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L’art de la souffrance
Antarès Trib
Antarès Trib
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“Toc...toc...toc...” On frappe à la porte. Je veux dire quelque chose. Quelque chose
comme “entrez” ou “ouvrez” ou “venez, pénétrez dans mon monde, faites comme si j’étais
absent mais délivrez moi de ma solitude et de mes chaines blanches et translucides”, quelque
chose comme ça. Je veux dire quelque chose mais je n’arrive pas à parler. C’est comme si ma
voix était juste faite de mots. Ma bouche est si pâteuse que mes mots doivent être devenus
solides et visibles. Quand je parle, mes mots doivent tomber sur le sol, et apparaitre. Moi je ne
les vois pas. Je les entends. Mais ceux qui ne les entendent pas doivent pouvoir les voir. Mais
pour les voir, il faut qu’ils entrent. Et ils ne rentrent pas.
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“Toc...toc...toc...” On frappe à la porte. Je voudrais que ça entre. Je voudrais que ça
entre, ou que ça arrête de frapper. J’essaye de bouger, j’essaye de faire bouger le siège sur
lequel je suis, j’agite mon corps de toute la force de mon esprit, mais je ne bouge pas de
l’endroit où je suis. Je reste au milieu de ce lieu vide, où je suis la seule chose présente. Je me
débats, je lutte contre mon corps entravé. Rien qu’un geste, rien qu’un mouvement. Je me
fatigue mais rien ne se passe. S’il vous plait, faites que je réussisse à bouger, juste un petit
geste, rien d’autre que quelque chose de différent. Je veux que quelque chose change, et qu’il
y ait un avant, et un maintenant, et un après. Pourquoi est ce qu’il n’y a pas quelque chose qui
marque le temps ?
“Toc...toc...toc...” Arrêtez, laissez-moi sortir de cet univers sans vie. Laissez-moi vivre
! Laissez-moi grandir par moi-même, que je puisse regarder autre part que devant moi sans
rien voir d’autre que cette porte. Je veux voir ce qui se trouve derrière moi. Qu’est ce qu’il y a
derrière moi? Peut-être qu’il y a une fenêtre, ou une lucarne, ou une vitre, quelque chose de
différent de cette porte. Je ne veux plus voir cette porte, je ne veux plus voir les murs crûs, je
veux voir autre chose ! Juste quelque chose de différent. Je ne veux plus avoir l’impression
d’être mort, je ne veux pas mourir, ou pire, je ne veux pas avoir l’impression de ne pas
exister. Je n’ai pas voulu être ici. Quelqu’un m’a mis ici. Dites lui de me sortir d’ici.
“Toc...toc...toc...” Arrêtez ! Arrêtez tout ça. Si quelqu’un me voit, si quelqu’un arrive à
voir les mots que je crache et qui se durcissent quand ils sortent de ma bouche, venez me
délivrer, qui que vous soyez... Je n’en peux plus. J’ai l’impression d’être ici juste pour que
personne ne me voit, d’être ici pour rien, d’être ici sans être ici. J’ai l’impression d’être mort.
Si ça se trouve je suis mort. Si ça se trouve je suis en train de vivre ma mort et personne ne
m’entend, car je ne fais pas de bruit. Si ça se trouve je suis ici pour vivre ce que je vis. Si ça
se trouve je n’existe pas. Peut-être que je n’arrive pas à bouger parce que celui qui m’a mis ici
ne veut pas que je bouge. Il ne veut pas que je bouge parce qu’il veut me montrer immobile,
me montrer en train de me débattre inutilement contre des chaines qui n’existent pas vraiment,
qui n’existent que parce qu’il a voulu que je les vois et qui n’existent que pour moi. Peut-être
que toute cette pièce est vide parce que celui qui m’a mis là veut qu’on ne voit que moi qui
essaye de vivre, mais qui ne le peux pas.
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“Toc...toc...toc...” Ça peut continuer de frapper. Je m’en moque maintenant. Ça frappe
juste pour me faire croire qu’il y a quelque chose d’autre de l’autre côté de moi. C’est ça.
C’est forcément ça. Il veut que je me débatte, il veut qu’on me voit me débattre dans ce
monde vide. Il veut que je sois un simulateur de vie qui cherche la vie. Non, je ne me
débattrai plus. Je ne veux pas être juste ça. Je veux être autre chose, quelque chose que moi
seul peut décider pour moi. Non... non pitié, faites que mes cheveux ne me démangent pas.
S’il vous plaît. Je dois penser à autre chose. Mais à quoi ? Je ne me souviens de rien d’autre
que cette pièce vide, de ces murs vides, de ce sol vide, de ce plafond vide, et de cette porte
devant moi. Je n’arrive plus à penser à autre chose qu’à mon crâne qui me fait mal, qu’à mon
nez qui me fait mal, qu’à mes mains engourdies. Faites moi penser à autre chose, un petit
souvenir, même s’il n’est pas vraiment de moi. Faites moi penser! Seul, je ne peux pas penser.
Je ne sais pas qui je suis.
“Toc...toc...toc...” Je suis ce corps. Regardez qui je suis. Pour vous, pour moi, je ne
suis que ce corps. Je suis vide à l’intérieur. J’ai été créé comme ça. Je veux remplir ce corps
que l’on m’a permis de posséder. Je suis comme cette pièce... Je suis cette pièce. Cette pièce
est exactement comme moi. Je suis exactement comme cette pièce : Derrière moi il n’y a rien,
devant moi il y a une porte et ça frappe dessus, comme celui qui m’a fait. Il me frappe, il me
torture, il me fait rendre compte du vide que j’ai en moi. Je ne suis là que pour montrer le
vide. Regardez ce que je suis ! Je suis vide, vide, vide, vide de tout. Je suis ce vide, et c’est ce
vide que vous regardez. Vous regardez le vide et la souffrance. C’est par votre faute que je
suis ici, que je suis. Mais moi, je ne suis pas vide, pas pour moi. J’ai envie de vivre. Ça me
remplit. Moi, je ne regarde pas le vide, je cherche à vivre, et à faire vivre. Vous, vous
cherchez juste à...
“Toc...toc...toc...” Allez-y, frappez sur le vide, frappez tant que vous le pouvez. Vous
frappez sans rien entendre, alors que moi je ne frappe pas, et j’entends tout.
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