout vient de Lui. Il y a vraiment là des
signes pour des gens qui réfléchissent. » 2
« Il est un signe pour eux dans la terre morte que
Nous avons fait vivre : Nous en avons tiré des grains dont ils
mangent ; Nous y avons placé des jardins de palmiers et de
vignes, et Nous y avons fait jaillir des sources, afin qu'ils
mangent de leurs fruits, – qui ne sont pas l'oeuvre de leurs
mains. Ne seront-ils donc pas reconnaissants ? Gloire à Celui
qui a créé les couples de toutes espèces, de ce que la terre fait
pousser, d'eux-mêmes et de ce qu'ils ne connaissent pas ! » 3
« Ne voient-ils pas que Nous avons créé pour eux, de
l'oeuvre de Nos mains, des bestiaux qui leur appartiennent ?
Nous les leur avons soumis, certains leur servent de
montures et d'autres ils se nourrissent, et ils en retirent des
167
produits utiles et des boissons... ne seront-ils pas
reconnaissants ? » 1
« C'est Lui qui a fait pour vous de la nuit un
vêtement et du sommeil un repos, et qui a fait du jour un
retour à la vie. C'est Lui qui a envoyé les vents comme signe
avant-coureur de Sa miséricorde, et Nous avons fait
descendre du ciel une eau pure pour donner la vie à une
contrée morte et pour abreuver la multitude de bêtes et
d'hommes que Nous avons créés. » 2
« Dis : Qu'en pensez-vous, si Dieu vous imposait la
nuit perpétuelle jusqu'au Jour de la Résurrection, quelle
divinité autre que Dieu vous apporterait une clarté ?
N'entendez-vous donc pas ? Dis : Qu'en pensez-vous, si Dieu
vous imposait le jour perpétuel jusqu'au Jour de la
Résurrection, quelle divinité autre que Dieu vous
apporterait une nuit pour vous y reposer ? Ne voyez-vous
donc pas ? Par Sa miséricorde, Il a établi pour vous la nuit
et le jour pour que vous vous reposiez et que vous
recherchiez Sa faveur, – ainsi peut-être serez-vous
reconnaissants. » 3
« Et les bestiaux, Il les a créés pour vous : vous y
trouvez une chaleur et des produits utiles et vous vous en
nourrissez. Vous les trouvez beaux, quand vous les ramenez
le soir et quand vous les emmenez paître au matin. Ils
portent vos fardeaux vers un pays que vous n'atteindriez
qu'avec peine : votre Seigneur est certes compatissant, plein
de miséricorde. Et les chevaux, les mulets et les ânes, pour
que vous les montiez et pour l'apparat ; et Il crée ce que
vous ne savez pas. (...) C'est Lui qui a fait descendre du ciel
de l'eau qui vous sert de boisson et qui fait pousser les
168
plantes dont vous nourrissez vos troupeaux. Grâce à elle, Il
fait pousser pour vous les cultures, les oliviers, les palmiers
et les vignes, ainsi que toutes sortes de fruits : il y a bien là
un signe pour des gens qui réfléchissent. Pour vous, Il a
assujetti la nuit et le jour, le soleil et la lune ; les étoiles sont
assujetties à Son ordre : il y a bien là des signes pour des
gens qui raisonnent. Ce qu'Il a disséminé pour vous sur la
terre est de couleurs variées : il y a bien là une preuve pour
des gens qui se rappellent. C'est Lui qui a assujetti la mer
afin que vous en mangiez une chair tendre et que vous en
tiriez des joyaux dont vous vous parez ; et tu vois le vaisseau
fendre la mer avec bruit, pour que vous partiez en quête de
Sa faveur, – ainsi peut-être serez-vous reconnaissants. Il a
implanté sur la terre des montagnes pour éviter qu'elle ne
vacille et vous avec, ainsi que des rivières et des chemins
pour que vous puissiez vous diriger, et des points de repère ;
et grâce aux étoiles ils se dirigent. Celui qui crée est-il pareil
à celui qui ne crée pas ? Ne vous rappelez-vous donc pas ? Si
vous comptiez les bienfaits de Dieu, vous ne pourriez les
dénombrer ! Dieu est certes enclin au pardon, plein de
miséricorde. » 1
Ainsi le croyant, guidé par le Livre de Dieu, voit-il dans
tout ce qui l'entoure les marques de la miséricorde et des
bienfaits de Dieu. Mais les bienfaits de Dieu se manifestent de
manière bien plus admirable encore dans la propre personne de
chaque être humain...
Le premier bienfait dont Dieu le comble, c'est sa création
même : sans Sa volonté et Sa faveur, l'être humain serait resté
dans les ténèbres du néant et ne serait pas digne d'être
mentionné : « Un temps ne s'est-il pas écoulé pour l'homme
où il n'était pas quelque chose dont on fasse mention ? Nous
169
avons créé l'homme d'une goutte de semence mélangée, pour
l'éprouver, et Nous lui avons donné d'entendre et de voir. » 1
Le second, c'est le bienfait de la condition humaine :
Dieu a voulu créer un être humain harmonieux, en faire Son
lieutenant sur la terre et le préférer à un grand nombre de Ses
créatures : « Nous avons certes honoré les enfants d'Adam.
Nous les avons transportés sur la terre et sur la mer, Nous
leur avons dispensé d'excellentes nourritures et Nous les
avons nettement préférés à un grand nombre de Nos
créatures. » 2 La valeur morale s'accompagne de beauté
physique : « Nous avons créé l'homme dans la forme la plus
parfaite »3 ; « Il vous a donné forme et a embelli votre
forme. » 4
Le troisième bienfait est l'intelligence et la
connaissance : « Lis, car ton Seigneur est le Très-Généreux, qui
a enseigné par la plume, enseigné à l'être humain ce qu'il ne
savait pas ! »5 « Et Dieu vous a fait sortir du ventre de vos mères
dépourvus de tout savoir, et Il vous a donné l'ouïe, la vue et le
coeur, – ainsi peut-être serez-vous reconnaissants. »6 C'est-à-dire
qu'Il nous a donné les instruments de l'acquisition de la
connaissance.
Le quatrième bienfait est la faculté d'expression verbale
et écrite : « Le Miséricordieux. Il a enseigné le Coran. Il a
créé l'homme. Il lui a appris à s'exprimer. »' « ... qui a
170
enseigné par la plume »1 ; « Par la plume, et ce qu'ils
écrivent ! »2
Le cinquième est le bienfait de la subsistance : « Ô êtres
humains, rappelez-vous le bienfait de Dieu envers vous !
Existe-t-il un Créateur autre que Dieu qui vous dispense
votre subsistance du ciel et de la terre ? »3 « Dis : Qui vous
dispense votre subsistance des cieux et de la terre ? Dis :
C'est Dieu. »4
Le sixième bienfait est propre aux croyants : c'est le
bienfait de la foi et de la direction vers la Voie Droite de Dieu :
« Mais Dieu vous a fait aimer la foi et l'a rendue
agréable à vos coeurs et Il vous a fait détester la mécréance,
la perversion et la désobéissance, — voilà ceux qui sont bien
guidés. C'est une faveur de Dieu et un bienfait. » 5
« Ils te rappellent comme une faveur leur conversion
à l'islam. Dis : Ne me rappelez pas comme une faveur votre
conversion à l'islam ! C'est Dieu qui vous a fait une faveur
en vous dirigeant vers la foi, si vous êtes sincères. » 6
Le septième bienfait est celui de la fraternité et de
l'amour : « Rappelez-vous le bienfait de Dieu envers vous :
vous étiez ennemis, puis Il a uni vos coeurs, et grâce à Son
bienfait vous êtes devenus frères. »'
« Et Il a uni leurs coeurs. Même si tu avais dépensé
tout ce qui est sur la terre, tu n'aurais pas uni leurs coeurs,
mais Dieu, Lui, les a unis : Il est, certes, Puissant et Sage. » 8
171
Le Prophète Mohammed (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) ressentait plus profondément que quiconque les
bienfaits et la faveur de Dieu à chaque instant de sa vie. C'est
pourquoi lorsqu'il mangeait, même un modeste repas de pain sec
ou d'orge, c'était toujours avec contentement et reconnaissance ;
il disait quand il avait fini de manger : « Louange à Dieu, qui
nous a nourris et abreuvés et qui fait de nous des musulmans. »
Lorsqu'il buvait, même l'eau la plus insipide, il disait :
« Louange à Dieu qui a fait cette eau douce et agréable par Sa
miséricorde, et qui ne l'a pas rendue salée et amère en raison de
nos péchés. »
Lorsqu'il mettait un vêtement ou un turban, il disait :
« Louange à Dieu qui m'a accordé ce vêtement pour me couvrir,
sans que je n'aie aucun pouvoir. Mon Dieu, je T'implore de
m'en accorder du bien et de m'accorder du bien en son usage. »
Lorsqu'il montait sur une monture, il disait comme Dieu
le lui avait enseigné : « Gloire à Celui qui nous a assujetti ceci
alors que nous n'y serions pas parvenus. C'est vers notre
Seigneur que nous retournerons. » 1
Lorsqu'il se réveillait il disait : « Louange à Dieu qui
nous a rendu la vie après nous avoir fait mourir ; vers Lui se fera
la résurrection. »
Après avoir accompli un besoin naturel, il disait en
revenant : « Louange à Dieu qui m'a débarrassé de la souillure et
a préservé ma santé. »
Lorsqu'il ressentait quelque douleur il disait : « Louange
à Dieu qui m'a préservé de ce par quoi Il a éprouvé un grand
nombre de Ses créatures. »
Lorsque quelque chose se réalisait de la manière dont il
le souhaitait, il disait : « Louange à Dieu grâce à qui se réalisent
les bonnes actions. »
172
Lorsqu'il éprouvait quelque déception ou était confronté
à un événement qui lui était désagréable de par sa nature
humaine, il disait : « Louange à Dieu quoi qu'il en soit. »
Il accueillait le matin en disant : « Mon Dieu, me voici ce
matin grâce à Toi jouissant de bienfaits, de la santé et de la
sécurité ; accomplis Tes bienfaits et Ta protection envers moi
ici-bas et dans l'Au-delà. Mon Dieu, tout bienfait dont je jouis
ce matin ou dont jouit l'une de Tes créatures provient de Toi
seul et de nul autre : louange à Toi, merci à Toi. »
Le soir, il prononçait une invocation semblable.
Tel est l'état d'esprit du croyant : il se rappelle
constamment les bienfaits de Dieu et ne cesse de Le remercier
pour Ses faveurs : « Tout bienfait dont vous jouissez, c'est de
Dieu qu'il provient. » 1 « Si vous comptiez les bienfaits de
Dieu, vous ne pourriez les dénombrer. » 2
Il n'est donc nullement étonnant que le premier verset du
Livre éternel de Dieu après l'invocation de Son nom incite le
croyant à se remémorer constamment la générosité de Dieu et à
Lui exprimer louange et reconnaissance : la sourate al-Fâtiha
(« L'ouverture ») dit : « Louange à Dieu, Seigneur des
Mondes », et l'islam prescrit de la répéter à chaque unité de
prière ; ainsi le musulman la récite-t-il au moins dix-sept fois par
jour, si l'on ne compte que les cinq prières obligatoires.
173
Il accepte sereinement le sort que Dieu lui réserve, car il
est pleinement convaincu que Dieu n'accomplit rien en vain et
que Son dessein n'est pas de faire souffrir Ses créatures. Il est
convaincu que Dieu est plus bienveillant envers lui qu'une mère
envers son enfant, et qu'un bien se dissimule dans ce qui nous
apparaît comme un désastre ou un mal ou que notre nature
humaine nous pousse à détester : « Il se peut que vous
éprouviez de l'aversion pour une chose en laquelle Dieu a
placé un grand bien. » 1
Les Occidentaux qui ont vécu au contact de musulmans
ont été nombreux à constater l'influence de cette foi et de cette
acceptation sereine du destin sur la personnalité des musulmans,
leur permettant de faire face avec une constance et une
détermination intactes aux malheurs et aux souffrances de la vie.
Ainsi par exemple, R. V. C. Bodley écrivait sous le titre
« J'ai vécu au Paradis d'Allah » :
« En 1918, je tournai le dos au monde que j'avais connu
tout au long de ma vie pour partir dans l'ouest de l'Afrique du
Nord où je vécus parmi les Bédouins du Sahara. J'y passai sept
années, durant lesquelles j'appris la langue des Bédouins. Je
m'habillais comme eux, je mangeais la même nourriture, je
suivais leurs coutumes. Comme eux, je me mis à posséder des
troupeaux et à dormir sous la tente. J'étudiai en détail l'islam,
jusqu'à écrire un livre sur Mohammed (que la bénédiction et la
paix soient sur lui) intitulé Le Messager. Ces années que je
passai au milieu de ces Bédouins nomades furent parmi les plus
heureuses de ma vie et les plus emplies de paix, de sérénité et de
contentement.
J'ai appris des Arabes du désert à surmonter la peine : en
tant que musulmans, ils croient au destin, et cette foi les aide à
mener une existence tranquille et à prendre la vie facilement.
174
Ils ne se trouvent pas en proie à l'angoisse et à la peine,
car ils croient que ce qui est écrit arrivera, et que rien n'arrive à
l'un d'eux sans que Dieu ne l'ait décidé. Cela ne signifie pas
qu'ils soient passifs ou restent les bras croisés devant le
malheur, bien au contraire. Permettez-moi de vous donnez un
exemple de ce que je veux dire :
Un jour, la tempête souffla si violemment qu'elle
transporta le sable du désert au-delà de la Méditerranée, jusqu'au
Rhône en France. Le vent était si brûlant que j'avais
l'impression que son souffle arrachait mes cheveux de leurs
racines ; la chaleur était si intense que je crus devenir fou. Mais
les Arabes ne se plaignaient nullement ; ils se contentaient de
hausser les épaules en disant comme à leur habitude : c'était
écrit. Cependant, dès la fin de la tempête, ils se remirent au
travail avec ardeur. Ils égorgèrent les agneaux avant que la
chaleur n'achève de les tuer, puis conduisirent leurs troupeaux
vers le sud où se trouvait l'eau. Ils firent tout cela dans le silence
et le calme, sans qu'aucun d'eux ne se plaigne... Le chef de la
tribu dit : `Nous n'avons pas perdu grand-chose. Nous aurions
pu tout perdre, mais Dieu soit loué et remercié, il nous reste
environ quarante pour cent de nos troupeaux : avec cela, nous
pouvons recommencer à travailler.' »
175
de l'humiliation, de ne pas faire d'effort pour accomplir de
grandes choses, d'éteindre le désir d'amélioration matérielle et
morale, de glorifier la faim, la pauvreté et la privation.
C'est là une erreur évidente, comme je l'ai montré dans
mon ouvrage Le problème de la pauvreté et comment l'islam y
remédie. En réalité, la résignation n'a rien à voir avec ces idées
fausses. Elle signifie avant tout deux choses :
D'une part, l'homme est par nature fortement attaché à la
vie de ce monde, et n'en est pratiquement jamais rassasié. C'est
cette propension de l'être humain que décrit le hadîth : « Si
l'enfant d'Adam avait deux rivières d'or, il en voudrait une
troisième. Rien ne peut remplir l'oeil de l'enfant d'Adam, sinon
la poussière. » 1
Il est donc indispensable que la religion guide l'homme
vers la modération dans sa poursuite de la richesse et des biens
matériels, lui assurant ainsi l'équilibre dans la vie, lui apportant
la sérénité qui est la clé du bonheur et lui épargnant les excès qui
épuisent l'âme et le corps. C'est pourquoi le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) a dit : « Ô êtres humains,
soyez modérés dans votre recherche de la richesse : personne ne
mourra avant d'avoir reçu en totalité sa part de richesses, même
si cela prend du temps ; craignez donc Dieu et soyez modérés
dans votre recherche de la richesse, prenez ce qui est licite et
renoncez à ce qui est illicite. » 2
Laisser l'être humain s'abandonner à ses appétits et à ses
ambitions serait un danger pour lui-même et pour les autres. Il
est donc nécessaire d'orienter ses aspirations vers des idéaux
plus élevés, vers des valeurs plus permanentes et des richesses
plus durables, et tel est le rôle de la religion :
176
« Ne porte pas ton regard vers les jouissances
éphémères que Nous avons accordées à certaines catégories
d'entre eux, comme agrément de la vie de ce monde, afin de
les éprouver en cela : la richesse que ton Seigneur te
dispense est meilleure et plus durable. » 1
« Les gens sont séduits par l'amour des biens
convoités ; les femmes, les enfants, les lourds
amoncellements d'or et d'argent, les chevaux racés, le bétail,
les terres cultivées. Ce sont les jouissances de la vie de ce
monde, mais c'est auprès de Dieu qu'est le meilleur lieu de
retour. Dis : Vous informerai-je de ce qui est meilleur que
tout cela ? Ceux qui ont été pieux auront auprès de leur
Seigneur des jardins sous lesquels coulent les ruisseaux où ils
demeureront éternellement et des épouses purifiées, ainsi
qu'une satisfaction de Dieu. » 2
Le rôle de la foi est ici d'atténuer les ambitions
matérielles et l'emprise de l'avidité et de l'appât du gain, qui
s'emparent de l'âme humaine et la plongent dans une anxiété
incessante de sorte qu'elle ne se satisfait ni de peu ni de
beaucoup ; ce qu'elle possède ne pouvant jamais apaiser sa soif,
elle porte toujours son regard vers ce qu'ont les autres ; ne
pouvant se contenter du licite, elle tombe insensiblement dans
l'illicite. Cette âme qui ne connaît ni repos, ni satisfaction est
pareille à la Géhenne — Dieu nous en préserve — qui avale des
millions de damnés mais qui, si on lui demande : « Es-tu
pleine ? », répond : « En reste-t-il encore ? »
Le rôle de la religion est d'orienter les âmes vers les
valeurs morales durables, vers la Demeure éternelle de l'Au-
delà, vers Dieu, le Vivant, l'Immortel. C'est d'enseigner au
croyant que la richesse véritable ne réside pas dans l'abondance
des biens et des possessions matérielles, mais qu'elle se trouve
177
avant tout dans l'âme. Ainsi le hadîth dit-il : « La richesse ne
réside pas dans l'abondance des biens : la véritable richesse est
celle de l'âme. »'
178
pas à améliorer leur condition ni à émigrer, la résignation est le
meilleur des remèdes. Mieux vaut en effet accepter de bon coeur
la part que Dieu nous a attribuée, plutôt que de vivre dans la
convoitise et les faux espoirs : une telle attitude, émanant
d'ambitions infondées et non pas d'une aspiration au
perfectionnement, ne conduirait qu'au tourment et au chagrin.
Les gens qui se trouvent dans une situation difficile ont
besoin de savoir et d'être convaincus que le bonheur ne réside
pas dans l'abondance des biens matériels mais qu'il se situe à
l'intérieur de l'âme. Il est important de leur dire : « Contente-toi
de la part que Dieu t'a donnée, tu seras le plus heureux des
hommes. » « Heureux celui qui a été guidé vers l'islam, qui ne
possède que le strict nécessaire et qui s'en contente. » « Mieux
vaut posséder peu et s'en contenter que posséder des richesses
qui vous accaparent. »
Le poète dit encore :
« Le riche est celui qui se contente de ce qu'il a, même
les épaules et les pieds nus
Car toutes les richesses de la terre ne suffiraient pas,
tandis qu'un peu suffit à un coeur résigné »
Cette acceptation résignée implique donc que le croyant
ne soit pas avide et cupide, qu'il ne convoite pas ce qui ne lui
appartient pas ou qui est au-dessus de ses forces. C'est ainsi que
se réalise ici-bas la vie heureuse que Dieu promet aux croyants
bienfaisants : « Quiconque, homme ou femme, accomplit de
bonnes oeuvres tout en étant croyant, nous lui ferons
certainement vivre une vie excellente »' : selon 'Ali ibn Abî
Tâlib, cette « vie excellente » signifie la résignation.
179
Une histoire édifiante
Le récit suivant, tiré de la vie du Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui), illustre bien comment la foi
transforme le coeur des croyants et détourne leurs ambitions des
jouissances matérielles de ce bas-monde vers Dieu et la
Demeure dernière...
Une délégation de la tribu yéménite des Toujîb,
composée de treize hommes musulmans, arriva à Médine. Le
Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) se réjouit
de leur venue et les traita avec égard, ordonnant à Bilâl de leur
accorder une hospitalité généreuse. Ils s'instruisirent auprès du
Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui), restant
quelques jours à Médine, mais ne prolongèrent pas leur séjour
tant était grand leur désir de rentrer chez eux pour enseigner à
leurs contribules ce qu'ils avaient appris de l'Envoyé de Dieu
(que la bénédiction et la paix soient sur lui). Ils vinrent donc
faire leurs adieux au Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui), qui envoya Bilâl leur apporter les plus beaux
présents qu'il offrait habituellement aux délégations, puis leur
demanda : « Reste-t-il encore quelqu'un d'entre vous ? » Ils
répondirent : « Oui, un jeune homme, le plus jeune d'entre nous,
que nous avons laissé auprès de nos montures. » ... Il dit :
«Envoyez-le nous. » ... Lorsqu'ils revinrent à leurs montures,
ils dirent au jeune homme : « Va voir le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) et demande-lui ce dont tu as
besoin ; nous lui avons demandé ce dont nous avions besoin et
nous lui avons fait nos adieux. »
Le jeune homme alla donc trouver le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) et lui dit : « Envoyé de
Dieu, je suis Amr, des Banoû Oubadhâ, j'appartiens au groupe
qui est venu te voir tout à l'heure. Tu leur as donné ce dont ils
avaient besoin, donne-moi à mon tour ce dont j'ai besoin,
Envoyé de Dieu. »
Celui-ci demanda : « Que te faut-il ? »
180
Le jeune homme répondit : « Mon besoin n'est pas celui
de mes compagnons, même s'ils sont venus en quête de l'islam
et ont apporté leurs aumônes. Par Dieu, ce qui m'a fait venir de
mon pays c'est seulement le désir que tu implores Dieu Tout-
Puissant de me pardonner, de me faire miséricorde et de placer
ma richesse dans mon coeur. »
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui),
appréciant ce jeune homme, dit alors : « Mon Dieu, pardonne-
lui, fais-lui miséricorde et place sa richesse dans son coeur. »
Puis il lui fit donner autant que ce qu'avait reçu chacun de ses
compagnons, et la délégation partit rejoindre sa tribu.
Lors du pèlerinage, en l'an dix de l'Hégire, ces hommes
vinrent trouver le Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui) à Minâ et lui dirent : « Nous sommes les Banoû
Oubadhâ. » Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur
lui) leur demanda alors : « Qu'est-il advenu du jeune homme qui
était venu me voir avec vous ? »
Ils répondirent : « Envoyé de Dieu, nous n'avons jamais
vu ni entendu parler de quelqu'un qui accepte avec une telle
résignation la part de richesses que Dieu lui attribue. Si les gens
se mettaient à se partager ce bas-monde, cela ne l'intéresserait
pas et il n'y jetterait même pas un regard ! »
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
dit : «Louange à Dieu ! J'espère qu'il mourra entier. »
Un homme s'étonna : « Un homme ne meurt-il pas
toujours entier, Envoyé de Dieu ? »
Celui-ci répondit, pour expliquer comment certains
hommes meurent éparpillés et disloqués : « Il arrive que les
passions et les préoccupations d'un homme se dispersent dans
les multiples vallées de la vie de ce monde, de sorte que, lorsque
la mort le surprend dans l'une de ces vallées, il importe peu à
Dieu Tout-Puissant dans laquelle il a péri. »
181
Les gens de cette tribu racontèrent que ce jeune homme
vécut parmi eux de la meilleure des manières, sans s'attacher
aux biens de ce monde, satisfait de la part de richesses que Dieu
lui avait attribuée. Lorsque le Prophète (que la bénédiction et la
paix soient sur lui) mourut, et que certaines tribus du Yémen
apostasièrent l'islam, il se dressa parmi les siens pour leur
rappeler Dieu et l'islam, de sorte qu'aucun d'entre eux
n'apostasia. Lorsque Aboû Bakr as-Siddîq, qui demandait
toujours de ses nouvelles, apprit comment il s'était comporté, il
écrivit à Zayd ibn Labîd pour le lui recommander.
C'est là l'histoire d'un jeune homme dont la foi avait
empli le coeur, de sorte qu'au lieu de se préoccuper, comme
beaucoup de gens, de l'agrément de la vie de ce monde, il ne
s'intéressait qu'aux richesses qui se trouvent auprès de Dieu, et
qui sont meilleures et plus durables.
Lorsqu'il présenta une requête au Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui), il ne rechercha pas ce
qu'avaient recherché ses compagnons, et qui préoccupe la
plupart des gens... Sa requête concernait sa religion plutôt que
ce bas-monde, la vie spirituelle plutôt que celle du corps,
l'essence plutôt que l'apparence.
Tout ce qu'il voulait demander au Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui), c'était d'implorer Dieu de
lui accorder Son pardon et Sa miséricorde et de placer sa
richesse dans son coeur !
Cette requête, sans nul doute, réjouit le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) qui, en connaisseur de l'âme
humaine, ne l'oublia pas lorsque la délégation repartit dans son
pays, malgré la distance et le passage du temps.
Durant le pèlerinage, il demanda de ses nouvelles à ses
contribules comme un maître d'école s'enquiert d'un bon élève.
La réponse qu'il reçut lui fit plaisir, et il remercia Dieu en
prononçant ces paroles remarquables : « J'espère qu'il mourra
entier. »
182
Les gens meurent comme ils ont vécu : celui qui a vécu
entier meurt entier, et celui qui a vécu disloqué et éparpillé
meurt comme il a vécu.
Rares sont les hommes qui vivent pour un seul but, qui
vivent et meurent pour une seule préoccupation. Seuls en sont
capables les croyants clairvoyants dont le but est la destination
finale auprès de Dieu, et qui suivent pour l'atteindre la voie
tracée par Dieu, n'agissant que pour Dieu et par Dieu et disant :
« Ma prière, mes actes de dévotion, ma vie et ma mort
appartiennent à Dieu, Seigneur des Mondes. Il n'a pas
d'associé. Voilà ce qui m'a été ordonné : je suis le premier de
ceux qui se soumettent. Dis : Chercherais-je un autre
seigneur que Dieu, alors qu'Il est le Seigneur de toute
chose ? » 1
Voilà ce que signifie vivre entier et mourir entier.
183
Ils regardent les palais des princes, les trésors des rois, le
luxe des riches, comme les passagers d'un avion volant à haute
altitude regardent les villes, les villages et les hommes qui les
peuplent : les palais éblouissants ne sont pour eux que des points
minuscules et l'agitation humaine est celle de fourmis dans une
fourmilière.
Un sage oriental dit à l'un de ses disciples : Vis de riz et
d'eau et dors avec pour coussin tes bras pliés, tu vivras heureux ;
mais la richesse mal acquise et les honneurs obtenus par le mal
sont comme des nuages qui ne font que passer, ils n'apportent ni
fécondité ni croissance.
On relate que le Messie (la paix soit sur lui) disait :
« Mes vêtements sont de laine, mes repas d'orge, la lune est ma
lampe, mes jambes sont ma monture et mes bras sont mon
coussin... Je m'endors en ne possédant rien, et je m'éveille au
matin en ne possédant rien, mais personne sur terre n'est plus
riche que moi ! »
L'homme qui a des principes et une mission dans la vie
ne se soucie de rien et ne craint rien, une fois qu'il est parvenu à
une telle résignation. Il dit, à l'image de l'imam ach-Châfi`î :
« Si je vis, je trouverai ma subsistance, si je meurs, je
trouverai un tombeau.
Mon ambition est celle des rois et pour mon âme libre la
soumission est mécréance.
Si je me contente de ma subsistance, pourquoi donc
craindrais-je Zayd et `Amr ? »
L'imam al-Ghazâlî relate l'incident suivant dans le Livre
« Le commandement du bien et l'interdiction du mal » de son
ouvrage I/yâ `ouloûm ad-dîn (« La revivification des sciences
religieuses ») :
Un vieillard marchait le long des routes, ramassant les
noyaux de dattes par terre. Il cassa un luth qu'un serviteur
apportait à l'une des concubines de Hâroûn ar-Rachîd qui s'en
184
accompagnait pour chanter. Lorsque Hâroûn ar-Rachîd apprit
cela, il se mit en colère et envoya chercher le vieillard. Le
messager vint dire à celui-ci : « Réponds à la convocation du
Commandeur des Croyants. » Le vieillard accepta. Le messager
lui proposa de monter sur sa monture, mais le vieillard refusa.
Il arriva donc à pied et s'arrêta à la porte du palais.
Hâroûn ar-Rachîd congédia son assemblée, puis ordonna de faire
entrer le vieillard. Celui-ci ayant dans sa manche le sac qui
contenait ses noyaux, le serviteur lui dit : « Sors cela de ta
manche et entre auprès du Commandeur des Croyants. »
Le vieillard répondit : « C'est grâce à cela que je pourrai
dîner ce soir. »
Le serviteur dit : « Nous te donnerons à dîner. »
Le vieillard répliqua : « Je n'ai que faire de ton dîner. »
Hâroûn ar-Rachîd demanda alors au serviteur : « Qu'est-
ce que tu lui veux?»
Il répondit : « Il a des noyaux de dattes dans sa manche,
je lui ai dit de les jeter avant d'entrer auprès du Commandeur
des Croyants. »
Hâroûn ar-Rachîd lui dit : « Laisse-le les garder. »
Le vieillard entra donc, salua et s'assit. Hâroûn ar-Rachîd
lui demanda : « Vieil homme, qu'est-ce qui t'a poussé à agir
comme tu l'as fait ? »
Celui-ci répliqua : « Et qu'ai-je fait ? »
Mais Hâroûn eut honte de répondre : « Tu as cassé mon
luth » !
Comme il insistait, le vieillard dit : «J'ai entendu tes
pères et tes aïeux réciter en chaire ce verset : « Dieu ordonne la
justice et la bienfaisance et de donner aux proches, et Il interdit
185
1
la turpitude, le blâmable et la rébellion » : j'ai vu quelque chose
de blâmable et j'y ai remédié. »
Hâroûn répondit : « Continue à y remédier. »
Le rapporteur de l'histoire poursuit : Par Dieu, il n'ajouta
rien d'autre. Lorsque le vieillard sortit, le calife donna à un
homme une bourse de dix mille dirhems et lui dit : « Suis ce
vieillard. Si tu le vois raconter : `J'ai dit ceci au Commandeur
des Croyants et il m'a dit cela', ne lui donne rien. Si tu vois qu'il
ne parle à personne, donne-lui la bourse. »
Une fois sorti du palais, le vieillard trouva un noyau de
datte enfoncé dans le sol et s'employa à le dégager, sans adresser
la parole à personne. Le serviteur lui dit : « Le Commandeur des
Croyants te fait dire de prendre cette bourse. » Mais il rétorqua :
« Va dire au Commandeur des Croyants de remettre cet argent
où il l'a pris. »
Le récit dit encore qu'après avoir dit cela, le vieillard
continua à déterrer le noyau de datte en disant :
« Ce bas-monde n'est que tourment pour celui qui s'y
attache,
Il humilie ceux qui l'honorent et honore ceux qui le
dédaignent.
Si tu peux te passer d'une chose, laisse-la, et ne prends
que ce dont tu as besoin. »
C'est grâce à des hommes comme celui-ci, qui se
contentait de gagner sa subsistance en ramassant des noyaux de
datte sur le sol et refusait la fortune que lui offrait le calife, que
la vérité peut triompher et que les idéaux et les messages
prophétiques peuvent l'emporter.
186
Le contentement ne signifie pas qu'on accepte
l'erreur en silence
D'autre part, le second point qu'il nous restait à souligner
est que le fait d'accepter la décision de Dieu et le cours général
du monde et de la vie n'implique nullement que l'on doive
accepter toutes les déviations, toutes les erreurs que l'on
rencontre au niveau des détails et qui sont dues au
comportement de cet être libre et responsable qu'est l'homme.
Par exemple, ce n'est pas parce qu'on accepte l'existence
des voitures et qu'on les utilise, qu'il faudrait accepter
également tous les accidents qu'elles occasionnent et toutes les
infractions au code de la route commises par les conducteurs.
Certes, le croyant accepte l'ordre de l'univers tel que
Dieu l'a établi. Mais la raison et la liberté de choix dont Dieu a
doté l'être humain, et qui sont le fondement de sa responsabilité,
font partie de cet ordre des choses. Elles le rendent capable de
critiquer l'ordre social et de se révolter contre lui, comme de le
réformer et d'en corriger les abus.
Le croyant accepte donc sereinement l'ordre de l'univers,
mais rejette les erreurs commises par les hommes qui refusent
d'être reconnaissants envers Dieu pour la raison et la volonté
dont Il les a dotés et qui détournent les bienfaits de Dieu vers
d'autres usages que ceux pour lesquels ils ont été créés.
Cette révolte contre les erreurs et les déviations humaines
est une révolte qui satisfait Dieu, et qu'Il ordonne même, tandis
qu'Il promet un châtiment terrible à ceux qui laissent commettre
le mal en silence :
« Pourquoi n'y a-t-il donc pas eu, parmi les
générations qui vous ont précédés, des gens vertueux qui
interdisaient la corruption sur la terre, à part un petit
nombre d'entre eux que nous avons sauvés ? » 1
i
Sourate Hoûd, verset 116.
187
« Les mécréants parmi les Enfants d'Israël ont été
maudits par la bouche de David et de Jésus, fils de Marie,
parce qu'ils désobéissaient et transgressaient. Ils ne
s'interdisaient pas mutuellement ce qu'ils faisaient de
blâmable. Comme ce qu'ils faisaient est mal ! » 1
188
Le sentiment de sécurité
189
Le texte qui va suivre illustrera le degré de paix et de
sécurité que la foi apporte au coeur du croyant et montrera
combien cela fait défaut à celui qui ne croit pas : 1
190
de l'argent... Si je n'avais pas eu une position honorable,
j'aurais fait des efforts pour y accéder. Mais tout est là : l'argent,
la femme, les amis, les honneurs. J'ai tout ce à quoi les hommes
aspirent, tout ce pourquoi ils déploient leurs efforts : plus rien ne
me préoccupe ou ne nécessite un effort de ma part... Ma vie est
vide... Mes problèmes ? Je n'ai pas de problème... Donc sans
doute ai-je peur parce que je n'ai aucune raison d'avoir peur ;
sans doute ai-je peur de l'inconnu...
Je suis perdu dans la vie parce que j'ai atteint le sommet
de la vie... C'est la vie, désormais, qui est mon ennemie... Ce
n'est pas ce qu'elle contient, car je le possède tout... J'ai le
sentiment que la vie se moque de moi, qu'elle me menace
comme un ogre... Je sais maintenant de quoi j'ai peur... J'ai
peur de la vie elle-même. »
191
qu'il devienne pour eux un ennemi et une cause d'affliction.
- Pharaon, Haman et leurs armées étaient fautifs. » 1
Dieu répondit à la piété de la mère en réalisant Sa
promesse : « Nous le rendîmes ainsi à sa mère pour la
réjouir, pour qu'elle ne s'afflige plus et qu'elle sache que la
promesse de Dieu est vraie. Mais la plupart d'entre eux ne
savent pas. » 2
192
l'idolâtrie : « L'idolâtrie est vraiment une immense
injustice. » 1
Il apparaît donc clairement que la foi et le monothéisme
sont le fondement de la paix intérieure, tandis qu'inversement,
nier l'existence de Dieu, en douter ou Lui associer de fausses
divinités conduit à la peur, à la confusion et à l'angoisse.
Rappelons la Parole de Dieu :
« Nous jetterons l'effroi dans le coeur de ceux qui
mécroient, parce qu'ils associent à Dieu ce dont ils n'ont
reçu aucune preuve. »2
193
biens et les possessions qu'ils laissent derrière eux : or, toutes
ces idées sont fausses et sans fondement. »
Ce sont des idées fausses, certes, mais c'est précisément
au milieu de ces erreurs que vivent et meurent les athées et les
sceptiques : ils sont à moitié morts de crainte et d'anxiété, tandis
que les croyants sont les gens qui ont le moins peur et se sentent
le plus en sécurité.
194
« Combien de bêtes ne se chargent nullement de leur
subsistance ! C'est Dieu qui leur dispense leur subsistance
ainsi qu'à vous. » 1
Avec de telles garanties, le croyant vit dans un sentiment
de sécurité quant à sa subsistance, assuré que Dieu ne le laissera
pas mourir de faim, Lui qui nourrit les oiseaux dans leurs nids,
les bêtes sauvages dans les déserts, les poissons dans la mer, les
vers dans le sol.
Les croyants partaient autrefois au champ de bataille
avec pour tout bagage leur tête sur leurs épaules, en espérant
mourir au nom de leur foi. Ils laissaient derrière eux des enfants
incapables d'assurer leur propre subsistance, mais ils avaient la
conviction profonde qu'ils les laissaient sous la protection d'un
Seigneur généreux, plus tendre et bienveillant envers eux qu'ils
ne pouvaient l'être eux-mêmes.
L'épouse disait de son époux lorsque celui-ci partait dans
la voie de Dieu : je l'ai vu manger avec nous, mais je ne l'ai pas
vu assurer notre subsistance ; celui qui mangeait avec nous est
parti, mais Celui qui assure notre subsistance demeure !
195
« Lorsque le terme fixé par Dieu est échu, il ne saurait
être retardé, si vous saviez. » 1
« Pas une vie n'est prolongée ou abrégée sans que cela
ne se trouve dans un écrit. » 2
Le croyant est convaincu que Dieu a fixé à l'avance la
durée de chaque vie et déterminé, pour chaque être, le moment
et le lieu de sa mort. Comme le dit le poète,
« Celui qui en un lieu doit trouver le trépas / Ne mourra
point ailleurs qu'en ce lieu-là. »
En conséquence, le croyant est débarrassé du souci de
penser à la mort et de craindre pour sa vie.
Ce sentiment de sécurité quant à sa subsistance et à
l'heure de sa mort procure au croyant la sérénité et la paix
intérieure ; il lui donne également la force de faire face à la vie
et d'y affronter la tyrannie et l'injustice.
Ainsi, lorsqu'al-Hajjâj menaça de mort Sa'îd ibn
Joubayr, celui-ci répliqua : « Si je savais que la vie et la mort
étaient entre tes mains, je n'adorerais pas un autre Dieu que
toi ! »
196
« Où que vous soyez, la mort vous atteindra, fussiez-
vous dans des tours imprenables. » 1
« Dis : `Eussiez-vous été dans vos maisons, ceux pour
qui la mort était décrétée seraient sortis jusqu'au lieu où ils
devaient tomber.' » 2
Le croyant accepte la mort d'autant plus facilement qu'il
sait que tel a été le chemin suivi par toutes les générations qui
l'ont précédé, comme par les prophètes, les véridiques, les
martyrs et les justes : comment n'accepterait-il pas alors de
marcher à leur suite ? La mort étant une calamité qui frappe tout
le monde, elle ne lui paraît pas terrible : lorsqu'un mal est
général on ne peut que s'y habituer. « Tu mourras assurément,
comme ils mourront aussi. » 3
En outre, le croyant n'attache pas assez d'importance à
ce bas-monde pour être triste de le quitter en mourant. Comment
le serait-il en effet, alors que la mort est un pont qui le conduit à
la jouissance perpétuelle, à la béatitude éternelle ?
« Toute âme goûtera la mort, et vous ne recevrez
votre entière rétribution que le Jour de la Résurrection.
Quiconque sera écarté du Feu et introduit au Paradis aura
triomphé. Et la vie de ce monde n'est qu'une jouissance
illusoire. » 4
« Dis : La jouissance de ce monde est éphémère et
l'Au-delà est meilleur pour quiconque est pieux. Vous ne
serez pas lésés d'une pellicule de datte. » 5
La mort n'est pas un anéantissement total, une fin
définitive : c'est un passage d'une vie à une autre, d'un état à un
197
autre. Comme le dit une tradition : « Vous avez été créés pour
l'éternité, et vous ne faites que passer d'une demeure à une
autre. » Ou comme le dit le poète :
« Et la mort n'est qu'un voyage / de la demeure
éphémère à la demeure éternelle ».
La mort est une délivrance de la prison et des chaînes du
corps, durant la vie intermédiaire, puis un retour au corps dans
une création nouvelle le Jour de la Résurrection. On raconte
d'un pieux personnage que sentant la mort venir, il fit la grande
ablution, se parfuma et pria deux rak'a. Peu après, on entra chez
lui et on le trouva mort, tourné vers la qibla, avec près de sa tête
une feuille de papier où il avait écrit ces vers :
« Dis à mes frères qui, me voyant mort, pleurent et
s'affligent sur mon sort :
Pensez-vous que je sois ce mort que vous voyez ? Ce
mort, par Dieu, ce n'est pas moi
Je suis parmi les formes et ce corps était mon habit et ma
chemise pour un temps
Je suis un oiseau et ceci était ma cage, je m'en suis
envolé et elle est restée en gage.
Je remercie Dieu qui m'a délivré et m'a édifié une
demeure élevée
Ne pensez pas que la mort soit un trépas : elle n'est
qu'un départ d'ici-bas ! »
Jalâl ad-Dîn ar-Roûmî a dit pour expliquer le sens de la
mort et la raison pour laquelle les corps meurent avant la vie
éternelle : « On ne construit qu'après avoir détruit, on ne trouve
un trésor qu'après avoir creusé et retourné la terre. Si tu vois une
maison être détruite, sache qu'un nouvel édifice viendra la
remplacer. On ne détruit la maison que pour en extraire le trésor
enfoui et la rebâtir toute neuve. » « L'arbre ne donne ses fruits
qu'après que les fleurs s'ouvrent et tombent : de même, les âmes
ne s'épanouissent et ne revêtent un nouvel habit immaculé
198
qu'après la destruction du corps éphémère et l'abandon de cette
vie usée. »
Il dit encore : « Dieu, le Généreux par excellence, ne
reprend un bienfait qu'Il a accordé que pour en donner un plus
grand encore. Il ne reprend cette vie misérable, qui ne mérite pas
le nom de vie éternelle, que pour donner une autre vie plus
vaste, plus durable, plus belle et meilleure. » 1
Yahyâ ibn Mou'âdh a dit quant à lui : « Seul un sceptique
répugne à rencontrer la mort : c'est elle qui rapproche l'amant
du Bien-aimé. »
Cette façon de voir n'était pas propre à quelques-uns, ni
limitée aux philosophes et aux mystiques. C'était celle de
l'ensemble des croyants.
Ainsi, on dit à un Bédouin qui était très malade : « Tu es
sur le point de mourir. » Il demanda : « Et où m'emportera-t-on
après la mort ? » On lui répondit : « Vers Dieu. » Il dit alors :
« Malheur à vous ! Et comment craindrais-je d'aller rejoindre
Celui dont je sais qu'Il est la seule source du bien ? »
La Parole de Dieu est vraie : « Et ceux qui ont dit :
`Notre Seigneur est Dieu', puis ont suivi le droit chemin, les
anges descendent sur eux : `N'ayez pas peur et ne vous
affligez pas ; recevez l'heureuse annonce du Paradis qui
vous était promis. Nous sommes vos protecteurs dans la vie
d'ici-bas et dans l'Au-delà. Vous y obtiendrez ce que vos
âmes désireront, et vous y obtiendrez ce que vous
demanderez, – un lieu d'accueil de la part d'un Pardonneur
plein de miséricorde.' » 2
' Cité d'après le Mathnawî dans Rijâl al-fikr wad-da'wa fil-islâm (« Penseurs
et prêcheurs en islam ») d'Aboû al-Hassan an-Nadawî.
2
Sourate Foussilat, « Les versets détaillés », versets 30-32.
199
L 'espoir
200
Que cet espoir se réalise serait le meilleur des espoirs ;
sinon, il nous aura fait vivre de délicieux moments »
À l'opposé de l'espoir se trouve le désespoir, ressenti
lorsque la dernière lueur d'espoir s'est éteinte dans le coeur :
c'est l'obstacle insurmontable, qui détruit implacablement toute
motivation pour l'action en même temps qu'il affaiblit le corps.
Dieu fasse miséricorde au poète qui a dit : « Le désespoir
affaiblit le corps de celui qui en souffre et alanguit les coeurs
résolus ».
Le Compagnon Ibn Mas'oûd a dit : « Deux choses
mènent à la ruine : le désespoir et la vanité. » L'imam al-Ghazâlî
ajoute quant à lui : « Si ces deux choses sont associées, c'est
parce qu'on ne peut atteindre le bonheur que par l'effort et le
zèle. Or, l'homme en proie au désespoir ne fera pas d'effort
(parce que le succès lui paraît impossible) tandis que le vaniteux
pense avoir déjà fait tous les efforts nécessaires et posséder déjà
ce qu'il recherche, et ne fait pas d'effort non plus. On ne cherche
pas à acquérir ce que l'on a déjà, pas plus que l'on ne cherche à
obtenir l'impossible ; pour le vaniteux, le bonheur est déjà
acquis, et pour le désespéré il paraît impossible : c'est là le point
commun entre eux. »
L'expérience de la vie confirme clairement ces propos. Si
un élève désespère de réussir, il fuira les livres et n'étudiera
plus, ni chez lui ni à l'école ; ni les leçons particulières, ni les
conseils qu'on lui prodigue, ni un lieu et une atmosphère
propices à l'étude ne lui seront d'aucune utilité, tant qu'il ne
retrouvera pas l'espoir.
Si un malade perd tout espoir de guérison, il détestera les
remèdes, les médecins et les consultations, il haïra la vie et les
gens, et aucun traitement ne lui sera bénéfique tant qu'il n'aura
pas retrouvé l'espoir.
Ainsi, si le désespoir gagne un être humain, quel qu'il
soit, il voit la vie en noir, toutes les portes lui semblent fermées,
il ne trouve plus aucune issue et déteste la terre entière. Il
201
devient incapable de discerner le bien qui se trouve devant lui ou
derrière lui.
Voilà ce qu'est le désespoir : un lent poison qui ronge
l'âme humaine, un ouragan qui détruit toute énergie... Pour le
désespéré la vie n'aboutit à rien, il ne lui trouve aucun sens.
1
Sourate Yoûssouf, « Joseph », verset 87.
2
Sourate al-Hijr, verset 56.
' Sourate Houd, versets 9, 11.
202
Non seulement le désespoir est indissociable de la
mécréance, mais il est aussi indissociable du doute. Dès lors
qu'on perd la certitude absolue de la présence de Dieu et de Sa
rencontre, de Sa sagesse et de Sa justice, on perd également
l'espoir et toute vision optimiste de l'homme, de l'univers et de
la vie. On envisage la vie de ce monde avec le plus grand
pessimisme, on considère la terre comme une jungle, les
hommes comme des loups, l'existence comme un fardeau
insupportable... Ainsi le poète Aboû al-'Alâ al-Ma`arrî disait-il
de l'existence : « Mon père a perpétré cela contre moi, et je ne
l'ai perpétré contre personne. »
Il disait encore :
« Ne pleure pas un mort, ne te réjouis pas d'une
naissance : le mort sera mangé par les vers, et le nouveau-né
aussi. »
203
voyageur qui revient auprès des siens ou l'assoiffé qui arrive à la
source.
Un Dieu qui rétribue chaque bonne action en la comptant
pour dix actions semblables et peut aller jusqu'à en multiplier la
valeur sept cents fois ou plus, mais qui ne compte chaque péché
qu'une seule fois ou le pardonne.
Un Dieu proche qui appelle celui qui se détourne de Lui,
qui va à la rencontre de celui qui vient à Lui et qui dit : « Je suis
tel que Mon serviteur M'imagine et Je suis avec lui lorsqu'il
M'invoque : s'il se souvient de Moi en lui-même, Je Me
souviens de lui en Moi-même ; s'il se souvient de Moi dans une
assemblée, Je Me souviens de lui dans une assemblée plus noble
encore ; s'il se rapproche de Moi d'un empan, Je Me rapproche
de lui d'une coudée ; s'il se rapproche de Moi d'une coudée, Je
Me rapproche de lui d'une brasse ; s'il vient à moi en marchant,
Je vais à lui en toute hâte. » 1
Un Dieu qui fait alterner les jours pour les hommes, leur
donnant après la peur la sécurité, après la faiblesse la force,
après la gêne le soulagement, qui apporte une issue à chaque
problème et joint la facilité à la difficulté.
Le croyant qui s'attache fermement à ce Dieu bon et
miséricordieux, puissant et généreux, indulgent et compatissant,
au Seigneur du Trône sublime qui fait absolument ce qu'Il veut,
– ce croyant vit soutenu par un espoir inextinguible ; il est
toujours optimiste, il sourit à la vie et à ses événements plutôt
que de présenter un visage sombre et renfrogné.
S'il combat, il a confiance en la victoire, car il est avec
Dieu et Dieu est avec lui, il est pour Dieu et Dieu est pour lui :
« Ce sont eux qui seront secourus, et ce sont Nos soldats qui
seront victorieux. »2
204
S'il tombe malade, il ne perd pas l'espoir de guérir :
« C'est Lui qui m'a créé et qui me guide, c'est Lui qui me
nourrit et qui m'abreuve, Lui qui, lorsque je suis malade, me
guérit. » 1
Lorsqu'il a commis un péché, le croyant ne désespère pas
du pardon de Dieu : aussi grande que soit sa faute, il sait que
l'indulgence de Dieu est plus grande encore :
« Dis : Ô mes serviteurs qui avez commis des excès à
votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde
de Dieu. Dieu pardonne tous les péchés, c'est Lui le
Pardonneur, Celui qui est plein de miséricorde. » 2
Dans la difficulté, il ne cesse d'espérer le soulagement :
« À côté de la difficulté se trouve l'aisance, à côté de la
difficulté se trouve l'aisance. » 3 La difficulté ne pourra jamais
l'emporter. Ibn Mas'oûd a dit : « Où que la difficulté parvienne à
pénétrer, l'aisance la suivra toujours. »
Si un malheur lui arrive, le croyant espère encore que
Dieu le récompensera dans sa peine et compensera sa perte par
quelque chose de meilleur : « Ceux qui, lorsqu'un malheur les
frappe, disent : `Nous appartenons à Dieu et c'est à Lui que
nous retournerons.' Ceux-là reçoivent des bénédictions et
une miséricorde de leur Seigneur, et ceux-là sont bien
dirigés. »4
Si le croyant a des ennemis ou éprouve de la haine, il est
toujours prêt à la réconciliation et à la paix, espérant la bonne
entente et convaincu que Dieu transforme les coeurs : « Peut-
être Dieu établira-t-Il des liens d'amitié entre vous et ceux
205
d'entre eux qui étaient vos ennemis : Dieu est tout-puissant
et Dieu est enclin au pardon, plein de miséricorde. » 1
Lorsqu'il voit l'erreur prendre la place de la vérité, le
croyant est convaincu que l'erreur disparaîtra et que c'est la
vérité qui aura le dessus :
« Au contraire, nous lançons la vérité contre l'erreur
pour l'écraser, et la voilà qui disparaît. »2
« L'écume est rejetée tandis que ce qui est utile aux
hommes reste dans la terre. »3
Lorsque le croyant a atteint un âge avancé et que ses
cheveux sont devenus blancs, il espère toujours en une autre vie
où il connaîtra la jeunesse éternelle, l'immortalité et un bonheur
parfait :
« Les jardins d'Eden que le Miséricordieux a promis
à Ses serviteurs dans l'Invisible – Sa promesse va bientôt
s'accomplir. Ils n'y entendront point de vains propos, mais
seulement `Paix', et ils y recevront leur nourriture matin et
soir. »'
Les matérialistes s'arrêtent aux lois naturelles et aux
causes observables, sans rien espérer de plus. Mais les croyants
s'élèvent au-dessus des causes apparentes pour aboutir au secret
de l'existence, à Dieu, le Créateur des causes et des effets, qui
tient en Son pouvoir des causes cachées que Ses serviteurs sont
incapables de percevoir : pourquoi alors leur coeur ne se
tournerait-il pas vers Lui dans les moments difficiles, lorsque la
détresse les enserre ?
Ils trouvent auprès de Lui un refuge dans l'adversité, une
compagnie dans la solitude, un soutien dans le désarroi. C'est
206
vers Lui que le malade se tourne quand les médecins l'ont
déclaré incurable, pour L'implorer en espérant la guérison.
C'est vers Dieu que se tourne le croyant dans l'affliction
pour Lui demander la patience et la résignation et L'implorer de
compenser et de remplacer tout ce qu'il a perdu.
C'est vers Lui que se tourne l'opprimé en espérant que le
jour est proche où il aura le dessus sur son oppresseur : aucun
obstacle ne sépare de Dieu l'invocation de l'opprimé.
C'est vers Lui que se tourne le croyant privé d'enfant
pour L'implorer de lui accorder une bonne descendance.
Chacun implore Dieu en espérant être exaucé et voir ses
espoirs se réaliser : cela n'est nullement difficile à la toute-
puissance divine.
Abraham implora Dieu de lui accorder une descendance
alors qu'il était déjà un vieillard : « Seigneur, dote-moi d'un
enfant vertueux. » 1 Dieu l'exauça et lui envoya des anges sous
la forme humaine d'hôtes de passage, qui lui dirent : « `Nous te
faisons l'heureuse annonce d'un garçon plein de savoir.' Il
dit : `M'annoncez-vous cela alors que la vieillesse m'a
touché ? Que m'annoncez-vous donc ?' Ils répondirent :
`Nous t'annonçons la vérité ; ne sois pas de ceux qui
désespèrent !' Il dit : `Et qui désespère de la miséricorde de
son Seigneur, sinon les égarés ?' »2
Dans une autre sourate, Abraham loue Dieu en ces
termes : « Louange à Dieu qui m'a doté, malgré la vieillesse,
d'Ismaël et d'Isaac ! Certes, mon Seigneur entend bien les
invocations. » 3
Jacob, à son tour, se tourna vers Dieu alors que son fils
Joseph avait disparu depuis longtemps et que de longues années
207
s'étaient écoulées, de sorte que l'espoir de le retrouver aurait pu
disparaître, et alors qu'il avait ensuite eu la douleur d'apprendre
la capture du frère de celui-ci lors de l'incident de la coupe du
roi. Il ne sombra pas dans le désespoir mais dit plutôt : « Une
belle patience ! Peut-être Dieu me les ramènera-t-Il
ensemble : Il est certes l'Omniscient, le Sage. » 1
Lorsqu'il exprima son chagrin au sujet de son fils Joseph,
ses fils lui dirent : « `Par Dieu, tu ne cesseras pas de te rappeler
Joseph jusqu'à ce que tu t'épuises ou que tu périsses !' Il dit :
`C'est à Dieu que je confie mon déchirement et mon chagrin. Je
sais de Dieu ce que vous ne savez pas.' » 2 Puis il révéla à ses fils
son sentiment d'espoir renforcé par la confiance en ce que Dieu
finirait par réunir ses fils autour de lui : « Mes fils, partez vous
enquérir de Joseph et de son frère, et ne désespérez pas de la
bienveillance de Dieu : ne désespèrent de la bienveillance de
Dieu que les mécréants. » 3
Zacharie, lui aussi, invoqua Dieu : « Lorsqu'il invoqua
son Seigneur d'une invocation secrète, il dit : Mon Seigneur !
Mes os sont affaiblis, ma tête a blanchi. Jamais en
T'invoquant je n'ai été malheureux, ô mon Seigneur. Je
crains le comportement de mes proches après ma mort, et
ma femme est stérile : accorde-moi, de Ta part, un
descendant qui hérite de moi et de la famille de Jacob, et
fais, ô Seigneur, qu'il Te soit agréable. » Dieu lui répondit du
ciel : « Ô Zacharie, Nous te faisons l'heureuse annonce d'un
garçon nommé Yalâ. Nous ne lui avons pas auparavant
donné d'homonyme. » 4
Le Coran mentionne encore l'invocation de Job : « Et
Job lorsqu'il lança un appel à son Seigneur : `Le malheur
1
Sourate Yoûssouf, « Joseph », verset 83.
2
Sourate Yoûssouf, « Joseph », versets 85-86.
Sourate Yoûssouf, « Joseph », verset 87.
4
Sourate Maryam, « Marie », versets 3-6 et 7.
208
m'a touché, et Tu es le plus miséricordieux de ceux qui font
miséricorde.' Nous l'exauçâmes et Nous écartâmes son
malheur, et Nous lui rendîmes sa famille et autant d'autres
avec eux, à titre de miséricorde de Notre part et de rappel
pour ceux qui Nous adorent. » 1
Ainsi que celle de Jonas avalé par le poisson : « Il lança
cet appel dans les ténèbres : `Il n'y a pas d'autre divinité que
Toi, gloire à Toi ! J'étais du nombre des injustes.' Nous
l'exauçâmes et Nous le sauvâmes de l'angoisse : c'est ainsi
que Nous sauvons les croyants. » 2
Lorsque Moïse fuit de nuit avec son peuple pour le faire
échapper au Pharaon et à ses soldats, et que les troupes se
lancèrent à leur poursuite : « Au lever du soleil, ils les
poursuivirent. Lorsque les deux groupes furent visibles l'un
à l'autre, les compagnons de Moïse dirent : `Nous voilà
rejoints'. » – Dans quel piège ils se trouvaient, ils avaient la mer
devant eux et l'ennemi derrière eux ! Mais Moïse ne tomba pas
dans la peur ni le désespoir, il dit au contraire : « Pas du tout !
Mon Seigneur est avec moi, Il me guidera. » 3 Son espoir ne
fut pas vain : « Nous inspirâmes à Moïse : `Frappe de ton
bâton la mer !' Celle-ci se fendit ; chaque partie était comme
une immense montagne. Nous en fîmes approcher les autres,
et Nous sauvâmes Moïse et tous ceux qui étaient avec lui,
puis Nous engloutîmes les autres : il est certes en cela un
signe. »4
Le Prophète Mohammed (que la bénédiction et la paix
soient sur lui), eut la même attitude lorsque, durant sa fuite à
Médine, il se réfugia dans la grotte de Thawr avec son
compagnon Aboû Bah as-Siddîq, tandis que les mécréants le
209
suivaient à la trace et que leur pisteur dit : «Mohammed n'a pas
dépassé cet endroit : à partir d'ici il est monté au ciel ou il s'est
enfoncé dans la terre. » Aboû Bah as-Siddîq craignait de plus en
plus pour le porteur du message, le dernier des prophètes ; il dit
en pleurant : « Si l'un d'eux regarde sous ses pieds il va nous
voir ! » Mais le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur
lui) lui répondit : « Que penses-tu de deux hommes qui ont Dieu
pour troisième ? » Le Coran évoque la conclusion de l'histoire :
« Dieu lui avait porté secours lorsque les mécréants l'avaient
chassé, le deuxième de deux ; lorsque, comme ils étaient dans
la grotte, il disait à son compagnon : ne t'afflige pas, Dieu est
avec nous. Dieu fit alors descendre sur lui Sa sérénité et le
soutint par des armées que vous ne voyiez pas. Il fit avoir le
dessous à la parole des mécréants et triompher la parole de
Dieu : Dieu est Puissant et Sage. » 1
Ce sont là des événements historiques d'une authenticité
indiscutable. Peut-être les matérialistes les nieront-ils en partie
ou en totalité, parce qu'ils s'écartent des lois naturelles
habituellement connues. Toutefois, les croyants sont convaincus
que les causes habituelles ne limitent nullement la puissance
absolue de Dieu et que la stabilité de ces lois n'est pas une
nécessité logique ne souffrant aucune exception. Si les
inventeurs s'étaient limités à ce dont les hommes de leur époque
avaient l'habitude, la science n'aurait jamais progressé et nous
ne serions pas arrivés à l'ère de l'atome et de l'espace.
210
n'aurait pas accompli des pas en avant aussi gigantesques et
n'aurait pas fait arriver l'homme jusqu'à la lune.
L'espoir est indispensable pour assurer le succès des
missions et des rénovations ; si le réformateur perd l'espoir, il
s'engage dans la bataille sans arme pour combattre, sans main
pour tenir les armes : d'où, en ce cas, pourrait lui venir la
victoire ?
Par contre, si l'espoir l'accompagne, les épreuves lui
paraîtront faciles, le lointain lui semblera proche ; le temps
rapproche ce qui est loin et est source d'amélioration.
Le meilleur exemple des réformateurs est le Prophète
Mohammed (que la bénédiction et la paix soient sur lui) :
Pendant treize ans, à La Mecque, il appela ses
compatriotes à l'islam, tandis qu'ils se moquaient de lui,
tournaient le Coran en dérision, rejetaient les preuves en
forgeant des mensonges, s'entêtaient à nier les signes,
humiliaient et torturaient les musulmans : jamais il ne fut
ébranlé, jamais il ne perdit l'espoir.
Les polythéistes persécutaient tellement ses Compagnons
qu'il finit par leur ordonner d'émigrer en Abyssinie. Il leur dit
alors avec confiance et conviction : « Dispersez-vous sur la terre,
Dieu vous rassemblera. »
Il reçut la visite d'un de ses Compagnons, Khabbâb ibn
al-Arath, un esclave dont la maîtresse lui brûlait le dos au fer
rouge. Ne pouvant rien faire contre ce supplice répété, il
demanda amèrement au Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) : «N'invoques-tu pas Dieu pour nous ? » –
comme si le temps lui paraissait long, comme s'il voulait qu'une
invocation du Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur
lui) vienne mettre un terme au conflit entre la foi et l'incroyance
et que Dieu envoie son châtiment au peuple mécréant comme Il
l'avait envoyé aux peuples de 'Âd et de Thamoûd et à leurs
successeurs.
211
Cette impatience exprimée par son Compagnon suscita la
colère du Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui),
qui lui fit une leçon sur la patience face aux peines du présent et
l'espoir en la victoire future, et lui dit : « Il arrivait autrefois
qu'un homme ait la chair et les nerfs arrachés jusqu'à l'os avec
un peigne de fer, qu'on le coupe en deux à la scie, sans que cela
ne parvienne à lui faire renier sa religion. Par Celui qui détient
mon âme en Son pouvoir, Dieu ne manquera pas de faire
triompher cette religion, de sorte qu'un voyageur pourra aller de
San'â à Hadramawt en n'ayant à craindre que Dieu, et le loup
pour son troupeau... Mais vous êtes impatients ! »
Lors de l'Hégire, le Prophète (que la bénédiction et la
paix soient sur lui) quitta La Mecque comme un fugitif
persécuté, obligé à prendre des chemins détournés, à se réfugier
dans la grotte, à voyager de nuit et à se cacher le jour... En
route, il fut rattrapé par le cavalier Surâqa ibn Mâlik. Celui-ci
rêvait à la récompense de cent chameaux que les Qoraïchites
avaient promise à quiconque leur ramènerait Mohammed vivant
ou mort ; mais son cheval épuisé s'effondra sous lui, sous les
yeux du Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui), à
qui Dieu révéla alors l'avenir promis à sa religion, et qui lui dit :
« Ô Surâqa, comment te plairait-il que Dieu te revête des joyaux
de Chosroès ? » L'homme, stupéfait, demanda : « Chosroès fils
de Harmaz ? » Et il répondit : « Oui. »
Parvenu à Médine, le Prophète (que la bénédiction et la
paix soient sur lui) commença son âpre et interminable combat
contre les fausses divinités de l'idolâtrie et contre les partisans
de l'erreur. La victoire était tantôt d'un côté, tantôt de l'autre,
comme Dieu le veut habituellement. Lors de la campagne contre
les coalisés, toutes les forces de l'idolâtrie, et les juifs déloyaux
à leurs côtés, s'étaient liguées contre les musulmans. La
situation était difficile pour le Prophète (que la bénédiction et la
paix soient sur lui) et ses Compagnons : les tribus de Qoraïch et
Ghatafân, leurs alliés à l'extérieur de Médine, les juifs et les
hypocrites à l'intérieur... Le Coran relate ainsi cette épreuve :
212
« Lorsqu'ils marchaient sur vous de toutes parts, que les
regards étaient hagards, que les coeurs remontaient dans les
gosiers et que vous faisiez sur Dieu toutes sortes de
suppositions, alors les croyants furent éprouvés et ils furent
violemment ébranlés. » 1 Dans ces moments terribles où la
flamme de l'espoir vacille et où chacun ne pense plus qu'à avoir
la vie sauve... dans ces instants-là, le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) aidait ses Compagnons à
creuser un fossé autour de Médine pour contenir les assauts de
l'ennemi, tout en leur parlant de lendemains pleins d'espoir, de
l'avenir attendu où Dieu leur ouvrirait les terres de l'empire
perse de Chosroès et celles de l'empire byzantin en Palestine,
ainsi que le Yémen dans la péninsule arabique... Il leur parlait
de tout cela avec tant de confiance et de conviction que les
hypocrites s'exclamèrent avec colère : « Mohammed nous
promet les trésors de Chosroès et de César, alors que nous ne
sommes pas en sécurité si nous partons seuls au lieu caché ! »
Ou, comme le relate le Coran : « Et lorsque les hypocrites et
ceux dont les coeurs étaient malades disaient : Dieu et Son
messager ne nous ont fait que des promesses trompeuses. » 2
Quel est donc ce rayonnement qui émane des grands
coeurs et qui perce les ténèbres des événements, éclairant le
chemin et dissipant l'obscurité ? C'est l'espoir ou, peut-on dire
encore, la foi en l'appui de Dieu : « Il donne Son secours à qui
Il veut ; Il est le Tout-Puissant, plein de miséricorde. C'est la
promesse de Dieu : Dieu ne manque jamais à Sa promesse,
mais la plupart des gens ne savent pas. » 3
213
La foi et l'amour
214
C'est lui qui assouplit le fer, qui fait fondre la pierre, qui
ressuscite les morts et leur insuffle la vie... »
« Cet amour est l'aile qui permet à l'homme matériel, si
lourd, de prendre son envol et d'atteindre, loin du sol, l'Arcturus
et les Pléiades... »
« Que Dieu bénisse, pour les adorateurs de la matière et
les serviteurs du corps, leurs possessions et leurs biens ! Nous ne
les envions en rien. Nous sommes les captifs du pays immortel
de l'amour... »
« Que Dieu t'accorde vie, ô amour insatiable ! Médecin
de ma peine et des maux qui m'accablent, toi, remède à mes
craintes et à ma vieillesse, habile médecin qui soigne le
chagrin ! »
Un lettré et journaliste contemporain s'intéressant à la
psychologie a écrit quant à lui :
« Je distinguai au loin des lumières qui brillaient au
milieu de la mer comme l'étoile polaire, et j'émis le voeu
d'avoir, dans l'avenir, une pareille étoile... Qui d'entre nous ne
désire pas avoir une étoile pour le guider dans l'avenir ? Une
étoile pour le guider durant les jours qui lui restent à vivre...
Que pourrait être cette étoile ?
La sagesse... mais que nous apporte la sagesse, à part
une logique aride ?
La prudence... mais que nous apporte la prudence, à part
une crainte incessante ?
Le travail... mais que nous apporte le travail, à part la
sueur et la rancoeur ?
L'argent... mais que nous apporte l'argent, à part la
crainte, la prudence, la sueur et les problèmes ?
L'amour... C'est la seule valeur qui nous apporte la
sécurité, la stabilité et la paix. Aimer tout... tout le monde...
aimer le malheur aussi bien que le bonheur... le premier pour
215
qu'il éveille en nous la force de résister et que l'âme soit
ardente, comme prête à s'élancer... le second pour l'apaisement
qu'il apporte après la bataille. Aimer l'existence tout entière, du
début à la fin, la mort comme la vie !
Est-il quelqu'un qui puisse aimer ainsi ? Celui qui le
ferait serait un ange... » 1
Nous répondrons, quant à nous, qu'une seule catégorie
de personnes est capable d'aimer d'un amour si immense : celles
dont le coeur a été touché par la foi.
La foi est l'unique source d'amour pur et éternel. Seul le
croyant est capable d'aimer tout, même le malheur, d'aimer
l'existence tout entière du début à la fin, la mort comme la vie. 2
216
L'amour de Dieu
Le croyant musulman a percé le secret de l'existence : il
aime Dieu qui donne la vie, qui crée et qui protège, qui suscite et
qui préserve.
Il aime Dieu parce que l'homme aime la beauté, et
s'émerveille devant la puissance créatrice et la sagesse qui
gouvernent l'univers :
« Tu ne vois aucune disproportion dans la création du
Miséricordieux. » 1
« Telle est l'oeuvre de Dieu qui a réalisé toute chose à
la perfection. » 2
« Celui qui a excellé en tout ce qu'Il a créé. » 3
Le croyant aime Dieu parce que l'homme aime la
perfection : existe-t-il, en réalité, d'autre perfection que celle du
Tout-Puissant ? Toutes les manifestations de perfection relative
que nous pouvons observer ne sont que d'infimes reflets de la
perfection divine et ne peuvent exister sans Lui.
Quoi qu'il en soit, l'islam est accusé à tort : c'est, de toutes les religions, celle
qui appelle le plus à l'amour, insiste sur ses valeurs et le fait jaillir dans les
coeurs ; celle qui combat le plus fermement l'envie, la rancoeur et la haine et
s'attache le plus à leur barrer la voie.
Un notable chrétien modéré de Tripoli, au Liban, dit un jour à Rachîd Ridâ
(que Dieu lui fasse miséricorde) : « L'islam possède des valeurs sublimes,
plus immenses que les montagnes, mais vous les passez sous silence au point
qu'on les oublie presque. Nous n'avons pas grand-chose, quant à nous, si ce
n'est la parole : `Aime Dieu et ton prochain', mais nous l'amplifions le plus
possible en parlant des `valeurs chrétiennes', au point qu'on ne voit plus que
cela ! »
Ce témoignage d'un chrétien impartial se passe de commentaire.
Sourate al-Moulk, « La royauté », verset 3.
2
Sourate an-Naml, « Les fourmis », verset 88.
s Sourate as-Sajda, « La prosternation », verset 7.
217
Le croyant aime Dieu parce que l'homme aime la
bienfaisance, parce que l'âme humaine est naturellement portée
à aimer celui qui lui fait du bien. Or, qui aurait pu lui faire un
plus grand bien que Celui qui l'a créé à partir de rien, qui a fait
de lui un être humain aux justes proportions, qui en a fait Son
lieutenant sur la terre et a assujetti l'univers tout entier à ses
besoins ?
« C'est Lui qui a créé pour vous tout ce qui est sur la
terre... » 1
« Ne voyez-vous pas que Dieu vous a assujetti tout ce
qui est dans les cieux et tout ce qui est sur la terre, et vous a
prodigué Ses bienfaits apparents et cachés ? » 2
C'est pour tout cela et plus encore que le croyant aime
Dieu d'un amour bien supérieur à l'amour de l'être humain pour
ses parents, pour ses enfants et pour lui-même. Le croyant aime
tout ce qui vient de Dieu et tout ce que Dieu aime. Il aime le
Livre sacré que Dieu a révélé pour guider les hommes des
ténèbres vers la lumière, il aime le Messager qu'Il a envoyé
comme miséricorde pour l'univers, il aime tous les êtres
humains bons et vertueux et cet amour est réciproque. Il
prononce, à la suite du Prophète Mohammed (que la bénédiction
et la paix soient sur lui), cette invocation : « Mon Dieu, gratifie-
moi de Ton amour et de l'amour de ceux qui T'aiment, et fais
que Ton amour me soit plus cher que l'eau fraîche. »
L'amour de la nature
Non seulement le croyant musulman aime Dieu, mais il
aime également la nature, l'univers tout entier, en tant que
manifestation de son Seigneur, « Lui qui a créé et agencé
218
harmonieusement, décrété et guidé » 1 toute chose selon un
calcul et dans un but précis :
« Nous avons créé toute chose avec mesure. » 2
« Le soleil et la lune obéissent à un calcul. » 3
« Il n'est rien dont les réserves ne soient auprès de
Nous, et Nous ne le faisons descendre que selon une mesure
déterminée. »4
La nature n'est pas un ennemi pour l'être humain : elle
est une création assujettie au service de ses besoins, pour l'aider
à assumer sa fonction de lieutenant de Dieu sur terre. Tout ce qui
est dans l'univers célèbre la gloire et la louange de Dieu en toute
sincérité, dans un langage qui peut toutefois être inaccessible à
l'esprit limité des êtres humains :
« Les sept cieux et la terre, et tout ce qui est en leur
sein, célèbrent les louanges de Dieu ; il n'est pas une chose
qui ne célèbre Ses louanges, mais vous ne comprenez pas
leur chant. » 5
Le monde n'est pas un mal dont on devrait espérer la fin,
comme le suggère entre autres la doctrine manichéenne. C'est le
Livre ouvert de Dieu, où sont visibles pour tous, savants comme
illettrés, les signes de Sa toute-puissance et de Sa miséricorde,
de Sa grandeur et de Sa grâce.
Tout dans ce monde, du plus sublime au plus infime, est
l'oeuvre de Dieu qui a créé et dirigé toute chose, qui a agencé
tous les éléments de l'univers en une telle harmonie que les
cieux et la terre, les animaux et les végétaux sont, dans leur
coopération et leur interdépendance, comme les parties d'un seul
219
corps : « Il ne convient pas au soleil de rattraper la lune, pas
plus que la nuit ne devance le jour ; chacun vogue dans une
orbite. » 1
Rien dans l'univers n'a été créé au hasard ou en vain.
Chaque élément est conçu pour jouer son rôle, comme Dieu l'a
voulu, dans l'exploitation de la terre, dans la poursuite de la vie
jusqu'au terme fixé, dans la satisfaction des besoins de cette
créature honorée qu'est l'être humain.
Certains hommes envisageaient autrefois l'obscurité avec
crainte et aversion : l'obscurité était pour eux une manifestation
de la divinité du mal en conflit avec la divinité de la lumière et
du bien. Quel sentiment ces hommes éprouvaient-ils lorsque la
nuit les enveloppait de son manteau noir, alors que, comme on le
sait, la nuit occupe la moitié du temps ?
La foi musulmane a dissipé cette obsession mentale et
psychique en affirmant clairement que la répartition du temps
entre le jour et la nuit, entre l'obscurité et la lumière, constitue
l'un des signes de Dieu dans l'agencement de Son royaume, un
bienfait dont Il a gratifié Ses créatures, et face auquel nous
devons éprouver de la reconnaissance et non pas de la crainte :
« Dis : Qu'en pensez-vous, si Dieu vous imposait la nuit
perpétuelle jusqu'au Jour de la Résurrection, quelle divinité
autre que Dieu vous apporterait une clarté ? N'entendez-
vous donc pas ? Dis : Qu'en pensez-vous, si Dieu vous
i mposait le jour perpétuel jusqu'au Jour de la Résurrection,
quelle divinité autre que Dieu vous apporterait une nuit
pour vous y reposer ? Ne voyez-vous donc pas ? Par Sa
miséricorde, Il a établi pour vous la nuit et le jour pour que
vous vous reposiez et que vous recherchiez Sa faveur, – ainsi
peut-être serez-vous reconnaissants. »2
220
Le véritable amour de la nature est celui des croyants qui
perçoivent la présence de Dieu dans la nature, qui y voient un
Coran silencieux témoignant de Sa divinité :
« Il y a en vérité, dans la création des cieux et de la
terre et dans l'alternance de la nuit et du jour, des Signes
certains pour les êtres doués d'intelligence. Pour ceux qui
invoquent Dieu, debout, assis ou couchés, et qui méditent sur
la création des cieux et de la terre. Seigneur ! Ce n'est pas en
vain que Tu as créé cela. Gloire à Toi ! » 1
Cet amour trouve son expression la plus éclatante chez le
Prophète de l'islam (que la bénédiction et la paix soient sur lui),
qui a proclamé son amour même aux montagnes, et même à une
montagne qui aurait pu lui sembler maléfique en raison de la
défaite qu'il avait subie dans ses environs, à savoir le mont
Ouhoud.
Al-Boukhârî rapporte ces propos d'Anas ibn Mâlik, le
serviteur du Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur
lui) : J'étais parti à Khaybar en compagnie du Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) pour le servir. Sur le chemin
du retour, lorsque le Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) arriva en vue du mont Ouhoud, il dit : « Voilà une
montagne qui nous aime et que nous aimons. »
L'amour de la vie
Tout comme le musulman aime la nature, il aime aussi la
vie : il ne la considère pas comme un crime perpétré à son
encontre par ses parents ni comme une charge dont il voudrait se
débarrasser, ni encore comme une prison dont il lui faudrait
s'évader ; la vie est pour lui une mission à remplir et un bienfait
dont il faut être reconnaissant.
Rappelons quelques hadîth à ce sujet :
221
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
a dit : « Le meilleur d'entre vous est celui qui vit longtemps et
agit bien. » 1
H a dit également : « N'espérez pas la mort et ne la
demandez pas avant qu'elle n'arrive. Lorsque quelqu'un meurt,
ses oeuvres s'arrêtent. La longévité n'apporte au croyant que du
bien. »2
Et encore : « N'espérez pas la mort ! Celui qui a
accompli de bonnes actions pourra en accomplir d'autres, et
celui qui a mal agi pourra chercher à se racheter. » 3
La vie est un bien en toutes circonstances, et en cas de
découragement on doit dire : « Mon Dieu, prolonge ma vie tant
que Tu sauras que la vie sera un bien pour moi, et fais-moi
mourir lorsque Tu sauras que la mort sera un bien pour moi. » 4
L'amour de la mort
Le croyant n'aime pas la vie comme quelqu'un qui
désirerait profiter de ses jouissances immédiates, qui ne serait
attaché qu'aux plaisirs, de sorte qu'il envisagerait la mort avec
crainte et ne parviendrait pas à se détacher de la terre. Le croyant
aime la vie parce qu'elle lui permet de s'acquitter de ses devoirs
envers Dieu sur cette terre, et il aime la mort parce qu'elle lui
permet de rencontrer son Seigneur. Le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) a dit : « Celui qui aime
rencontrer Dieu, Dieu aime le rencontrer. »5
Lorsque le Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui) eut à choisir entre rencontrer son Seigneur ou demeurer
ici-bas, il dit : « Je choisis la Compagnie la plus élevée ! »
222
Lorsque `Alî ibn Abî Tâlib reçut le coup fatal que lui porta `Abd
ar-Rahmân ibn Mouljam, il s'exclama : « J'ai gagné, par le
Seigneur de la Ka'ba ! » Alors que Bilâl était sur le point de
mourir, une femme s'écria : « Quel malheur ! » Il répliqua :
« Non, quel bonheur ! Demain je retrouverai mes chers amis,
Mohammed (que la bénédiction et la paix soient sur lui) et ses
Compagnons ! »
Lorsque les païens de La Mecque emmenèrent Khoubayb
ibn Zayd pour le crucifier, il déclama alors qu'il s'apprêtait à
mourir :
« Peu m'importe quand je serai tué musulman, par où,
pour Dieu, aura lieu mon trépas.
Cela est voué à Dieu, et s'Il le veut, il bénira les
membres d'un corps déchiré. »
Lorsque « l'épée de Dieu », Khâlid ibn al-Walîd,
envoyait des missives aux dirigeants persans ou byzantins, il
concluait, après avoir appelé à la paix et à l'islam, par ces mots :
« Sinon... j'enverrai contre vous des hommes qui aiment la mort
autant que vous aimez la vie ! »
223
donne à penser qu'il faut ici comprendre par « les liens de
parenté » le lien de l'humanité qui unit tous les êtres humains.
Au sujet de l'objectif commun et de l'ennemi commun,
Dieu dit : « Ô êtres humains, la promesse de Dieu est vérité !
Que la vie de ce monde ne vous trompe pas, et que le grand
trompeur ne vous trompe pas au sujet de Dieu. Le Démon est
pour vous un ennemi : prenez-le donc pour ennemi. » 1
L'immortalité dans l'autre monde et la jouissance éternelle de
ses bienfaits constituent le but commun qui unit tous les êtres
humains, et le Démon qui cherche à y faire obstacle est leur
ennemi commun.
La foi musulmane n'autorise pas les divisions raciales ni
le chauvinisme quel qu'il soit. Un musulman est convaincu que
tous les êtres humains descendent d'Adam et qu'Adam était fait
de poussière. Il considère que les différences de langues et de
couleurs ne sont qu'une preuve de la puissance créatrice de
Dieu, un signe de Sa grandeur visible à travers Sa création :
« Parmi Ses signes : la création des cieux et de la terre et la
variété de vos idiomes et de vos couleurs. Il y a vraiment là
des signes pour les savants. »2
Ce sentiment de fraternité avec l'humanité entière n'est
nullement, pour le musulman, quelque chose de secondaire ou
de superflu : c'est un élément essentiel de sa foi, par lequel il
s'efforce de se rapprocher de Dieu et qu'il mentionne dans ses
invocations. L'imam Ahmad et Aboû Dâwoud rapportent
d'après Zayd ibn Arqam que le Prophète (que la bénédiction et
la paix soient sur lui) disait après chaque prière : « Mon Dieu,
notre Seigneur, Seigneur et Maître de toute chose, je témoigne
que Tu es le Seigneur, unique et sans associé. Mon Dieu, notre
Seigneur, Seigneur de toute chose, je témoigne que Mohammed
est Ton serviteur et Ton messager. Mon Dieu, notre Seigneur,
224
Seigneur de toute chose, je témoigne que tous Tes serviteurs
sont frères. »
La place de la fraternité humaine est donc si élevée dans
la conscience du musulman, qu'elle vient immédiatement après
l'affirmation de l'unicité divine et la reconnaissance de
Mohammed (que la bénédiction et la paix soient sur lui) comme
prophète.
Comment alors un musulman pourrait-il mépriser telle
ou telle race humaine, si tant est qu'il existe des races
distinctes ? Le Coran lui apprend, au contraire, à respecter et à
reconnaître toutes les sortes de créatures, y compris les animaux,
les insectes et les oiseaux : « Il n'est pas d'êtres animés sur la
terre, pas d'oiseaux volant de leurs ailes, qui ne forment
comme vous des communautés — Nous n'avons rien négligé
dans le Livre — puis vers leur Seigneur ils seront
rassemblés. »'
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
a dit : « Si ce n'était que les chiens forment eux aussi une
communauté, j'aurais ordonné de les tuer. »
Ainsi, l'attitude du musulman envers les autres n'est pas
fondée sur un quelconque sentiment de supériorité raciale, de
chauvinisme régional, de lutte des classes ou de jalousie
individuelle, mais bien plutôt sur un sentiment d'amour et de
fraternité envers l'humanité entière.
225
l'invocation des justes : « Notre Seigneur, pardonne-nous
ainsi qu'à nos frères qui nous ont précédés dans la foi. Ne
place dans nos coeurs aucune rancoeur envers ceux qui
croient. Notre Seigneur, Tu es certes Compatissant, plein de
miséricorde. » I
Le croyant n'est pas envieux. En effet, l'envie est « un
mal », comme l'a dit le Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui). C'est un mal psychologique qui se propage dans
l'âme comme les épidémies se propagent dans les corps, c'est
une obsession envahissante et incessante. C'est aussi un mal
physique qui affaiblit et fait souffrir le corps et qui assombrit le
visage.
Comme l'a dit un sage : « Quelle chose extraordinaire
que l'envie, comme elle est juste ! Elle commence par tuer celui
qui en est coupable ».
Un poète a dit :
« Prends en patience la ruse de l'envieux, car ta patience
le tuera :
Le feu se consume lui-même s'il ne trouve rien à
consumer ».
Un croyant n'est pas envieux : il veut du bien à tous les
serviteurs de Dieu et s'interdit de critiquer la manière dont Dieu
veille sur Ses créatures et leur dispense leur subsistance.
« Ton Seigneur dispense largement Ses dons à qui Il
veut ou les mesure. Il connaît et voit parfaitement Ses
serviteurs. » 2
Le croyant est convaincu que Dieu est juste dans Sa
répartition de la chance et du talent, qu'Il détermine le destin des
créatures selon Sa sagesse infinie, qui n'est pas toujours
226
accessible aux hommes. C'est pourquoi on a dit : « L'envieux
est mécréant : il ne se résigne pas à la volonté de l'Unique. »
Dieu dit :
« Envient-ils aux gens les bienfaits que Dieu leur a
accordés ? » 1
C'est pourquoi un croyant ne se réjouira jamais du
malheur des autres, pas plus qu'il ne déplorera les bienfaits dont
Dieu gratifie certains de Ses serviteurs. Il dira plutôt, comme le
lui a enseigné le Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui) : « Mon Dieu, tout bienfait dont je jouis ce matin ou dont
jouit l'une de Tes créatures provient de Toi seul et de nul autre :
louange à Toi, merci à Toi. »
Le croyant n'est pas envieux, car ses ambitions
concernent ce qui est plus noble et plus durable que ce bas-
monde, théâtre de la rivalité et de la jalousie des hommes. Les
ambitions du croyant concernent le monde supérieur et
l'éternité, l'Au-delà et le Paradis.
Al-Boukhârî rapporte que le Prophète (que la bénédiction
et la paix soient sur lui) a dit : « Seuls deux hommes peuvent
être enviés : un homme à qui Dieu a donné des biens et la force
de les dépenser pour la vérité, et un homme à qui Dieu a donné
la sagesse et qui juge d'après elle et l'enseigne. »
« Et que ceux qui le convoitent rivalisent pour
l'obtenir. »2
« Hâtez-vous vers un pardon de votre Seigneur et un
Paradis. »3
Al-Hassan al-Basrî a dit : « Ô fils d'Adam, pourquoi
envies-tu ton frère ? Si Dieu lui a fait des dons pour l'honorer,
pourquoi envies-tu quelqu'un que Dieu a honoré ? Et si c'est
227
pour autre chose, pourquoi envies-tu quelqu'un dont la
destination sera l'Enfer ? »
Ibn Sîrîn a dit : «Jamais je n'ai envié qui que ce soit
pour quelque possession de la vie de ce monde... S'il est destiné
au Paradis, comment l'envierais-je au sujet de ce bas-monde, si
méprisable à côté du Paradis ? Et s'il est destiné à l'Enfer,
comment l'envierais-je au sujet de ce bas-monde alors qu'il se
dirige vers l'Enfer ? »
De même, un croyant ne connaît pas la haine, car il est
indulgent et généreux. Il maîtrise sa colère alors qu'il pourrait
lui donner libre cours, il pardonne alors qu'il pourrait se venger,
il est tolérant alors qu'il a raison. Il ne perd pas son temps à se
disputer ou à se faire des ennemis : la vie n'est pas assez longue
pour cela, et ce bas-monde n'en vaut pas la peine. Comment
pourrait-il laisser l'hostilité et la haine ronger son coeur ?
Comment pourrait-il passer la nuit en conservant quelque
rancoeur envers son frère, et en étant par là même tenu à l'écart
de la miséricorde divine ?
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
a dit : « Les actions des hommes sont présentées à Dieu tous les
lundis et tous les jeudis. Alors, Dieu pardonne les péchés de tout
homme qui n'associe rien à Dieu, sauf un homme qui éprouve
de la rancune envers son frère : Il dit : `Laissez ces deux-là
jusqu'à ce qu'ils se réconcilient.' » (Hadîth rapporté par
Mouslim).
Le croyant ne connaît pas l'envie ni la haine, car l'envie
et la haine proviennent du Démon, tandis que l'amour et la
droiture émanent du Miséricordieux :
« Le Démon veut seulement jeter entre vous l'hostilité
et la haine. » 1
228
« Peut-être Dieu établira-t-Il des liens d'amitié entre
vous et ceux d'entre eux qui étaient vos ennemis. » 1
« À ceux qui croient et accomplissent de bonnes
actions, le Miséricordieux accordera l'amour. » 2
Un coeur plein d'amour et exempt de toute jalousie et de
tout ressentiment est la première qualité du croyant : la foi du
croyant n'est pas parfaite tant qu'il ne souhaite pas pour son
frère ce qu'il souhaite pour lui-même, et tant qu'il ne déteste pas
pour son frère ce qu'il déteste pour lui-même.
Grande est la différence, malheureusement, entre ces
nobles idéaux et les slogans destructeurs que l'on entend de nos
jours, et qui ne visent qu'à semer la discorde et à cultiver
l'hostilité et la haine entre les différentes catégories et classes
sociales, de sorte que les gens vivent dans une rivalité
perpétuelle avec pour toute ambition le pouvoir.
1
Sourate al-Moumtahana, « L'épreuve », verset 7.
2
Sourate Maryam, « Marie », verset 96.
229
Les Émigrés avaient abandonné leurs maisons et leurs
biens pour rechercher la faveur et la satisfaction de Dieu et pour
apporter leur soutien à Dieu et Son Prophète (que la bénédiction
et la paix soient sur lui). Leurs frères les Ansâr, les habitants de
Médine, les reçurent à bras ouverts, rivalisant d'attentions à leur
égard. Chacun voulait en accueillir un chez lui, au point qu'ils
n'acceptèrent que le tirage au sort pour les départager. Puis le
Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) établit
entre eux des liens de fraternité destinés à remplacer les liens de
parenté par le sang, ce qui mit fin aux distinctions fondées sur
l'origine géographique et la lignée. Il n'y eut plus de différence
entre les tribus de Qahtân et de `Adnân, entre les gens du Nord
et ceux du Sud, ceux du Yémen et ceux du Hedjaz, entre les
tribus médinoises de Aws et de Khazraj. Il n'y eut plus de
différences fondées sur l'appartenance sociale ou le métier, plus
de distinction entre riches et pauvres, entre commerçants et
agriculteurs. Il n'y eut plus que la fraternité sincère, l'amour, la
loyauté et le désintéressement :
« Et Il a uni leurs coeurs. Même si tu avais dépensé
tout ce qui est sur la terre, tu n'aurais pas uni leurs coeurs,
mais Dieu, Lui, les a unis : Il est, certes, Puissant et Sage. » 1
L'Émigré qoraïchite `Abd ar-Rahmân ibn `Awf a relaté :
« Lorsque le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur
lui) arriva à Médine, il m'unit par un lien de fraternité à Sa'd ibn
ar-Rabî` (un Ansârî de la tribu des Khazraj). Sa'd me dit : `Je
suis parmi les plus riches des Ansâr. Je te donne la moitié de
mes biens, et regarde laquelle tu préfères de mes deux épouses :
je te la laisserai, et lorsqu'elle aura achevé sa période d'attente tu
l'épouseras.' » `Abd ar-Rahmân répondit à la générosité de Sa'd
avec une noble abnégation, lui disant : « Que Dieu bénisse pour
toi ta famille et tes biens... Montrez-moi plutôt le marché. »
230
Dieu a inscrit dans le Coran cet éloge éternel pour
l'attitude des Ansâr : « Et à ceux qui s'étaient établis avant
eux en cette demeure et dans la foi : ils aiment ceux qui ont
émigré chez eux, ils ne trouvent dans leur coeur aucune envie
pour ce que ceux-ci ont reçu et ils se privent en leur faveur
même s'ils sont dans le besoin. » t
Notre regretté professeur, le Docteur Mohammed `Abd
Allâh Drâz, disait dans son ouvrage Ad-Dîn (« La religion ») :
« Les religions jouent, dans la société, un rôle admirable
qui ne se limite pas à la réforme du comportement et des
relations humaines, à l'application des principes de justice et à la
prévention du désordre et de la corruption : elles ont, au sein de
la société, une fonction positive plus profonde encore que cela.
En effet, les religions unissent leurs adeptes par des liens
affectifs d'amour et de bonté réciproques qui ne sauraient être
égalés par les autres liens fondés sur la race, la langue, la
proximité géographique ou les intérêts communs. Toutes ces
relations, malgré leurs effets positifs manifestes sur le
comportement réciproque, demeurent superficielles ; elles ne
font que rassembler les individus pêle-mêle, tandis qu'ils restent
encore séparés par les différences et les barrières
psychologiques. C'est le lien de la fraternité dans la foi et dans
des idéaux communs qui transforme le nombre en unité, qui met
les âmes à l'unisson. Souvent, cette unité spirituelle suffit à
remplacer toutes les autres formes d'unité ; elle tisse les liens les
plus solides et les plus durables entre des gens pourtant
différents de par leur race, leur langue, leur origine géographique
et leurs intérêts matériels. Il est fréquent, dans des pays fondés
sur des intérêts nationaux communs mais rassemblant plusieurs
groupes religieux, que l'on doive faire appel aux principes,
présents dans toutes ces religions, de la coopération dans le bien
et du soutien mutuel contre l'ennemi ; c'est pourquoi on a pu
231
dire fort justement qu'un sentiment national qui ne s'appuie pas
sur une motivation morale ou religieuse n'est qu'un rempart
chancelant prêt à s'écrouler. Tout cela montre bien que les
religions jouent, dans les sociétés, le rôle du coeur dans le
corps. »
232
[ La solution proposée par le Professeur Good pour
résoudre le problème des nations et pour mettre un terme aux
guerres et aux rivalités entre les peuples est une solution juste et
logique. L'hostilité des peuples et des nations les uns envers les
autres ne prendra fin que lorsqu'ils s'uniront contre un ennemi
extérieur commun, qu'ils haïront et craindront ensemble et
qu'ils s'entraideront pour combattre. Cela ne nécessite toutefois
pas un gros effort d'invention : il n'est pas nécessaire de trouver
aux hommes un ennemi sur une autre planète comme la Lune ou
Mars. Pourquoi chercher si loin, alors que la religion nous
avertit que cet ennemi commun au genre humain tout entier se
trouve sur la Terre elle-même, que tout être humain doit en faire
son ennemi et veiller à s'en protéger et que tous les hommes
doivent s'unir pour le haïr et le combattre ? Le Coran dit : « Le
Démon est pour vous un ennemi : prenez-le donc pour
ennemi. Il ne fait qu'appeler ses partisans pour qu'ils soient
au nombre des gens de la Fournaise. » 1 Il dit également : « Ô
vous qui croyez, entrez pleinement dans la Paix et ne suivez
point les pas du Démon : il est certes pour vous un ennemi
manifeste. » 2
L'islam divise l'humanité en deux catégories : les alliés
de Dieu et les alliés du Démon, les partisans de la vérité et les
partisans de l'erreur. La guerre et la lutte ne sont permises que
contre les partisans de l'erreur et les amis du Démon, où qu'ils
soient et quels qu'ils soient. Dieu dit : « Ceux qui croient
combattent dans la voie de Dieu, et ceux qui mécroient
combattent dans la voie des fausses divinités : combattez les
alliés du Démon ! La ruse du Démon est vraiment faible. » 3 ]
Ainsi le champ de l'hostilité et de la haine se trouve-t-il
réduit pour le croyant. Il n'éprouve plus d'hostilité motivée par
l'intérêt personnel, par le chauvinisme tribal ou national, par la
1
Sourate Fâtir, « Le Créateur », verset 6.
2
Sourate al-Baqara, « La vache », verset 208.
s Sourate an-Nisâ', « Les femmes », verset 76.
233
lutte des classes, par l'aversion personnelle ou l'envie. Son
sentiment d'hostilité est limité à un seul domaine : il n'éprouve
de haine qu'au nom de Dieu et de la défense de la vérité. Le
Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) a dit à ce
propos : « Celui qui aime pour Dieu, qui hait pour Dieu, qui
donne pour Dieu et qui refuse pour Dieu, celui-là a atteint la foi
parfaite. »
234
Puisque la volonté de Dieu est souveraine, et qu'elle
découle de Sa sagesse infinie, comment le croyant pourrait-il
résister à la volonté de Dieu ou critiquer Sa sagesse ?
D'autre part, Dieu a ordonné à Son Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) d'éviter les débats
continuels avec ses contradicteurs, de laisser Dieu décider de
leur sort et de leur dire simplement que tous les différends seront
tranchés définitivement le Jour du Jugement. Inutile d'entrer
dans des débats qui suscitent la division et la rancoeur. Dieu dit à
Son Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) : « Et
s'ils discutent avec toi, dis : `Dieu est mieux informé de ce
que vous faites. Dieu jugera entre vous le Jour de la
Résurrection au sujet de ce sur quoi vous divergiez.' »'
Dieu dit également : « Appelle donc à cela ; va droit
comme on te l'ordonne, et ne suis pas leurs passions. Dis :
`Je crois à toutes les Écritures que Dieu a révélées, et il m'est
ordonné de juger équitablement entre vous. Dieu est notre
Seigneur et votre Seigneur. A nous nos oeuvres et à vous vos
oeuvres. Il n'y a pas de litige entre nous. Dieu nous réunira,
et c'est vers Lui que sera la destination finale.' » 2
« Dis : `Ô mon Dieu, Créateur des cieux et de la terre,
Toi qui connais l'Invisible et le Perceptible, c'est Toi qui
jugeras entre Tes serviteurs au sujet de ce sur quoi ils
divergeaient.' » 3
Voilà quelle est l'attitude du croyant musulman : il aime
l'existence tout entière, il aime Dieu, il aime la nature, il aime la
vie et la mort, il aime le destin qu'il soit agréable ou pénible, il
aime tous les êtres humains ; s'il lui arrive d'éprouver de la
haine, et c'est inévitable, il ne hait que le Démon et les partisans
235
du Démon, et cette haine même est tempérée par la compassion
et la bienveillance envers l'humanité entière.
Cet amour est la preuve de sa foi en son Seigneur et le
conduira au Paradis. Le Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) a dit : « Par Celui qui détient mon âme en Son
pouvoir, vous n'entrerez pas au Paradis tant que vous ne croirez
pas, et vous ne croirez pas tant que vous ne vous aimerez pas
mutuellement. »
236
La constance face à l'épreuve
237
Leur vie est une suite ininterrompue d'épreuves et de
conspirations contre eux. Tel est l'ordre voulu par Dieu, qui a
créé Adam et Iblîs, Abraham et Nemrod, Moïse et Pharaon,
Mohammed (que la bénédiction et la paix soient sur lui) et Aboû
Jahl :
« Ainsi avons-Nous donné à chaque prophète pour
ennemis des démons, hommes et djinns, qui s'inspirent
trompeusement les uns aux autres des discours enjolivés. » 1
« Ainsi avons-Nous donné à chaque prophète un
ennemi parmi les criminels. » 2
Il en est ainsi des prophètes comme de leurs héritiers,
tous ceux qui suivent leurs traces et reprennent leur appel, et qui
se trouvent confrontés aux despotes désireux de faire obstacle à
la voie de Dieu alors que pourtant : « Ils ne leur reprochaient
que d'avoir cru en Dieu, le Puissant, Digne de louange. » 3
On demanda au Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) : « Qui, parmi les hommes, est le plus durement
mis à l'épreuve ? » Il répondit : « Les prophètes, et ainsi chacun
selon son rang. Chacun est mis à l'épreuve selon sa religion :
celui dont la religion est ferme est éprouvé durement, et celui
dont la religion est fragile est éprouvé par Dieu selon sa religion.
L'épreuve ne quitte jamais un serviteur de Dieu tant qu'il ne
marche pas sur terre exempt de toute faute. » 4
1
Sourate al-An'âm, « Les bestiaux », verset 112.
2
Sourate al-Fourqân, « Le discernement », verset 31.
3
Sourate al-Bouroûj, « Les constellations », verset 8.
4
Hadîth rapporté par at-Tirmidhî qui l'a déclaré bon et authentique.
238
les athées, les sceptiques et ceux dont la foi est faible. Voici
comment le Coran décrit cette catégorie de personnes :
« Si Nous faisons goûter à l'homme une miséricorde
de notre part, puis que Nous la lui ôtons, le voilà désespéré et
ingrat. » 1
« Et si le mal le touche il est désespéré, désemparé. » 2
« Et quand le mal le touche, le voilà désespéré. »3
« Il est des gens qui adorent Dieu avec réserve ; si un
bien les atteint cela les tranquillise, et si une épreuve les
atteint ils font volte-face. Ceux-là sont perdants ici-bas et
dans l'Au-delà : telle est la perte évidente. » 4
Ne croyant pas au destin, ces gens-là ne peuvent s'y
résigner ; ne croyant pas en Dieu, ils ne peuvent faire confiance
à Sa sagesse ; ne croyant pas aux prophètes, ils ne trouvent pas
d'exemple à suivre pour diriger leur difficile existence ; ne
croyant pas à l'Au-delà, ils ne peuvent retirer de sa perspective
réconfort et espoir.
Ils sont pareils à un navire sans gouvernail ni voiles,
incapable de garder le cap au milieu des vagues et des tempêtes :
le moindre souffle de vent le fait tanguer et basculer, les vagues
l'entourent de toutes parts et il a tôt fait de couler.
Il ne faut pas s'étonner que le suicide soit le plus fréquent
dans les sociétés où la religiosité est faible ou inexistante ; et
ceux qui ne se suicident pas vivent dans la douleur, l'angoisse et
la mélancolie, tant la vie pour eux est dép, - - - c de sens.
Comme le dit le poète :
239
« Celui qui est mort et a trouvé le repos n'est pas mort, le
mort est celui qui est mort parmi les vivants
Le mort est celui qui vit dans la mélancolie, affligé par
un Dieu en qui il désespère. »
240
pas connaître un sort meilleur que celui de ces hommes qui sont
pour eux un modèle. Dieu dit :
« Comptez-vous donc entrer au Paradis sans avoir
subi les mêmes épreuves que ceux qui vous ont précédés ? Ils
furent touchés par l'adversité et le malheur et ils furent
ébranlés, au point que le Messager et ceux qui avaient cru
avec lui dirent : `Quand viendra le secours de Dieu ?' Mais
le secours de Dieu est proche. »1
Ibn al-Qayyim a dit : « Ô homme de peu de résolution...
Sur ce chemin, Adam a souffert, Noé a gémi, Abraham a été jeté
au feu, Ismaël a accepté d'être immolé, Zacharie a été tranché à
la scie, Yahiâ le chaste a été égorgé... »
241
Ils savent que la bonté de leur Seigneur est telle que ces
épreuves sont en réalité pleines d'enseignements pour eux. Ce
sont des expériences positives pour leur religion comme pour
leur vie ici-bas. Ces épreuves purifient leur âme, affermissent
leur foi et empêchent leur coeur de se rouiller : « Le croyant,
lorsque le malheur le frappe, est pareil au fer trempé dans le feu :
ses impuretés disparaissent et il n'en reste que le bon. »
Comme ar-Râfi'î exprime bien cette idée : « Le malheur
est comme un oeuf : il emprisonne celui qui y est plongé et
l'entoure complètement, tout en le faisant grandir et en le
conduisant vers son accomplissement. L'être qui s'y trouve n'a
pas d'autre issue que de patienter et d'accepter son sort jusqu'au
moment voulu : alors l'oeuf éclora et il en sortira transfiguré.
Le croyant, ici-bas, est pareil au poussin dans son oeuf :
cette vie lui sert à se développer jusqu'à l'éclosion de son être
achevé qui sortira alors pour rejoindre le monde de la
perfection. »
242
Les malheurs de ce monde sont sans
importance
Chaque fois qu'un malheur atteint l'homme ici-bas, ce
qu'il a perdu peut lui être remplacé par quelque chose de
meilleur. Par contre, si la perte touche la religion, rien ne peut la
compenser. Cela explique l'attitude de Joseph (la paix soit sur
lui) lorsqu'il eut à choisir entre subir un malheur ici-bas en étant
emprisonné et humilié ou subir une atteinte à sa religion en
tombant dans l'adultère et en étant du nombre des ignorants,
lorsque l'épouse du grand intendant dit aux femmes : « J'ai
tenté de le séduire, mais il est resté pur ; certes, s'il ne fait
pas ce que je lui ordonne, il sera mis en prison, et il se
trouvera parmi les misérables. » 1 Confronté à ce choix, Joseph
ne pouvait que choisir le malheur ici-bas, en disant : « Seigneur,
je préfère la prison à l'acte auquel elles me convient. » 2
Le Prophète de l'Islam (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) nous a enseigné de dire : « Mon Dieu, fais que le
malheur ne nous atteigne pas dans notre religion. Fais que ce
bas-monde ne soit pas notre principale préoccupation et que
notre savoir ne s'y limite pas. »3
243
bienfaits dont il jouit avant de regarder ceux dont il est privé, et
il considère le malheur qui aurait pu survenir en même temps
qu'il considère celui qui l'a atteint.
Cette attitude ne manque pas de lui procurer apaisement
et résignation : en effet, nombreux sont les malheurs qui auraient
pu survenir et lui ont été épargnés, et nombreux sont les
bienfaits dont il jouit encore.
Nous avons un magnifique exemple du croyant patient et
résigné qui sait apprécier les bienfaits de Dieu, en la personne de
`Orwa ibn az-Zoubayr, un juriste de la seconde génération des
musulmans (les Suivants). On rapporte que, son pied étant
atteint de gangrène, les médecins avaient décidé de l'amputer
afin que le mal ne se propage pas jusqu'à sa cuisse puis au reste
du corps. Il accepta d'être amputé, et on lui proposa de boire
quelque chose pour perdre sa lucidité et ne pas sentir la douleur,
afin qu'on puisse lui couper la jambe. Cependant, il répondit :
« Je ne pense pas que quelqu'un qui croit en Dieu accepterait de
boire quelque chose qui lui fasse perdre sa lucidité, au point
qu'il ne connaîtrait plus son Seigneur Exalté ! Mais allez-y,
coupez-la. » On lui coupa la jambe à la hauteur du genou, tandis
qu'il restait silencieux, sans même émettre un gémissement.
Le destin voulut que cet homme connaisse une épreuve à
la mesure de sa foi. Le soir même où sa jambe avait été coupée,
un de ses fils, son préféré, tomba d'un toit et mourut. Les gens
vinrent lui présenter leurs condoléances, mais il dit : « Ô mon
Dieu, loué sois-Tu. Ils étaient sept : Tu en as pris un et Tu m'en
as laissé six. J'avais quatre membres, Tu en as pris un et Tu
m'en as laissé trois. Ce que Tu as pris, c'est Toi qui l'avais
donné, et si Tu m'as éprouvé, c'est Toi qui me préserves. »
244
aide les hommes à supporter la souffrance. Lorsqu'Il nous
éprouve, Dieu nous récompense en effet en effaçant nos péchés,
si nombreux, et en ajoutant de bonnes actions à notre actif, ce
dont nous avons bien besoin. Un hadîth authentique dit : « Pour
toute peine, tout chagrin, toute douleur ou toute maladie qui
atteint le musulman – même une piqûre d'épine – Dieu efface
une partie de ses péchés. »
Un homme pieux, s'étant blessé au pied, ne montra pas
sa douleur et ne gémit pas, mais se contenta de sourire et de
dire : « Nous appartenons à Dieu et vers Lui nous
retournerons. » On lui demanda : « Comment, tu te blesses ainsi
et tu ne montres pas ta douleur ? » Il répondit : « La douceur de
la récompense m'a fait oublier l'amertume de la douleur. »
245
La foi dans la vie de la société
Remarques préliminaires
Les frontières entre l'individu et la société sont floues : il
n'est pas facile d'établir une distinction précise entre ce qui
influence la société et ce qui influence l'individu. La société
n'est, en réalité, rien d'autre qu'un ensemble d'individus unis
par des liens communs. Par conséquent, tout effort entrepris
pour former des individus vertueux contribuera, par la même
occasion, à la réforme de la société.
La société humaine est comparable à un édifice dont les
briques sont les individus. Si les briques sont bien faites, si le
mortier qui les assemble est solide, si elles sont correctement
disposées de façon à se soutenir mutuellement, l'édifice sera
stable et solide. La première chose à faire avant de construire est
donc de préparer les briques.
En réfléchissant à ce que nous avons dit précédemment,
on comprendra aisément que l'être humain qui jouit de la
sérénité, de la paix intérieure, qui accepte son sort et ne perd
jamais espoir, qui a le coeur plein d'amour, qui se sent fort et
noble, est nécessairement un être social de premier ordre, une
brique excellente pour constituer un édifice social juste.
Une société où rayonnent la sérénité, la paix, la
satisfaction et l'espoir, l'amour et la dignité, ne peut que mener
au bonheur, au progrès et à la stabilité.
Toutefois, la caractéristique essentielle d'une société
noble, vertueuse et heureuse, c'est la solidarité. Une société
vertueuse est une société dont les membres s'estiment
mutuellement, s'aiment, s'entraident ; les relations sociales y
sont fondées sur la justice et la compassion ; elle ne connaît pas
la rébellion ni l'oppression ; les riches n'oublient pas les
pauvres, les puissants ne négligent pas les faibles, ce n'est pas la
loi du plus fort qui domine.
246
Inversement, le pire qui puisse arriver à une société, c'est
que les liens entre ses membres s'affaiblissent, que l'égoïsme
l'emporte, que chacun ne pense qu'à lui-même et sacrifie les
autres sur l'autel de ses ambitions et de ses désirs.
Le pire qui puisse arriver à une société, c'est que chacun
réclame ses droits sans penser à ses devoirs, que l'orgueil pousse
les individus à n'estimer qu'eux-mêmes et à mépriser les autres.
Mais il est tout aussi néfaste que les hommes oublient la
nature noble, la force et les bienfaits dont Dieu les a dotés ; car
alors les motifs nobles et généreux disparaissent de leur coeur et
laissent place à des sentiments de faiblesse, de désarroi et de
vide, des sentiments qui tuent l'individu et sapent les
fondements de la société.
Il faut donc que l'individu s'en tienne au juste milieu
entre ces deux extrêmes. Il doit être conscient de son importance
et de sa dignité sans pour autant sous-estimer l'importance, la
dignité et les droits des autres. Les membres de la société
pourront alors oeuvrer ensemble vers un but commun,
s'entraidant dans le bien et la piété, s'encourageant
mutuellement à la vérité et à la patience.
Les relations au sein de la société doivent être soumises à
des règles afin que l'instinct ne l'emporte pas sur la raison, ni la
force sur la vérité ; que les désirs ne priment pas sur le devoir, ni
l'intérêt particulier sur l'intérêt général. Mais ce rôle ne pourra
réellement être joué que par des règles morales, émanant de
l'âme, ancrées dans la conscience.
C'est pourquoi toute construction, toute réforme, tout
changement social qui n'est pas fondé sur la réforme des âmes,
l'éveil des consciences et l'éducation morale est comparable à
un édifice construit sur une dune de sable.
247
« Dieu ne modifie pas la situation d'un groupe de
gens avant qu'ils ne modifient ce qui est en eux-mêmes. » 1
Nous verrons par la suite quelle influence une foi vivante
peut avoir dans une société croyante, comment elle lui permet de
s'élever à un niveau de progrès humain inaccessible aux
matérialistes.
248
La foi et la morale
249
L'être humain a des instincts contradictoires
250
Qu'est-ce qui pourra définir pour lui le comportement
correct, lui tracer une voie rectiligne le conduisant au but et
l'inciter à suivre cette voie droite ?
La loi ? L'éthique ? Ou la religion ?
Examinons tour à tour ces trois possibilités.
251
Il se peut en outre, et c'est souvent le cas aujourd'hui
comme cela l'a souvent été aussi dans le passé, que les
dirigeants et leurs subordonnés soient des gens guidés par leurs
passions. Qui alors pourra s'opposer aux détenteurs du pouvoir
et les empêcher de n'obéir qu'à leurs propres désirs ? Qui pourra
sauver les faibles et les malheureux de l'injustice et de
l'oppression des autorités ? » I
Notre regretté maître, le Docteur Mohammed `Abdallâh
Drâz, écrivait dans son ouvrage Ad-Dîn (La religion) :
« La vie d'une société ne saurait être fondée que sur la
solidarité entre ses membres, et cette solidarité ne peut être
réalisée que par une législation régissant les relations sociales et
définissant les droits et devoirs de chacun. Cette législation ne
peut se passer d'un pouvoir coercitif et préventif capable de
garantir son respect et d'empêcher les infractions.
Or, nous affirmons qu'il n'existe pas sur terre de force
égalant, ni même approchant, celle de la religion quant à sa
capacité d'assurer le respect de la loi, de garantir la cohésion de
la société et la stabilité de ses institutions et d'y faire régner la
paix et la tranquillité.
Il y a à cela une raison profonde : c'est que l'être humain
se distingue des autres êtres vivants par le fait que ses
mouvements et son comportement librement choisis sont guidés
par quelque chose qui n'est pas perceptible par les sens, qui
n'est pas concret, qui ne se situe pas dans son sang, ses membres
ou ses nerfs. Il est guidé par une valeur humaine et spirituelle
qu'on appelle l'opinion et la foi. Grande est l'erreur de ceux (les
marxistes) qui inversent la réalité et prétendent que la pensée et
la conscience n'influencent pas la vie matérielle et économique
mais en subissent elles-mêmes l'influence.
252
En effet, les motivations de l'individu émanent de
l'intérieur de son être et non de l'extérieur. Ni les lois sociales,
ni le pouvoir des gouvernements ne suffisent à instituer une cité
vertueuse où les droits sont respectés et où les devoirs sont
accomplis parfaitement. Celui qui fait son devoir par crainte
d'un châtiment corporel, de la prison ou d'une amende négligera
ce devoir dès qu'il sera sûr de pouvoir échapper aux sanctions de
la loi.
C'est donc une erreur manifeste que de s'imaginer que le
développement des sciences et de la culture suffit à assurer la
paix et la prospérité et peut se substituer à l'éducation religieuse
et morale. En effet, la science est une arme à double tranchant,
pouvant servir à détruire autant qu'à édifier. Pour qu'elle soit
utilisée à bon escient, il faut donc un contrôle moral qui l'oriente
vers le bien de l'humanité et l'action constructrice plutôt que
vers le mal et la corruption : ce contrôle, c'est la foi qui
l'exerce. » 1
253
Quelle récompense l'homme peut-il attendre pour s'être
attaché au respect de telles ou telles vertus morales ? Est-ce une
récompense propre à satisfaire l'esprit et l'âme, ou un mirage
que l'homme assoiffé s'imagine être de l'eau et qui disparaît à
son approche ?
Quelle récompense peut espérer le soldat inconnu qui se
dévoue au service des autres sans que personne ne le voie ou ne
le rétribue ?
Quelle sera la récompense de ceux qui se sacrifient pour
leur nation et leur famille, qui combattent pour les défendre et se
font tuer injustement ? La paix de la conscience, tant mise en
avant par les moralistes, ne suffit pas ici.
Inversement, quelle sera la rétribution de ceux qui
passent leur vie à commettre l'injustice, à s'abandonner à leurs
désirs illicites sans en éprouver aucun remords, car leur
conscience est morte ?
Voilà des questions qui ne trouvent de réponse que dans
la foi, dans la religion qui dit :
« Quiconque aura fait le poids d'un atome de bien le
verra, et quiconque aura fait le poids d'un atome de mal le
verra. » 1
« Et ceux qui auront été tués dans la voie de Dieu, Il
ne rendra pas leurs oeuvres vaines. Il les guidera et
améliorera leur condition, et Il les fera entrer au Paradis
qu'Il leur aura fait connaître. » 2
« Le jour où l'être humain se rappellera à quoi il s'est
efforcé et où l'Enfer apparaîtra à quiconque verra. Alors
pour celui qui se sera rebellé et aura préféré la vie de ce
monde, l'Enfer sera le refuge. Et pour celui qui aura redouté
254
de comparaître devant son Seigneur et interdit à son âme de
succomber aux passions, le Paradis sera le refuge. » 1
255
«Rien n'aura plus de poids dans la balance des oeuvres
du croyant le Jour du Jugement qu'une bonne moralité. » 1
Tel est donc le rôle de la morale : c'est un pilier de la
religion et un fondement de la société.
1
Hadîth rapporté d'après Aboû ad-Dardâ' par at-Tirmidhî qui le considère
comme bon et authentique.
256
qui atténue l'égoïsme individuel, qui permet de maîtriser les
instincts et de les soumettre aux idéaux et aux nobles objectifs,
et de vivifier les consciences sur lesquelles s'appuie la morale.
257
et cruauté, sans hésiter à verser le sang des innocents. Leur
attitude est celle décrite par le poète de l'époque païenne :
« À nous est ce monde avec ceux qui s'y trouvent,
partout nous exerçons notre tyrannie
Injustes oppresseurs, sans provocation nous semons la
terreur
Nos enfants à peine sevrés voient les despotes prosternés
à leurs pieds. »
Ceux chez qui le côté démoniaque l'emporte rusent et
sèment la haine, posent les bombes pour détruire, empoisonnent
les puits pour tuer, enjolivent le crime, appellent au péché et
répandent la discorde. Ils ne vivent que pour leur propre intérêt.
C'est à de tels hommes que s'applique la Parole de Dieu :
« Et ceux qui violent leur pacte avec Dieu après s'y
être engagés, qui rompent les liens que Dieu a ordonné de
maintenir et qui sèment la corruption sur terre, ceux-là
auront la malédiction et la mauvaise demeure. » 1
Ainsi, chacun va là où sa nature l'emporte et suit
aveuglément ses passions, qui prennent alors la place d'une
divinité :
« Qui est plus égaré que celui qui suit ses passions
sans direction venue de Dieu ? » 2
Mais le croyant, lui, vit pour accomplir une grande
mission. Il agit au service d'un objectif élevé et de nobles idéaux
pour lesquels il vit et meurt : se rapprocher de Dieu, adopter Sa
morale, s'efforcer de Le satisfaire. Pour ses idéaux, il sacrifie
son confort, réprime ses passions, retient ses instincts et ses
désirs, tout cela dans l'espoir de plaire à Dieu, dans la certitude
de Son jugement et dans la foi en Sa récompense. Il garde à
l'esprit cette Parole de son Seigneur :
258
« Les gens sont séduits par l'amour des biens
convoités ; les femmes, les enfants, les lourds
amoncellements d'or et d'argent, les chevaux racés, le bétail,
les terres cultivées. Ce sont les jouissances de la vie de ce
monde, mais c'est auprès de Dieu qu'est le meilleur lieu de
retour. Dis : Vous informerai-je de ce qui est meilleur que
tout cela ? Ceux qui ont été pieux auront auprès de leur
Seigneur des jardins sous lesquels coulent les ruisseaux où ils
demeureront éternellement et des épouses purifiées, ainsi
qu'une satisfaction de Dieu : Dieu voit parfaitement les
serviteurs. Ceux qui disent : Notre Seigneur, nous avons la
foi ; pardonne-nous donc nos péchés et préserve-nous du
supplice de l'Enfer. Ceux qui sont patients, sincères et
obéissants, qui font l'aumône et qui implorent Son pardon à
la fin de la nuit. » 1
Tels sont donc les bienfaits moraux de la foi. Telles sont
les qualités du pieux croyant qui préfère la récompense divine
aux plaisirs de la vie : il craint Dieu et s'efforce de Lui plaire et
d'obtenir Son pardon, il est patient, sincère, dévoué et
charitable ; dépourvu de vanité, il est au contraire conscient de
ses faiblesses, ce qui le pousse à implorer le pardon de Dieu en
toutes circonstances.
L'idéal du croyant est de se rapprocher de Dieu dans Sa
grandeur, d'obtenir Sa récompense et Sa satisfaction. C'est
pourquoi il met toute sa vie au service de Dieu, espérant sans
cesse en Dieu et la demeure dernière. Sa plus grande ambition
est d'adopter la morale de Dieu et de s'élever au-dessus de toute
ressemblance avec les bêtes, les rapaces et les démons.
Un auteur a prétendu que la religion fixait aux hommes
des objectifs trop élevés, voire impossibles à atteindre, en leur
demandant d'adopter la morale de Dieu, — comme s'il
259
s'imaginait que la religion demandait par là à l'homme de se
transformer en Dieu !
C'est bien sûr une idée fausse. Lorsque la religion
demande à l'homme d'adopter la morale de Dieu, elle lui
demande de s'améliorer peu à peu et de faire des efforts
constants afin de puiser, dans l'idéal de la perfection divine, un
degré de perfection compatible avec ses capacités humaines.
Puisque Dieu est Omniscient et Sage, l'homme doit
s'efforcer d'acquérir la connaissance et la sagesse à un degré
compatible avec ses capacités humaines. Puisque Dieu est
Compatissant et plein de miséricorde, l'homme doit aussi, au
niveau humain, faire preuve de compassion et de miséricorde.
Puisque Dieu est au-dessus de tout besoin et infiniment
Généreux, l'homme doit, à son niveau, s'élever au-dessus des
possessions matérielles et se montrer généreux. Puisque Dieu est
infiniment Patient et Indulgent, l'homme doit, à son niveau,
s'efforcer de faire preuve de patience et d'indulgence. Puisque
Dieu est Contraignant et Superbe, l'homme doit affirmer son
autorité sur tous les partisans de l'erreur et s'élever loin au-
dessus des mesquineries et des actions indignes.
Puisque Dieu est Puissant et Vengeur, l'homme doit être
puissant face aux mécréants et venger l'injustice. Puisque Dieu
est Reconnaissant et enclin au pardon, l'homme doit se montrer
reconnaissant envers ceux qui lui font du bien et prêt à
pardonner ceux qui lui présentent leurs excuses. Puisque la voie
de Dieu est la voie droite, l'homme doit s'efforcer de marcher
sur la voie droite et d'éviter les chemins déviants qui le
mèneraient à l'erreur.
Puisque Dieu possède toutes les perfections et est au-
dessus de tous les défauts, l'homme doit avoir pour objectif de
se purifier de ses défauts et de se perfectionner autant que
possible.
Quel but pourrait être plus noble et plus bénéfique que
celui-ci : adopter la morale de Dieu et prendre pour exemple la
260
perfection divine ? Quel idéal pourrait égaler celui du croyant :
se rapprocher de Dieu et renforcer ses liens avec Lui à travers les
bonnes actions que Dieu aime et agrée ?
Aujourd'hui, le même rôle est joué par les voitures de sport ou de luxe...
261
les valeurs, vendent leur religion, leur honneur, leur patrie et
tous les nobles idéaux humains.
Les hommes sont prêts à tout cela pour les jouissances et
les désirs de ce bas-monde : pour les femmes, pour la gloire,
pour un bout de terre, pour une position ou de l'argent, pour les
désirs du ventre ou de la chair, pour l'amour de la puissance ou
de la richesse.
Il est vrai, bien entendu, que l'amour de la vie et l'espoir
d'améliorer sa condition sont instinctifs chez l'homme. Sans ces
sentiments, l'homme ne pourrait pas construire ici-bas et les
civilisations ne pourraient pas s'épanouir. Il n'est donc pas
contraire à la sagesse d'autoriser l'homme à aimer la vie
présente. Mais ce qui est véritablement dangereux, c'est que les
gens en viennent à n'aimer que ce bas-monde et à y placer tous
leurs espoirs, au point que cette courte vie soit leur principale
préoccupation, la somme de leur savoir et leur unique espoir, à
l'image de ceux qui n'espèrent pas en la rencontre de leur
Seigneur et qui ne croient pas au Jour du Jugement, ou encore de
ceux qui, tout en croyant à l'Au-delà, sont trop absorbés par la
vie présente pour s'en préoccuper. C'est pourquoi le Prophète de
l'islam (que la bénédiction et la paix soient sur lui) nous a
enseigné cette invocation : « Mon Dieu, fais que ce bas-monde
ne soit pas notre principale préoccupation et que notre savoir ne
s'y limite pas. »
L'être humain doit nourrir un autre amour et un autre
espoir, plus forts que l'amour de cette vie et l'espoir du succès
ici-bas : l'amour de l'Au-delà et l'espoir de rencontrer Dieu, le
désir de Sa récompense et de Sa satisfaction et la crainte de Son
jugement et de Son châtiment. Seules ces nobles valeurs
fondées sur l'amour, l'espoir, le désir et la crainte pourront le
sauver des dangers provenant de l'amour excessif de ce bas-
monde et de la recherche éperdue de ses plaisirs.
Tel est le rôle de la foi, qui emplit le coeur du croyant de
la certitude de l'Au-delà et de l'espoir en la récompense divine.
262
C'est pourquoi le Coran décrit les gens pieux et bienfaisants
comme « croyant fermement à l'Au-delà » 1 , tandis qu'il dit à
propos des rebelles et des criminels : « Ils ne s'attendaient pas
à devoir rendre des comptes et ils persistaient à traiter Nos
signes de mensonge. » 2
Le Coran nous montre encore comment les croyants, au
Paradis, s'interrogeront sur la présence des mécréants en Enfer :
« Qu'est-ce qui vous a conduits dans la Fournaise ? Ils
diront : Nous n'étions pas de ceux qui priaient. Nous ne
nourrissions pas le pauvre. Nous discutions vainement avec
les discoureurs. Nous traitions de mensonge le Jour du
Jugement... » 3
Ildit également à propos du Pharaon et de ses troupes :
« Il s'enorgueillit sur la terre, lui et ses soldats, sans aucun
droit. Ils pensèrent qu'ils ne seraient pas ramenés vers
Nous. »4
En effet, si les criminels étaient convaincus qu'ils
allaient être ramenés à Dieu et confrontés à Son jugement, ils ne
commettraient pas des actions aussi odieuses ni des injustices
aussi flagrantes.
Quelqu'un qui croit en Dieu et à l'Au-delà peut, quant à
lui, s'élever au-dessus des désirs de ce monde, se détourner de
ses tentations et rejeter sa jouissance en disant, à l'image de 'Ali
ibn Abî Tâlib (que Dieu soit satisfait de lui) : « Loin de moi,
avec ton clinquant, va en séduire un autre... Voudrais-tu t'offrir
ou te montrer à moi ? Je te répudie trois fois, c'en est fait entre
nous ! » Ou encore il imitera le Prophète (que la bénédiction et
la paix soient sur lui) qui, lorsque `Omar, l'ayant trouvé allongé
263
sur une natte qui avait laissé des marques sur son flanc, lui dit :
« Envoyé de Dieu, ne pourrais-tu pas prendre une meilleure
couche que cela ? », répondit : « Qu'ai-je à faire de ce bas-
monde ? Je suis ici-bas comme un cavalier voyageant dans un
jour de forte chaleur, qui s'abrite un moment à l'ombre d'un
arbre, puis le laisse et poursuit son chemin. » 1
Seule la foi donne au croyant un but plus élevé que ce
bas-monde et le fait poursuivre des valeurs plus nobles et plus
durables que les désirs terrestres. Seule la foi donne la force de
résister aux tentations et aux séductions de ce monde. Le croyant
peut posséder ce bas-monde sans en être l'esclave, il peut avoir
les mains pleines et détacher son coeur de ses richesses, car il vit
ici-bas comme un voyageur, comme un étranger qui ne fait que
passer. Or, quelqu'un qui vit dans cet esprit peut sans danger
posséder des fortunes : il vit ici-bas avec le coeur des hôtes de
l'Au-delà, il marche les pieds sur terre mais son coeur est au ciel.
Seul le croyant est pleinement convaincu que ce bas-
monde ne pèse pas, pour Dieu, le poids de l'aile d'une mouche ;
que cette vie n'est qu'un pont menant à la vie éternelle et qu'une
prière de deux rak `a accomplie dans la crainte de Dieu a plus de
valeur auprès de Lui que ce bas-monde et tout ce qu'il contient.
Il est convaincu qu'un matin ou une après-midi dans la voie de
Dieu valent mieux que ce bas-monde et tout ce qu'il contient, et
que l'emplacement du pied d'un homme au Paradis vaut mieux
que ce bas-monde et tout ce qu'il contient. Il suffit au croyant de
savoir que les prophètes, les messagers et les amis de Dieu ont
tous connu ici-bas la souffrance et l'oppression, tandis que les
mécréants, les négateurs et les athées, ennemis de Dieu et de Ses
prophètes, ont souvent vécu dans la prospérité et le luxe.
« Si ce n'était que les hommes formeraient une seule
communauté, Nous aurions certes pourvu les maisons de
Hadîth rapporté par Ahmad, par Ibn Hibbân dans son Sahîh et par al-
Bayhaqî.
264
ceux qui renient le Miséricordieux de toits d'argent et
d'escaliers pour y monter, et nous aurions doté leurs
maisons de portes et de lits où ils s'accouderaient, ainsi que
d'ornements : tout cela n'est que la jouissance de la vie de ce
monde, mais l'Au-delà, auprès de ton Seigneur, est pour les
gens pieux. »1
Tout cela ne signifie pas, néanmoins, que le croyant
doive cesser d'oeuvrer pour sa vie présente, se priver de ses
bienfaits ou laisser la direction de ce monde aux mécréants et
aux libertins.
Au contraire, le croyant doit faire fructifier et améliorer
ce bas-monde ; il lui est ordonné de parcourir la terre et de
manger des nourritures que Dieu lui dispense, de jouir des
bonnes choses de la vie et de les mettre au service de sa mission
et de sa foi, d'être un maître en ce monde et non pas un esclave.
Le détachement et le mépris des séductions de ce bas-
monde ne signifient nullement que l'on doive interdire les
bonnes choses ou porter atteinte aux intérêts humains et au cours
normal de la vie. Il faut simplement que le croyant place ses
aspirations dans l'Au-delà et y oriente ses efforts, au lieu de ne
penser qu'aux jouissances immédiates de la vie présente. Il ne
doit pas ressembler au mécréant qui, nous dit le Coran, « se sera
rebellé et aura préféré la vie de ce monde. » 2 De ce dernier,
Dieu dit à Son Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur
lui) : « Écarte-toi donc de celui qui se détourne de Notre
rappel et ne désire que la vie de ce monde. Voilà toute la
portée de leur savoir. »3
Le croyant doit, quant à lui, désirer l'Au-delà et oeuvrer
pour l'obtenir ; cette vie doit être pour lui un moyen et non un
but, une résidence temporaire et non définitive.
265
Quelqu'un qui n'est pas pleinement convaincu de
l'existence de l'Au-delà aura du mal à se détacher des désirs et
des plaisirs d'ici-bas, car il n'est pas prêt à échanger des délices
présents devant lui contre des délices lointains dont il doute.
C'est pourquoi un poète comme `Omar al-Khayyâm écrit :
« Ils disent : Cesse de boire la fille de la vigne, car elle
conduit au feu de l'Enfer.
Mais mon plaisir en la buvant un moment équivaut à mes
yeux aux jardins des délices...
Où est le doux échanson ? Où est le visage radieux ? La
peine fait souffrir mon coeur blessé !
Trois objets sont chers à mes désirs : un verre, des
mélodies et un visage gracieux. »
Si cet homme s'exprimait ainsi, c'est parce que le doute
l'emportait chez lui sur la foi : s'il avait réellement eu la
certitude de l'existence de l'Au-delà, la boisson, la musique et
les visages gracieux, comme d'ailleurs ce bas-monde tout entier,
n'auraient eu que peu de poids face à la récompense et à la
satisfaction divines.
Car la foi est une force irrésistible, plus forte que les
instincts et les désirs, plus forte que le poids des habitudes, plus
forte que toutes les traditions.
266
le reste de ses aptitudes spirituelles et de ses motivations
psychologiques, – mais cela sort de notre propos. l
Cet instinct est particulièrement puissant chez les
jeunes : la puissance de leur énergie vitale et de leurs pulsions
psychiques, leur manque de connaissances et d'expérience de la
vie, leurs nombreux rêves, font des jeunes gens des tisons
ardents. Qu'est-ce qui peut empêcher un jeune homme
vigoureux et viril d'assouvir son instinct sexuel avec une femme
qui lui est interdite, lorsque l'occasion se présente et qu'il n'a
rien à craindre de la loi ni des regards des autres ?
Rien ne peut l'en empêcher, sauf la foi... Ce fut ce qui
arriva à Joseph (la paix soit sur lui) : dans la fleur de la jeunesse,
d'une virilité accomplie, il fut l'objet d'une tentative de
séduction de la part d'une femme noble et belle, l'épouse du
grand intendant chez qui il vivait et dont il était le serviteur. Les
portes étaient fermées, la voie était libre, comme le relate le
Coran : « Celle chez qui il se trouvait essaya de le séduire.
Elle ferma les portes et dit : me voici à toi ! » 2
Comment Joseph réagit-il devant une tentation si
puissante ? Se laissa-t-il aller à trahir un honneur qu'on lui avait
confié ? Bien au contraire, il s'exclama : « Que Dieu me
protège ! Mon maître m'a bien traité. Mais les injustes ne
prospèrent pas. » 3
La femme déploya toute sa ruse, usa de tous les moyens
de séduction et de menace, pour entamer la détermination du
jeune homme et parvenir à ses fins, comme elle l'annonça,
pleine de dépit et de colère, aux femmes de son entourage :
« J'ai tenté de le séduire, mais il est resté pur ; certes, s'il ne
267
fait pas ce que je lui ordonne, il sera mis en prison, et il se
trouvera parmi les misérables. » 1
Mais le jeune Joseph se tourna vers Dieu pour L'implorer
de lui venir en aide et de le préserver : « Seigneur, je préfère la
prison à l'acte auquel elles me convient. Mais si Tu ne
détournes pas de moi leurs ruses, je finirai par céder à mon
inclination pour elles, et je serai au nombre des ignorants. » 2
Dans ce conflit entre la conscience du croyant et les
attraits du péché, ce fut donc la foi qui l'emporta.
L'instinct a, de par sa nature, besoin d'être apaisé : s'il
est trop longtemps réprimé, le barrage de la foi risque de ne plus
pouvoir le contenir.
Ainsi, par exemple, cette femme dont le mari était absent
depuis longtemps, envahie par la mélancolie et la nostalgie,
assaillie par l'obsession de la solitude, sentit s'éveiller en elle sa
féminité et parler la voix de l'instinct, que seule la foi pouvait
encore étouffer ; dans l'obscurité de la nuit elle soupira :
« Cette nuit est bien longue et bien noire, et n'avoir point
de bien-aimé à cajoler me tient éveillée.
Par Dieu, si ce n'était la crainte du châtiment de Dieu, je
ne languirais point seule sur cette couche. »
Que dire encore de l'instinct du combat, que les Anciens
appelaient l'humeur colérique ou la force féroce, qui pousse
l'homme à rendre les coups en double, à détruire et à se venger,
et qui le transforme en une bête en furie ou en un engin
destructeur ? Que le démon de la colère lui lance seulement une
braise, et le voici qui se gonfle, s'enflamme et montre les dents !
Qu'est-ce qui peut contenir cet instinct, et jeter sur ses
braises l'eau du calme et de la paix ?
268
C'est la foi, qui pousse le croyant à maîtriser sa colère, à
pardonner à ceux qui lui ont fait du tort, à traiter la sottise avec
indulgence, à rendre le mal par le bien et à sentir son coeur en
paix malgré l'amertume de la colère.
Le Coran nous relate, en toute vérité, l'histoire des deux
fils d'Adam : « Ils offrirent chacun une offrande : celle de
l'un fut acceptée, et celle de l'autre ne le fut pas. » Le fils
méchant dit alors à son frère : « Je te tuerai sûrement. » Mais
le bon croyant répondit : « Dieu n'accepte que de ceux qui
sont pieux. Si tu lèves la main sur moi pour me tuer, je ne
lèverai pas la main sur toi pour te tuer. Je redoute Dieu,
1
Seigneur des Mondes. »
C'est donc la crainte de Dieu qui empêche les hommes
de nuire à leur prochain lorsque l'instinct s'enflamme et les
pousse à la violence. `Omar a dit : « Celui qui craint Dieu ne
cède pas à la colère, celui qui redoute Dieu ne fait pas ce qu'il
veut : n'était-ce le Jour de la Résurrection, il n'en serait pas
ainsi. »
Un jour, un homme s'adressant au calife `Omar ibn `Abd
al-`Azîz l'offensa au point de le mettre en colère. `Omar
s'apprêtait à riposter, mais il se retint et dit à l'homme : « Tu as
voulu que le Démon provoque en moi la fierté du pouvoir, afin
que je te fasse un tort que tu pourrais me reprendre demain (dans
l'Au-delà) ? Lève-toi, et que Dieu te pardonne. Nous n'avons
pas besoin de discuter avec toi. »
269
cette rivalité les conduit à se quereller, à réclamer ce qui ne leur
revient pas, à refuser de s'acquitter de leurs devoirs, à
s'approprier injustement les biens d'autrui. Lorsque le Démon se
rend maître d'eux, ils sont prêts à tout pour avoir gain de cause,
à n'importe quel prix.
Par contre, si la foi entre en jeu, elle parvient à éteindre
la flamme de la discorde, qui devient fraîcheur et paix. Elle
dompte l'égoïsme, qui se transforme en tolérance et en
abnégation. Elle détourne les croyants des possessions de ce
monde vers les nobles idéaux.
Le récit suivant, relaté par Oumm Salama, l'épouse du
Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui), montre
clairement comment la foi transforme les coeurs. Deux hommes
se disputaient au sujet d'un héritage, sans qu'aucun d'eux n'ait
d'autre preuve à avancer que sa propre revendication. Chacun
disait y avoir droit et niait le droit de l'autre. Les deux hommes,
motivés par l'individualisme et l'égoïsme, portèrent leur
différend devant le Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui). Celui-ci leur lança alors cette mise en garde : « Je ne
suis qu'un être humain, et vous me soumettez vos différends. II
se peut que l'un de vous sache mieux plaider sa cause qu'un
autre et que je décide en sa faveur sur la base de ce que j'ai
entendu de lui. Si donc il m'arrive d'attribuer à quelqu'un ce qui
revient à son frère, qu'il n'en prenne rien, car je ne ferais que lui
attribuer une part de l'Enfer. »
Lorsque les deux plaideurs entendirent ces paroles
terribles, la foi vibra dans leur coeur et la crainte de Dieu et de
l'Au-delà s'éveilla en eux : ils se mirent à pleurer et chacun
déclara se désister en faveur de l'autre.
270
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
leur dit alors : « Si vous faites cela, partagez équitablement ;
puis que chacun prenne sa part et renonce à toute réclamation. » 1
Cette histoire montre comment la foi et la conscience
éveillée par la foi tranchent les différends et permettent d'aboutir
à un jugement équitable là où la loi prise à la lettre n'aurait pas
suffi à parvenir à la vérité, puisque aucune preuve ne permettait
de départager les plaideurs.
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
a relaté à ses Compagnons l'histoire de deux croyants, pour leur
donner l'exemple de l'honnêteté, du désintéressement et de
l'abnégation dont les croyants doivent faire preuve :
« Un homme acheta à un autre un terrain. L'acheteur
trouva dans son terrain une jarre pleine d'or. Il dit à celui qui lui
avait vendu le terrain : `Prends ton or, je ne t'ai acheté que la
terre et tu ne m'as pas vendu l'or.' Le vendeur répondit : `Je t'ai
vendu la terre avec ce qui s'y trouvait !' Ils recherchèrent
l'arbitrage d'un homme. Celui qu'ils avaient pris comme arbitre
leur demanda : `Avez-vous des enfants ?' L'un d'eux dit : `J'ai
un fils.' L'autre dit : `J'ai une fille.' L'arbitre dit alors : `Utilisez
l'or pour marier le jeune homme et la jeune fille, pour vos
propres dépenses et pour faire l'aumône.' »2
Voilà un exemple de deux âmes nobles : deux hommes
ont devant eux une jarre pleine d'or, et au lieu de se battre pour
la garder, ils veulent chacun la laisser à l'autre, alors
qu'habituellement les gens sont si prompts à dire : « C'est à
moi!»
1
Ce récit se trouve dans le « Livre des litiges » du recueil as-Sounan (« Les
traditions prophétiques ») d'Aboû Dâwoud.
2
Ce récit est rapporté par Mouslim dans son Sahîh.
271
Le pouvoir de la coutume et le pouvoir de la foi
Nous avons vu comment une foi forte permet de faire
obstacle aux instincts de l'être humain, d'en atténuer les excès et
les conséquences nuisibles et de les orienter vers le bien et la
justice. Toutefois, l'homme n'est pas soumis uniquement à la
domination de ses instincts : il subit également une autre
domination, celle de la coutume.
La coutume se constitue lorsque l'homme, ressentant une
inclination pour quelque action, suit son inclination et accomplit
cette action, puis la répète jour après jour, jusqu'à ce que cette
habitude devienne comme une partie de lui-même, à un degré
plus ou moins important selon les cas. L'accomplissement de
cette action devient alors facile, presque mécanique ; on n'y
prête quasiment plus attention, et il devient très difficile de s'en
empêcher.
272
La coutume, ou la « seconde nature », résulte des
améliorations ou des détériorations apportées par l'homme à sa
nature, et elle possède un pouvoir considérable. Le mode de vie
que nous nous traçons et dont nous prenons l'habitude a sur
nous un pouvoir proche de celui de la nature. Dans les premières
années de notre vie, nous sommes libres et la coutume n'a pas
d'impact sur nous. Mais une fois adultes, c'est quatre-vingt dix
pour cent de nos actions qui résultent de la coutume : nos
vêtements, ce que nous mangeons et buvons, la façon dont nous
parlons, dont nous nous saluons, nos relations sociales... Nous
nous y plions sans y prêter attention, et il est difficile de nous en
défaire : notre vie n'est plus qu'une répétition de pensées et
d'actions que nous avons apprises.
Tel est le pouvoir de la coutume sur l'individu et la
société : si cette coutume est bonne, elle fait le bonheur de
l'homme, tandis que si elle est mauvaise et nuisible elle fait son
malheur. Ainsi voyons-nous les gens manger des aliments qui
nuisent à leur santé, boire des boissons qui leur font perdre
l'esprit, porter des vêtements qui les serrent et les étranglent,
accomplir des actes qui leur sont désagréables et qu'ils
réprouvent, tout cela en raison de l'emprise de la coutume sur
leur pensée et leur volonté. On voit comment certains
deviennent esclaves de l'alcool, de la drogue ou du jeu.
273
se sont avérées impuissantes devant la domination de la
coutume !
Cette détermination suffisamment puissante pour avoir
raison de la coutume, seule la foi pourra nous l'apporter : c'est
elle qui aiguise les volontés, qui élève les âmes et leur apporte la
fermeté et la constance nécessaires pour faire s'effondrer les
remparts des habitudes et des traditions.
274
convaincue de son bien-fondé et des effets nuisibles de l'alcool
pour la santé, la raison et la civilisation.
La question de l'alcool fut largement débattue dans
l'opinion publique américaine vers 1918 et en 1919, la
constitution fut modifiée par un amendement connu comme le
dix-huitième amendement ; la même année fut votée la loi
d'interdiction connue sous le nom de Loi Volstead.
Des moyens gigantesques furent mis en oeuvre pour
appliquer cette interdiction sur le territoire américain. La marine
fut mobilisée pour surveiller les côtes et empêcher la
contrebande, et l'armée de l'air pour surveiller l'espace aérien.
Les services gouvernementaux et tous les moyens d'information
et de propagande furent employés pour lutter contre la
consommation d'alcool et en expliquer les méfaits. Cette
mobilisation s'étendait à la presse, aux livres et publications de
toutes sortes, au cinéma, aux conférences etc.
Selon les estimations, le gouvernement américain
dépensa plus de soixante millions de dollars dans cette
campagne contre l'alcool ; dix milliards de pages de publications
consacrées à ce sujet furent imprimées. Pendant les quatorze
années de la Prohibition, au moins 250 millions de dollars furent
employés à l'application de la loi. Il y eut 300 exécutions
capitales, 532 335 emprisonnements, des amendes d'un montant
total de seize millions de dollars, des saisies de biens s'élevant à
404 millions de dollars. Pourtant, tout cela ne fit qu'accroître
l'engouement des Américains pour la consommation d'alcool,
de sorte qu'en 1933 le gouvernement fut contraint d'abroger la
loi et d'autoriser l'alcool sans restriction. l
Cette tentative fut donc un échec total que le Congrès
ème
américain entérina en 1933 en votant le 21 amendement,
275
mettant ainsi fin à la période connue dans l'histoire des États-
Unis comme celle de la Prohibition.
La loi, le pouvoir politique et les institutions
gouvernementales s'étaient avérés incapables d'interdire le vin
et de combattre l'alcoolisme, alors même que la majorité des
gens étaient convaincus du caractère nuisible de l'alcool. Mais la
conviction intellectuelle est une chose, et l'action de la volonté
en est une autre.
Un écrivain occidental a dit à juste titre : « S'efforcer
avec détermination d'accomplir quelque chose nécessite un
esprit de dévouement et d'ascèse : cela implique que l'on
consacre sa vie à un seul idéal mûrement choisi... La volonté
triomphe toujours de la culture lorsque c'est sur la culture et non
sur les principes religieux que sont fondées la détermination,
l'activité et la force spirituelle des hommes. »
276
Dans la société arabe païenne, seuls quelques individus
au caractère particulièrement noble, comme Zayd ibn `Amr ibn
Noufayl, refusaient de s'adonner à la boisson : l'histoire les a
retenus comme des cas exceptionnels.
Ce peuple était si attaché au vin qu'il disposait de plus de
cent noms et métaphores pour s'y référer. De même, le
commerce du vin était florissant.
L'habitude de boire était si profondément ancrée dans le
coeur des gens que nombreux étaient les Compagnons qui
continuèrent à le faire même après la révélation des deux
premiers versets coraniques concernant le vin : « Dis : ces deux
choses comportent pour les hommes un grand péché, tout en
leur apportant certains avantages »' et « Ô vous qui croyez,
n'approchez pas la prière lorsque vous êtes ivres » 2 , dans
lesquels l'interdiction n'était pas formelle. Ils persistèrent à
boire du vin puisque le texte leur en laissait la possibilité.
Ainsi l'islam, prenant en compte cet attachement,
introduisit-il progressivement l'interdiction du vin, qui fut enfin
prononcée explicitement et catégoriquement dans ce verset de la
sourate al-Mâ' ida : « Ô vous qui croyez ! Le vin, les jeux de
hasard, les pierres dressées et les flèches divinatoires ne sont
qu'impureté, l'oeuvre du Démon. Évitez-les donc, ainsi peut-
être connaîtrez-vous le succès. Le Démon veut seulement
jeter entre vous l'hostilité et la haine à travers le vin et les
jeux de hasard, et vous détourner du souvenir de Dieu et de
la prière. Allez-vous donc cesser ? »3
Il se passa alors des choses étonnantes... On vit les
hommes briser leurs coupes, déverser dans les rues leurs
réserves de vin, jusqu'à en faire déborder les rues de Médine !
277
Aboû Sa`îd a relaté : J'ai entendu le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) dire : « O gens ! Dieu
déteste le vin. Dieu révélera peut-être un ordre à ce sujet. Alors,
que ceux qui en possèdent le vendent et en tirent quelque
profit ! » (Cela se passait avant l'interdiction définitive.) Puis
peu de temps après, il dit : « Dieu a déclaré le vin illicite. Que
ceux qui possèdent encore du vin maintenant que ce verset est
arrivé, s'abstiennent de le boire ou de le vendre. » Les gens se
mirent alors à apporter le vin qu'ils avaient et à le déverser dans
les rues de Médine. '
Anas a relaté : Comme je servais à boire à Aboû
Oubayda et Oubayy ibn Ka'b, quelqu'un vint leur dire : « Le vin
a été déclaré illicite. » Aboû Talha dit alors : « Lève-toi, Anas, et
va le brûler. » Et je le brûlai. 2
Aboû Moûsâ al-Ach'arî a relaté : Comme nous étions
assis en train de boire du vin, qui était alors licite, je me levai
pour aller voir le Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui) et le saluer. A ce moment l'interdiction du vin venait
d'être révélée : « Ô vous qui croyez ! Le vin, les jeux de
hasard, ... » jusqu'à : « Allez-vous donc cesser ? » Je retournai
auprès de mes compagnons et je leur récitai ce verset. Certains
avaient encore à la main leurs gobelets à moitié pleins...
Retournant leurs gobelets en les prenant par le fond comme on
tient des ventouses, ils en renversèrent le contenu en disant :
« Nous cessons désormais, Seigneur ! Nous cessons désormais,
Seigneur ! »3
L'humanité a-t-elle jamais vu une telle victoire des
hommes sur eux-mêmes, une telle promptitude à obéir, un tel
278
empressement à se conformer à un ordre qui pourtant s'opposait
aux habitudes et aux plaisirs des sens ?
279
Cette conscience (ou ce sens moral, ou ce coeur) est le
fondement de la morale, sur laquelle elle veille jalousement ;
c'est elle, dans les situations ambiguës, qui nous guide vers le
bien et nous éloigne du mal.
Le progrès et le bien-être d'une société, quelle qu'elle
soit, ne dépendent pas de la promulgation de lois et de décrets ni
de la vigilance du pouvoir, même si tout cela est aussi
nécessaire. Ce qui fait progresser les sociétés, c'est la présence
de coeurs vivants, de consciences en éveil. Comme le dit un
proverbe, la justice ne réside pas dans le texte de la loi mais dans
la conscience du juge. Voilà pour ce qui est des juges et des
gouvernants. Quant aux hommes qui sont gouvernés par les lois,
un poète en dit :
« La loi répressive ne pourra nous réformer / tant que
nous n'aurons pas de conscience pour nous freiner. »
280
trouvent ; puis Il les informera de leurs actions le Jour de la
Résurrection. Dieu connaît parfaitement toute chose. » 1
« En quelque état que tu sois, quoi que tu récites du
Coran, quelque action que vous accomplissiez, Nous en
sommes témoin au moment où vous l'entreprenez. Pas même
le poids d'un atome n'échappe à ton Seigneur sur la terre ni
dans le ciel ; il n'est rien de plus grand ni de plus petit que
cela qui ne soit consigné dans un écrit manifeste. » 2
Les mécréants complotaient contre le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) et la révélation divine venait
exposer leurs secrets ; ils se dirent alors les uns aux autres :
« Baissez la voix pour que le dieu de Mohammed ne nous
entende pas ! » Mais Dieu révéla Sa parole : « Que vous teniez
vos propos secrets ou que vous les divulguiez, Il connaît
parfaitement le contenu des poitrines. Ne connaît-Il pas celui
qu'Il a créé, Lui qui est le Subtil, Celui qui est parfaitement
informé ? » 3
Le croyant est par conséquent convaincu qu'il devra
rendre compte, au Jugement dernier, de chacune de ses actions et
sera rétribué pour les bonnes comme pour les mauvaises ; il est
convaincu que ses actions passées ne s'effacent pas avec le
temps mais sont toutes, jusqu'aux plus minimes,
minutieusement consignées dans l'écrit divin :
« Quand les deux recueillants, assis à droite et à
gauche, recueillent. Il ne prononce pas une parole sans avoir
près de lui un observateur toujours prêt. » 4
« Mais . des gardiens veillent sur vous, de nobles
scribes, qui savent tout ce que vous faites. » 5
281
« Pensent-ils donc que Nous n'entendons pas leurs
propos secrets et leurs conversations particulières ? Mais si !
Nos envoyés, auprès d'eux, prennent note. » 1
Les actions des hommes sont ainsi fidèlement consignées
et ni l'oubli, ni le temps qui passe ne les feront disparaître. Elles
seront conservées auprès de Dieu jusqu'au Jour de la Rétribution
où elles seront présentées à leurs auteurs : « Au cou de chaque
être humain, Nous avons attaché son lot, et Nous lui
présenterons le Jour de la Résurrection un écrit qu'il
trouvera déroulé : `Lis ton écrit ! Tu suffis aujourd'hui à
dresser ton propre compte.' » 2
L'homme se trouve alors confronté aux actions qu'il
avait crues insignifiantes mais qui ont pour Dieu une importance
considérable et il se rappelle ce qu'il avait oublié : « L'écrit
sera déposé, et tu verras les criminels, effarés par son
contenu, dire : `Malheur à nous ! Qu'a donc cet écrit à ne
laisser aucune action, petite ou grande, sans la recenser ?' Ils
trouveront, présent devant eux, tout ce qu'ils auront fait.
Ton Seigneur ne fait de tort à personne. » 3
« Le jour où Dieu les ressuscitera tous et les
informera de ce qu'ils avaient fait. Dieu l'aura recensé alors
qu'ils l'auront oublié : Dieu est témoin de toute chose. » 4
Les bonnes et les mauvaises actions seront alors pesées
précisément par la balance divine, dont la nature dépasse notre
entendement ; puis Dieu rendra Son jugement en toute équité :
« Nous poserons les balances exactes le Jour de la
Résurrection. Aucune âme ne sera lésée en rien : ne serait-ce
282
que le poids d'un grain de moutarde, Nous le ferons venir.
Nous suffisons pour dresser les comptes. » 1
« La pesée ce jour-là sera juste : alors, ceux dont les
oeuvres pèseront lourd, voilà les bienheureux ; et ceux dont
les oeuvres pèseront léger, voilà ceux qui auront causé leur
propre perte pour avoir été injustes envers Nos signes. »2
Ensuite, les uns seront envoyés au Paradis et les autres en
Enfer : « Quant à ceux qui auront cru et fait le bien, Il les
récompensera largement et leur ajoutera de Sa grâce. Et quant à
ceux qui auront été dédaigneux et se seront enorgueillis, Il leur
fera souffrir un châtiment douloureux et ils ne trouveront, en
dehors de Dieu, ni soutien ni protecteur. » 3
Grâce à cette foi en Dieu et à la rétribution des actions
humaines dans l'Au-delà, le croyant, conscient en permanence
du contrôle de Dieu dont il redoute le jugement, évalue ses
propres actions et réfléchit à leurs conséquences. Il ne cause pas
de tort, ne trahit pas, ne s'enfle pas d'orgueil. II ne néglige pas
ses devoirs et ne réclame pas ce qui ne lui revient pas. Il ne fait
pas aujourd'hui ce pour quoi il craindrait d'être jugé demain. Il
ne fait pas en secret ce qu'il aurait honte de faire ouvertement. Il
dit, comme le poète soufi :
« Si un jour tu te trouves seul, ne dis pas : je suis seul,
mais dis : on m'observe.
Ne crois pas que Dieu soit jamais inattentif, ni que ce que
tu caches Lui échappe. »
On demanda à un soufi le sens de la Parole de Dieu :
« Dieu les agrée et ils L'agréent. Voilà pour celui qui craint
son Seigneur. » 4 Il répondit : C'est le sort réservé à celui qui
redoute le jugement de son Seigneur Tout-Puissant, qui évalue
283
ses propres actions et fait provision de bonnes oeuvres pour le
Jour du Jugement.
Mohammed ibn `Alî at-Tirmidhî a dit : « Redoute le
jugement de Celui qui t'observe sans interruption ; réserve ta
reconnaissance à Celui qui te comble de bienfaits intarissables ;
réserve ton obéissance à Celui dont tu ne peux te passer ; réserve
ta soumission à Celui dont le royaume et le pouvoir sont sans
limite. »
On demanda à Dhoû an-Noûn ce qui permet d'entrer au
Paradis. Il répondit : « Cinq choses : une rectitude sans faille, un
effort ininterrompu, redouter le jugement divin dans ses actions
secrètes comme dans celles que l'on accomplit au grand jour,
attendre la mort en s'y préparant, juger ses propres actions avant
d'être jugé. »
Cette conscience à laquelle la foi apprend à redouter le
jugement divin et les comptes qu'il faudra rendre dans l'Au-delà
est une conscience vive, sensible et toujours en éveil. Elle
questionne le croyant avant qu'il accomplisse une action : « Que
fais-tu ? Pourquoi le fais-tu, et pour qui ? » L'action accomplie,
elle lui demande encore des comptes : « Qu'as-tu fait ? Pourquoi
l'as-tu fait, et pour qui ? » Jugeant en comparution immédiate,
elle rend son verdict promptement et récompense ou punit.
Lorsqu'elle punit, ce n'est pas seulement par une autocritique ou
un blâme moral : elle peut aussi décider de punitions concrètes.
Al-Hassan al-Basrî a dit au sujet du verset : « Non ! J'en
jure par l'âme qui sans cesse se blâme » 1 : « Le croyant ne
cesse de se faire des reproches, disant : `Dans quel but ai-je
parlé ? Dans quel but ai-je mangé ? Dans quel but ai-je bu ?' Le
libertin, lui, ne s'arrête pas pour se faire des reproches. »
Il a dit également : « Le croyant exerce un contrôle sur
son âme qu'il juge pour Dieu. Le jugement divin sera indulgent
284
envers ceux qui se seront jugés eux-mêmes ici-bas. Le jugement,
le Jour de la Résurrection, ne frappera que ceux qui auront vécu
ici-bas sans se juger. » Puis il explique ainsi comment le croyant
se juge « Lorsque le croyant se trouve subitement attiré par
quelque action, il lui dit : `Tu me plais, tu m'attires, mais il n'est
pas question que je t'approche.' Si toutefois il succombe à la
tentation, il se remet en question et dit : `Pourquoi ai-je fait
ceci ? Par Dieu, je suis inexcusable. Par Dieu, je ne
recommencerai jamais, si Dieu le veut.' C'est ainsi que le
croyant se juge après l'action. »
Mâlik ibn Dînâr a dit : « Dieu fasse miséricorde à un
homme qui dit à son âme : `N'as-tu pas fait ceci ? N'as-tu pas
fait cela ?' Puis qui l'attache et la musèle et lui impose d'obéir
au Livre de Dieu. »
Ibrâhîm at-Taymî a dit : « Je me suis imaginé au Paradis,
en train de manger de ses fruits, de boire à ses ruisseaux et
d'étreindre ses vierges... Puis je me suis imaginé en Enfer, en
train de manger de l'arbre de Zaqqoûm, de boire du pus et de
supporter les carcans et les chaînes... Puis j'ai dit à mon âme :
`Ô âme, que préfères-tu ?' Elle a répondu : `Je préfère retourner
à la vie terrestre pour bien agir.' Je lui ai dit : `Tu as ce que tu
souhaites, alors agis !' »
Cet homme avait choisi ce moyen pour éveiller son âme
ou, peut-on dire encore, pour vivifier sa conscience. Il s'imagina
que l'avenir promis s'était réalisé, puis après avoir présenté à
son âme les deux alternatives il l'invita à faire son choix et à
agir en conséquence.
Al-Ahnaf ibn Qays avait, quant à lui, inventé un autre
moyen pour rappeler à son âme le feu et le châtiment de l'Au-
delà. Il approchait ses doigts de la lampe jusqu'à sentir la brûlure
du feu, puis il s'interpellait lui-même en disant : « Eh bien,
Hounayf, qu'est-ce qui t'a poussé à agir comme tu l'as fait tel
jour ? Qu'est-ce qui t'a poussé à agir comme tu l'as fait tel
jour?»
285
Voici encore un autre exemple d'autocritique : Tawba
ibn as-Simma, qui était prompt à se juger lui-même, fit un jour
le compte de sa vie alors qu'il avait soixante ans. S'apercevant
qu'il avait vécu vingt et un mille cinq cents jours, il s'écria :
« Malheur à moi, si je me présente devant Dieu avec un compte
de vingt et un mille péchés ! Et que dire alors, quand chaque
jour est l'occasion de dix mille péchés ? »
Le récit suivant illustre comment la conscience du
croyant punit les péchés par des sanctions qu'il se hâte
d'appliquer : Aboû Talha al-Ansârî (que Dieu soit satisfait de
lui) fut distrait de sa prière par un oiseau qui se trouvait dans son
verger. Pour expier sa faute, il donna le verger en aumône.
286
leur Seigneur. Le croyant s'en acquitte de bon coeur, de plein
gré, en disant : « O mon Dieu, fais que ce soit un gain et non une
perte. » Il s'efforce de donner du meilleur de ce qu'il possède, et
fait le compte de ce qu'il doit avant même que les collecteurs ne
viennent le lui réclamer. Il donne parfois plus que ce qu'on lui
demande, tant il est convaincu que ce qu'il possède est voué à
disparaître et que seul est durable ce qui est auprès de Dieu.
Oubayy ibn Ka'b (que Dieu soit satisfait de lui) a relaté :
« Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
m'avait envoyé collecter la zakât. J'arrivai chez un homme :
lorsqu'il m'eut rassemblé ses biens, je trouvai qu'il ne devait
qu'un chamelon sevré. Je lui dis : `Donne un chamelon sevré,
c'est le montant de l'aumône que tu dois.' Il répondit : `Mais il
ne servira ni pour donner du lait, ni comme monture. Prends
plutôt cette jeune chamelle robuste et grasse.' Je lui dis : `Je ne
prendrai que ce qu'il m'a été ordonné de prendre. Le Prophète
(que la bénédiction et la paix soient sur lui) est proche de toi : si
tu veux aller lui proposer ce que tu m'as proposé, vas-y. S'il
l'accepte, je l'accepterai, et s'il le refuse je le refuserai.'
L'homme partit avec moi, emmenant la chamelle qu'il m'avait
proposée, et nous nous rendîmes auprès du Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui). Il lui dit alors : `Envoyé de
Dieu, ton messager est venu collecter l'aumône sur mes biens.
Par Dieu, jamais auparavant le Messager de Dieu ni l'un de ses
messagers n'avait évalué mes biens. Je lui ai rassemblé tous mes
biens, et il prétend que je ne dois qu'un chamelon sevré, qui ne
peut servir ni pour donner du lait, ni comme monture. Je lui ai
proposé de prendre cette jeune chamelle robuste, mais il a
refusé. La voici, je le l'ai amenée, Messager de Dieu : prends-
la.' Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) lui
répondit : `C'est tout ce que tu dois, mais si tu veux donner
volontairement mieux que cela, Dieu t'en récompensera et nous
l'accepterons.' L'homme dit : `La voici, Messager de Dieu, je te
l'ai amenée : prends-la.' Le Prophète (que la bénédiction et la
paix soient sur lui) ordonna alors qu'on prenne la chamelle et
287
implora Dieu de bénir les biens de cet homme. » (Rapporté par
Aboû Dâwoud).
288
Une femme bédouine de la tribu des Ghâmid eut, elle
aussi, des rapports illicites et devint enceinte. Bien qu'elle ait
péché en secret, sa conscience de croyante exigea qu'elle expie
sa faute publiquement.
Elle alla trouver le Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) et lui dit : « J'ai forniqué, purifie-moi. » Il la
renvoya. Elle revint le lendemain et lui dit : « Envoyé de Dieu,
pourquoi me renvoies-tu ? Peut-être veux-tu me renvoyer
comme tu l'as fait pour Mâ'iz, mais par Dieu, je suis enceinte ! »
II lui répondit : « Alors non, rentre chez toi jusqu'à ce que tu
accouches. »
La femme rentra chez elle en attendant l'accouchement :
les jours et les mois passèrent sans que sa conscience ne
s'apaise. Dès qu'elle eut accouché, elle vint trouver le Prophète
(que la bénédiction et la paix soient sur lui) avec l'enfant
enveloppé dans un linge et lui dit : « Voici l'enfant à qui j'ai
donné naissance. » Il répondit : « Rentre chez toi et allaite-le
jusqu'au sevrage. »
La femme rentra donc chez elle et allaita son enfant. La
période d'allaitement, qui est habituellement de deux ans, passa,
les jours et les nuits se succédèrent, sans qu'elle puisse oublier la
faute qu'elle avait commise.
Sans convocation d'un tribunal, sans avertissement des
autorités, sans intervention de la police, la femme retourna de
son plein gré chez le Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) pour subir le sort qu'elle avait choisi. Elle lui
apporta l'enfant qui tenait à la main un morceau de pain et lui
dit : « Voilà, Envoyé de Dieu, je l'ai sevré, il mange maintenant
la nourriture. »
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
ne put alors qu'ordonner l'application du châtiment : il fit
creuser pour elle un trou lui arrivant jusqu'à la poitrine, puis il
ordonna de la lapider. Khâlid ibn al-Walîd prit une pierre et la
lança à la tête de la femme : le sang gicla au visage de Khâlid,
289
qui insulta la femme. Le Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) l'entendit l'insulter et lui dit : « Doucement,
Khâlid. Par Celui qui détient mon âme en Son pouvoir, elle a fait
preuve d'un repentir qui suffirait à faire pardonner les péchés de
soixante-dix des habitants de Médine si on le partageait entre
eux. Quel repentir pourrait être meilleur que de donner sa vie
pour Dieu comme elle l'a fait ? » (Ce récit est rapporté par
Mouslim).
290
apporté ! » Ils comprirent que l'homme était quelqu'un
d'important et lui demandèrent qui il était. Il répondit : « Par
Dieu, je ne vous le dirai pas pour que vous fassiez mon éloge ou
pour que d'autres me louent. Je rends grâce à Dieu et je me
satisfais de Sa récompense. » Ils le firent suivre par un homme
jusqu'à ce qu'il parvienne auprès des siens ; puis l'homme
demanda qui il était : il s'agissait de `Amir ibn `Abd Qays.
`Omar reçut dans les butins beaucoup de trésors précieux
et peu encombrants, que lui apportèrent des soldats sincèrement
dévoués à Dieu qui n'attendaient ni récompense ni
remerciement. Il s'exclama, plein d'admiration : « Des hommes
qui apportent de telles choses sont vraiment dignes de
confiance ! »
`Abd Allah ibn Dînâr a relaté : « Je partis pour La
Mecque avec `Omar ibn al-Khattâb (que Dieu soit satisfait de
lui). Nous fîmes halte en cours de route, et un berger descendit
nous voir de la montagne. Il lui dit : `Berger, vends-moi un
mouton de ce troupeau.' Le berger répondit : `J'appartiens à un
maître.' `Omar insista, pour le mettre à l'épreuve : `Dis à ton
maître que le loup l'a mangé.' Le berger répliqua : `Et Dieu,
n'est-Il pas là T 'Omar ibn al-Khattâb pleura à ces mots. Il
accompagna l'esclave, l'acheta à son maître et l'affranchit. Puis
il lui dit : `Ta réponse t'a affranchi ici-bas, puisse-t-elle
t'affranchir également dans l'Au-delà.' »
La politique et le gouvernement
Dans le domaine de la politique et du gouvernement, où
l'injustice, la tromperie et le despotisme sont si fréquents,
l'histoire nous relate des exemples admirables de califes bien
guidés : ces hommes pratiquaient la justice la plus parfaite, sans
favoriser leurs proches ni faire de tort même à un ennemi ; une
égalité devant la loi ne connaissant aucune distinction entre les
gens ; une ascèse qui les faisait s'élever au-dessus de ce bas-
monde alors même qu'ils détenaient la richesse et le pouvoir.
Guidés par leur conscience de croyants, ils faisaient régner la
291
vertu, la justice et l'égalité. C'est cette conscience qui poussa
`Omar, entré dans un jardin clos pour satisfaire un besoin, à
prononcer ces mots qu'Anas entendit de l'autre côté du mur :
« `Omar ibn al-Khattâb, Commandeur des Croyants ? Eh bien !
Par Dieu, tu craindras Dieu, fils d'al-Khattâb, ou sache qu'Il te
châtiera ! »
C'est encore cette conscience qui le poussa, lors de la
famine qui frappa les musulmans sous son califat, à ne manger
que du pain et de l'huile, au point que sa peau noircit ; un
Compagnon lui en ayant fait la remarque, il répondit : « Quel
mauvais chef je serais si je mangeais à ma faim alors que les
gens souffrent de la famine ! »
Un jour, `Omar vit une petite fille qui titubait de faim. Il
demanda : « Qui est-ce ? » Son fils `Abdallâh répondit : « C'est
ma fille. » `Omar lui demanda : « Qu'a-t-elle ? » Il répondit :
« Tu nous prives de ce que tu as entre les mains, et il nous arrive
ce que tu vois. » `Omar répliqua : « `Abdallâh, le Livre de Dieu
est juge entre nous. Par Dieu, je ne vous donne que ce que Dieu
a prescrit pour vous. Voudrais-tu que je vous donne ce à quoi
vous n'avez pas droit et que je devienne un traître ? »
Ibn Kathîr relate, ' après avoir évoqué le noble
comportement et les grandes conquêtes de `Omar : « Il était
humble pour Dieu. Il vivait et mangeait simplement. Il était
exigeant pour Dieu. Il usait ses vêtements jusqu'à la trame,
portait les outres sur ses épaules malgré tout son prestige,
montait les ânes à nu et les chameaux avec une bride en fibres de
palmier. Il riait peu et ne plaisantait avec personne. Sur son
sceau étaient gravés ces mots : `La mort suffit pour exhorter au
bien, ô `Omar.' »
Lorsque `Alî ibn Abî Tâlib était calife, Ja'd ibn Houbayra
lui dit : « Commandeur des Croyants, deux hommes se
présentent devant toi, l'un qui t'aime plus que sa famille et ses
292
biens et l'autre qui t'égorgerait s'il le pouvait, et tu juges en
faveur du second et au détriment du premier ! » 'Alî lui donna
un coup de poing et dit : « S'il n'en tenait qu'à moi je ferais ce
que tu souhaites, mais c'est là quelque chose qui revient à
Dieu. »
Ach-Chou'bî relate que 'Alî avait perdu une cotte de
mailles et la retrouva chez un chrétien. Il l'emmena devant le
juge Chourayh pour porter plainte. 'Alî dit : « Cette cotte de
mailles m'appartient, je ne l'ai ni vendue ni donnée. » Chourayh
demanda au chrétien : « Qu'as-tu à répondre à ce que dit le
Commandeur des Croyants ? » Le chrétien répondit : « Cette
cotte de mailles m'appartient, et le Commandeur des Croyants
n'est qu'un menteur ! » Chourayh, se tournant vers 'Alî, lui
demanda : « Commandeur des Croyants, as-tu une preuve ? »
'Alî sourit et répondit : « Chourayh a raison, je n'ai aucune
preuve. » Le juge attribua donc la cotte de mailles au chrétien.
Celui-ci la prit, fit quelques pas pour partir, puis revint et dit :
« Je témoigne que c'est là le jugement des prophètes : le
Commandeur des Croyants m'emmène devant son juge et lui
demande de juger, et le juge décide contre lui. Je témoigne qu'il
n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Mohammed est Son
serviteur et Son messager. La cotte de mailles, par Dieu,
t'appartient : elle est tombée lorsque tu partais pour Siffin. » `Alî
répondit : « Puisque tu deviens musulman, elle est maintenant à
toi. »
Le calife comme le juge obéissaient à leur conscience de
croyants : le calife ne tenta pas d'user de la force pour obtenir
gain de cause, ni d'influencer le juge pour qu'il tranche en sa
faveur ; le juge, quant à lui, ne tenta pas de détourner la loi pour
plaire au calife, alors même qu'il était convaincu de sa sincérité.
C'était la Loi divine qui devait l'emporter, pour le prince comme
pour l'homme du peuple, pour le musulman comme pour le
chrétien.
Voici encore 'Alî (que Dieu soit satisfait de lui) revêtant
une tunique qu'il avait achetée trois dirhams et disant : « Loué
293
soit Dieu qui m'a pourvu d'un vêtement pour me parer devant
les gens et couvrir mes parties intimes ! »
L'explication de ce détachement et de cette justice nous
est fournie par le récit suivant : `Alî se promenait seul dans les
marchés alors qu'il était calife ; il indiquait leur chemin aux
gens et aidait les faibles ; passant devant les vendeurs et les
marchands de légumes, il ouvrait le Coran et leur lisait : « Cette
demeure dernière, Nous l'attribuons à ceux qui ne cherchent
sur la terre ni les honneurs ni la corruption. L'heureuse
issue sera pour les gens pieux. » 1 Puis il disait : « Ce verset a
été révélé à propos des gouvernants justes et humbles et des gens
puissants. »
Ce désir d'obtenir la demeure dernière et une heureuse
issue auprès de Dieu est le secret qui se cache derrière ces nobles
idéaux et ces comportements admirables.
Nous en avons encore un autre exemple avec le sage
calife omeyyade `Omar ibn `Abd al-'Azîz, à propos duquel
Mâlik ibn Dînâr disait : « Les gens disent : Comme Mâlik est
détaché de ce bas-monde ! Mais mon détachement n'est rien à
côté de celui de `Omar ibn `Abd al-`Azîz : ce bas-monde s'est
présenté à lui, la bouche ouverte, et il s'en est totalement
détourné ! »
Lorsqu'il était calife, `Omar n'avait qu'une seule
tunique : quand on la lavait, il restait chez lui jusqu'à ce qu'elle
sèche. Pourtant, il était né et avait grandi dans la richesse.
Un jour, il alla demander à sa femme de lui prêter un
dirham pour acheter du raisin, mais elle n'avait rien. Elle lui dit :
« Tu es le Commandeur des Croyants et tu n'as pas dans tes
caisses de quoi acheter du raisin ? » Il répondit : « Ceci est plus
facile à supporter que les carcans et les chaînes, demain, en
Enfer. »
294
Durant la période, pourtant brève, où il fut au pouvoir, il
s'efforça de réparer les injustices et de donner à chacun son dû.
Son crieur public appelait chaque jour : « Qui est endetté ? Qui
souhaite se marier ? Qui est orphelin ? Qui est pauvre ? » Il finit
ainsi par pourvoir aux besoins de tous ces gens.
Malgré son souci de justice, son détachement, sa rigueur
envers lui-même et ses proches, il invoquait son Seigneur en
disant : « Ô mon Dieu, `Omar n'est pas digne de recevoir Ta
miséricorde, mais il appartient à Ta miséricorde de recevoir
`Omar. »
Un homme fit son éloge et lui dit : « Que Dieu te
récompense de la part de l'islam, Commandeur des Croyants. »
Il répliqua : « Que Dieu récompense plutôt l'islam de ma part. » 1
Il rendait ainsi à chacun son dû, lui qui avait été élevé à
l'école de l'islam, fondu au moule de la foi.
Nous avons relaté ces divers récits pour montrer qu'un
gouvernement qui n'est pas sous la responsabilité de croyants, et
une politique qui n'est pas régie par une conscience croyante,
sont, selon les mots du poète :
« Comme un tambour que l'on entend de loin,
mais dont le coeur est vide de tout bien. »
Ces récits sur 'Omar ibn 'Abd al 'Azîz sont relatés par Ibn Kathîr dans son
ouvrage al-Bidâya wan-nihâya, vol. 9, p. 192 et suivantes.
295
t'a vendu pour dix dirhams ce qui n'en valait que cinq. » Le
Bédouin répondit : « Mais j'ai accepté le prix. » Il dit alors :
« Même si tu as accepté le prix, nous n'acceptons pour toi que ce
que nous accepterions pour nous-mêmes. Choisis l'une de ces
trois solutions : Ou bien tu prendras pour ton argent une pièce
d'étoffe valant dix dirhams, ou bien nous te rendrons cinq
dirhams, ou bien tu nous rendras la pièce d'étoffe et tu
reprendras ton argent. » En fin de compte, il lui rendit cinq
dirhams et le Bédouin repartit. '
Al-Ghazâlî relate également que Yoûnous ibn `Oubayd
vendait des habits à divers prix. Il se rendit à la prière en laissant
son neveu dans la boutique. Un Bédouin vint et demanda à
acheter un habit pour quatre cents dirhams. Le neveu lui
présenta un habit qui en valait deux cents : le Bédouin, satisfait,
l'acheta – pour quatre cents dirhams. Il repartit, l'habit sur le
bras, et rencontra Yoûnous. Celui-ci, reconnaissant son habit,
demanda au Bédouin : «Combien l'as-tu payé ? » Le Bédouin
répondit : « Quatre cents dirhams. » Yoûnous dit : « Il n'en vaut
pas plus de deux cents. Retourne le rapporter. » Le Bédouin
répliqua : « Chez nous, il en vaut cinq cents. Je suis satisfait du
prix. » Yoûnous dit alors : « Viens avec moi. Le bon conseil
dans la religion vaut mieux que ce bas-monde et tout ce qu'il
contient. » Il le ramena à la boutique et lui rendit deux cents
dirhams. Puis il gronda et frappa son neveu en disant : « N'as-tu
pas honte ? Ne crains-tu pas Dieu ? Tu demandes le double du
prix au lieu de bien conseiller les musulmans ? » Le neveu
répondit : « Par Dieu, il était satisfait en l'achetant. » Yoûnous
répliqua : « Et toi, n'étais-tu pas satisfait pour lui de ce dont tu
aurais été satisfait pour toi-même ? »2
296
Les commerçants se laissent souvent emporter par
l'appât du gain ; ils sont parfois cupides, parfois portés à la
tromperie. Mais lorsque la foi a le dessus, l'importance de
l'argent s'estompe devant celle des nobles idéaux et des valeurs
morales.
Ce n'est pas seulement à l'époque des premières
générations des musulmans et des pieux Anciens que la foi avait
une telle influence sur le comportement. C'est vrai encore
aujourd'hui dans tous les pays musulmans, quoiqu'à un degré
moindre qu'autrefois.
Le Professeur Aboû al-Hassan an-Nadawî en donne un
exemple dans un de ses articles [
« Un homme de confiance et d'expérience qui avait
connu l'époque des chérifs au Hedjaz m'a relaté qu'à cette
époque, les commerçants de La Mecque étaient si désintéressés,
si honnêtes et si bien intentionnés les uns envers les autres, que
lorsqu'un client se présentait à la fin de la journée chez un
commerçant qui avait déjà vendu de quoi subvenir à ses besoins
de ce jour et réalisé les bénéfices escomptés, tandis que son
voisin avait eu moins de chance, le commerçant disait gentiment
au client : `Va plutôt à la boutique de mon voisin. Tu y trouveras
la même chose que chez moi. J'ai remarqué qu'il n'avait pas eu
beaucoup de clients aujourd'hui, et il a plus besoin que moi que
tu achètes chez lui. »
L'écrivain autrichien Muhammad Asad 2 décrit à son tour
ses impressions d'une grande ville arabe, Damas :
' Extrait d'un article publié dans la revue Al-ba'th al-islâmî (« Renaissance
islamique »).
2
Muhammad Asad, ou Leopold Weiss, s'est converti à l'islam après avoir
longtemps séjourné en pays musulman. Il a étudié l'islam et la langue arabe et
est l'auteur de nombreux ouvrages dont L'islam à la croisée des chemins et
Le chemin de la Mecque.
297
« Je constatai combien la vie des gens y était empreinte
de paix spirituelle. Leur sécurité intérieure apparaissait dans
leurs rapports mutuels, dans la dignité chaleureuse avec laquelle
ils se saluaient et prenaient congé, dans le comportement des
hommes lorsqu'ils marchaient deux à deux en se tenant par la
main comme des enfants, simplement par amitié, même dans les
relations d'affaires entre marchands. Ces petits commerçants ne
semblaient ressentir ni crainte, ni jalousie les uns envers les
autres, à tel point que chacun pouvait quitter sa boutique et la
laisser à la garde de son voisin et concurrent lorsqu'il lui fallait
s'éloigner pour un moment. Il m'est souvent arrivé de voir un
client potentiel s'arrêter devant une boutique délaissée et hésiter
manifestement à attendre le retour du marchand ou à s'adresser à
la boutique voisine : invariablement le commerçant d'à côté – le
concurrent – venait demander au client ce qu'il voulait et le lui
vendait, non de sa propre marchandise, mais de celle du voisin
absent, puis il déposait l'argent sur la banquette de celui-ci. Où,
en Europe, pourrait-on assister à de telles transactions ? »'
La bienveillance et le désintéressement
L'influence de cette conscience forgée par la foi en Dieu
et au Jour Dernier se manifeste également dans le
désintéressement du croyant et sa bienveillance envers les
autres. Un homme aimait autrefois pour son frère ce qu'il aimait
pour lui-même, il prodiguait pour lui ses efforts et dépensait son
argent et son temps comme il l'aurait fait pour son fils ou son
parent préféré. La foi le rendait parfois si noble qu'il préférait
son frère à lui-même et lui donnait ce dont il avait lui-même
grandement besoin. Il agissait ainsi sans qu'aucune loi ne le lui
demande, sans qu'aucune autorité ne le contrôle ni qu'aucune
menace de punition ne le contraigne à cela. Sa seule motivation
était la foi qui l'incitait à faire le bien volontairement, en ne
298
recherchant que la récompense divine qui est meilleure et plus
durable.
Mâlik rapporte dans son Mouwattâ' que le récit suivant
lui a été relaté : Alors que `Aïcha (que Dieu soit satisfait d'elle)
jeûnait, un pauvre vint lui demander la charité. Elle n'avait rien
d'autre chez elle qu'un pain. Comme elle ordonnait à sa servante
de donner le pain au mendiant, celle-ci lui dit : « Tu n'as rien
pour rompre le jeûne ! » Mais `Aïcha répéta : « Donne-le lui ! »
Et la servante obéit.
Peut-être certains penseront-ils qu'elle avait donné ce
pain parce que ce n'était pas grand-chose. Qu'ils écoutent alors
cet autre récit que nous relatent les historiens et les rapporteurs
de hadîth :
Mou'âwiya ibn Abî Soufyân envoya quatre vingt mille
dirhams à `Aïcha. Celle-ci jeûnait et portait un vêtement usé,
mais elle distribua immédiatement l'argent aux pauvres et aux
nécessiteux, sans rien garder pour elle-même. Sa servante lui
dit : « Mère des Croyants, n'aurais-tu pas pu nous acheter de la
viande pour un dirham, afin que tu rompes le jeûne ? » Elle
répondit : « Petite, si tu me l'avais rappelé je l'aurais fait. » 1
Non seulement, alors qu'elle jeûnait, elle avait préféré un
pauvre à elle-même et lui avait donné son pain sans rien garder
pour rompre le jeûne : dans ce second récit, elle distribua
également des centaines de milliers de dirhams sans se rappeler
son ventre vide ni son vêtement usé.
L'attitude de `Aïcha se retrouve chez la Mère des
Croyants Zaynab bint Jahch, surnommée la mère des pauvres.
Barza bint Bâti' rapporte que lorsque vint le moment de la
distribution, `Omar lui envoya sa part. Lorsque l'émissaire qui
apportait l'argent entra chez elle, elle s'exclama : « Que Dieu
pardonne à `Omar ! Une autre de mes soeurs aurait mieux pu
299
partager cela que moi. » On lui répondit : « Tout cela est pour
toi. » Elle dit : « Gloire à Dieu ! » Elle y prit de quoi acheter un
vêtement pour se couvrir puis dit : « Versez tout et étendez un
vêtement par-dessus. »
La rapporteuse du récit poursuit : Puis elle me dit :
« Plonge ta main et prends une poignée d'argent, puis va la
porter chez untel et chez untel » (des proches et des orphelins
qui dépendaient d'elle). Elle partagea ainsi l'argent jusqu'à ce
qu'il n'en reste qu'un peu sous le vêtement. Barza bint Bâti' lui
dit alors : « Que Dieu te pardonne, Mère des Croyants. Par Dieu,
nous avions droit à une partie de cela. » Zaynab répondit :
« Vous aurez ce qui reste sous le vêtement. » Elle poursuit :
Nous soulevâmes alors le vêtement et nous trouvâmes quatre-
vingt cinq dirhams. '
`Omar ibn al-Khattâb prit quatre cents dinars, les plaça
dans une bourse et dit à son serviteur : « Va porter cela chez
Aboû `Oubayda ibn al-Jarrâh, puis occupe-toi un moment chez
lui afin de voir ce qu'il fera. » Le serviteur apporta la bourse à
Aboû `Oubayda et lui dit : « Le Commandeur des Croyants te
fait dire d'employer cet argent pour tes besoins. » Aboû
`Oubayda dit : « Que Dieu le comble de Ses faveurs et de Sa
miséricorde. » Puis il appela : « Viens, servante. Porte ces sept
dinars à untel, ces cinq à untel, ces cinq à untel... » Et ainsi de
suite, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Le serviteur retourna
chez `Omar et lui fit part de ce qu'il avait vu. Celui-ci, qui avait
préparé une bourse semblable pour Mou'âdh ibn Jabal, lui dit
alors : « Va porter cela à Mou'âdh ; puis occupe-toi un moment
chez lui afin de voir ce qu'il fera. » Le serviteur apporta la
bourse à Mou'âdh et lui dit : « Le Commandeur des Croyants te
fait dire d'employer cet argent pour tes besoins. » Mou'âdh dit :
« Que Dieu le comble de Sa miséricorde et de Ses faveurs.
Viens, servante ; apporte ceci à une telle, cela à une telle ;
300
apporte ceci chez untel. » Une femme survint alors ; c'était la
femme de Mou`âdh, et elle dit : « Par Dieu, nous sommes
pauvres, donne-nous. » Il ne restait plus dans la bourse que deux
dinars : il les lui lança. Le serviteur retourna faire part à `Omar
de ce qui s'était passé. Celui-ci en fut ravi et dit : « Ils sont
frères. » 1
Ibn Sa'd rapporte encore que `Abd ar-Rahmân ibn `Awf
vendit un terrain à `Othmân ibn `Affân pour quarante mille
dinars, puis partagea l'argent entre les pauvres de sa famille, les
nécessiteux de la communauté et les Mères des Croyants. 2
On rapporte également qu'une caravane appartenant à
`Abd ar-Rahmân arriva à Médine, faisant grand bruit parmi la
population. 'Aicha demandant ce qu'il se passait, on lui
répondit : « C'est la caravane de `Abd ar-Rahmân ibn `Awf qui
est arrivée. » `Aïcha dit alors : « J'ai entendu le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) dire : `Il me semble voir
`Abd ar-Rahmân ibn `Awf traverser le Pont, parfois en vacillant
et parfois en marchant droit, jusqu'à ce qu'il finisse par être
sauvé alors qu'il avait failli ne pas l'être.' » Cela parvint aux
oreilles de `Abd ar-Rahmân qui dit : « Je donne la caravane et
tout ce qu'elle contient en aumône. »
Le rapporteur du récit ajoute que les marchandises
transportées par la caravane avaient plus de valeur encore que
les cinq cents montures qui la composaient. Avec quelle facilité
cet homme fit don de tout cet argent et de toutes ces
marchandises dont l'arrivée avait suscité un tel émoi à Médine,
en prononçant ces simples paroles : « Je donne la caravane et
tout ce qu'elle contient en aumône » !
Al-Boukhârî, Mouslim et d'autres rapportent le récit
suivant d'après Anas :
301
Aboû Talha était le plus grand propriétaire de palmiers
de Médine ; de tous ses biens, il préférait sa palmeraie de
Bayrahâ' qui était située en face de la mosquée. Le Prophète
(que la bénédiction et la paix soient sur lui) s'y rendait pour
boire à une source agréable qui s'y trouvait. Anas relate :
Lorsque fut révélé le verset : « Vous n'atteindrez pas la vraie
piété tant que vous ne donnerez pas en aumône de ce que
vous aimez » 1 , Aboû Talha alla trouver le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) et lui dit : « Envoyé de
Dieu, Dieu, qu'Il soit béni et exalté, dit : `Vous n'atteindrez
pas la vraie piété tant que vous ne donnerez pas en aumône
de ce que vous aimez' ; de tous mes biens, c'est Bayrahâ' que je
préfère : j'en fais l'aumône. J'espère obtenir ainsi la piété et une
récompense auprès de Dieu. Envoyé de Dieu, fais-en l'usage que
Dieu t'indiquera. » Le Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) répondit : « Bravo, bravo. Voilà une possession
qui te procurera un gain, voilà une possession qui te procurera
un gain. »
Al-Ghazâlî rapporte dans Ibyâ' `ouloûm ad-dîn ce récit
relaté par Ibn `Omar : On offrit à un Compagnon du Prophète
(que la bénédiction et la paix soient sur lui) une tête de mouton.
Le Compagnon dit : « Untel en a plus besoin que moi », et la lui
envoya. Celui-ci l'envoya à son tour à un autre dont il pensait
qu'il en avait plus besoin que lui. Chacun l'envoya ainsi à un
autre, jusqu'à ce qu'elle revienne au premier après être passée
par sept personnes !
Qu'on ne s'imagine pas qu'il s'agissait là de cas isolés ne
reflétant pas véritablement la société dans son ensemble. Les
exemples de tels comportements abondent, et ils reflètent
fidèlement l'esprit de cette société, sa vision et son attitude
envers les biens matériels et envers la vie.
302
Al-Boukhârî rapporte dans Al-Adab al-moufrid qu'Ibn
`Omar a dit : « Nous avons connu une époque où chacun
considérait que son frère musulman avait plus droit à son argent
que lui-même. »
Rappelons encore ce verset où le Saint Coran évoque
l'esprit de fraternité et de désintéressement des Ansâr, qui
formaient la majeure partie de la société médinoise :
« Et à ceux qui s'étaient établis avant eux en cette
demeure et dans la foi : ils aiment ceux qui ont émigré chez
eux, ils ne trouvent dans leur coeur aucune envie pour ce que
ceux-ci ont reçu et ils se privent en leur faveur même s'ils
sont dans le besoin. Et ceux qui sont prémunis contre leur
propre avarice, voilà ceux qui connaîtront le succès. » 1
Objections et confusions
Nous avons montré précédemment l'influence de la
religion et de la foi dans la formation des valeurs morales et
l'éducation d'une conscience vive. Nous avons donné des
exemples de personnalités humaines forgées par la foi, qui
étaient la vertu en chair et en os.
Toutefois, l'influence de la religion dans l'orientation
morale de l'être humain et la construction de la civilisation est
indéniable et se passe de démonstration. Comme l'a dit un
historien : « La religion a indiscutablement été, dans l'histoire, la
plus grande force qui ait agi pour corriger la brutalité de
l'homme. »
Benjamin Kad considère, quant à lui, que les civilisations
ont toujours été fondées sur les récompenses célestes que la
religion associe à la morale.
Certains objectent à ce lien entre la religion et la morale
que certains athées vivent conformément à la vertu et à la morale
303
alors même qu'ils ne croient pas à la religion. Tard répond à cela
qu'il est convaincu que la vie noble que mènent certains athées
est due à l'influence permanente de leur éducation religieuse, –
ce que Carlyle appelait la lumière persistante du christianisme
(puisqu'il parlait des athées occidentaux élevés dans le
christianisme). Renan, à son tour, faisant remarquer que son
époque vivait éclairée par l'influence de la religion, se
demandait ce qui pourrait éclairer les générations futures.
Comment les gens pourraient-ils en effet gérer les pulsions les
poussant à mentir, à voler et à tuer, lorsque disparaîtrait cette
lumière persistante d'une foi alors à l'agonie ?
Dostoïevski, l'un des plus grands romanciers au monde,
montre dans Les Possédés comment l'homme devient possédé
par le démon dès lors qu'il abandonne Dieu. l
Les croyants ne sont pas les seuls à affirmer cela : les
esprits objectifs, qu'ils soient croyants ou sceptiques,
s'accordent à le reconnaître.
Ainsi par exemple, voici un athée qui tout en considérant
la religion comme une chimère, reconnaît que la vie ne peut être
juste sans elle et pense que la morale ne saurait s'en passer.
Voltaire a dit : « Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer »,
tant était évidente pour lui l'influence positive de la foi en ce
Dieu sur les coeurs et sur la vie. Il a aussi dit à peu près :
« Pourquoi jetez-vous le doute sur Dieu ? Sans Lui, ma femme
me tromperait et mon domestique me volerait. »
Un auteur athée a dit également : « Je ne crois pas à
l'existence de l'Enfer, mais je suis convaincu que sa pensée
éloigne un grand nombre de gens des mauvaises actions. Je
pense que lorsqu'un jeune homme découvre que l'Enfer n'existe
pas il ne fait attention à rien. Le rôle de la morale est de
représenter le tout face à la partie et l'avenir face au présent :
c'est là exactement ce que la religion s'efforce de faire. La
304
religion, comme le dit Hoffding, c'est la préservation des
valeurs, et sans les récompenses religieuses la morale devient
une simple estimation : tout sens du devoir disparaît, et chaque
jeune homme déploie toute son intelligence à trouver le moyen
d'enfreindre les commandements. »
305
« Ce n'est que le Démon qui vous fait craindre ses
partisans : ne les craignez pas, mais craignez-Moi, si vous
êtes croyants. » 1
« Ne les craignez donc pas, mais craignez-Moi ! Ne
vendez pas mes Signes à vil prix. »2
Une tradition dit également : « Celui qui craint Dieu,
Dieu le fait craindre de tout, et celui qui ne craint pas Dieu, Dieu
lui fait tout craindre. »
Toutefois, la crainte que Dieu inspire au croyant est celle
qu'inspire un juge juste sur le point de punir quelqu'un pour ses
fautes, et non pas celle que suscite un tyran qui fait payer les
innocents pour les coupables. Cette crainte est pareille à celle
qu'inspire la colère du père à l'enfant qui s'est écarté du droit
chemin. C'est une crainte mêlée d'espoir dans le pardon de Dieu
et dans Son infinie miséricorde, selon l'attitude décrite par le
Coran :
« Ceux-là même qu'ils invoquent cherchent à se
rapprocher de leur Seigneur, rivalisant d'efforts ; ils
espèrent Sa miséricorde et craignent Son châtiment. » 3
« Et celui qui pratique, durant la nuit, des actes de
dévotion, prosterné et debout, prenant garde à l'Au-delà et
espérant la miséricorde de son Seigneur... » 4
Le Coran nous appelle toujours à une attitude équilibrée
entre la crainte et l'espoir : la crainte ne doit pas nous conduire à
désespérer de la grâce de Dieu, pas plus que l'espoir ne doit
nous pousser à nous croire à l'abri de Son courroux :
« Seuls les perdants se sentent à l'abri du stratagème
de Dieu. » 1
306
« Ne désespèrent de la bienveillance de Dieu que les
mécréants. » 2
Les attributs de Dieu évoqués dans le Coran sont de
nature à conduire à cet équilibre dans le coeur du croyant :
« Celui qui pardonne les péchés, Celui qui accueille le
repentir, Celui qui est sévère dans Sa punition... » 3
« Sachez que Dieu est sévère dans Sa punition, et que
Dieu est pardonneur, plein de miséricorde. » 4
« Informe Mes serviteurs que Je suis, en vérité, le
Pardonneur plein de miséricorde et que Mon châtiment est
le châtiment douloureux. »5
Comment une telle crainte pourrait-elle être contraire à
une éducation idéale ou entraver le développement de la
personnalité ?
307
besoin d'une aide extérieure, même dans les cas les plus
simples.
II était normal, une fois que certains parents éclairés
avaient décidé de se passer des croyances religieuses et les
avaient rejetées, qu'ils se tournent vers une autre source d'aide.
Ils ne trouvèrent rien d'autre à leur disposition que la
psychologie enfantine. Or, la psychologie enfantine n'était pas
encore prête à leur venir en aide : la confiance en cette science
demeurait purement théorique à cette époque, et la
démonstration scientifique en ce domaine en était encore à ses
balbutiements malgré la multiplicité des théories.
Voilà comment les parents en vinrent à accorder foi à ces
théories, dont les principales étaient que les châtiments corporels
étaient néfastes du point de vue psychologique ; qu'il valait
mieux convaincre un enfant de faire quelque chose plutôt que de
l'y contraindre par la force et la violence ; qu'il ne fallait pas
réprimer un enfant, mais qu'au contraire il fallait lui donner
l'occasion de s'exprimer ; qu'il fallait donner de l'argent de
poche aux enfants afin qu'ils comprennent la valeur de l'argent ;
que certains enfants étaient naturellement nerveux ou
hypersensibles, et qu'il ne fallait donc pas les contraindre à faire
ce que faisaient les autres.
Malheureusement, aucune preuve pratique ou
psychologique n'a pu confirmer ces théories : au contraire, leur
fausseté a été démontrée par la suite. » 1
Tout en écartant ces théories qui s'étaient répandues, à
une certaine époque, au nom de la science, Link insiste sur la
nécessité de retourner à la religion et de suivre sa méthode pour
éduquer les enfants, corriger leur comportement et former leur
morale. Il n'y a rien de meilleur pour un enfant que de lui dire :
ceci est bien parce que Dieu l'a ordonné, parce qu'Il l'aime et le
308
récompense par le Paradis, et ceci est mal parce que Dieu l'a
défendu, parce qu'il le déteste et le punit par l'Enfer.
Il réprouve donc l'attitude des parents qui se détournent
de cette méthode simple et convaincante pour employer des
méthodes dont la véracité et l'utilité n'ont pas été prouvées :
« Nous entendons de nombreux parents répéter qu'ils ne
veulent pas envoyer leurs enfants aux cours d'instruction
religieuse ni aux lieux de culte avant qu'ils ne soient en âge de
comprendre ce qu'il s'y passe. La question qui continue à se
poser à eux et qu'ils ne peuvent résoudre est toutefois la
suivante :
Comment ces enfants pourront-ils acquérir ce sentiment
profond qui leur permettra de distinguer l'erreur de la vérité ?
Pourront-ils jamais croire à ces valeurs morales claires
auxquelles nous croyons depuis notre enfance ?
Nous avons dit précédemment que certains actes sont
mauvais et que d'autres sont bons parce que Dieu Tout-Puissant
nous l'a montré, ou autrement dit parce que Ses Écritures nous
le disent. Cette méthode peut paraître primitive et simpliste,
mais il est indéniable qu'elle a une influence positive. Nous
savions au moins, dans une large mesure, distinguer les bonnes
actions des mauvaises. Aujourd'hui, nous nous contentons de
dire à nos enfants que telle action est bonne et que telle autre est
mauvaise parce que nous le pensons, ou parce que la société
s'accorde à la considérer ainsi. Cet argument est-il aussi puissant
et aussi persuasif que celui qu'on employait autrefois ? Peut-il
produire le même effet ? Nos enfants pourront-ils acquérir, sans
qu'il soit nécessaire de recourir à la pression des croyances
religieuses, les valeurs morales fondamentales à la vie – ces
valeurs que nous continuons à accepter et à reconnaître
implicitement même lorsque nous ne reconnaissons plus leur
origine divine ? » 1
309
L'auteur revient sur ce point lorsqu'il aborde la question
du degré de soutien que la religion apporte aux parents dans
l'éducation de leurs enfants et dans la formation de personnalités
nobles :
« Il est évident que les enfants sont différents, que ce soit
par leur nature ou par leur hérédité. Mais pour bonnes que soient
cette nature et cette hérédité, il est impossible d'inculquer les
habitudes élémentaires sans discipline. Et puisque, inversement,
il est inévitable que l'enfant soit quelque peu contrarié par cette
discipline lorsqu'on essaie de développer en lui de bonnes
habitudes, il faut recourir à tous les moyens efficaces et
contraignants qui aideront à accélérer l'acquisition de ces
habitudes. Le fait est que la plupart des parents ont grand besoin
d'être aidés par les conseils d'autrui lorsqu'il s'agit d'inculquer
les habitudes souhaitées à leurs enfants.
En examinant la question tant du point de vue intellectuel
que psychologique, nous nous apercevons que c'est la religion
qui est la principale source d'aide en la matière. La foi en
l'existence de Dieu, en Ses prophètes et Ses Écritures fournit
aux parents une source sûre et digne de confiance vers laquelle
ils peuvent se tourner, et leur assure une importante autorité sur
leurs enfants, une autorité qui leur fait défaut lorsqu'ils ne
croient pas.
Ces parents qui se demandaient comment développer et
former les habitudes morales de leurs enfants en l'absence des
influences religieuses qui avaient constitué leur propre éducation
morale, étaient, en réalité, confrontés à un problème insoluble.
Ils ne trouvaient pas d'alternative suffisante pour remplacer cette
force immense que la foi en un Créateur et en une Loi morale
d'origine divine implante dans le coeur des hommes.
C'est pourquoi les parents qui, par leur culture et leur
pensée, se sont libérés de la foi, se trouvent en proie à des
interrogations continuelles.
310
Comment alors ces parents désorientés pourraient-ils
constituer un soutien pour leurs enfants ?
En l'absence d'un tel soutien fiable de la religion, chaque
parent est obligé de réfléchir et de chercher longuement avant de
pouvoir expliquer à son enfant où se situent la vérité et l'erreur,
le bien et le mal, dans toutes les diverses situations qu'il
rencontre quotidiennement et dans toutes les habitudes variées
qu'il souhaite lui inculquer.
Plus l'enfant grandit et se développe, plus il se trouve
exposé à l'influence des forces multiples et divergentes qui
constituent la société – l'école, les voisins, les camarades – et
plus les choses deviennent difficiles et complexes. L'éducation
est un devoir bien ardu, comme en témoigne la confusion qui
règne de nos jours dans l'esprit de la plupart des parents.
La religion est la seule force qui puisse aider l'homme à
résoudre ces inévitables problèmes moraux et intellectuels qui
ne cessent de perturber les parents, les enfants et la société tout
entière. Nous ne trouverons pas dans ce monde troublé, où
aucune époque ne se passe sans que les gens ne se révoltent
contre le pouvoir en place pour essayer de le changer, d'autre
autorité fiable et durable que celle de Dieu, le Vivant,
l'Immuable.
Un enfant qui a accepté, depuis sa plus tendre enfance,
l'idée de la présence de Dieu en tant que Législateur suprême du
bien et du mal, possède la motivation essentielle qui le poussera
promptement vers l'acquisition des bonnes habitudes. Au lieu de
fonder son comportement sur ce qui lui plaît et ce qui ne lui plaît
pas, il le fondera sur la vérité et l'erreur. Il pourra un jour avoir
envie de désobéir à sa mère, mais il saura très bien qu'il a tort.
Peut-être n'aura-t-il pas envie de rendre à sa mère la monnaie
qui lui reste après avoir fait les courses, mais il saura
parfaitement que ce n'est pas bien. Peut-être encore n'aura-t-il
pas envie de surmonter son égoïsme avec ses camarades de jeu,
mais il fera néanmoins un effort pour cela.
311
Bien entendu, cette méthode est loin d'être simple et
facile, mais elle développe rapidement chez les enfants
l'habitude de distinguer les motivations égoïstes des bonnes
habitudes, de faire la part entre le plaisir et le sentiment du
devoir.
On ne saurait nier qu'apprendre à surmonter sa paresse et
sa méchanceté et à dominer les pulsions naturelles qui se
cachent en soi est le véritable moyen d'acquérir les habitudes
nécessaires à une personnalité réussie. Plus la religion
enseignera à l'enfant les qualités qu'il doit apprendre, plus vite il
acquerra les caractéristiques qui font une personnalité noble. » 1
Le Docteur Link souligne encore que l'instruction
religieuse et la fréquentation des lieux de culte ont une influence
très profonde sur l'esprit de l'enfant et portent les meilleurs des
fruits, comme l'ont confirmé les expériences et les comparaisons
entre les enfants. Il dit à ce propos :
« Quels que soient les défauts que l'on peut constater
dans les lieux de culte et dans les sermons religieux, ces lieux
nous aident néanmoins à inculquer à nos enfants les principes
corrects de la vérité et de l'erreur et la distinction entre ce qui est
égoïste et ce qui ne l'est pas. Ils nous aident également à leur
inculquer la foi en Dieu et l'adhésion à Sa Loi morale divine en
tant que source de ces principes. Ils ont donc une utilité
immense pour les parents et la société, leur permettant de
développer les principes indispensables à la formation d'un
comportement moral et d'une personnalité réussie. Il n'est donc
nullement étonnant que l'expérience évoquée ci-dessus nous
indique qu'un enfant qui écoute des leçons d'instruction
religieuse possède de meilleures qualités personnelles qu'un
autre qui n'en écoute pas, et qu'un enfant dont les parents
fréquentent un lieu de culte a une meilleure personnalité qu'un
autre dont les parents n'y vont pas.
312
Il m'est apparu, après une étude complète portant sur dix
mille personnes, que les gens qui fréquentent assidûment les
lieux de culte ont une personnalité meilleure que ceux qui ne s'y
rendent pas. » 1
Sans s'arrêter là, il insiste sur la nécessité de donner cette
instruction religieuse aux enfants dès le plus jeune âge et de les y
habituer très tôt, même s'ils ne comprennent pas encore tout ce
qu'on leur dit. Il considère qu'on commet une erreur et qu'on
prend un risque si on attend, pour donner une telle instruction,
que l'enfant soit en âge de tout comprendre :
« Le meilleur moment pour apprendre à un enfant à
soumettre ses pulsions au contrôle de valeurs supérieures, c'est
justement l'âge où il est capable d'accepter ce qu'on lui dit sans
le comprendre.
Les parents qui décident de ne pas faire suivre
d'instruction religieuse à leurs enfants tant qu'ils ne sont pas en
âge de comprendre ce qu'ils entendent suivent en réalité un
principe destructeur, car il est trop tard pour corriger les
mauvaises tendances lorsque l'enfant a atteint un âge où il peut
comprendre tout ce qui l'entoure. De précieuses années ont alors
été perdues. » 2
L'auteur conclut sa discussion de la question de
l'éducation par ces lignes pertinentes :
« Le domaine de l'enseignement a le plus grand besoin
de réunir les valeurs et les vérités fondamentales quant à la
nature humaine et à sa constitution, afin qu'il soit possible de
préserver les nobles traditions acquises par l'espèce humaine et
de leur réserver la place qui leur revient, et afin qu'il soit
possible également de soumettre l'arrogance de l'esprit à un
mode de vie non fondé sur l'égoïsme. Or, on ne trouvera que la
Ibid., p. 122.
2
Ibid., p. 130.
313
religion pour réunir les valeurs anciennes d'autrefois et les
idéaux modernes d'aujourd'hui. » 1
` Ibid., p. 181.
314
tout cela. Ils revinrent en particulier sur la question de la
`conscience'.
Lorsqu'ils passèrent en revue l'histoire, les événements
et les témoignages afin d'en tirer des enseignements quant à la
question de la conscience, ils s'aperçurent, comme le dit le
Professeur André Cresson, `que les gens ont toujours et partout
consulté leur conscience, mais que celle-ci ne leur inspire pas
toujours la même chose : ce qui paraît juste et bon à certains
coeurs sincères à une époque donnée, ne paraîtra pas juste et bon
à d'autres coeurs, sincères eux aussi, mais vivant à une autre
époque ou en un autre lieu. ° La comparaison des états de la
conscience à diverses époques en fournira de nombreux
exemples.
Voici quelques exemples cités par le Professeur André
Cresson :
« Dans l'Antiquité gréco-romaine, l'esclavage était
permis : les coeurs les plus nobles trouvaient alors normal qu'on
vende les hommes, les femmes et les enfants et qu'on les traite
comme des marchandises.
Les anciennes lois romaines faisaient de la femme et des
enfants des possessions du mari, comme s'il s'agissait de
marchandises ou de bétail. C'est pourquoi le père avait, entre
autres, le droit de mettre en vente au marché public sa fille qui
venait de naître, s'il avait déjà une autre fille. Sans remonter si
loin, nos prédécesseurs considéraient qu'il était légal d'appliquer
un châtiment sur une simple présomption de culpabilité, et cela
ne les dérangeait nullement de voir pendre un homme pour un
menu larcin. »
Lorsque nous comparons les états de la conscience, à une
même époque, chez les hommes de diverses régions du monde,
nous y trouvons encore d'innombrables différences.
315
Ce qui donne le plus à réfléchir, c'est toutefois le
phénomène de la différence entre les consciences dans un même
milieu, dans une même société moderne et civilisée.
Après avoir cité de nombreux exemples évoqués par le
chercheur français André Cresson, le Docteur `Abd al-Halîm
Mahmoûd poursuit :
« Ces exemples ne sont qu'une goutte d'eau dans
l'océan, parmi tout ce qui permet de démontrer que les
consciences diffèrent d'un lieu à un autre, ou en fonction des
différences culturelles au sein d'un même milieu. Nous en
trouverons d'innombrables exemples si nous comparons les
consciences des Arabes de l'époque préislamique et celles de ces
mêmes Arabes à l'époque musulmane, ou encore si nous
comparons les consciences des païens de La Mecque et celles
des musulmans qui y vivaient aux débuts de l'islam, etc. Toutes
ces comparaisons permettent de conclure qu'il serait sot et
absurde de faire de la conscience le fondement ou le critère de la
morale.
L'une des confusions qui ont conduit les gens à accorder
une si grande place à la conscience est l'idée largement répandue
selon laquelle la conscience serait une force innée, naturellement
infaillible. Mais l'étude précédemment évoquée montre
clairement que si la conscience est effectivement une force
innée, elle n'est nullement infaillible car elle est éduquée et
modelée avant de prendre forme.
Même si la conscience est une force innée, elle est
modelée par la culture et l'héritage qu'elle reçoit. Ainsi, elle
diffère chez le même individu aux divers âges de la vie, elle se
modifie lorsque cet individu passe d'un milieu à un autre,
suivant les livres qui cultivent son esprit ou éduquent son âme,
suivant les amis qu'il fréquente tour à tour au cours de sa vie.
La conscience est donc sujette à de multiples variations ;
elle ne demeure pas stable : même si, exceptionnellement, elle
conservait la même attitude envers une question donnée, elle
316
subirait néanmoins des variations quant à son degré de certitude
ou de modération.
La seule solution correcte est donc de recourir à la
religion pour fournir les fondements de la morale, et de nous
laisser guider par ses enseignements : c'est en effet la seule
source infaillible.
La religion musulmane apporte, dans le domaine moral,
tout ce que peuvent souhaiter les coeurs assoiffés de justice,
comme le soulignent les plus grands philosophes musulmans.
Ibn Sînâ (Avicenne), par exemple, a évoqué cette
question à maintes reprises dans ses nombreux ouvrages,
soulignant que la religion musulmane a apporté le système moral
et législatif le plus complet, tant au niveau de la société qu'à
celui de la famille et de l'individu.
La relation entre la religion et la conscience est une
relation de domination et d'orientation : la religion domine la
conscience, toute la vie durant ; si parfois il arrive qu'à un
certain moment cette domination s'interrompe, la conscience,
déséquilibrée, se met à varier et à fluctuer. Elle a en effet besoin
d'un maître et d'un guide, qui ne saurait être que la religion. »
317
Les qualités morales liées à la foi
La générosité et le sacrifice
318
plus qu'un être cupide et avare, ne pensant qu'à son propre
intérêt sans se soucier de celui des autres, ne sachant que
recevoir et incapable de donner, voulant le profit sans l'effort,
attaché à ses droits et à ses possessions mais oublieux de ses
devoirs.
Malheur à une société où règnerait un tel esprit, et où
chacun ne penserait qu'à lui-même avant de penser à la
communauté !
L'homme, abandonné à son instinct individuel, recherche
avant tout la sécurité. Il ne souhaite pas s'exposer au danger ou à
la souffrance pour une idée, une mission ou un intérêt supérieur.
Un tel état d'esprit est donc un frein au progrès, à
l'épanouissement de la civilisation et du bien. En effet, les
messages des prophètes, les idées des réformateurs, ne
triomphent que grâce au sacrifice d'hommes et de femmes qui
font passer leurs idéaux avant leur personne, leurs biens et tout
ce qui leur est cher. Cela n'est pas vrai uniquement dans le
domaine des idées et des valeurs : tous les grands projets, tous
les changements importants qui ont affecté la civilisation
humaine, dans le domaine de l'économie, du commerce ou de
l'industrie, ont eu pour origine le sacrifice et la volonté de
prendre des risques. L'homme qui n'a pas d'autre préoccupation
que la sécurité ne peut rien réaliser dans sa vie. Comme l'écrit le
poète at-Toughrâ'î :
« L'amour de la sécurité détourne des hautes valeurs et
incite à la paresse ;
Si tu t'y abandonnes, alors retire-toi dans un trou dans la
terre ou sur une échelle dans le ciel. »
Aboû at-Tayyib a dit :
« Laisse-moi atteindre les sommets que l'on ne peut
atteindre / les sommets sont pénibles et les plaines faciles
Tu voudrais parvenir aux hauteurs à bas prix / mais qui
veut le rayon de miel doit supporter la piqûre des
abeilles »
319
Une société qui recherche l'essor, qui veut faire rayonner
sa civilisation et son message, a besoin de tous les efforts
d'esprits actifs, de bras vigoureux, de volontés sans faille. Elle a
besoin de gens qui pensent à donner avant de recevoir, à
accomplir leurs devoirs avant de revendiquer leurs droits ; de
gens qui sont heureux de quitter leur famille et leur foyer pour
servir leur patrie, de donner leurs biens et même leur vie si
nécessaire, de sacrifier leur intérêt particulier pour l'intérêt
général, d'accepter toutes les privations pour voir triompher la
vérité ou le bien, de souffrir ou de mourir pour l'idéal auquel ils
croient.
Où de tels hommes peuvent-ils se trouver ? À quelle
école sont-ils formés ?
L'école sans pareille qui forme de tels hommes, c'est
l'école de la foi. C'est la foi, en effet, qui conduit l'homme à
mépriser ses désirs et les biens de ce monde. C'est elle qui le
conduit à se contenter de manger pour ne pas avoir faim, de se
vêtir pour ne pas être nu, de vivre de peu, d'être logé
modestement. Mû par la foi, l'homme est prêt à dépenser ses
biens, à quitter son foyer et sa famille, à donner sa vie. Il se
lance dans la mêlée, calme et serein, la conscience en paix. Et si
la mort l'atteint sur le champ de bataille, c'est avec joie qu'il la
reçoit, car il est convaincu de gagner ainsi le Paradis, – « mais la
satisfaction de Dieu est plus grande encore. »'
L'homme est ainsi fait qu'il ne donne pratiquement
jamais s'il n'a pas quelque chose à recevoir en échange. Son
coeur recherche toujours une juste rétribution de ses efforts.
C'est pourquoi les philosophes matérialistes ont tenté de
satisfaire cette tendance naturelle par des récompenses morales
dissociées de la religion, au moyen de ce qu'ils appellent « la
conscience » qui récompense ceux qui font le bien et
accomplissent leur devoir par la satisfaction et la paix intérieure.
320
Mais ils n'ont pu résoudre le problème de la rétribution
de celui qui se sacrifie et meurt en martyr au nom de la vérité. La
paix de la conscience n'a plus lieu d'être après la mort selon le
raisonnement des matérialistes, puisque pour eux la mort est une
disparition définitive. Seule la foi en Dieu et en l'Au-delà peut
résoudre ce problème. Le sacrifice au nom de la religion satisfait
cette tendance de l'être humain : ce que le croyant a donné lui
revient maintes fois multiplié ; l'argent qu'il dépense, Dieu le lui
rend ; la souffrance qu'il a subie, Dieu la compense ; et s'il a
donné sa vie dans la voie de Dieu, il n'est pas réellement mort,
mais il est vivant auprès de son Seigneur. Le Coran nous dit à ce
propos :
« Tout ce que vous dépensez dans le bien vous sera
largement rendu et vous ne serez pas lésés. »1
« Tout ce que vous dépensez, Il le remplace : c'est Lui
le meilleur des Dispensateurs. » 2
« Si vous êtes tués dans la voie de Dieu ou si vous
mourez, un pardon et une miséricorde de Dieu valent mieux
que ce qu'ils amassent. » 3
« Et ceux qui auront été tués dans la voie de Dieu, Il
ne rendra pas leurs oeuvres vaines. Il les guidera et
améliorera leur condition, et Il les fera entrer au Paradis
qu'Il leur aura fait connaître. » 4
Tout effort, concret ou moral, grand ou petit, que le
croyant fournit dans la voie de Dieu, est inscrit à son actif dans
son « compte » de bonnes actions auprès de Dieu. Rien n'en est
perdu, fût-ce le poids d'un atome, pas même un pas qu'il fait ou
un sou qu'il dépense, pas même une sensation de faim, de soif
ou de fatigue :
321
« Car ils n'éprouveront ni soif, ni fatigue, ni faim
dans la voie de Dieu, ils ne fouleront aucune terre en
provoquant la colère des mécréants, ils n'obtiendront aucun
avantage sur un ennemi, sans qu'il ne leur soit inscrit pour
cela une bonne action : Dieu ne laisse pas perdre la
récompense de ceux qui font le bien. Ils ne feront aucune
dépense, minime ou importante, ils ne traverseront aucune
vallée, sans que cela ne soit inscrit à leur actif, de sorte que
Dieu les récompense pour le meilleur de ce qu'ils faisaient. » 1
Il n'est donc pas étonnant que l'histoire d'une religion
telle que l'islam abonde en exemples admirables d'abnégation,
de sacrifice et de lutte dans la voie de Dieu.
1
Sourate at-Tawba, « Le repentir », versets 120-121.
2
Sourate at-Tawba, « Le repentir », verset 41.
322
équipement. » Ils préparèrent donc son équipement pour la
guerre et il s'embarqua pour une campagne maritime. Il mourut
en mer, et ses compagnons ne trouvèrent une île pour l'enterrer
qu'au bout de sept jours ; ils l'y enterrèrent alors – que Dieu soit
satisfait de lui.
Sa`îd ibn al-Mousayyib partit au combat et y perdit un
oeil. On lui dit : « Te voilà infirme. » Il répondit : « Dieu a appelé
tous les hommes au combat, qu'ils soient légers ou lourds. Si je
ne peux pas me battre, je grossirai les rangs des troupes et je
garderai les bagages. »
Lors d'une campagne militaire en Syrie, l'un des
combattants vit à ses côtés un homme dont les sourcils
tombaient sur ses yeux tellement il était âgé ; il lui dit : « Ô mon
oncle, Dieu t'a exempté du combat. » Mais le vieillard répondit :
« Fils de mon frère, il nous a été ordonné de partir au combat,
légers ou lourds. » 1
On rapporte également que lors des campagnes, le père et
le fils, impatients de participer au jihâd, tiraient au sort pour
désigner celui d'entre eux qui partirait. Si le fils était désigné,
son père lui disait : « Laisse-moi ta place, mon fils, je suis ton
père ! » Et le fils répondait : « Il s'agit du Paradis, mon père !
S'il s'agissait d'autre chose, par Dieu je te laisserais ma place. »
`Amr ibn al-Jamoûh al-Ansârî boitait fortement ; il avait
quatre fils en âge de combattre, qui participaient aux campagnes
avec le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui). Le
jour de la bataille d'Ouhoud, il demanda à ses fils de lui préparer
un équipement pour le jihâd. Ceux-ci lui dirent : « Dieu t'a
accordé une dispense ; reste donc en arrière, et nous combattrons
pour toi, puisque Dieu t'a exempté du jihâd. » `Amr alla trouver
le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) et lui
dit : « Mes fils que voici veulent m'empêcher de combattre à tes
Ces récits sont cités par l'imam al-Qourtoubî dans son Commentaire du
Coran, pour expliquer les mots « légers ou lourds » dans le verset ci-dessus.
323
côtés, mais par Dieu, je voudrais tomber en martyr et fouler en
boitant comme je le fais le sol du Paradis ! » Le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) lui dit : « Toi, Dieu t'a
dispensé du jihâd. » Puis il dit à ses fils : « Rien ne vous
empêche de le laisser faire : ainsi peut-être Dieu Tout-Puissant
lui accordera-t-Il le martyre. » `Amr partit donc au combat avec
le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) et fut tué
en martyr à Ouhoud. Le Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) dit aux Ansâr à son sujet : « Il est parmi vous, ô
vous les Ansâr, des hommes dont, s'ils jurent par Dieu, Dieu
réalise les serments : l'un d'eux est `Amr ibn al-Jamoûh. »
Voici un autre exemple de sacrifice : celui d'un homme
qui a tourné le dos au bien-être, à la richesse, à une vie agréable,
pour accepter les privations, les épreuves et la souffrance dans la
voie de Dieu.
Qu'est-ce qui a poussé un jeune homme comme Mous'ab
ibn `Oumayr, élévé dans le confort et l'opulence, par des parents
qui l'aimaient et le choyaient, le nourrissaient et l'habillaient de
ce qu'il y avait de mieux, le couvraient de soins et d'attentions,
qu'est-ce qui a poussé un jeune homme comblé comme celui-là
à abandonner une vie si douce et si heureuse pour une vie rude
faite de dangers et de peines, de combat et d'exil ? Qu'est-ce qui
l'a poussé à accepter d'être séparé de sa famille et de sa terre
natale, à se détourner de la richesse et de la puissance et à
s'exiler au nom de la religion, d'abord en Abyssinie puis à
Médine, où il mourut en martyr à la bataille d'Ouhoud et fut
enterré avec pour tout linceul une pièce d'étoffe trop petite pour
couvrir son corps, de sorte que si l'on couvrait sa tête ses pieds
restaient découverts tandis que si l'on couvrait ses pieds sa tête
restait découverte ? Ce qui l'y a poussé, c'était la foi.
Ibn Sa'd rapporte ces propos de Mohammed ibn
Chourahbîl al-'Abdarî, un proche de Mous'ab ibn `Oumayr, au
sujet de ce dernier : Mous'ab ibn `Oumayr était le plus beau
jeune homme de La Mecque. Ses parents l'aimaient. Sa mère,
qui était très riche, l'habillait des vêtements les plus beaux et les
324
plus fins. Il était, parmi les Mecquois, celui qui se parfumait le
mieux, et il portait des sandales du Yémen. Le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) appelait alors à l'islam dans
la maison d'al-Arqam ibn Abî al-Arqam. Mous'ab ibn `Oumayr
s'y rendit, crut en lui et embrassa l'islam. Rentrant chez lui, il
tint sa conversion secrète par crainte de sa mère et de son clan.
Ceux-ci le retinrent prisonnier, jusqu'au jour où il partit pour
l'Abyssinie lors de la première émigration. Il revint ensuite avec
les musulmans lorsque ceux-ci revinrent : il avait changé et était
devenu plus rude.
Khabbâb ibn al-Arath relate : Nous émigrâmes avec le
Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui),
recherchant la face de Dieu et comptant sur Lui pour notre
salaire. Certains d'entre nous moururent avant d'avoir rien reçu
de leur salaire. Mous'ab ibn `Oumayr en faisait partie. Il fut tué
à Ouhoud et on ne trouva rien qui suffise à lui faire un linceul,
sauf un manteau rayé : si nous lui en couvrions la tête, ses pieds
restaient découverts, et si nous lui en couvrions les pieds sa tête
restait découverte. Le Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) nous dit alors : « Couvrez sa tête et le haut de son
corps, et couvrez-lui les pieds avec des rameaux d'idhkhir. »
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
se tint debout près du corps de ce jeune homme, enveloppé d'un
manteau pour tout linceul, et dit, les yeux pleins de larmes : « Je
t'ai vu à La Mecque où nul n'était plus finement vêtu ni plus
soigné que toi, et te voici, hirsute, dans un manteau. »
`Oubayd ibn `Oumayr relate encore que le Prophète (que
la bénédiction et la paix soient sur lui) se tint debout près de
Mous'ab ibn `Oumayr qui gisait, face contre terre, et récita ce
verset : « Il est parmi les croyants des hommes qui ont tenu
sincèrement leur engagement envers Dieu ; certains d'entre
325
eux ont atteint leur fin et d'autres attendent encore, et ils
n ' ont aucunement varié. » 1
Voici encore un exemple de sacrifice, le sacrifice des
biens matériels cette fois, que nous relate Zayd ibn Aslam (que
Dieu soit satisfait de lui) :
Lorsque fut révélé le verset : « Quiconque prêtera
largement à Dieu... »2 , Aboû ad-Dandâh s'exclama : «Envoyé
de Dieu, toi pour qui je donnerais mon père et ma mère ! Dieu
nous demande donc un prêt, alors qu'Il se suffit à Lui-même et
ne saurait avoir besoin de prêt ? » Il répondit : « Oui, Il veut par
cela vous faire entrer au Paradis. » Aboû ad-Dandâh dit alors :
« Si je fais un prêt à mon Seigneur, Il m'assurera grâce à cela le
Paradis ainsi qu'à ma femme ? » Le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) répondit : « Oui. » Aboû ad-
Dandâh lui dit alors : « Donne-moi ta main. » Le Prophète (que
la bénédiction et la paix soient sur lui) lui donna sa main. Il
poursuivit : « J'ai deux palmeraies, l'une dans la partie basse,
l'autre dans la partie haute de Médine. Par Dieu, je ne possède
rien d'autre. J'en fais un prêt pour Dieu Tout-Puissant. » Le
Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) répondit :
« Attribue l'une d'elles à Dieu, et garde l'autre pour te faire
vivre ainsi que ta famille. » Aboû ad-Dandâh dit alors : « Je te
prends à témoin, Envoyé de Dieu, que j'attribue la meilleure des
deux à Dieu Tout-Puissant. C'est une palmeraie close qui
compte six cents palmiers. » Le Prophète (que la bénédiction et
la paix soient sur lui) répondit : « Dieu t'accordera donc le
Paradis pour récompense. » Aboû ad-Dandâh se rendit ensuite à
cette palmeraie où il trouva Oumm ad-Dandâh qui ramassait les
dattes sous les palmiers avec ses enfants. Il se mit à dire :
1
Sourate al-Ahzâb, « Les coalisés », verset 23.
2
Sourate al-Baqara, « La vache », verset 245 ; sourate al-Hadîd, « Le fer »,
verset 11.
326
« Le Seigneur t'a guidée vers la voie de la droiture, la
voie du bien et de la rectitude
Quitte le verger clos de bon coeur, il a été prêté jusqu'au
Jour dernier
Je l'ai prêté à Dieu en toute obéissance, sans hésitation ni
arrogance,
Dans le seul espoir de la rétribution future : sors donc
avec tes enfants
La piété est, c'est sûr, la meilleure provision qu'on puisse
préparer pour le Jour du Jugement. »
Oumm ad-Dandâh répondit : « Que cette vente te
rapporte ! Que Dieu bénisse pour toi ce que tu as acheté ! » Puis
elle se mit à déclamer à son tour :
« Que Dieu t'annonce le bonheur et la joie, un homme
comme toi a fait sincèrement son devoir
Dieu a fourni à mes enfants leur subsistance grâce aux
dattes en abondance
L'homme s'efforce et recevra le fruit de sa peine, et pour
ce qu'il a fait il sera jugé. »
Puis Oumm ad-Dandâh reprit à ses enfants les dattes
qu'ils avaient dans la bouche et dans leurs vêtements et les
emmena à l'autre palmeraie. Le Prophète (que la bénédiction et
la paix soient sur lui) dit : « Combien de lourds palmiers et
quelle vaste demeure aura Aboû ad-Dah_dâh ! » – c'est-à-dire au
Paradis.
L'histoire de l'islam, l'histoire des prophètes et de ceux
qui ont suivi leur voie à toutes les époques, abonde en exemples
vivants de dévouement admirable et de sacrifice au nom de la
vérité. De tels comportements ne peuvent être produits que par
la foi.
327
La force
328
insignifiants, incapables d'aider un ami, d'effrayer un ennemi ou
de contribuer au progrès.
329
me laissez aucun répit : je m'en remets à Dieu, mon Seigneur
et votre Seigneur ! Il n'y a pas un être animé qu'Il ne tienne
en Son pouvoir. Mon Seigneur est, certes, sur une voie
droite.' » 1
Chou'ayb réagit de la même façon devant les menaces de
son peuple : « Les notables de son peuple qui s'étaient
enorgueillis dirent : `Nous te chasserons certes de notre cité,
ô Chou'ayb, ainsi que ceux qui ont cru avec toi, à moins que
vous ne reveniez à notre religion.' Il répondit : `Même si cela
nous répugnait ? Nous forgerions assurément un mensonge
contre Dieu si nous revenions à votre religion après que Dieu
nous en a sauvés. II ne nous appartient pas d'y revenir, sauf
si Dieu, notre Seigneur, le veut : notre Seigneur embrasse
tout de Sa science, c'est à Dieu que nous nous en
remettons.' »2
Moïse dit à son peuple, après l'avoir éloigné des troupes
du Pharaon : « `Ô mon peuple ! Si vous croyez en Dieu,
remettez-vous en à Lui, si vous êtes soumis (musulmans) !'
Ils dirent : `A Dieu nous nous en remettons. Notre Seigneur,
ne fais pas de nous une tentation pour les injustes, et sauve-
nous des mécréants par Ta miséricorde.' » 3
Tous les prophètes se sont ainsi fermement attachés à la
confiance en Dieu face à l'obstination de leurs concitoyens et
aux persécutions qu'ils leur faisaient subir : « Comment ne
nous en remettrions-nous pas à Dieu, alors qu'Il nous a
montré la voie ? Nous supporterons assurément avec
patience ce que vous nous faites subir. C'est à Dieu que
doivent s'en remettre ceux qui Lui font confiance. » 4
330
La foi en la vérité
331
Il n'est pas une créature laissée à elle-même, il n'est pas
quantité négligeable. Il est le lieutenant de Dieu sur terre. Même
si les partisans de l'erreur font cause commune contre lui, il a
Dieu pour Maître et il a pour soutien Gabriel, les bons croyants
et les anges de surcroît. Comment donc le croyant faiblirait-il
face à des hommes alors qu'il a le soutien des anges ? Comment
s'inclinerait-il devant des créatures alors que le Créateur est avec
lui ?
« Ceux à qui on disait : `Les gens ont rassemblé leurs
forces contre vous, craignez-les' ; mais leur foi en fut accrue
et ils dirent : `Dieu nous suffit, quel excellent protecteur !'
Ils revinrent avec, de la part de Dieu, un bienfait et une
grâce, et aucun mal ne les toucha. »'
C'est cette foi qui permit à une poignée de jeunes
hommes comme les Gens de la Caverne de s'opposer, avec leur
foi, à un tyran et à un peuple fanatique et impitoyable, malgré
leur petit nombre et leur faiblesse :
« Nous allons te relater leur histoire en toute vérité.
Ils étaient des jeunes gens qui croyaient en leur Seigneur, et
Nous les guidâmes plus encore. Nous affermîmes leur coeur,
lorsqu'ils se levèrent pour dire : `Notre Seigneur est le
Seigneur des cieux et de la terre, nous n'invoquerons aucune
divinité en dehors de Lui : nous proférerions alors un
blasphème. Voilà que nos concitoyens ont adopté des
divinités en dehors de Lui. Que n'apportent-ils à leur sujet
une preuve évidente ! Qui donc est plus injuste que celui qui
forge un mensonge contre Dieu ?' » 2
La foi en l'éternité
Le croyant tire également sa force de l'éternité en
laquelle il croit : sa vie ne se limite pas à ces jours comptés qu'il
332
passe dans des lieux restreints ; c'est une vie éternelle, et il ne
fait que passer d'une demeure à une autre :
« Et la mort n'est qu'un voyage / de la demeure
éphémère à la demeure éternelle ».
Lors de la bataille de Badr, 'Oumayr ibn al-Houmâm al-
Ansârî entendit le Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui) dire à ses Compagnons : « Par Celui qui détient mon
âme en Son pouvoir, tout homme qui les combattra (les
mécréants) aujourd'hui et qui sera tué en supportant son sort
avec patience, en espérant la récompense divine et en faisant
face à l'ennemi, Dieu le fera entrer au Paradis. » 'Oumayr
s'exclama : « Eh bien, eh bien ! » Le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) lui demanda : « Qu'est-ce
qui t'étonne, Ibn al-Houmâm ? » 'Oumayr dit : « Tout ce qui me
sépare du Paradis, c'est donc de m'avancer, de combattre ces
hommes et d'être tué ? » « Mais oui », répondit le Prophète (que
la bénédiction et la paix soient sur lui). 'Oumayr avait à la main
des dattes qu'il était en train de manger. Il s'exclama : « Vivrai-
je jusqu'à ce que j'aie fini de manger ces dattes ? Ce serait une
trop longue vie ! » Et, jetant les dattes qu'il avait à la main, il se
lança dans le combat en disant :
« Je m'élance vers Dieu sans autre provision que la piété,
l'espoir de l'Au-delà
Et la patience pour Dieu au combat ; toute provision un
jour s'épuisera
Sauf la piété, la patience et la droiture. »
De même, Anas ibn an-Nadr combattit comme un héros à
Ouhoud et, rencontrant Sa'd ibn Mou'âdh, il lui dit : « Ô Sa'd,
par Dieu, je sens l'odeur du Paradis derrière le mont Ouhoud ! »
La croyance au destin
Le croyant tire également sa force de sa croyance au
destin. Il sait que lorsqu'un malheur l'atteint, c'est par la
permission de Dieu. Il sait que si les djinns et les hommes
333
s'unissaient pour lui apporter quelque bien, ils ne pourraient lui
apporter que le bien que Dieu lui a destiné, et que s'ils
s'unissaient pour lui nuire ils ne pourraient lui faire d'autre mal
que ce que Dieu lui a destiné.
« Dis : Rien ne nous atteindra sauf ce que Dieu nous a
destiné. C'est Lui notre Maître. C'est à Dieu que doivent
s'en remettre les croyants. » 1
Le croyant est convaincu que Dieu détermine à l'avance
sa part de richesses et l'heure de sa mort, et que nul ne peut
l'empêcher d'obtenir la part que Dieu lui a attribuée ni abréger
la vie que Dieu lui a prescrite. Cette conviction lui procure une
confiance sans limite et une force indomptable.
Ainsi, il arrivait qu'un homme partant pour le jihâd
rencontre en chemin des gens qui, cherchant à le décourager, lui
demandaient comment ses enfants allaient faire sans lui ; il
répondait alors : « Il nous appartient d'obéir au Tout-Puissant
comme Il nous l'a ordonné, et il Lui appartient de nous dispenser
notre subsistance comme Il nous l'a promis. »
Il arrivait que les défaitistes et ceux qui voulaient faire
obstacle au jihâd aillent trouver une femme pour susciter son
inquiétude quant à savoir qui la nourrirait, elle et ses enfants, si
son mari partait au jihâd ; elle répondait alors : « J'ai vu mon
époux se nourrir, mais je ne l'ai pas vu nous dispenser notre
subsistance : si celui qui se nourrit s'en va, le Dispensateur
demeure ! »
'Ali ibn Abî Tâlib se lançait dans la bataille en disant :
« Lequel de ces deux jours fuirais-je donc la mort : un
jour non destiné ou un jour destiné ?
Un jour non destiné, je ne saurais le craindre, et craindre
le destin ne peut en préserver. »
334
Jamâl ad-Dîn al-Afghânî a dit : « La croyance au destin,
si elle est exempte de fatalisme, a pour conséquence l'audace et
la hardiesse, une intrépidité qui pousse les hommes à affronter
des périls qui feraient frémir un lion. Cette croyance empreint
les âmes de fermeté, d'endurance, de combativité ; elle les orne
de noblesse et de générosité, et les incite à quitter tout ce qui
leur est cher, à tout sacrifier, jusqu'à la vie même, au nom de la
vérité.
Celui qui croit que le terme de sa vie est fixé à l'avance,
que Dieu assure sa subsistance, que Dieu a pouvoir sur toute
chose et dirige le monde selon Sa volonté, ne craindra pas
d'affronter la mort pour défendre son droit, pour faire triompher
sa nation ou sa religion et pour accomplir les devoirs que Dieu
lui a prescrits.
Au début de leur histoire, les musulmans ont conquis des
royaumes et des territoires immenses. Ils ont stupéfait les esprits
en soumettant les nations, en étendant leur domination des
Pyrénées à la muraille de Chine, alors même qu'ils étaient peu
nombreux et n'avaient pas l'habitude des climats et des reliefs
variés qu'ils rencontraient. Ils soumirent les rois, assujettirent les
empereurs, tout cela en moins de quatre-vingts ans : c'est là un
des faits les plus extraordinaires de l'histoire.
Ils écrasèrent des royaumes, faisant régner à leur place la
justice et le progrès. Ils domptèrent les montagnes sous les
sabots de leurs chevaux. Dans tout cela, ils étaient guidés par
leur croyance au destin.
C'est cette croyance qui a affermi les pas de ces troupes
peu nombreuses face à des années immenses qu'elles ont
obligées à battre en retraite en abandonnant leurs positions. » 1
1
Jamâl ad-Dîn al-Afghânî, Al-'Ourwa al-wouthqâ (« L'anse la plus solide »),
p. 53.
335
La croyance à la fraternité
La force du croyant provient encore de la présence de ses
frères croyants. Il sait qu'ils sont proches de lui comme il est
proche d'eux, qu'ils l'aident lorsqu'il est présent et le protègent
lorsqu'il est absent, qu'ils le consolent dans le malheur, lui
tiennent compagnie dans la solitude, lui prennent la main s'il
trébuche, le soutiennent s'il faiblit. Il sent qu'ils participent à ses
efforts et lui procurent de la force lorsqu'il se bat. Lorsqu'une
troupe de mille croyants combat, chacun d'entre eux a
l'impression de combattre à lui seul avec la force de mille
hommes ; il sent que ces mille hommes vivent en lui comme lui-
même vit en eux, tant ils sont unis par un sentiment d'amour et
de sollicitude mutuelle. Ainsi, chaque croyant ayant la force de
mille hommes, une troupe qui numériquement est composée de
mille membres aura la force morale d'un million d'hommes.
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
a comparé la force qu'un croyant tire de ses frères croyants à la
solidité d'une brique au sein d'un édifice : « Les croyants sont,
les uns par rapport aux autres, comme un édifice : ils se
soutiennent les uns les autres. » En effet, une seule brique est
fragile, mais lorsqu'elle est unie à d'autres briques au sein d'un
édifice elle devient une partie d'un tout qu'il est difficile de
briser ou d'ébranler ; la brique a alors la force de l'édifice tout
entier dont elle fait partie.
Les historiens relatent qu'une troupe musulmane était
séparée de l'ennemi par un fleuve. Le chef ordonna de franchir
le fleuve, et les soldats obéirent et entrèrent dans l'eau, tandis
que leurs ennemis les regardaient approcher, stupéfaits et
effarés. Au milieu du fleuve, les ennemis virent soudain tous les
soldats musulmans disparaître en même temps sous l'eau,
comme s'ils s'étaient noyés, puis resurgir tout à coup. Ils se
demandèrent ce qu'il s'était passé, et surent qu'un des hommes,
ayant perdu son écuelle, s'était écrié : « Mon écuelle ! » Tous les
hommes avaient alors plongé pour retrouver l'écuelle de leur
frère. Les ennemis ébahis s'exclamèrent : « S'ils agissent ainsi
336
lorsqu'un des leurs perd son écuelle, comment réagiront-ils si
nous tuons certains d'entre eux ? » L'incident leur brisa le moral
et ils finirent par se rendre aux croyants.
337
Plus tard, comme les musulmans, hésitant à envoyer vers
la Syrie l'armée d'Oussâma que le Prophète (que la bénédiction
et la paix soient sur lui) avait mise sur pied avant la maladie
dont il était mort, avaient demandé à Aboû Bah d'annuler
l'envoi de cette armée sous prétexte que l'avenir était désormais
plein d'incertitude et que nul ne savait comment réagiraient les
tribus arabes à la nouvelle de la mort du Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui), Aboû Bah répondit avec la
plus grande fermeté : « Par Celui qui détient tout pouvoir sur
l'âme d'Aboû Bah... Même si je pensais devoir être la proie
des fauves, j'enverrais néanmoins Oussâma comme l'avait
ordonné le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui).
Même s'il ne restait plus que moi dans les cités, je l'enverrais
néanmoins. »
Ce fut avec la même détermination qu'il combattit les
apostats et ceux qui refusaient de s'acquitter de la zakât, à un
moment où les vieux démons de l'esprit tribal du paganisme
commençaient à resurgir. Les musulmans, après la mort de leur
Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui), étaient
alors comme des moutons un soir de pluie, selon l'expression de
'Aïcha, et certains d'entre eux dirent à Aboû Bakr : « Ô
successeur de l'Envoyé de Dieu, tu n'as pas la force de t'opposer
à tous les Arabes réunis. Reste chez toi, ferme ta porte et adore
ton Seigneur jusqu'à ce que te parvienne la Certitude... » Alors
cet homme si pieux, si sensible, si doux et si bon, s'enflamma en
un instant et rugit comme un lion en colère, criant au visage de
' Omar : « Toi, si fier dans le paganisme, serais-tu devenu un
lâche dans l'islam, Ibn al-Khattâb ? La Révélation est
maintenant terminée : y portera-t-on atteinte alors que je suis
vivant ? Par Dieu, s'ils refusaient même de me verser un tribut
qu'ils versaient à l'Envoyé de Dieu, je les combattrais pour cela
tant que je serais capable de tenir une épée ! »
338
Les fruits de cette force dans l'âme et la
moralité du croyant
339
pauvres. Puis achète une bague de fer et fais-y graver : `Que
Dieu fasse miséricorde à un homme qui connaît sa propre
valeur.' »
340
c'est Dieu qui les a tués. Ce n'est pas toi qui as lancé lorsque
tu as lancé, mais c'est Dieu qui a lancé. » t
Le croyant n'est pas asservi à la logique de la force
matérielle, au langage des chiffres : c'est pourquoi il fait preuve
d'un esprit d'abnégation et de sacrifice que certains considèrent
comme de la témérité ou même de la folie.
Ibn Kathîr relate dans son Histoire que les musulmans,
partis à la conquête de la Perse, arrivèrent face à la ville d'al-
Madâ'in (Ctésiphon) dont seul le Tigre les séparait. C'était une
année de fortes crues, et le fleuve bouillonnait d'écume. Sa 'd ibn
Abî Waqqâs rassembla ses troupes et leur dit, après avoir loué
Dieu : « J'ai décidé de traverser ce fleuve pour les atteindre. »
Les hommes répondirent tous : « Que Dieu nous guide vers les
bonnes décisions : fais comme tu l'entends. » Les musulmans
entreprirent donc de franchir le fleuve. Il leur permit de passer à
l'attaque et leur dit, : « Dites : `Nous implorons le secours de
Dieu, nous nous en remettons à Lui. Dieu nous suffit, quel
excellent protecteur ! Par Dieu, Dieu accordera certainement la
victoire à Ses alliés, Il fera triompher Sa religion et causera la
défaite de Ses ennemis. Il n'est de pouvoir et de force qu'en
Dieu, l'Élevé, l'Immense. »
Les hommes se lancèrent alors les uns après les autres
dans le Tigre tout en continuant à parler entre eux comme ils le
faisaient sur la terre ferme, couvrant le fleuve au point qu'on ne
voyait plus la rive.
Lorsque les mécréants et les hypocrites voyaient la
grandeur d'âme dont faisaient preuve les musulmans malgré le
déséquilibre flagrant des forces et des armements, ils pensaient
que ces hommes étaient en proie à quelque illusion. Cependant,
les musulmans n'agissaient pas ainsi sous l'effet d'une illusion,
mais parce qu'ils croyaient en Dieu et s'en remettaient à Lui :
« Lorsque les hypocrites et ceux dont les coeurs sont malades
341
disaient : `Ces gens-là, leur religion les trompe.' Mais quant
à celui qui s'en remet à Dieu, Dieu est, certes, Puissant et
Sage. » 1
342
quelque chose qui soit plus puissant que l'eau ?' Il répondit :
`Oui, le vent.' ... Ils demandèrent encore : 'As-Tu créé quelque
chose qui soit plus puissant que le vent ?' Il répondit : `Oui,
l'être humain... lorsqu'il fait l'aumône de sa main droite en le
cachant à sa main gauche.' »
L'être humain qui agit pour Dieu seul est ainsi plus fort
que les montagnes plantées dans la terre comme des piliers, plus
fort que le fer qui peut percer les montagnes, plus fort que le feu
qui fait fondre le fer, plus fort que l'eau qui éteint le feu, plus
fort que le vent qui déplace des masses d'eau.
Cette force du croyant se manifeste dans la clarté de ses
objectifs, la rectitude du chemin qu'il suit et la fermeté dont il
fait preuve. Il ne se laisse pas détourner de son but par des
promesses, des flatteries ou des aspirations quelconques, il ne se
laisse pas emporter par des passions ou des désirs. Il appelle
constamment au bien et combat le mal avec persévérance. Il
ordonne les bonnes actions et interdit les mauvaises, montre la
voie de la vérité et de la justice, s'oppose à l'erreur et à
l'injustice. Il rectifie le mal de sa main ; s'il en est incapable, il
le fait par la parole ; s'il en est incapable, il le fait dans son
coeur, mais c'est» le plus faible degré de la foi.
343
les despotes. L'or n'aura pas plus de valeur à ses yeux que des
cailloux, et une épée ne lui fera pas plus peur qu'un simple
bâton ou moins encore.
Ce sont la crainte et l'anxiété qui affaiblissent les âmes,
qui poussent les hommes à baisser la tête et à accepter
l'humiliation. Sans cette anxiété et cette crainte, la faiblesse
n'existerait pas.
Nous avons vu comment les magiciens du Pharaon, une
fois qu'ils crurent en Dieu et en l'Au-delà, firent peu de cas de la
vie de ce monde et cessèrent de redouter la mort ; avec quelle
fermeté ils affrontèrent le Pharaon pour lui dire : « Décrète donc
ce que tu as à décréter. Tu ne décréteras que pour cette vie
présente. » 1 Ils n'espéraient rien de lui et n'avaient aucune
crainte pour eux-mêmes : pourquoi alors auraient-ils faibli ? Au
contraire, eux qui avaient été à son service l'appelaient
maintenant au service de Dieu et lui apportaient espoir et
avertissement : « Nous croyons en notre Seigneur afin qu'Il
nous pardonne nos fautes et la magie à laquelle tu nous as
contraints. Dieu est meilleur et éternel. » 2
344
s'exclama : « Tâwoûs, qu'est-ce qui te pousse à agir ainsi ? »
Celui-ci répliqua : « Et qu'ai-je fait ? » Hichâm, encore plus en
colère, répondit : « Tu as ôté tes chaussures au bord de mon
tapis, tu ne m'as pas baisé la main, tu ne m'as pas salué par mon
titre de Commandeur des Croyants, tu m'as appelé par mon
prénom, tu t'es assis en face de moi sans ma permission, et tu
m'as demandé `Comment vas-tu, Hichâm' ! » Tâwoûs répondit :
« Mes chaussures, je les enlève devant le Tout-Puissant cinq fois
par jour. Si je ne t'ai pas baisé la main, c'est parce que j'ai
entendu 'Alî ibn Abî Tâlib (que Dieu soit satisfait de lui) dire :
In'est pas permis à un homme de baiser la main de quelqu'un,
à part celle de sa femme par désir ou celle de son enfant par
tendresse.' Si je ne t'ai pas salué par le titre de Commandeur des
Croyants, c'est parce que tous les croyants ne sont pas satisfaits
de t'avoir pour chef, et que je n'ai pas voulu mentir. Et quant à
m'asseoir en face de toi, j'ai entendu le Commandeur des
Croyants 'Ali dire : `Si tu veux regarder un homme qui ira en
Enfer, regarde un homme qui est assis et entouré de gens
debout.' » Hichâm lui dit alors : « Fais-moi une leçon... »
Tâwoûs dit : «J'ai entendu le Commandeur des Croyants 'Alî
(que Dieu soit satisfait de lui) dire qu'il y a en Enfer des serpents
gros comme des jarres et des scorpions gros comme des mulets,
qui piquent tous les chefs qui ont été injustes envers leurs
sujets. » Puis il se leva.
Notre histoire moderne a également connu de nombreux
héros, dans divers pays. Tous avaient su se libérer de la peur et
de l'ambition et méprisaient la vie de ce monde, ses honneurs et
ses possessions, lui préférant ce qui est auprès de Dieu : « Et ce
qui est auprès de Dieu est meilleur pour les vertueux. » 1
Ainsi, le héros libyen 'Omar al-Moukhtâr a combattu la
colonisation italienne et ses troupes équipées des armements les
plus modernes, avec à ses côtés une poignée de croyants
345
quasiment isolés. Il combattait les avions à dos de cheval,
s'opposait aux canons avec des sabres, mais il réussit néanmoins
à infliger de sérieux revers à l'ennemi et n'accepta jamais de se
rendre même après avoir épuisé toute sa force matérielle.
Jusqu'au bout, il dit aux Italiens : « Même si vos canons brisent
mon sabre, l'erreur ne brisera pas la vérité. »
Alors qu'il était malade et que la fièvre agitait son corps,
il dit à ses soldats : « Attachez-moi sur le dos de mon cheval afin
que je ne reste pas à l'écart du combat. »
Lorsque les troupes du colonisateur réussirent à le
capturer et qu'il fut condamné à mort, il accepta cette
condamnation tranquillement, avec un sourire moqueur. Avant
son exécution, on lui proposa : « Demande pardon, et tu seras
libéré. » II répondit avec fierté et dédain : « Si vous me libérez,
je recommencerai à vous combattre. »
En Inde, lors de son procès pour avoir incité le peuple à
la rébellion contre la colonisation britannique, le grand savant
Mawlânâ Aboû al-Kalâm Azâd prononça devant ses accusateurs
un magnifique discours de trente-six pages qui constitue un
remarquable exemple de la puissance conférée par la foi. Nous
citerons quelques extraits de ce discours historique : 1
[ Oui, j'ai dit que le gouvernement actuel est injuste. Si
je n'avais pas dit cela, qu'aurais-je donc pu dire ? Par Dieu, je
m'étonne qu'on me demande d'appeler quelque chose par un
nom qui n'est pas le sien, et de dire que le noir est blanc ! ...
Je suis musulman, et en tant que musulman il est de mon
devoir de critiquer et de condamner la tyrannie, et d'en dénoncer
les méfaits...
L'islam a proclamé les droits de l'homme onze siècles
avant la Révolution française. Il ne s'est pas contenté de les
1
Publié dans la revue Thaqâfat al-hind (« La culture de l'Inde »), mars 1958,
pp. 88-124.
346
proclamer : il a établi un système pratique parfait pour instituer
l'État de droit.
Par ma vie, demander à un musulman de taire la vérité et
de ne pas appeler l'injustice par son nom, revient à lui demander
de renoncer à sa vie islamique. Si vous ne pensez pas avoir le
droit de demander à quiconque d'apostasier sa religion, alors
vous n'avez pas non plus le droit de demander à un musulman
de cesser de dire que l'injustice est une injustice, car cela revient
au même.
Reconnaître et proclamer la vérité est un élément
essentiel de la vie islamique : si cet élément lui est enlevé, elle
perd ce qui fait sa spécificité. En effet, l'islam fonde sur cet
attachement à la vérité l'appartenance communautaire des
musulmans. Il fait d'eux des témoins de la vérité devant le
monde entier. De même qu'un témoin est tenu de rendre
fidèlement son témoignage, un musulman doit nécessairement
déployer tous ses efforts pour faire triompher la vérité, sans
prêter attention aux conséquences pénibles qui peuvent en
résulter pour lui. Son devoir est de proclamer la vérité où qu'elle
se trouve et quelles qu'en soient les conséquences.
C'est pourquoi ordonner le bien et interdire le mal est un
des devoirs les plus importants en islam.
La foi en l'unicité divine est le fondement de l'islam et
son pivot central, et son contraire est l'idolâtrie que les
musulmans détestent profondément.
Cette foi en l'unicité divine enseigne aux musulmans que
seul Dieu, l'Unique, le Sublime, mérite d'être craint, et qu'il ne
faut craindre personne d'autre. Craindre un autre que Dieu
relève en effet de l'idolâtrie, car c'est considérer que cette
personne que l'on craint possède un pouvoir qui suscite la peur
et qu'elle mérite d'être obéie : or, une telle attitude est
incompatible avec la foi en l'unicité divine.
347
L'islam est avant tout un appel à l'héroïsme, à l'audace
et au sacrifice, et à affronter la mort au nom de la vérité.
Le Coran le répète encore et encore : « (Ceux) qui ne
redoutaient nul autre que Dieu. Dieu suffit à dresser les
comptes » 1 ... « (ceux) qui accomplissent la prière,
s'acquittent de l'aumône purificatrice et ne craignent que
Dieu » 2 ... « et (ils) ne craindront aucun reproche » 3 ... « Dieu
ne suffit-Il pas à Son serviteur ? Or, ils cherchent à te faire
peur avec d'autres que Lui. Mais celui que Dieu égare n'a
point de guide. » 4
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
a dit : « Le meilleur des martyrs est Hamza ibn 'Abd al-
Mouttalib, ainsi qu'un homme qui se dresse face à un chef
injuste pour l'appeler au bien et lui interdire le mal, et que celui-
ci tue. »5 Il a dit également : « Le meilleur des jihâd, c'est une
parole vraie devant un dirigeant injuste. » En outre, le Prophète
(que la bénédiction et la paix soient sur lui) faisait promettre à
ses Compagnons de dire la vérité où qu'ils se trouvent. 6
Le temps a passé, et l'histoire n'a pas connu d'exemples
aussi éclatants de sacrifice au nom de la vérité que ceux que la
nation musulmane a fournis à toutes les époques de sa vie, et
dont témoignent les biographies de ses savants, de ses cheikhs et
de ses dirigeants.
Que le gouvernement anglais sache donc qu'un
musulman à qui son Seigneur a ordonné d'accueillir volontiers
une mort sanglante, de se jeter à corps perdu dans les malheurs
et les souffrances et de toujours refuser de taire la vérité, n'a rien
348
à craindre de l'article 124 du code pénal indien. ' Cela ne saurait
l'écarter de sa religion et de l'accomplissement de son devoir. ]
Aboû al-Kalâm poursuivit ainsi son éloquent discours,
assenant les arguments et les paroles comme des projectiles de
feu, soutenu par la force que lui procurait sa foi en Dieu et en la
vérité, en le destin et l'immortalité... Puis, se tournant vers le
juge, il lui dit : « Et vous, monsieur le Juge, que puis-je vous
dire, sinon ce qu'ont dit les croyants avant moi en pareilles
circonstances : `Décrète donc ce que tu as à décréter. Tu ne
décréteras que pour cette vie présente.' 2 »
Le témoignage de l'histoire
Tel est donc le rôle d'une foi profonde et puissante : c'est
une source de certitude inaltérable, de détermination sans faille,
d'espoir jamais déçu et de volonté inépuisable. Celui qui
possède une telle foi peut posséder ce bas-monde sans en être
l'esclave ; même entouré de richesses et de bienfaits, il sait s'en
détacher. Lorsque le malheur le frappe, il n'est pas abattu : les
épreuves ne font que le fortifier et accroître sa résolution,
comme le feu purifie l'or.
Qui aurait pu croire qu'un petit groupe d'Arabes
faiblement équipés, ne possédant ni la philosophie des Grecs, ni
la civilisation des Romains, ni la sagesse de l'Inde, ni le savoir-
faire de la Chine, pourrait en si peu de temps se rendre maître de
ce monde, hériter de l'empire perse, détruire l'empire byzantin
et fonder un monde nouveau et une civilisation nouvelle, tout
cela en moins d'un quart de siècle ?
Le secret de ce succès, n'est-ce pas la foi ? La foi qui a
donné à Bilâl l'Abyssin la force de défier son maître Oumayya
ibn Khalaf et de combattre Aboû Jahl ibn Hichâm... La foi qui a
permis au petit nombre de l'emporter sur la multitude et à des
349
illettrés de triompher d'hommes cultivés ; qui a poussé des
hommes simples, le Coran dans une main, l'épée dans l'autre,
sans autre demeure que le dos de leurs chevaux, à proclamer
devant les souverains de Perse et de Byzance : « Nous sommes
un peuple envoyé par Dieu pour libérer les gens de toute
servitude envers les hommes afin qu'ils ne servent plus que Dieu
seul... »
L'origine de la faiblesse
Si aujourd'hui les temps ont changé pour les musulmans,
si leurs territoires autrefois si vastes sont aujourd'hui réduits,
s'ils ont perdu leur force, c'est que la foi a cessé de dominer leur
coeur et de diriger leur comportement. La foi des musulmans
n'est plus qu'une foi « géographique » due à leur naissance en
pays musulman, ou une foi « héréditaire » qu'ils ont reçue de
leurs pères comme on hérite d'une maison ou d'une terre. Ce
n'est plus qu'une foi endormie, dépourvue d'influence et de
dynamisme. Comment alors pourrait-elle être source de force,
comment pourrait-elle rendre les coeurs fermes et résolus ?
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
a appris à sa communauté quelles seraient les raisons profondes
de sa faiblesse lorsqu'elle deviendrait incapable de résister à ses
ennemis. Il dit un jour : « Les nations se jetteront sur vous
comme les convives s'empressent autour d'un plat. » Les
Compagnons demandèrent : « Est-ce parce que nous serons alors
peu nombreux, Envoyé de Dieu ? » Il répondit : « Non, vous
serez nombreux alors, mais vous serez pareils aux débris que le
torrent charrie, Dieu ôtera toute crainte de vous du coeur de vos
ennemis, et Il jettera dans vos coeurs la faiblesse. » Ils
demandèrent : « Qu'est-ce que la faiblesse ? » – c'est-à-dire,
quelle en sera la cause ? – Il répondit : « L'amour de ce bas-
monde et l'aversion pour la mort. »
Telle est la véritable source de la faiblesse : l'homme
devient faible lorsqu'il ne se préoccupe que de sa propre vie ici-
bas, lorsqu'il vit soumis à ses contraintes, prisonnier de ses
350
lourdes chaînes, gouverné par les désirs et les aspirations
matérielles, de sorte qu'il tourne en rond, les yeux bandés,
comme le boeuf tourne autour du puits d'irrigation.
C'est l'amour de ce bas-monde qui transforme un
souverain au faîte de sa puissance en une marionnette sans
volonté sous l'emprise d'une femme dont il est amoureux, d'un
désir qu'il voudrait satisfaire, d'un courtisan qui pourrait
compromettre sa réputation ou d'un entourage qui l'aide dans
ses malversations et ses caprices.
C'est l'aversion pour la mort qui pousse les individus et
les groupes humains à préférer une vie d'humiliation à une mort
noble, à préférer une vie où ils meurent plusieurs fois par jour à
une mort qui les fait entrer dans la vie éternelle.
« Qui refuse de mourir noblement l'épée à la main, vivra
dans l'humiliation et le dédain. »
351
On rapporte encore de lui ces propos : « Mon Dieu,
j'implore Ta protection contre le recueillement hypocrite. » On
lui demanda : « Qu'est-ce que le recueillement hypocrite ? » Il
répondit : « Le recueillement qui est visible sur le corps sans être
présent dans le coeur. »
Ach-Chaffâ' bint 'Abdallâh vit des jeunes hommes qui
marchaient mollement. Elle demanda, étonnée : « Qui sont ces
gens ? » On lui répondit : « Ce sont des dévots. » Elle dit :
« Lorsque 'Omar marchait, il pressait le pas ; lorsqu'il parlait, il
se faisait entendre ; lorsqu'il frappait, il faisait mal. Or, c'était
lui le véritable dévot. »
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui),
malgré sa dignité et sa gravité, marchait toujours d'un pas rapide
comme s'il descendait une pente.
Aboû Hourayra a dit : « Je n'ai jamais vu quelqu'un de
plus beau que le Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui), le soleil semblait rayonner sur son visage ; et je n'ai
jamais vu quelqu'un marcher d'un pas plus rapide que lui : la
terre semblait s'aplanir pour lui, nous peinions tandis qu'il ne
paraissait s'apercevoir de rien.
352
La compassion
353
enfant dans le feu ? » Les Compagnons répondirent : « Non, pas
si elle pouvait l'éviter. » Il dit alors : « Eh bien, Dieu est plus
miséricordieux envers Ses serviteurs que cette femme envers son
enfant. » (Rapporté par al-Boukhârî).
Les noms ar-Rahmân ar-Rahîm, « le Miséricordieux,
plein de miséricorde », figurent parmi les principaux attributs de
Dieu. Ce sont Ses noms les plus célèbres, après le nom Allâh.
Chaque fois qu'un croyant récite le Coran ou commence une
nouvelle sourate, il prononce d'abord ces mots : Bismillâh ar-
Rahmân ar-Rahîm, « au nom de Dieu, le Miséricordieux, plein
de miséricorde », qui se trouvent au début de cent treize sourates
sur cent quatorze.
Le croyant répète ces mots au moins trente-quatre fois
par jour, lorsqu'il les prononce au début de la sourate al-Fâtiha
à chaque rak'a (unité de prière) : Bismillâh ar-Rahmân ar-
Rahîm, al-hamdoulillâhi rabbi al-'âlamîn, ar-Rahmân ar-
Rahîm... l Le musulman effectue dix-sept unités de prière dans
les seules prières obligatoires. S'il accomplit également les
prières recommandées et des prières volontaires, il répétera ces
mots plus souvent encore.
Ces' deux nobles noms, ar-Rahmân ar-Rahîm, ont un
profond pouvoir d'orientation morale pour le croyant, de même
que sa position de serviteur de Dieu l'incite à adopter les
qualités exprimées par les noms divins.
Dans un ouvrage intitulé al-Magsad al-asnâ fi charh
asmâ' Allâh al-housnâ 2 , l'imam al-Ghazâlî analyse le sens des
noms divins en indiquant, pour chacun de ces noms, quelle part
l'homme peut avoir de la qualité qu'il exprime. Après avoir
analysé le sens des deux noms ar-Rahmân ar-Rahîm, il écrit :
354
« Pour obtenir une part du nom ar-Rahmân, l'homme
doit être miséricordieux envers les serviteurs de Dieu inattentifs
et les ramener de leur égarement vers Dieu par l'exhortation
morale et les conseils, par la voie de la douceur et sans
violence ; il doit considérer les transgresseurs avec miséricorde
plutôt qu'en cherchant à leur nuire : il considérera ainsi toute
transgression commise dans le monde comme le touchant
personnellement, et ne ménagera pas ses efforts pour y mettre fin
dans la mesure du possible, par miséricorde envers le
transgresseur à qui il cherchera ainsi à épargner la colère de Dieu
et l'éloignement de Sa présence.
Pour obtenir une part du nom ar-Rahîm, l'homme ne doit
laisser personne souffrir d'un manque sans y pourvoir dans la
mesure de ses capacités. Il ne doit laisser aucun pauvre dans son
voisinage ou sa localité sans l'assister et remédier à sa pauvreté,
soit par ses propres biens ou sa propre influence, soit en
intercédant en sa faveur auprès d'un autre, soit encore, s'il ne
peut rien faire de tout cela, en l'aidant de ses invocations et en
manifestant de la tristesse par compassion pour lui, comme s'il
partageait sa peine et ses privations. »
355
dignes ; le croyant est une source de bonté envers tous les
hommes. Le Prophète de l'islam (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) dit à ses Compagnons : « Vous ne croirez pas tant
que vous ne serez pas bons. » Ils répliquèrent : « Envoyé de
Dieu, nous faisons tous preuve de bonté. » Il répondit : « Il ne
suffit pas que chacun soit bon envers son compagnon, il s'agit
d'être bons envers les gens en général. » (Rapporté par at-
Tabarânî). Dans le Coran, les croyants sont décrits comme des
gens « qui se recommandent mutuellement la patience et qui
se recommandent mutuellement la compassion » 1 .
Cette bonté dépasse même l'être humain pour s'étendre à
toutes les créatures vivantes. Le croyant est bon envers les
animaux et craint Dieu dans son comportement envers eux. Il
sait qu'il devra rendre compte à Dieu de la manière dont il les
traite. Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) a
enseigné à ses Compagnons que le Paradis a ouvert ses portes à
une prostituée à qui Dieu a pardonné ses péchés parce qu'elle
avait donné à boire à un chien, et que l'Enfer a ouvert ses portes
à une femme qui avait emprisonné une chatte et l'avait fait
mourir de faim, car elle ne l'avait pas nourrie tout en
l'empêchant de chercher librement sa nourriture. Si telle est la
punition de quelqu'un qui emprisonne un petit chat innocent,
quel sera donc le châtiment de ceux qui emprisonnent des
dizaines de milliers d'êtres humains sans autre motif que parce
qu'ils ont dit : « notre Seigneur est Dieu » ?
Un homme dit : « Envoyé de Dieu, je traite la brebis avec
compassion quand je l'égorge. » Il répondit : « Si tu la traites
avec compassion, Dieu te traitera avec compassion. » (Rapporté
par al-Hâkim).
'Omar vit un homme qui tirait une brebis par les pattes
pour aller l'égorger. Il lui dit : « Malheur à toi... Emmène-la à la
mort en la traitant bien. »
356
Les historiens relatent que lors de la conquête de
l'Égypte, une colombe fit son nid au sommet de la tente de 'Amr
ibn al- 'As. Lorsque celui-ci voulut lever le camp, il la vit et, ne
voulant pas la déranger en ôtant la tente, il la laissa en place. Les
gens vinrent ensuite s'installer tout autour, et c'est ainsi que se
constitua la ville de Foustât (l'ancêtre du Caire).
Ibn 'Abd al-Hakam relate dans sa biographie du calife
juste 'Omar ibn 'Abd al-'Azîz, que celui-ci avait interdit de
pousser les chevaux, sauf en cas de nécessité. Il écrivit aussi au
responsable des chemins : « Qu'on n'utilise pas de selles trop
lourdes, et qu'on ne stimule pas les montures avec une cravache
au bout en fer. » Il écrivit encore au gouverneur d'Égypte : « J'ai
appris qu'il y a en Égypte des chameaux de transport auxquels
on fait porter un poids de mille livres. Lorsque tu recevras cette
lettre, sache qu'à ma connaissance on ne peut pas faire porter à
un chameau plus de six cents livres... »
Cette bonté pour tous les êtres est une des conséquences
de la foi en Dieu et en l'Au-delà, de cette foi qui attendrit les
coeurs les plus durs.
Qu'on regarde seulement comment la foi a transformé
'Omar ibn al-Khattâb, qui était connu à l'époque païenne pour la
dureté de son caractère, et comment elle a fait jaillir de son coeur
la compassion et la sensibilité. On relate qu'il avait enterré
vivante une de ses filles à l'époque païenne. Or, lorsque plus
tard il devint Commandeur des Croyants, il se considérait
comme responsable devant Dieu si une mule trébuchait aux
confins des territoires musulmans.
Les actions des premiers musulmans étaient imprégnées
de cette foi et de cette morale, qui s'exprimaient dans leur
comportement même envers les ennemis qui leur faisaient la
guerre. Ainsi, le Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui) se mit en colère lorsque, lors d'une bataille, il trouva le
corps d'une femme qui avait été tuée. Il dit : « Il ne fallait pas se
357
battre contre elle », et il interdit de tuer les femmes, les vieillards
et les enfants, ainsi que ceux qui ne participaient pas au combat.
Ses Compagnons avaient le même comportement : ils
étaient bons et compatissants, et non pas durs et brutaux.
Lorsque Aboû Bah assista au départ de l'armée d'Oussâma ibn
Zayd, il lui fit les recommandations suivantes : « Ne tuez pas de
femme, de vieillard ni d'enfant, n'abattez pas de palmier, ne
coupez pas d'arbre fruitier. Vous rencontrerez des hommes qui
se sont retirés dans des ermitages : laissez-les à ce pour quoi ils
se sont retirés. » 'Omar disait quant à lui : « Craignez Dieu dans
votre comportement envers les paysans qui ne vous font pas la
guerre. »
On apporta un jour à Aboû Bah la tête d'un des chefs
ennemis qui avait été tué. Il réprouva cette action, exprima sa
colère et dit à ceux qui lui avaient apporté la tête : « Qu'on ne
m'apporte plus de tête après ce jour ! » Les hommes
répondirent : « Mais ils agissent ainsi avec nous. » Il répliqua :
« Et devons-nous suivre l'exemple des Perses et des Romains ?
Il nous suffit de suivre le Livre et la tradition. »
C'est pourquoi les guerres menées par les musulmans
étaient pleines de clémence et de compassion. On n'y faisait
couler le sang que lorsque c'était réellement nécessaire. C'est ce
qui a fait dire au philosophe français Gustave Le Bon : « Jamais
l'histoire n'a connu de conquérant plus juste et plus clément que
les Arabes. »
358
leur expression dans l'institution musulmane des fondations de
bienfaisance.
Les croyants qui avaient des biens à laisser en testament
avaient coutume, mus par la compassion que la foi avait fait
naître dans leur coeur et par le désir que Dieu les récompense et
que leurs oeuvres ne s'arrêtent pas à leur mort, de léguer tout ou
une partie de leurs biens sous la forme d'une fondation destinée
à nourrir ceux qui avaient faim, à donner à boire à ceux qui
avaient soif, à vêtir les malheureux, à accueillir les étrangers de
passage, à soigner les malades, à instruire les ignorants, à
enterrer les morts, à prendre en charge les orphelins, à venir en
aide aux plus démunis. Ces fondations pouvaient ainsi être
destinées à toutes sortes d'objectifs nobles et charitables,
concernant non seulement les êtres humains mais aussi les
animaux.
En lisant les dispositions énoncées par ces légataires, on
est pris d'étonnement devant la noblesse de leur âme, l'acuité de
leur conscience, leur haute humanité et leur totale adhésion aux
valeurs religieuses, lorsqu'on les voit choisir les objectifs les
plus généreux et demander que leurs biens y soient consacrés.
Pour illustrer de manière plus précise ces constatations
générales, nous donnerons ci-dessous quelques exemples de
fondations de ce type :
359
La fondation des chiens errants
360
de façon à ce que celui-ci puisse les entendre sans les voir, et
d'échanger des propos comme : « Qu'a dit le docteur à propos
de ce malade ? » « Le docteur a dit qu'il est en voie de guérison,
que son état n'est nullement inquiétant, et qu'il sera peut-être
rétabli d'ici deux ou trois jours. »
Voilà comment les fondateurs de ces oeuvres de
bienfaisance ont exercé leur charité dans les domaines les plus
divers de la vie humaine.
Cette charité émane de sentiments humains profonds, qui
savent se porter sur les points où des nécessités se font sentir, à
chaque époque et dans chaque région.
Il est clair que c'est la foi qui est à l'origine de la
générosité et de la compassion qui ont poussé ces gens à prêter
attention à des points si précis à tous les niveaux de la société et
dans tous les aspects de la vie. Ils ne se sont pas contentés
d'exercer leur charité durant leur courte vie, mais ont voulu faire
une aumône qui perdure après eux et dont ils continueraient à
être récompensés tant que dureraient la vie et les hommes.
361
droit. Ils pensèrent qu'ils ne seraient pas ramenés vers
Nous. » 1
À cela s'oppose l'attitude de Moïse : « Et Moïse dit : Je
recherche la protection de mon Seigneur et de votre
Seigneur contre tout orgueilleux qui ne croit pas au Jour de
la Rétribution. »2
Qu'on pense encore à Néron qui brûla Rome, ou à
Lénine qui écrivait dans une lettre à Maxime Gorki : « Tuer les
trois quarts de l'humanité est sans importance, si grâce à cela le
quart restant devient communiste. »
Les massacres commis par les matérialistes communistes
à Mossoul et Kirkouk en Iraq, lorsqu'ils enterrèrent les gens
vivants et traînèrent les cadavres dans les rues, sont le meilleur
témoignage de la dureté de coeur des matérialistes.
La révolution hongroise, avec tout le sang qui y a été
versé, en est une autre preuve.
Les crimes commis par les communistes les uns envers
les autres sont encore un exemple éclatant de leur inhumanité.
Ainsi le journaliste 'Alî Amîn cite-t-i1 3 , d'après l'ouvrage de
l'écrivain russe Michel Iadev, « Qu'arrive-t-il aux
Communistes », une liste insolite du nombre de ses partisans que
Staline fit exécuter après la mort de Lénine.
Staline fit exécuter tous les membres du premier conseil
de la direction du parti qui s'était réuni après la mort de Lénine
et qui avait élu Staline à l'unanimité.
Il fit exécuter tous les ministres de Lénine après les avoir
accusés de trahison.
362
Il fit exécuter 80% des secrétaires des unions de
travailleurs qui s'étaient réunis pour célébrer son élection.
Il fit exécuter 15 des 27 membres constituant le comité
qui avait rédigé la constitution de 1936.
Il fit exécuter 43 des 53 secrétaires dirigeant les
institutions du parti communiste.
Il fit exécuter 70 des 80 membres du conseil soviétique
de la défense.
Il fit exécuter 3 des 5 maréchaux de l'Année Rouge.
Il fit exécuter 9 des 11 ministres qui composaient son
Conseil des Ministres en 1936.
Il fit exécuter 60% des officiers supérieurs de l'Année
Rouge et 30000 fonctionnaires gouvernementaux.
C'est ainsi que le système communiste participait à sa
propre destruction. Il n'y avait pas de liberté en Russie, et le chef
de l'État pouvait décider du sort de tous ceux qui s'opposaient à
lui et les juger sans procès, sans qu'aucune voix libre ne puisse
s'élever contre lui pour lui dire : « Arrête, et soumettons-nous
ensemble à un jugement juste. »
L'auteur ajoute : « L'absence de liberté n'est pas la seule
raison de ces crimes odieux et de ces terribles massacres.
Souvent des peuples ont été gouvernés par des despotes sans que
ceux-ci n'infligent à leurs ennemis le traitement que les
communistes ont infligé à leurs amis et aux membres de leur
parti. Mais les coeurs de ces gens-là sont dénués de foi, de
compassion et de sentiments humains. »
363
Jour du Jugement, – que même s'ils échappent à la vengeance
humaine dans ce monde, ils n'échapperont pas à la justice divine
dans l'autre ! De tels coeurs ne se satisfont pas de la seule justice
et de l'application de la loi du talion ; ils vont plus loin et
recherchent le mérite du pardon :
« Si vous exercez des représailles, qu'elles soient
équivalentes au tort qui vous a été fait. Mais si vous
patientez, cela est meilleur pour ceux qui font preuve de
patience. »
« La sanction d'un mal est un mal identique. Mais
quiconque pardonne et réconcilie, sa récompense incombe à
Dieu. Certes, Il n'aime pas les injustes. » 2
L'histoire musulmane abonde en exemples de l'influence
de cette foi profonde sur les actions humaines. Nous nous
contenterons ici de mentionner deux exemples appartenant à
l'histoire des califes.
Premier exemple
Sous le califat de 'Othmân ibn 'Affân, un groupe de
rebelles, poussés à la révolte armée par des agitateurs juifs,
avaient encerclé la demeure du vieux calife. Mais celui-ci se
refusa à répondre à la force par la force et aux armes par les
armes, même au péril de sa vie. On relate qu'à cette occasion,
connue comme « le jour de la demeure » (le jour où des rebelles
avaient encerclé la demeure de 'Othmân pour le tuer), 'Abd
Allâh ibn 'Omar revêtit sa cotte de mailles et empoigna son
épée ; mais 'Othmân lui enjoignit de ne pas sortir et de poser les
armes, ce qu'il fit.
Zayd ibn Thâbit entra alors et dit : « Il y a devant la porte
un groupe des Ansâr qui te proposent de venir en aide à la cause
364
de Dieu une seconde fois. » 'Othmân répondit : « Je n'en ai pas
besoin, arrêtez. »
'Âmir ibn Rabï a rapporte : «J'étais avec 'Othmân dans
sa demeure. Il ordonna à tous ses partisans, au nom de
l'obéissance qui lui était due, de baisser le bras et de poser les
armes... Les gens posèrent alors leurs armes. »
Un de ses partisans dit encore : « 'Othmân nous a interdit
de les combattre (les rebelles). S'il nous l'avait permis, nous les
aurions combattus jusqu'à ce que nous les chassions de notre
territoire. »
Ainsi, le calife refusa de verser le sang, même pour sa
propre défense. Il s'efforça de ramener les rebelles à la raison
par la sagesse, le bon conseil et la discussion.
Un jour, il leur fit face et leur dit : « Il est illicite de
verser le sang d'un musulman, sauf dans trois cas : s'il renie la
foi après avoir cru, s'il commet l'adultère alors qu'il est marié,
et s'il a tué quelqu'un qui n'avait tué personne. Est-ce que je
suis dans l'un de ces cas ? » Les rebelles ne trouvèrent rien à lui
répondre.
Une autre fois, il leur dit : « Ô vous, les gens ! Si vous
pensez qu'il est juste de me mettre des chaînes aux pieds, faites-
le. » Les rebelles ne trouvèrent rien à répondre. Puis il dit :
« J'implore le pardon de Dieu si j'ai été injuste. Et j'ai déjà
pardonné, si c'est moi qui ai été victime d'une injustice ! »
Le calife eut recours à la patience et refusa qu'on prenne
les armes en sa défense jusqu'à ce que les rebelles finissent par
le tuer, tout cela parce qu'il ne voulait pas que Dieu lui fasse
porter la responsabilité de la mort de l'un d'entre eux.
Ma'bad al-Khouzà î demanda à 'Ali ibn Abî Tâlib :
« Dis-moi quelle était ta justification lorsque 'Othmân a été tué
sans que tu lui sois venu en aide. » Il répondit : «'Othmân était
le chef, et il avait interdit de combattre. Il avait dit : Celui qui
365
sortira son épée n'est pas des nôtres. Si nous avions combattu
malgré cela, nous aurions désobéi. »
Il demanda encore : « Quelle était la justification de
'Othmân, lorsqu'il a évité le combat jusqu'à être tué ? » 'Alî
répondit : « Sa justification était celle du fils d'Adam, lorsqu'il
dit à son frère : `Si tu lèves la main sur moi pour me tuer, je
ne lèverai pas la main sur toi pour te tuer. Je redoute Dieu,
le Seigneur des Mondes.' ' »
Deuxième exemple
Le deuxième exemple, c'est l'attitude du Commandeur
des Croyants, 'Alî ibn Abî Tâlib, lorsqu'il est tombé dans un
guet-apens tendu par deux Kharijites, Chabîb al-Achja î et 'Abd
ar-Rahmân ibn Mouljam. 'Alî était sorti peu avant l'aube pour
réveiller les fidèles pour la prière, et les deux hommes
l'attendaient à la porte de la mosquée. Lorsqu'il entra, Chabîb
lui porta un coup sans l'atteindre, et Ibn Mouljam l'atteignit à la
tête. 'Alî (que Dieu l'honore) s'exclama alors : « J'ai gagné, par
le Seigneur de la Ka'ba ! » – c'est-à-dire qu'il tombait en martyr.
Les fidèles accoururent pour attraper les deux hommes. Chabîb
réussit à leur échapper. Quant à Ibn Mouljam, il ne se contenta
pas de son terrible crime mais leva son épée sur les fidèles, qui
s'écartèrent. Al-Moughîra ibn Nawfil réussit à le maîtriser en lui
jetant un manteau dessus ; puis il le souleva et le jeta au sol, car
il était un homme robuste, et il s'assit sur sa poitrine. Les fidèles
allèrent alors demander à 'Alî (que Dieu soit satisfait de lui) ce
qu'il fallait en faire. Que répondit 'Alî, le chef suprême des
croyants, au sujet de son assassin ?
Il répondit : « Si je reste vivant, c'est moi qui en
déciderai. Et si je meurs, la décision vous reviendra. Si vous
décidez d'appliquer la loi du talion, c'est un coup pour un coup ;
mais pardonner est plus proche de la piété. »
366
Voilà comment réagit un croyant : pas plus d'un coup
pour un coup, mais pardonner est plus proche de la piété.
Pourrait-il y avoir une attitude plus sublime ?
Combien y aurait-il eu de morts dans le clan et le parti de
ce meurtrier, si la décision avait été entre les mains de
matérialistes qui ne craignent pas le Créateur et n'ont aucune
pitié pour les créatures ?
367
La foi et la productivité
La foi et l'action
Une foi sincère n'est pas une simple compréhension
intellectuelle ni une simple adhésion du coeur sans conséquences
pratiques dans la vie. Bien au contraire, la foi c'est la conviction,
l'action et le dévouement.
Les théologiens ont longuement débattu sur le concept de
foi et son lien avec l'action : pour les uns, l'action faisait partie
du concept de foi, pour d'autres elle en était une condition et
pour d'autres encore elle en était une conséquence. Quoi qu'il en
soit, tous s'accordaient à considérer que l'action est un élément
indissociable d'une foi parfaite.
368
La tradition suivante décrit bien ce qu'est réellement la
foi : « La foi ne consiste pas en une vague espérance : c'est
plutôt une conviction fermement ancrée dans le coeur et
confirmée par l'action. » 1
Dans le Saint Coran, la foi et l'action sont mentionnées
ensemble dans plus de soixante-dix versets. Le Coran nous
demande non seulement d'agir, mais d'accomplir de bonnes
actions (as-sâlihât) ce qui dans le Coran est un terme général
désignant tout acte ayant une portée positive pour la vie de ce
monde ou pour la religion, pour l'individu ou pour la société,
pour la vie spirituelle ou matérielle.
1
Rapporté par Ibn an-Najjâr et ad-Daylamî dans Mousnad al-firdaws (« Le
recueil du Paradis ») d'après Anas ; as-Souyoûtî l'a marqué comme un hadîth
faible dans son recueil al-Jâmi'.
369
« Tel est le Paradis qui vous sera donné en héritage
pour ce que vous faisiez. » 1
« Nul être ne sait quelle joie leur est gardée en réserve
en récompense de ce qu'ils faisaient. » 2
370
portes du Paradis et qu'ils pourront y entrer en paix et sans être
inquiétés. Le Coran montre clairement à ces gens-là que la loi de
Dieu concernant la rétribution des actes s'applique à tous Ses
serviteurs sans exception, sans favoritisme et sans distinction
entre un groupe ou un autre.
Les commentateurs du Coran relatent qu'un groupe de
juifs, de chrétiens et de musulmans étaient réunis, lorsque
certains d'entre eux prétendirent mériter plus que les autres
d'entrer au Paradis. Les juifs dirent : « Nous sommes les adeptes
de Moïse, que Dieu a élu en faisant de lui son messager et en lui
parlant. »
Les chrétiens dirent : « Nous sommes les adeptes de
Jésus, l'esprit de Dieu et Son verbe. »
Les musulmans dirent : « Nous sommes les adeptes de
Mohammed, le Sceau des Prophètes, et nous sommes la
meilleure communauté suscitée parmi les hommes. »
Le Coran ne laissa pas chaque groupe à ses arguments,
mais trancha par ce verset d'une justice irréfutable :
« Cela ne dépend pas de vos désirs, ni des désirs des
Gens du Livre : quiconque accomplira une mauvaise action
en recevra la rétribution et ne trouvera, en dehors de Dieu,
ni allié ni défenseur. Quiconque, homme ou femme,
accomplira de bonnes oeuvres, tout en étant croyant : voilà
ceux qui entreront au Paradis, et il ne leur sera fait aucune
injustice, fût-ce d'un creux de noyau de datte. » 1
371
« Nous ne laissons pas perdre la récompense de
quiconque agit bien. » 1
« Combien est excellente la récompense de ceux qui
oeuvrent ! »2
« Quiconque aura fait le poids d'un atome de bien le
verra, et quiconque aura fait le poids d'un atome de mal le
verra. »3
La loi instituée par Dieu, et dont Il nous apprend dans le
Coran qu'elle est immuable, ne permet pas aux oisifs et aux
paresseux d'obtenir ce qu'ils souhaitent ou de réaliser leurs
espoirs. La loi de Dieu, dans ce bas-monde, veut que les
croyants et les mécréants soient également rétribués pour leurs
efforts. Celui qui travaille en obtient la récompense, et celui qui
baisse les bras n'obtient rien, quelles que soient sa religion et ses
croyances.
C'est ainsi que le croyant est toujours motivé à agir, afin
de se conformer aux lois instituées par Dieu dans l'univers et
d'éviter d'être perdant.
372
servir) Dieu comme si tu le voyais, car si tu ne Le vois pas Lui te
voit. » 1
Le croyant est empreint de ce sentiment dans toutes les
actions qu'il entreprend, et pas seulement dans les pratiques
cultuelles. II accomplit sa tâche comme s'il voyait Dieu, ou tout
au moins avec le sentiment que Dieu le voit. Quoique le croyant
fasse, il cherche toujours en cela à satisfaire Dieu.
Or, Dieu ne sera satisfait de lui que s'il accomplit au
mieux ce qu'il est en train de faire. C'est ce que le Prophète (que
la bénédiction et la paix soient sur lui) a enseigné aux croyants :
« Dieu aime, lorsque l'un de vous fait quelque chose, qu'il
recherche la perfection. »2 Cela concerne aussi bien les actions
de ce monde que celles visant l'Au-delà.
Le travail bien fait et la productivité dépendent de deux
qualités essentielles : la loyauté et le dévouement. Or, ces
qualités se trouvent présentes au plus haut degré chez le croyant.
Ainsi, un ouvrier musulman n'a pas pour seul objectif de gagner
de l'argent ou de satisfaire son patron lorsqu'il exerce son
métier : il est loyal dans son travail et y consacre tous ses efforts,
conscient que Dieu le jugera, attentif aux droits de ses frères
croyants qui sont ses alliés et à qui il a des comptes à rendre. Il
recherche par-dessus tout la récompense divine dans l'Au-delà :
« Et dis : OEuvrez : Dieu verra vos oeuvres, ainsi que
Son Prophète et les croyants ; vous serez ramenés vers Celui
qui connaît l'Invisible et le Perceptible, et Il vous informera
au sujet de ce que vous faisiez. » 3
Combien nous entendons parler, dans les journaux ou
dans les conversations, combien nous voyons nous-mêmes, de
dysfonctionnements dans les administrations et les entreprises,
373
d'instruments abîmés, de tâches qui ne sont pas accomplies alors
que le public en a besoin, de travaux qui traînent pendant des
jours alors qu'ils ne nécessiteraient qu'une journée. Le résultat
de tout cela, c'est que des projets utiles échouent, que des efforts
sincères sont gaspillés, que des sommes d'argent sont perdues, et
que la production générale diminue. Pourquoi ? Parce que des
gens qui ne pensent ni à Dieu ni à l'Au-delà travaillent sans
loyauté, sans dévouement, sans conscience.
374
C'est là un bien immense pour l'individu lui-même, pour
sa famille et ses enfants, comme pour la société où il vit et pour
la vie humaine en général.
Si nous faisions le compte de toutes les ressources
humaines et matérielles qui sont gaspillées pour les plaisirs
illicites, les péchés et les distractions interdites, que les croyants
sincères évitent, nous verrions que cela dépasse les pertes
résultant des guerres destructrices, des épidémies et des
catastrophes meurtrières. Mais le poids de l'habitude empêche
les gens de prendre conscience de la gravité de ces pertes que
l'humanité subit quotidiennement, à chaque instant même. Les
journaux ont ainsi publié qu'aux États-Unis, l'absentéisme lié à
l'alcool touche 20 millions de personnes et coûte chaque année à
l'État deux milliards de dollars. Si l'alcool, à lui seul, coûte un
tel prix à la société, on s'imagine quel est le coût des autres
péchés et combien tout cela affecte la production.
375
Il a peur de laisser des jours lui échapper sans en tirer
parti pour agir et produire. Il ne remet pas à demain le travail
d'aujourd'hui, car demain sera chargé de nouvelles tâches et ne
suffira pas à accomplir le travail d'autres jours.
Le croyant s'attache également à ce que chaque nouvelle
journée soit meilleure que la précédente, et à ce que la suivante
soit meilleure encore. Il s'efforce de prolonger sa vie, après sa
mort, en laissant derrière lui des actions utiles qui prolongeront
son existence par leur influence positive : il s'attache à laisser
derrière lui des connaissances utiles, une bonne oeuvre, une
entreprise bénéfique, une aumône permanente ou une
descendance vertueuse. Plus il laissera d'actions positives dont
les gens bénéficieront, plus Dieu le récompensera.
C'est cet esprit qui a poussé le Compagnon Aboû ad-
Dardâ' (que Dieu soit satisfait de lui) à planter un noyer à la fin
de ses jours. On lui demanda : « Pourquoi plantes-tu ce noyer,
toi, un vieillard si âgé, alors qu'il ne portera ses fruits qu'après
tant et tant d'années ? » Aboû ad-Dardâ' répondit :
« Qu'importe, j'en aurai la récompense et d'autres en auront les
fruits. »
Dans le même esprit, un autre planta un olivier en
disant : « D'autres avant nous ont planté pour nous et nous
avons mangé : nous plantons pour que d'autres mangent après
nous. »
376
En réalité, les pratiques cultuelles n'occupent, dans les
religions en général, qu'une petite partie du temps, tant que les
gens ne s'imposent pas à eux-mêmes des pratiques que Dieu ne
leur a pas prescrites, s'accablant ainsi inutilement.
Toutefois, le peu de temps consacré au culte n'est
nullement du temps perdu pour la vie et la production. Il
constitue une réserve d'énergie et de détermination, une source
de force, une purification de l'âme lui permettant de se replonger
dans la bataille de la vie plus ferme et plus résolue.
Il est tout à fait injuste de n'évaluer les choses que par
leur effet concret immédiat, sans tenir compte de leur effet
caché, tant au niveau moral que matériel, qui n'apparaît qu'à
long terme.
Le Prix Nobel Alexis Carrel, auteur de L'Homme, cet
inconnu, a écrit à ce propos :
377
de connaissance, un exercice physique, une éducation morale ;
accomplie en commun, c'est une école où l'on apprend les
idéaux de la vie en société, un apprentissage de l'amour, de la
fraternité et de l'égalité.
Citons encore ces propos si justes d'un chercheur, quant
à l'influence de la prière en commun sur la vie des musulmans :
« Quel immense bienfait, en vérité, que les hommes
puissent jouir cinq fois par jour d'une atmosphère de paix totale,
dans un monde dominé par la lutte et les conflits... d'une
atmosphère d'égalité alors que les distinctions de toute sorte
sont monnaie courante dans la société... d'une atmosphère
d'amour au milieu du tumulte des haines et des disputes dont
abonde la vie quotidienne. C'est en vérité le plus grand des
bienfaits, chargé d'une morale profonde. En effet, l'être humain
ne peut pas faire autrement que de vivre au milieu des
distinctions, de la lutte et des conflits, au milieu de scènes
d'hostilité et de rancune, mais il parvient néanmoins à se
détacher de tout cela cinq fois par jour pour être pénétré de la
réalité de l'égalité, de la fraternité et de l'amour, sources
véritables du bonheur humain.
C'est pourquoi le temps passé à la prière n'est en aucune
façon du temps perdu, du point de vue de l'action positive et de
l'utilité pratique pour l'humanité. Bien au contraire, c'est du
temps employé au mieux pour inculquer ces leçons capitales qui
rendent la vie réellement digne d'être vécue.
Ces leçons de fraternité, d'égalité et d'amour deviennent,
grâce à leur mise en pratique dans la vie quotidienne, la
charpente de l'unité du genre humain et de la perpétuation de la
civilisation éternelle de l'humanité. »
378
dans son couvent, passant son temps à prier, détaché de la vie,
privant la société de son travail et de sa production.
Mais cette description, même si elle est vraie dans
certaines religions dans des milieux bien précis, ne s'applique
nullement à l'islam. En islam, le croyant est quelqu'un qui fait
des efforts, qui travaille et accomplit son rôle dans la vie, qui
prend et qui donne, selon la mission que Dieu a confiée aux
enfants d'Adam lorsqu'Il a fait d'eux ses lieutenants sur la terre :
« C'est Lui qui vous a créés de la terre et vous y a
établis. » 1
La religion musulmane ne consacre pas au culte un jour
particulier de la semaine où les gens cesseraient toute activité,
comme dans le judaïsme par exemple. En islam, tous les jours
sont des jours de travail, et une action entreprise pour la vie de
ce monde avec une intention sincère peut avoir la valeur d'un
acte de culte.
Le vendredi est la fête hebdomadaire des musulmans, et
pourtant Dieu dit à ce propos :
« Ô vous qui croyez, lorsqu'on appelle à la prière du
vendredi, accourez pour aller invoquer Dieu et délaissez le
commerce : cela est meilleur pour vous, si vous saviez ! Puis,
la prière terminée, dispersez-vous sur la terre et recherchez
la faveur de Dieu, et invoquez souvent Dieu : ainsi peut-être
connaîtrez-vous le succès. » 2
Telle est la vie du musulman le vendredi : il travaille,
vend et fait du commerce avant la prière, puis le moment venu,
il s'empresse d'aller invoquer Dieu et prier. Il retourne ensuite à
ses activités et recherche la faveur divine par son travail une fois
que la prière est terminée.
379
On relate que 'Omar ibn al-Khattâb vit des gens qui
restaient à l'écart dans un coin de la mosquée après la prière du
vendredi. Il leur demanda : « Qui êtes-vous ? » Ils répondirent :
« Nous sommes ceux qui s'en remettent à Dieu. » 'Omar les
frappa de sa cravache et les chassa en disant : « Que personne
d'entre vous ne s'abstienne de rechercher sa subsistance en
demandant à Dieu de la lui procurer, alors qu'il sait bien que l'or
et l'argent ne tombent pas du ciel ! Dieu dit : `Puis, la prière
terminée, dispersez-vous sur la terre et recherchez la faveur
de Dieu'. »
380
bas : « Dis : Elles sont pour les croyants, dans la vie de ce
monde, et leur seront réservées le Jour de la Résurrection. » 1
Ainsi, le croyant met ce bas-monde à son service et se
met lui-même au service de ce bas-monde, mais sans jamais en
devenir l'esclave.
En même temps, il est un membre actif du corps qu'est la
communauté musulmane. Il est le sang qui coule dans ses veines
et lui apporte force et dynamisme. Lorsqu'il sème, lorsqu'il
fabrique, lorsqu'il fait du commerce, il y met tout son zèle. Il
excelle dans chaque domaine de la vie.
Les Compagnons du Prophète (que la bénédiction et la
paix soient sur lui) étaient d'excellents cultivateurs,
commerçants et artisans. Leur foi en l'Au-delà ne les empêchait
nullement de travailler pour ce bas-monde. Comment en serait-il
autrement, alors que le Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui) a dit : « Si l'Heure dernière arrive alors que l'un
d'entre vous a dans la main une bouture, s'il peut la planter
avant de se lever, qu'il la plante. » 2 Pourquoi planter, lorsque
l' Heure arrive et qu'il n'y a plus d'espoir que cela profite à
aucune créature ? Ce hadîth souligne la valeur intrinsèque du
travail, même lorsqu'on n'en attend aucun profit.
381
En effet, le croyant doit s'en remettre à Dieu et se
soumettre totalement à la volonté divine. Le Saint Coran dit :
« Et remets-t'en à Dieu : Dieu suffit comme
protecteur. » 1
« Et c'est à Dieu que vous devez vous en remettre, si
vous êtes croyants. »2
« Dieu suffira à quiconque s'en remet à Lui. » 3
Mais que signifie s'en remettre à Dieu ?
Cela ne signifie pas que le croyant doive négliger les lois
de la causalité instituées par Dieu, et attendre passivement que
Dieu fasse pour lui des miracles, lui fasse tomber du ciel de l'or
et de l'argent et lui mette du pain tout cuit entre les mains, sans
effort, sans réflexion, sans action de sa part.
S'en remettre à Dieu signifie accomplir toutes les actions
nécessaires, et laisser les résultats à Dieu. Cela signifie planter le
grain en sachant que Dieu déterminera la récolte. Cela signifie
que l'homme s'acquitte des responsabilités humaines qui lui
incombent et laisse le reste à son Seigneur ; qu'il s'efforce au
mieux de tirer parti des causes et d'écarter les obstacles, car les
causes et les obstacles qu'il ignore sont trop nombreux pour
qu'il puisse se permettre de négliger ceux dont il a connaissance.
Un Bédouin alla trouver le Prophète (que la bénédiction
et la paix soient sur lui) en laissant sa chamelle, sans l'attacher, à
la porte de la mosquée : il prétendit qu'il s'en remettait à Dieu
pour la garder. Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient
sur lui) lui dit alors cette parole célèbre qui est devenue
proverbiale pour les musulmans : « Attache ta chamelle et
remets-t'en à Dieu ! »
382
Les partisans de la passivité citent souvent pour se
justifier le hadîth suivant : « Si vous vous en remettiez à Dieu
comme il convient, Il vous dispenserait votre subsistance comme
Il la dispense aux oiseaux, qui partent au matin le ventre vide et
reviennent le soir le ventre plein. » Or, ce hadîth a en réalité le
sens contraire : en effet, Dieu ne permet aux oiseaux de revenir
le ventre plein qu'après qu'ils ont quitté leur nid pour rechercher
leur nourriture...
383
La foi et la réforme
384
Mais un tel changement n'est pas chose facile. C'est une
lourde charge, car l'être humain est une créature complexe et il
est extrêmement difficile de modifier son âme, son coeur ou sa
manière de penser.
Il est bien plus facile de contrôler le débit d'un fleuve ou
d'en détourner le cours, de creuser le sol, de modifier de quelque
manière l'aspect physique du monde qui nous entoure, que de
modifier les âmes et de transformer les coeurs et les pensées.
On peut aisément construire des usines, des écoles, des
barrages... mais il est bien plus difficile de construire un être
humain.
Il est fort difficile de construire un être humain qui sait se
contrôler, qui maîtrise ses désirs, donne à la vie autant qu'il
prend et s'acquitte de ses devoirs autant qu'il réclame ses droits ;
un être humain qui connaît la vérité, y croit et la défend, qui
connaît le bien et le souhaite pour les autres autant que pour lui-
même, qui est prêt à donner de lui-même et de son argent pour
réformer la société, pour appeler au bien, interdire le mal et faire
triompher la vérité.
Mais la foi suscite des changements extraordinaires. La
foi prépare les âmes à accepter les principes du bien quels que
soient les devoirs, les difficultés et les sacrifices qui se cachent
derrière cet engagement. Seule la foi est capable de
métamorphoser les âmes, de transformer de fond en comble la
vision du monde d'une personne, ses objectifs, ses goûts et son
comportement. II suffit d'avoir connu une personne à deux
époques de sa vie, à l'époque de la mécréance puis à l'époque de
la foi, pour constater qu'on a affaire à deux personnes totalement
différentes qui n'ont en commun que le nom ou les traits
physiques.
De même, la foi ne tient aucun compte des étapes du
développement psychologique mis en évidence par les
psychologues et les pédagogues. Ceux-ci affirment qu'il existe
un âge où l'être humain est prêt à accepter l'éducation morale,
385
où les habitudes se forment et où les caractères psychologiques
s'acquièrent : cet âge est celui de l'enfance. Selon eux, si un
homme ou une femme a grandi avec des caractères particuliers,
aucun changement notable ne pourra les modifier par la suite.
Les caractéristiques psychologiques acquises dans la jeunesse
sont donc conservées toute la vie. Comme le dit un poète, on
peut redresser un jeune rameau, mais pas une vieille branche.
Une seule chose, cependant, dément la règle établie par
les psychologues et les pédagogues : c'est la foi. Lorsque la foi
s'installe dans un coeur, l'habite en profondeur, elle le
transforme, elle modifie sa vision du monde et de la vie, son
jugement sur les choses et les actions, son attitude envers Dieu
et envers les hommes. Que le croyant soit jeune ou vieux
n'empêchera en rien cette métamorphose.
Le Coran nous en donne un exemple avec la
transformation morale des magiciens du Pharaon, relatée dans la
sourate ach-C hou 'arâ'
« (Moïse) jeta donc son bâton, et le voilà devenu un
serpent manifeste. Il exhiba sa main, et voilà qu'elle était
blanche pour ceux qui regardaient. (Pharaon) dit aux
notables autour de lui : `Voilà en vérité un magicien savant.
Il veut, par sa magie, vous faire sortir de votre terre.
Qu'ordonnez-vous donc ?' Ils répondirent : `Renvoie-le à
plus tard ainsi que son frère, et envoie dans les cités des gens
pour rassembler et t'amener tout grand magicien savant.'
Les magiciens furent donc réunis au rendez-vous d'un jour
fixé. On dit aux gens : `Allez-vous vous réunir afin peut-être
que nous suivions les magiciens, si ce sont eux les
vainqueurs ?' Puis, lorsque les magiciens arrivèrent, ils
demandèrent au Pharaon : `Y aura-t-il vraiment une
récompense pour nous, si nous sommes les vainqueurs ?' Il
répondit : `Mais oui, vous serez alors parmi mes proches.'
Moïse leur dit : `Jetez ce que vous avez à jeter.' Ils jetèrent
alors leurs cordes et leurs bâtons et dirent : `Par la puissance
de Pharaon, c'est nous qui serons les vainqueurs.' Puis
386
Moïse jeta son bâton, et voilà qu'il happait ce qu'ils avaient
fabriqué. Alors les magiciens tombèrent prosternés. Ils
dirent : `Nous croyons au Seigneur des Mondes, au Seigneur
de Moïse et d'Aaron.' (Pharaon) dit : `Avez-vous cru en lui
avant que je ne vous le permette ? En vérité, c'est lui votre
chef qui vous a enseigné la magie. Eh bien, vous saurez
bientôt ! Je vais assurément vous couper mains et jambes
opposées et je vais tous vous crucifier.' Ils dirent : `Cela ne
nous nuira en rien, car vers notre Seigneur nous
retournerons. Nous aspirons à ce que notre Seigneur nous
pardonne nos fautes pour avoir été les premiers à croire.' » 1
Dans la sourate Ta Ha, Dieu nous relate comment le
Pharaon les menaça :
« 'Je vais assurément vous couper mains et jambes
opposées et je vais vous crucifier aux troncs des palmiers.
Vous saurez alors qui de nous inflige le châtiment le plus
terrible et qui est le plus durable.' Ils dirent : `Nous ne te
préférerons jamais aux preuves évidentes qui nous sont
parvenues, par Celui qui nous a créés. Décrète donc ce que
tu as à décréter. Tu ne décréteras que pour cette vie
présente. Nous croyons en notre Seigneur afin qu'Il nous
pardonne nos fautes et la magie à laquelle tu nous as
contraints. Dieu est meilleur et éternel.' » 2
Comment ces hommes ont-ils pu changer à ce point,
comment leurs valeurs ont-elles été ainsi inversées ?
Avant de croire, ils ne pensaient qu'à l'argent : « Y aura-
t-il vraiment une récompense pour nous ? » Leurs espoirs ne
se portaient que sur le Pharaon : « Par la puissance de
Pharaon, c'est nous qui serons les vainqueurs. »
387
Et voilà qu'après avoir goûté à la douceur de la foi et
éprouvé clairement la crainte du châtiment et l'espoir de la
récompense, ils répondent à ce même Pharaon : « Nous ne te
préférerons jamais aux preuves évidentes qui nous sont
parvenues. »
Eux qui ne pensaient qu'à ce monde se préoccupent
désormais uniquement de l'Au-delà : « afin qu'Il nous
pardonne nos fautes ». Eux qui juraient par la puissance de
Pharaon jurent désormais « par Celui qui nous a créés ».
C'est là un changement total de direction, de
raisonnement, de comportement, de manière de parler. Ces gens
ne sont plus les mêmes... Seule la foi a pu conduire à ce résultat.
Un incident relaté par l'imam Mouslim dans son Sahîh
montre clairement aussi comment la foi transforme les hommes.
Un homme était l'hôte du Prophète (que la bénédiction et la paix
soient sur lui). Celui-ci ordonna qu'on traie une brebis pour lui,
et l'homme but le lait. Puis il lui fit traire une deuxième brebis,
et l'homme but le lait. Puis il lui en fit traire une troisième, une
quatrième... L'homme but ainsi le lait de sept brebis. Durant la
nuit, le coeur de cet homme s'ouvrit à l'islam : au matin, il
déclara sa conversion et sa foi en Dieu et en Son Prophète (que
la bénédiction et la paix 'soient sur lui). Le matin, le Prophète
(que la bénédiction et la paix soient sur lui) fit traire une brebis
pour l'homme, qui en but le lait. Il lui en fit traire une deuxième,
mais l'homme n'en finit pas le lait. Ce fut alors que le Prophète
(que la bénédiction et la paix soient sur lui) prononça sa parole
célèbre : « Le croyant boit dans un seul ventre, tandis que le
mécréant boit dans sept ventres. »
En l'espace d'une nuit, cet homme insatiable, qui ne
pensait qu'à remplir son ventre, s'était transformé en un homme
pondéré, pur et satisfait de peu. Qu'est-ce qui avait changé en
lui ? C'était son coeur qui avait changé. De mécréant, il était
devenu croyant. Existe-t-il un changement plus rapide que celui
suscité par la foi ?
388
Sa foi nouvelle avait fait prendre conscience à cet
homme qu'il avait un but dans la vie, une mission et des devoirs.
Cette prise de conscience profonde lui avait fait oublier son
ventre, son désir constant de manger et de boire. Ce n'est pas là
un incident isolé : est-il possible de nier ou d'oublier comment
la foi a métamorphosé le peuple arabe tout entier ?
Les historiens occidentaux ou occidentalisés ont cherché
en vain à percer l'étonnant secret qui a transformé de simples
bergers en chefs d'État, des tribus bédouines en une nation
civilisée, et qui a permis à ce peuple de vaincre les empereurs de
Perse et de Byzance et de s'assurer la domination de la majeure
partie du monde ancien en l'espace de quelques dizaines
d'années seulement.
Mais les esprits éclairés ne sont nullement surpris. Le
secret de cette réussite leur est bien connu : c'est l'élixir de la foi
que Mohammed (que la bénédiction et la paix soient sur lui) a
versé dans le coeur de ses Compagnons, et qui les a fait passer
d'un état à un autre, de l'idolâtrie au monothéisme, du
paganisme à l'islam.
Qu'il nous suffise d'évoquer la métamorphose de deux
personnes, un homme et une femme, dont on sait comment ils
ont vécu à l'époque du paganisme et à celle de l'islam.
L'homme, c'est 'Omar ibn al-Khattâb. À l'époque
païenne, son esprit était si illogique qu'on relate qu'il adorait
une divinité en confiserie mais qu'un jour, comme il avait faim,
il la mangea. Son coeur était si dénaturé qu'il enterra vivante une
de ses fillettes, alors même qu'elle lui essuyait la terre du
menton pendant qu'il creusait le trou pour l'enterrer.
Ce même 'Omar abandonna le paganisme pour l'islam et
son esprit devint si éclairé qu'il coupa l'arbre sous lequel le
Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) avait reçu
l'allégeance de ses Compagnons le jour du pacte d'al-
Houdaybiyya, de peur qu'avec le temps les gens n'en viennent à
le sanctifier. Au pèlerinage, devant la pierre noire de la Ka'ba, il
389
dit : « Ô pierre, je t'embrasse en sachant que tu n'es qu'une
pierre qui ne peut procurer ni bien, ni mal. Si ce n'était que j'ai
vu le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
t'embrasser, je ne t'embrasserais pas moi-même. »
Ce même 'Omar devint si bon et si pieux, que les pages
de l'histoire sont pleines de témoignages de sa miséricorde
envers les musulmans et les non-musulmans, envers les êtres
humains et les animaux. C'est ainsi qu'il dit : « Si une mule
trébuche sur la rive de l'Euphrate, j'en serai responsable devant
Dieu... Pourquoi n'avais-je pas égalisé le chemin pour elle ? »
Voilà comment cet homme avait changé...
La femme, c'est al-Khansâ'... À l'époque païenne, à la
mort de son frère Sakhr, elle remplit l'air de ses pleurs et de ses
lamentations, déclamant des poèmes qui sont restés dans
l'histoire comme les premiers poèmes élégiaques de leur genre :
« Le lever du soleil me rappelle Sakhr, et je me le
rappelle à chaque coucher du soleil
Je me tuerais si ce n'était que tant d'autres autour de moi
pleurent aussi la mort de leurs frères »
Mais à l'époque de l'islam, elle était devenue une autre
femme. Elle était devenue une mère qui envoyait ses fils chéris
au champ de bataille, à la mort, le coeur tranquille et satisfait, et
qui les incitait même au combat.
Les historiens relatent qu'al-Khansâ' était présente à la
guerre d'al-Qâdisiyya, qui opposa les musulmans, sous le
commandement de Sa 'd ibn Abî Waqqâs, aux armées perses.
Ses quatre fils étaient avec elle. Un soir, alors que l'issue était
proche, elle les réunit pour les exhorter au combat et au courage.
Elle leur dit entre autres : « Mes fils, vous êtes devenus
musulmans en toute obéissance, vous avez fait le choix
d'émigrer. Par Celui en dehors de qui il n'est pas d'autre
divinité, vous êtes les fils d'un seul et même homme comme
vous êtes ceux d'une seule et même femme. Je n'ai pas trahi
390
votre père, ni taché l'honneur de votre oncle, ni menti sur votre
lignage. Vous savez quelle merveilleuse récompense Dieu a
préparé pour les musulmans qui combattent les mécréants.
Sachez que la demeure éternelle vaut mieux que cette demeure
éphémère. Dieu dit : « Ô vous qui croyez ! Soyez patients et
incitez à la patience, luttez constamment et craignez Dieu,
ainsi peut-être connaîtrez-vous le succès. » 1 Si vous êtes sains
et saufs demain matin, si Dieu le veut, partez combattre
l'ennemi en toute lucidité et en comptant sur le soutien de Dieu.
Si vous voyez que la bataille s'enflamme, lancez-vous au coeur
du combat et engagez au sabre les chefs ennemis, vous recevrez
votre part de butin dans la demeure de l'immortalité... »
Le matin venu, ils s'engagèrent dans la bataille pleins
d'audace et de fierté. Si l'ardeur de l'un d'eux se modérait, les
autres lui rappelaient la recommandation de leur vieille mère, et
il fonçait comme un lion pour s'abattre comme la justice divine
sur les ennemis de Dieu. Ils continuèrent à combattre ainsi et
tombèrent en martyrs l'un après l'autre.
Lorsque la mère apprit la mort de ces quatre héros en une
seule journée, elle ne se griffa pas les joues, elle ne déchira pas
ses vêtements, mais elle reçut la nouvelle avec la patience des
vrais croyants et dit : « Louange à Dieu, qui m'a honorée en les
faisant mourir au combat. J'implore mon Seigneur de faire que
je les rejoigne au sein de Sa miséricorde. »
Qu'est-ce qui avait transformé l'ancien 'Omar et forgé le
nouveau ?
Qu'est-ce qui avait métamorphosé al-Khansâ' la
pleureuse en al-Khansâ' l'héroïne au sacrifice sublime ?
La force qui avait accompli ces miracles n'était autre que
la foi.
391
La clé qui ouvre les serrures de la vie
Le retour à la foi en Dieu et en l'Au-delà constitue
l'unique espoir pour sauver l'être humain des problèmes qui
menacent aujourd'hui de le détruire dans les caractères moraux
spécifiques qui font de lui un être humain et qui le rendent digne
de son rôle de maître du monde et de lieutenant de Dieu sur
terre.
La foi véritable, telle que l'apporte l'islam, est la seule
solution aux problèmes de la vie contemporaine qui ont résisté à
la science comme à la philosophie, et que ni les penseurs, ni les
législateurs, ni les réformateurs n'ont pu résoudre.
J'ai le plaisir de citer ici quelques paragraphes du grand
prêcheur musulman Aboû al-Hassan an-Nadawî, où il montre
comment le soleil du message islamique est venu apporter au
monde une lumière nouvelle et une vie nouvelle ; comment le
Prophète Mohammed (que la bénédiction et la paix soient sur
lui) a ouvert les nombreuses serrures de la vie avec la
merveilleuse clé de la foi. Dans un monologue poétique face à la
grotte de Hirâ', à La Mecque, l'auteur dit :
« La vie n'était alors que serrures et portes fermées.
L'esprit était fermé et résistait aux efforts des sages et des
philosophes pour l'ouvrir. La conscience était fermée et résistait
aux efforts des prêcheurs et des moralistes. Les coeurs étaient
fermés et aucun signe ne parvenait à les ouvrir. Les talents
étaient fermés et ni l'éducation, ni la société, ni le milieu ne
réussissaient à les ouvrir. L'enseignement était fermé et résistait
aux efforts des savants et des maîtres. La justice était fermée et
ni les opprimés, ni les plaideurs ne parvenaient à l'ouvrir. La
famille était fermée et résistait aux efforts des réformateurs et
des penseurs. Le palais du gouvernement était fermé, et ni le
peuple opprimé, ni le paysan accablé, ni le travailleur épuisé ne
pouvaient l'ouvrir. Les trésors des riches et des puissants étaient
fermés, et ni la faim des pauvres, ni la misère des femmes et des
enfants ne parvenaient à les ouvrir. Les plus grands réformateurs
392
et les plus habiles législateurs avaient tenté de faire céder les
unes ou les autres de ces serrures, mais en vain. On ne peut
ouvrir une serrure qu'avec sa clé, et ils avaient perdu la clé
depuis de nombreux siècles. Ils avaient essayé diverses clés de
leur propre fabrication, mais elles ne correspondaient pas aux
serrures et ne servaient à rien. Certains avaient tenté de briser
ces serrures, mais ils n'avaient fait que se blesser les mains et
briser leurs outils.
Alors, en ce lieu modeste, isolé du monde civilisé, sur un
mont aride et peu élevé, il arriva ce qui n'était pas arrivé dans
les grandes capitales du monde, dans leurs écoles et leurs
bibliothèques prestigieuses. En cet endroit, Dieu octroya à
l'humanité le message de Mohammed (que la bénédiction et la
paix soient sur lui), et ce message rendit aux hommes la clé
qu'ils avaient perdue. Cette clé, c'est la foi en Dieu, Son
Prophète et le Jour dernier. Cette clé put ouvrir, l'une après
l'autre, les portes si longtemps fermées. Cette clé prophétique
ouvrit les esprits déformés, les éveilla et leur permit de
comprendre les signes de Dieu aux horizons et en eux-mêmes,
de revenir vers leur Créateur, en harmonie avec le reste du
monde, d'abandonner les chimères de l'idolâtrie et du
paganisme pour retrouver leur unité. Auparavant, un avocat
défendait n'importe quelle cause, juste ou fausse, pourvu qu'on
le paye. Cette clé réveilla la conscience humaine endormie et
rendit la vie aux sentiments morts ; les âmes portées au mal se
métamorphosèrent en âmes sereines, incapables de supporter le
péché et l'erreur. Alors, un criminel reconnaissait son crime
devant le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui) et
insistait pour en subir le douloureux châtiment ; une femme
coupable retournait chez les Bédouins où personne ne la
contrôlait, puis elle revenait à Médine pour s'exposer à une
punition plus terrible que la mort ; un pauvre soldat emportait la
couronne de l'empereur de Perse en la cachant sous ses
vêtements afin de dissimuler aux regards sa vertu et sa loyauté,
et il la remettait au chef, car c'était le bien de Dieu et il n'avait
pas le droit de se l'approprier.
393
Ces coeurs qui étaient fermés, qui ne connaissaient ni
réflexion ni compassion, devinrent des coeurs pieux et
conscients, sachant méditer et tirer des leçons des versets,
prompts à compatir avec le faible et l'opprimé.
Cette clé enflamma les forces jusqu'alors étouffées, les
talents jusqu'alors perdus. Ces forces, ravivées et orientées dans
la bonne direction, firent du gardien de troupeaux un gardien de
nations et un calife dirigeant le monde. Des hommes qui
n'étaient que de frustes cavaliers du désert vainquirent des États
et conquirent des peuples habitués depuis longtemps à la
puissance et à la gloire. Cette clé ouvrit la porte du savoir, alors
que les savants et la science avaient perdu toute estime : elle
rappela la valeur de la science et le mérite de l'étude et de
l'enseignement ; elle associa la science à la religion au point que
de grandes sommes furent dépensées pour la connaissance, que
chaque mosquée, chaque foyer musulman devint une école, que
chaque musulman s'efforça sans cesse de s'instruire et
d'instruire les autres ; la religion devint ainsi le plus grand
stimulant à la recherche du savoir.
Ouvrant la porte de la justice, cette clé fit de chaque
savant un juge juste et de chaque dirigeant musulman un chef
sage et équitable. Les musulmans devinrent droits devant Dieu,
témoins en toute équité ; grâce à la foi en Dieu et au Jour
dernier, la justice régna, mettant un terme aux discussions, et on
ne vit plus de faux témoignages ni de jugements iniques.
Auparavant, la tromperie régnait entre le père et son fils,
entre les frères, entre les époux ; s'étendant au-delà de la famille,
elle dominait les relations entre maître et serviteur, entre chef et
sujets, entre vieux et jeunes. À tous les niveaux, chacun voulait
prendre ce qui lui revenait sans donner ce qu'il devait ; les gens
étaient des fraudeurs, exigeant une bonne mesure lorsqu'on
mesurait quelque chose pour eux et trichant lorsqu'ils pesaient
ou mesuraient pour les autres. Alors, le Prophète (que la
bénédiction et la paix soient sur lui) récita la parole divine : « Ô
êtres humains ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés à
394
partir d'un seul être, et a créé de celui-ci son épouse, puis a
fait naître de leur union un grand nombre d'hommes et de
femmes. Craignez Dieu que vous invoquez dans vos requêtes
mutuelles, et respectez les liens de parenté. Dieu vous
observe. » 1 Il répartit les responsabilités au sein de la famille et
de la société tout entière en disant : « Chacun de vous est un
gardien, et chacun est responsable de ce dont il a la garde. » La
justice, l'amour et l'honnêteté régnèrent alors dans la famille. La
société devint juste, ses membres éprouvaient un profond
sentiment de leur responsabilité et de crainte de l'Au-delà, les
califes et les chefs étaient si pieux que le chef était au service de
ses sujets, et que le gardien de la nation se comportait comme le
tuteur d'un orphelin, ne touchant pas à ses biens tant qu'il
pouvait s'en dispenser et n'en prenant que le nécessaire si la
pauvreté le frappait. On voyait un calife approcher les riches et
les commerçants pour les inciter à se détacher de ce bas-monde
et à rechercher l'Au-delà, attribuer les possessions à Dieu et leur
réciter : « Dépensez de ce dont Il vous a faits les gérants » 2 ,
« et donnez-leur des biens de Dieu qu'Il vous a donnés. » 3
Leur expliquant qu'ils ne devaient pas thésauriser l'argent au
lieu de le dépenser dans la voie de Dieu, il leur récitait encore :
« A ceux qui thésaurisent l'or et l'argent sans les dépenser
dans la voie de Dieu, fais l'annonce d'un douloureux
supplice, le jour où, chauffés à blanc dans le feu de la
Géhenne, ces métaux seront appliqués sur leur front, leurs
flancs et leur dos : voilà ce que vous avez thésaurisé pour
vous-mêmes, goûtez donc à ce que vous thésaurisiez ! » 4
Le Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui)
fit apparaître, par son message et son enseignement, des
individus vertueux, croyant en Dieu, craignant Son châtiment,
395
pieux et loyaux, préférant l'Au-delà à ce bas-monde, méprisant
les possessions matérielles et s'élevant au-dessus d'elles grâce à
leur foi et à leur force spirituelle ; des individus convaincus que
ce bas-monde avait été créé pour eux, et qu'eux-mêmes avaient
été créés pour l'Au-delà. Parmi ces croyants, les commerçants
étaient loyaux et honnêtes, les maîtres et les chefs étaient
modestes et cléments, les serviteurs ou les ouvriers étaient forts
et loyaux, les gardiens des biens publics étaient consciencieux et
clairvoyants. Ce fut avec de telles briques que fut bâtie la société
musulmane et que fut à son tour fondé l'État islamique. La
société et l'État reflétaient naturellement, à une plus grande
échelle, la morale et l'état d'esprit des individus. C'était donc
une société juste, loyale, préférant l'Au-delà à ce bas-monde,
sachant se détacher des biens matériels ; une société bénéficiant
de l'honnêteté de ses commerçants, du labeur de ses pauvres,
des efforts dévoués de ses travailleurs, de la générosité et de la
charité de ses riches, de la justice de ses juges, du dévouement
de ses dirigeants, de la modestie et de la clémence du chef, de la
force des serviteurs, de la vigilance des gardiens... Le
gouvernement était juste, faisait passer les principes avant les
avantages immédiats et préférait guider les hommes vers Dieu
plutôt que d'en percevoir des taxes. Sous l'influence d'une telle
société et d'un tel gouvernement, la vie publique était faite de
foi et de bonnes actions, d'honnêteté et de dévouement,
d'efforts, de sérieux, de justice, de loyauté dans les rapports
entre les gens...
Absorbé dans mon monologue intérieur, je me
représentais ces musulmans des époques passées comme si je les
voyais et les côtoyais réellement, comme si j'avais quitté notre
monde moderne.
Mon attention revenant ensuite à l'époque où nous
vivons, je me dis : Je vois que les portes de la vie humaine sont
aujourd'hui fermées par de nouvelles serrures. Les siècles ont
passé, les temps ont changé, et la vie est devenue plus complexe.
Les problèmes ont évolué, se sont compliqués et diversifiés.
396
Puis je me demandai : Serait-il possible d'ouvrir ces nouvelles
serrures avec la même clé qu'autrefois ? Avant de former un
jugement, j'examinai ces serrures et ces portes nouvelles : je
m'aperçus qu'il s'agissait en réalité des mêmes serrures
qu'autrefois sous un aspect nouveau. Les problèmes sont les
mêmes aujourd'hui qu'autrefois. Le problème central, le
fondement de la crise, c'est l'individu qui demeure la brique
avec laquelle est bâtie la société et la base même de l'État. Je
m'aperçus que l'individu, aujourd'hui, ne croit plus qu'aux
possessions et à la force matérielles ; il ne s'intéresse plus qu'à
lui-même et à ses désirs, il attache trop d'importance à cette vie,
commettant tous les excès pour assouvir ses désirs et satisfaire
son ego. Il a perdu le lien qui l'unissait à son Seigneur, au
message des prophètes et à la foi en l'Au-delà. C'est donc
l'individu qui est la cause du malheur de cette civilisation : les
commerçants sont malhonnêtes, ils conservent leurs
marchandises lorsque les prix sont bas pour les mettre en vente
lorsque les prix augmentent, causant ainsi des famines et des
crises. Les pauvres sont révoltés et cherchent à profiter sans
fatigue des efforts des autres. Les travailleurs trichent, ils
veulent prendre ce qui leur revient sans donner ce qu'ils doivent.
Les riches sont durs et avares, ils ne connaissent pas la
compassion. Les dirigeants sont des profiteurs, les chefs sont des
despotes ne recherchant que leur propre intérêt. Les serviteurs
sont faibles et déloyaux. Les gardiens des biens publics sont des
voleurs et des escrocs. Les ministres et les présidents ne pensent
qu'à leur avantage matériel et ne servent qu'eux-mêmes ou leur
parti, sans s'intéresser aux autres. Les leaders politiques sont
chauvins ou nationalistes, ils sanctifient leur patrie ou leur race
tout en dénigrant les autres pays et les autres peuples. Les
législateurs instituent des lois injustes et des taxes écrasantes.
Les scientifiques inventent des armes toujours plus destructrices,
découvrent des gaz mortels, des bombes atomiques pouvant
anéantir toute vie et toute reproduction. Les exécutants, quant à
eux, n'ont aucun scrupule à faire usage de ces bombes.
397
Voilà de quels individus la société et l'État sont
constitués. Il en résulte une société matérialiste, souffrant de la
malhonnêteté des commerçants, de la révolte des pauvres, de la
tricherie des travailleurs, de l'avarice des riches, de la duplicité
des dirigeants, du despotisme des chefs, de la traîtrise des
serviteurs, des malversations des gardiens des biens publics, de
l'égoïsme des ministres, du chauvinisme des leaders politiques,
de l'injustice des législateurs, des excès des scientifiques et du
manque de scrupules des exécutants. Ces personnalités
matérialistes sont à l'origine de crises violentes et de problèmes
complexes dont souffre l'humanité tout entière. Elles sont à
l'origine du marché noir, de la généralisation de la corruption, de
la cherté des denrées due à la spéculation, de l'inflation. Les
penseurs et les législateurs ne savent plus comment résoudre ces
problèmes, ils ne sortent d'une crise que pour être confrontés à
une autre ; leurs solutions temporaires et leur vision à court
terme sont en fait la cause de crises nouvelles. Les États passent
du gouvernement personnel à la démocratie, puis à la dictature,
puis encore à la démocratie, du capitalisme au socialisme puis au
communisme, sans que la situation ne change en rien, parce que
l'individu, qui est la base, n'a pas changé. Ils ignorent, ou font
semblant d'ignorer, que c'est l'individu dans tout cela qui est
corrompu et qu'il faut réformer. Et même s'ils savaient que c'est
l'individu qui est la base et qu'il est corrompu, ils ne pourraient
le réformer. En effet, avec toutes leurs institutions scientifiques,
avec leurs établissements d'enseignement et leurs publications
savantes, ils demeurent incapables de réformer l'individu, de
rectifier ses erreurs et de lui donner une orientation bénéfique et
constructive. La raison en est qu'ils ont fait faillite sur le plan
spirituel, qu'ils ont abandonné la foi et ont perdu tout ce qui peut
nourrir le coeur, y ancrer la foi et faire renaître le lien entre
l'homme et son Seigneur, entre cette vie et l'autre, entre la
matière et l'esprit, entre la science et la conscience. Cette faillite
spirituelle, ce matérialisme aveugle, cet orgueil les ont conduits
à utiliser tous leurs engins destructeurs, capables d'anéantir des
peuples et de démolir des pays entiers, au risque de mettre un
398
terme à la civilisation et la vie humaine tout entière, si
malheureusement des pays en guerre en venaient à se combattre
au moyen de ces armes. »
Sans nier l'importance d'une société juste, qui est certes
indispensable pour former des individus justes, il faut bien se
rappeler que la société est, en réalité, un édifice dont les briques
sont les individus. Si les briques elles-mêmes ne sont pas
bonnes, il n'est pas concevable qu'on puisse construire avec
elles un édifice solide.
Les briques qui forment la société, c'est moi, c'est vous,
c'est lui, c'est elle : si chacun de nous est bon, la société tout
entière sera bonne. Or, la clé de cette réforme psychologique et
morale n'est autre que la foi.
399
La science et la foi
400
bonnes choses de la vie sans restriction et sans intervention du
pouvoir religieux.
Enfin, cela lui permettrait de se consacrer à
l'amélioration de sa condition dans ce monde : selon ces gens, la
religion, incitant à se détacher de ce monde pour se préparer à
l'Au-delà, tourne le dos à la vie de ce monde et la déprécie ; elle
accuse ceux qui oeuvrent pour cette vie de tourner le dos à Dieu
et à la vie éternelle ; pour eux, la vie de ce monde et l'Au-delà
sont antithétiques.
401
concerne pas ; vos expériences vous ont-elles prouvé que Dieu
n'existe pas ?
La science est une méthode juste pour connaître le
monde matériel, mais elle n'est pas une méthode applicable à la
métaphysique. Elle peut arriver à savoir comment fonctionnent
les choses, mais elle est incapable de connaître leur destination
ou le pourquoi de leur existence.
Comme l'a écrit Ahmad Amin dans Fayd al-khâtir, les
savants ont pu, grâce à leur méthode scientifique, observer et
examiner correctement la « roue » du monde et y conduire leurs
expériences ; mais ils n'ont pas pu approcher le « moteur » de la
roue, et il n'est pas du ressort de leur science, qui est fondée sur
les sens et l'expérience, de les conduire au moteur de la roue, car
ce moteur est invisible et inaccessible aux sens, et il est
impossible de l'examiner dans les éprouvettes d'un laboratoire.
Malgré tous les progrès de la science et toute la vanité
qu'elle en retire, la science ne peut expliquer que la surface et
les apparences. Mais quelle est la raison première de la
Création ? Qui a suscité la vie dans la première cellule du
monde ? Comment expliquer des millions de faits étonnants,
dans la nature et en nous-mêmes ?
La science peut, tout au plus, parvenir à des demi-
vérités : elle peut expliquer les apparences et le comment des
choses. Mais l'autre moitié de la réponse, la plus importante,
celle qui concerne l'essence des choses et non pas l'apparence,
la science est totalement incapable de l'apporter.
Les gens qui ne croient qu'à la science et nient tout ce
qui la dépasse, qui croient aux lois scientifiques et nient tout ce
qui s'y soustrait, prétendent pouvoir expliquer le monde de A à
Z. Mais il est absurde d'expliquer le mécanisme sans en
expliquer le moteur, d'expliquer l'évolution de la vie sans
expliquer comment elle a été suscitée en premier lieu. Au mieux,
c'est faire comme l'enfant qui dit « je ne sais pas » parce qu'il
aimerait bien savoir.
402
Nier la cause première de l'univers et l'esprit qui régit le
monde, impose à l'être humain un fardeau insupportable.
« Les savants ne font, en réalité, qu'augmenter notre
étonnement au lieu de le calmer. Que fait l'astronome, avec
toute sa science, ses calculs précis, ses instruments
d'observation ? Il avance que des millions d'étoiles dans le ciel
conservent leur place et suivent leur orbite grâce à la force
centripète, que la gravité maintient leur poids et les empêche
d'entrer en collision. Puis les savants ont pu calculer le poids du
soleil et des étoiles, leur taille, la vitesse de leur mouvement et
leur distance par rapport à la Terre... Mais ils n'ont fait
qu'ajouter à notre étonnement. Qu'est-ce que la gravité, qu'est-
ce que la force centripète, et quelle est leur origine ? Quelle est
la cause de cette organisation si précise et si extraordinaire ?
L'astronome évite ces questions car il est incapable d'y
répondre. Le géologue examine les roches, et nous dit combien
de millions d'années se sont écoulés avant que la Terre ne
refroidisse, combien de milliers d'années a duré l'ère glaciaire,
comment la Terre a été couverte d'eau, comment l'écorce
terrestre a été formée et pourquoi il y a des volcans et des
tremblements de terre. Les biologistes exposent de la même
manière les phénomènes de la vie, les psychologues analysent le
fonctionnement de l'esprit humain... Mais tous n'analysent que
la surface des choses. Ils ne font qu'augmenter notre perplexité,
car ils s'avèrent incapables de répondre à la question profonde
que l'esprit humain ne cesse de poser : Qui est l'Auteur de ce
livre plein de toutes ces merveilles, dont la science a analysé une
partie tout en étant incapable de comprendre les autres ? Peut-il
y avoir un livre sans auteur, une invention sans inventeur, une
horloge sans horloger ? Qui a suscité la vie dans ce monde, qui a
créé la pensée ?
L'évolutionnisme ne peut servir à expliquer l'origine du
monde ; il ne peut que démontrer l'unité du monde et l'unité de
sa source. Plus la science met en évidence les merveilles de
l'univers, plus elle met en évidence son unité, l'unité de son
403
évolution et l'unité de son organisation, plus l'être humain
s'étonne et questionne. Devant la découverte des merveilles de
l'univers par une science incapable d'en expliquer les causes,
l'être humain n'est convaincu que par la voix, venant du plus
profond de lui-même, qui lui dit que Dieu est le Maître de
l'Univers. » 1
404
interprétations, elles peuvent subir des rectifications, des ajouts
ou des suppressions, et ne sont en rien définitives. » 1
L'histoire des sciences montre comment un grand
nombre d'idées qui étaient considérées à certaines époques
comme des vérités scientifiques indiscutables et irréfutables se
sont avérées, par la suite, être des erreurs grossières qu'aucune
preuve ne peut étayer.
Certaines sciences fondamentales ont même subi des
changements radicaux dans leurs fondements et leur approche,
comme nous l'avons vu au vingtième siècle.
Le savant turc Peyami Safa écrit dans une étude sur « Le
nouveau concept de l'homme »2 :
« L'homme du vingtième siècle est en crise, depuis qu'il
a commencé à comprendre l'erreur de sa conception de lui-
même depuis la fin du Moyen-Âge, c'est-à-dire depuis qu'il a
commencé à comprendre l'erreur qu'il avait commise en se
déifiant lui-même. Les mouvements rénovateurs de notre époque
ne sont qu'un début de révolte contre cette conception.
L'homme s'est rendu compte de l'insuffisance de cette
science par laquelle il avait voulu remplacer la religion et les
critères des valeurs morales. La science elle-même a vu la chute
de deux de ses fondements et de ses règles, deux fondements qui
étaient considérés comme des évidences jusqu'à la fin du dix-
neuvième siècle. Comme l'a dit Ortecaï Kast à l'assemblée de
Genève, la physique et la logique, qui sont les deux fondements
de la science sur laquelle s'est construite la civilisation
occidentale, se sont détruites elles-mêmes : « La gravité de ce
drame n'apparaît peut-être pas immédiatement à tous, car l'oeil
du non-spécialiste ne découvre pas, dans une goutte de sang sous
405
un microscope, les signes d'une maladie mortelle. Mais tous les
spécialistes sont à même de se rendre compte que la situation où
sont arrivées la physique et la logique aujourd'hui exprime plus
clairement la crise dont souffre notre civilisation que tous les
drames de la politique et de la guerre : en effet, ces deux
sciences étaient comme un coffre-fort où les Occidentaux
mettaient de côté leur réserve d'or pour se préparer à envisager
l'avenir en toute sécurité. »
L'auteur explique alors comment les fondements de la
physique ont changé, et comment les fondements de la logique
ont changé également, en l'espace de cinquante ans, grâce aux
recherches de Russell, Whitehead et Hilbert. Puis il poursuit :
« Notre civilisation sait désormais que ses fondements sont en
faillite. C'est pourquoi nous la voyons douter d'elle-même. Mais
il n'est pas possible qu'une civilisation meure immédiatement
simplement parce qu'elle est secouée par le doute : au contraire,
on constate que ce qui fait mourir les civilisations, c'est la
sclérose et la fossilisation de ses convictions. Or, tout cela
indique que la forme de notre civilisation, ou plus exactement la
forme de la civilisation favorisée par l'Occident, est maintenant
desséchée et touche à sa fin. »
406
descendre du ciel pour faire revivre la terre après sa mort, dans
les créatures vivantes de toute espèce que Dieu a disséminées
sur la terre, dans la variation des vents et les nuages assujettis
entre le ciel et la terre...
Il n'est donc pas étonnant que tant de savants, qu'ils
soient biologistes, astronomes, mathématiciens, etc.,
reconnaissent dans leurs écrits l'existence de Dieu et la véracité
de la religion. Leurs témoignages coupent la parole à tous ceux
qui voudraient faire de la science une arme contre la religion.
Certains de ces gens qui se réclament de la science ont en
réalité un, voire deux siècles de retard dans leur mentalité, et ne
suivent pas l'évolution considérable qu'ont connue les domaines
de la science et de la pensée au cours du vingtième siècle. Ce
sont eux, les premiers, qui méritent d'être qualifiés de
rétrogrades, car ils sont prisonniers de théories dépassées et
désormais tombées aux oubliettes. Qu'ils écoutent donc plutôt
ce que disent les savants de notre époque.
Herschel a dit : « Plus la sphère de la science s'élargit,
plus s'accumulent les preuves éclatantes de l'existence d'un
Créateur éternel dont la puissance ne connaît ni limite ni fin : les
géologues, les mathématiciens, les astronomes, les naturalistes
ont contribué ensemble à l'édification du monument de la
science, qui n'est autre qu'un monument à la gloire de la toute-
puissance divine ! »
Herbert Spencer ajoute en ce sens, dans son traité sur
l'éducation :
« La science contredit les miracles, mais elle ne contredit
nullement la religion elle-même. Les sciences naturelles sont
souvent de nos jours empreintes d'un esprit d'hérésie, mais la
science véritable, celle qui dépasse les connaissances
superficielles pour aller au plus profond des choses, est exempte
d'un tel esprit. Les sciences de la nature ne réfutent pas la
religion : au contraire, s'y adonner est un acte d'adoration
silencieux, et une reconnaissance implicite de la valeur des
407
choses auxquelles on s'intéresse et qu'on étudie, ainsi que de la
toute-puissance de leur Créateur. Étudier la nature, ce n'est pas
glorifier Dieu verbalement, mais c'est Le glorifier par l'action ;
ce n'est pas une vénération faite de prétentions, c'est une
vénération qui est le fruit du sacrifice du temps, de la réflexion
et du travail. La science ne s'obstine pas à tenter de démontrer à
l'homme son incapacité à connaître l'essence de la cause
première, c'est-à-dire Dieu. Elle emploie un chemin plus simple
pour nous faire comprendre cette impossibilité : elle nous
montre toutes les limites que nous ne pouvons franchir, elle nous
conduit gentiment jusqu'à ce point, puis elle nous montre,
comme rien d'autre ne peut le faire, la petitesse de la raison
humaine face à tout ce qui dépasse la raison. »
Puis il donne les exemples suivants à l'appui de ses
dires :
« Le savant qui, voyant une goutte d'eau, sait qu'elle est
composée d'oxygène et d'hydrogène selon des proportions
précises, de sorte que si ces proportions étaient modifiées elle
serait autre chose que de l'eau, est certes convaincu de la
grandeur et de la toute-puissance du Créateur et de l'immensité
de Sa sagesse et de Sa science, de manière bien plus ferme et
plus forte que quelqu'un qui, n'étant pas naturaliste, n'y voit
rien d'autre qu'une goutte d'eau ! De même, le savant qui voit
l'élaboration harmonieuse et les proportions précises constituant
un grêlon, ressent certainement davantage la beauté du Créateur
et la précision de Sa sagesse, que quelqu'un qui sait uniquement
qu'il s'agit de pluie devenue solide sous l'effet du froid ! »
Citons encore le Docteur Du Noüy, médecin et
anatomiste du début du vingtième siècle, qui dit : « Un grand
nombre de gens intelligents et de bonne volonté s'imaginent
qu'ils ne peuvent pas croire en Dieu parce qu'ils ne peuvent pas
Le percevoir. Toutefois, un homme honnête et habité par un
désir de connaissance n'est pas obligé de se représenter Dieu
autrement que de la manière dont un savant se représente
l'électron ; dans les deux cas, la représentation est fausse et
408
imparfaite : l'électron ne peut être représenté dans son existence
matérielle mais ses effets sont plus évidents que ceux d'un
morceau de bois. » 1
Un célèbre naturaliste écossais, Sir Arthur Thompson,
écrivait encore : « Nous sommes à une époque où la terre dure a
été labourée, où l'éther a perdu son existence matérielle : c'est
l'époque la moins propice à l'exagération dans les
interprétations matérialistes. » 2
Il dit encore dans La science et la religion : « La raison
religieuse n'a pas à se chagriner aujourd'hui parce que le
naturaliste ne parvient pas, en observant la nature, au Seigneur
de la nature. En effet, telle n'est pas son orientation. Les
conclusions risqueraient d'être vraiment disproportionnées aux
prémisses, si la nature conduisait les savants à des conclusions
concernant la métaphysique. Toutefois, nous pouvons nous
réjouir de ce que les naturalistes ont permis au tempérament
religieux de s'épanouir à la lumière de la science, ce qui n'était
pas facile au temps de nos aïeux. Si le rôle des naturalistes n'est
pas de chercher Dieu, comme l'avançait à tort Lingdon Davies
dans son superbe ouvrage sur l'homme et son monde, nous
reconnaissons volontiers que l'un des plus grands services que la
science ait rendu aux hommes, c'est de les avoir guidés vers une
conception de Dieu plus noble et plus élevée. Nous n'exagérons
pas en disant que la science a donné à l'homme un ciel nouveau
et une terre nouvelle, puis l'a poussé jusqu'aux limites de ses
capacités intellectuelles, de sorte que souvent il ne trouve la paix
que dans ce qui dépasse sa compréhension, c'est-à-dire dans la
certitude de la foi en Dieu. » 3
409
Les bibliothèques du monde entier abondent en ouvrages
dans toutes les langues, rédigés par les plus grands savants, et
qui tous conduisent à Dieu et à la foi.
Nous nous contenterons ici de mentionner deux ouvrages
en langue anglaise qui ont acquis une renommée mondiale. '
Le premier est L'homme ne se suffit pas à lui-même d'A.
Cressy Morrison, un grand spécialiste des sciences de l'univers
qui fut président de l'Académie des Sciences de New-York et
membre du bureau exécutif du Centre National de la Recherche
aux États-Unis. Cet ouvrage était une réponse à l'ouvrage athée
de Julian Huxley, L'homme se suffit à lui-même, c'est-à-dire
sans Dieu.
Le second est un ouvrage collectif auquel ont participé
trente des plus célèbres savants américains. Chacun de ces
spécialistes y relate dans un article comment ses recherches l'ont
conduit à la reconnaissance de l'existence de Dieu et à la foi.
De nombreux autres ouvrages ont été écrits sur ce même thème en langue
arabe.
410
mécanisée de l'Occident, où l'embellissement et le confort
donnent aux gens l'impression qu'ils peuvent dominer le monde
grâce à leur science expérimentale et à leur progrès technique.
Mais ce monde moderne et « scientifique » souffre de
maladies psychologiques et mentales qui le tourmentent jour et
nuit.
De nombreux penseurs et philosophes ont attiré
l'attention sur ce phénomène ; les savants comme les écrivains.
les artistes et les journalistes en témoignent constamment.
Parmi les penseurs, lisons ce témoignage du philosophe
et historien britannique Arnold Toynbee : « Les arts de
l'industrie ont trompé leurs victimes, les poussant à lui
abandonner la direction de leur être en leur vendant les
`nouvelles lampes' en échange des `anciennes lampes'. Pris à
l'hameçon, les gens ont vendu leur âme en échange du cinéma et
de la radio. Le résultat de la destruction de la civilisation causée
par cette `nouvelle donne' a été un désert spirituel, ce que Platon
appelait `la société des pourceaux' et qu'Aldous Huxley a appelé
`le meilleur des mondes' ! »'
Toynbee suggère, à la fin de son étude, que l'Occident ne
pourra être sauvé qu'en se tournant de l'économie vers la
religion. Mais il ne nous dit pas comment ce changement pourra
se produire, concluant simplement : «L'Occidental peut, grâce à
la religion, avoir un comportement spirituel tout en assurant sa
sécurité par la force matérielle que la mécanisation de l'industrie
occidentale a mise entre ses mains. »
Toynbee semble ainsi répondre à la question de savoir
comment la spiritualité de l'homme peut dominer son
épanouissement matériel.
' Cité par le penseur contemporain Colin Wilson dans son ouvrage La chute
de la civilisation.
411
Le philosophe et poète musulman Mohammed Iqbal nous
dit :
« L'homme moderne, avec ses philosophies critiques et
sa spécialisation scientifique, se trouve dans une impasse. Sa
progression naturelle lui a donné un pouvoir sans précédent sur
les forces de la nature, mais l'a en même temps dépouillé de sa
foi en son propre destin.
L'homme moderne, que fait vivre son activité
intellectuelle, a cessé d'orienter son âme vers la véritable
spiritualité, c'est-à-dire vers une vie spirituelle qui vibre aux
profondeurs de l'âme. Dans l'arène de la pensée, il est en conflit
ouvert avec lui-même, tandis que dans l'arène de la vie
économique et politique il est en lutte ouverte avec les autres. Il
se trouve incapable de refréner son amour insatiable pour
l'argent, qui tue peu à peu en lui tout penchant noble et ne lui
apporte que lassitude. Il est tellement pris par `la réalité
extérieure', c'est-à-dire ce qui est perceptible aux sens, qu'il a
perdu tout lien avec les profondeurs insondables de son
existence. L'un des maux résultant de sa philosophie
matérialiste, c'est cette paralysie qui entrave son activité, et que
Huxley a observée et condamnée. » 1
Nous citerons encore ces propos du Docteur Alexis
Carrel, l'auteur de L'homme, cet inconnu, un grand savant qui a
consacré sa vie à la recherche expérimentale :
« Il est surprenant de constater que les maladies mentales
sont plus nombreuses que toutes les autres maladies réunies. Les
hôpitaux psychiatriques sont bondés et ne peuvent accueillir tous
ceux qui devraient y être internés. Selon S. W. Pierce, un
habitant de New-York sur 22 doit, à un moment ou à un autre,
être hospitalisé pour des troubles mentaux. »
412
Après avoir cité des statistiques indiquant qu'une
proportion inquiétante de personnes souffrent de maladies
mentales ou de désordres psychologiques, Alexis Carrel souligne
que le problème de la santé mentale est un des plus graves
problèmes auxquels est confrontée la société moderne, et
conclut :
« Il ne fait aucun doute que le nombre considérable de
personnes atteintes de troubles nerveux ou psychiques est la
preuve irréfutable du grave manque dont souffre la civilisation
moderne, et du fait que les nouvelles habitudes de vie n'ont
nullement conduit à l'amélioration de notre santé mentale. »
La littérature et la presse expriment quotidiennement la
colère, l'angoisse et la tension qui dominent la vie dans la
société occidentale, en raison de l'abandon de la foi en Dieu et
en l'Au-delà et de la poursuite d'objectifs uniquement matériels.
Ainsi, par exemple, cet extrait de journal de 1960 est révélateur
de tout un état d'esprit :
« La police américaine a arrêté des dizaines d'écrivains et
de poètes du groupement des `écrivains en colère', non pas pour
une raison liée à leurs oeuvres artistiques, mais à cause de leur
comportement social, de leur consommation d'opium et de leurs
prises de position provocatrices en faveur de la drogue. Suite à
leur arrestation, William Rewrack, des écrivains en colère,
publia le communiqué suivant : `La vie a un goût amer, les gens
supportent une fatigue constante, il n'y a pas d'autre moyen de
fuir le dégoût que de s'abandonner à des rêves heureux et à une
délicieuse paresse.' »
413
« C'est l'expression utilisée par l'écrivain français
Charles Moeller dans le troisième volume de son ouvrage
Littérature du vingtième siècle et christianisme. Dans les trois
volumes de cet ouvrage, l'auteur ne fait ni l'apologie, ni la
critique du christianisme, mais le présente comme un élément
crucial de la crise spirituelle de la civilisation occidentale. Cet
ouvrage, à la différence des monographies consacrées à
différents auteurs, est une étude d'ensemble objective de la
littérature du vingtième siècle. L'auteur s'appuie sur les textes
littéraires et n'émet aucun jugement sans fondement.
Dans le troisième volume de son ouvrage, il traite de
l'influence profonde d'auteurs comme Malraux, Kafka, Vercors,
Sholokhov, Bombard ou Françoise Sagan. Il argue que le
philosophe et politicien André Malraux a mis le doigt sur le
danger qui menace l'humanité, car il a été le premier à
reconnaître la crise de la spiritualité en Europe. C'est Malraux
qui a inspiré à la littérature française et européenne cet esprit de
trouble et de mélancolie.
Quant à la romancière française Françoise Sagan, auteur
de Bonjour tristesse et Un certain sourire, l'auteur considère
qu'elle a reproduit l'ambiance de désespoir, d'amertume,
d'indifférence et de passivité, décrite par Sartre à la fin de la
seconde guerre mondiale. Sartre s'exclamait, dans la revue Les
Temps modernes, que la fin de la guerre n'avait pas pour autant
conduit à la paix mais plutôt à une situation de crise perpétuelle.
Sartre, dans ses romans et ses écrits, approfondit ce
sentiment de tragédie, de désespoir et d'amertume, qu'exprimait
le poète allemand Borchert, mort en 1947, dans son drame
Dehors devant la porte : Nous sommes une génération sans
attache et sans profondeur. Notre profondeur est l'abîme. Nous
sommes une génération sans religion et sans repos. Notre soleil
est oppressé, notre amour est sauvage, notre jeunesse est sans
jeunesse. Nous sommes une génération sans entraves, sans
limites et sans protection de quiconque...
414
Cette image de jeunesse tourmentée, sans espoir et
toujours en quête de nouveauté, apparaît dans les héroïnes de
Françoise Sagan, Cécile dans Bonjour tristesse ou Dominique,
l'étudiante en droit, dans Un certain sourire... »
415
Les automobiles sont obligées de rouler sur le côté droit
de la route, de s'arrêter aux feux rouges et de respecter les autres
dispositions du code de la route. Ce n'est pas une punition
imposée aux automobilistes, mais une mesure visant à empêcher
les collisions entre les voitures et les accidents entre automobiles
et piétons. La présence d'autres personnes empêche
l'automobiliste de faire tout ce qu'il veut.
Ainsi, lorsque la religion intervient dans la liberté de
l'individu pour placer devant lui un feu rouge dans certaines
situations, elle ne fait que réglementer la « circulation » de l'être
humain, la manière dont il se conduit sur la route de la vie, afin
d'éviter les « collisions » entre lui et les autres et de le protéger
des dangers, pour lui-même et pour les autres, qui résulteraient
d'une absence de limites et de contraintes.
Toute société qui abandonne ou néglige ces contraintes
s'expose à un grave danger, elle se met au bord du gouffre
même si elle ne peut s'en rendre compte qu'après une période
d'expérimentation où les effets néfastes de ce laisser-aller
apparaissent au grand jour.
Les journaux abondent en exemples des effets néfastes
de la libéralisation des moeurs, de l'alcool et du manque de
contraintes dans les sociétés occidentales.
Un exemple particulièrement flagrant est celui de la
criminalité et de la violence aux Etats-Unis, où ce phénomène
atteint des proportions terrifiantes même chez les plus jeunes.
L'insécurité est telle dans de nombreux quartiers que les
habitants évitent de sortir à la nuit tombée par crainte d'être
agressés et ont peur lorsqu'ils remarquent des visages étrangers
au quartier.
Le nombre de personnes portant des armes sur elles ou
dans leur voiture est en augmentation constante, et la présence
d'énormes chiens de garde dans les maisons est devenue aussi
naturelle que celle des chats et autres animaux de compagnie !
416
À tout cela s'ajoute le sentiment que le gouvernement ne
peut pas, ou ne veut pas, assurer la protection du simple citoyen.
Les crimes découverts représentent à eux seuls des chiffres
effrayants qui, de l'aveu même des autorités, ne constituent
qu'une petite partie du tableau.
Le travail et la productivité
La question des effets respectifs de l'athéisme et de la foi
sur le travail, la production et l'amélioration des aspects
matériels de la vie, de la réalisation d'une vie heureuse pour
l'homme sur cette terre et de l'argument selon lequel la foi en
Dieu et en l'Au-delà serait un obstacle à tout cela, a été traitée
précédemment dans la partie intitulée « La foi et la
productivité ».
417
Akhbâr al-qâhiriyya (Les nouvelles du Caire), en réponse à la
lettre d'un étudiant qui lui disait :
«J'ai assisté à l'Université d'Alexandrie à l'une de vos
conférences sur `Les problèmes de la jeunesse universitaire'.
Vous avez dit que nous ne savons que peu de choses, jusqu'à
présent, sur l'âme humaine et ses secrets... et que les recherches
de la psychologie n'ont fait que compliquer les choses. Vous
avez suggéré que l'augmentation sans précédent du nombre de
consultations psychologiques aux Etats-Unis n'a pas apporté les
résultats escomptés, mais qu'au contraire beaucoup de patients
ont vu leurs troubles s'aggraver.
Je considère que vous avez porté atteinte à une science
vitale qui a connu un certain succès. Grâce à cette science, grâce
à la psychanalyse, à Freud et à l'hypnose, les savants ont pu
accéder au tréfonds de l'homme et connaître ses maladies et ses
complexes, et un grand nombre de gens ont été guéris. »
Mohammed Zakî 'Abd al-Qâdir a répondu à cette lettre
en ces termes :
«J'ai abordé ce sujet à propos du domaine de la foi qui
s'appuie sur l'existence d'une force supérieure qui nous domine.
J'ai dit que la foi en Dieu est une nécessité à laquelle incite la
science, et pas seulement les religions. J'ai dit que la science n'a
jamais pu, et ne pourra jamais, résoudre les problèmes auxquels
l'homme est confronté dans la vie de ce monde. Il y a des
accidents et des malheurs qui surviennent sans qu'on puisse en
comprendre la raison, et nous les attribuons généralement au
destin et à la volonté divine. Si nous ne possédions pas un
certain degré de foi, nous ne pourrions pas nous en consoler ni
les supporter. La mère qui perd ses enfants... L'accident d'avion
qui emporte une famille, ou qui tue les parents en épargnant les
enfants, ou encore qui tue les enfants en épargnant les parents...
Les naufrages, les éboulements, les cyclones, les tremblements
de terre, les éruptions volcaniques... La colère de la nature
quelque forme qu'elle prenne... Les maladies incurables... Les
418
troubles psychiques, mentaux, cardiaques ou physiques que
l'homme n'a pas trouvé le moyen de soigner... Les infirmités...
Tous ces maux auxquels la science n'a pas pu remédier, dont
l'homme, malgré toutes ses capacités et son ingéniosité, n'a pas
pu se débarrasser... Toutes ces peines et ces souffrances,
comment ceux qu'elles atteignent et leur entourage pourraient-
ils les supporter, s'ils ne croyaient pas en Dieu et s'ils ne
pouvaient pas se tourner vers la foi pour leur porter secours là où
les efforts humains ont échoué ? Comment pourraient-ils
supporter tout cela, s'ils ne croyaient pas qu'il existe des forces
dont nous ignorons la sagesse ? Qu'il existe dans ce monde des
choses que nous ne pouvons pas comprendre avec les
connaissances et les instruments dont nous disposons ? Des
choses dont nous ne pouvons qu'admettre l'existence, tout en
admettant notre incapacité à en connaître la vraie nature ?
Cela ne signifie pas que nous rejetions la science et son
domaine. Cela signifie que nous croyons à la science dans ses
plus vastes applications, que nous lui laissons la voie libre pour
étudier ce qu'elle veut : si elle réussit, nous croirons à ce qu'elle
nous apprend ; si elle échoue, nous croyons à la force supérieure,
jusqu'à ce que la science parvienne à résoudre les énigmes qui
nous déroutent.
La science s'est jusqu'à présent, malgré son histoire
glorieuse et ses immenses victoires, avérée incapable de savoir
comment fonctionnent tous les organes du corps humain,
comment ils se comportent, se développent, deviennent malades
et meurent. Elle a réussi à soigner un grand nombre de maladies,
mais est toujours impuissante face à un grand nombre d'autres...
Elle a réussi à connaître certaines fonctions des organes mais n'a
pas réussi à connaître les autres... Elle a réussi à diagnostiquer
certaines maladies, mais elle s'est montrée incapable de résoudre
la grande énigme, celle de l'origine de l'homme :
Comment l'homme est-il apparu ? Pourquoi ? Comment
meurt-il ? Pourquoi meurt-il ? Qu'y a-t-il après la mort ? Et
avant la vie?
419
Tous ces domaines demeurent inexplorés, malgré tous les
efforts accomplis, malgré toutes les assertions basées sur des
idées justes, et toutes les assertions basées sur des idées fausses
et des illusions... Tous ces domaines demeurent, et demeureront
tant que Dieu le voudra, du ressort de la foi et hors de portée de
la science.
Prenons l'âme humaine, cette essence qui rend l'homme
heureux ou malheureux, malade ou en bonne santé, qui à un
instant le fait se réjouir comme si le monde était entre ses mains,
et à un autre se resserre comme le trou d'une aiguille... Cette
âme qui dévie ou se réforme, qui se purifie ou s'atrophie... qui
peut être géniale, comme inspirée par le ciel, ou mauvaise
comme une braise de l'Enfer... Cette âme, la connaissons-nous
vraiment ? Pouvons-nous la définir ? Avons-nous décrit ses
maladies et trouvé le moyen de les guérir ? La psychologie, avec
tous les vastes efforts qu'elle a prodigués, reste encore sur la
rive. Ses théories sont encore l'objet de divergences et de
doutes, elle évolue d'une génération à l'autre et d'une méthode à
l'autre.
Freud a été à l'origine de la psychanalyse, et beaucoup
sont venus après lui. Certains ont suivi sa méthode, d'autres s'y
sont opposés, d'autres encore ont divergé avec lui dans leur
approche... Pensez-vous que la psychologie soit parvenue,
jusqu'à présent, à connaître l'âme ? Elle est peut-être parvenue à
en connaître certains aspects et certaines réactions, à cerner
certaines causes crédibles ou non, mais elle ignore toujours ce
qu'est l'âme.
Les gens sont attirés par la psychologie parce que c'est la
science de la vie. Il s'y sont précipités avec enthousiasme en
s'imaginant qu'elle allait les débarrasser des déviations et des
pulsions, des maladies nerveuses et mentales. Mais la
psychologie a-t-elle répondu, ne serait-ce qu'en partie, à leurs
attentes ? La réponse, comme je le disais dans la conférence, se
trouve dans les nombreux cabinets de consultation
psychologique dispersés dans tous les États-Unis plus que
420
partout ailleurs. On y rencontre des personnes frappées par des
drames, qui ont recours aux psychanalystes dans l'espoir d'une
guérison. La trouvent-ils ? Les désespérés sont-ils guéris de leurs
angoisses et de leurs troubles ? Les statistiques sont incapables
de prouver, même dans les cas où une guérison a été obtenue,
que la psychanalyse à elle seule en est la cause !
En Amérique en particulier, les troubles psychiques et
mentaux atteignent des proportions inégalées ailleurs, malgré le
grand nombre de cabinets de consultation. Tout ce que les
psychanalystes trouvent à dire à ceux qui viennent les consulter,
surtout s'ils sont jeunes, c'est de donner libre cours à leurs
pulsions, sous prétexte que leurs troubles psychologiques sont
dus au refoulement et à la peur des traditions, des maladies et du
déshonneur. A quoi cela a-t-il abouti ? A des déviations
innombrables, à des analyses qui ont quasiment détruit la vie
familiale sans pour autant apporter le bonheur promis.
Voilà ce que j'ai dit. Sans nier la valeur de la
psychologie, j'ai dit qu'elle n'a pas réussi, jusqu'à présent, à
percer le mystère de ce territoire formidable, petit et grand à la
fois, qu'est l'âme humaine ; que toutes ses analyses de certains
phénomènes, toutes ses explications de certains comportements,
peuvent être justes comme elles peuvent être fausses.
Ce que nous savons de la vie et de ses secrets, grâce aux
découvertes scientifiques et aux réflexions des penseurs, est bien
peu de chose par rapport à ce que nous ne savons pas et que
nous sommes incapables de définir ou d'expliquer.
Ce vaste domaine de ce que nous ne savons pas est du
ressort de la foi en Dieu, tandis que le domaine restreint de ce
que nous savons est du ressort de la foi en la science. L'un et
l'autre ne sont pas contradictoires, mais compatibles et
complémentaires.
Dieu nous a ordonné de chercher la connaissance, Il a
étendu devant nous les horizons de ce monde pour que nous le
parcourions à notre guise et Il nous a conféré une parcelle de
421
Son essence supérieure, à savoir la raison... Cette raison doit
s'attaquer à toutes les ignorances, s'efforcer de percer les
énigmes, de faciliter la vie afin de la rendre possible et
supportable. Croire en la raison, c'est croire en l'essence
supérieure de Dieu. Mais cette raison a ses limites et rien de ce
qu'elle peut produire ne saurait approcher la perfection, car la
perfection est le propre de l'essence supérieure.
Croire en la science, c'est croire en la raison, cette
parcelle du divin qui doit s'épanouir en toute liberté. Croire en
Dieu, c'est croire en l'origine, la révélation, la transcendance, la
perfection, l'éternité et l'immortalité. Dire autre chose serait
avancer des arguments sans fondement.
La psychologie doit, comme les autres sciences, être
respectée et encouragée. Mais il serait injustifié de compter sur
elle, aujourd'hui ou dans l'avenir, pour percer tous les
mystères. »
422
n'existe pas, il était parvenu à la conclusion qu'un esprit éclairé
devait dire « je ne sais pas », et donc être sceptique ou athée. Cet
homme que la science avait entraîné loin de la religion, revint
ensuite à la religion par la voie de la science, comme il le relate
dans son ouvrage qui a connu des dizaines de rééditions aux
Etats-Unis, Le retour à la religion.
Écoutons-le nous expliquer lui-même les raisons et les
circonstances de ce retour :
« Mon retour au bercail de la religion n'était pas dû à la
crise économique qui a balayé le monde à une certaine époque,
bien que je doive reconnaître que cette période m'a aidé à
comprendre un certain nombre de vérités utiles. Il n'était pas dû
à l'âge et à l'approche de la vieillesse, dont le spectre influence
souvent la pensée des hommes : je n'ai que quarante-cinq ans, ce
qui est relativement jeune ; je jouis grâce à Dieu d'une
excellente santé et d'une constitution robuste, je peux toucher
mes pieds dix fois de suite et nager un mille entier, et je peux
manger ce dont j'ai envie sans en craindre les conséquences.
Mon retour à la religion n'est donc pas attribuable à des
problèmes de santé, ni à des souffrances susceptibles d'avoir
influencé ma pensée, car on sait que la souffrance pousse les
malades à l'espoir d'une vie éternelle faite de paix et de repos. Il
n'a pas non plus eu lieu à la suite d'un malheur ou d'un drame
quelconque. Au contraire, ce retour à la foi a eu lieu après seize
ans d'une vie conjugale tranquille ; j'ai la chance d'avoir trois
enfants qui me comblent de bonheur ; j'ai connu un succès plus
grand que je n'aurais pu l'espérer, et mes revenus suffisent
largement à mes besoins et à ceux de ma famille.
On voit donc que mon retour à la religion n'était lié à
aucune suite de circonstances qui aurait pu influencer mes
sentiments. Je n'ai pas traversé d'expérience difficile, aucun
drame ne m'a bouleversé, je n'ai pas été ébloui par une soudaine
découverte qui aurait pu provoquer le changement dont je vais
parler à présent.
423
Ce changement s'est fait progressivement, de sorte que je
n'y ai pas pris garde au début. Il n'avait pas d'autre cause que les
expériences auxquelles j'étais continuellement confronté dans
ma pratique de médecin psychologue. » 1
Voilà donc un médecin célèbre qui annonce clairement
qu'il n'est pas retourné parmi les croyants en raison d'une
influence temporaire ou d'une émotion passagère, qu'il n'a pas
repris le chemin de la foi parce qu'il avait adopté certaines
théories psychologiques ou certaines idées philosophiques. En
effet, les idées peuvent se révéler vraies ou fausses et les théories
peuvent être démenties. Cet homme était revenu à la foi en
s'appuyant sur ses expériences personnelles et sur ses propres
observations. L'expérience et l'observation sont en effet le
fondement même de la psychologie expérimentale qui étudie les
phénomènes psychologiques en s'appuyant sur des mesures
précises, des tests et des statistiques, une méthode qui lui a
permis de s'élever du rang de philosophie à celui de science.
Laissons encore parler ce médecin :
« La psychologie moderne, qui est basée sur des calculs
et des chiffres mais qui s'applique aux êtres humains, est ce qui
a bouleversé mes opinions et mes principes sans que je me rende
compte de l'évolution que je subissais depuis un certain temps.
Il ne faut pas confondre cette science et la psychanalyse,
qui a donné lieu à des théories spéculatives dont il est
impossible de confirmer totalement la validité, comme
l'expression de soi, le refoulement, les rêves, la vie intérieure, la
libido, le complexe d'infériorité, l'éducation progressiste, etc.
Les gens connaissent très mal la psychologie scientifique,
qui a atteint depuis un siècle environ une précision comparable à
celle de la chimie ou de la biologie. Bien qu'ils aient entendu
parler des tests d'intelligence et de la mesure de l'intelligence,
424
peu d'entre eux savent que les psychologues ont mis au point
plus de 10000 tests psychologiques, dont la plupart sont utilisés
aujourd'hui dans la vie publique. Peu de gens savent également
que la fondation Rockefeller a financé à hauteur d'un demi
million de dollars les recherches effectuées par un groupe de
psychologues pour mettre au point les tests utilisés aujourd'hui
dans la plupart des écoles. Des professeurs de psychologie de
l'Université du Minnesota ont également passé cinq ans à la
mise au point de trois tests permettant d'évaluer la capacité
naturelle des personnes à utiliser les appareils mécaniques ; ces
recherches, qui ont coûté cent mille dollars, ont été financées par
la Fondation Nationale de la Recherche et d'autres institutions.
Le public, qui dépense des millions de dollars à l'étude
de la musique, ne sait pratiquement rien non plus de la précision
des tests utilisés pour évaluer les dons musicaux naturels des
individus. Ces tests ont été mis au point après vingt-cinq années
de recherches par une équipe de psychologues. Rares sont
également ceux qui ont entendu parler des immenses efforts
accomplis par les chercheurs dans le seul domaine de la
personnalité. Ces tests et leur utilisation clinique ont
considérablement amélioré notre capacité de comprendre et de
faire progresser la personnalité.
Ce sont les découvertes de cette branche de la
psychologie qui ont conduit à la modification de mes
convictions religieuses. J'ai pu moi-même contribuer au
développement de cette science – qui est, je l'ai dit, totalement
différente des théories attrayantes si répandues de nos jours – et
mes propres découvertes, que j'évoquerai ci-dessous, n'auraient
pas été possibles sans les expériences scientifiques menées par
d'autres psychologues. Quant au fait que les résultats de ces
études appuient ou vérifient même certaines croyances
religieuses fondamentales, chacun sera certainement amené à le
constater avec le temps.
Les découvertes de la psychologie ont été appliquées à
grande échelle à la plupart des problèmes humains. Un service
425
d'aide à l'emploi des chômeurs a mené, à New York, des tests
psychologiques sur 15321 chômeurs, hommes et femmes, sur
une période de seize mois. A la lumière de ces tests, ils ont tous
pu être orientés vers le métier qui leur convenait et recevoir la
formation appropriée.
Les conseils étaient souvent prodigués en fonction des
problèmes et des complexes découverts dans la personnalité de
chacun d'eux, et qui étaient souvent la cause essentielle de leur
situation. Cette opération fut principalement financée par la
Fondation Carnegie et par l'Association d'aide aux chômeurs de
la ville de New York. Je fus moi-même nommé conseiller
spécial pour cette opération et chargé de définir la stratégie et de
contrôler les études statistiques conduites sur dix mille des
personnes ayant subi les tests. Je menai sur ces personnes 73226
tests et rédigeai un rapport individuel complet sur chacune
d'elles. Ce fut à ce moment précis que je commençai à
comprendre l'importance de la conviction religieuse dans la vie
de l'individu. Je me sentis prêt à comparer mes expériences
précédentes sur mes malades et les résultats évidents qu'avaient
donné ces tests à grande échelle dont j'avais été chargé. Ces tests
nous avaient permis de faire une constatation importante, même
si elle n'était pas parue dans le rapport final : que les personnes
qui possèdent une religion ou fréquentent un lieu de culte
jouissent d'une personnalité plus forte et meilleure que celles
qui n'ont pas de religion ou ne pratiquent aucun culte.
C'est pourquoi mon retour à la religion n'a pas été celui
d'un coeur égaré qui a retrouvé le droit chemin, avec tout le flot
de sentiments que cela implique : ce retour s'est effectué
uniquement par la voie de la raison, malheureusement ! Je ne
crois pas que tous les religieux apprécieront cette vérité, je ne
suis pas convaincu moi-même que ce soit là le meilleur chemin.
Mon idée de la religion comprend d'ailleurs certaines
convictions qui n'ont de base dans aucun mouvement religieux
particulier, tout comme elle rejette certaines positions que ces
426
mouvements considèrent comme essentielles. Donc... qu'est-ce
que la religion ?
La religion, c'est la foi en la présence d'une certaine
force qui est la source de la vie : cette force, c'est la force de
Dieu, l'Organisateur suprême de l'Univers, le Créateur des
cieux. La religion, c'est aussi reconnaître cette constitution
morale divine que Dieu a instituée dans Ses Livres successifs, et
considérer les enseignements divins comme le plus précieux
trésor où l'on peut puiser les vérités religieuses, un trésor qui a
plus de valeur, en fin de compte, que toutes les sciences mises
ensemble. » 1
En réalité cet homme, comme beaucoup d'autres, n'avait
pas rejeté, en devenant athée, la véritable religion de Dieu : il
n'avait rejeté que les déviations qui avaient déformé cette
religion, il n'avait rejeté que la religion de l'Église avec toutes
les innovations qu'elle avait subies. Lorsqu'il crut et revint à la
religion, il ne revint pas à la religion qu'il avait rejetée
précédemment : il revint à une religion qui satisfaisait sa nature
profonde et sa raison, même si elle ne correspondait à aucune
des diverses tendances du christianisme, et il rejetait toujours
certaines croyances que ces tendances considèrent comme
essentielles. Si cet homme avait eu l'occasion de connaître
clairement l'islam, il aurait certainement été convaincu que cette
religion à laquelle il était retourné n'était autre que l'islam, la
religion de la nature humaine et de la raison, la religion de la vie
et de la force. Cette religion est l'arme des forts et non pas le
refuge des faibles, comme le dit encore Henry Link dans son
livre :
« Mon étude approfondie des individus m'a permis
d'observer cette parcelle de lumière qu'est la lumière de la foi.
Que l'espoir de l'homme soit d'obtenir une situation
convenable, la sécurité économique, la tranquillité sociale ou le
427
bonheur conjugal, la prospérité ne se généralisera que si les gens
opposent aux conditions de vie et à la société actuelles un
combat animé par des idéaux nobles et sincères.
La religion dont je parle n'est pas le refuge des faibles
mais l'arme des forts. C'est le moyen d'une vie valeureuse qui
fera de l'homme le maître de son milieu plutôt que sa proie et
son esclave. »
Le Docteur Henry Link n'est pas le seul à être retourné à
la foi par la voie de l'expérience et de la science : il existe de
nombreux cas semblables.
Ainsi le célèbre auteur américain Dale Carnegie, l'auteur
entre autres de Comment cesser de s'inquiéter et commencer à
vivre, raconte qu'une vague de doute et d'anxiété s'était
emparée de sa foi à une certaine période de sa vie, de sorte qu'il
s'était trouvé au bord de l'athéisme. Il en était venu à penser que
la vie n'avait pas de but ni de destination, que les hommes
étaient dépourvus de tout objectif noble, comme des animaux, et
qu'ils étaient appelés à disparaître comme les dinosaures.
Puis la foi se réveilla en lui et il se rendit compte que la
vie n'est qu'un labyrinthe sans issue, un désert aride et
impitoyable sans l'oasis de la foi.
C'est ainsi qu'il dit : « Ce qui m'intéresse aujourd'hui, ce
sont les bienfaits que la religion m'apporte, comme je
m'intéresse aux bienfaits que nous apportent l'électricité, une
alimentation saine ou une eau pure. Ces choses contribuent à
nous faciliter la vie, mais la religion fait plus que cela : elle nous
apporte une nourriture spirituelle, elle nous apporte, comme le
disait William James, une motivation intense à poursuivre la
vie... une vie épanouie, heureuse et satisfaite. Elle nous apporte
la foi, l'espoir et le courage. Elle dissipe nos craintes, notre
mélancolie, notre inquiétude. Elle nous donne des buts et des
objectifs dans la vie, nous ouvre les horizons du bonheur, nous
aide à créer une oasis fertile au coeur du désert de notre vie. »
428
Le philosophe Francis Bacon a dit fort justement : « Un
peu de philosophie fait pencher l'esprit humain vers l'athéisme,
tandis que l'approfondissement de la philosophie peut ramener
un homme à la foi. »
Ce sont les esprits superficiels, les pseudo-philosophes,
ceux pour qui une apparence de science et de philosophie fait
illusion, qui entrent dans des débats interminables et commettent
l'erreur monumentale de se rebeller contre la religion et contre
Dieu ou même de nier totalement l'existence du Tout-Puissant.
Certains d'entre eux agissent ainsi pour se donner une apparence
de liberté ou attirer l'attention sur eux, d'autres pour justifier
leur poursuite des plaisirs et jouissances de la vie. Ils cherchent à
saper les fondements de la religion afin de s'autoriser la licence
la plus totale, sans pudeur ni conscience.
Mais les esprits éclairés, les vrais savants aux
connaissances profondes, se gardent bien de se couper de cette
lumière intarissable, celle de la foi et de la certitude.
Nous n'avons donc pas à nous étonner de voir les plus
grands spécialistes de la vie psychologique, qu'ils soient
théoriciens ou médecins, proclamer leur attachement à l'anse la
plus solide, celle de la religion, et appeler les hommes à la foi.
Ainsi le célèbre psychologue William James, chef de file
du courant pragmatiste, a dit :
« Il existe entre nous et Dieu un lien indéfectible. Si nous
nous y soumettons en honorant le Tout-Puissant, toutes nos
espérances se réaliseront. »
II dit encore : « La foi est une des forces qu'il faut
absolument fournir pour aider les hommes à vivre, car son
absence les rend incapables d'affronter l'existence. »
Lorsque William James était professeur de philosophie à
l'Université de Harvard, il dit : « Le plus puissant remède à
l'angoisse est indubitablement la foi. »
429
Carnegie commente cette affirmation en ces termes : « Il
n'est pas indispensable d'étudier à Harvard pour comprendre
cette vérité. Mes parents l'avaient comprise, dans leur humble
demeure. Ni les inondations, ni les dettes, ni les malheurs n'ont
eu raison de leurs âmes fortes et de leur optimisme. Il me semble
encore entendre la voix de ma mère chanter cette chanson tout
en s'occupant de son foyer :
La paix, la paix... ô qu'elle est douce la paix
Que verse dans nos âmes le Bon, le Miséricordieux
Je T'implore, ô mon Dieu, de m'entourer de paix
Et d'en remplir mon coeur... »
Dale Carnegie dit encore :
« Je me rappelle cette époque où les gens ne parlaient de
rien d'autre que du conflit entre la science et la religion. Mais ce
débat est maintenant clos définitivement, car la plus moderne
des sciences, la psychiatrie, prêche les principes de la religion.
Pourquoi ?
Parce que les psychiatres se sont rendu compte que la foi
profonde, l'attachement à la religion et la prière sont capables de
venir à bout de l'anxiété, des craintes et de la tension nerveuse,
et de guérir plus de la moitié des maladies dont nous
souffrons... Oui, les psychiatres savent cela, ce qui les a
conduits à affirmer qu'un homme véritablement religieux ne
souffre jamais de troubles psychiques.
Les psychiatres ne sont, à mon sens, que des prêcheurs
d'une nouvelle sorte. Ils ne nous exhortent pas à nous attacher à
la religion pour nous préserver du châtiment de l'Enfer dans
l'Au-delà, mais ils nous recommandent la religion pour nous
préserver de l'enfer qui nous menace dans la vie de ce monde...
l'enfer des ulcères à l'estomac, de la dépression nerveuse, de la
folie, etc.
Le Docteur Cari Jung, le plus grand psychiatre de sa
génération, a écrit dans L'homme moderne à la recherche d'une
430
âme : `Au cours des trente dernières années, j'ai été consulté par
des individus de tous les peuples du monde civilisé et j'ai soigné
des centaines de malades : je n'ai pas rencontré un seul
problème, chez les personnes qui avaient atteint un âge moyen
(trente-cinq ans environ), qui ne revienne fondamentalement au
manque de foi et à l'éloignement des enseignements de la
religion... On peut véritablement dire que chacun de ces
malades était en proie à la maladie parce qu'il était privé de la
sérénité apportée par la religion quelle qu'elle soit. Tous ces
malades ne purent guérir qu'en revenant à la foi et en s'aidant
des commandements et des interdits de la religion pour affronter
la vie.'
Pourquoi la foi en Dieu Tout-Puissant est-elle source de
paix, de sécurité et de sérénité ?
Laissons William James répondre à cette question : `La
turbulence des vagues de l'océan ne trouble en rien le calme des
profondeurs : de même, l'homme qui possède une foi profonde
en Dieu est capable de demeurer serein face aux turbulences
temporaires qui agitent la surface de la vie. L'homme
véritablement religieux résiste à l'anxiété, il conserve toujours
son équilibre et est toujours prêt à faire face aux difficultés que
la vie lui réserve.' » 1
Nous citerons encore cet article paru en novembre 1962,
intitulé : « Les psychiatres ont recours à la religion pour soigner
les maladies mentales » :
« Voici une consolation pour tous ceux qui sont restés
fermement attachés à leur religion et dont la foi n'a pas flanché
sous les coups de boutoir des adeptes des théories modernes, qui
s'appuient sur le darwinisme pour arguer que la religion n'est
qu'une invention et que l'homme se suffit à lui-même, selon les
termes de Julian Huxley.
431
Les psychiatres ne trouvent pas aujourd'hui d'arme plus
efficace pour soigner leurs malades que la religion et la foi en
Dieu, l'aspiration à la miséricorde divine, le recours à la
protection de Dieu et à la force incommensurable du Créateur
lorsque toute autre force s'avère impuissante !
Une expérience a été tentée dans un hôpital psychiatrique
de l'État de New-York spécialisé dans le traitement des
criminels atteints de maladies mentales.
Cette expérience consistait à introduire la religion
comme nouveau procédé thérapeutique, aux côtés des
électrochocs et des tranquillisants.
Le résultat fut spectaculaire. Ceux dont la guérison
semblait impossible et pour qui on avait perdu tout espoir
revinrent alors du monde de la folie à celui de la raison. Ceux
qui avaient commis les pires crimes alors qu'ils étaient
dépouillés de toute volonté, retrouvèrent la maîtrise de leur
volonté, de leur pensée et de leur comportement, versèrent des
larmes de regret et ne firent plus qu'espérer en la miséricorde et
le pardon de Dieu.
Les savants n'eurent plus qu'à se rendre à l'évidence et à
tendre les mains vers le ciel, à reconnaître leur faiblesse et à
proclamer haut et fort que la science appelle à la foi et jamais à
l'athéisme. »
Non seulement les psychiatres, mais les médecins
également considèrent que la foi en Dieu est indispensable au
succès du traitement d'un grand nombre de maladies physiques
et nerveuses, en particulier si la foi du médecin se joint à celle
du malade. Cela permet d'abréger la durée du traitement et de
rapprocher la guérison.
Le Docteur Paul Ernest Adolph, professeur assistant
d'anatomie à l'Université de St John's aux États-Unis et
membre de l'Association des chirurgiens américains, a dit :
« J'ai acquis la certitude que la guérison véritable doit englober
432
tout à la fois le corps et l'esprit, et j'ai compris que mon devoir
est d'appliquer non seulement mes connaissances médicales et
chirurgicales, mais aussi ma foi et ma connaissance de Dieu. Ce
n'est qu'ainsi, en m'appuyant dans ces deux domaines sur une
base solide, que j'ai pu apporter à mes malades la guérison dont
ils avaient besoin. Je me suis rendu compte, après une réflexion
profonde, que mes connaissances médicales et ma foi en Dieu
sont le fondement sur lequel doit se baser la philosophie
médicale moderne. » t
Le même auteur dit encore : « J'ai découvert au cours de
ma pratique de la médecine que mon bagage spirituel associé à
mes notions de matière médicale me permettaient de traiter
toutes les maladies avec un succès véritable. Par contre, lorsque
l'homme tient son Seigneur à l'écart de ce domaine, ses
tentatives ne seront qu'une demi guérison, ou peut-être moins
encore.
Quelles sont les causes principales de ce que nous
appelons les maladies nerveuses ?
Les principales causes de ces maladies sont le sentiment
de culpabilité, la crainte, la haine, la peur, l'anxiété, le
refoulement, l'hésitation, le doute, la jalousie, l'égoïsme et
l'ennui. Il est regrettable que souvent, ceux qui s'occupent de
traiter les troubles psychiques parviennent à cerner les causes du
désordre psychique qui cause le mal, mais ne réussissent pas à
remédier à ces désordres car ils ne tentent pas de les traiter en
suscitant la foi en Dieu dans l'âme de ces malades. »
Si certains intellectuels des pays musulmans n'écoutent
que les voix en provenance de l'Occident, ils n'ont plus qu'à
écouter en silence ces appels sincères lancés non pas par des
débutants, des rêveurs ou des esprits superficiels, mais par des
savants de grande envergure fondant leur jugement sur la science
moderne, basée sur l'observation, l'expérience et l'analyse.
433
Le plus étonnant, c'est que ces appels émanent d'un pays
qui a atteint un haut niveau de progrès scientifique, de richesse
matérielle et de prospérité économique, réussissant même à
envoyer des hommes sur la lune ; un pays qui croit à l'utilité
pratique, à la vie réelle, et non pas aux cités vertueuses et aux
idéaux platoniciens. Et pourtant les savants de ce pays insistent,
comme nous l'avons vu, sur la nécessité de s'attacher à la
religion pour y trouver protection et guérison, force, lumière et
orientation.
Rejetons donc vigoureusement et à tout jamais ces
énormes mensonges répétés chez nous par des gens qui ne se
distinguent que par leur impudence et leur aveuglement : que la
science est en contradiction avec la foi, ou qu'elle peut se passer
de la foi. Ces paroles n'ont aucun sens.
434
Conclusion
Je pense, après ce que nous avons dit dans ce livre, que le
chemin est maintenant clairement tracé.
Un seul chemin se présente à notre communauté : celui
de la foi. Nous n'avons pas d'autre choix. C'est le seul chemin
qui nous permettra de réaliser nos objectifs et nos espoirs.
Si nous recherchons l'Au-delà, son chemin est celui de la
foi.
Si nous recherchons ce bas-monde, la foi y conduit
également.
Si nous recherchons l'un et l'autre, c'est encore la foi qui
nous y mènera.
La question de l'Au-delà sera évoquée ailleurs.
Pour ce qui est de la vie de ce monde, de nos espoirs, de
nos objectifs et de notre bonheur ici-bas, nous avons pu voir au
cours de cette étude que la seule voie qui y conduit est la foi
véritable.
Si nous recherchons le bonheur personnel, il nous faudra
avant tout une âme en paix, et l'âme ne connaît pas la paix sans
la foi.
Si nous recherchons une vie pure, il nous faudra avant
tout la pureté morale, et celle-ci est fondée sur la foi.
Si nous recherchons la cohésion sociale, il nous faudra
avant tout la fraternité, et celle-ci est fondée sur la foi.
Si nous recherchons la cohésion militaire et la victoire
sur notre ennemi, il nous faudra avant tout l'héroïsme : or, il n'y
a pas d'héroïsme sans sacrifice et il n'y a pas de sacrifice sans
foi.
435
Si nous recherchons la prospérité économique, il nous
faudra avant tout produire : or, il n'y a pas de productivité sans
morale, et il n'y a pas de morale sans foi.
Si nous recherchons le progrès technologique, il nous
faudra avant tout de la persévérance : or, il n'y a pas de
persévérance sans but, et la vie n'a pas de but sans la foi.
Si nous recherchons une réforme en profondeur de notre
vie, il nous faudra avant tout réformer nos coeurs : or, il n'y a pas
de changement sans détermination, et il n'y a pas de
détermination sans foi.
Si nous recherchons un gouvernement juste, nous devons
savoir qu'il n'y a pas de justice sans loi, que la loi ne vaut rien
sans conscience, et qu'on ne peut compter sur une conscience
sans foi.
La foi, c'est la force de caractère, c'est la vie de l'âme,
c'est le secret de la vie, la beauté du monde et la lumière qui
éclaire la voie.
La foi, c'est un repos, un guide, une réserve de force, une
compagnie. C'est la foi qui produit les héros, qui réalise les
miracles, qui ouvre les portes et illumine le droit chemin.
Bref, la foi est indispensable à la vie humaine : c'est
d'elle que dépendent la paix et le progrès de l'individu, comme
la cohésion et la stabilité de la société.
Quand je parle de foi, je parle de la foi musulmane, si
complète, si équilibrée, si profonde et si positive. Je parle de la
foi du Coran et de la sunna, des Compagnons et de leurs
vertueux successeurs : de la foi en tant que connaissance,
intention, conviction et action. Je ne parle pas de la foi
uniquement intellectuelle des théologiens du kalâm, de la
spiritualité exclusive des soufis, ni de la foi de pure forme des
pseudo-savants immobilistes.
Je parle d'une foi qui n'est pas un simple slogan mais un
mode de vie complet, intégrant l'individu et la communauté.
436
C'est une lumière qui pénètre l'esprit, les sentiments et la
volonté de l'individu, qui vit en lui comme la sève dans la
plante, qui lui redonne vie et le transforme d'une créature
insignifiante en un homme doté d'une mission, d'une bête en un
être proche des anges.
Les rayons éclatants de cette lumière s'étendent sur la
société et le sang de la vie se met à y circuler, elle retrouve sa
vigueur et renaît de ses cendres. N'est-ce pas là une faveur de
Dieu, Lui à qui il suffit de dire à une chose « sois » pour qu'elle
soit ?
La foi véritable influence la vie tout entière, elle
empreint de spiritualité aussi bien les idées et les sentiments que
les moeurs, les institutions et les lois. C'est « ... la couleur de
Dieu, – et quelle meilleure couleur que celle de Dieu ! » t
Une communauté qui veut revivre grâce à la foi doit
réviser son mode de vie, sa pensée et son comportement
conformément à la logique imposée par la foi. Elle doit se
libérer de tout ce qui entrave cette foi ou en voile la lumière.
Sinon, cette foi ne sera qu'une parole sans fondement.
Mon Dieu, guide notre communauté sur la voie de la foi,
« la voie de ceux que Tu as comblés de bienfaits, non pas de
ceux qui encourent Ta colère ni des égarés. »2 Amîn.
437
Table des matières
PREFACE DE L'EDITEUR 5
INTRODUCTION 7
438
Le but de l'être humain 95
La foi et le bonheur 99
Où se trouve le bonheur ? 99
Le bonheur se trouve-t-il dans le plaisir matériel ? 99
Les enfants procurent-ils le bonheur ? 103
Le progrès scientifique apporte-t-il le bonheur ? 104
Le bonheur se trouve à l'intérieur de l'être humain 107
Le minimum de confort matériel nécessaire au bonheur 108
La sérénité 110
Il n'est pas de bonheur sans sérénité 110
Il n'est pas de sérénité sans foi 111
Pourquoi le croyant possède t-il la sérénité ? 113
Le croyant répond à l'appel de sa nature profonde 113
Le croyant a découvert le sens de son existence 121
Le croyant est sauvé des tourments de la perplexité et du doute 130
Le croyant connaît son but et la voie qu'il doit suivre 136
Le croyant est en harmonie avec l'univers tout entier 143
Le croyant vit en la compagnie de Dieu 147
Le croyant vit en compagnie des prophètes et des véridiques 150
La prière et les invocations contribuent à la sérénité 152
Le croyant ne passe pas sa vie entre les souhaits et les regrets 155
Le contentement 159
Le croyant est satisfait de sa situation et de son Seigneur 162
Le croyant est satisfait de l'univers et de la vie 164
Le croyant ressent profondément les bienfaits dont Dieu le comble 166
Le croyant est satisfait du sort que Dieu lui a fixé 173
Le croyant est satisfait de la part de richesses que Dieu lui a attribuée 175
Le sens de la satisfaction quant à ce que Dieu nous donne 178
Une histoire édifiante 180
Le contentement est une source de force 183
Le contentement ne signifie pas qu'on accepte l'erreur en silence 187
439
L'espoir 200
Le désespoir et la mécréance vont de pair 202
La foi engendre l'espoir 203
L'espoir est indispensable dans la vie 210
440
C'est le pouvoir de la foi qui l'emporte 273
L'interdiction de l'alcool aux États-Unis et dans l'histoire musulmane 274
Là où la force a échoué, la foi a triomphé 276
La conscience et le rôle de la morale 279
Le rôle de la foi dans la construction de la conscience 280
L'influence de la conscience religieuse dans les divers domaines de la vie 286
Dans l'acquittement des impôts 286
La reconnaissance des crimes et l'acceptation des sanctions 288
Le respect des lois et des dépôts confiés 290
La politique et le gouvernement 291
Le commerce et les relations 295
La bienveillance et le désintéressement 298
Objections et confusions 303
La crainte de Dieu et du Jour Dernier et son rôle dans l'éducation 305
Le Docteur Henry Link répond aux adversaires de l'enseignement religieux 307
La chimère de « la conscience sans foi » 314
La force 328
L'individu et la société ont besoin de force morale 328
L'origine de la force du croyant : la foi en Dieu 329
La foi en la vérité 331
La foi en l'éternité 332
La croyance au destin 333
La croyance a la fraternité 336
La force est proportionnelle à la foi 337
Les fruits de cette force dans l'âme et la moralité du croyant 339
Le témoignage de l'histoire 349
L'origine de la faiblesse 350
L'inertie et la faiblesse sont contraires à la foi 351
La compassion 353
La compassion du croyant a sa source dans la miséricorde divine 353
Il ne sera pas fait miséricorde à qui ne manifeste pas de compassion 355
Conséquences de la compassion dans la société musulmane 358
Les crimes brutaux proviennent de la mécréance et de la dureté 361
Deux exemples de la compassion des croyants 363
441
La foi et la productivité 368
La foi et l'action 368
Le croyant est de lui-même poussé au travail 369
Le succès dans l'Au-delà est fondé sur l'action, non sur les espérances 370
C'est par l'action qu'on réussit ici-bas 371
Le croyant craint Dieu dans son travail et s'applique à sa tâche 372
L'influence de la paix intérieure sur la production 374
L'influence de la droiture sur la production 374
Le croyant est conscient de la valeur du temps 375
Les pratiques cultuelles et la production 376
Le croyant met en valeur, par son travail, la terre que Dieu lui a confiée 378
La foi en l'Au-delà n'est pas un obstacle à la vie de ce monde 380
S'en remettre à Dieu n'est pas synonyme de passivité 381
CONCLUSION 435
442