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Faut-il ici employer ou non l’adverbe ne? L’une de ces phrases est-elle fautive et
l’autre correcte, ou a-t-on le choix? Si l’emploi de ne est facultatif dans ce contexte,
la forme positive est-elle préférable?
1 Règle générale
Les grammaires s’accordent sur le fait que son emploi tend à disparaître.
Toutefois, les auteurs qui ont toujours recours au ne explétif peuvent vouloir
exprimer certaines nuances de leur pensée, et il reste opportun de savoir dans
quel contexte ce ne peut s’employer et ce qu’il exprime, notamment par rapport à
la forme négative ne pas.
Dans le premier exemple, Pierre pense que Lucie pourrait revenir à la charge et il
le craint. C’est pour appuyer la connotation négative du verbe craindre que l’auteur
de cette phrase a recours au ne explétif. Il pourrait tout aussi bien choisir
d’exprimer ce qu’il veut dire sans cette nuance, dans une forme grammaticalement
positive, en écrivant : Pierre craint que Lucie revienne à la charge.
Dans le deuxième exemple, par contre, Pierre pense que Lucie pourrait ne pas
revenir à la charge, et il le craint. Le sentiment de Pierre est toujours exprimé par
un verbe à connotation négative (craindre). Cependant, la crainte dont il est ici
question est contraire à celle qu’exprimait la première phrase donnée en exemple.
La subordonnée (introduite par que) exprime une véritable négation (désignée par
l’emploi de ne pas).
Notons que le sentiment exprimé dans la phrase où l’on a eu recours au ne explétif
(Pierre craint que Lucie ne revienne à la charge) aurait pu l’être de deux autres
manières :
3 Contextes d’emploi
3.1 Le ne explétif après les verbes exprimant la crainte (appréhender, avoir peur,
craindre, redouter, trembler, etc.)
Forme affirmative
Après les verbes de crainte, tels que appréhender, avoir peur, craindre, redouter,
trembler, etc., employés à la forme affirmative, on met ordinairement ne devant le
verbe de la subordonnée quand celle-ci exprime un désir négatif, c’est-à-dire
évoque un effet que l’on ne veut pas voir se produire.
Les mêmes règles s’appliquent dans le cas des expressions de crainte que, dans
la crainte que, de peur que, etc.
Forme négative
Après les verbes de crainte employés à la forme négative, le ne explétif est
régulièrement omis dans la subordonnée.
Elle ne craint pas que son travail soit achevé en son absence.
ou
ou
Nous doutons que les deux groupes aient mis leurs ressources en commun.
Dans ces cas, l’emploi du ne est jugé préférable par certains, alors qu’il est
considéré comme facultatif par d’autres.
ou
ou
Cette règle vaut également dans le cas des expressions telles que nul doute que,
point de doute que, il n’y a pas de doute que, il n’est pas douteux que, etc.
En fait, la particule ne est le plus souvent omise, son absence marquant davantage
la conviction. C’est dire que, même si le verbe de doute ou de négation est à la
forme négative ou à la forme interrogative, on omettra d’employer le ne explétif
dans tous les cas où l’on veut exprimer un fait incontestable.
À moins que
Après la locution à moins que, le ne explétif est d’un emploi courant. La raison qui
justifie cet usage est simple : la locution à moins que indique que le fait mentionné
dans la principale se réalisera, sauf dans le cas énoncé dans la subordonnée. Le
ne vient donc mettre en relief cette hypothèse négative, qui tient au fait que
l’événement dont on fait mention dans la subordonnée n’est pas réalisé, n’est pas
encore réalisé (Riegel, Pellat et Rioul, 1999, p. 419).
Le ne explétif ne s’emploie que dans le cas où à moins que est suivi du subjonctif.
On l’omet si la locution à moins que est suivie de « de + infinitif » (Dournon, 1996,
p. 402).
Avant que
Après la locution avant que, l’emploi du ne explétif est facultatif, quoique fréquent,
comme le précise Jean-Yves Dournon (1996, p. 402).
ou
ou
Sans que
Après la locution sans que, qui contient déjà une négation, le ne explétif est
généralement omis : dans une mise en garde du 17 février 1966, l’Académie
française déclare que « sans que doit se construire sans négation, même s’il est
suivi d’un mot comme aucun, personne ou rien, qui ont dans ces phrases un sens
positif » (Défense de la langue française, s.v. sans que).
Sans qu’elle ait pu s’en rendre compte, elle se trouvait dépouillée de tous ses
biens.
Il mettra son projet à exécution sans que personne puisse s’y opposer.
Plutôt que
Dans l’emploi de la tournure comparative introduite par la locution conjonctive
plutôt que, l’usage tend à maintenir l’emploi du ne explétif si la phrase est
affirmative. Dans ce cas, si « l’omission de ne est extrêmement rare […] :
c’est qu’on tend en fait à nier le second verbe, en l’écartant au profit du premier
» (Hanse et Blampain, 2000, p. 375).
En fait, dans la subordonnée introduite par plutôt que, le verbe est conjugué à
l’indicatif et « on le nie en quelque sorte avec ne : Je subissais son amitié plutôt
que je ne la choisissais (Sagan, Fr., Un certain sourire); ce que je faisais, c’était
subir son amitié, non la choisir » (Hanse et Blampain, 2000, p. 451). Joseph Hanse
et Daniel Blampain déconseillent l’omission du ne dans ce cas.
ou
ou
ou
Il ne tient qu’au juge que cet avocat obtienne gain de cause quand même.
Le sens de cette phrase est : « La fête n’aura pas lieu si cela ne dépend que de
moi. » Si l’auteur choisit d’écrire : Il ne dépend que de moi que la fête n’ait lieu, il
veut alors dire : « La fête aura lieu, cela ne dépend que de moi. » Il aurait tout
aussi bien pu écrire : Il ne dépend que de moi que la fête ait lieu.