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2 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


Politis
Politis, 2, impasse Delaunay
S O M M A I R E ÉDITORIAL
75011 Paris
Tél. : 01 55 25 86 86 PAR THIERRY BRUN
Fax : 01 43 48 04 00
www.politis.fr • DANIEL BENSAÏD :
redaction@politis.fr
Fondateur : «S’ATTAQUER AU SYSTÈME LUI-MÊME » 4-5
Bernard Langlois.

Politis est édité par QUAND L’ÉCONOMIE VA MAL


Sortir de l’impasse libérale
ens d’actualité, les journalistes manquent souvent de

G
Politis, société par actions
simplifiée au capital de 941 000 euros.
Actionnaires :
• LES QUATRE CRISES PLANÉTAIRES 7 mémoire. La plupart des économistes, otages de la
Association Pour Politis, • Crédits à hauts risques 8 conjoncture, ont le même défaut. Rien, donc, n’est plus
Christophe Kantcheff, édifiant et salutaire que de les relire, avec le recul des
Denis Sieffert, Pascal Boniface, • Le capitalisme Ponzi 9 années et à la lumière de ce qui est advenu. Sans forfanterie
Laurent Chemla, aucune, d’autant que c’est leur mérite, et non le nôtre, le moins que
Jean-Louis Gueydon de Dives, • Les lignes de fracture de 2008 10
Valentin Lacambre. l’on puisse dire est que nos chroniqueurs supportent l’épreuve du
• Une économie « avec » marché 11 temps. Le lecteur en jugera en découvrant cette sélection de textes
Président, directeur parmi les 250 publiés depuis six ans dans Politis.
de la publication : • La vérité sur la dette 12
Denis Sieffert. Au cœur de la crise qui ébranle tout le système, et qui, sans doute,
• Récession et crise : la spirale 13 ne fait que commencer, leurs analyses restent pertinentes.
Directeur de la rédaction : L’explication est simple : les économistes que nous publions dans
Denis Sieffert. • La vulgarité en équations 14
Politis – et qui sont, pour la plupart d’entre eux, membres du conseil
Comité de rédaction :
• Attali et l’économie de guerre 15 scientifique d’Attac – proposent toujours une analyse systémique. Ils
Rédaction en chef : • Le capitalisme délinquant 16 plongent leur critique au cœur du système capitaliste. Ils se mettent
Thierry Brun (87). à l’abri des soubresauts et des illusions de la conjoncture. Ils ne
Christophe Kantcheff (85). • L’insoutenable libéralisme 17 s’enivrent jamais de l’air du temps. Contrairement à la plupart de
Michel Soudais (89).
Secrétaire général de la rédaction : • Arrêtons la guerre des monnaies 18 leurs confrères les plus médiatisés. C’est pourquoi, d’ailleurs, leurs
Sébastien Fontenelle (74). chroniques dans Politis apparaissent sous la rubrique « À contre-
Chefs de rubrique : courant ». Réjouissons-nous qu’ils soient, ces jours-ci, un peu plus
Olivier Doubre (91), Xavier Frison (88),
Ingrid Merckx (70).
DÉGÂTS SOCIAUX ET ÉCOLOGIQUES « dans le courant », au moment où la crise confirme leurs analyses.
• LA « SOCIÉTÉ DU RISQUE » 21 Et gageons que tout cela n’est que provisoire, quand les ralliés de la
25e heure à la critique du capitalisme reprendront leurs bonnes
Patrick Piro (75), Jean-Claude Renard,
Gilles Costaz, Marion Dumand, • Croissance ou écologie ? 22 habitudes néolibérales.
Denis-Constant Martin, Christine Tréguier,
Claude-Marie Vadrot, Jacques Vincent.
• Sale temps pour les pauvres 23 Quoi qu’il en soit, cette « rétrospective » est l’occasion de remettre
en perspective toutes les crises de ces dernières années, qui, peut-
Responsable éditorial web :
• Sous les retraites, le don 24 être, n’en font qu’une seule. Cela pourrait être un nouveau proverbe
Xavier Frison (88). • Et la finance ruinera les retraités 25 ou la boutade d’un humoriste : seuls les imbéciles maniant le
Architecture technique web : libéralisme comme une méthode Coué ignorent encore les crises
Grégory Fabre (Terra Economica) • La leçon du Clemenceau 26 systémiques. En effet, comment ne pas remarquer que la crise des
et Yanic Gornet.
Premier rédacteur graphiste • Relocaliser le développement 27 années 2007 et 2008 est systémique, prenant plusieurs formes,
papier et web : financière, économique, sociale et écologique, liées les unes aux
Michel Ribay (82). • Le sens d’une révolte 28 autres, comme le rappelle dans ce numéro spécial l’économiste
Rédacteurs graphistes :
Claire Le Scanff-Stora (84),
• Record d’inégalité aux États-Unis 29 Dominique Plihon ?
Jérémie Sieffert. • Controverse sur le pouvoir d’achat 30 Rappelons ici que l’éclatement de la bulle Internet à partir de
Correction et secrétariat de rédaction : • La violence faite aux 35 heures 31 mars 2000 avait déclenché une crise financière de grande ampleur
Marie-Édith Alouf (73), et devait déjà mettre fin à la croissance sans frein des marchés
Pascale Bonnardel (83). • Le partenariat, financiers. L’effet de domino était attendu, souligne notamment
Administration-comptabilité : nouvelle machine de guerre 32 Nicolas Béniès dans un excellent Petit Manuel de la crise financière
Isabelle Péresse (76). et des autres (1).
• Le plein-emploi précaire 33 La négation de la crise a cependant pris le dessus, en lien direct avec
Secrétariat :
Brigitte Hautin (86). • L’an un de la Sarkonomics 34 le poids de l’idéologie libérale. Quand tout s’accélère en mai-
Publicité-promotion :
juin 2007, avec la succession de faillites des sociétés de crédit
Marion Biti (90).
publicite@politis.fr
DÉSÉQUILIBRES NORD/SUD hypothécaire aux États-Unis, les apôtres de la pensée néolibérale
louent encore les puissants, « inventifs et courageux, mobiles et
Impression :
• LES ÉTATS-UNIS audacieux », évidemment responsables de leur succès, comme l’écrit
l’ineffable Éric Le Boucher (Le Monde du 8 octobre 2007) (2).
Rivet Presse Édition
BP 1977, 87022 Limoges Cedex 9
ET LE DÉSORDRE ÉCONOMIQUE MONDIAL 37 Il a fallu attendre le troisième krach des bourses du monde entier,
DIP, Service abonnement Politis,
• L’argent du beurre 38 en mars 2008, pour que les médias et les gouvernements prennent
18-24, quai de la Marne, 75164 Paris Cedex 19 • Le vaudeville du patriotisme économique 39 conscience de la profondeur de la crise. Avec certes quelques
Tél. : 0144848059. nuances. On pouvait par exemple lire une explication vertueuse de
Fax : 0142005692.
abopolitis@dipinfo.fr
• Les dogmes se fissurent 40 cette crise dans L’hebdomadaire britannique The Economist (du 5
Abon. 1 an France : 147 euros • La tragédie des Adpic 41 avril 2008) : « La finance est un cerveau qui facilite la rencontre
entre le capital et le travail, qui permet aux épargnants et aux
Diffusion. NMPP.
Inspection des ventes
• Délocalisations : emprunteurs de retarder ou d’avancer leur consommation, qui
et réassort : K.D. le nouveau bouc émissaire 42 permet aux individus de partager et d’échanger les risques. Plus ce
Éric Namont : 01 42 46 02 20 système est astucieux, plus il remplit ces tâches avec succès. »
Numéro de commission • Dette argentine : la résistance paie 43 On n’oubliera pas le rôle de la théorie financière, qui a connu un
paritaire :
0112C88695, ISSN : 1290-5550 extraordinaire développement grâce auquel elle a revendiqué un
L’EUROPE EN RUPTURE statut de savoir scientifiquement contrôlé (3). Et cette croyance dans
l’efficience des marchés autorégulés, qui a pourtant subi un démenti
• L’EUROPE, UNE ZONE DE LIBRE-ÉCHANGE 45 cinglant. Sans parler de l’incapacité de l’Union européenne à
• La directive des travaux forcés 46 construire des politiques communes dans la tourmente financière.
Tout cela apparaît dans ce numéro spécial qui se veut aussi un pas
• Un plan social-keynésien vers une sortie de l’impasse libérale.
pour relancer l’Europe ! 47
(1) Syllepse, 2009.
• Le temps des cerises 48 (2) Lire « La rhétorique réactionnaire : responsabilité », Gérard Mauger,
• L’élan du 29 mai 49 n° 2 de la revue de l’association Raison d’agir, décembre 2007, éditions du
Croquant.
(3) Lire L’Arrogance de la finance. Comment la théorie financière a
• LES AUTEURS 50 produit le krach, Henri Bourguinat et Éric Briys, La Découverte, 2009.
La photo de couverture est de Yoshikazu Tsuno (AFP).

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 3


L’analyse

Par Daniel Bensaïd, philosophe*


DR

« S’attaquer au sy
e capitalisme ? « On peut comprendre que les devrait être qu’un « passager de la pluie (3) » ! d’établissement » de l’article 48, qui laisse au
gens n’y croient plus ! », confesse Tony Blair Le plan de relance gouvernemental reporte capital la possibilité d’aller où les condi-
en personne (1). Quand on cesse de croire le coût de la crise sur les travailleurs et les tions sont le plus favorables et aux institu-

L à l’incroyable, une crise de légitimité, idéo-


logique et morale, s’ajoute à la crise sociale.
Elle finit par ébranler l’ordre politique.
La crise actuelle, la crise du présent, n’est
pas une crise de plus, qui s’ajouterait à
celles des marchés asiatiques ou de la bulle
Internet. C’est une crise historique – éco-
nomique, sociale, écologique – de la loi
de la valeur, une crise de la mesure et de
la démesure. La mesure de toute chose
par le temps de travail abstrait est deve-
contribuables. À la veille du congrès de
Reims, Martine Aubry faisait mine de
découvrir que « s’attaquer à ceux qui ont uti-
lisé le système sans s’attaquer au système lui-
même est inopérant (4) ». Mais le Parti socia-
liste se contente aujourd’hui d’un contre-plan
« équilibré » de mieux-disant social sans
aucune mesure radicale dans le sens d’un
nouveau partage des richesses à l’avantage
du travail : rien sur la nationalisation du
système bancaire et la création d’un ser-
tions financières la liberté de trouver asile
où bon leur semble.

S’il s’agit bien d’une crise systémique annon-


çant la fin d’un mode d’accumulation, les
mesures de relance conjoncturelle auront
un effet limité. Une sortie de crise débou-
chant sur l’émergence d’un nouvel ordre
productif et d’un nouveau régime d’accu-
mulation ne relève pas de la seule écono-
mie. Elle exige de nouveaux rapports de
nue, ainsi que Marx l’annonçait dans les vice public de crédit, rien sur une réforme forces, de nouveaux rapports géopolitiques,
Manuscrits de 1857, une mesure « miséra- fiscale radicale, rien sur une réorientation de nouveaux dispositifs institutionnels et
ble » des rapports sociaux. de la construction européenne. juridiques. Si la crise de 1929 fut celle de
« Les deux crises économique et planétaire ont un l’émergence américaine, de quelle émer-
point commun, constate Nicholas Stern, « S’attaquer au système lui-même », ce serait gence la crise actuelle est-elle grosse ? D’une
auteur en 2006 d’un rapport sur l’économie s’attaquer au pouvoir absolu du marché, émergence chinoise ? D’une organisation
du changement climatique. Elles sont la à la propriété privée des grands moyens de multipolaire d’espaces continentaux ? D’une
conséquence d’un système qui n’évalue pas les production et d’échange, à la concurrence « gouvernance mondiale » ?
risques que son fonctionnement génère, qui ne tient de tous contre tous. Le libéral Nicolas Alors qu’on invoque la nécessité d’un nou-
pas compte du fait qu’il peut aboutir à une des- Baverez lui-même définit la banque comme vel ordre monétaire mondial et de réponses
truction supérieure au bénéfice immédiat qu’il un « bien public de la mondialisation » : « Du globales, Giscard d’Estaing lui-même recon-
procure, et sous-estime l’interdépendance des fait de leurs caractéristiques, [les banques] ont naît que « la gestion économique de la crise en
acteurs (2). » La logique de la course au pro- la nature d’un bien public (5). » On s’attend Europe est devenue durant la crise plus nationale
fit – du « bénéfice immédiat » – est en effet à à ce que, conformément à cette « nature », qu’elle ne l’était avant son déclenchement » et que
courte vue. Et la « concurrence non faus- ce bien public revienne à une gestion « les instruments d’intervention sont essentiel-
sée » est aveugle à « l’interdépendance » publique sous contrôle public. Mais, pour lement nationaux (6) ». La crise accuse en
systémique. Baverez, l’État devrait au contraire assu- effet les différences nationales et libère des
Un nouveau Bretton Woods ? Une gou- rer aux banques une immunité illimitée tendances centrifuges. Au nom d’une « néces-
vernance mondiale ? L’Union européenne pour les pertes et une assurance tous risques saire correspondance des espaces économiques
n’a même pas été capable de mettre sur pour les profits. et sociaux », Emmanuel Todd se fait le cham-
pied une Autorité des marchés financiers S’attaquer au cœur du système, ce serait pion d’un « protectionnisme européen (7) »
à l’échelle continentale, ni de s’entendre adopter un bouclier social pour protéger dans le but de « créer les conditions d’une
sur une définition commune des paradis les travailleurs des conséquences de la crise. remontée des salaires », afin que l’offre crée à
fiscaux ! Dès octobre 2008, Laurence Pari- Il faudrait pour cela briser le carcan des nouveau sur place sa propre demande. La
sot s’est empressée de préciser que l’État doit critères de Maastricht et du pacte de stabilité, question n’est pas de principe ou de doctrine.
jouer son rôle en volant au secours de la rétablir le pouvoir politique sur la Banque Protéger ? Mais protéger quoi, contre qui
finance, mais se retirer dès que les affaires centrale européenne, abroger le Traité de Lis- et comment ? Si l’Europe commençait par
auront repris leur cours lucratif. En clair, bonne, réorienter radicalement la cons- adopter des critères sociaux de convergence
socialiser les pertes avant de reprivatiser truction européenne en commençant par en matière d’emploi, de revenu, de pro-
les profits. Après avoir admis que l’État est l’harmonisation sociale et fiscale, et en tection sociale, de droit du travail, et par
seul capable dans l’immédiat de « sauver initiant un réel processus constituant. Il harmoniser la fiscalité, elle pourrait légiti-
l’économie et les banques », Jean-Marie Mes- faudrait au moins exiger l’abrogation de mement adopter des mesures de protec-
sier, ressuscité du purgatoire, s’empresse l’article 56 du traité de Lisbonne, interdi- tion, non plus des intérêts égoïstes de ses
d’ajouter qu’il « faut prévoir de refermer le sant toute restriction aux mouvements du industriels et financiers, mais des droits et
parapluie une fois la tempête passée » : l’État ne capital financier, et l’abrogation de la « liberté des acquis sociaux. Elle pourrait le faire

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des crises

stème lui-même »
de manière sélective et ciblée, avec en contre- l’âge de la retraite, et de soutenir les fonds du capitalisme. Je veux le dire aux Français : l’an-
partie des accords de développement soli- de pension. C’est la majorité du Parti ticapitalisme n’offre aucune solution à la crise
daire avec les pays du Sud en matière de socialiste qui a approuvé la sacralisation actuelle », martelait Nicolas Sarkozy dans son
migrations, de coopération technique, de de la concurrence gravée dans le projet discours de Toulon. Le message est clair :
commerce équitable, sans quoi un protec- de Traité constitutionnel européen de l’anticapitalisme, voilà l’ennemi. Le Pré-
tionnisme de riche aurait pour principal 2005. C’est encore elle dont le vote a per- sident y est revenu, lors de son interven-
effet de se décharger sur les pays les plus pau- mis l’adoption du Traité de Lisbonne tion au colloque sur la refondation du capi-
vres des dégâts de la crise. confirmant la logique libérale de la cons- talisme, organisé à son initiative le 8 janvier
Imaginer qu’une mesure de protection doua- truction européenne. 2009 par le secrétariat d’État à la Pro-
nière entraînerait mécaniquement une amé- Pour les sauveteurs du Titanic capitaliste, spective : « La crise du capitalisme financier
lioration des conditions sociales européennes, la tâche s’annonce rude. Un nouveau New n’est pas celle du capitalisme. Elle n’appelle pas
comme si elle était techniquement neutre Deal ? Un retour à l’État social ? C’est la destruction du capitalisme, qui serait une
dans une lutte des classes exacerbée par la oublier bien vite que la déréglementation catastrophe, mais sa moralisation. » Il a reçu
crise, est une grosse naïveté : les travailleurs libérale ne fut pas un caprice doctrinaire en la circonstance le vigoureux renfort de
auraient les inconvénients des tracasseries de Thatcher ou de Reagan. C’était une Michel Rocard : « Il faut commencer par cela :
bureaucratiques et frontalières sans les avan- réponse à la baisse des taux de profit enta- nous voulons sauver le capitalisme. » Ces décla-
tages sociaux. Un tel protectionnisme ne més par les conquêtes sociales de l’après- rations de guerre sociale tracent une ligne
résisterait pas longtemps, à son impopula- guerre. Après 1973, « l’incapacité des poli- de front entre deux camps. Discuter entre
rité dans l’opinion, ou bien il ne tarderait pas tiques keynésiennes à relancer l’activité ouvre le possédants des moyens de refonder, réin-
à basculer dans une « préférence nationale » champ à une surprenante contre-révolution venter, moraliser le capitalisme, ou bien
(ou européenne) chauvine. conservatrice », rappelle Robert Boyer (8). lutter avec les exploités et les dépossédés
Revenir à la case départ, ce serait retrouver pour le renverser : il faut choisir.
À les entendre, les gouvernants d’hier et d’au- les mêmes contradictions. « Réguler sans Personne ne saurait prédire à quoi res-
jourd’hui, de droite et de gauche, auraient transformer n’est pas régler », ironise fort à sembleront les révolutions futures. Du
tous et toujours dénoncé la folie systémique propos Jean-Marie Harribey. moins existe-t-il un fil conducteur. Ce sont
des marchés. La dérégulation n’a pourtant Après la crise de 1929, il fallut, pour redis- bien deux logiques de classes qui s’affron-
pas été le fait de la fameuse main invisible, tribuer les cartes de la richesse et de la puis- tent. Celle du profit à tout prix, du calcul
mais de décisions politiques et de mesures sance, et pour amorcer une nouvelle onde égoïste, de la propriété privée, de l’inégalité,
législatives. C’est sous le ministère socialiste expansive, rien moins qu’une guerre mon- de la concurrence de tous contre tous, et celle
des finances de Pierre Bérégovoy qu’a été diale. La mise en place d’un nouveau mode du service public, des biens communs de
conçue, dès 1985, la grande dérégulation des d’accumulation et l’amorce hypothétique l’humanité, de l’appropriation sociale, de
marchés financiers et boursiers en France. d’une nouvelle onde longue de croissance l’égalité et de la solidarité.
C’est un gouvernement socialiste qui, en supposent de nouvelles hiérarchies plané- D. B.
1989, a libéralisé les mouvements de capi- taires de domination, un redécoupage des
taux en anticipant sur une décision euro- nations et des continents, de nouvelles (1) Le Journal du dimanche, 14 décembre 2008.
(2) Le Monde, 15 décembre 2008.
péenne. C’est le gouvernement Jospin qui, conditions de mise en valeur du capital, (3) La Tribune, 15 janvier 2009.
en privatisant plus que les gouvernements une transition du système énergétique. Un (4) Le Journal du dimanche, 5 octobre 2008.
Balladur et Juppé réunis, a rendu le capi- tel remue-ménage ne se résout pas à (5) Le Monde, 26 novembre 2008.
talisme français accueillant aux fonds d’in- l’amiable entre chancelleries, sur le tapis (6) Le Monde, 13 janvier 2008
vestissement spéculatifs. C’est un ministre vert, mais dans les luttes sociales et sur les (7) Après la démocratie, Emmanuel Todd, Gallimard.
(8) Libération, 29 décembre 2008.
socialiste des finances, Dominique Strauss- champs de bataille. La crise, c’est bien,
Kahn, qui a proposé une forte défiscalisa- comme l’écrit Marx, « l’établissement par la * Daniel Bensaïd a publié récemment Éloge de la
tion des fameuses stock-options, et c’est un force de l’unité entre des moments [production politique profane, éditions Albin Michel, 2008 ;
autre ministre socialiste des finances, Lau- et consommation] promus à l’autonomie ». Un nouveau théologien : Bernard-Henri Lévy (Fragments
rent Fabius, qui l’a réalisée. C’est un Conseil mécréants, 2), Nouvelles Éditions Lignes, 2008 ; avec
européen à majorité social-démocrate qui Alain Krivine, 1968, fins et suites, Nouvelles Éditions
« La crise financière n’est pas la crise du capi- Lignes, 2008 ; Politiques de Marx, suivi de Inventer
a décidé en 2002 à Barcelone de libéraliser talisme. C’est la crise d’un système qui s’est éloi- l’inconnu, textes et correspondances autour de la
le marché de l’énergie et l’ensemble des gné des valeurs les plus fondamentales du capi- Commune, Karl Marx et Friedrich Engels, La Fabrique,
services publics, de repousser de cinq ans talisme, qui a, en quelque sorte, trahi l’esprit 2008.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 5


Quand l’économie va mal

Les quatre
crises planétaires
« La recherche insatiable de rentabilité financière à court terme et tous azimuts a conduit à la
marchandisation et à la destruction progressives des biens communs de l’humanité »

Chronique de Dominique Plihon publiée le 9 mai 2008.

’hypercapitalisme qui domine la planète détenteurs du capital financier qui s’exerce En quatrième lieu, la crise actuelle est de nature
est en proie à une crise globale, c’est-à- sans limites sur l’ensemble de la planète géopolitique. Tout d’abord, parce qu’elle
dire à une quadruple crise financière, ali- grâce à la mobilité internationale du capi- remet en cause l’hégémonie états-unienne.

L mentaire, écologique et géopolitique. Ces


quatre dimensions de la crise sont étroi-
tement interdépendantes et révèlent les
contradictions internes, portées à leur
paroxysme, d’un système économique
non soutenable.

La crise financière a démarré sur le marché


des subprimes, un segment du marché de
l’immobilier états-unien – comme cela a
déjà été expliqué dans ces colonnes –,
tal, résultat des politiques néolibérales.
Cette recherche insatiable de rentabilité
financière à court terme et tous azimuts a
conduit à la marchandisation et à la des-
truction progressives des biens communs
de l’humanité (en particulier ses ressources
non renouvelables).

La crise alimentaire, qui se manifeste aujour-


d’hui par la flambée des prix des matières
premières agricoles, a deux causes prin-
Le modèle économique des États-Unis est
en panne. Fondé sur une hyperconsom-
mation des ménages, qui est le moteur du
boom économique des États-Unis, ce
modèle a entraîné un surendettement des-
dits ménages qui est devenu insoutenable
et se trouve à l’origine de la crise finan-
cière. La puissance économique des États-
Unis était directement liée à leur capacité
à émettre sans limites une dette en dollar
auprès de l’étranger grâce au statut de mon-
puis s’est propagée aux grandes places cipales. D’abord, la libéralisation des mar- naie internationale du billet vert. La crise
financières de la planète par un « effet chés agricoles et le démantèlement des financière des États-Unis sape la domina-
aile de papillon » propre à la finance et à politiques agricoles visant à une régula- tion mondiale du dollar, comme le montre
la météorologie. C’est-à-dire qu’une sim- tion des marchés et des cours, notamment sa forte baisse (plus de -100 % contre euro
ple perturbation à un endroit donné de sous l’égide de l’OMC et de la Banque depuis 2001). Par ailleurs, la montée en
la planète peut, en se propageant, se trans- mondiale. Soumise aux pressions du mar- puissance des grands pays émergents – les
former en krach ou en cyclone, comme l’a ché mondial, l’agriculture vivrière a été Bric (2) – est désormais un défi pour l’hé-
montré Edward Lorenz, le père de la théo- détruite dans les pays en développement, gémonie économique et financière états-
rie des chaos, qui vient de disparaître. menaçant les populations les plus pauvres unienne. L’économie mondiale devient
Cette crise financière est grave, et com- de la planète, qui vivent (à hauteur de polycentrique.
parable par sa profondeur à celle des 75 %) dans les zones rurales. En second Une sortie de la crise actuelle ne sera pos-
années 1930, parce qu’elle fragilise les lieu, la spéculation financière joue un rôle sible que si au moins deux séries de condi-
banques – acteurs stratégiques du capi- d’amplification de la crise alimentaire. Ne tions sont remplies. D’une part, la recon-
talisme – qui réagissent en rationnant le pouvant plus se porter sur les marchés de naissance d’une nouvelle hiérarchie des
crédit, frappant ainsi directement le sys- l’immobilier ni sur les marchés financiers, normes à l’échelle internationale qui donne
tème productif de nos économies. D’où eux-mêmes en crise, les spéculateurs (dont la priorité aux impératifs écologiques et
le caractère inéluctable d’une crise éco- les fameux hedge funds) se sont déplacés sociaux sur les critères purement financiers
nomique et de la remontée du chômage sur les marchés des matières premières et marchands. D’autre part, une réforme pro-
dans un grand nombre de pays. en « jouant », et donc en poussant les prix fonde du gouvernement de la planète, per-
à la hausse. La crise alimentaire est inti- mettant à tous les pays de promouvoir leur
Quant à la crise écologique, elle est consub- mement liée à la crise écologique. Une propre modèle de développement (et notam-
stantielle aux dysfonctionnements du capi- illustration en est fournie par le dévelop- ment leur souveraineté alimentaire), et
talisme financier. Il est en effet établi, en pement des agrocarburants, fallacieuse- remettant en cause le fonctionnement actuel
particulier par les travaux du Giec (1), ment présentés comme une solution éco- des institutions internationales (FMI,
que notre modèle de développement est logique à l’épuisement des sources d’énergie Banque mondiale, OMC), dont les poli-
écologiquement insoutenable, et que la fossiles non renouvelables. Il s’agit en fait tiques ont contribué aux crises en cours.
dégradation de notre écosystème s’accé- d’une nouvelle filière lancée par les groupes D. P.
lère, avec un risque d’irréversibilité. Cette et exploitants de l’agro-industrie, dont les (1) Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution
évolution mortifère est la conséquence effets sur les bilans écologiques et ali- du climat.
directe du comportement prédateur des mentaires de la planète seront désastreux. (2) Brésil, Russie, Inde et Chine.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 7


Quand l’économie va mal

Crédits à hauts risques


krach boursier de 2000. Cette nouvelle
logique de la finance américaine, fondée
« La bulle immobilière a créé ce que les économistes appellent un sur le boom immobilier, a structuré les
“effet de richesse”, c’est-à-dire que les ménages se sont sentis classes sociales aux États-Unis. Au som-
met de la hiérarchie, se trouve une classe
plus riches, d’autant que leur capacité d’endettement a de professionnels très bien payés, qui a
bénéficié des exonérations fiscales du gou-
augmenté au rythme des prix immobiliers… » vernement. Ces riches, qui gagnent plus de
250 000 dollars par an, possèdent des mai-
sons de grand luxe qui symbolisent le
Chronique de Robert Guttmann publiée le 5 avril 2007. « rêve américain » et fixent les standards
de la réussite sociale. En dessous, il y a
une importante classe moyenne, dont le
endant plus d’une décennie, la croissance pays. Au cœur de ce système économique revenu est compris entre 50 000 et
des pays émergents et de l’Union euro- se trouvent les consommateurs américains 150 000 dollars. La bulle immobilière a

P péenne a été liée aux exportations et aux


excédents commerciaux envers des États-
Unis. Chaque année, une large partie des
créances accumulées sur les États-Unis a
été automatiquement recyclée sur les mar-
chés américains, ce qui a permis de finan-
cer les excès de dépenses du consomma-
teur américain. Ce pays a maintenant une
dette extérieure de trois mille milliards de
dollars ! Bien entendu, les États-Unis sont
un débiteur privilégié car ils peuvent s’en-
detter dans leur propre devise du fait du sta-
qui se comportent en « acheteurs en dernier
ressort ». Leur volonté et leur capacité à
dépenser au-dessus de leurs moyens se
répercutent directement à Sao Paolo, à
Paris, à Shanghai et au-delà.
L’excès de consommation américain est
profondément ancré dans une culture fon-
dée sur l’accès facile au crédit. Les mé-
nages détiennent en moyenne deux voi-
tures achetées à un crédit le plus souvent à
taux zéro. De nombreuses familles des clas-
ses moyennes envoient leurs enfants dans
créé ce que les économistes appellent un
« effet de richesse », c’est-à-dire que les
ménages se sont sentis plus riches, d’au-
tant que leur capacité d’endettement a
augmenté au rythme des prix immobi-
liers… Du coup, ces ménages américains
ont dégagé une épargne négative : ils ont
dépensé plus que leur revenu. Cette classe
moyenne est aujourd’hui fragilisée par la
chute des prix immobiliers et par des char-
ges financières (coût de la dette) élevées qui
absorbent le niveau record de 18 % de son
tut privilégié du dollar comme monnaie des universités coûteuses grâce aux prêts revenu disponible.
internationale. aidés aux étudiants. Les ménages ont en
moyenne une dette de 9 500 dollars par Mais c’est dans la classe des bas revenus que
Ainsi, l’économie mondiale est tributaire des leur carte de crédit. Plus important, les sont les ménages américains les plus vul-
déficits américains chroniques qui contri- deux tiers des Américains sont propriétai- nérables : ces familles modestes ont pu
buent à soutenir une croissance tirée par res de leur logement. Et la plupart utilisent accéder à la propriété immobilière grâce à
les exportations dans un grand nombre de leurs actifs immobiliers comme garantie la bulle qui leur a donné une capacité d’en-
pour obtenir de nouveaux dettement inespérée… Les institutions de
crédits à la consommation crédit se sont en effet lancées dans des prêts
et au logement. Un vérita- hypothécaires à hauts risques à ces familles
ble carrousel du crédit s’est financièrement précaires qui ne s’étaient
mis en place. Tous ces prêts encore jamais endettées comme cela.
gagés sur des actifs immo- Aujourd’hui, environ 12 % de ces prêts
biliers ont été dopés par la sont en défaut, ce qui met en difficulté ces
bulle immobilière : les prix prêteurs à haut risque.
de l’immobilier ont plus La faillite de New Century Financial,
que doublé en moins de seconde institution américaine de crédit
cinq ans ! immobilier à haut risque, a eu d’impor-
tantes répercussions planétaires ces der-
Les banques ont transformé nières semaines. L’inquiétude des mar-
ces créances sur les ména- chés sur les différentes places financières
ges en titres négociables du globe provient du constat que les plus
(titrisation) pour les ven- grandes banques américaines et interna-
dre sur le marché finan- tionales ont été piégées par leurs excès et
cier américain. Ce qui a leur aveuglement face à la bulle immo-
attiré des investisseurs bilière. Or, le financement de l’immobi-
étrangers qui ont apporté lier est un rouage central de l’économie
massivement leurs liqui- d’endettement américaine et internatio-
dités aux banques améri- nale. Aussi sommes-nous désormais face
caines. Ce circuit financier au risque d’une purge de la dette par la
JIANMIN/IMAGINECHINA

international a largement déflation. C’est-à-dire par une chute simul-


contribué à soutenir les tanée de la croissance et des prix qui débu-
dépenses des ménages et terait aux États-Unis, puis se propagerait
la croissance économique au reste de l’économie mondiale.
Un grand nombre de pays, dont la Chine, dépendent de leurs exportations vers les États-Unis. états-unienne depuis le R. G.

8 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


Le capitalisme Ponzi
EN JANVIER 1920, À BOSTON, un petit escroc
imaginatif, Charles Ponzi, trouva une
manière astucieuse de gagner de l’argent « Le parallèle est évident entre la chaîne de Ponzi et le système
sans se fatiguer. La technique était sim-
ple : il achetait en Italie des « coupons- financier actuel. Certes, la finance internationale ne promet pas
réponses internationaux » (IRC en anglais) un rendement de 40 % par mois, mais seulement 15 % par an.
– des timbres émis par la poste italienne,
que les familles envoyaient dans leurs cour- Le jeu est moins explosif et peut durer plus longtemps »
riers à leurs membres émigrés aux États-
Unis pour qu’ils puissent affranchir leur
réponse. Puis il revendait à l’US Postal
Chronique de Thomas Coutrot publiée le 3 avril 2008.
Service ces coupons au prix en dollar du
timbre américain – bien plus élevé que le
prix en lires qu’il avait payé. Il prétendait
profiter ainsi tout à fait légalement d’une
faille dans le dispositif des postes inter-
nationales. (Aujourd’hui, dans les salles de
marché des grandes banques, exactement
la même technique est largement utilisée
sous le nom d’« arbitrage », bien sûr pas
pour des timbres mais pour des titres ou
des devises.)
Ponzi créa une société, la Securities Exchange
Company, et promit un rendement de 50 %
en 45 jours. Les premiers investisseurs reçu-
rent en effet la rémunération promise, et la
nouvelle se répandit rapidement. En quelques
mois, 17 000 épargnants furent attirés par
la perspective de gains rapides, et confiè-
rent à Ponzi plusieurs dizaines de millions
de dollars. En août, on s’aperçut enfin qu’il
rémunérait les premiers investisseurs avec
les sommes confiées par les suivants, sans
avoir acheté pratiquement le moindre cou-
pon-réponse en Italie. Il fut arrêté et son
système s’effondra brutalement. Les jour-
naux blâmèrent la naïveté et la cupidité des
épargnants floués.
La « chaîne de Ponzi » est devenue un cas
CLARY/AFP

d’école d’escroquerie financière, et a sus-


cité depuis de nombreux imitateurs, comme
les fameuses pyramides albanaises de 1995- Le montage frauduleux élaboré par Bernard Madoff est précisément inspiré de la chaîne de Charles Ponzi.
1996, qui avaient attiré plus de la moitié de
la population du pays en promettant des nouveaux investisseurs qui permet de faire Curieusement, aucun produit de cette « finance
rendements de 40 % par mois. Après l’ef- grimper les cours et de servir les rende- créative » n’a repris de Ponzi le sigle IRC.
fondrement, la presse occidentale s’est bien ments promis. Fonds de pension de salariés, Regrettable ingratitude envers un précur-
sûr gaussée de la naïveté de ces Albanais émirs du pétrole, fonds d’investissements et seur qui avait si bien compris l’essence du
qui confondaient capitalisme et casino. hedge funds, milliardaires d’Amérique Latine, capitalisme financier. Le jeu est-il fini ?
Le parallèle est pourtant évident entre la de Russie et maintenant d’Inde et de Chine, Certainement pas. Le krach financier aura
chaîne de Ponzi et le système financier fonds souverains des pays émergents… des conséquences lourdes pour les popu-
actuel. Certes, la finance internationale tous ont afflué sur les marchés pour profi- lations. Mais si ses règles ne sont pas radi-
ne promet pas 40 % par mois, mais seu- ter de la fête, gonflant la bulle financière calement modifiées, le jeu reprendra ensuite
lement 15 % par an. Le jeu est donc moins et immobilière. Avec, pour couronner le son cours dément. Ainsi, la réforme des
explosif, et peut durer plus longtemps. tout, l’endettement des chômeurs et sala- retraites annoncée par le gouvernement
Mais au fond les mécanismes se res- riés pauvres états-uniens, enrôlés dans la Fillon vise d’abord à faire baisser les pen-
semblent étrangement. danse par un système financier avide de sions de la Sécurité sociale par répartition
nouvelles recrues. D’où le développement pour favoriser l’épargne-retraite par capi-
Comment les Bourses ont-elles pu depuis démentiel des subprimes, ces prêts immo- talisation. Et donc à réinjecter à terme
vingt ans garantir aux investisseurs des ren- biliers dont la charge de remboursement, quelques dizaines de milliards d’euros sup-
dements moyens aussi élevés ? Bien sûr, presque nulle les premières années, devient plémentaires dans la chaîne du capitalisme
d’abord en mettant en coupe réglée les ensuite écrasante pour des débiteurs pau- Ponzi. Il faut vraiment être (au choix) aveu-
entreprises et les salariés, par le chantage per- vres et précaires. Mais très rentables pour gle, cupide ou irresponsable pour vouloir
manent à la fuite des capitaux que permet les banques qui se sont empressées de refi- détourner l’argent des retraites dans ce
un système financier totalement libéralisé. ler sur les marchés financiers ces créances maelström financier.
Mais un effet de type Ponzi joue aussi un douteuses empaquetées dans de jolis titres
rôle majeur, par l’afflux permanent de – les ABS, SIP et autres SIV… T. C.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 9


AYISSI/AFP

Jean-Claude Trichet dirige la Banque centrale européenne, dont la politique monétaire très stricte la prédispose à ne s’occuper que de l’inflation.

Les lignes de
fracture de 2008 Admettons pourtant que cette année soit
marquée par un ralentissement très inégal de
« Au-delà des différences évidentes qui existent entre les États- l’économie mondiale, mais que celui-ci ne
se transforme pas en récession généralisée.
Unis, la Chine et l’Europe, ces trois grands pôles ont un trait Même dans ce cas de figure, 2008 va mon-
fondamental en commun qui est la baisse régulière de la part des trer à quel point le fragile équilibre de
l’économie mondiale est peu « soutenable »
richesses qui revient à ceux qui la produisent » et se trouve aujourd’hui au bord de la rup-
ture. Comme on vient de le voir, les États-
Chronique de Michel Husson publiée le 21 février 2008. Unis pourront difficilement continuer à faire
financer par le reste du monde un déficit
commercial abyssal ou espérer le réduire
grâce à la chute sans fin du dollar, sans que
eux questions se posent après l’éclatement comptent sur un dynamisme maintenu des cela fasse éclater de nouvelles tensions avec
de la crise bancaire et immobilière aux pays émergents pour compenser le ralen- la Chine et l’Europe. Les dysfonctionne-

D États-Unis : quelle sera l’ampleur du ralen-


tissement de l’économie américaine, et
dans quelle mesure va-t-il se propager au
reste du monde ? Il s’agit en réalité d’une
seule et même question. La récession aux
États-Unis ne pourra être évitée que dans
la mesure où les effets de cette crise seront
reportés sur le reste du monde ou com-
pensés par ce qui s’y passe.
Le scénario d’atterrissage en douceur sup-
pose que le déficit des États-Unis se résorbe,
ce qu’il a d’ailleurs commencé à faire timi-
tissement aux États-Unis. Mais cette thèse
sous-estime la dépendance, quelquefois
indirecte, de la croissance des pays émer-
gents par rapport aux exportations à des-
tination des États-Unis. Le second facteur
porte sur les réactions de l’Union euro-
péenne à un ralentissement de la conjonc-
ture mondiale. De ce côté, les choses ne
se présentent pas non plus très bien. La
politique monétaire très stricte de la Banque
centrale européenne la prédispose à ne s’oc-
cuper que de l’inflation, et à se désintéres-
ments structurels de l’Union européenne
vont eux aussi apparaître dans toute leur
clarté. Enfin, le mode de croissance des pays
émergents, qui misent tout sur les exporta-
tions, va également montrer ses limites.

2008 va ainsi permettre de comprendre le contenu


social de la configuration actuelle de
l’économie mondiale : ses déséquilibres
renvoient au caractère profondément inéga-
litaire des arrangements sociaux qui la sous-
tendent. Au-delà des différences évidentes
dement. Le recul de la demande intérieure ser du taux de change. En maintenant des qui existent entre les États-Unis, la Chine
serait ainsi compensé par une plus grande taux d’intérêt trop élevés, elle risque non seu- et l’Europe, ces trois grands pôles ont un trait
contribution du solde extérieur à la crois- lement d’étouffer la croissance en Europe fondamental en commun qui est la baisse
sance. En d’autres termes, les importations mais aussi d’encourager ou de susciter une régulière de la part des richesses qui revient
continueraient à ralentir, et une partie des nouvelle baisse du dollar. Or, la sensibilité à ceux qui la produisent. C’est cette ten-
pertes de parts de marché serait rattrapée. à une telle baisse est très différente d’un dance qui crée le surendettement et le défi-
La variable-clé est alors le cours du dol- pays à l’autre ; elle est notamment beaucoup cit aux États-Unis, le chômage en Europe,
lar : une nouvelle baisse permettrait juste- plus forte en France qu’en Allemagne. Il faut ainsi que la priorité aux exportations et la
ment de freiner les importations et de doper savoir aussi que plusieurs grands pays euro- suraccumulation en Chine.
les exportations américaines. Mais c’est péens (Espagne, Italie, Royaume-Uni) sont Le moyen qui permettrait de dégonfler la
une voie étroite et semée d’embûches. Elle confrontés à des retournements plus ou sphère des échanges mondialisés et de résor-
suppose en effet que la demande adressée moins marqués de leur conjoncture dont les ber les déséquilibres mondiaux est au fond
aux États-Unis ne fléchisse pas, autrement causes sont d’ailleurs diverses. Dans ces partout le même : il consisterait à recen-
dit que le ralentissement de la demande conditions, et compte tenu du carcan libé- trer l’activité économique sur la demande
intérieure ne se communique pas trop au ral européen, la probabilité est grande que intérieure, autrement dit sur la satisfaction
reste du monde. Tout est donc lié. cette diversité de situations rende impossible des besoins sociaux. Mais il faudrait pour
une réaction coordonnée et ouvre au cela une remise en cause radicale des ten-
Deux facteurs entrent alors en jeu. Le premier contraire la voie à des politiques d’austérité dances actuelles d’un « pur capitalisme »,
est le degré de « découplage » de l’éco- très peu « coopératives ». Une nouvelle fois, et même une récession ne suffirait pas à
nomie mondiale à l’égard de la conjonc- l’Union européenne s’infligerait à elle- enclencher une réorientation spontanée.
ture aux États-Unis. Les plus optimistes même un ralentissement exagéré. M. H.

10 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


Une économie
« avec » marché accepte de prendre les choses par la racine,
cela passe par une certaine réhabilitation
« Raisonner en termes d’ “ économie de marché”, c’est ravaler de l’entreprise. L’entreprise conçue comme
un espace – celui de la production – irré-
au rang de simples accessoires ce qui lui échappe pour tout ou ductible à l’échange, comme un objet pro-
partie : l’État social, en particulier » pre, irréductible à la seule propriété du
capital. On mesure ici la distance avec la
théorie néoclassique. Mais aussi avec la
Chronique de Christophe Ramaux publiée le 12 juillet 2007. théorie marxiste. Selon celle-ci, les rap-
ports capitalistes marchands dominent,
« en dernier ressort », la totalité sociale.
L’entreprise actionnariale ne fait donc que
« ACCEPTER L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ. » Bien ceux-ci utilisent toujours massivement le réaliser « l’essence » de l’entreprise. L’État
au-delà des libéraux, la formule fait florès. pilier politique économique, délaissé dans social n’a-t-il pas une dimension anticapi-
Ne pas l’accepter serait refuser la moder- la zone euro (avec le succès que l’on sait). taliste ? À l’instar de l’État tout court, il
nité et les leçons du XXe siècle. Le précepte L’État social est la révolution que nous serait lui-même, « en dernier ressort », au
forge un nouveau « cercle de la raison » et a léguée le XXe siècle. Raisonner en ter- service de la classe dominante. De ce côté
joue comme un sésame pour tous ceux qui mes d’économie de marché laisse enten- aussi « l’économie de marché » absorbe
aspirent « à compter ». Pas seulement dans dre qu’il n’a été qu’une parenthèse adap- tout. On est souvent prisonnier du schéma
le monde de l’entreprise ou de la finance. tée aux Trente Glorieuses – le « fordisme » – intellectuel de ceux qu’on combat…
Mais, c’est là que la conversion est mas- et qui serait avec elles dépassée. Un acci- C. R.
sive, dans celui de la production symbo- dent de l’histoire lié à la guerre froide.
lique des politiques, des journalistes et pire, Difficile avec une telle représentation de
car ceux-là sont payés pour ne pas gober les justifier l’actualité des services publics ou
idées reçues, des chercheurs. de la protection sociale.
La formule, comme toujours, a une part Nous ne vivons ni en économie de mar-
de bon sens. Oui, la concurrence a des ché, ni, distinction spécieuse, en société de
vertus. Le capitalisme n’est pas sponta- marché, mais dans des économies avec
nément synonyme de concurrence. Un marché et intervention publique, et pour
chef d’entreprise lui préfère toujours le être plus précis dans des économies avec
monopole et ses surprofits. Mais c’est marché, capital (les deux termes n’étant pas
aussi pourquoi la concurrence a du bon : synonymes), intervention publique et éco-
elle contraint à innover, à se perfection- nomie sociale (associations, mutuelles et
ner et, partant, augmente la productivité coopératives, qui forment près de 10 %
et la croissance. Que la concurrence doive du PIB et des emplois).
être encadrée et instituée par des règles
de droit (commercial, du travail, etc.) « Accepter l’économie de marché », revient à
n’enlève rien à ses vertus. penser le fonctionnement de l’économie
Reste l’essentiel : nous ne vivons pas en comme étant d’abord une somme de rela-
« économie de marché » mais « avec du tions interindividuelles d’échange. « Au
marché ». Et cette différence n’est pas début sont les marchés » : le reste vient
qu’une nuance. Raisonner en termes ensuite. La théorie néoclassique domi-
d’« économie de marché », c’est ravaler nante est ici à son aise. C’est exactement
au rang de simples accessoires ce qui lui son présupposé : le marché est le soleil,
échappe pour tout ou partie : l’État social, le reste (l’intervention publique notam-
en particulier, avec ses quatre piliers que ment) venant après comme autant
sont les services publics, la protection d’« imperfections ». Ce qui vaut de façon
sociale, le droit du travail (et à la négo- générale vaut pour la façon de se repré-
ciation collective) et les politiques éco- senter l’entreprise. Celle-ci ne doit être
nomiques (monétaires, budgétaires, indus- qu’un objet de propriété au service du
trielles, commerciales, etc.) de soutien à capital. L’entreprise, comme institution col-
l’activité et à l’emploi. lective mettant en jeu plusieurs parties
Ces quatre piliers existent dans la quasi-tota- prenantes – actionnaires privés parfois
lité des pays de la planète (y compris les (mais pas toujours puisque existe un sec-
moins développés), même si la voilure et teur public qui produit aussi, on ne le dira
les formes concrètes prises par chacun jamais assez, de la richesse) mais aussi
d’eux sont très variables. La protection salariés, dirigeants, clients, usagers, col-
sociale, le droit du travail et les services lectivités locales, État –, est niée. Elle est
publics existent ainsi, mais sont moins réduite à une société de capitaux au ser-
développés, dans les pays anglo-saxons (le vice des actionnaires. D’où la justifica-
Royaume-Uni a néanmoins augmenté son tion du capitalisme actionnarial.
secteur public ces dernières années), mais Comment s’opposer à ce dernier ? Si on

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 11


Quand l’économie va mal

La vérité
sur la dette ! excessive car inemployée. Un certain volant
de dette est alors justifié, d’autant plus
« Les obsédés de la dette ne précisent jamais que la part de la qu’elle est désirée par les épargnants, qui
dépense publique dans le PIB est restée étonnamment stable raffolent aujourd’hui des obligations d’É-
tat ! La dette n’est donc pas un fardeau
depuis trente ans » pour les générations futures car elle a une
contrepartie en termes d’actifs aujourd’-
hui détenus par certains ménages. Enfin,
Chronique de Liêm Hoang-Ngoc publiée le 12 avril 2007. la dette se stabilise dès lors que la croissance,
soutenue par la dépense publique, est suf-
fisamment forte pour engendrer un sur-
a dette publique est devenu l’alibi du dis- croît de recettes fiscales. Encore faut-il
cours prônant la « réforme » de l’État social que la dette finance les choix porteurs
jacobin, dont les dépenses « improduc- d’avenir (l’investissement, la recherche-

L tives » sont accusées de peser sur les géné-


rations futures. Ce discours s’accompagne
en général d’un plaidoyer en faveur de la
baisse des « impôts et des charges », pré-
sumée nécessaire pour affronter la concur-
rence fiscale du monde « moderne ».
La thèse officielle est soutenue par le rap-
port Pébereau. La France vivrait à crédit. La
dette augmente de 6 % par an depuis vingt-
cinq ans alors que la production nationale
en volume ne s’accroît que de 2 % par an.
développement, la formation) car il existe
aussi une mauvaise dette, causée par les
choix fiscaux et budgétaires néolibéraux.

Ces mauvais choix sont à l’origine du « para-


doxe de la dette », que la pensée unique
passe sous silence : la dette publique s’est
accrue au cours du quart de siècle passé
alors que c’est précisément au cours de
cette période que des gouvernements ont
appliqué des politiques censées réduire le
Son poids représenterait pour chaque nou- poids de l’interventionnisme public. La
veau-né environ 17 500 euros. Il faudrait dette publique ne dépassait pas 25 % du
donc commencer par stabiliser le taux de pré- PIB en 1983, lorsque la gauche était accu-
lèvements obligatoire, en engageant dans sée d’avoir excessivement nationalisé ! Elle
un premier temps un programme de retour était de 36,5 % en 1991, avant l’entrée en
à l’équilibre budgétaire sur cinq ans, avant vigueur du traité de Maastricht… Elle
de pouvoir le réduire. Faute de quoi, le explosa littéralement sous les auspices
transfert de la dette aux générations futures d’Édouard Balladur et d’Alain Juppé entre
PIERMONT/AFP

entamerait la capacité d’épargne de celles- 1993 et 1997, où elle atteignit 58,5 % du PIB,
ci et réduirait les ressources nécessaires au plaçant quasiment la France aux limites
financement des dépenses porteuses d’avenir. autorisées par le traité. Cette dette fut pré-
Les taux d’intérêt seraient poussés à la La dette augmente de 6 % par an. cisément la cause d’une certaine dissolution
hausse, ce qui s’avérerait nuisible à l’inves- de l’Assemblée nationale qui devait légiti-
tissement et la croissance future. des administrations est alors positive. Elle mer un nouveau plan d’austérité préalable
représente 19,7 % du PIB. à l’entrée dans l’euro… La droite fut bat-
Les obsédés de la dette ne précisent jamais que À la pensée unique s’oppose la thèse selon tue et la dette baissa à 56 % du PIB en 1999.
la part de la dépense publique dans le PIB laquelle le déficit budgétaire est un instru- De retour aux affaires en 2002, la droite
est restée étonnamment stable depuis ment nécessaire de régulation macro- s’engagea à nouveau sur le chemin de la
trente ans (la part des dépenses de l’État économique. Il soutient la demande rupture avec le gaullisme. Elle mit en chan-
s’est réduite alors que la part des dépen- lorsque les entreprises n’investissent pas tier la deuxième réforme des retraites et de
ses sociales a augmenté). Les marges de (ce qui est malheureusement le cas), alors l’assurance-maladie, de nouvelles privati-
manœuvre pour réduire les effectifs sont qu’une abondante épargne est disponible sations et baisses d’impôts.
faibles, sauf à considérer que la santé, pour financer des projets en sommeil dans Le taux d’endettement culmine aujourd’hui
l’éducation et la décentralisation ne sont l’économie réelle. Dans ces conditions, à 64 % du PIB… Les politiques néolibérales
pas des priorités. Ils oublient curieuse- la dépense publique doit pallier le déficit se sont avérées incapables de soutenir la
ment que tout compte de patrimoine inclut de dépense privée des entreprises (celles- croissance « par l’offre » alors que les ré-
un passif et un actif. Ainsi, si le compte de ci ne s’endettant pas pour investir) en formes de la structure des prélèvements fis-
patrimoine des administrations publiques mobilisant l’épargne par l’emprunt d’État. caux et sociaux ont amplifié l’érosion des
est porteur d’un passif, il comporte aussi Faute de quoi, l’économie subirait une ressources fiscales de la République. Il est
des actifs physiques (routes, écoles, hôpi- panne de croissance liée à une crise de vraiment temps de changer de logiciel !
taux, équipements…). La richesse nette débouchés résultant d’une épargne L. H.-N.

12 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


Récession et crise : la spirale
LES MAUVAISES NOUVELLES SE BOUSCULENT à
la porte des médias. L’économie des États-
Unis est au bord de la récession, les bourses « En simplifiant suffisamment, on peut affirmer que les uns (les
dérapent et le scandale financier dévoile
l’invraisemblable fragilité des contrôles. ménages états-uniens) empruntent et consomment, et les autres
Ajoutant à la confusion, les apôtres les plus (le reste du monde) financent »
zélés du néolibéralisme revendiquent sou-
dainement les propos blasphématoires des
gauches radicales : le « capitalisme finan- Chronique de Gérard Duménil publiée le 14 février 2008.
cier » est désigné à l’opprobre général.
Comment comprendre la convergence des
menaces qui pèsent sur les économies
états-unienne et mondiale ? Est-ce la crise le processus est engagé : les taux sont La crise du crédit hypothécaire états-unien
des subprimes (des crédits hypothécaires abaissés. Mais le paysage a bien changé. a révélé ses procédés les plus choquants.
douteux) qui pousse la production vers la Fini le bel élan des vendeurs d’accès à la Et tous les maux de la crise lui sont
récession ? Inversement, le ralentissement propriété et l’enthousiasme des acheteurs. désormais attribués. Pourtant, de quoi
de la croissance a-t-il été un des facteurs Le secteur est dévasté. Cassée, la courroie aurait besoin aujourd’hui la Réserve fédé-
de la crise financière ? Quelle est la hié- de transmission ! rale pour éviter la nouvelle récession ?
rarchie des objectifs des politiques : main- D’un nouveau subprime. Il va falloir trou-
tenir la production, sauver le secteur finan- Oui, la situation actuelle de l’économie des ver autre chose.
cier ? La réponse semble aller d’elle-même. États-Unis n’est pas banale. Et c’est là que G. D.
Tout tient à tout : l’un renforce l’autre et se rejoignent les crises – la crise financière
réciproquement. et les récessions – et les déséquilibres à plus
Il faut, pour s’y retrouver, revenir en arrière. long terme de cette économie. Voilà vingt ans
De quelques années seulement. Premier que la dette des ménages augmente en
épisode : une étrange collaboration. Pour parallèle à la « dette » extérieure du pays (plus
sortir l’économie états-unienne de la réces- exactement, la croissance des placements
sion de 2001, la convergence de forces très du reste du monde dans des titres, actions,
différentes est réalisée : la Réserve fédérale obligations, etc., états-uniens, trois quarts
(Banque centrale des États-Unis) et une privés, un quart public). Beaucoup
fraction du secteur bancaire, la pire. Quand, s’émeuvent : « Le reste du monde va se las-
au début des années 2000, la Réserve fédé- ser de financer les États-Unis. » On évoque
rale baisse ses taux jusqu’à des niveaux les fameux bons et obligations détenus par
exceptionnellement faibles, ce secteur ban- la Chine. Ce n’est pourtant pas là que s’ac-
caire profite de l’embellie pour entraîner cumulent les risques, mais bien sûr le ter-
la dette des ménages vers de nouveaux ritoire états-unien lui-même : l’ennemi inté-
sommets, une dette hypothécaire mais dont rieur et non le péril jaune.
le gonflement sert à bien d’autres achats En simplifiant suffisamment, on peut affir-
que ceux du logement. Le crédit de ce sec- mer que les uns (les ménages états-uniens)
teur bancaire fonctionne alors, comme il empruntent et consomment, et les autres (le
se doit, comme une courroie de transmis- reste du monde) financent. Les banques
sion des politiques de la Réserve fédérale états-uniennes font fonction d’intermé-
visant à relever l’économie. diaire, et la politique de la Réserve fédé-
Second épisode : un désengagement dis - rale est supposée doser le processus. Elle
cret. Les crédits douteux ainsi créés sont le fait avec l’objectif de maintenir le niveau
engrangés dans des institutions particu- de la production sur le territoire national,
lières (de titrisation), où les banques créan- du moins ce qu’il en reste compte tenu de
cières récupèrent leur argent en vendant la propension à importer des biens produits
des titres donnant droit aux « éventuels » dans des pays à bas coûts de main-d’œuvre.
remboursements et intérêts des crédits Crise financière et récession ? Ce n’est pas
qu’ils ont consentis. Une manœuvre plu- l’une qui cause l’autre. Mais leur coïnci-
tôt scabreuse mais efficace du point de vue dence n’est pas fortuite. Le lien se trouve dans
de ses promoteurs. Troisième épisode : le les effets du traitement des récessions par
feu aux poudres. Des ménages de plus en le crédit. Chaque récession requiert une
plus nombreux sont incapables de payer, nouvelle stimulation : de nouveaux records
et l’ensemble du dispositif est ébranlé, bien sont battus. Aucune période de relaxation
WONG/GETTY IMAGES/AFP

au-delà de ce que les plus méfiants escomp- ne permet de revenir en arrière, de rame-
taient. Quatrième épisode : retour à la case ner l’endettement à des niveaux plus rai-
départ. On y lit la consigne : « Baissez les sonnables permettant une nouvelle pous-
taux d’intérêt de la Réserve fédérale afin sée en cas de besoin. On peut parler d’une
de stimuler le crédit, et avancez vers la spirale de l’endettement. La Réserve fédé-
reprise. » En dépit de quelques réticences rale est bien déterminée à intervenir. Mais Alan Greenspan, directeur de la Réserve fédérale lorsque celle-ci a abaissé
– le spectre de l’inflation hante les esprits –, que faire quand le remède ajoute au mal ? ses taux pour sortir les États-Unis de la récession, dopant ainsi le crédit.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 13


Quand l’économie va mal

La vulgarité en équ de l’Europe saurait soutenir la lutte sans


descendre au niveau de ses concurrents. »
« Par ses méthodes et ses thèmes de recherche, la science Pourtant, cet avis d’un éditorialiste du
Times, cité par Marx, date de 1873. Le
économique qui domine aujourd’hui se ramène à une vaste discours économique ne fait ainsi que
entreprise de réification qui transforme les rapports sociaux recycler des positions à peu près inva-
riantes qui habillent des intérêts sociaux
en choses et met nos désirs en équations » étroits. Autre exemple : le débat sur les
nécessaires incitations au travail reprend
les termes de celui qui a opposé les éco-
Chronique de Michel Husson publiée le 8 juin 2006. nomistes au XIXe siècle à propos des
lois sur les pauvres. Et les hymnes
contemporains à la modération salariale
a société est aujourd’hui dominée par Schumpeter se contentait d’une allusion semblent directement inspirés par Mal-
l’économie, et l’économie par la rigueur féroce : « II existe, m’a-t-on dit, une mon- thus, qui écrivait ceci en 1846 : « Il est
de la science. Donc, la société est gérée tagne suisse sur laquelle se sont tenus des fort à désirer que les classes ouvrières soient

L scientifiquement en fonction de lois aussi


rigoureuses que celles qui règlent la physique.
C’est ce qu’expliquait Maurice Allais en
1988, en recevant son prix Nobel : « Le pré-
requis de toute science est l’existence de régula-
rités qui peuvent être l’objet d’analyses et de pré-
visions. C’est le cas par exemple de la mécanique
céleste. Mais c’est vrai également pour de nom-
breux phénomènes économiques. Leur analyse
approfondie révèle en effet l’existence de régu-
larités tout aussi frappantes que celles que l’on
congrès d’économistes. Mais [leurs] anathèmes
sont tombés dans le vide et n’ont pas même
suscité de contre-attaques (2). » Aujourd’hui,
ces anathèmes archaïques ont pignon
sur rue, et la contre-réforme libérale
représente de ce point de vue une véri-
table régression.
Bien des économistes libéraux pourraient
faire leur cet avertissement : « Si la Chine
devient un grand pays manufacturier, je ne
vois pas comment la population industrielle
bien payées pour le bonheur de la grande
masse de la société. Mais une grande aug-
mentation de consommation parmi les classes
ouvrières doit beaucoup augmenter les frais de
production et diminuer ou détruire les motifs
qui engagent à accumuler. Si chaque tra-
vailleur venait à consommer le double du blé
qu’il consomme à présent, un tel surcroît de
demande, bien loin d’encourager la richesse,
amènerait une grande diminution du com-
merce intérieur et extérieur (3). »
trouve dans les sciences physiques. Voilà pour-
quoi l’économie est une science et voilà pour-
quoi cette science repose sur les mêmes principes
généraux et sur les mêmes méthodes que les
sciences (1). » Les hommes et les femmes ne
sont dans cette conception que des électrons
n’ayant d’autre liberté que de s’adapter aux
lois de l’économie, de la concurrence et de
la mondialisation.

Mais contrairement à la physique, la « science »


économique ne progresse pas linéaire-
ment : comme pour mieux se plier à son
objet, elle connaît des fluctuations, des
cycles et des retours en arrière. La grande
crise des années 1930 puis la guerre avaient
conduit à un réaménagement du capita-
lisme qui semblait sceller la défaite défi-
nitive des conceptions libérales. Ses par-
tisans en étaient réduits à l’état de sectes
se réunissant clandestinement, par exem-
ple au sein de la fameuse Société du Mont-
Pélerin, qui cherchait, sous l’égide de
Von Hayek, à maintenir la flamme ultra-
libérale. Dans sa dernière conférence pro-
noncée le 30 décembre 1949 devant le
DR

congrès de l’American Economic Asso-


ciation, le grand économiste autrichien La Société du Mont-Pélerin se réunissait sous l’égide du libéral Friedrich von Hayek (à gauche), critiqué à

14 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


Attali et l’économie de guerre
u-delà des 316 « décisions » du incontestables. » C’est une administration

A
rapport Attali, déjà largement aux ordres. Un signe du déclin français : « La
commentées, ce texte dessine un part des exportations françaises dans les
monde (1). La commission, formée exportations mondiales décroît
« d’experts » cooptés, s’apparente régulièrement. » Comment d’un côté inciter
davantage à un conseil de guerre qui, face à et souvent contraindre les pays du Sud à
l’urgence, se substituerait à la représentation s’inscrire dans le marché mondial, et vouloir
politique en utilisant tous les moyens de maintenir la part de la France dans les

ations
Bref, le bonheur des hommes doit être com-
propagande pour la mobilisation générale.
« Tambour battant », guerre à la société,
guerre au conservatisme, dans ses moindres
recoins et détails, chasse aux déserteurs pour
gagner la bataille de la croissance. « Plan
exportations mondiales ? Ces propos sont
révélateurs d’accents mercantilistes recyclés
à la sauce néolibérale, impliquant la guerre
économique sans merci « pour la captation de
la croissance mondiale », par la concurrence,
global, non politique », avec feuille de route la baisse du coût du travail et la captation des
patible avec des lois économiques qui pour chaque ministère, proposition d’un projet ressources naturelles. Le chapitre concernant
limitent objectivement leurs aspirations. de loi autorisant le gouvernement à prendre les choix énergétiques commence d’ailleurs
La mathématisation de l’économie se les décisions par ordonnances, calendrier par la « sécurisation nécessaire » des
borne à donner un tour scientifique et précis et organigramme structuré autour de ressources pétrolières. C’est bien parti au
moderne à ce postulat fondamental. Par « pilotes », de « pivots », de « partenaires Moyen-Orient. Rien en revanche sur la
ses méthodes et ses thèmes de recher- clés ». L’ennemi est traqué sécurisation de l’industrie
che, la science économique qui domine partout avec minutie, de la nucléaire, qui doit être
aujourd’hui se ramène à une vaste entre- crèche aux seniors. exportée dans le monde
prise de réification qui transforme les Mais nous ne pouvons en rester « La médiocrité du entier.
rapports sociaux en choses et met nos à la dérision et au sarcasme. La Et des approximations
désirs en équations. En dépit de ses ori- médiocrité du rapport, son art rapport Attali sur manipulatrices : « La part des
peaux mathématiques, elle s’inscrit dans du déni et de la manipulation la libération de la retraites dans le PIB devrait
une très vieille tradition, celle de l’éco- du réel et du savoir en font un passer de 12,8 % aujourd’hui à
nomie vulgaire. projet politique inquiétant. Ce croissance 16 % en 2050. » Ces chiffres
déni s’exprime de 1999 ont été réactualisés
particulièrement pour les pays française, son art en 2007 par le Conseil
M. H. pris comme exemples de d’orientation des retraites : les
réussite. « L’Espagne a œuvré
du déni et de la retraites ne représenteraient
(1) « An outline of my main contributions to pour l’accès de tous à la manipulation du plus que 14,9 % du PIB. « La
economic science », Maurice Allais, 1988, propriété du logement. » Quid Chine connaît des taux de
http://guesde.free.fr/allais88.pdf de la crise des subprimes qui réel et du savoir croissance supérieurs à 10 %
(2) Capitalisme, socialisme et démocratie (1949), frappe l’Espagne et impose aux depuis plusieurs années. »
Joseph Schumpeter, Payot, 1969. Sur la Société du plus pauvres un endettement
en font un projet Ces « experts » ignorent les
Mont-Pélerin, voir aussi les Évangélistes du marché,
Keith Dixon, Raisons d’agir, 1998.
pour plusieurs générations ? politique derniers rapports de la
Les clés du succès états-unien : banque mondiale et du FMI,
(3) Principes d’économie politique considérés sous
le rapport de leur application pratique, Thomas R. « Un rôle important des fonds inquiétant » montrant que la croissance en
Malthus, Calmann-Lévy, Paris, 1969. de pension et des marchés Chine a été surévaluée (même
financiers. » Sans si elle reste très forte) du fait
commentaires ! Aux rapports Chronique de de modes de calculs
du Giec sur le changement Geneviève Azam inappropriés pour les taux de
climatique, des réponses qui change servant à la
font froid dans le dos : la publiée le 31 janvier conversion du PIB chinois en
croissance tous azimuts, le low 2008. dollars. Le nombre de pauvres
cost pour le transport aérien, en Chine est revu à la hausse,
etc., et pour respirer, dix de l’ordre de 200 millions
Ecopolis ! Les théories sous- supplémentaires.
jacentes à ces « décisions » (courbe de Enfin, le programme est parsemé d’appels à
Kuznets environnementale), selon lesquelles la réaction des classes populaires les plus
une croissance forte permet finalement la précarisées contre les nantis qui vivent à
diminution des pollutions, ont pourtant été l’abri des protections : « priorité aux exclus ».
maintes fois scientifiquement invalidées. Le C’est la vieille rhétorique réactionnaire des
dernier rapport du Pnud est sans équivoque : effets pervers des politiques d’égalité et de
« L’une des plus rudes leçons qu’enseigne le redistribution, qui finiraient par se retourner
changement climatique, c’est que le modèle contre les plus pauvres. Ce fut une des clés
économique de la croissance et la de l’élection de George W. Bush. Cette
consommation effrénée des nations riches tentative d’alliance entre les élites et les
sont écologiquement insoutenables. » Mais franges précarisées de la société est lourde
les Nations unies font sans doute aussi partie de dangers pour la démocratie. Il est temps
de ce corset qui nous empêche de respirer. de relire l’analyse des processus totalitaires
Un réel dénié, un réel manipulé. Décision 89 : d’Hannah Arendt. Une croissance infinie dans
« Développer massivement les recherches en un monde fini suppose effectivement une
matière d’OGM pour évaluer leur innocuité. » économie de guerre et une politique de dé-
C’est une recherche bien finalisée. civilisation.
Décision 90 : « Doter les instances G. A.
européennes et nationales d’homologation
DR

des moyens nécessaires pour les rendre (1) La Documentation française-XO éditions.
l’époque par le grand économiste Joseph Schumpeter (à droite).

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 15


Quand l’économie va mal

Le capitalisme délinquant
Voilà donc la face cachée d’un système qui
prétend imposer aux travailleurs une modé-
« Voilà donc la face cachée d’un système qui prétend imposer ration salariale inéluctable, dont la contre-
partie se retrouve sous forme de stock-
aux travailleurs une modération salariale inéluctable, dont la options somptueuses, de parachutes dorés
contrepartie se retrouve sous forme de stock-options à la Messier et d’autres transvasements
moins « légaux ». Ce sont les bénéficiaires
somptueuses, de parachutes dorés à la Messier et d’autres de ce système qui paient des bataillons
transvasements moins “légaux” » d’idéologues, d’économistes ou de publi-
cistes, afin d’ériger en normes de la moder-
nité cette totale liberté d’action qui leur
Chronique de Michel Husson publiée le 5 février 2004. permet ensuite de mener à bien les délo-
calisations, les restructurations et les détour-
nements, bref de ponctionner largement
la richesse créée. Quand leur image devient
a liste des affaires s’allonge tous les jours. certains appartiennent au « capitalisme trop repoussante, les grandes compagnies,
Après Enron et Worldcom aux États-Unis, rhénan » supposé plus civilisé. Ces pra- comme Elf-Total-Fina, s’offrent les ser-
ce sont aujourd’hui Parmalat en Italie, tiques délictueuses ne sont pas l’apanage vices d’experts aussi indépendants que

L Adecco en Suisse et Manesmann en Alle-


magne qui font la une des journaux. Il
n’est plus possible aujourd’hui de faire
comme s’il s’agissait de quelques brebis
galeuses isolées. Les scandales et les pro-
cès concernent de grands groupes, dont
de quelques personnes bien placées, elles
impliquent un réseau articulé de délin-
quants en col blanc. Elles portent sur des
sommes astronomiques, si on les rapporte
aux larcins des amateurs qui peuplent nos
prisons. Ceux qui pratiquent les petits tra-
fics en tout genre n’ont donc pas
tort d’appeler cela faire du « busi-
ness ». Et l’indignation intéressée
de ceux qui mènent campagne
contre la contrefaçon de marques
Kouchner, aveugle au travail forcé organisé
en Birmanie, et dont la petite entreprise (BK
Conseil) devrait en toute justice connaître
le même destin qu’Arthur Andersen.

Un tel degré de corruption est une compo-


sante intrinsèque du capitalisme contem-
porain, qui pose la question d’une régula-
tion nécessaire. Il est en effet impossible
de s’accommoder de ce mode de fonc-
tionnement qui corrode l’ensemble de la
et le piratage informatique pour- société et s’alimente d’une irrépressible
rait être dirigée vers des cibles montée du chômage de masse et des inéga-
mieux choisies. lités. Ce serait donc faire œuvre d’utilité
publique que de placer quelques grains de
Les affaires récentes permettent sable dans cette machine à broyer le social.
d’identifier les maillons de cette Mais les patrons ont bien compris le dan-
chaîne de création de valeur un ger, comme en témoigne une certaine moro-
peu particulière. On y croise de sité que l’on a pu observer à leur assem-
grandes banques d’affaires qui ont blée générale, organisée comme chaque
pignon sur rue, avec une prédi- année à Davos. Qu’un aussi fin connais-
lection pour le Luxembourg. Les seur que Georges Soros ait pu affirmer qu’il
dirigeants de Parmalat avaient ne fallait pas laisser le pouvoir aux « intégristes
ainsi créé pas moins de six socié- des marchés financiers » devrait mettre la puce
tés écrans au Grand-Duché, où à l’oreille. Le risque est grand en effet que
siègent dix-sept banques italien- ce soient les milieux d’affaires eux-mêmes
nes dont une bonne partie rem- qui prennent l’initiative d’aménagements cos-
plit donc des fonctions assez clas- métiques permettant, à moindres frais, de
siques de receleur. Mais il ne suffit dédouaner l’ensemble de la profession. La
pas de blanchir l’argent détourné, section française de l’ONG Transparency
il faut également maquiller les International est animée par le président
comptes. C’est la tâche impartie de France-Télécom, Michel Bon, et par
à des cabinets spécialisés et à des l’ancien PDG de la Caisse des Dépôts.
agences de notation chargées de Cela devrait faire réfléchir : comment faire
donner une image flatteuse des confiance à ces chantres de la privatisation
entreprises. Ce sont souvent leurs pour revenir sur la déréglementation qu’ils
fausses manœuvres qui condui- ont contribué, à leur place, à promouvoir ?
sent à faire sortir les affaires, un peu Seule une intervention citoyenne, rigou-
ADAMS/GETTY IMAGES/AFP

à l’instar de la simple fraude fis- reusement indépendante, allant à la racine


cale qui a permis de faire tomber du mal, est à même de faire avancer les
Al Capone. Dans le cas d’Enron, mesures coercitives qui permettraient de
on se souvient que le célèbre cabi- mettre un point d’arrêt à cette impres-
net Arthur Andersen n’a pas sur- sionnante dérive délictueuse.
Kenneth Lay, ancien PDG d’Enron, arrêté à Huston en juillet 2004. vécu à ses tripatouillages. M. H.

16 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


FIFE/POOL/AFP
Jean-Paul Fitoussi (à gauche) et Amartya Sen (au centre) ont été chargés par Nicolas Sarkozy d’inventer un PIB « vert ». Parviendront-ils à se débarrasser des dogmes ?

L’insoutenable libéralisme
a toléré depuis vingt-cinq ans un déplace-
ment de 30 à 40 fois supérieur de la masse
« Instabilité, destruction et stérilité, tel est le triptyque du salariale vers les profits.
capitalisme financier. L’aplomb et l’arrogance des idéologues
Comme l’argumentaire libéral est plombé, de
libéraux n’en sont pas pour autant ébranlés » nouveaux leurres sont imaginés. L’Insti-
tute of International Finance propose un
« code de conduite », pendant que s’amorce la
Chronique de Jean-Marie Harribey publiée le 24 avril 2008. prochaine bulle sur les matières premières
et les céréales. En France, après la panta-
lonnade de la commission Attali, qui se
LA CRISE FINANCIÈRE DISCRÉDITE un peu plus Alors que le gouvernement s’apprête à faisait fort d’obtenir une croissance éco-
toutes les assertions selon lesquelles le mar- réduire encore les retraites par répartition, nomique de 5 % par an (!), une commission
ché autorégulateur est gage de stabilité, un troisième prône de faire financer les Sen-Stiglitz-Fitoussi est née. Elle a pour
d’harmonie universelle et d’allocation opti- retraites par les marchés financiers (Didier tâche de construire un nouvel indicateur
male des ressources. Elle démontre que la Migaud, le Monde, 2 avril) en abondant le de richesse, faute de pouvoir changer la
finance, c’est-à-dire le capital, est contre- Fonds de réserve des retraites. En plaçant conception de la richesse imposée par un
productive et improductive. Contre-pro- les sommes qui lui seraient allouées, il capitalisme qui veut croître à tout prix.
ductive car l’élévation des exigences de ren- obtiendrait une rentabilité de 8 % par an. Cette commission qui se propose d’inven-
tabilité condamne des projets qui n’y On pourrait ironiser : pourquoi pas 15 %, ter un PIB « doux » ou « vert » ou « moral » par-
satisferaient pas ou des activités qui n’y puisque telle est la norme moyenne inter- viendra-t-elle à se débarrasser des dogmes
satisfont plus. Improductive en elle-même nationale ? Mais l’important est ailleurs : les plus tenaces ? En vrac : le travail n’est
car aucune richesse ne sort du capital sans apparaît la naïveté ou le cynisme de l’idée pas ou plus l’unique source de tous les reve-
travail. Instabilité, destruction et stérilité, tel qu’il y aurait une source miraculeuse de nus (d’où vient la rente financière alors ?),
est le triptyque du capitalisme financier. richesse supplémentaire qui pourrait jaillir l’épargne individuelle garantit l’avenir (les
L’aplomb et l’arrogance des idéologues d’une « puissante industrie de l’épargne biens et services tomberont-ils du ciel avec
libéraux n’en sont pas pour autant ébran- retraite » (Michel Aglietta, l’Humanité diman- la capitalisation ?), l’enseignement est une
lés. Ainsi, tel qui fait métier de déclinologue che, 10 avril). Si le rendement d’un place- dépense (quel investissement n’en est-il pas
pense que la France doit « réformer ses struc- ment financier croît plus vite que la pro- une ?), les salariés de la fonction publique
tures », entendez « briser le social », parce duction, cela signifie simplement que le ne produisent rien (et les valeurs d’usage de
que « ce sont les réformes qui feront la croissance capital s’en est approprié une part plus l’éducation, de la santé ?), la nature a une
et la popularité du président » (Nicolas Bave- grande et que la rémunération salariale, valeur économique intrinsèque (combien,
rez, le Monde, 2 avril). L’appel est entendu : incluant les cotisations sociales, a vu la s’il vous plaît, pour la lumière solaire ou
moins pour le logement, la santé et le sienne diminuer. pour l’océan non mercurisé ?).
revenu de solidarité active, et un fonc- On sait depuis longtemps que le capita-
tionnaire partant à la retraite sur deux Le journal les Échos (4 et 5 avril) fait grand lisme est insoutenable socialement et éco-
non remplacé. cas du chiffrage par le Conseil d’orientation logiquement. Ce que la crise actuelle révèle,
Tel autre qui, des années durant, a fustigé des retraites du surcoût des retraites si l’on c’est l’insoutenable légèreté de son idéo-
les réflexions écologiques essayant de don- ne passe pas à 41 ans de cotisations d’ici 2012 logie, le libéralisme économique, lequel est
ner un peu de cohérence au « développe- et à 41 ans et demi d’ici 2020 : 4 milliards aujourd’hui nu pour avoir poussé jusqu’au
ment soutenable », assène maintenant que, d’euros de plus. Inimaginable, n’est-ce pas ? bout l’absurdité de ses hypothèses. La légi-
puisque le « vert est or » (Éric Le Boucher, Eh bien, si, imaginons. Le pire : que le PIB timation du système est en panne, mais
le Monde, 3 avril), les entreprises doivent n’augmente pas du tout d’ici 2020. Alors, reste le système qui ne court pas grand dan-
investir dans le « durable » et préparer ainsi 4 milliards sur 1 800, c’est 0,22 %. Autre- ger avec des velléités moralisatrices. Il faut
de bonnes affaires. Renoncer à la voiture, ment dit, la société ne serait pas capable donc le frapper au cœur : sa circulation
c’est, dit-il, « malthusien ». Et vive les OGM, de déplacer 0,22 % du PIB, à peine plus sanguine (www.stop-finance.org).
le Parlement s’en occupe ! que deux petits millièmes ! Tandis qu’elle J.-M. H.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 17


VINCENT/GETTY IMAGES/AFP

Arrêtons la guerre
des monnaies ! tionnistes et spéculatives susceptibles de
conduire à une crise future.
« Il est nécessaire de fonder les relations monétaires
internationales sur d’autres principes que la guerre monétaire. La conclusion de cette analyse (un peu tech-
nique) est que l’instabilité des grandes mon-
La stabilité monétaire internationale doit être considérée comme naies – dollar et euro principalement – est
inacceptable car elle conduit inévitablement
un bien public mondial » à des crises dont le coût économique et
social peut être considérable, qu’il s’agisse
des pays développés ou en voie de déve-
Chronique de Dominique Plihon publiée le 4 mars 2004. loppement. Aujourd’hui, les autorités amé-
ricaines font baisser le dollar pour défen-
dre leurs intérêts à court terme, au mépris
epuis l’abandon des changes fixes, au début lar à la baisse, de manière à réduire les prix des dégâts causés dans le monde, tandis
des années 1970, la valeur des monnaies de leurs produits, ce qui a dopé leur crois- que les autorités européennes – BCE en
(mesurée par les taux de change) n’a cessé sance en période électorale, et leur a permis tête – sont une fois de plus impuissantes. Il

D de fluctuer. Depuis sa création en 1999,


l’euro a fait d’énormes embardées : sa
valeur est passée de 1,17 à 0,83 dollar en
2001, puis est remontée à 1,27 dollar en
février 2004, soit une hausse supérieure à
50 % ! Les conséquences économiques et
sociales de ces mouvements sont considé-
rables : à chaque fois que l’euro augmente
d’un 1 %, des milliers d’emplois sont détruits
dans la zone euro car le coût du travail s’y
élève par rapport à l’étranger.
d’exporter leur chômage, particulièrement
en Europe.

Les pays qui ont choisi de stabiliser leurs


monnaies connaissent une croissance plus
forte et régulière. C’est le cas des pays asia-
tiques et surtout de la Chine. Mais cette
stabilisation est un piège à terme : ces mon-
naies deviennent surévaluées lorsque le
dollar monte, ce qui asphyxie les économies
qui ont « ancré » leur monnaie sur le dol-
est nécessaire de fonder les relations moné-
taires internationales sur d’autres principes
que la guerre monétaire. La stabilité moné-
taire internationale doit être considérée
comme un bien public mondial. Il y a 60 ans,
en juillet 1944, ont été signés les accords
de Bretton Woods qui avaient institué la
stabilité des monnaies et reconnu la néces-
sité du contrôle des capitaux.
Ces principes ont été abandonnés dans les
années 1970 au nom du libéralisme pour
lar. C’est ce qui s’est passé au milieu des amener le flottement des monnaies et la
Pourquoi cette instabilité chronique des mon- années 1990. Constatant que les monnaies libre circulation des capitaux. Ces politiques
naies ? D’abord, parce que le marché des des « dragons asiatiques » étaient suréva- libérales conduisent à une impasse. Il est
changes, où s’échangent les monnaies, est luées, les spéculateurs les ont attaquées, temps de convoquer une nouvelle confé-
le marché le moins régulé de l’économie ce qui a déclenché la grande crise financière rence internationale pour refonder le système
mondiale depuis les politiques de libérali- du sud-est asiatique en 1997 et 1998. À monétaire international sur de nouveaux
sation financière. Les spéculateurs y opèrent l’inverse, lorsque le dollar baisse, comme principes. Il s’agit, en premier lieu, de met-
en toute liberté et réalisent des profits consi- c’est le cas au début des années 2000, les tre en place des politiques concertées entre
dérables en jouant sur cette instabilité. Soros pays qui veulent maintenir un taux de pays dont l’objectif prioritaire doit être la sta-
a gagné des milliards en spéculant contre change stable avec le dollar ont une mon- bilité de toutes les monnaies entre elles, à
la livre sterling en 1992, contribuant à l’im- naie qui tend à devenir « sous-évaluée ». commencer par le dollar et l’euro. Le FMI
plosion du système monétaire européen. C’est le cas de la Chine actuellement. Ce a échoué dans son rôle de gardien de la sta-
Beaucoup d’argent a été gagné par les spé- pays a d’énormes excédents commerciaux bilité monétaire internationale. Il doit être
culateurs qui ont joué l’euro à la baisse en avec les États-Unis (et le reste du monde). profondément réformé (ou remplacé) pour
1999 et 2000, puis par ceux qui l’ont poussé Ses autorités ont décidé d’accumuler des accomplir cette tâche. En second lieu, il est
à la hausse en 2002-2004. En second lieu, créances en dollars (sous forme de bons indispensable de restaurer le contrôle des
les monnaies fluctuent parce qu’elles sont du Trésor américains) plutôt que de lais- capitaux, par la réglementation et la taxa-
utilisées comme une arme commerciale. ser s’apprécier le yuan. Résultat : la Chine tion, de manière à casser la spéculation et
Ainsi, les autorités américaines ont tout crée d’abondantes liquidités localement, à libérer les gouvernements de la dictature
fait (baisse de leurs taux d’intérêt, décla- en contrepartie de ses achats de dollars, des marchés.
rations publiques, etc.) pour pousser le dol- ce qui engendre de graves tensions infla- D. P.

18 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 19
Dégâts sociaux et écologiques

La «société
du risque »
L’individualisation des risques sociaux va
de pair avec la socialisation des risques
« Cette “société du risque” participe d’un double mouvement : économiques et financiers. En effet, la
notion de risque est constitutive de la nais-
l’individualisation des risques sociaux d’un côté et la sance de l’imaginaire capitaliste selon
socialisation des risques économiques de l’autre » lequel le risque est la source de l’innova-
tion, et le profit la rémunération juste et
légitime de la prise de risque. Néanmoins,
Chronique de Geneviève Azam publiée le 19 juin 2003. cet esprit du capitalisme naissant était
encore imprégné de l’idéal puritain et
d’une certaine éthique de la responsabilité :
le risque financier était assumé par le pro-
a « réforme » des retraites aujourd’hui, Cet habillage pseudo-philosophique, qui n’hé- priétaire du capital. L’émancipation du
celle de la protection-santé demain, tout site pas à faire référence à Michel Fou- capitalisme vis-à-vis de l’idéal puritain se
comme celle de la transformation du rap- cault par la voix de son ancien secré- traduit aujourd’hui par la dilution de la

L port salarial, illustrée par la réforme du


RMI-RMA, relèvent de l’exécution métho-
dique et systématique du projet de « Refon-
dation sociale » du Medef, lui-même inspiré
des réflexions de la Banque Mondiale, du
FMI et de l’OMC.

Cette nouvelle utopie sociale repose sur la


mise en avant du risque comme « valeur
des valeurs (1) » selon les mots de Denis
Kessler, inspirateur du projet et ex-numéro
taire Ewald, laisse vite place aux
réflexions plus prosaïques inspirées du
principe de l’intérêt bien compris : « Le
risque est notre matière première », décla-
rait Denis Kessler, alors qu’il était pré-
sident de la Fédération française des
sociétés d’assurance.
Cette « société du risque » participe d’un
double mouvement : l’individualisation
des risques sociaux d’un côté et la socia-
lisation des risques économiques de l’autre.
responsabilité face au risque.

Le passage programmé à un système de retraite


par capitalisation illustre cette tendance
et manifeste le lien entre individualisa-
tion des risques sociaux et socialisation
des risques économiques. Les plans
d’épargne salariale dans les entreprises
enrôlent les salariés devenus actionnaires :
lorsqu’une part de la rémunération de
base se réalise en actions, les salariés-
deux du Medef, et François Ewald. Elle Elle s’incarne dans des réformes visant à actionnaires sont soumis au risque finan-
puise dans la philosophie libérale selon transférer aux individus la responsabi- cier. De même, les exigences financiè-
laquelle la société se constitue à partir d’in- lité de gérer leur « capital » retraite via la res des apporteurs de capitaux, des fonds
dividus nomades, atomisés, confrontés à la capitalisation, tout comme leur « capi- de pension notamment, conduisent de
lutte pour la vie, face à une nature consi- tal » santé via l’assurance privée, ou encore fait à fixer les rémunérations du capital
dérée comme hostile et dans un univers leur « capital » emploi. Elle s’oppose à indépendamment des performances de
de rareté des ressources. Traduite dans les la mutualisation des risques, construite l’entreprise. C’est alors le coût salarial
termes du libéralisme économique, cette dans le cadre de l’État social depuis la qui devient variable d’ajustement face
vision s’exprime dans la concurrence fin du XIXe siècle et de l’État-providence aux incertitudes et qui supporte le coût
comme moteur de la vie en société. ensuite. Cette dernière est fondée sur la du risque. À l’exploitation s’ajoute la
Le risque dans ce contexte est le support construction d’un espace collectif de soli- schizophrénie !
idéologique d’une déconstruction sociale : darité qui définit des droits, d’un espace Dans la société néolibérale promise, le
toutes les créations collectives visant à politique qui organise le lien entre étran- risque et l’insécurité constituent les fon-
mutualiser les risques concrets, tout enra- gers, sur la base d’une solidarité imper- dations, la politique sécuritaire l’instru-
cinement des personnes dans des struc- sonnelle. ment de régulation. Le risque comme
tures sociales porteuses de l’idée de dette En opposition à cela, les réformes en cours « valeur des valeurs », c’est la dissolution
collective sont vus comme archaïsmes, individualisent le risque et restreignent la de toutes les valeurs dans la valeur mar-
obstacles à la créativité et à l’efficacité solidarité à la base familiale, stricte ou chande.
économique. La précarité généralisée et élargie. Le thème récurrent de la proxi- G. A.
l’insécurité sont la condition du progrès mité, en mettant en avant des valeurs d’or-
dans une société dépouillée de tout dre domestique, traduit ce déplacement (1) « Les Noces du risque et de la politique », François
Ewald et Denis Kessler, Le Débat, n° 109.
contenu politique et réduite à une « com- d’une société politique vers une société (2) «Philosophie politique du principe de précaution »,
munauté du risque (2) » selon l’expression économique. La santé, le travail ne sont plus François Ewald, in le Principe de précaution,
de François Ewald. des droits mais des biens. « Que sais-je ? », PUF.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 21


Dégâts sociaux et écologiques

Croissance ou écologie ?
entreprises. Et les usagers des services non
marchands paient le prix de ceux-ci de
« La contradition entre ces deux impératifs, résoudre la crise manière collective, via les impôts et les coti-
écologique et obtenir une croissance très forte, souligne à quel sations sociales qui, en socialisant cette prise
en charge, la répartissent un peu plus équi-
point l’achèvement de la marchandisation du monde par le tablement que ne le ferait le marché, et,
ainsi, les « prélèvements » valident l’antici-
capitalisme conduit à une impasse globale » pation publique des besoins sociaux. Dans
les deux cas, le paiement valide le travail
productif de ladite « valeur ajoutée ».
Chronique de Jean-Marie Harribey publiée le 15 novembre 2007. Voilà de quoi heurter les croyances les
plus répandues que l’on peut réfuter par
le raisonnement suivant : si l’activité
tre ou ne pas être écologiste. Après avoir appliquées. De l’autre, il mandate une humaine se démarchandisait progressi-

Ê négocié le « Grenelle de l’environnement »


avec de nombreux représentants de la
société civile, le gouvernement est confronté
à un dilemme. D’un côté, il annonce un
train de mesures qui, bien que n’étant pas
à la hauteur de la crise écologique majeure,
seront toujours bonnes à prendre si elles sont
commission, présidée par Jacques Attali,
pour « libérer la croissance ». Celle-ci déclare
néfaste le principe de précaution, encou-
rage les grandes surfaces, veut libéraliser
un peu plus le marché du travail et celui
du logement, et surtout rabâche à son tour
la nécessité de diminuer les dépenses
publiques qui bloqueraient la croissance
économique, sans laquelle le nirvana ne
pourrait être atteint.
vement, l’activité capitaliste tendant vers
zéro pourrait-elle être considérée comme
la source de l’activité non-marchande qui
tendrait vers 100 % ? Illogique. Donc le dis-
cours ressassant que le marchand finance
le non-marchand est absurde. Mais pas
innocent, car il est vrai que soustraire des
forces de travail et des ressources maté-
rielles à l’appétit du capital empêche celui-
ci de les utiliser pour se valoriser : c’est
pour lui un manque à gagner.
La contradiction entre ces deux impératifs,
résoudre la crise écologique et obtenir La contradiction des idéologues du capita-
une croissance très forte, souligne à quel lisme est là : ils veulent relancer la crois-
point l’achèvement de la marchandisa- sance de la production qui seule, à leurs
tion du monde par le capitalisme conduit yeux, est légitime, celle qui grossit le capi-
à une impasse globale. Non seulement tal, et, simultanément, ils veulent réduire
une croissance de 5 % par an est impos- la production dont l’impact social positif
sible durablement, mais vouloir diminuer est élevé et dont l’impact écologique néga-
les dépenses publiques ou sociales mon- tif est plus faible que celui de l’industrie
tre la vacuité de la réflexion sur le type et de l’agriculture productivistes.
de production à développer. On mesure l’importance de l’enjeu que
L’un des dogmes libéraux les plus tenaces représente l’articulation du social et de
est que toute dépense publique parasiterait l’écologie. Très dangereuse serait la sub-
l’activité privée au motif qu’elle serait finan- stitution de taxes écologiques aux cotisa-
cée par un prélèvement sur le fruit de celle- tions sociales comme le réclame le Medef
ci : seule la ponction sur l’industrie capita- au nom de la « neutralité fiscale ». Car
liste rendrait possible l’école publique. C’est diminuer les cotisations sociales ferait
le degré zéro de la pensée économique. reculer la partie socialisée du salaire et
Nous avons souvent dit ici que l’activité donc la protection sociale. Or, nous avons
réalisée dans la sphère non-marchande était besoin de cotisations sociales et de taxes
éminemment productive de richesse, c’est- écologiques.
à-dire de valeurs d’usage répondant à de
vrais besoins sociaux, et que la valeur moné- Si l’on veut que la greffe du social sur l’écologie
taire mais non-marchande des services ou vice versa prenne, il faut faire de la
d’éducation et de santé publiques était créée socialisation de la richesse la plus vitale un
par les travailleurs de ces services et non processus continu et irréversible. Le vagis-
prélevée sur celle créée par les salariés du capi- sement de l’altermondialisme, il y a dix ans,
tal. L’origine de la richesse monétaire – à « le monde n’est pas une marchandise », annon-
la fois marchande et non-marchande – est çait ce programme : rendre inaliénables
obscurcie par la confusion avec son paie- les biens communs, développer l’éducation
ment, individuel ou collectif : parce que le et la protection sociale accessibles à tous,
prix inclut tous les coûts privés et sociaux, réduire le temps de travail pour permettre
on a l’illusion que celui qui s’en acquitte à tous de participer à toutes les sphères
est à l’origine de la richesse. Or, les consom- de la société et pour libérer la vie et non
DANIAU/AFP

mateurs paient individuellement le prix des la croissance. Être ou ne pas être écologiste
automobiles qu’ils achètent, et leurs achats et solidaire…
Il faut faire de la socialisation de la richesse la plus vitale un processus irréversible. valident les anticipations de débouchés des J.-M. H.

22 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


BHAT/AFP

On estime que 90 % des personnes concernées par les désastres « naturels » liés au réchauffement habitent dans des pays ou des régions pauvres.
Il faut s’attendre
à des migrations
Sale temps pour les pauvres massives de
réfugiés
La moitié de la population mondiale vit
dans des zones côtières qui seraient sub- environne-
« La “dette écologique” du Nord vis-à-vis du Sud, accumulée
mergées si le niveau des mers s’élevait d’un
mètre, évaluation prudente pour le siècle à
mentaux :
pendant des décennies, est énorme » venir si les tendances actuelles persistent. 150 millions
Il faut donc s’attendre à des migrations
massives de réfugiés environnementaux : dans le monde
vingt millions avant la fin du siècle rien dès 2050 selon
Chronique de Jean Gadrey publiée le 29 septembre 2005. que pour le Bangladesh, 150 millions dans
le monde dès 2050 selon des chercheurs des chercheurs
d’Oxford. Pour maintenir le réchauffement
climatique dans des limites (presque) tolé- d’Oxford.
TOUS LES ÉCONOMISTES et les « responsables » sera compris entre 2 °C et 6 °C, sans même rables, il faudrait, selon la New Economics
politiques, ou presque, célèbrent le culte évoquer des scénarios nettement plus pes- Foundation, que chaque habitant du monde
de la croissance, condition selon eux de la simistes mais non dénués de fondements. ne dépasse pas un niveau d’émissions de 0,46
création d’emplois et de la satisfaction de Or, ces catastrophes toucheraient en prio- tonne de carbone par an. En 1995, aux
besoins en expansion. À l’échelle mon- rité les populations les plus pauvres de la États-Unis, ce chiffre était de 5,3 tonnes, soit
diale, ils défendent, au moins en principe, planète, qui dépendent le plus des « aléas » 12 fois plus. La « dette écologique » du
les « objectifs du millénaire » des Nations climatiques. Elles pourraient réduire à Nord vis-à-vis du Sud, accumulée pendant
Unies, visant à réduire fortement la pau- néant les objectifs du millénaire pour 2015, des décennies, est énorme.
vreté. Or ces objectifs ne seront pas atteints et provoquer des régressions au-delà. Limi- La question qui nous est posée est donc la
si les questions environnementales n’y tons-nous au premier de ces objectifs : suivante : la croissance telle que nous
sont pas intégrées en première ligne, et si réduire de moitié la proportion de pauv- l’avons connue et célébrée est-elle com-
la religion de la croissance n’est pas contes- res et la proportion de personnes souf- patible avec cette contrainte de survie ?
tée. On se limitera au cas du réchauffe- frant de la faim. Sinon, comment penser « l’a-croissance »,
ment climatique, bien que d’autres voyants une idée neuve du progrès, dégagée de la
soient au rouge : polluants organiques On estime que 90 % des personnes concer- religion productiviste du « toujours plus »,
persistants, biodiversité, épuisement des éco- nées par les désastres « naturels » liés au et fondée sur d’autres indicateurs de bien-
systèmes… réchauffement habitent dans des pays ou être ? Quelles transitions peut-on envisa-
Depuis une dizaine d’années, les travaux régions pauvres. Dans certaines régions ger ? Quelles activités et quels emplois
scientifiques s’accumulent et convergent : (Sahel, Amérique centrale, Bangladesh, développer, quelle organisation produc-
ceux du Groupe intergouvernemental d’ex- Pacifique sud…), ces désastres peuvent tive, quelle « relocalisation » de l’économie ?
perts sur l’évolution du climat), du Pro- anéantir en quelques heures des années Mais aussi : quelle redistribution mon-
gramme des Nations unies pour l’envi- de progrès du développement humain. diale dans le cadre d’une affirmation de
ronnement (Pnue), de l’Agence européenne Selon la Croix-Rouge et le Croissant- l’égalité des droits d’accès aux ressources
pour l’environnement, etc. Rouge, le nombre de personnes gravement environnementales ?
Que disent-ils ? Que l’accélération du réchauf- affectées par de telles catastrophes est L’histoire montre que, dans des circons-
fement climatique dans la période récente passé de 740 millions dans les années 1970 tances exceptionnelles, l’économie d’un
est directement liée aux émissions d’ori- à plus de 2 milliards dans les années 1990. pays peut être profondément restructurée
gine humaine de gaz à effet de serre, prin- Les pertes économiques correspondantes en peu de temps sans catastrophe sociale,
cipalement le CO2. Que, au-delà d’un seraient passées de 131 milliards à 629 dès lors qu’existe une claire conscience de
réchauffement de 2 °C par rapport à l’époque milliards, soit plus que dix ans d’aide périls communs. Cette prise de conscience
préindustrielle (on est actuellement à 1 °C, publique au développement. Selon le Pnue, tarde pour les risques environnementaux,
et compte tenu des émissions passées et le coût du réchauffement climatique double parce que d’énormes intérêts privés sont
actuelles, on atteindra 1,5 °C d’ici peu), des tous les dix ans. Selon d’autres estima- en jeu et que les réseaux de la pensée unique
catastrophes humaines mondiales sont pré- tions, les pertes économiques de ce type minimisent les enjeux. Il appartient aux
visibles : sécheresses, inondations et tem- dépasseraient le PIB mondial au cours contre-réseaux de s’y mettre. Quand « la
pêtes, élévation du niveau des mers, etc. des années 2060 ! Calculs contestables, maison brûle », il faut cesser d’y entasser
Que, au cours du XXIe siècle, sur la base sans doute, mais guère plus que ceux de des bombes à retardement.
des tendances actuelles, le réchauffement l’économie usuelle. J. G.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 23


Dégâts sociaux et écologiques

Sous les retraites, marchands individuels ! Le capitalisme


ne (re)connaît que des dettes privées et
« La protection sociale assurée par la collectivité à l’ensemble des échanges commensurables qui, une
de la population est impensable pour les gourous de la fois conclus, laissent les partenaires quit-
tes les uns envers les autres. J’ai acheté
“mondialisation heureuse” » une marchandise, j’ai payé le vendeur, et
jamais plus nous n’aurons à faire ensemble
car la dette s’est éteinte définitivement.
Chronique de Jean-Marie Harribey publiée le 15 mai 2003. L’exact opposé de la dette sociale qui se
transmet indéfiniment.

13 MAI 1968-13 MAI 2003. « Sous les pavés, la fait le cynique aveu : « Un système de retrai- Peut-on imaginer pire pour ceux qui souf-
plage », disait-on il y a juste trente-cinq tes par répartition peut déprimer l’épargne frent de névrose obsessionnelle de la ren-
ans. Et sous les retraites, qu’y a-t-il ? On nationale parce qu’il crée de la sécurité dans tabilité ? Oui, il y a pire encore. Les
reste un peu abasourdi devant l’indigence le corps social. » Mais cela ne suffit pas pour retraites par répartition présentent une
des arguments ressassés par la propagande comprendre la violence du patronat et du grande similitude avec le principe du
libérale. Les augures du vieillissement gouvernement contre les retraites. Il y a plus don : « donner, recevoir, rendre ». Celui
démographique ignorent-ils que les gains grave qui leur rend la chose insupportable. qui donne n’attend pas de retour équi-
de productivité compenseront la diminu- Le système de retraites par répartition valent. Ainsi, les cotisations sociales ser-
tion de la proportion d’actifs par rapport instaure une dette sociale et pérennise sa vent à payer les retraites dans l’instant
aux retraités ? Oublient-ils que depuis transmission intergénérationnelle. Une et ne sont pas égales à ce que percevront
vingt ans la part de la masse salariale dans dette qui s’éteint et renaît à chaque instant. plus tard les cotisants actuels qui dépen-
le PIB français a perdu 10 points et qu’on La génération qui travaille éteint sa dette dront de la production future. Celui qui
pourrait envisager d’inverser la tendance vis-à-vis de la génération précédente qui reçoit accepte le bienfait sans comparer
pour prendre en charge des retraités plus lui a donné la vie et l’a élevée et elle enclen- avec ce qu’il a donné ou bien il rendra
nombreux et leur assurer une progression che une dette que contracte à son tour la sans compter, c’est-à-dire sans compa-
du niveau de vie identique à celle des sala- génération suivante à son égard. rer avec ce qu’il a reçu. En inventant la
riés ? Les adeptes de l’allongement de la Quelle abomination ! Une dette collec- Sécurité sociale et les retraites par répar-
durée de cotisations n’ont-ils pas compris tive sans fin au royaume des rapports tition, on a donné une place à une sphère
que celui-ci n’augmentera pas le taux d’ac-
tivité tant que l’emploi ne progressera
pas ? Les thuriféraires des fonds de pen-
sion ne savent-ils pas que ceux-ci ne pro-
duisent rien ?

N’en doutons pas : aucune de ces réalités


n’échappe à la sagacité de nos dirigeants
et de leurs experts ès démolitions sociales.
Il doit donc exister des raisons plus pro-
fondes qui expliquent l’acharnement à
remettre en cause le système de retraites
par répartition, à organiser une baisse
considérable du niveau des pensions col-
lectives de façon à inciter les salariés les
mieux rémunérés à effectuer des place-
ments financiers individuels.
Manifestation pour la La protection sociale assurée par la col-
défense du système de
lectivité à l’ensemble de la population est
retraites par répartition,
seul garant de la solidarité impensable pour les gourous de la « mon-
et de l’égalité. dialisation heureuse ». On pourrait y voir
la main des assureurs pour qui le risque est
la matière première source de profits et
qui piaffent en faisant le siège de la Sécu-
rité sociale. C’est certain, et le FMI en a

24 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


Et la finance
ruinera les retraités
le don
non-marchande assumée collectivement
« Décidément, les fonds de pension ne sont pas une réponse adéquate au
vieillissement, et leur viabilité n’a pas résisté aux fluctuations boursières.
Tout cela était prévisible, et l’expérience confirme point par point les
et on a réintroduit le paradigme du don
exclu par le capitalisme tout en se démar- arguments anti-privatisation »
quant radicalement d’une conception
charitable de l’aumône faite entre des
individus. Chronique de Michel Husson publiée le 9 décembre 2004.

Pourquoi les retraites ne se laissent-elles pas


voir ainsi ? Parce qu’elles sont victimes
d’un paradoxe. La dette transmise de géné- « LE DIFFÉRENTIEL DE RENDEMENT entre systèmes joue assureurs privés ponctionnent jusqu’à 20 ou 30 %
ration en génération par une chaîne ininter- avec un extraordinaire effet de levier sur l’épargne néces- des épargnes individuelles. Alors que la pension
rompue de dons prend la forme moné- saire pour préparer sa retraite : un franc immobilisé pen- publique est très faible (184 euros par semaine pour
taire puisque les cotisations sociales sont dant trente ans devient 1,8 franc ou 4,3 francs selon qu’il un couple), les solutions envisagées passent par un
prélevées sur la valeur monétaire ajoutée est placé à 2 % (rendement du régime par répartition) surcroît d’intervention publique. Ce diagnostic est
par le travail et que les pensions sont ou 5 % (ordre de grandeur raisonnable pour le rende- d’autant plus frappant qu’il est signé de l’ancien
ensuite, très logiquement, des revenus ment sur longue période d’un portefeuille diversifié). » directeur de la Confédération de l’industrie.
monétaires. L’outil privilégié de la relation Ainsi raisonnait en 1998 un promoteur de la capi- Le bilan des réformes menées en Amérique latine
marchande, la monnaie, sert aussi à assu- talisation (1). conduit la Banque mondiale à tirer, elle aussi, le
rer des rapports non-marchands. Il y a de Quelques années plus tard, on est loin de ce bel signal d’alarme. Certes, elle se félicite des effets posi-
quoi s’y perdre et sans doute faudrait-il révi- optimisme. Aux États-Unis, la Pension Benefit tifs de ces réformes sur les marchés financiers et sur
ser les conceptions habituelles de la mon- Guaranty Corporation – chargée de garantir les la gestion de la dette publique. Mais son rapport
naie en même temps que l’on transfor- retraites privées – annonce un déficit record, qui a souligne leur gros point noir, qui est un très faible
merait les rapports sociaux. Le don doublé en un an pour atteindre 23 milliards de dol- taux de couverture (« entre un cinquième et la moitié »
– inadmissible au sein du capitalisme – lars. Son directeur a exhorté le Congrès à réaliser de la population active). Les rendements sont trop
qui transparaît dans les retraites doit être des réformes assurant un meilleur financement des fluctuants, les cotisations trop élevées par rapport aux
considéré comme essentiel à la vie. Il n’est retraites, avant que le déficit « échappe à tout contrôle ». salaires, et les frais prohibitifs. Ils ont ainsi repré-
pas sûr en revanche que le capitalisme L’agence dispose de 39 milliards de réserves, mais senté en moyenne la moitié des versements des sala-
soit aussi vital. évalue à 96 milliards le risque de défauts de paie- riés chiliens prenant leur retraite en 2000, alors
J.-M. H. ment à venir. Ce déficit provient du retournement même que la réforme date de 1981. L’un des auteurs
de la Bourse en 2000 et de la chute des taux d’in- du rapport insiste sur le « rôle crucial » que doivent jouer
térêts, qui ont tari les ressources des fonds de pen- les gouvernements pour compenser les défaillances
sion. Il faut y ajouter les faillites de grandes entre- des systèmes privés.
prises sidérurgiques ou textiles, et surtout des
compagnies aériennes US Airways et United Air- Ces difficultés sont encore accrues par une sous-esti-
lines. En 2004, ce sont 192 fonds de pension qui ont mation systématique de l’allongement de l’espé-
cessé leurs versements. rance de vie dans les calculs actuariels des fonds
de pension. Ceux-ci n’ont plus qu’une voie de sor-
Au Royaume-Uni, les choses ne vont pas mieux. La Com- tie, qui consiste à reporter les risques financiers sur
mission des retraites, créée en 2002, vient de re- les futurs retraités, en passant à des systèmes dits « à
mettre un premier rapport, alarmant. Le repli bour- cotisations définies » (on sait ce qu’on verse mais
sier a, là aussi, mis fin à la période d’euphorie durant pas ce qu’on recevra). Décidément, les fonds de
laquelle certaines entreprises pouvaient verser leurs pension ne sont pas une réponse adéquate au vieillis-
cotisations sur leurs profits boursiers. « Il faut main- sement, et leur viabilité n’a pas résisté aux fluc-
tenant revenir à la réalité » en conclut le président de tuations boursières. Tout cela était prévisible, et
la Commission. Si l’on ne veut pas que les retraités l’expérience confirme point par point les arguments
s’appauvrissent encore (un sur dix est déjà en des- anti-privatisation. Cette crise constitue une énorme
sous du seuil de pauvreté), il faudra qu’ils épargnent bombe à retardement qui conduira à reposer en
plus, qu’ils travaillent plus longtemps, ou que les des termes nouveaux la nécessité de consolider et
contributions publiques augmentent. Pour 75 % des de développer les systèmes de retraite par réparti-
futurs retraités, les contributions versées ne suffi- tion, seuls garants de la solidarité et de l’égalité.
ront pas à leur procurer des pensions convenables. M. H.
À la question de savoir si un « marché volontaire des (1) Olivier Davanne, dans son rapport « Retraites et Épargne » pour
CEYRAC/AFP

pensions » peut fonctionner pour les bas revenus, la le Conseil d’analyse économique. Les références citées sont
réponse est négative, ne serait-ce que parce que les disponibles sur le site « Vive la répart ! » http://reparti.free.fr/

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 25


Dégâts sociaux et écologiques

La leçon
du Clemenceau encore du Bangladesh, sans avoir été pré-
alablement dépollués. Les pleurs du patro-
« Opposer les écologistes et les travailleurs revient également à nat des chantiers navals en Inde et ailleurs
minimiser la victoire juridique et à laisser entendre finalement sont plus que compréhensibles. Le marché
des « déchets » exportés vers le Sud sous cou-
qu’il y aurait une hiérarchie du droit, que la misère autoriserait vert de « matières recyclables » devient une
toutes les transgressions » activité économique majeure, et les pays à
bas salaires et faible réglementation envi-
ronnementale en sont les destinataires, tout
Chronique de Geneviève Azam publiée le 2 mars 2006. comme ceux qui, au Sud, acceptent les
déchets les plus toxiques du Nord pour
régler leur dette extérieure.
Opposer les écologistes et les travailleurs
es écologistes célèbrent leur victoire, les chantiers nécessairement et de manière évidente revient également à minimiser la victoire
« navals de la baie d’Alang pleurent », écrit un
journaliste du Monde daté du 17 février,
issus des pays du Nord, et ceux qui tra-
vaillent, issus nécessairement du Sud,
juridique et à laisser entendre finalement
qu’il y aurait une hiérarchie du droit, que

L après avoir titré « Colère contre Green-


peace sur les chantiers d’Alang ». Qui sont
ces chantiers d’Alang qui pleurent ? Les
salariés ? L’un des syndicats les plus impor-
tants, le Citu, a célébré la victoire pour les
ouvriers des chantiers navals d’Inde et de
toute l’Asie comme l’indique par ailleurs
le même journaliste. Ou plutôt le patronat
indien ? Lui qui n’a cessé dans cette affaire
de brandir le chantage à l’emploi pour sau-
ver des affaires qui sèment la mort.
relève de la schizophrénie ambiante, de
l’irresponsabilité et d’une vision néoco-
loniale. En effet, cette lutte a été menée par
quatre associations : l’Association de
défense des victimes de l’amiante, Ban
Asbestos, le Comité anti-amiante de Jus-
sieu et Greenpeace-France. Elles ont su
prendre en compte à la fois les enjeux
sociaux, environnementaux et juridiques
du transfert du Clemenceau ; en menant à
la fois un travail d’expertise et de contact
la misère autoriserait toutes les trans-
gressions. Le gouvernement français a
affiché un mépris total pour les lois in-
diennes en refusant notamment de four-
nir les renseignements précis réclamés par
la commission de contrôle des déchets
toxiques de la Cour suprême indienne. Il
a violé la Convention de Bâle qui vise à
réglementer ces échanges afin de proté-
ger la santé humaine et l’environnement.
Il a vraisemblablement triché sur les ton-
Au-delà de ce qui n’est sans doute qu’une avec des syndicats et des associations éco- nages d’amiante à bord, alors que dans le
formule journalistique, cette musique logistes indiennes, elles ont réussi à mobi- même temps les ravages de l’amiante en
entendue ailleurs également, qui consiste liser l’opinion publique. France sont enfin reconnus et révélés.
à opposer les écologistes, qui seraient Opposer ainsi Greenpeace et les « chan- Enfin, opposer écologistes et salariés laisse
tiers » indiens, c’est ignorer l’existence des à penser qu’il y aurait des questions envi-
luttes écologistes dans les pays du Sud ronnementales qui ne seraient pas égale-
(même si elles ne se définissent pas toujours ment des questions sociales. Pourtant la
ainsi) et tout particulièrement en Inde. La prise en compte de l’environnement ne
mémoire de l’explosion de l’entreprise relève pas d’une défense bucolique de la
chimique de l’Union Carbyde à Bhopal nature ; il ne peut y avoir de vie sociale
en 1984, (plusieurs milliers de morts et durable qui n’accorde une importance cen-
plus de 300 000 malades) n’y est pas effa- trale à l’environnement dans lequel elle se
cée, d’autant que le site n’est toujours pas déroule, il ne peut y avoir de justice et de
décontaminé, et l’eau polluée alourdit solidarité lorsque les inégalités environne-
encore aujourd’hui le bilan. mentales amplifient les inégalités sociales.
Lorsque la santé des travailleurs et des
L’écologie n’est pas un luxe des pays riches, citoyens est menacée, le chantage à l’em-
elle concerne les pays pauvres et surtout ploi n’est pas la réponse à une revendica-
les plus pauvres de ces sociétés. Instruites tion sociale, c’est un crime.
des conséquences du contact avec l’amiante Cette lutte est exemplaire en ce sens qu’elle
et des conditions de travail sur ces chan- donne à voir à quel point l’opposition des
tiers, ces associations ont mis au centre questions sociales et environnementales
de leur action les préjudices graves pour est une machine de guerre à la fois contre
les travailleurs indiens, avec la mort pré- l’environnement et contre la société. C’est
maturée comme seule perspective. une question cruciale à l’heure où les déré-
Le départ du Clemenceau est salutaire même gulations néolibérales et les choix produc-
s’il ne supprime pas la montagne des aut- tivistes engendrent une accélération des
res déchets dangereux traités dans ces catastrophes, et où des choix profonds s’im-
chantiers. Ce sont chaque année posent pour réorienter notre production et
ESTRADE/AFP

700 bateaux qui vont à la démolition vers notre mode de vie.


les destinations de l’Inde, du Pakistan ou G. A.
DANIAU/AFP
Développer les services aux particuliers pourrait créer de 1 à 3 millions d’emplois et renforcer la cohésion sociale en favorisant les relations de proximité.

Relocaliser le développement
se situe dans la catégorie des pays inter-
médiaires, a compris cet enjeu. Les auto-
« L’alternative au néolibéralisme et au libre-échange généralisé rités chinoises viennent de décider des Dans les pays
passe par la construction d’un modèle de développement plus mesures tournées vers la satisfaction des
développés,
besoins domestiques, ce qui initie un rééqui-
autocentré, moins productiviste et plus solidaire » librage de leur modèle de développement. les besoins
Dans les pays développés, les besoins non non satisfaits
Chronique de Dominique Plihon publiée le 22 mars 2007. satisfaits sont également importants. C’est
le cas dans les domaines de la santé, de sont importants.
IL EST DEVENU ÉVIDENT POUR L’IMMENSE majo- Plusieurs séries de propositions ont été
l’éducation (tout au long de la vie), des C’est le cas
banlieues, de la qualité de la vie (garde
rité que la mondialisation néolibérale est avancées à ce sujet, dans ces colonnes et d’enfants, aide aux personnes âgées, etc.). dans les
un système économique inefficace et au sein d’Attac (1). Parmi celles-ci, le recours Un développement de ces services, sous
injuste. Les dégâts écologiques de la course au protectionnisme. Cette arme doit être l’impulsion des politiques publiques, pré- domaines
au productivisme risquent de devenir irré-
versibles. Les inégalités s’amplifient entre
maniée avec prudence car elle risque d’avoir
des effets pervers, et elle n’est pas à la hau-
senterait de nombreux avantages de nature
économique, sociale et écologique. Ces
de la santé,
les pays de la planète et à l’intérieur des teur des enjeux. Le danger provient de ce dépenses ont en effet un contenu faible en de l’éducation,
pays. Le cas de la Chine, considérée comme que la fermeture des frontières est une importation, mais élevé en emploi : on a cal-
le grand gagnant de la mondialisation, est démarche non coopérative. Les pays du culé qu’en France, le développement des des banlieues,
révélateur. Les inégalités de revenu n’y
ont jamais été aussi fortes (de 1 à 3) entre
Sud ne comprendraient pas que les pays
du Nord ferment leurs frontières à leurs
services aux particuliers pouvait conduire
à la création de 1 à 3 millions d’emplois (3).
de la qualité
la zone côtière industrialisée et les exportations, car ils n’auraient plus les En second lieu, s’agissant de services, c’est- de la vie.
800 millions de paysans. Par ailleurs, les moyens – sauf à s’endetter – d’importer à-dire de biens immatériels, leur produc-
déséquilibres internationaux ne cessent les biens industriels et les technologies dont tion est peu polluante et peu consommatrice
de s’amplifier : le déficit abyssal des États- ils ont besoin pour se développer. L’autar- d’énergie. Enfin, le développement de ce sec-
Unis pompe les deux tiers de l’épargne cie est aussi dangereuse que l’ouverture teur renforcera la cohésion sociale en favo-
mondiale tandis que la Chine accumule des totale. Il est donc préférable d’opter pour une risant des relations de proximité et inter-
réserves de 1 000 milliards de dollars… ouverture extérieure sélective et négociée (2), générationnelles.
Une grave crise financière internationale afin de favoriser une relocalisation des acti- Au total, l’alternative au néolibéralisme
se profile à l’horizon. vités économiques et de protéger les sec- et au libre-échange généralisé passe par la
teurs prioritaires comme l’agriculture vivrière construction d’un modèle de développe-
Le seul remède de fond à la mondialisation néo- et les industries naissantes. ment plus autocentré, moins producti-
libérale est la mise en place d’un modèle de viste et plus solidaire. Ce modèle sera
développement moins extraverti. Aujour- Le principal objectif doit donc être de réorien- gagnant-gagnant, au sens où il amélio-
d’hui, en effet, le commerce extérieur a ter la production et la consommation vers rera la situation de l’ensemble des pays de
pris une place excessive dans la plupart des le marché intérieur, en cherchant à répon- la planète et des acteurs de la société. À
pays de la planète à la suite d’une libérali- dre en priorité aux besoins non satisfaits. condition que des politiques publiques
sation commerciale beaucoup trop poussée. Un tel rééquilibrage implique des politiques volontaristes et appropriées accompagnent
Chaque pays cherche à prendre des parts publiques volontaristes. Dans les pays en cette transformation…
de marché à ses concurrents par tous les développement, un État social fort est néces- D. P.
moyens pour stimuler sa croissance. Dans saire afin de couvrir les risques sociaux et
ce jeu inégal, il y a des perdants et des d’accroître les dépenses publiques de santé (1) Voir la dernière lettre électronique du conseil
gagnants, en dépit de la doctrine néolibé- et d’éducation. Pour les pays les moins scientifique d’Attac : www.france.attac.org/
spip.php?article6931
rale qui veut que tous les partenaires aient avancés, généralement pauvres en ressources (2) Proposition n° 3 du Manifeste altermondialiste
intérêt au libre-échange. naturelles et financières, une aide publique d’Attac.
Comment favoriser un développement internationale massive, pas uniquement (3) « Productivité et emploi dans le tertiaire »,
moins dépendant des aléas extérieurs ? financière, est indispensable. La Chine, qui Rapport du Conseil d’analyse économique, 2004.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 27


SAGET/AFP

Clichy-sous-Bois, le 25 octobre 2005.

Le sens d’une révolte quartiers en question, étaient en grande


majorité des Français issus de l’immi-
« Il est dangereux de nier la dimension spécifique de l’oppression gration. Peut-on vraiment expliquer le
dont sont victimes les membres de minorités ethniques, français chômage record dans ces quartiers par
« l’informatisation » ou les « délocalisations »,
ou étrangers » en oubliant de citer les discriminations
massives à l’embauche auxquelles se
confrontent ces jeunes ? Discriminations
Chronique de Thomas Coutrot publiée le 15 décembre 2005. qui redoublent celles qu’ils rencontrent
face au logement, aux boîtes de nuit, à la
police, à la justice, comme le rappellent
Stéphane Beaud et Michel Pialoux dans
a révolte des banlieues fait l’objet d’un une dénégation de la dimension spécifique un remarquable article (1).
conflit d’interprétations. Pour Alain Fin- de l’oppression raciste. Dans un article
kielkraut et Nicolas Sarkozy, il s’agit d’une récent du Monde Diplomatique (« Les rai- On peut certes comprendre la méfiance légi-

L guerre ethnico-religieuse, menée par des


racailles musulmanes qui haïssent la France
et la démocratie. La question sociale n’est
qu’un faux-semblant : « Quel lien y a-t-il entre
pauvreté, désespoir, et se venger en saccageant
et en mettant le feu à des écoles ? », dit Fin-
kielkraut au journal Haaretz. Villepin a
hésité à endosser cette lecture, puis s’y est
rallié à la lecture des sondages, annonçant
un nouveau tour de vis contre l’immigra-
tion et le regroupement familial.
sons d’une colère », Décembre 2005), le
sociologue Laurent Bonelli ne voit dans la
révolte des banlieues qu’une « crise des milieux
populaires » : « Automatisation, informatisation
et délocalisations ont généré un chômage de
masse, qui s’est conjugué avec la généralisa-
tion du recours aux intérimaires et aux emplois
précaires. Ces deux facteurs ont accru la pré-
carisation des conditions des milieux popu -
laires », et particulièrement des jeunes. D’où
les taux de chômage record des 15-24 ans
time devant les interprétations « ethnici-
santes » qui visent justement à masquer
les racines sociales de la crise. On peut
partager l’inquiétude devant les discours
qui se contentent de préconiser la « dis-
crimination positive » pour résoudre la
crise des banlieues. Si quelques jeunes des
« quartiers » intègrent Sciences Po Paris ou
l’ENA, tant mieux pour eux, mais ça ne
doit évidemment pas faire oublier l’ur-
gence de politiques de créations massives
« dans les quartiers qui ont fait l’actualité ces d’emploi, de réhabilitation des logements
À l’inverse, à gauche et à l’extrême gauche, dernières semaines : 41% dans le quartier de la et de revitalisation des services publics
on rejette bien sûr toute ethnicisation de Grande-Borne à Grigny (contre 27 % pour la dans les quartiers défavorisés.
la question sociale. Et bien sûr, ces jeunes commune), 54 % à La Reynerie et à Bellefon-
n’ont pas brûlé des voitures parce qu’ils taine à Toulouse (contre 28 %) »… Toutefois il est dangereux de nier la dimen-
sont arabes ou musulmans, mais parce sion spécifique de l’oppression dont sont
qu’ils sont désespérés. Toutefois cette posi- À aucun moment n’est évoqué le fait que les victimes les membres de minorités eth-
tion de principe dérive trop souvent vers émeutiers, comme les habitants des niques, français ou étrangers. Ne pas

28 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


Record d’inégalité aux États-Unis
a nouvelle aurait dû faire la « une » des traduite, pour la majorité de la population, par

L
médias si l’on accordait autant une stagnation ou une régression du niveau
d’importance aux indicateurs sociaux de vie, et parfois sur une longue période.
qu’à la croissance économique ou aux Quasi-stagnation depuis 2000 pour le pouvoir
performances boursières. Il est rare d’achat du salaire horaire médian, qui n’est, en
qu’un record mette près de quatre-vingts ans 2007, que 8 % supérieur à son niveau de…
à être battu. Mais les politiques néolibérales 1973 ! Progression infime du salaire réel
au service des nantis et des actionnaires, hebdomadaire des salariés non-cadres depuis
appliquées avec obstination depuis les 2000, etc.
années 1980 aux États-Unis et ailleurs, ont Quant au pouvoir d’achat du salaire minimum
permis cette « performance ». horaire fédéral, mesuré en
Une étude récente (15 mars dollars constants de 2008, il
2008) d’Emmanuel Saez, approchait les 10 dollars en
économiste à Berkeley « La croissance 1968. Il n’était plus que de
(Californie), en fournit les 5,15 dollars en 2007 ! Certes,
preuves (1). américaine, que ce salaire minimum de misère
Dans cette étude, on suit, touche, aux États-Unis, une
depuis 1917, la part du revenu beaucoup nous proportion de salariés plus
de l’ensemble des ménages montrent en faible qu’en France. Certes,
qui revient aux 10 % les plus beaucoup d’états américains
riches. On a alors une assez exemple, s’est pratiquent des niveaux
bonne idée de l’évolution des supérieurs, de l’ordre de 7 à
inégalités, sous l’angle de la traduite, pour la 8 dollars. Certes, des
concentration des richesses majorité de la revalorisations sont prévues
« en haut ». La courbe obtenue au niveau fédéral en 2008 et
fait partie de ces rares population, par une 2009, mais cela ne conduira,
graphiques dont on aimerait en 2010, qu’à un pouvoir
qu’ils fassent le tour du monde stagnation ou une d’achat de 7,2 dollars, bien
et la couverture des régression du inférieur à celui de 1968…
magazines, en alternance avec En France, l’évolution des
des courbes semblables sur niveau de vie, et inégalités de revenu, évaluée
l’empreinte écologique des selon les mêmes critères, est
nations… Qu’y voit-on ? parfois sur une moins catastrophique, mais
longue période » elle suit une tendance
1) En début de période, de semblable, surtout dans la
1917 à 1928, la part du gâteau période récente, comme l’a
qui revient aux 10 % les plus Chronique de Jean montré une belle étude de
riches grimpe de 40 % à 49 %, Camille Landais de juin 2007 :
reconnaître cette oppression spécifique, un très haut niveau. Un déclin Gadrey publiée le entre 1998 et 2005, la
ou n’y voir qu’un avatar du « racisme modeste commence ensuite, 12 juin 2008. progression du pouvoir d’achat
anti-pauvres », c’est relativiser la légitimité suivi par un plongeon pendant du revenu fiscal des 90 % des
de politiques directes contre les discri- la guerre, ou cette part chute ménages du bas n’a été que de
minations racistes. C’est aussi nier le à 33-34 %. Plus étonnant est 4,6 %, contre 19,4 % pour les
droit des minorités discriminées à s’or- le fait que ce niveau assez bas reste de mise 1 % les plus riches et 42,6 % pour les 0,01 %
ganiser de façon autonome, comme la ensuite, de 1945 à la fin des années 1970. Plus les plus riches. Il concluait ainsi : « La
gauche l’a longtemps refusé aux femmes. de trois décennies d’inégalités relativement tendance actuelle n’exclut pas que la France
Les expériences de testing menées par réduites, selon ce critère. puisse converger vers les modèles anglo-
les associations confirment pourtant très 2) À partir de 1981-1982, années charnières saxons. Tous les éléments disponibles pour
clairement les très rares études statis- pour les inégalités, y compris en France, un 2006-2007 laissent d’ailleurs penser que la
tiques disponibles : à origine sociale et retournement de tendance survient puis tendance de croissance des hauts revenus
diplôme égaux, les jeunes Français « issus s’accélère. Le néolibéralisme qui s’installe a et des hauts salaires se poursuit, voire
des effets incroyablement bénéfiques pour les s’amplifie. »
de l’immigration » ont trois à quatre fois
plus riches. La seule vraie solution à la crise sociale
plus de « chances » d’être au chômage 3) Après 25 ans de progression forte et actuelle consiste à réduire fortement les
(ou de ne pas être convoqués à un entre- presque continue des inégalités, l’année 2006, inégalités. En reprenant aux plus riches la part
tien d’embauche) que les jeunes Fran- dernière année pour laquelle on dispose de des revenus qu’ils ont capturée depuis 1982
çais « de souche ». données, enregistre un record historique : les (via notamment la distribution de dividendes,
Si les études sont peu nombreuses sur ce 10 % les plus riches dépassent leur la spéculation financière et d’incroyables
sujet, c’est le fait notamment de la réti- performance de 1928 et, pour la première fois, cadeaux fiscaux), il y aurait largement de quoi
cence de l’Insee à introduire dans ses ques- ils accaparent la moitié du revenu des éradiquer la pauvreté en France.
tionnaires des questions à propos de ménages. J. G.
l’origine ethnique des personnes. Il y a 4) Les grands gagnants depuis les (1) http://elsa.berkeley.edu/~saez/saez-UStopincomes-
certes de bonnes raisons à la prudence, années 1980 ont été les 1 % les plus riches. 2006prel.pdf
Leur part du gâteau, qui avait chuté de 24 % (2) Voir les sources sur mon blog, accessible via le site
pour éviter les dérives et la mise en fichier d’Alternatives économiques.
des minorités. Mais il n’est plus possible en 1928 à « seulement » 8 % au cours des
que le système statistique continue à jeter années 1970, retrouve en 2006 un
un voile sur ces questions. Des progrès ont poids de 23 %.
été réalisés depuis peu, puisque les enquê- 5) Enfin, l’auteur fournit un calcul de
tes de l’Insee permettent de distinguer non l’évolution du pouvoir d’achat entre
seulement les Français des étrangers, mais 2002 et 2006, période de la forte
« croissance Bush », d’une part pour les
désormais aussi les Français issus de l’im-
1 % les plus riches (11 % de progression
migration des autres Français. Il est à sou- par an en moyenne), d’autre part pour
haiter que soient régulièrement publiées des tous les autres ménages (0,9 % par an
données sur le chômage, l’emploi, le loge- en moyenne). Près des trois-quarts de
SOURCE : PIKETTY AND SAEZ, BERKELEY

ment, la justice, etc., qui permettent de la progression des revenus pendant


quantifier l’ampleur des discriminations cette période ont ainsi été capturés
racistes en France et de piloter les indispen- par les 1 % les plus riches !
sables politiques pour y mettre fin.
T. C. D’autres données (2) montrent que la
(1) La « racaille » et les « vrais jeunes, croissance américaine, que beaucoup
www.liens-socio.org/article.php3?id_article=977 nous donnent en exemple, s’est

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 29


Dégâts sociaux et écologiques

Controverse sur
le pouvoir d’achat théorie du chômage volontaire, encaissa
à ce point la critique qu’il répondit à Key-
« Selon le raisonnement des experts libéraux, cette baisse du nes sur un terrain très keynésien : selon
salaire réel aurait cependant dû réduire le chômage, à condition « l’effet Pigou », la baisse des prix accroî-
trait le patrimoine des épargnants, qui
que les travailleurs acceptent des emplois à plus bas salaires… consacreraient alors une part supplé-
Tout refus de leur part signifierait que l’économie est en plein- mentaire de leur revenu à la consomma-
tion… Le système ne s’effondrerait donc
emploi » pas pour peu que les capitalistes consom-
ment leurs dividendes.
Chronique de Liêm Hoang-Ngoc publiée le 11 mars 2004. Dans l’actuel contexte européen, où la poli-
tique monétaire demeure restrictive, Keynes
et Pigou seraient sans doute tombés d’accord
INITIÉE CONTRE LA LOI GALLAND par Michel- emploi. Dans cette situation, toute baisse pour dire que la poursuite de la modéra-
Édouard Leclerc, la controverse sur les du salaire réel devrait même s’accompa- tion du salaire nominal avait une chance
chiffres de l’inflation, à l’évidence minimisés gner d’une hausse du nombre de chômeurs de provoquer un effet sur l’investissement
par l’Insee, a occulté les effets macroéco- volontaires préférant bénéficier des allo- et la consommation, pourvu que les entre-
nomiques de la perte de pouvoir d’achat cations chômage ! prises n’aient pas augmenté leurs prix…
réellement subie par les salariés depuis le Keynes n’aurait pas manqué pas de moquer Or, leur comportement de maximisation
passage à l’euro. L’évolution des salaires, cette curieuse assertion sur laquelle repose du taux de marge rend aujourd’hui impos-
inférieure à celle des prix, est passée inaper- la théorie libérale du chômage. Tout le sibles à la fois « l’effet Keynes » et « l’effet
çue dans les statistiques, et ce pour deux monde a pu observer la flambée des prix Pigou ». Le profit serait-il devenu l’ennemi
raisons. Tout d’abord, l’incorporation de des biens de consommation courante lors de l’investissement et de l’emploi ?
l’innovation par les constructeurs, pour du passage à l’euro. Pour les libéraux, la L. H.-N.
un prix inchangé, est considérée comme perte de pouvoir d’achat subie par les
source de désinflation par l’Insee, sans ménages aux revenus inférieurs à la
qu’elle ne soit perçue comme telle aux médiane aurait dû les conduire à préférer
yeux du consommateur, contraint d’ac- le chômage au travail, et l’enquête-emploi
cepter les produits du marché. Mais sur- de l’Insee aurait dû enregistrer une vague
tout, le calcul du revenu disponible des substantielle de démissions…
ménages inclut les produits de l’épargne,
dont la part s’est substantiellement accrue. Mais Keynes soulignait en outre que l’effet
Or ces revenus du capital ne profitent positif sur l’emploi d’une baisse du salaire
qu’aux ménages les plus aisés, détenteurs ne pouvait survenir que dans un seul cas
de titres, dont les gains de pouvoir d’achat de figure, ignoré par la théorie « classique ».
sont d’ailleurs minimisés par l’indicateur Pour en expliciter le mécanisme, il sup-
de pouvoir d’achat qui raisonne sur la pose que toute baisse des salaires puisse
moyenne des revenus salariaux et non- s’accompagner d’une baisse proportionnelle
salariaux de tous les ménages. Du coup, des prix fixés par les entreprises. Dans ce
les ménages les moins aisés (50 % des cas, l’incitation à l’embauche ne transite
ménages ont un revenu inférieur à pas par le canal de la baisse du coût du
1 200 euros) ne bénéficient pas de l’aug- travail puisque le salaire réel est inchangé.
mentation présumée du pouvoir d’achat L’effet exercé par la baisse des salaires
tout simplement parce qu’ils ne détien- passe en fait par le canal de la baisse des
nent pas de titres et que leurs salaires ont prix qui provoque, pour une masse moné-
évolué à un rythme fréquemment infé- taire nominale donnée, un accroissement
rieur à celui de l’inflation et de la pro- de la masse monétaire réelle. Ceci équivaut
ductivité… depuis 1983. à une relance monétaire ayant pour effet
de réduire les taux d’intérêt et de provo-
Selon le raisonnement des experts libéraux, quer une reprise de l’investissement et de
cette baisse du salaire réel aurait cependant l’emploi, pour peu que les entrepreneurs
dû réduire le chômage, à condition que réagissent positivement à la baisse des
BUREAU/AFP

les travailleurs acceptent des emplois à taux. Cet effet est connu dans la littéra-
plus bas salaires… Tout refus de leur part ture économique sous le terme « d’effet
signifierait que l’économie est en plein- Keynes ». Arthur Pigou, l’auteur de la Le rapport de la commission Attali proposait, en janvier

30 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


La violence faite aux 35 heures En réalité,
de 130 à 180 heures en 2002. Puis la loi
Fillon du 17 janvier 2003 a permis de l’aug- les patrons font
« L’idée que le “temps choisi” permettrait de créer des emplois menter au moyen d’accords de branches.
ne tient pas la route : tout allongement de la durée du travail est Raffarin propose dans son « Contrat pour
des profits mais
évidemment un obstacle à l’embauche »
la France » de passer à 220 heures et même n’embauchent
d’aller plus loin sous forme d’heures « com-
plémentaires ». Cela ne peut en aucun cas pas, car ils sont
doper l’emploi ; la preuve en est que, sur
Chronique de Michel Husson publiée le 10 février 2005. 160 branches, seules 20 ont signé des en train
accords Fillon, dont seulement deux vont d’éponger les
au-delà du contingent légal. De plus, le
L’OFFENSIVE CONTRE LES CONDITIONS de travail pour s’en rendre compte. Entre 1990 et nombre annuel moyen d’heures supplé- 35 heures en
des salariés s’appuie sur un bilan catas- 1996, donc avant la RTT, le volume de tra- mentaires tourne autour de 60, et l’on est
trophique des 35 heures. Dans le dernier vail salarié (dans les secteurs marchands) donc très en dessous du contingent légal. infligeant aux
numéro de l’Observateur de l’OCDE, on
trouve par exemple un petit article sur le
oscillait en France autour de 21,5 milliards
d’heures par an. Après le passage aux
Il est vrai qu’il s’agit des heures supplé-
mentaires rémunérées, qui ne représentent
salariés une
sujet : « Portrait d’une exception fran- 35 heures, il fluctue entre 22 et 22,5 milliards environ qu’un quart du total, comme l’in- « double peine ».
çaise». Les auteurs y reconnaissent, à leur d’heures. Le gain entre les deux sous- dique très officiellement Eurostat.
corps défendant, que la « semaine de 35 heu- périodes se situe donc dans une fourchette
res a probablement permis » de créer des de 350 000 à 700 000 emplois. Entre les Si l’on ajoute à cela le fameux jour férié sup-
emplois. Mais ils affirment que la France deux, il y a la baisse du temps de travail. Bref, primé, on constate que le détricotage des
se distinguerait par « un recul particulière- la RTT est un moyen de créer des emplois 35 heures conduit à un retour subreptice
ment marqué […] du nombre d’heures totales qui résistent à la conjoncture, puisque le aux 40 heures. Mais cela va encore plus
travaillées ». retour à une croissance médiocre n’a pas fait loin, car Raffarin propose la mise en place
Cet argument s’inscrit parfaitement dans la redescendre le volume de travail à son d’« accords pour le temps choisi », par bran-
campagne « décliniste » selon laquelle le niveau antérieur. che ou entreprise, permettant « d’effectuer
« recul » français s’expliquerait par un aban- Pour forcer les salariés à travailler plus, le des heures supplémentaires choisies, au-delà
don de la valeur travail qui nous conduirait gouvernement a choisi de jouer sur les du contingent conventionnel ». On comprend
à travailler trop peu. Il se trouve qu’il est gros- heures supplémentaires, s’engouffrant dans que Seillière, le patron du Medef, ait pu se
sièrement erroné : il suffit de consulter les la brèche laissée grande ouverte par son réjouir qu’on « redonne la liberté au temps
données de l’Insee sur la durée du travail prédécesseur. Leur contingent a été porté de travail » parce que cette proposition
aurait pour effet de faire voler en éclats
la durée légale du travail.
L’idée que le « temps choisi » permettrait
de créer des emplois ne tient pas la route :
tout allongement de la durée du travail est
évidemment un obstacle à l’embauche. En
réalité, les patrons font des profits mais
n’embauchent pas, car ils sont en train
d’éponger les 35 heures en infligeant aux
salariés une « double peine » (pour reprendre
l’expression bien trouvée de Jean-Claude
Mailly) en gardant la flexibilité et l’inten-
sification du travail tout en allongeant le
temps de travail pour un salaire bloqué. Ils
exercent un chantage aux licenciements
ou aux délocalisations, pour obtenir que
les salariés travaillent plus pour le même
salaire, l’un des derniers exemples étant
celui de l’entreprise rémoise Chausson
Outillage. Mais surtout, ce discours fait
l’impasse sur cette masse de main-d’œuvre
potentielle qui ne demanderait qu’à s’em-
ployer, à commencer par les chômeurs et
les femmes contraintes au temps partiel :
pour eux, on se demande bien où est le
« temps choisi ». Il est temps que cette offen-
sive violente suscite une contre-offensive
à sa mesure et que celle-ci englobe tous les
aspects de la condition salariée : emploi,
salaire et conditions de travail.
2008, de généraliser les grandes surfaces et de revenir sur les 35 heures pour doper le pouvoir d’achat. M. H.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 31


Dégâts sociaux et écologiques

Le partenariat, nouvelle
machine de guerre L’engrenage libéral fait que chaque libéra-
lisation en appelle une autre. Avec le nou-
« Si, dans les années 1980, la politique libérale a consisté veau contrat « PPP », c’est en effet l’en-
à dénoncer toute intervention publique au nom des défaillances semble des équipements publics qui pourront
faire l’objet d’un marché global confié au
de l’État, on recherche désormais de “bonnes” politiques privé, sans passer par les lois en vigueur en
matière d’appels d’offre : hôpitaux, écoles,
publiques, conçues comme contractualisation des rapports bâtiments administratifs. Le plan Hôpital
public-privé » 2007 prévoit explicitement la construction
des hôpitaux par des fonds privés. Le groupe
Bouygues est un « partenaire », fin prêt et
Chronique de Geneviève Azam publiée le 8 janvier 2004. avec déjà une longueur d’avance puisque,
dans le cadre de la loi anglaise de 1992, il
vient d’obtenir un contrat de trente ans pour
la conception-réalisation-maintenance d’un
e partenariat sous toutes ses formes habille cement privé et pour des motifs officiels hôpital londonien.
les discours relatifs aux politiques publiques « d’urgence », trente nouvelles prisons devant Mais le « PPP », c’est également le modèle
et à la gestion des biens communs. Appliqué être construites d’ici 2007, l’État s’affranchit français de délégation de service public. La

L aux politiques sociales, il agit comme mot


d’ordre : vive le partenariat, au diable l’as-
sistance ! Soyons résolument partenaires au
lieu de nous représenter le monde comme
une arène où s’affrontent des sujets aux inté-
rêts contradictoires ! C’est la clameur des
chantres du « PPP », Partenariat public-
privé. Mais que recouvre ce sigle ?
En son nom, le Conseil d’État vient d’au-
toriser le gouvernement à confier au sec-
teur privé le financement, la construction
du code des marchés publics, jugé trop
contraignant par les représentants au Medef
du secteur du Bâtiment et Travaux publics.
Alors, le « PPP » n’est-il pas une vulgaire
machine de guerre contre tous les tabous rela-
tifs aux privatisations, d’autant plus qu’il
s’agit dans ce cas précis de services liés aux
fonctions régaliennes de l’État ? Il restera à
l’État-locataire le soin de remplir prisons
et commissariats pour assurer la rentabi-
lité des investissements privés et rassurer
gestion déléguée se développe dans les
années 1980 et est instituée en 1992 au
motif de l’insuffisance des capitaux publics,
baisse des impôts oblige, face aux contrain-
tes de la « modernisation » et des normes
nouvelles, estimées trop coûteuses en matière
de transports, d’eau, de déchets. Ainsi, en
sus du démantèlement du service public,
avec la gestion déléguée, les entreprises pri-
vées sont promues garantes du développe-
ment durable, car seules capables d’appli-
et l’entretien des commissariats et des pri- les actionnaires. quer les normes européennes en matière
sons, l’État n’ayant plus alors qu’à payer de sécurité, d’hygiène et de protection de l’en-
les loyers avec une option de rachat, vrai- Par extension, le nouveau Contrat de parte- vironnement !
semblablement lorsque les équipements ne nariat public-privé devrait être créé par Cette expérience française fait office de
seront plus rentables. Par ce biais du finan- ordonnance en janvier 2004 : sur des terrains modèle de redéfinition des politiques
qui appartiennent à l’État, les publiques pour la Banque mondiale et
entreprises privées pourront l’Union européenne. En effet, si, dans les
construire et financer des éta- années 1980, la politique libérale a consisté
blissements loués ensuite aux à dénoncer toute intervention publique au
pouvoirs publics. Imaginée nom des défaillances de l’État, on recher-
initialement par les Cercles che désormais de « bonnes » politiques
libéraux d’Alain Madelin et publiques, conçues comme contractuali-
désormais autorisée par le sation des rapports public-privé. Les résul-
Conseil d’État, cette nouvelle tats, dans le domaine de l’eau, par exemple,
forme de privatisation avance sont éloquents : la gestion déléguée a per-
masquée. La refuser relèverait mis à trois oligopoles, Vivendi-Environne-
d’un esprit archaïque fermé à ment, Suez et Saur, de détenir entre 98 %
l’espoir d’une nouvelle gou- et 99 % des marchés de l’assainissement et
vernance. La décision du de la distribution en France. Et, après l’eau,
Conseil d’État illustre juste- c’est l’ensemble des marchés publics locaux
ment à quel point les notions qui tend à être capté par ces entreprises,
acidulées de gouvernance et qui contrôlent en sus la communication.
de partenariat véhiculent l’i- Alors, il est temps de retrouver le sens des
dée que les gouvernements mots et de mettre à nu la violence et l’ad-
n’ont plus le monopole de la versité d’un monde que nous récusons et
puissance légitime, qu’ils doi- dont nous ne sommes pas partenaires.
vent la partager avec des instan- L’inauguration du nouveau contrat de Par-
ces privées et notamment les tenariat public-privé par la construction de
SAGET/AFP

entreprises. C’est la négation prisons et de commissariats est à ce titre


même du politique comme bien plus qu’un symbole.
Imaginée par les Cercles libéraux et autorisée par le Conseil d’État, cette privatisation avance masquée. espace public autonome. G. A.

32 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


SAGET/AFP

Des militants de Génération précaire lors d’une manifestation pour dénoncer les abus dont sont victimes les stagiaires dans certaines entreprises.

Le plein-emploi précaire
justifié la création de la prime pour l’emploi
par le gouvernement Jospin. Ou le revenu
« Si les gouvernants cherchent à focaliser l’attention de solidarité active de Ségolène Royal, afin
exclusivement sur le taux de chômage, c’est parce qu’on peut le que « les bénéficiaires de minima sociaux qui
reprennent un emploi voient leurs revenus aug-
faire baisser en multipliant les emplois précaires, à temps menter d’un tiers ».
partiel, à bas salaires, bref les “emplois inadéquats” » Il faut le dire et le répéter : toutes les études
disponibles, statistiques, sociologiques ou
ethnographiques, montrent que l’immense
Chronique de Thomas Coutrot publiée le 17 mai 2007. majorité des chômeurs vit le chômage
comme une souffrance et cherche à en
sortir. La prime pour l’emploi ou le revenu
« AUJOURD’HUI, C’EST LE PLUS FAIBLE TAUX de résultat de l’enquête sur l’emploi de 2006 : de solidarité active sont supposés « acti-
chômage en France depuis 25 ans. Je ne dis le chômage est resté stable cette année par ver » les chômeurs et « rendre le travail plus
pas que l’on a tout réussi, mais c’est le taux le rapport à 2005, alors que le chiffre officiel attractif » (comme dit l’OCDE). Comme
plus faible. » Lors de son débat avec Ségo- a baissé de 10 %. La direction de l’Insee a si le chômage était volontaire ! Depuis sa
lène Royal, Nicolas Sarkozy n’a pas hésité tenté de discréditer sa propre enquête en mise en place, aucune étude n’a d’ailleurs
à reprendre le mensonge officiel. Sans alléguant des problèmes techniques, mais pu montrer que cette innovation « de gau-
s’attirer d’ailleurs le moindre démenti de les statisticiens, même ceux – fait sans pré- che » qu’a été la prime pour l’emploi avait
sa rivale, qui a préféré enchaîner sur la cédent – de l’Office européen de statis- eu le moindre effet sur le retour à l’em-
trop grande « rigidité » de la loi sur les tiques, ont réfuté ce mauvais procès. ploi des chômeurs.
35 heures. Tout au long de la campagne Outre le durcissement des sanctions contre
présidentielle, Nicolas Sarkozy s’est engagé Nicolas Sarkozy table sur les mêmes artifices les chômeurs, qui vise à leur imposer des
à atteindre le « plein-emploi en cinq ans ». pour dégonfler le taux de chômage pen- emplois dégradés, Sarkozy a annoncé l’ins-
Mais quel plein-emploi ? « Atteindre le plein- dant les cinq années à venir. Il l’a claire- tauration rapide du « contrat unique » : un
emploi signifie baisser le taux de chômage de 3,4 ment annoncé : « Je propose que l’on ne nouveau CPE, mais pas réservé aux jeu-
points (de 8,4 % en février 2007 à 5 % en puisse pas, lorsqu’on est chômeur, refuser nes. Comme si la précarisation générali-
2012) (1). » Il est vrai que Dominique plus de deux offres d’emplois successives sée de l’emploi était une solution au pro-
de Villepin a montré la voie en faisant qui correspondent, bien sûr, à vos qualifi- blème du chômage ! D’où l’importance
baisser le taux officiel du chômage de qua- cations et à la région où vous habitez ». de la controverse sur les indicateurs statis-
siment 2 points en deux ans (de 10 % en Une telle mesure, bien entendu, ne créera tiques. Si les gouvernants cherchent à foca-
juin 2005 à 8,3 % en mars 2007). Au pas un seul emploi : à supposer même que liser l’attention exclusivement sur le taux de
rythme actuel, l’objectif sarkozien n’ap- « 500 000 offres d’emploi ne sont pas satisfai- chômage, ce n’est pas seulement parce qu’il
paraît pas irréaliste. tes », il y a plus de 4 millions de deman- est facilement manipulable. C’est aussi
Seul problème : depuis deux ans, la baisse deurs d’emploi inscrits à l’ANPE ! parce qu’on peut le faire baisser « à l’an-
du nombre d’inscrits à l’ANPE n’a plus Le chômage n’est évidemment pas dû au glaise », en multipliant les emplois précai-
grand-chose à voir avec une baisse du chô- manque d’enthousiasme des chômeurs res, à temps partiel, à bas salaires, bref les
mage. Le collectif « Les autres chiffres du pour occuper les emplois disponibles. « emplois inadéquats » (au sens du Bureau
chômage » le dénonce depuis le début de Mais Sarkozy a seriné le refrain de « l’as- international du travail). Exiger l’élabora-
l’année : le plan de « cohésion sociale » de sistanat » financé aux dépens de « la France tion par le système statistique public d’in-
Jean-Louis Borloo et les mesures musclées qui se lève tôt ». Cette petite musique, dicateurs alternatifs pour mieux décrire la
du directeur de l’ANPE, Christian Charpy, jouée par les médias et les économistes précarisation de l’emploi et du travail, c’est
ont multiplié les radiations, les sanctions néolibéraux depuis des années pour cul- aussi lutter, sur le terrain idéologique et
et les pressions sur les chômeurs. Plus de pabiliser les chômeurs, a trouvé l’oreille politique, contre le néolibéralisme et l’in-
200 000 d’entre eux se sont évaporés des lis- de l’opinion. sécurité sociale. T. C.
tes de l’ANPE, sans avoir pour autant re- Rien d’étonnant à cela puisque les sociaux- (1) Voir http://sarkozyblog.free.fr/index.php?
trouvé un emploi. L’Insee a confirmé ce libéraux l’ont eux-mêmes chantée. Qu’on 2007/04/16/331-le-plein-emploi-en-cinq-ans-c-est-
diagnostic, en publiant à contrecœur le se rappelle le rapport Pisani (2000), qui a possible

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 33


Dégâts sociaux et écologiques

L’an un
de la Sarkonomics pulaires parce qu’elle creuse les inégalités,
au nom de l’efficacité. Elle n’a pas provo-
« La “Sarkonomics”, succédané hexagonal de la Reaganomics, a qué de choc sur la croissance et creusera les
pour but de rendre irréversible le détricotage du compromis de déficits publics, malgré ses intentions.
1945, inspiré du programme du Conseil national de la Résistance » Le mal n’est pas propre à la France, certes plus
atteinte au cours de ces dernières années.
La Sarkonomics est la copie « bling-bling »
Chronique de Liêm Hoang-Ngoc publiée le 15 mai 2005. de la politique conduite par nos partenai-
res européens, dont on vante l’exempla-
rité. Or, la zone euro est celle où la crois-
n 1970, Richard Nixon déclarait : « Nous som- salaires dans la valeur ajoutée a reculé de sance est la plus faible du monde. La
mes tous keynésiens. » À peine dix ans plus tard, dix points. L’autonomie des universités monnaie est surévaluée. Le pouvoir d’achat
la « Reaganomics » incarnait la rupture de est en marche. baisse. L’investissement est à la traîne. L’Al-

E l’Amérique néoconservatrice avec trente


ans de keynésianisme. Au cours des Trente
Glorieuses, le keynésianisme à la française
était incarné, entre autres, par la figure du
Général de Gaulle. Avec la « Sarkono-
mics », succédané hexagonal de la Reaga-
nomics, la rupture avec le gaullisme éco-
nomique sera l’œuvre des gaullistes
eux-mêmes, non sans quelques complici-
tés dans l’autre camp. Elle a pour but de
rendre irréversible le détricotage du com-
lemagne elle-même, locomotive des « réfor-
mes », vient de réviser ses prévisions de
croissance pour 2008. Jusqu’à présent insen-
sible à l’euro fort, la compétitivité alle-
mande se dégrade, malgré des réformes
structurelles qui ont fini par casser la
demande intérieure. La croissance ne dépas-
sera pas 1,2 %. Le taux d’endettement
dépassera 68 % du PIB, loin des 60 % auto-
risés par le pacte de stabilité.
La Reaganomics s’était également soldée
promis de 1945, inspiré du programme du par un échec économique. Elle offrait aussi
Conseil national de la Résistance. Elle est son paquet fiscal, indispensable pour cal-
explicitement à l’œuvre depuis au moins mer la révolte fiscale des nouveaux ren-
quinze ans, au cours desquels la France est tiers. Elle déréglementait et faisait le pro-
loin d’avoir été immobile. Seuls les tra- cès de la dépense sociale en stigmatisant
vailleurs sont restés endormis, acceptant les « assistés ». À la tête de la Banque cen-
l’effort presque sans broncher. La rupture trale, le très monétariste Paul Volcker avait
fut autorisée par Jacques Chirac en 1986 lors relevé les taux d’intérêt et se targuait d’a-
de la première cohabitation, au cours de voir rétabli un dollar fort. La production
laquelle il tenta de lancer par ordonnan- industrielle s’effondra. Les « déficits
ces la première vague de privatisations. Elle jumeaux » (du budget fédéral et du com-
SARGENT/AFP

est assumée au grand jour en 1993 par merce extérieur) se creusèrent. Le chômage
Édouard Balladur, nommé Premier minis- atteignit un pic de 9 % en 1983.
tre de la deuxième cohabitation (et flan- La « Reaganomics » s’était elle aussi soldée
qué de Nicolas Sarkozy au budget), après par un échec économique. Les États-Unis sont redevenus keynésiens sans
la défaite des séguinistes au RPR. Le clou le dire depuis le sommet du G5 de 1985.
est enfoncé au cours de la dernière légis- Les prochains chantiers enfonceront un Aujourd’hui, face à la récession qui s’an-
lature, avec l’aide zélée de François Fillon peu plus le clou. La revue générale des nonce, ils baissent les taux d’intérêt, déva-
(jadis chantre du gaullisme social) sur les politiques publiques réduira l’armée des luent leur monnaie et pratiquent le déficit
retraites et de Dominique de Villepin, inau- hussards de la République. Une nouvelle budgétaire. Au même moment, la France
gurant le bouclier fiscal et lançant les pre- « réforme » des retraites allongera la durée et l’Eurogroupe sont plombés par un euro
mières flèches contre le CDI. de cotisation et réduira le niveau des pen- cher. À la veille de la présidence française
sions, condamnant les salariés à sous- du Conseil européen, le débat promis sur
À l’issue de ces deux dernières décennies, « l’ou- crire aux fonds de pensions. La « moder- la politique monétaire européenne semble
verture à la concurrence » est en passe de nisation » du marché du travail dépouillera enterré. Au nom du respect dogmatique
s’achever dans tous les secteurs straté- le CDI de ses protections. La montée en du pacte de stabilité, les plans de rigueur
giques. Le système fiscal a été rendu de puissance des franchises pourrait conduire nous plongent dans le cercle vicieux de la
moins en moins redistributif. Les retraites à la privatisation progressive de décroissance et des déficits. L’approfon-
ont été « réformées ». Contrairement à l’assurance-maladie. dissement des réformes structurelles, réclamé
une idée reçue, la part des dépenses de par certains apprentis sorciers, ne fera que
l’État en tant que tel a diminué. Au sein La politique économique de Nicolas Sarkozy serrer la corde autour du cou d’un pendu
des dépenses de l’État, la part des dépenses est à cet égard parfaitement cohérente. Elle qui ne respire déjà plus.
de fonctionnement a baissé. La part des souffre inévitablement de « couacs » impo- L. H.-N.

34 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


Déséquilibres Nord/Sud

Les États-Unis et le désordre


économique mondial
livre avec l’affaiblissement progressif de
l ‘empire britannique et la montée de l’é-
« Si les États-Unis ont été jusqu’à maintenant en mesure de conomie américaine. La spéculation inter-
s’endetter sans limites à l’étranger, c’est parce que cette dette nationale contre la livre, fondée sur la
défiance, entraîna les dévaluations de 1949
est en dollar, qui est la principale monnaie de réserve et de 1967, qui firent perdre à la monnaie
britannique son statut de monnaie de
internationale » réserve au profit du dollar.

Il est difficile de prédire la fin de l’hégémo-


Chronique de Dominique Plihon publiée le 4 décembre 2003. nie des États-Unis, car ceux-ci sont encore
largement conquérants aujourd’hui. Mais
cette domination pourrait être progressi-
’unilatéralisme du gouvernement Bush, Pourquoi le Fonds monétaire internatio- vement remise en cause par deux séries
qui a conduit à la guerre en Irak au mépris de facteurs. D’abord, l’émergence sur la

L de l’opposition d’une grande partie de


l’opinion mondiale, se manifeste égale-
ment dans le domaine économique et moné-
taire. Pour assurer sa réélection, le prési-
dent américain orchestre un gigantesque
déficit budgétaire causé par les cadeaux
fiscaux à son électorat, et qui s’élève à près
de 400 milliards de dollars, soit environ
3 % du PIB des États-Unis. Il en résulte un
besoin de financement considérable qui,
compte tenu du faible taux d’épargne des
nal n’a-t-il pas critiqué ces déficits
« jumeaux » (budgétaire et extérieur) et
imposé un plan d’ajustement structurel
au gouvernement américain alors qu’il
inflige des punitions sévères aux pays les
plus pauvres pour des transgressions moins
importantes ? Pour quelle raison le pays
le plus riche du monde pourrait-il vivre
au-dessus de ses moyens au crochet du
reste de la planète ?

Paradoxalement, la politique économique des


scène monétaire internationale de l’euro,
qui va concurrencer de plus en plus le dol-
lar. Les marchés vont spéculer sur ces deux
monnaies, l’une contre l’autre, ce qui va
entraîner une instabilité monétaire crois-
sante. Comme les autorités monétaires
américaines (la Fed) et européennes (la
BCE) pratiquent le laisser-faire (le benign
neglect), les marchés ont toute latitude pour
déstabiliser les monnaies. La deuxième
source de l’affaiblissement américain (et
ménages américains, donne lieu à un endet- États-Unis est le signe de leur affaiblissement. européen) est la montée de nouvelles puis-
tement extérieur sans précédent. En effet, l’attitude défensive et protection- sances économiques, telles que le Brésil,
Chaque année, les États-Unis empruntent niste de Washington, hier sur l’acier, aujour- l’Afrique du Sud, l’Inde et surtout la Chine,
environ 500 milliards de dollars, ce qui cor- d’hui sur l’agriculture et sur les textiles chi- qui ont montré leur capacité de résistance
respond au déficit de leur balance des trans- nois, illustre les difficultés de pans entiers lors du sommet de l’OMC à Cancun. La
actions courantes. Sur une dette totale de de l’appareil productif américain. Chine, qui détient une grande partie des
3 500 milliards de dollars de l’État améri- Si les États-Unis ont été jusqu’à mainte- bons du Trésor américains, peut s’en débar-
cain, 1 400 sont aux mains d’étrangers, en nant en mesure de s’endetter sans limites rasser à tout moment et créer un mouve-
grande partie européens et surtout asia- à l’étranger, c’est parce que cette dette est ment de défiance à l’égard des États-Unis,
tiques. Ainsi, les États-Unis prélèvent l’es- en dollar, qui est la principale monnaie de ce qui représente une arme de « dissua-
sentiel de l’épargne mondiale, évinçant les réserve internationale. C’est aussi parce sion » redoutable.
autres régions du monde de financements que Wall Street est la place financière la Ainsi, il y a aujourd’hui un risque consi-
qui pourraient contribuer à leur croissance. plus importante et que l’économie améri- dérable d’instabilité mondiale sur fond de
Ce déficit abyssal entraîne une déprécia- caine est la plus puissante. Mais l’expé- guerre monétaire et commerciale. Préve-
tion du dollar, de l’ordre de 40 % par rap- rience historique montre que l’hégémonie nir cette éventualité implique une autre
port l’euro. Cette évolution est une source économique et monétaire n’a qu’un temps, approche des relations internationales,
d’inégalité sur la planète car la baisse du dol- et que la « soif de dollars » dans le monde fondée sur la coopération entre les peu-
lar stimule l’économie américaine, les pro- pourrait se tarir. Pendant le XIXe siècle, la ples et leurs gouvernements, et non sur la
duits américains devenant moins chers, au livre sterling a dominé le monde, jouant le concurrence et les antagonismes entre
détriment du reste du monde. Les États- rôle de monnaie de réserve, les « balances blocs, dont l’histoire montre qu’elle peut
Unis exportent leur chômage à l’étranger sterling » s’accumulant dans les coffres des mener à des conflits mondiaux.
par ce mécanisme monétaire. banques centrales. Puis vint le déclin de la D. P.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 37


EMMERT/AFP
Les Américains veulent financer la plus puissante armée du monde tout en se soustrayant à l’impôt, ce qui explique leur dette publique gigantesque.

L’argent du beurre il n’importe guère que la production soit


réalisée dans son propre pays ou en Chine.
« Les classes capitalistes des États-Unis investissent leurs Seule compte la rentabilité de l’opération.
capitaux dans les paradis fiscaux. Elles ne sont pas les seules Dans son pays se construit un château de
cartes financier, une polarisation mons-
mais pèsent lourdement dans ce phénomène » trueuse entre créanciers et débiteurs ; s’y
accumule une dette vis-à-vis du reste du
monde. Corrélativement, cette masse de
Chronique de Gérard Duménil publiée le 19 octobre 2006. capitaux expatriée échappe à toute régle-
mentation et tout contrôle. Des risques à
l’évidence, mais une bonne fraction de la
ériodiquement, resurgit dans la presse le Je m’explique. Une des conquêtes de la fortune est ailleurs.
thème des menaces que font planer sur mondialisation néolibérale a été la liberté
le monde les déséquilibres extérieurs des d’investir ses capitaux dans le monde : un Cherchez la contradiction, car elle existe.

P États-Unis et les excès de sa finance mon-


dialisée. Les chiffres les plus faramineux
sont avancés, et l’on se perd dans les zéros,
milliards, billions ; par jour, par an… La
spéculation boursière, l’endettement interne
et international états-unien, les pirouettes
des hedge-funds (dits fonds spéculatifs)
menaceraient de faire exploser l’écono-
mie mondiale.
À quel jeu jouent les États-Unis ? Pour-
quoi la principale puissance mondiale ne
terrain de chasse planétaire. Un aspect cru-
cial de cette internationalisation est l’exis-
tence des paradis fiscaux. Les classes capi-
talistes des États-Unis investissent leurs
capitaux dans les paradis fiscaux. Elles ne
sont pas les seules mais pèsent lourdement
dans ce phénomène.

Quel rapport avec les déséquilibres du pays et


les fragilités financières ? Commençons
par le déficit extraordinaire d’épargne du
Comment concilier cette situation avec
l’hypernationalisme que l’on sait ? Sur-
prendrai-je quelqu’un en disant que l’État
états-unien est le bras armé de ses classes
dominantes ; les discours impérialistes
de la « droite extrême » des États-Unis
ont, au moins, l’avantage de la transpa-
rence. Comment vouloir être, d’un côté,
un des protagonistes de ce monde capi-
taliste néolibéral, investir ailleurs et
échapper à l’impôt, et, de l’autre, s’a-
parvient-elle pas à mettre fin aux processus pays que révèle l’analyse de ses comptes. Les briter derrière un État surpuissant ? Vou-
d’endettement, notamment à sa dépen- classes aisées dépenseraient tous leurs reve- loir financer l’armée et les services sec-
dance croissante vis-à-vis du financement nus, une folie « consommatrice » au som- rets les plus redoutables du monde tout
qui lui vient du reste du monde, ladite met de la pyramide. Mais appréhendons- en délocalisant la production et en se
« dette extérieure », et à la spirale spécula- nous bien les revenus de ces classes ? Les soustrayant à l’impôt est une gageure.
tive ? L’étude de ces mécanismes suggère revenus des classes riches pourraient appa- On ne s’étonnera pas, dans ces condi-
une révolution de pensée : il n’est plus pos- raître totalement dépensés dans les comp- tions, de l’accumulation d’une dette
sible de considérer le pays et ses classes tes, alors que leurs épargnes s’accumule- publique gigantesque.
dominantes comme une entité unique. Il raient dans les paradis fiscaux. Ne serait On ne peut avoir le beurre et l’argent du
faut, à l’inverse, les traiter comme deux rapatriée que la fraction de ces revenus des- beurre. Pourtant, ils l’ont, car les États-
agents distincts, dont les intérêts coïncident tinée à être dépensée. D’où l’épargne nulle Unis canalisent les épargnes du reste du
partiellement mais aussi divergent. Je ne dans les comptes officiels. Toujours au plan monde, notamment les revenus de clas-
fais pas allusion ici à une éventuelle inter- des déséquilibres extérieurs : les États-Unis ses dominantes des autres pays accep-
nationalisation des classes capitalistes deve- (leurs entreprises et leur État) sont financés tant de se placer dans une position « ren-
nues apatrides : l’idée d’une bourgeoisie par le reste du monde ; on sait ce qui vient tière » vis-à-vis de la puissance centrale.
mondiale. Non, il est toujours justifié de d’Europe, d’Amérique latine, pour ne citer Impossible et pourtant vrai ; instable,
parler d’une classe capitaliste états-unienne. que les principaux contributeurs. mais n’effrayant guère les principaux
Je fais référence à un certain « divorce » Indifférence donc. Pour un capitaliste états- acteurs et bénéficiaires.
entre certaines classes et un pays. unien bien inséré dans la mondialisation, G. D.

38 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


Le vaudeville
du « patriotisme économique »
En fait, que ce soit au PS ou à l’UMP, aucun des
principaux dirigeants politiques français
« Français ou étrangers, les investisseurs ne prennent rien n’a la moindre intention de mettre en cause
d’autre en compte que le rendement financier pour décider la mondialisation financière. C’est pour-
tant elle qui fait que 40 % du capital des
de leurs investissements, et donc du devenir de l’économie groupes cotés au CAC 40 sont entre les
et de la société » mains d’investisseurs financiers étrangers.
Et c’est surtout elle qui fait que, français
ou étrangers, lesdits investisseurs financiers
Chronique de Thomas Coutrot publiée le 29 juin 2006. ne prennent rien d’autre en compte – ni
intérêt national ou européen, ni la préser-
vation de l’emploi ou de l’environnement –
que le rendement financier pour décider
ALLIANZ, L’UN DES PRINCIPAUX GROUPES euro- Les actionnaires d’Arcelor n’ont pas com- de leurs investissements, et donc du deve-
péens de banque-assurance, décide de sup- pris la génialité de l’opération, et ont plus nir de l’économie et de la société.
primer 7 500 emplois alors qu’il a réalisé prosaïquement préféré faire monter les Pourtant, cette impitoyable mécanique du
4,4 milliards d’euros de bénéfices pour enchères entre les deux candidats au rachat. capitalisme néolibéral, l’opinion publique
2005. La lecture de la presse économique Au bout du compte, l’emploi et « l’intérêt française la rejette massivement et régu-
ressemble souvent à un pamphlet antica- national » passent évidemment à la trappe, lièrement, comme le 29 mai 2005. D’où
pitaliste : « Supprimer 16 % des effectifs en mais les actionnaires empochent d’énor- les gesticulations répétées des hommes poli-
Allemagne est donc une mesure de sauvegarde ; mes plus-values : 40 euros au lieu de 22 tiques, soucieux de donner l’impression
réduire de 9 % les effectifs de Dresner Bank, déjà dans l’offre initiale de Mittal ! Merci le qu’ils ne se résignent pas. Ségolène Royal
amputés d’un tiers ces dernières années, n’a rien patriotisme… promet « d’empêcher les délocalisations purement
d’excessif. Ce recentrage devrait en effet lui per- Même scénario à propos de Gaz de France. financières » – autrement dit, la quasi-tota-
mettre d’atteindre simplement un niveau de Violant la promesse faite par Sarkozy et lité des délocalisations ? Elle ne dit évi-
retour sur fonds propres de 12 % en 2008, soit l’UMP, lors de l’ouverture du capital d’EDF- demment pas comment elle compte s’y
la moitié de celui de Deutsche Bank et 40 % de GDF, de conserver un actionnariat public prendre : encore une promesse qui n’en-
moins que la Société Générale ou BNP Pari- dominant, Villepin décide de sauver l’en- gage que ceux qui l’écoutent… Car redon-
bas » (Les Echos, 23-24 juin 2006). Chaque treprise des griffes de son concurrent ita- ner à la démocratie le pouvoir sur les déci-
année, ce sont ainsi des centaines de milliers lien… en la privatisant complètement et sions des transnationales supposerait
d’emplois qui sont supprimés dans des en la fusionnant avec Suez. On ne sait s’il d’enclencher une transformation sociale
entreprises parfaitement prospères mais faut rire ou pleurer de la tirade de Villepin de grande ampleur, à l’échelle nationale et
insuffisamment rentables aux yeux de leurs à la tribune de l’Assemblée, citant De Gaulle européenne, dont le moins qu’on puisse
actionnaires, dont la cupidité est érigée en pour justifier la privatisation de GDF au nom dire est qu’elle ne semble pas portée par
système économique. de « l’indépendance énergétique de la France ». les propositions actuelles de la droite libé-
L’hypocrisie et l’absurdité atteignent ainsi rale ni de la gauche social-libérale.
Que les actionnaires soient français, indiens des sommets inégalés. T. C.
ou russes ne change pas grand-chose à
cette logique. On peut donc juger du
sérieux de la problématique du « patrio-
tisme économique » avancée par Villepin
pour riposter à des projets de rachat de
grands groupes français par des concur-
rents étrangers. Selon un credo partagé
par la plupart des hommes (et femmes)
politiques français, « l’intérêt national » vou-
drait que les grands centres de décision éco-
nomique restent aux mains d’investis-
seurs français. Ainsi, face à l’offre d’achat
de l’Indien Mittal concernant Arcelor, le
fleuron de ce qui reste de la sidérurgie
franco-luxembourgeoise, le gouvernement
a organisé une riposte éclair au nom de
DE SAKUTIN/MEYER/KADOBNOV/AFP

l’indépendance nationale. La direction


d’Arcelor a donc négocié un rachat par…
le groupe russe Severstal, propriété d’un
milliardaire russe au civisme bien connu…
Cherchez l’erreur ! Pourquoi Severstal
préserverait mieux les emplois en France
que Mittal ? Un prédateur russe vaut-il
mieux qu’un Indien… ou qu’un français ? Les actionnaires d’Arcelor ont prosaïquement fait monter les enchères entre deux candidats au rachat : Mittal et Severstal.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 39


Déséquilibres Nord/Sud

Les dogmes
se fissurent refusent de se l’appliquer. Mais si elle per-
met des succès temporaires comme celui
« L’immense majorité des paysans africains ou latino-américains de Cancún, cette tactique serait à terme
suicidaire pour le mouvement altermon-
n’auraient rien à gagner à une libéralisation des échanges dialiste. Elle revient en effet à s’aligner
agricoles mais beaucoup à une protection de leurs productions » sur les intérêts mercantiles des grands
groupes agro-exportateurs de certains
pays du Sud, au détriment des alliances
Chronique de Thomas Coutrot publiée le 25 septembre 2003. entre paysans du Nord et du Sud, que
porte par exemple Via Campesina. L’im-
mense majorité des paysans africains ou

« ersonne ne respecte celui qui retire ses chaus-


sures dans un aéroport. » C’est ainsi que Lula
d’ailleurs traversé par le débat entre ceux
qui, telle l’ONG britannique Oxfam, récla-
latino-américains n’aurait rien à gagner à
une libéralisation des échanges agricoles,
mais beaucoup à une protection de leurs

P résumait la semaine dernière le change-


ment d’orientation de la diplomatie bré-
silienne après son élection, changement
illustré par le rôle décisif du Brésil dans
l’échec de l’OMC à Cancún. La presse
brésilienne avait épinglé l’an dernier Celso
Lafer, le ministre des Affaires étrangères
du précédent gouvernement, qui avait
accepté de se déchausser pour un contrôle
de sécurité dans un aéroport nord-améri-
cain. Imagine-t-on Colin Powell retirer
ment (comme la Banque Mondiale et le
Pnud) la suppression de toutes les sub-
ventions et l’ouverture des marchés agri-
coles au Nord, et ceux qui, comme Via
Campesina, se prononcent pour des poli-
tiques de souveraineté alimentaire et de
régulation politique des échanges.
On peut comprendre la tactique consistant
à prendre au pied de la lettre le discours
libéral et à montrer que les pays riches
productions et à un accroissement de la
consommation de leurs produits dans leur
pays – impulsé par un soutien technique
et financier de leurs pouvoirs publics natio-
naux et régionaux.

L’issue de Cancún est néanmoins une excel-


lente nouvelle. Elle montre en effet que la
crise du néolibéralisme s’aggrave et que sa
légitimité s’effrite un peu plus. Les signes

ses chaussures à l’aéroport de Sao Paulo ?


Avec l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud
(au total 22 pays du Sud constituant un
« G22 »), le Brésil a montré que les
« grands » du Sud n’acceptaient plus de
jouer un jeu dont les règles ne s’appliquent
qu’à eux.
Bien sûr il y a beaucoup à redire sur la
suppression de toutes les subventions aux
agriculteurs du Nord, revendiquée par le
G22. La libéralisation complète des échan-
ges agricoles mondiaux serait sans doute
une catastrophe pour la plupart des pay-
sans de la planète, au Nord comme au
Sud. Elle accroîtrait l’instabilité des prix
et les profits des multinationales agroali-
mentaires, ainsi que les inégalités entre
paysans. Le Mouvement des sans-terre
brésiliens, comme la Confédération
paysanne et Via Campesina (le réseau
international qui réunit de nombreux syn-
dicats de paysans combatifs), ne réclame
aucunement la suppression des soutiens aux
agriculteurs mais celle des subventions
aux exportations agricoles. C’est très dif-
férent car les premières soutiennent les
revenus de millions de paysans et leur per-
mettent de survivre, alors que les secondes
MULLER/AFP

dépriment les prix sur les marchés


mondiaux et ruinent les paysanneries du
Sud. Le mouvement altermondialiste est La Confédération paysanne ne réclame pas la suppression des soutiens aux agriculteurs, mais celle des

40 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


de cette implosion se multiplient : la natio-
nalisation de facto d’Alstom, l’envolée des défi-
cits budgétaires aux États-Unis et en Europe,
le discrédit croissant du corset monétariste de
la construction européenne, l’unilatéralisme
La tragédie des Adpic
états-unien et l’exaspération des élites fran- Malthus, la croissance
çaises mais aussi allemandes… partout les « naturelle » et inexorable
repères s’effondrent et les dogmes se fissurent. « Alors que les droits de propriété intellectuelle avaient de la population dans un
Seuls les baisses d’impôts, les attaques contre une base territoriale, les droits de propriété intellectuelle monde fini exerce une telle
les salaires et la protection sociale et le déchaî- pression sur les biens com-
nement sécuritaire font encore consensus touchant au commerce déterritorialisent ces droits et les muns, que ceux-ci se
parmi les décideurs. trouvent menacés par
Pour le reste, après l’euphorie néolibérale des font entrer dans les négociations commerciales » usage abusif. Dans le
années 1980, où l’internationalisation des contexte idéologique du
élites progressait à grands pas, l’heure est au Chronique de Geneviève Azam publiée le 27 octobre 2005. néolibéralisme, le prolon-
retour des susceptibilités nationales (les gement de cet article a
chaussures dans les aéroports…) et des conduit à considérer le
batailles de clocher. Si cette situation est régime des biens communs
source d’inégalités accrues, de tensions UN DES ACCORDS DE L’OMC concerne la propriété intel- comme source de gaspillage, dans tous les domai-
sociales, voire de dangers de dérive sécuri- lectuelle (Adpic, Aspects des droits de propriété nes. Leur sauvegarde et une gestion efficace suppo-
taire ou militaire, elle ouvre aussi des contra- intellectuelle qui touchent au commerce). Il est en sent alors un régime de propriété privée.
dictions béantes entre les projets des diffé- toile de fond des négociations en vue du sommet
rentes bourgeoisies nationales, et donne de Hong Kong, comme il l’était à Doha pour les À partir des années 1980, cette rupture se lit dans la légis-
donc des marges de manœuvre aux mou- affaires, non réglées, des médicaments génériques lation américaine en matière de DPI, avec en par-
vements sociaux. Non pour que ceux-ci s’al- et du biopiratage dans les pays du Sud. Il s’inscrit ticulier le Bayh-Dole Act de 1980 qui permet aux
lient avec leurs classes dominantes nationa- dans la construction d’une « économie de la connais- inventions financées par des fonds de recherche
les ou régionales pour faire échec (« contrepoids » sance » qui porte moins sur un changement radi- publics d’être directement transférées vers des appli-
dit-on en Europe) aux rivaux étrangers – fus- cal de l’organisation économique que sur un chan- cations industrielles et commerciales. La connaissance
sent-ils nord-américains – : c’en serait alors gement radical de la connaissance. Pour les pays du elle-même devient brevetable. L’accord Adpic signé
fini du mouvement altermondialiste. Mais Nord et pour l’Union européenne, qui s’est fixé à en 1994 étend ces DPI au niveau international. Alors
pour avancer devant les opinions publiques Lisbonne en 2002 l’objectif stratégique de deve- que jusque-là, en accord avec l’Organisation inter-
nationale et internationale leurs solutions nir « l’économie de la connaissance la plus compétitive nationale de la propriété intellectuelle (OMPI) qui
propres, fondées sur la coopération interna- et la plus dynamique du monde », cet accord repré- dépend de l’ONU, les droits de propriété intellec-
tionale et la régulation démocratique de sente un enjeu capital. tuelle avaient une base territoriale, les Adpic déter-
l’économie et des échanges. ritorialisent ces droits et les font entrer dans les négo-
T. C. L’« économie » de la connaissance suppose la transfor- ciations commerciales. Même si l’article 27 des
mation de cette dernière en bien ou en service « éco- Adpic évoque la possibilité de limitations pour pro-
nomique » marchand. Pour devenir bien écono- téger l’ordre public, la santé ou l’environnement,
mique, la connaissance doit passer d’un régime de l’article 27-1 stipule qu’« un brevet pourra être obtenu
bien commun, caractérisé par des droits collectifs pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous
d’accès et d’usage et par des obligations sociales, à les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nou-
un régime de propriété privée, qui permettra d’ins- velle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle
taurer la rareté là où il y avait abondance, et par là soit susceptible d’application industrielle ». Selon l’ar-
même de construire un marché de la connaissance. ticle 27-3 (b), les membres devront prévoir « la pro-
Pourtant, dans la tradition libérale elle-même, l’idée tection des variétés végétales par des brevets, par un sys-
de propriété intellectuelle a mis du temps à s’im- tème sui generis efficace ou par une combinaison des
poser. Les premiers libéraux, de Thomas Jefferson deux moyens ». Les pays du Sud demandent régu-
à Adam Smith, défendaient une vision restrictive lièrement, sans succès, la révision de cet article,
des droits de propriété intellectuelle (DPI), dans la qui devait être revu quatre ans après la date d’en-
mesure où ces droits pouvaient conduire à des situa- trée en vigueur de l’accord.
tions de monopole, contraires aux principes de
concurrence. Les DPI ne pouvaient être qu’une L’Union européenne n’est pas en reste, comme en té-
exception au domaine commun. Traditionnelle- moigne, entre autres, la circulaire 98/44 sur le vivant,
ment, la théorie économique reconnaît les DPI sur qui abolit la frontière entre invention et découverte :
les inventions, dans la mesure où ils comblent une « Une matière biologique isolée de son environnement
défaillance du marché en accordant à l’inventeur naturel ou produite à l’aide d’un procédé technique peut
un monopole partiel et temporaire, destiné à sti- être l’objet d’une invention, même lorsqu’elle préexistait à
muler l’innovation et l’investissement. La connais- l’état naturel (2). » Ces dispositions paraissent techniques
sance restait non brevetable. et bien lointaines, elles ont pourtant des effets immé-
diats et dévastateurs, pour la recherche elle-même
Dès la fin des années 1960, émerge un nouveau para- et pour les plus démunis : accès aux médicaments,
digme fondé sur l’idée que le domaine commun ne spoliation des savoirs traditionnels, biopiratage, droit
peut être qu’une exception au régime de propriété pri- d’accès aux biens communs.
vée. Un des moments fondateurs fut la publication G. A.
de l’article célèbre de Garett Hardin, « The tragedie (1) Hardin Garett, 1968, « The tragedie of the commons »,
of the commons », en 1968, dont le succès imprègne Science n° 162, pp.1243-1248.
désormais la vision libérale des biens communs (1). (2) Article 5, Directive 98/44/CE du Parlement Européen et du
subventions aux exportations agricoles. Selon Hardin, qui reprend la loi de population de Conseil du 6 juin 1998.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 41


Déséquilibres Nord/Sud

Délocalisations :
le nouveau bouc émissaire ?
vague, le PS propose de développer une
politique industrielle à l’échelle européenne,
« La logique de la rentabilité à tout prix est au cœur du phénomène de développer la recherche, de « renforcer
du chômage de masse : restructurations, externalisations, les droits sociaux des salariés pour les adapter à
ces phénomènes ». Le PC est plus précis :
dégraissages, licenciements boursiers sont le lot quotidien des dans un projet de loi récemment déposé à
l’Assemblée, il en revient au bon vieux
entreprises. Les délocalisations ne sont qu’une des modalités de « Produisons français » des années 1980. Il
cette mécanique, et certainement pas la plus importante » propose ainsi de taxer les investissements
français à l’étranger, de rapatrier les pro-
ductions délocalisées, d’instaurer une taxe
Chronique de Thomas Coutrot publiée le 7 octobre 2004. à l’importation pour les produits prove-
nant des pays à bas salaires, taxe qui ali-
menterait un fonds de codéveloppement
avec les pays du Sud. Belle hypocrisie,
es délocalisations constituent, selon un de focaliser l’attention sur un ennemi exté- puisque, le but de cette taxe étant de réduire

L récent sondage, la priorité politique essen-


tielle pour 42 % des Français. Jean-Pierre
Raffarin annonçait le 14 septembre le « lan-
cement d’une mobilisation nationale contre les
délocalisations. C’est un sujet essentiel pour l’a-
venir de l’emploi et de nos territoires ». Le Medef
crie depuis longtemps au loup, expliquant
les délocalisations par les 35 heures et les
charges trop élevées. Ernest-Antoine Seillière
s’est félicité du plan gouvernemental pré-
voyant la création de nouvelles zones fran-
rieur, de créer du consensus au sein d’une
communauté nationale assiégée.
La gauche s’est d’ailleurs jointe avec empres-
sement au chœur médiatique. « Je ne trouve
pas dans ce traité ce qui permettrait de chan-
ger une politique en matière d’emploi et de
lutter contre les délocalisations », dit Laurent
Fabius pour justifier sa surprenante oppo-
sition à la Constitution européenne. Les
propositions des partis de gauche brillent
pourtant par leur indigence. De façon fort
ou de supprimer les importations de ces
pays, son produit serait par nature déri-
soire… Allez expliquer ces mesures à un syn-
dicaliste indien au Forum social mondial
de Bombay, le succès est garanti.

Faut-il donc se désintéresser de ce débat ? Cer-


tainement pas. D’abord, parce que les délo-
calisations, même si leur poids est globale-
ment mineur, constituent bien dans certains
cas des sujets d’indignation légitime. Notam-
ches dites « zones de compétitivité » à fis-
calité et à cotisations sociales allégées.
« Nous pensons qu’il faudra généraliser ces mesu-
res pour que les entreprises puissent rester en
France », a-t-il ajouté sobrement.
Pourtant, la plupart des économistes en
conviennent, les délocalisations sont loin
de constituer un enjeu majeur pour l’em-
ploi. Sur les 400 000 licenciements que
connaît la France chaque année, moins
d’un quart sont des licencie-
ments économiques, et sans doute moins
d’un sur vingt sont liés à des transferts de
production à l’étranger. La quasi-totalité
des investissements français à l’étranger se
destinent à des pays de même niveau de
développement (OCDE). Ainsi, les inves-
tissements français en Inde et en Chine,
qui sont supposés dévorer nos emplois,
représentent-ils en réalité moins de 2 % des
investissements français à l’étranger.

La logique de la rentabilité à tout prix est au


cœur du phénomène du chômage de masse :
restructurations, externalisations, dégrais-
sages, licenciements boursiers sont le lot
quotidien des entreprises. Les délocalisations
ne sont qu’une des modalités de cette méca-
nique, et certainement pas la plus impor-
FLORIN/AFP

tante. Pourquoi donc ce concert média-


tique, cette panique orchestrée ? C’est que
les délocalisations ont l’immense avantage Nicolas Sarkozy, le 4 février 2008, lors d’une visite du site d’Arcelor Mittal à Gandrange.

42 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


Dette argentine: la résistance paie
n décembre 2001, l’économie plébiscitée. Bien sûr, cette victoire n’est

E
argentine s’était effondrée, victime qu’une étape et devra être confirmée. Mais
d’une grave crise de la dette. Le elle libère l’Argentine de l’énorme fardeau
président Fernando de la Rua que constituait sa dette, dont on sait qu’elle
démissionnait. Son éphémère remonte en partie aux temps de la dictature
successeur, Adolfo Rodriguez Suarez, avait militaire (1976-1983). En juillet 2000, la
alors stupéfait le monde en décidant un Cour fédérale argentine a décrété illégitime
moratoire sur la dette vis-à-vis des la dette de la dictature car celle-ci a résulté
créanciers privés. C’était le plus important d’un mécanisme de dilapidation et de
moratoire jamais décidé dans l’histoire : le détournements de fonds mettant en cause
ment quand elles laissent sur le carreau des montant de la dette gelée s’élève alors à le gouvernement argentin.
milliers de salariés souvent âgés, peu qua- près de 80 milliards de dollars. En incluant
lifiés et promis au chômage de longue durée les intérêts dus, la barre symbolique des Cette résistance victorieuse du
dans des régions déjà durement touchées. 100 milliards de dollars était dépassée… gouvernement Kirchner n’aurait pas été
Et quand elles sont – ce qui semble aujour- possible sans un soutien populaire
d’hui fréquent – brandies comme menace Depuis trois ans, l’Argentine a opéré un vigoureux. Le peuple argentin veut faire
pour obtenir des baisses de salaires ou des rétablissement économique progressif, sous rendre gorge aux créanciers privés qui ont
augmentations du temps de travail. la présidence de Nestor ruiné son pays et sont à
Surtout, ce débat montre une fois de plus Kirchner, un homme l’origine de crises financières à
la profonde illégitimité des modes de ges- pragmatique à la poigne de répétition. Les créanciers ne
tion de l’emploi dans l’entreprise néolibérale. fer. Celui-ci a refusé de céder « Le peuple pouvaient pas menacer le pays
L’opinion publique n’admet toujours pas que au FMI et aux pressions argentin veut d’une crise économique,
les salariés soient jetables à merci, en fonc- internationales, et a imposé puisque celle-ci a déjà eu lieu !
tion des seuls critères financiers. Le débat ses conditions pour la faire rendre gorge Une autre leçon importante
sur les délocalisations peut donc être por- restructuration de l’énorme peut être tirée de ce succès du
dette argentine. Le 14 janvier aux créanciers peuple argentin et de son
teur de la pire des choses – une xénopho-
2005, l’Argentine a lancé une privés qui ont gouvernement. C’est que la
bie qui détourne commodément l’atten- offre d’échange des titres résistance paye, et qu’un pays
tion des mécanismes essentiels – ou de la
meilleure : une exigence accrue de contrôle
non payés contre de ruiné son pays et endetté peut ne pas céder aux
nouvelles obligations de pressions des milieux financiers
social sur les décisions des transnationales, moindre valeur, offrant des sont à l’origine de et du FMI, leur allié. Cela
et de sécurité de statut et de revenu pour les intérêts plus faibles, avec des montre que sont possibles
travailleurs. Lutter pour renforcer les droits maturités plus longues,
crises financières d’autres stratégies que celles
des salariés et restreindre ceux des action- pouvant aller jusqu’à 42 ans. à répétition » qui consistent à courber
naires en France et en Europe, ou faire Les investisseurs ne l’échine devant les exigences
l’union sacrée contre les Chinois voleurs récupéreront en moyenne des marchés et des
d’emplois : il faut choisir. qu’un tiers de leur mise. Ce Chronique de organisations internationales,
T. C. qui ne s’est encore jamais vu. dont la meilleure illustration est
Lors des précédentes Dominique Plihon donnée par la politique de Lula
restructurations de dettes publiée le au Brésil. Ce dernier cherche
souveraines (Russie et son salut en construisant une
Équateur), les investisseurs 10 mars 2005. bonne « réputation » auprès des
avaient obtenu le double. investisseurs internationaux, au
prix de concessions qui l’ont
Inutile de dire que les milieux financiers amené à renier les engagements politiques
sont mécontents ! Ils ont unanimement pris devant son peuple. Otage de la
condamné la politique du gouvernement « communauté » financière internationale,
argentin, considérant que jamais des Lula est devenu un président en sursis dans
créanciers privés n’avaient été aussi mal son pays…
traités… Mais ce dernier a résisté aux
pressions, répétant inlassablement qu’il Le succès argentin pourrait constituer une
n’améliorerait pas sa proposition. Il est étape importante dans l’évolution de la
même allé jusqu’à faire adopter une loi globalisation financière et de sa régulation.
empêchant toute amélioration de son offre. Car il marque le déclin du FMI qui s’est
Cette intransigeance face aux créanciers et trouvé marginalisé par le gouvernement
au FMI a payé puisque, selon les argentin. Ce dernier a imposé son point de
estimations, le taux d’acceptation des vue. Il avait même décidé, en septembre
créanciers pour l’échange proposé serait 2004, de suspendre son accord avec le FMI
compris entre 70 % et 80 %, bien au-dessus jusqu’au lendemain de l’échange de titres !
de l’objectif de 50 % fixé par les autorités Il faudrait que le cas argentin ne reste pas
argentines. En fait, les créanciers argentins, isolé, et que les pays endettés s’unissent, en
détenteurs d’obligations, ont très largement taisant leurs divergences et leurs conflits,
accepté les conditions posées par leur pour faire front aux créanciers
gouvernement. Le président Kirchner a internationaux. C’est le seul moyen de créer
salué ce résultat inespéré en déclarant : un rapport de forces conduisant à des
« Nous avons accompli la meilleure réformes radicales du système financier
négociation de l’histoire mondiale ». international. Par exemple, en remplaçant le
FMI par une organisation multilatérale où
Clairement, le gouvernement argentin a créanciers et débiteurs seraient représentés
marqué des points décisifs. Car sa gestion sur une base paritaire.
de la dette s’est révélée efficace et a été D. P.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 43


L’Europe en rupture

L’Europe, une zone


de libre-échange
à la création d’un ministre européen des
Affaires étrangères de l’Union et à l’élec-
« En 2004, près de cinquante ans après les débuts de la tion par le Parlement européen du Prési-
dent de la Commission (préalablement
construction européenne, c’est la conception anglo-saxonne qui choisi par les gouvernements nationaux).
s’est finalement imposée : l’Europe est progressivement devenue Or, sans véritable union politique, pas de
politique commune dans les domaines de
une zone de libre-échange » la fiscalité, des investissements publics,
de l’Europe sociale. En matière de politique
économique, le projet de traité se contente
Chronique de Dominique Plihon publiée le 17 juillet 2004. de reprendre, dans sa partie III, les dispo-
sitions des traités de Maastricht et d’Ams-
terdam, et notamment le Pacte de stabilité,
a Communauté économique euro- la priorité à la mise en place d’un grand qui ont montré leurs limites et ont fait
péenne (CEE) instituée par le traité de marché européen des biens, des services l’objet de nombreuses critiques.
Rome de 1957 reposait sur deux piliers : et des capitaux à partir de 1992. Ce qui a

L premièrement, une union douanière entre


les six pays fondateurs (Allemagne, France,
Italie, Benelux), c’est-à-dire un marché
intérieur protégé par un tarif extérieur
commun ; deuxièmement, des politiques
publiques communes destinées à coor-
donner les investissements et à encadrer le
marché à l’échelle européenne dans les
domaines de l’agriculture, des transports
et de l’énergie. La Grande-Bretagne avait
tenté alors de s’opposer à la création de la
donné lieu à un recul organisé de la régu-
lation publique en Europe, avec l’accélé-
ration des mesures de déréglementation et
de privatisation dans tous les domaines,
qu’il s’agisse de l’industrie, de la finance,
de l’énergie, des transports ou des services
publics. La création de la monnaie unique
en 1999 a été conçue principalement
comme un moyen de renforcer le marché
unique en Europe, selon le slogan de la
Commission Européenne, « un marché, une
À qui profite ce glissement de l’Europe vers
une zone de libre-échange ? D’abord aux
grands groupes multinationaux industriels
et financiers qui bénéficient au maximum
de la déréglementation, des privatisations
qui leur ouvrent de nouveaux marchés, de
la concurrence fiscale qui réduit leurs
charges, de l’euro et du marché unique
des capitaux qui leur permettent de se
financer aux meilleures conditions.
Deuxième grand bénéficiaire : les États-
CEE car elle souhaitait la création d’une monnaie ». Unis, dont la suprématie est renforcée par
simple zone de libre-échange (un vaste la construction d’une Europe marchande,
marché libéralisé) en Europe, ce qu’elle Le deuxième facteur qui a contribué à trans- sans ambition politique propre, avec des
a mis en place avec les pays scandinaves former l’Europe en une zone de libre- institutions faibles, et dont certains mem-
sous l’appellation d’Association euro- échange est son élargissement progressif bres sont plus atlantistes qu’européens.
péenne de libre-échange (Aele). Deux phi- de 6 à 25 membres de plus en plus hété- Dans la campagne qui débute pour le réfé-
losophies s’opposaient alors quant à la rogènes ; ce qui a entraîné un affaiblis- rendum sur le traité constitutionnel euro-
construction européenne : la CEE, fon- sement progressif des politiques publiques péen, il nous sera dit que ce texte n’est
dée sur un marché régulé et des politiques communes. Cet affaiblissement est illus- pas très bon, qu’il contient de graves la -
communes dans les domaines stratégiques ; tré par le fait que le budget communau- cunes, mais qu’il faut néanmoins voter en
et l’Aele, qui se limitait à la création d’un taire, déjà très faible (1,27 % du PIB euro- sa faveur, car « c’est mieux que rien », et
espace marchand et qui fera des émules péen), n’a pas été augmenté à l’occasion qu’un vote négatif signifierait le recul de
avec la création en 1994 de l’Association de l’entrée de 10 nouveaux membres en l’Europe. Rappelons-nous : c’est exacte-
de libre-échange nord américaine (Alena) mai 2004 ! ment ce type de discours que nous avons
entre les États-Unis, le Canada et le Le projet de traité constitutionnel euro- entendu au moment du référendum sur
Mexique. péen, qui va être soumis à référendum en le traité de Maastricht en 1993 : malgré ses
En 2004, près de cinquante ans après les 2005, parachève l’édification d’une Europe limites, l’union monétaire devait amener
débuts de la construction européenne, d’abord marchande, comme l’illustre l’ar- stabilité et prospérité en Europe. Que cons-
c’est la conception anglo-saxonne qui s’est ticle 3 de la partie I : « L’Union offre à ses tate-t-on dans la zone euro ? Des poli-
finalement imposée : l’Europe est pro- citoyennes et citoyens […] un marché unique tiques restrictives, une régression sociale
gressivement devenue une zone de libre- où la concurrence est libre et non faussée. » et un chômage de masse. Nous devons
échange. Cette évolution s’est déroulée Afin de concilier des conceptions diver- tirer les leçons du passé.
en plusieurs étapes. Ce fut, tout d’abord, gentes, c’est une Europe « ad minima » qui
l’Acte unique signé en 1986, qui donne est proposée. L’union politique se limite D. P.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 45


L’Europe en rupture

La directive des
travaux forcés Le texte du projet de directive est dépourvu
de toute ambiguïté : le cap est mis sur le
« Non seulement le traité constitutionnel européen entérine les pôle libéral. Mais il est intéressant de lire
l’exposé des motifs. Après un laïus qui ne
politiques libérales, mais il s’accompagne de directives qui mange pas de pain sur le « niveau élevé de
désagrègent le droit du travail » protection de la santé et de la sécurité des tra-
vailleurs », la Commission indique qu’il faut
« donner aux entreprises et aux États membres
Chronique de Jean-Marie Harribey publiée le 3 mars 2005. une plus grande flexibilité dans la gestion du
temps de travail ». Benoîtement, elle fait état
que, « sur le contenu d’une telle proposition, les
avis sont partagés », mais donne raison aux
e débat sur le traité constitutionnel européen (art. 6). Elle « ne porte pas atteinte à la faculté représentants patronaux (Unice) face aux
se déroule parallèlement à celui sur cer- des États membres » d’accorder des disposi- syndicats (CES) tant sur la durée et sur la
taines directives adoptées ou projetées par tions plus favorables à la sécurité et à la période de référence que sur la définition
la Commission européenne qui, s’il en était santé des travailleurs (art. 15). Et elle fixe du temps de travail.

L besoin, éclairent crûment le sens à peine


caché dudit traité. Ainsi, la directive Bol-
kestein a inventé le principe du pays d’origine
permettant à un prestataire de services de
s’établir dans un pays avec une législation
sociale faible, puis d’aller faire travailler
ses salariés sous le régime de celle-ci.
Mais ce n’est pas tout. La Commission
envisage de modifier la directive concer-
nant le temps de travail. Celle en vigueur
date de 1993 (93/104/CE), complétée en
la période de référence pour le calcul de la
durée moyenne de travail hebdomadaire à
un maximum de quatre mois (art. 16).
Cependant, il est permis de déroger à ce
maximum de 48 heures si l’employeur
obtient l’accord du travailleur (art. 22).
Cette possibilité de dérogation connue sous
le nom d’« opt-out » a servi de banc d’essai.

En effet, la Commission (2004/0209 COD)


propose de réviser cette directive de fond
Si de telles dispositions étaient arrêtées,
comment ne pas voir qu’elles colleraient
parfaitement au traité constitutionnel ?
Celui-ci ne conçoit des droits sociaux qu’« en
tenant compte de la nécessité de maintenir la
compétitivité de l’Union » (art. III-209). La
main-d’œuvre doit « s’adapter » à l’écono-
mie (art. III-203). Le plein-emploi est sub-
ordonné au respect de l’orthodoxie moné-
taire et budgétaire (art. III-179). Toute
harmonisation sociale, sous entendu par le
2003 (2003/88/CE). Elle fixe la durée heb- en comble. D’abord, la durée hebdoma- haut, est exclue (art. III-210). Le droit du tra-
domadaire maximale de travail à 48 heu- daire maximale serait portée à 65 heu- vail, notion absente du traité, laisse la place
res, y compris les heures supplémentaires res, une fois obtenu l’accord écrit du tra- au « droit de travailler » et à la « liberté de cher-
vailleur, sauf convention collective cher un emploi » (art. II-75). Et, pour cou-
différente, sans que l’on ne sache ronner le tout, le droit de grève est reconnu
si la possibilité d’aller encore au- aux salariés (on ne peut faire moins) et… aux
delà est interdite ou non (art. 22 employeurs (art. II-88). La liberté des capi-
modifié). Ensuite, la période de taux et des marchandises est mise sur le
référence resterait fixée à quatre même plan que celle des humains (art. I-4).
mois, mais chaque État pourrait
la porter à douze (art. 16 modi- Non seulement le traité entérine les politiques
fié). Enfin, le projet de directive libérales menées depuis 50 ans, et tout par-
introduit deux notions nouvelles ticulièrement celles qui font de l’Europe
pour redéfinir complètement le une pièce maîtresse de la mondialisation
temps de travail (art. 2 modifié). capitaliste, non seulement il entend les
La première est celle du « temps de pérenniser en leur donnant une légitimité
garde : période pendant laquelle le que leur conférerait une Constitution, mais
travailleur a l’obligation d’être dispo- il est accompagné de directives qui organisent
nible sur son lieu de travail afin d’in- la désagrégation progressive du droit du
tervenir, à la demande de son travail partout où celui-ci existe, et son
employeur, pour exercer son activité interdiction partout où il n’existe pas. Le
ou ses fonctions ». La seconde est patronat européen a déjà pris les devants
celle de « période inactive du temps pour rallonger le temps de travail pendant
de garde : période pendant laquelle le que les profits font des bonds extravagants.
travailleur est de garde, mais n’est Et il est donc logique, pour que cela dure,
pas appelé par son employeur à exer- qu’il faille organiser les travaux forcés (à
cer son activité ou ses fonctions ». La perpétuité, puisque l’âge de la retraite est
période inactive du temps de partout repoussé). Travailleurs, travaillez !
BOUYS/AFP

garde ne sera alors pas considé- Sans rechigner. Et vous pourrez consom-
rée comme du temps de travail mer. En silence. Alors, le traité et les direc-
Travailleurs, travaillez ! Sans rechigner. Et vous pourrez consommer. (art. 2 bis modifié). tives ? Non, merci. J.-M. H.

46 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


Un plan social-keynésien
pour relancer l’Europe !
« Seul un audacieux plan d’intégration européenne est de nature
à redonner espoirs aux peuples européens. Contrairement à la
stratégie libérale en vigueur jusqu’alors, ce plan financerait
l’intégration selon les mécanismes du plan Marshall »

Chronique de Liêm Hoang-Ngoc publiée le 16 juin 2005.

DANS UNE CRITIQUE de notre dernier ouvrage, financé par les budgets communautaires
Refermons la parenthèse libérale !, le men- et nationaux en donnant la possibilité à la
suel Alternatives économiques titre que notre banque centrale de les alimenter. Il est la
projet se résume à restaurer « le socialisme condition de l’harmonisation sociale et
dans un seul pays » ! permettrait aux nouveaux entrants d’af-
Nous rappellerons à tous les bien-pen- fronter le marché unique sans avoir à
sants que le projet initial de monnaie recourir au dumping fiscal et social. Cette
unique que soutenaient en 1992 les « socia- Europe-là pratiquerait un tarif extérieur
listes pour le non » (mais peut-être aussi commun pour lutter contre l’invasion des
d’autres socialistes) était euro-keynésien marchandises produites par les entreprises
et fédéraliste. Il fut en cela récusé par les délocalisées dans les pays pratiquant le
libéraux britanniques, qui ne cessèrent moins-disant social. Elle ne s’interdirait
jamais d’influencer la construction euro- aucunement une politique industrielle
péenne tout en restant en dehors de l’euro. reposant sur des consortiums publics euro-
L’influence néolibérale n’a cessé de s’in- péens, dont l’émergence reste malheu-

BEREHULAK/GETTY IMAGES/AFP
filtrer en Europe, l’enfermant dans une reusement contrainte par le principe de
zone de libre-échange sans moyens moné- la concurrence non faussée.
taires et budgétaires pour assurer l’inté-
gration économique, et sans institutions La première vague d’adhésion à l’euro fut réus-
politiques fédérales qui risqueraient de sie grâce au jeu des fonds structurels. Ainsi,
s’avérer par trop contraignantes pour les le Portugal et la Grèce reçurent-ils Les États-membres, Grande-Bretagne en tête, étranglés par le « pacte
libéraux. La politique monétaire est jugée l’équivalent de 230 euros par habitants au de stupidité », ont réduit le budget européen de 1,3 % à 1 % du PIB.
inflationniste, alors que la politique bud- titre du fonds de cohésion sociale. La Polo-
gétaire, synonyme de redistribution et de gne ne perçoit aujourd’hui que l’équiva- déficit budgétaire communautaire serait
politique industrielle, est réputée alourdir lent de 130 euros par habitants. Le mon- ici d’un grand secours. Elle reste mal-
les coûts et fausser la concurrence. Cette tant nécessaire à un Plan d’intégration heureusement taboue et était interdite par
Europe que voulait consacrer le traité européenne des dix entrants, à hauteur le traité constitutionnel. Ce déficit pour-
constitutionnel s’en remet à la concur- de ce qui fut réalisé pour la première vague rait être financé par l’emprunt. Les fonds
rence non faussée sur tous les marchés d’adhésion à l’euro, représenterait structurels pourraient également bénéfi-
pour assurer le plein-emploi. Elle va de 50 milliards d’euros par an sur cinq ans. cier du financement monétaire direct de
pair avec délocalisations, désindustriali- Il est la condition nécessaire d’un élar- la banque centrale (c’est-à-dire la moné-
sation, chômage et inégalités. gissement compatible avec une certaine tisation des déficits par la planche à billet,
harmonisation sociale. Faute de quoi, l’in- abondamment pratiquée lors de la période
Seul un audacieux plan d’intégration euro- tégration se réaliserait à moyens cons- ouverte par le compromis de 1945), mais
péenne est de nature à redonner espoir tants, si ce n’est décroissants. Ce montant ceci est interdit par les statuts de la BCE.
aux peuples européens. Contrairement à n’est pas exorbitant, comparé au rôle
la stratégie libérale en vigueur jusqu’alors, moteur que joue le budget fédéral améri- Un véritable social-keynésianisme européen
ce plan financerait l’intégration selon les cain dans le soutien à l’économie, s’ap- requiert par conséquent la mise à plat de
mécanismes du plan Marshall, celui-là puyant sur un déficit budgétaire supérieur l’ensemble des textes néolibéraux repris
même qui a permis la reconstruction et à 400 milliards de dollars ! Les États- par le vil traité et interdisant notamment
la convergence par le haut de l’Europe de membres, la Grande-Bretagne en tête, à le financement d’investissements suspec-
l’Ouest issue du compromis de 1945. Ce qui échoira la future présidence (!), n’en- tés de « fausser la concurrence ». Tel est l’un
que le financement monétaire américain tendent cependant pas accroître leurs des enjeux des futures joutes institution-
a pu faire à l’époque, l’Europe serait en contributions. Étranglés par le « pacte de nelles, qui ne peuvent plus faire fi de l’aspi-
mesure de l’assumer, à condition de réfor- stupidité », ils ont réduit cette année la ration des peuples à s’identifier à leur
mer ses institutions économiques. Ce plan part du budget communautaire dans le constitution !
d’intégration économique pourrait être PIB européen de 1, 3 % à 1 %. L’arme du L. H.-N.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 47


SAGET/AFP

La victoire du non au TCE signifie enfin la réinvention du politique, et c’est sans doute le plus prometteur.

Le temps des cerises


cette ambivalence, c’est tomber dans la
caricature grotesque, et en tout cas bien
« Le projet de constitution libérale était un étouffoir du politique peu dialectique, d’un pseudo-radicalisme à
la Toni Negri, fustigeant cette « merde d’État-
pour laisser libre cours à la toute-puissance du marché » nation ». Le non de gauche au projet libé-
ral de constitution européenne est le fait
de la majorité des couches composant le
Chronique deJean-Marie Harribey publiée le 2 juin 2005. salariat. À quoi sert-il d’agonir d’injures et
de condamner les institutions publiques
nationales avant même de réunir les condi-
tions d’une véritable construction politique
a victoire remportée contre le projet de le droit les exigences de rentabilité et de supranationale, sinon à tenir pour acquise
traité constitutionnel européen revêt une compétitivité tout en sacrifiant celles de soli- la disparition, annoncée régulièrement, de
triple signification. Elle sanctionne des poli- darité, et le capitalisme mondial ne ce prolétariat qui n’en finit pas de s’étendre

L tiques passées ouvertement mises au service


des classes dominantes européennes et qui
ont provoqué chômage de masse, préca-
rité, aggravation des conditions de travail,
explosion des inégalités, amenuisement de
la protection sociale et abandon progressif
des services publics. Le refus du quitus est
simultanément celui d’un blanc-seing pour
un avenir qui serait enchaîné au carcan
libéral. La victoire du non signifie enfin la
réinvention de la politique.
C’est ce point qui est sans doute le plus
s’acharnerait pas à se doter d’une Orga-
nisation mondiale du commerce impo-
sant le droit du commerce libre au-dessus
des droits humains (1).

La haine de l’État qu’a bien décrite Frédéric


Lordon exprime l’aversion des classes domi-
nantes pour tout espace de respiration non-
marchande dans un univers de concurrence
sauvage, de toute institution chargée de
rendre réelle une solidarité au sein d’une col-
lectivité. La classe bourgeoise aujourd’-
sous les coups de boutoir du capitalisme ?
Disparu, le prolétariat ? À l’évidence, non,
comme la réponse au référendum. Réduit
à un rôle de machiniste ou de figurant
dans un théâtre de circulation des capi-
taux et marchandises ? C’était le plan qui
vient d’être déjoué. La réhabilitation de la
politique, c’est-à-dire de l’intervention
citoyenne et de la démocratie, est à l’ordre
du jour. C’est le message essentiel que
ceux qui ont refusé la camisole constitu-
tionnelle libérale adressent à tous ceux
prometteur. En premier lieu, parce qu’on hui en voie de mondialisation veut se qui, nombreux, ont pensé sincèrement
vient d’avoir la preuve que le capitalisme, débarrasser de la face « sociale » des États- agir en faveur d’une Europe sociale en
même dans sa phase la plus dévastatrice nations pour ne conserver que leur face votant oui, car il faudra lutter ensemble
pour tout ce qui relève du social et du col- de contrôle social assuré par la manipu- pour ne pas attendre de plan B de Bruxelles
lectif, ne peut pas se passer d’une régulation lation des symboles tout autant que par mais le bâtir nous-mêmes.
d’ensemble, fût-elle réduite à son aspect la force. En effet, l’État ne fut jamais entre
coercitif. Si la thèse libérale selon laquelle les mains des dominants un simple outil En commençant par expurger de toute cons-
le marché peut être la main qui guide les unilatéral de subordination des classes titution la moindre référence au libéra-
sociétés était juste, le capitalisme européen populaires, mais fut aussi et reste le lieu des lisme économique. En soumettant toutes
n’éprouverait pas le besoin d’inscrire dans compromis sociaux provisoires. Oublier les institutions européennes au contrôle

48 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009


L’élan du 29 mai
ric Maurin et Dominique Goux salaires et les conditions de travail de la

É
(Le Monde du 2 juin) nous livrent main-d’œuvre d’exécution, facilité de
quelques clés du 29 mai dans une déplacement des capitaux et des personnes,
étude comparée des résultats des accès facile aux ressources matérielles,
référendums de Maastricht en 1992 et scientifiques, touristiques, culturelles.
du Traité constitutionnel européen en 2005.
Le lien étroit entre la position de classe et le Mais les couches moyennes se détachent
refus du TCE, tout d’abord : avoir peu de de ce bloc. Le parti socialiste, son aile
diplômes, des faibles revenus et un fort taux gauche, a perdu le contact avec une large
de chômage pousse au « non ». Les salariés fraction de sa base sociale traditionnelle.
les plus touchés par l’accentuation de la Cette fois, la désaffection des couches
concurrence « libre et non faussée » goûtent populaires ne s’est pas traduite par
peu les charmes du Traité constitutionnel. l’abstention, grâce au travail de fourmi mené
Le décrochage des couches moyennes, par les partisans du « non » de gauche, ces
ensuite : le « oui » à Maastricht était milliers de réunions-débats tenues dans des
majoritaire non seulement parmi les élites localités parfois très petites. La conviction
mais aussi chez les diplômés s’est ainsi répandue chez les
de niveau moyen. En 2005, électeurs « d’en bas » que
seuls les diplômés du rejeter le Traité signalerait
supérieur votent l’exigence d’un coup d’arrêt
majoritairement « oui ». Les « La défaite du aux politiques libérales. Du
petites gens du privé, les plus bloc néolibéral débat pour ou contre l’Europe,
exposés aux aléas du marché, représentation privilégiée par
votaient déjà « non » à a une cause les médias, on est ainsi passé
Maastricht, alors que les au débat entre Europe libérale
agents du public, essentielle : et Europe sociale.
relativement protégés, son idéologie
soutenaient plutôt la Inattendue au vu du rapport
construction européenne. – « la liberté des forces médiatiques, la
Plus de 10 ans de défaite du bloc néolibéral a
privatisations, économique une cause essentielle : son
déréglementations et profite à tous » – idéologie – « la liberté
compressions budgétaires économique profite à tous » -
démocratique, notamment la Banque cen-
ont convaincu les salariés du n’est tout n’est tout simplement plus
public que cette Europe ne audible dans la France de
trale pour rendre à la monnaie son statut de leur voulait pas que du bien. simplement plus 2005. La stagnation des
bien public. En supprimant le Pacte de sta-
bilité pour redonner aux budgets publics audible » salaires, la montée des
Le glissement pro-européen inégalités et de la pauvreté,
– l’européen et les nationaux – leur capa- des élites économiques, l’ascenseur social en panne,
cité à promouvoir un véritable développe- enfin. Les patrons et l’insécurité économique ont
ment non productiviste et égalitaire. En professions libérales s’étaient
Chronique de Thomas
invalidé le credo libéral.
faisant des droits sociaux les valeurs pre- opposés à Maastricht, alors Coutrot publiée le Les gens ont compris que la
mières : un salaire minimum dans tous les qu’ils ont soutenu le Traité 14 juillet 2005. concurrence, la libéralisation et
pays, l’égalité entre hommes et femmes, le constitutionnel. Goux et les privatisations,
temps de travail progressivement réduit, la Maurin interprètent ce systématiquement encouragées
protection sociale accessible à tous. En glissement comme un simple par la Commission européenne
garantissant le droit aux services publics positionnement tactique, depuis vingt ans, ne feront
placés hors d’atteinte du marché : l’éduca- contre un gouvernement de gauche en 1992, qu’aggraver leurs problèmes de chômage, de
tion la santé, mais aussi le logement, l’eau pour un gouvernement de droite en 2005. pouvoir d’achat, de logement cher.
et bientôt l’air et les connaissances. De façon plus plausible, l’adhésion des élites
Le projet de constitution libérale était un économiques et politiques françaises à Que va devenir l’élan du 29 mai ? Les
l’Europe libérale traduit leur conversion centaines de collectifs pour le « non », les
étouffoir du politique pour laisser libre
massive aux bienfaits de la mondialisation, dizaines de milliers de citoyens qui ont
cours à la toute puissance du marché. La qui comporte pour elles certes quelques décortiqué et dépecé le Traité sauront-ils
prééminence de celui-ci n’était pas un risques mais surtout de nombreux prolonger leur action, converger avec les
« méandre » pour contourner un obstacle bénéfices. mouvements sociaux européens, s’insérer
et mieux atteindre le but d’une Europe dans le Forum social européen en Grèce l’an
politique, comme l’a dit Edgar Morin, Le vote du 29 mai traduit un véritable prochain, initier un processus d’élaboration
mais était l’obstacle lui-même. Contre ceux bouleversement politique : le bloc social d’alternatives européennes, issu de la base,
qui jugeaient inutile de donner à lire un historique néolibéral devient minoritaire. Ce ancré dans les préoccupations quotidiennes
texte complexe, contre ceux qui conseillaient bloc est constitué de plusieurs strates. Au des citoyens ? Si une autre Europe est
de ne pas lire la troisième partie, contre sommet, la bourgeoisie financière d’État, à possible, elle passe par là : un véritable
ceux qui regrettaient la procédure réfé- l’intersection de la haute administration et processus constituant, débouchant à terme
rendaire, le peuple a répondu en refusant de la finance. Autour et en dessous, le sur l’émergence d’un nouveau bloc
ce que La Boétie avait appelé la « servitude moyen et petit patronat, les professions historique progressiste européen, qui rejette
volontaire ». Pour une renaissance, pour libérales et artistiques, les couches la domination de la finance pour privilégier
refaire le temps des cerises. supérieures du salariat. Ces diverses l’emploi et la solidarité. Aucun raccourci,
J.-M. H. catégories ont (avaient) en commun de noyau dur ou coopération renforcée entre
trouver, à des degrés divers, des avantages États-nations, ne nous dispensera de ce long
à l’ouverture croissante de l’économie mais passionnant chemin…
(1) Voir ma chronique dans Politis n° 847 et celle de française : pression renforcée sur les T. C.
Geneviève Azam dans Politis n° 853.

MARS - AVRIL 2009 / POLITIS / 49


Les auteurs
– Geneviève Azam est économiste, maître de – Jean-Marie Harribey est économiste, maître de
conférence et chercheuse à l’Université Toulouse-II conférences à l’université Bordeaux-IV (Groupe de
(Groupe de recherches socio-économiques). Elle est recherche en économie théorique et appliquée),
membre du conseil scientifique de l’association membre de la Fondation Copernic, coprésident d’Attac.
altermondialiste Attac. Elle a récemment publié Il a publié le Développement en question(s) (dir. avec
« Construire un monde écologique et solidaire » (avec Éric Berr), aux Presses universitaires de Bordeaux,
Jean-Marie Harribey et Dominique Plihon) dans la 2006 ; le Petit Alter, Dictionnaire altermondialiste (dir.
revue Économie politique, n° 34, 2007 ; « La pour Attac), Mille et une nuits, Paris, 2006 ; Capital
connaissance, une marchandise fictive », Revue du contre nature (dir. avec Michael Löwy), PUF, 2003 ; la
Mauss, n° 29, 2007. Démence sénile du capital : fragments d’économie
Ses articles sont disponibles sur son blog : critique, éditions du Passant, 2002. On peut lire articles
genevieveazam.over-blog.com. et travaux sur son site: harribey.u-bordeaux4.fr.

DR
DR

– Thomas Coutrot est économiste et statisticien, chef


– Liêm Hoang-Ngoc est économiste, maître de
du département « Conditions de travail et santé » à la
conférence à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne
Direction de l’animation de la recherche, des études
et membre du laboratoire Matisse. Il est l’initiateur
et des statistiques (Dares) au ministère du Travail.
en 1996 de l’Appel des économistes pour sortir de la
Il est un des animateurs du Réseau d’alerte sur les
pensée unique et il est membre du conseil
inégalités (RAI), membre de la Fondation Copernic et
scientifique d’Attac. Il a publié Sarkonomics, Grasset,
du conseil scientifique d’Attac. Il a publié Démocratie
2008 ; 10+1 questions à Liêm Hoang-Ngoc sur la
contre capitalisme, La Dispute, 2005 ; Critique de
dette, Michalon, 2007 ; Vive l’impôt !, Grasset, 2007 ;
l’organisation du travail, La Découverte, 2002 ;
Refermons la parenthèse libérale !, La Dispute, 2005.
Avenue du Plein-emploi, Attac, Mille et une nuits,
Il a aussi publié de nombreux articles référencés sur
2000 ; L’Entreprise néolibérale, nouvelle utopie
le site matisse.univ-paris1.fr/hoangngoc/indexp.php.
capitaliste ?, La Découverte, 1998.

DR
DR

– Gérard Duménil est économiste, directeur de


recherche au CNRS, membre du conseil scientifique – Michel Husson est statisticien et économiste,
d’Attac, coprésident du Congrès Marx international, chercheur à l’Institut de recherches économiques et
membre de la rédaction d’Actuel Marx. Il a publié sociales, membre de la Fondation Copernic et du
Altermarxisme, un autre marxisme pour un autre conseil scientifique d’Attac. Il a publié Un pur
monde, avec Jacques Bidet, Presses universitaires de capitalisme, Page deux, 2008 ; les Casseurs de l’État
France, 2007 ; Économie marxiste du capitalisme, social, La Découverte, 2003 ; le Grand Bluff
avec Dominique Lévy, La Découverte, 2003 ; Crises et capitaliste, La Dispute, 2001 ; les Ajustements de
sortie de crises : ordre et désordre néolibéraux, avec l’emploi, Page deux, 1999. Il a aussi publié de
Dominique Lévy, Presses universitaires de France, nombreux articles, disponibles sur son site :
2000. Il a aussi publié de nombreux articles hussonet.free.fr.
disponibles sur le site www.jourdan.ens.fr/levy.
DR

DR

– Dominique Plihon est économiste, professeur à


– Jean Gadrey est économiste, spécialiste des services, l’université Paris-XIII, président du conseil scientifique
professeur émérite à l’Université de Lille-I, membre du d’Attac. Il a été nommé au Conseil d’analyse
conseil scientifique d’Attac. Il a publié En finir avec les économique en 2001 sous le gouvernement de Lionel
inégalités, Mango Littérature, 2006 ; Pauvreté et Jospin et l’a quitté en 2002 à l’arrivée de Jean-Pierre
inégalités : ces créatures du néolibéralisme (dir.), Mille Raffarin. Il a publié les Banques, acteurs de la
et une nuits, 2006 ; les Nouveaux Indicateurs de globalisation financière, avec Dhafer Saïdane et
richesse, avec Florence Jany-Catrice, La Découverte, Jezabel Couppey-Soubeyran, La Documentation
2005, réédition actualisée en 2007 ; Socio-économie française, 2006 ; les Crises financières, avec Robert
des services, La Découverte, 2003. Il a aussi publié de Boyer et Mario Dehove, rapport pour le Conseil
nombreux articles qu’on peut lire sur : clerse.univ- d’analyse économique, La Documentation française,
lille1.fr/site_clerse/pages/accueil/fiches/Gadrey.htm 2004 ; le Nouveau Capitalisme, Flammarion, 2001
(nouvelle édition en 2004).
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– Robert Guttmann est économiste, professeur à – Christophe Ramaux est économiste, maître de
l’université Hofstra de New York. Il est aussi conférences à l’université Paris-I (Centre d’économie
chercheur associé à l’Institut international de de la Sorbonne), membre de la Fondation Copernic, du
politiques économiques à l’université conseil scientifique d’Attac et de l’Observatoire des
laurentienne (Ontario, Canada). Il a publié plusieurs inégalités. Il a publié Emploi : éloge de la stabilité.
articles dans la Lettre de la régulation de L’État social contre la flexicurité, Mille et une
l’association Recherche & régulation (webu2.upmf- nuits (2006). Il a publié de nombreux articles
grenoble.fr/regulation). référencés sur le site matisse.univ-paris1.fr/ramaux.
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50 / POLITIS / MARS - AVRIL 2009

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