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Calixthe Beyala est sans doute l’intellectuelle noire la plus représentative, sans que
cette représentativité n’épuise toute son identité. Sa biographie, ses voyages, le fait,
aussi, qu’elle parle plusieurs langues – en plus du Français, elle parle l’Eton, sa langue
maternelle, ainsi que le Pidgin, l’Espagnol et quelques langues africaines – témoignent
d’une véritable ouverture d’esprit. Celle qui a écrit son premier livre à vingt trois ans a
toujours un train d’avance.
Elle n’est pas seulement romancière mais aussi militante, dénonçant, entre autres, le
manque de représentation de la société multiculturelle dans les médias, la politique
l’univers économique. Surtout, cette intellectuelle est la référence morale de la
communauté noire, sa « boussole ».Raison de plus pour lire avec attention les propos
chocs et certainement dérangeants sur Dieudonné, l’alliance Juifs et Noirs, la «
purification ethnique » des Noirs par les Arabes, Nicolas Sarkozy qu’avec une rare
franchise, elle a tenus pour Israël Magazine.
Entretien, donc, avec une voix essentielle de la France noire, qui refuse d’abreuver de
fausses certitudes l’anxiété identitaire.
Alexandre del Valle / David Reinharc : Vous êtes une intellectuelle reconnue et,
présidez, entre autres, le principal mouvement des Noirs en France, qui lutte contre les
discriminations. Peut-on dire les choses comme cela ?
Calixthe Beyala : Je ne me définis pas comme quelqu’un qui représente quoi que ce
soit. Mettons que je me définis d’abord comme une intellectuelle à qui sa
communauté reconnaît une certaine capacité de penser et d’agir. Avec le collectif
Egalité, j’ai déclenché, en effet, les prémisses de ce que sera la France noire, des
rapports entre les Français noirs et la République en signalant les dangers encourus
si le problème de représentation des minorités visibles n’est pas résolu. Et déjà à
l’époque, j’avais proposé une politique volontariste de mise en place de quotas ou de
discriminations positives afin de résoudre ce problème.
ADV / DR : Il semble, oui, que vous ayez abandonné le passé à la député Christiane
Taubira pour ouvrir un nouveau front sur l’invisibilité des Noirs en France, surtout
dans les médias. Si, grâce à la discrimination positive, on pose des quotas, ne craignez-
vous pas que d’autres groupes- les homosexuels, les Jaunes, etc. - ne s’engouffrent dans
la brèche d’une balkanisation de la France pour, à leur tour, exiger une meilleure
représentativité ?
CB : Etre noir, c’est une captation visuelle immédiate qui discrimine tandis qu’être
Juif par exemple, c’est être un Occidental comme les autres. Etre noir, c’est être
assigné malgré soi à négritude par le regard de l’autre. Cette assignation à identité –
on entre là dans le domaine psychologique – est mal vécue, et à partir de ce moment,
certains revendiquent cette représentation et se radicalisent. Etre juif n’est pas
quelque chose de physiquement visible en dehors des signes distinctifs religieux.
Etre « homo », de la même manière, ce n’est pas une captation visuelle immédiate,
si on ne le clame pas sur tous les toits.
A la différence d’un Juif ou d’un « homo », les Asiatiques sont des minorités visibles.
Lorsque je sors dans la rue, immédiatement, je suis vue comme différente : c’est cela,
faire partie d’une minorité visible.
ADV / DR : Ne peut-on trouver une contradiction dans votre discours : d’un côté, vous
analysez les émeutes des banlieues comme un problème social, de l’autre, vous y
apportez, avec la discrimination positive, des réponses ethniques ?
CB : Il n’y a pas de contradiction car ce problème social se pose à cause d’un
problème ethnique.
A titre égal, les patrons n’embauchent pas les Noirs. Le taux de chômage chez les
Noirs est de 30 % alors que le taux de chômage global en France est de 10 % !
ADV / DR : A propos de minorités visibles, la France noire : combien de divisions ?
CB : Selon moi, il y a 11 millions de personnes d’origine africaine en France si l’on
inclut les Nord-africains et les Antillais aux gens d’Afrique Noire. Parmi eux, on peut
compter 6 millions et demi de personnes d’origine noire-africaine de nationalité
française dont, à mon avis, 700 000 Africains étrangers – et parmi eux, pas plus de
10% de clandestins. Sur les 6 millions et demi de Noirs subsahariens, on compte 2
millions 250000 Antillais. On nous dit qu’il est interdit, impensable, impossible de
répertorier officiellement en France les origines. Je m’inscris en faux : il existe bien
un recensement ethnique informel dés la naissance, en vertu du lieu de naissance de
chaque individu et du pays.
ADV / DR : On sent une tentation antisémite depuis ce qu’il est convenu d’appeler
l’ « affaire Dieudonné ». D’où vient, selon vous, ce rêve secret de voir l’affinité élective
entre Juifs et Noirs s’inverser ?
CB : Je pense que cela vient d’une méconnaissance de l’Histoire, et de la souffrance
des Noirs en France qui ont été, pour certains, manipulés par des groupes n’ayant
aucun rapport avec le monde noir.
Cela n’a pas de racines dans notre Histoire, pas d’idéologues non plus, et donc pas de
construction intellectuelle autorisant cette inversion. Les référents du monde noir
francophone sont des gens comme Aimé Césaire, Senghor ou moi-même qui n’ont
jamais tenu des propos antisémites.
Entre Juifs et Noirs, il y a une alliance naturelle. Dans ses diatribes contre l’esclavage
et le colonialisme, Aimé Césaire rappelle que les Juifs sont des alliés.
NDLR * Hélas, les dernières déclarations de Dieudonné, son appel à ce que la France
s’aligne sur la position vénézuelienne – le président Hugo Chavez vient de rappeler son
ambassadeur en Israël – ont au moins le mérite d’être claires : le chantre de
l’antiracisme reste le symbole de la barbarie antisioniste et antisémite.