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Les premiers travaux que nous avons mené pour identifier, ce qui était requis pour lire et
apprendre à lire , nous ont conduits à élaborer un bilan du savoir lire (Martinez, 1986),
qui en traduisait la conception intégrée. À l’inverse, des autres conceptions qui
considèrent l’acte de lire et son apprentissage comme une série d’habilités évaluées de
façon atomisée. Nous étions les seuls à cette époque a tenir compte de l’intention de
lecture claire et précise et des différents types de discours en évaluation du savoir lire
(Farr, Carey et Tone, 1986; Martinez 1986).
Les stratégies de lecture des élèves du premier cycle du primaire et d’adaptation scolaire
(Martinez1992 ), ainsi que celles des élèves du secondaire(Groupe LIRE, 1993) se
distinguent beaucoup plus par les connaissances antérieures et leur activation que par
l’utilisation différentes des stratégies de lecture. Les étudiants de l’université utilisent-ils
les mêmes stratégies? La gestion et la conscience des stratégies de lecture
s’opérationnalisent-elles comme pour les élèves des niveaux inférieurs. Les chercheurs
s’entendent pour reconnaître que la lecture doit reposer sur le texte, le contexte et le
lecteur, il devrait en être ainsi pour son apprentissage et pour son évaluation (Martinez,
1986; Tardif, 1994; Schimtt et Hopkins, 1993.
Nos travaux ont pour objet de mettre en relief les différents profils de lecteurs,
particulièrement ceux de la maternelle, du primaire, du secondaire, des élèves en
difficulté ou des adultes illettrés. L’évaluation du savoir-lire est davantage complexifiée
par le fait qu’elle doit être tributaire de la conception de la lecture et des pratiques
d’enseignement qui en découlent (Tardif, 1994; Martinez, 1993.
Une étude descriptive que nous menons au niveau secondaire I à V (NS = 100) montre
que les mauvais lecteurs sont ceux qui ont aussi le plus de difficulté à s’autoquestionner
et à expliciter leur démarche cognitive. En ce qui concerne, l’utilisation des stratégies de
lecture en fonction de l’intention de lecture et des différents types de discours, ces élèves
sont rigides au plan cognitif et ne peuvent compenser. Ils utilisent presque toujours la
même stratégie sans égard à l’intention de lecture ni au traitement des informations que
celle-ci requiert. Les rapports affectifs avec la lecture sont de l’ordre du rejet, de
l’indifférence ou de la nécessité scolaire. Malgré cela, on ne peut pas dire qu’ils ne
savent pas lire. Ils lisent quand cela est requis ou que c’est le seul moyen pour s’informer
ou se distraire. Par contre, ils ont de la difficulté à activer leurs connaissances antérieures
par manque ou méconnaissance de leur utilité. Ils éprouvent des difficultés
d’anticipation, d’inférence, d’interprétation et de compréhension des différentes
structures de textes. Ces élèves continuent à poursuivre une scolarité qui les mènera
peut-être à l’université.
On fait la distinction entre le bon et le mauvais lecteur mais aussi entre le lecteur débutant
et accompli. Selon nous, à l’inverse des approches ascendante et interactive, la différence
entre ces différents lecteurs serait dans la capacité plus ou moins grande d’activation des
connaissances antérieures (Tardif 1994) et de leur adaptation à la situation.
L'épreuve du Ministère est en langue écrite, mais nous présupposons que leurs difficultés
sont aussi en lecture. Les résultats de certains travaux de recherche iraient dans ce sens
(Brooks, 1977)
La présente recherche va s’attacher à montrer quelles sont les stratégies cognitives d’un
échantillon de lecteurs en difficulté du langage écrit de niveaux secondaire et
universitaire. Il s’agit de plusieurs travaux descriptifs que nous menons au sein du
groupe de recherche LIRE du Département des sciences de l’éducation de l’Université du
Québec à Montréal.
L’évaluation du lecteur se fait en fonction d’un bilan de lecture (Martinez, 1986) qui
comporte la lecture de trois types de textes (narratif, argumentatif et informatif) et des
intentions de lecture correspondantes à chacun d’eux. Un questionnaire dont les réponses
établissent si le lecteur peut s’autoquestionner et, pour cela, quelles stratégies cognitives
de lecture il utilise. Un questionnaire, “Les indices de lecturisation”, indique les rapports
affectifs, intellectuels et physiques qu’entretient le lecteur avec la lecture (Martinez,
1993. Ces indices vont nous donner des informations sur la relation essentielle entre le
lecteur, le texte et le contexte (Tardif, 1994)
Un profil de lecteur s’établit à partir d’une évaluation du savoir-lire où l’on observe les
processus et les stratégies.
Le bilan de lecture
Ce questionnaire comprend deux volets: famille et classe. Le volet deux n’est pas
appliqué à l’université. La classe ne peut être comprise de la même façon que pour les
niveaux précédents.
Pour le présent article, nous ne ferons pas état des résultats de ce questionnaire.
Il y a un consensus pour reconnaître que les verbalisations sont le moyen d’explorer les
stratégies cognitives et métacognitives. D’où, l’utilisation par plusieurs chercheurs de
questionnaires et de grilles d’observation des stratégies cognitives de lecture (Gaskins,
1988; Lewin, 1992, McLain, 1991; Romainville, 1993; Schmitt et Hopkins, 1993. Bien
qu’il faille demeurer prudent face à ces réponses, nous pensons que l’utilisation de
techniques statistiques nous permet de contrôler cette difficulté.
Nous avons pu constater, dans une recherche antérieure, la validité de cette affirmation.
En effet, avec des enfants allophones de milieu multiethnique et d’âge préscolaire,
l’enseignement explicite des stratégies de lecture en faisait des lecteurs plus efficaces. Le
groupe témoin d’enfants allophones, malgré un enseignement indirect de la lecture ne
pouvait se comporter cognitivement comme le groupe expérimental (Martinez, 1993)
L’Échantillon
Le contenu du questionnaire
Les tableaux qui suivent, illustrent les stratégies que les questions sous-tendent. Nous
observons que c’est surtout en cas de difficulté que toutes les stratégies sont proposées.
S’agit-il d’une erreur? Où une façon habituelle de faire en enseignement, que les
concepteurs du questionnaire ont délibérément reflétée? Nous penchons plutôt pour la
seconde hypothèse car les enseignants sollicitent peu de stratégies syntaxiques et morpho-
syntaxiques durant l’apprentissage de la lecture. Cela traduit donc une pratique de lecture
assez généralisée. Les travaux sur les stratégies étudiées s’attachent aussi à les repérer,
par la démarche de questionnement, en évaluation du savoir-lire et ce, après la lecture ou
en cas de difficulté (Martinez, 1982, 1984, 1986)
Tableau III
Les stratégies de lecture identifiées par le questionnaire
Votre façon de lire
Stratégies grapho-phonétiques Stratégies sémantiques Stratégies syntaxiques
9 - 10 - 11 - 12 14 - 16 - 17
(subvocalisation) (retour pendant la lecture)
13 - 15 18 - 19 - 20
(retour pendant la lecture) (survol)
21 23 - 24 - 25- 27 - 28 - 29
(survol) (annotations)
26 34
(annotations) (anticipations)
Stratégies morpho-syntaxiques Stratégies extraliguistiques
22
(anticipations via l’image)
Stratégies métacognitives
8
(conscience des stratégies)
30
(imagerie mentale)
31
(connaissances antérieures)
32 - 33
(auto-questionnement)
La première grande constatation à faire à la lecture du tableau IV c’est que les étudiants
qui ne se considèrent pas en difficulté (32%) sont ceux qui sont conscients de l’utilisation
de techniques (question 8) de lecture (60,3%), comparativement à ceux qui se considèrent
en difficulté (67,2%) qui ne sont conscients qu’à 47,7%. La conscience métacognitive
semble donc être plus développée chez ceux qui se disent ne pas être en difficulté.
En ce qui concerne les stratégies considérées comme les plus grapho-phonétiques
(question 9 à 12), un écart important s’observe entre ceux qui se considèrent en difficulté
et qui disent utiliser ces stratégies de bas niveau dans une proportion de 54,35%. Selon
Winne (1992), il s’agirait de mauvais lecteurs. À l’inverse, ceux qui ne se perçoivent pas
en difficulté n’utilisent ces stratégies qu’à 37,7%.
Tableau IV
Étudiants se disant en difficulté
Questions sur les stratégies Questions
grapho-phonétiques métacognitives
et utilisation des
stratégies
9 10 11 12 13 15 21 26 37 40 58c
71,6 51,6 39,4 54,8 65,8 58,7 56,1 15,5 90,3 66,2 33,1
M = 57% 33,1%
Étudiants ne se disant pas en difficulté
Questions sur les stratégies Questions
grapho-phonétiques métacognitives
conscience et
utilisation des
stratégies
9 10 11 12 13 15 21 26 37 40 58c
56,9 37,1 21,6 35,3 61,1 50 67,2 13,8 89,6 57,4 39,1
M = 49% 39,1%
Tableau V
Étudiants se disant en difficulté
Questions sur les stratégies Questions méta.
syntaxiques et morpho-syntaxiques conscience et
utilisation des
stratégies
49 50 5,2 53 58b
37,7 42,1 29,7 48,1 36,8
M = 39,4% 36,8%
Étudiants ne se disant pas en difficulté
Questions sur les stratégies Questions méta.
syntaxiques et morpho-syntaxiques conscience et
utilisation des
stratégies
49 50 52 53 58b
39,1 42,1 33,9 49,6 43,5
M = 41,2% 43,5%
Il faut rappeler que les étudiants évalués sont considérés comme étant en difficulté du
langage écrit par l’examen du ministère de l’éducation et que, malgré tout, on observe des
différences dans la variété et l’utilisation équilibrée des stratégies de lecture. Même en ce
qui concerne les stratégies syntaxiques et morpho-syntaxiques qui, pour l’ensemble de
l’échantillon, sont celles qui sont le moins utilisées. Cela pourrait s’expliquer par les
différences que l’on observe dans la conscience métacognitive et le fait que l’on se
considère en difficulté ou non. Nous soutenons cette hypothèse car, nous avons pu
constater, et de façon plus marquée, toutes les différences que nous relevons au niveau
secondaire (I à V) L’échantillon du secondaire se composait d’élèves réputés en
difficulté de lecture et d’autres reconnus comme bons lecteurs. Ces deux groupes se
distinguaient aussi car les premiers se disaient en difficulté et reconnaissaient ne pas avoir
conscience de l’utilisation de techniques de lecture. Tandis que les seconds, les bons
lecteurs, ne se considéraient pas en difficulté de lecture et se disaient conscients d’utiliser
des techniques de lecture. C’est pour cela que nous avons procédé, dans l’analyse des
résultats, à cette répartition en deux groupes des étudiants en difficulté du langage écrit.
L’examen de français du M.E.Q poserait-il des problèmes de validité? Cette recherche ne
permet pas de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. Mais a tout le moins de se
questionner
Profils de lecteur des étudiants
L’analyse des différentes questions nous a permis de dégager avec une certaine netteté
deux groupes bien distincts d’étudiants. Les premiers considèrent à 67,2% qu’ils ont des
difficultés de lecture. Tandis que les seconds considèrent qu’ils n’ont pas de difficulté de
lecture et cela à 32,8%. Plus encore, ceux qui se perçoivent en difficulté estiment à
seulement 47% qu’ils ne sont pas conscients d’utiliser des techniques de lecture. Tandis
que ce qui considèrent ne pas avoir de difficulté disent à une grande majorité (60,3%)
qu'eux sont conscients d’utiliser des techniques de lecture.. Des stratégies grapho-
phonétiques nous avons isolé celles qui sont les plus primaires et qui provoquent des
phénomènes de focalisation. Nous avons pu alors observer très précisément que ceux qui
se perçoivent en difficulté de lecture sont ceux qui utilisent à 54,4% plus de stratégies de
bas niveau. Contrairement à ceux qui ne s’estiment pas en difficulté de lecture et qui ne
les utilisent qu’à 37,7%. Ainsi, on pourrait dire que ceux qui se considérant en difficulté
tendraient plus vers un schéma de lecture orale, chuchotée.
Tableau VI
Deux profils de lecteurs
Étudiants se disant en difficulté Étudiants ne se disant pas en difficulté
(67,2%) (32,8%)
Conscience métacognitive
gestion des stratégies
47% 60,3%
Stratégies grapho-phonétiques
Focalisation
Schéma de lecture orale chuchotée
54,35% 37,7%
Stratégies morpho-syntaxiques et
syntaxiques
39,4% 41,2%
Stratégies sémantiques en isolation
52% 52%
Stratégies sémantiques en interaction
68% 81,2%
Stratégies apprises et enseignées
35,3% 57,9%
Niveau de satisfaction
35,7% 55,3%
En ce qui concerne l’utilisation des stratégies de lecture, il semble que ces étudiants
disent utiliser plus de stratégies sémantiques, ensuite viendraient les stratégies grapho-
phonétiques et, dans proportion moindre les stratégies morpho-syntaxiques et
syntaxiques. Nous supposons qu’il s’agit de profils de lecteurs qui aurait appris d’abord à
déchiffrer puis à comprendre (Zagar, 1992) dans une conception de la lecture linéaire et
ascendante. , Contrairement, au profil des bons lecteurs du secondaire qui présente une
utilisation variée et équilibrée des stratégies de lecture. Autre considération non
négligeable c’est que, autant au secondaire qu’à l’université, l’activation des
connaissances antérieures semble être l’apanage de ceux qui ne se disent pas en difficulté
et qui ont une conscience métacognitive des stratégies. Bien qu’à l’université, cette
variable s’observe moins qu’au secondaire. Cela s’explique par le fait qu’au secondaire,
il s’agit d’une comparaison entre bons et mauvais lecteurs, ; tandis qu’à l’université, il
s’agit d’étudiants en difficulté du langage écrit, les un s’estimant en difficulté, les autres
pas.
Une autre variable qui nous semble importante est qui est aussi discriminante au
secondaire qu’à l’université c’est la perception de soi en tant que lecteur. Ainsi, les
étudiants se disant en difficulté, considèrent, à 34,4% qu’ils sont satisfaits d’eux-mêmes,
alors que ceux qui ne se considèrent pas en difficulté s’estiment satisfait d’eux-mêmes à
77%. Le fait d’utiliser des stratégies grapho-phonétiques, les plus primaires, en isolation
semblent être la caractéristique des mauvais lecteurs au secondaire et de ceux qui se
disent en difficulté à l’université.
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