M A R C - A N T O N I O C R A S S E L L A M E POÈME SUR LA COMPOSITION DE LA PIERRE DES PHILOSOPHES TRADUIT DE L’ITALIEN PAR BRUNO DE LANSAC
dès sa naissance, s’il n’est promptement secouru par une
CHANT PREMIER main industrieuse et par des yeux de lynx, car autrement il I ne pourra plus être nourri de sa première humeur, à Le Chaos ténébreux étant sorti comme une masse confuse l’exemple de l’homme qui, après s’être nourri de sang du fond du Néant, au premier son de la Parole toute- impur dans le ventre maternel, vit de lait lorsqu’il est au puissante, on eût dit que le désordre l’avait produit, et que monde. ce ne pouvait être l’ouvrage d’un Dieu, tant il était VII informe. Toutes choses étaient en lui dans un profond Quoique je sache toutes ces choses, je n’ose pourtant pas repos, et les éléments y étaient confondus, parce que encore en venir aux preuves avec vous, les erreurs des l’Esprit divin ne les avait pas encore distingués. autres me rendant toujours incertain. Mais si vous êtes II plus touché de pitié que d’envie, daignez ôter de mon Qui pourrait maintenant raconter de quelle manière les esprit tous les doutes qui l’embarrassent ; et si je puis être Cieux, la Terre et la Mer furent formés si légers en eux- assez heureux pour expliquer distinctement dans mes mêmes, et pourtant si vastes, eu égard à leur étendue ? écrits tout ce qui regarde votre magistère, faites, je vous Qui pourrait expliquer comment le Soleil et la Lune conjure, que j’aie de vous pour réponse : Travaille reçurent là-haut le mouvement et la lumière, et comment hardiment, car tu sais ce qu’il faut savoir. tout ce que nous voyons ici-bas, eût la forme et l’être ? Qui pourrait enfin comprendre comment chaque chose reçut sa CHANT DEUXIÈME propre dénomination, fut animée de son propre esprit, et, Que le Mercure et l’Or du vulgaire ne sont pas l’Or et le au sortir de la masse impure et inordonnée du Chaos, fut Mercure des philosophes, et que dans le Mercure des réglée par une loi, une quantité et une mesure ? Philosophes est tout ce que cherchent les sages. Où l’on touche III en passant la pratique de la première opération que doit suivre Ô vous ! du divin Hermès les enfants et les imitateurs, à l’artiste expérimenté. qui la science de votre père a fait voir la nature à I découvert, vous seuls, vous seuls savez comment cette Que les hommes, peu versés dans l’Ecole d’Hermès, se main immortelle forma la Terre et les Cieux de cette masse trompent, lorsqu’avec un esprit d’avarice, ils s’attachent informe du Chaos ; car votre Grand Œuvre fait voir au son des mots. C’est ordinairement sur la foi de ces clairement que de la même manière dont est fait votre noms vulgaires d’Argent vif et d’Or qu’ils s’engagent au Elixir philosophique, Dieu aussi a fait toutes choses. travail, et qu’avec l’Or commun, ils s’imaginent, par un IV feu lent, fixer enfin cet Argent fugitif. Mais il n’appartient pas à ma faible plume de tracer un si II grand tableau, n’étant encore qu’un chétif enfant de l’art, Mais s’ils pouvaient ouvrir les yeux de leur esprit pour sans aucune expérience. Ce n’est pas que vos doctes écrits bien comprendre le sens caché des auteurs, ils verraient m’aient fait apercevoir le véritable but où il faut tendre, et clairement que l’Or et l’Argent vif du vulgaire sont que je ne connaisse bien cet Iliaste [Hylé], qui a en lui tout destitués de ce feu universel, qui est le véritable agent, ce qu’il nous faut, aussi bien que cet admirable composé lequel agent ou esprit abandonne les métaux dès qu’ils se par lequel vous avez su amener de puissance en acte la trouvent dans les fourneaux exposés à la violence des vertu des éléments. flammes ; et c’est ce qui a fait que le métal hors de sa mine V se trouvant privé de cet esprit, n’est plus qu‘un corps mort Ce n’est pas que je ne sache bien votre Mercure secret, qui et immobile. n’est autre chose qu’un esprit vivant, universel et inné, III lequel en forme de vapeur aérienne descend sans cesse du C’est bien un autre Mercure et un autre Or, dont a entendu ciel en terre pour remplir son ventre poreux, qui naît parler Hermès ; un Mercure humide et chaud, et toujours ensuite parmi les soufres impurs, et en croissant passe de constant au feu. Un Or qui est tout feu et toute vie. Une la nature volatile à la fixe, se donnant à soi-même la forme telle différence n’est-elle pas capable de faire aisément d’humide radical. distinguer ceux-ci de ceux du vulgaire, qui sont des corps VI morts privés d’esprit, au lieu que les nôtres sont des Ce n’est pas que je ne sache bien encore, que si notre esprits corporels toujours vivants ? Vaisseau ovale n’ est scellé par l’Hiver, jamais il ne pourra retenir la vapeur précieuse, et que notre bel enfant mourra IV qui nourrit et ne dévore point ; un feu naturel, mais que Ô grand Mercure des philosophes ! c’est en toi que l’art doit faire ; sec, mais qui fait pleuvoir ; humide, mais s’unissent l’Or et l’Argent, après qu’ils ont été tirés de qui dessèche. Une eau qui éteint, une eau qui lave les puissance en acte. Mercure tout Soleil et tout Lune, triple corps, mais qui ne mouille point les mains. substance en une, et une substance en trois. Ô chose IV admirable ! Le Mercure, le Soufre et le Sel me font voir C’est avec un tel feu que l’art, qui veut imiter la nature, trois substances en une seule substance. doit travailler et que l’un doit suppléer au défaut de V l’autre. La nature commence, l’art achève, et lui seul Mais où est donc ce Mercure aurifique qui, étant résous en purifie ce que la nature ne pouvait purifier. L’art a Sel et en Soufre, devient l’humide radical des métaux, et l’industrie en partage, et la nature la simplicité ; de sorte leur semence animée ? Il est emprisonné dans une prison que si l’ un aplanit le chemin, l’autre s’arrête tout aussitôt. si forte que la Nature même ne saurait l’en tirer, si l’art V industrieux ne lui en facilite les moyens. À quoi donc servent tant et tant de substances différentes VI dans des cornues, dans des alambics, si la matière est Mais que fait donc l’art ? Ministre ingénieux de la unique aussi bien que le feu ? Oui, la matière est unique, diligente nature, il purifie par une flamme vaporeuse les elle est partout, et les pauvres peuvent l’avoir aussi bien sentiers qui conduisent à la prison. N’y ayant pas de que les riches. Elle est inconnue à tout le monde, et tout le meilleur guide ni de plus sûr moyen que celui d’une monde l’a devant les yeux ; elle est méprisée comme de la chaleur douce et continuelle pour aider la nature, et lui boue par le vulgaire ignorant, et se vend à vil prix ; mais donner lieu de rompre les liens dont notre Mercure est elle est précieuse au philosophe qui en connaît la valeur. comme garrotté. VI VII C’est cette matière, si méprisée par les ignorants, que les Oui, oui, c’est le seul Mercure que vous devez chercher, ô doctes cherchent avec soin, puisqu’en elle est tout ce qu’ils esprits indociles ! puisqu’en lui seul vous pouvez trouver peuvent désirer. En elle se trouvent conjoints le Soleil et la tout ce qui est nécessaire aux sages. C’est en lui que se Lune, non les vulgaires, non ceux qui sont morts. En elle trouvent en puissance prochaine et la Lune et le Soleil, qui est renfermé le feu, d’où ces métaux tirent la vie ; c’est elle sans Or et Argent du vulgaire, étant unis ensemble, qui donne l’eau ignée, qui donne aussi la terre fixe ; c’est deviennent la véritable semence de l’Argent et de l’Or. elle, enfin, qui donne tout ce qui est nécessaire à un esprit VIII éclairé. Mais toute semence est inutile si elle demeure entière, si VII elle ne pourrit, et ne devient noire ; car la corruption Mais au lieu de considérer qu’un seul composé suffit au précède toujours la génération. C’est ainsi que procède la philosophe, vous vous amusez, chimistes insensés, à nature dans toutes ses opérations ; et nous qui voulons mettre plusieurs matières ensemble ; et au lieu que le l’imiter, nous devons aussi noircir avant de blanchir, sans philosophe fait cuire à une chaleur douce et solaire, et quoi nous ne produirons que des avortons. dans un seul vaisseau, une seule vapeur qui s’épaissit peu à peu, vous mettez au feu mille ingrédients différents ; et CHANT TROISIÈME au lieu que Dieu a fait toutes choses de rien, vous au contraire, vous réduisez toutes chose à rien. On conseille ici aux alchimistes vulgaires et ignorants de se VIII désister de leurs opérations sophistiquées, parce qu’elles sont Ce n’est point avec les gommes molles ni les durs entièrement opposées à celles que la véritable philosophie nous excréments, ce n’est point avec le sang ou le sperme enseigne pour faire la médecine universelle. humain, ce n’est point avec les raisins verts, ni les I quintessences herbales, avec les eaux fortes, les sels Ô vous ! qui, pour faire l’Or par le moyen de l’art, êtes corrosifs, ni avec le vitriol romain, ce n’est pas non plus sans cesse parmi les flammes de vos charbons ardents ; qui avec le talc aride, ni l’antimoine impur, ni avec le soufre, tantôt congelez, et tantôt dissolvez vos divers mélanges en ou le mercure, ni enfin avec les métaux mêmes du vulgaire tant et tant de manières, les dissolvant quelquefois qu’un habile artiste travaillera à notre grand oeuvre. entièrement, quelquefois les congelant seulement en IX partie, d’où vient que comme des papillons enfumés, vous À quoi servent donc tous ces divers mélanges ? Puisque passez les jours et les nuits à rôder autour de vos notre science renferme tout le magistère dans une seule fourneaux ? racine, que je vous ai déjà fait connaître, et peut-être plus II que je ne devais. Cette racine contient en elle deux Cessez désormais de vous fatiguer en vain, de peur substances, qui n’ont pourtant qu’une seule essence, et ces qu’une folle espérance ne fasse aller toutes vos pensées en substances, qui ne sont d’abord Or et Argent qu’en fumée. Vos travaux n’opèrent que d’inutiles sueurs, qui puissance, deviennent enfin Or et Argent en acte, pourvu peignent sur votre front les heures malheureuses que vous que nous sachions bien égaliser leurs poids. passez dans vos sales retraites. À quoi bon ces flammes X violentes, puisque les sages n’usent point de charbons Oui, ces substances se font Or et Argent actuellement et ardents ni de bois enflammés pour faire l’œuvre par l’égalité de leurs poids, le volatil est fixé en soufre hermétique ? d’Or. Ô Soufre lumineux ! ô véritable Or animé ! J’adore III en toi toutes les merveilles et toutes les vertus du Soleil. C’est avec le même feu dont la nature se sert sous terre, Car ton soufre est un trésor, et le véritable fondement de que l’art doit travailler, et c’est ainsi qu’il imitera la nature. l’art, qui mûrit en élixir ce que la nature mène seulement à Un feu vaporeux, mais qui n’est pourtant pas léger, un feu la perfection de l’Or.