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II.

GENEALOGIE DE L’IDEE EUROPEENNE

Section 1. La Respublica Christiana

§. 2. Les projets

D. Le projet du Duc de SULLY (1560-1641)

Maximilien de Béthune. Membre d’une famille protestante, un des plus anciens


compagnons de route d’HENRI DE NAVARRE (son « ministre des finances » de 1598 à
l’assassinat du roi en 1610). Artisan du redressement financier : en 1604, hérédité des offices
mais institution d’une taxe annuelle (Edit de la Paulette), auteur de la fameuse formule
« Labourages et pâturages sont les deux mamelles de la France ».

De 1617 à 1638 médite un projet, plusieurs fois remanié, où il aborde questions


d’histoire politique, économique, sociale et financière et qu’il attribue, qu’il fait passer pour
celui du monarque défunt : Le Grand dessein du Roy Henri IV.
Référence majeure en la matière. La véritable paternité de l’œuvre sera rétablie par les
érudits du XIX° siècle. Les Sages et Royales Economies d’Estats (1638) visent à créer une
« Association très chrétienne d’Europe » : ultime avatar de l’idée médiévale de la Chrétienté
unie ? Pour répondre à une telle interrogation, il importe de dévoiler les objectifs poursuivis par
le ministre de Henri IV et de présenter le système institutionnel qu’il avait imaginé.

1. Les objectifs poursuivis

a) Remodeler la carte politique de l’Europe

A l’opposé de CRUCE, SULLY a été un homme d’Etat et un militaire (il a participé à


la bataille d’IVRY, près d’Evreux, en 1590, bataille qui a vu la victoire d’Henri de Navarre sur
les troupes de la Ligue). Il entend donc « rationaliser la carte politique de l’Europe ».
A ses yeux, le statu quo politique et territorial de l’Europe ne peut assurer la paix sur le
continent. Il est indispensable de réduire la puissance des Habsbourg, ennemis (héréditaires)
de la France au début du XVII° siècle : possession de la dignité impériale, Royaume d’Espagne,
Royaume de Naples, Royaume des Deux-Siciles (nom du royaume constitué de Naples et de la
Sicile après 1442), occupation des trônes de Hongrie, de Bohême et d’Autriche, règnent sur les
Pays-Bas espagnols, immense territoire d’outre Atlantique.
Aussi, est-il partisan de la constitution de 15 Etats, égaux en puissance :
6 monarchies héréditaires
France, Espagne, Angleterre, Suède, Danemark, Lombardie (Savoie et Milanais)

6 monarchies électives
Rome et Royaume de Naples / Venise / Empire / Pologne / Hongrie / Bohême

3 Républiques fédératives
Belgique (Hollande et Pays-Bas espagnols), Itaque (Gênes, Lucques, Florence, Madère,
Parme et Plaisance) et Suisse

b) Réduire l’Empire, en le ramenant à son « état primitif »

c) Former une Confédération européenne pour « faire puissamment et continuellement la


guerre aux Turcs ». Il en exclut et « le Moscovite barbare » et le « Turc infidèle »
En grande partie asiatique, la présence de la Russie pourrait provoquer des conflits avec
les « puissants empires du Tartare, du Turc et du Perse ». La Russie est composée de nations
« sauvages, barbares et farouches » et ses peuples sont « obstinés au paganisme et à
l’idolâtrie » et ne pratiquent aucune des trois religions chrétiennes seules admises au sein de la
Confédération (Catholicisme, Luthérianisme et Calvinisme).

d) Outre le moyen du développement du commerce terrestre et maritime et celui de


l’interdiction des conquêtes territoriales, il s’agit d’assurer l’équilibre politique de l’Europe par
l’accroissement de l’influence des petits Etats : « Quinze dominations égales en étendue de pays,
Etats, force, afin qu’ils n’eussent rien à craindre les uns les autres, ni cause de se porter envie, jalousie
ou haine »

2. Le système institutionnel envisagé

a) Le Conseil général

« Un Conseil général de quarante personnages, fort qualifiés, et surtout bien avisés, parmi lesquels le
Pape, l’Empereur, les rois de France, d’Espagne et de Grande-Bretagne en nommeront chacun
quatre »
Siège dans les villes qui sont « le plus au milieu de l’Europe », par roulement annuel
jusqu’à ce que chacune des 15 dominations ait eu son tour.
b) Des Conseils régionaux (six)

« quant au troisième point consistant en l’établissement d’un certain nombre de conseils si bien ajustés,
situés et puissamment autorisés qu’ils puissent être rendus capables de terminer toutes les diversités des
prétentions et contrariétés d’opinions qui pourraient intervenir entre tant de grands potentats et
peuples, lesquels doivent composer cette universelle république très chrétienne… proposons-nous
semblablement l’établissement de sept conseils…1 à cause de la grande étendue des peuples de tant de
divers Etats, langues et nations qui en devaient convenir, à savoir un général pour tous les associés et
six particuliers pour six particulières dominations »

1. Danemark, Norvège, Suède et Pologne (siège Dantzig)


2. Etats de l’Empire (siège Nuremberg)
3. Bohême, Moravie, Silésie, Lusace et Hongrie (siège Vienne)
4. Etats pontificaux, Venise, Candie (Crète), Naples, Sicile, Lucques et Florence (siège
Bologne)
5. Lombardie, Mantoue, Montferrat, Piémont, Savoie, Tyrol, « les Suisses » (siège Constance)
6. France, Espagne, Grande-Bretagne, Provinces-Unies (siège non précisé !!)

c) Suprématie du Conseil général (rôle de conciliation et d’arbitre – obligatoire – entre les 15


dominations) :
« le Conseil général prendra connaissance des propositions universelles, des appellations interjetées de
conseils particuliers, et de tous desseins, guerres et affaires qui importent à la république très
chrétienne » (arbitrage obligatoire, mais point de précision sur la procédure arbitrale).

d) Originalités : outre l’existence d’une force armée confédérale (flottes et contingents


nationaux), on relèvera l’absence de droit de sécession (logique fédéraliste ?) :

« La république très chrétienne étant une fois établie, nul des associés ne s’en pourra départir ni
séparer sans attirer sur lui la malveillance de tous les autres, voire leur agression par la guerre si le
cas y échet ; aucuns de ceux qui auront signé l’association venaient à se départir ou refroidir d’elle, ils
seront poursuivis comme ennemis par tous les autres conjointement »

1
Le Conseil général et les six Conseils régionaux.
Section 2. L’Europe westphalienne

Cette formulation renvoie à la périodicité utilisée dans la discipline des Relations


internationales, au schéma explicatif de Richard FALK (Prof. Univ. Princeton), repris par le
Professeur italien Antonio CASSESE (Le Droit international dans un monde divisé, traduction
française, 1986) pour présenter la nature de la société internationale : une société caractérisée
par la juxtaposition / coexistence de deux systèmes : le système westphalien (date de naissance
des relations internationales modernes, société marquée par l’égalité et la juxtaposition des
souverainetés étatiques, la violence de leurs rapports et le maintien du droit de conservation
nationale ; la société onusienne (à partir de l’expérience de la SDN, dominée par le concept de
communauté internationale).
Le choix de 1648 reste, bien entendu, discutable (v. supra). Cette période (1648-1919)
se caractérise par de profonds bouleversements et de très nombreux projets autour de l’idée
européenne

§ 1. Le cadre général

Le moment fondateur est constitué par la Paix de Westphalie, le 1° grand congrès


diplomatique européen (A), acte de naissance d’une Europe des Etats, jaloux de leur
souveraineté et qui se conçoit toujours comme le « centre du monde » (B), une Europe où la
prégnance de la guerre n’est guère contrebalancée par le développement du cosmopolitisme (C).

A. L’acte fondateur

1. La Guerre de 30 ans (1618-1648)

Conflit d’abord religieux (provoqué, notamment, par la volonté de reconquête


catholique de l’Empereur FERDINAND II, sous l’influence des théologiens jésuites, en
premier lieu en direction de la majorité luthérienne de Bohême : Défenestration de Prague),
puis politique, qui ravage l’Allemagne et (à l’exception de la Grande-Bretagne, de la Russie, de
la Suisse et de la Pologne) met aux prises les Etats européens en vue de l’hégémonie politique
et militaire en Europe.
Antagonisme des princes allemands réformés et de l’Empire catholique /
internationalisation du fait de l’appui que les premiers trouvent chez de grandes puissances
étrangères (la Suède protestante ; la France catholique, à partir de 1635, sous la conduite de
RICHELIEU). Conflit marqué de grandes cruautés (du fait de la guerre et, surtout, de la peste
que la guerre a apporté avec elle, la population allemande se trouve réduite de 40 à 45 %, dans
certaines régions de 80 %) (une dizaine de millions de morts), notamment du fait du recours
aux mercenaires.

2. Les Traités de Westphalie du 24 octobre 1648

Non à un traité collectif mais à deux traités bilatéraux (dualité nécessaire pour séparer
catholiques et protestants), bénéficiant de la garantie des deux puissances alliées des princes
allemands réformés (droit d’intervention en Allemagne, jamais appliqué) : le Traité de Münster
(conclu entre la France de Louis XIV, l’Empereur Ferdinand III et les princes allemands, et qui
permet à l’Alsace de devenir française) et le Traité d’Osnabrück (entre l’Empire et la Suède).

3. L’affaiblissement du pouvoir impérial

Nébuleuse constituée de 355 Etats allemands indépendants qui peuvent conclure des
alliances, voire s’engager dans des guerres, sous réserve de ne pas aller à l’encontre des intérêts
de l’Empereur ou des traités. L’Empire devient une coquille vide, l’autorité de l’Empereur
restant largement symbolique en raison de la nécessité d’obtenir l’unanimité de la Diète pour
les grandes décisions politiques (guerre, paix, lever des taxes…). Après l’échec cuisant subi au
siècle précédent par CHARLES QUINT (v. supra), se trouve ainsi scellée l’échec de la
volonté hégémonique des Habsbourg, de leur rêve d’unité allemande et d’unité de la
Chrétienté, le rêve médiéval d’une société hiérarchisée, le rêve de la respublica christiana.

4. Le principe de l’égalité souveraine des Etats

La Paix de Westphalie est souvent présentée comme la Charte constitutionnelle de


l’Europe (MABLY, Le droit public de l’Europe fondé sur les traités, 1747), le fondement du
Droit public européen.
Cela implique, outre la reconnaissance officielle de nouveaux Etats : Pays-Bas
(Provinces-Unies, 1579) ; Cantons suisses, la reconnaissance de l’utilité de recourir au procédé
conventionnel pour réglementer les questions d’intérêt commun.
Cela passe également par la reconnaissance d’une souveraineté dégagée de l’influence
religieuse, même si les rapports interétatiques demeurent des rapports entre peuples chrétiens et
même si confirmation (Paix d’Augsbourg, en Bavière, 1556, entre FERDINAND I°, frère aîné
de CHARLES QUINT, et les électeurs germaniques, partageant l’Empire entre les deux
confessions calviniste et luthérienne) de l’adage cujus regio ejus religio.2 Ce qui explique la
condamnation des Traités par le Pape INNOCENT X (Bulle du 26 novembre 1648).

B. L’Europe des Etats

1. La nouvelle société européenne est une société interétatique qui postule l’anarchie des
souverainetés et un ordre amoral (primat des intérêts nationaux sur les considérations
éthiques), et qui n’exclut pas les rivalités et les guerres (ex. emblématique de 1914-1918).
Une société où, notamment, au XIX° siècle (unifications allemande et italienne,
indépendance de la Belgique en 1830 contre le Roi des Pays-Bas, volonté d’autonomie et
d’indépendance des peuples soumis à l’Empire ottoman comme les Serbes, les Grecs, les
Roumains et les Bulgares), le souci de la conservation du statu quo va devoir affronter la
vigueur du nationalisme.

2. Une société qui se pense comme gouvernement de fait du monde, en dépit de la


résistance des USA (Doctrine de Monroe, 1823).
- Congrès de Vienne (1814-1815) : 1° apparition des conventions multilatérales
(composé de 121 articles et 17 annexes, l’Acte final du 9 juin 1815 reprend divers traités
internationaux et proclame le principe d’une paix conforme aux « principes du droit public
européen ». L’ouverture de la société internationale, conçue comme société européenne, à
d’autres Etats s’effectue avec prudence : à la fin de la Guerre de Crimée, l’article 7 du Traité de
Paris du 30 mars 1856 précise que « La Sublime Porte est admise à participer aux avantages
du droit public et du Concert européens » ; aux Conférences de la Haye (1899-1907), Chine,
Japon, Siam…

2
Prélude à une lutte contre les hérétiques chez les Catholiques et chez les Protestants : par ex., 100 000 personnes
exécutées en Allemagne.
Discours de la supériorité de l’Europe (et des peuples d’origine européenne), il est vrai
le centre le plus créatif (thèse de Jean-Baptiste DUROSELLE, L’Europe – histoire de ses
peuples, Perrin, 1990). Repris par les fondateurs de l’anthropologie et, systématisé au XIX°,
voire au début du XX° siècle, par des membres importants de la doctrine internationaliste : ex.
de l’américain Henry WHEATON (Eléments de droit international, traduction française,
1874) :
« Le droit international public, à peu d’exceptions près, a toujours été et est encore limité aux peuples
civilisés et christianisés d’Europe et à ceux d’origine européenne »

C. L’Europe belliqueuse

1. Il importe de ne pas commettre de contresens à propos de la portée des Traités de 1648.

a) Il ne s’agit pas d’établir les bases d’une union européenne mais, principalement, de fonder la
paix par l’équilibre des puissances. Critiqué dans de nombreux projets, le principe de
l’équilibre apparaît comme le seul moyen de régulation de la société internationale en l’absence
d’autorité suprême : seule la balance des forces, sorte de contrepoids aux ambitions
hégémoniques. Le principe est explicitement consacré dans l’ar. 2 du Traité d’Utrecht (1713) :
« La paix et la tranquillité (sont désormais assurés) par un juste équilibre de la puissance… meilleur
fondement d’une amitié naturelle et d’une union durable »

L’équilibre vise à empêcher l’hégémonie de l’une des grandes puissances du continent ;


il n’exclut pas de nouvelles conquêtes et l’agrandissement territorial ; il n’exclut pas davantage
de nouveaux partages (système copartageant) comme le montre l’ex. de la Pologne (qui ne
reparaîtra en tant qu’Etat qu’en 1918) : 1° partage en 1772 entre la Prusse, l’Autriche et la
Russie ; 2° partage en 1793 entre Prusse et Russie ; 3° partage en 1795 entre les trois. La raison
d’Etat justifie les transferts de territoire et le recours à la force ; la liberté de disposer des
peuples et des territoires permet alors de solder les querelles entre Princes de façon commode.
Le principe de l’équilibre est, par conséquent, bien éloigné d’une authentique règle de
paix et de justice. Une citation du célèbre ouvrage de Carl VON CLAUSEWITZ (De la
guerre, 1832) le confirme : « Nous voyons donc que l’équilibre n’explique pas la trêve des
hostilités, mais qu’elle équivaut toujours à l’attente d’un moment plus favorable ».

b) Après le Congrès de Vienne, le principe de l’équilibre s’incarne dans le Directoire / Concert


européens, dominés par le souci de la préservation de la légitimité monarchique (la paix par
l’internationale des rois), qui justifie un droit d’intervention (Déclaration de TROPPAU, 18
décembre 1820), une Sainte Alliance (à laquelle la Grande-Bretagne refuse de s’associer) :
TETRARCHIE (Autriche, Grande-Bretagne, Prusse et Russie) : Traité de Paris du 20 novembre
1815 ; PENTARCHIE (adjonction de la France de Louis XVIII par le Protocole d’Aix-La-
Chapelle en mai 1818)
Son théoricien : le Prince Klemens VON METTERNICH (1773-1859), Premier
ministre en 1817, Ministre des Affaires étrangères de 1809 à 1848. Il devra affronter en 1848 le
Printemps des peuples.

c) L’anarchie des souverainetés n’exclut cependant pas les premières manifestations du


phénomène des organisations intergouvernementales (Commissions fluviales internationales et
Unions administratives) : Commission centrale pour la navigation sur le Rhin et Commission
européenne du Danube (décision de création : art. 108-117 de l’Acte final de Vienne ; création
respective par la Convention de Mayence du 31 mars 1831 et le Traité de Paris du 30 mars
1856) ; Union générale des postes (Convention de Berne, 1874, devenue UPU en 1878) ;
Union télégraphique internationale (Convention de Berne, 1865, devenue UIT en 1932) ;
Office international d’hygiène publique (Paris, 1908) (1° conférence sanitaire internationale, à
l’initiative de Louis Napoléon BONAPARTE le 27 mai 1851).

2. Le paradoxe de la Révolution française

a) Au départ, existe une volonté de rupture avec le droit de la société westphalienne (car
révolutionner le droit interne ne suffit pas), ton prophétique et universaliste (proclamation de
« vérités immuables » mais a priori idéologie pacifiste, comme en témoigne la (Assemblée
nationale constituante, Décret du 22 mai 1790, repris dans le Titre VI de la Constitution du 3
septembre 1791)3 :
« La Nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes et elle
n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple »

b) L’inévitable expansionnisme révolutionnaire (du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes à


la guerre de libération ; de la guerre de libération à la Grande Nation).

3
La formulation se retrouve dans le préambule de la Constitution du 4 novembre 1848 (« Elle (la République
française) n’entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n’emploie jamais ses forces contre la liberté
d’aucun peuple ») et dans celui de la Constitution du 27 octobre 1946 (« La République française, fidèle à ses
traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues
de conquête et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple »).
Pour les révolutionnaires français, la conviction qu’en encourageant la libération des
peuples de l’Europe, on développera l’entente entre eux les confronte à la question de
l’exportation de la révolution (ex. annexion du Comtat Venaissin en septembre 1791).
Déjà, lors de la (14 juillet 1790), Anacharsis CLOOTS (République universelle du
genre humain avec Paris comme capitale) annonce que « cette fête sera celle du genre
humain ». Le Comte de VOLNEY lance cet appel : « Ö Nations, bannissons toute tyrannie et
toute discorde, ne formons qu’une société, qu’une grande famille » (Les Ruines ou Méditations
sur les révolutions et les empires, 1791).
Est ici emblématique l’affrontement entre le girondin BRISSOT, appuyé par la
bourgeoisie d’affaires en butte à la concurrence britannique (pour une « croisade de la liberté
universelle ») et le montagnard Maximilien ROBESPIERRE (qui craint que la défaite
provoque un retour à l’Ancien Régime et le succès conduise à la dictature d’un général
victorieux, soit un César soit une défaite de la Révolution). Pour ce dernier (3 grands discours
devant la Société des Jacobins, les 18 décembre 1791, 2 et 25 janvier 1792), la guerre est
dangereuse pour la Révolution : « Remettez de l’ordre chez vous, avant de porter la liberté
ailleurs » (2 janvier 1792). Il raille ceux qui remportent des victoires faciles sur le despotisme à
la tribune des assemblées, qui décrivent les guerres comme des conflits « terminés dans les
embrassements fraternels de tous les peuples d’Europe » et pour lesquels « nos généraux ne
sont plus que des missionnaires de la Constitution » et notre camp « qu’une école du droit
public » (2 janv. 1792). Il ne suffit pas d’envahir un territoire pour que sa population adopte les
idées de la Révolution car « personne n’aime les missionnaires armés » (même date). Le 19
nov. 1792, au moment où est adopté le célèbre décret (« La Convention nationale déclare, au
nom de la Nation française, qu’elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui
voudraient recouvrer leur liberté et charge le pouvoir exécutif de donner aux généraux les
ordres nécessaires pour porter secours à ces peuples et défendre les citoyens qui auraient été
vexés ou qui pourraient l’être pour la cause de la liberté», il dénonce encore ceux qui veulent
« planter l’étendard tricolore jusque sur les bornes du monde »). Robespierre approfondit les
mêmes thèmes dans ses Lettres à ses commettants (févr. 1793) : la nécessité d’aider les peuples
à se libérer doit tenir compte du fait qu’ils n’ont pas tous les mêmes mœurs ni le même degré
de lumières et en s’appuyant avant tout sur le temps, la raison et l’exemplarité du modèle
français. Comme le grand jurisconsulte suisse Emer de VATTEL (Droit des gens ou Principes
de la loi naturelle appliquée à la conduite des affaires des nations et des souverains, 1756) qui
ironisait sur les dévots qui s’efforcent de faire le salut des incrédules par le fer et le feu : « On
peut aider la liberté, jamais la fonder par l’emploi d’une force étrangère ».
Un ex. emblématique de l’expansionnisme révolutionnaire : le Chant du départ (1794),
une hymne patriotique de Marie-Joseph CHENIER (1764-1811, homme politique et écrivain,
membre de la Convention nationale, des Cinq Cent, du Tribunat, inspecteur général de
l’Université sous l’Empire)4, composé pour le 5° anniversaire de la Prise de la Bastille et mise
en musique par Etienne MEHUL (1763-1817) :

« La victoire en chantant, nous ouvre la barrière,


La liberté guide nos pas.
Et du Nord au Midi, la trompette guerrière
A sonné l’heure des combats.

Tremblez, les ennemis de la France.


Rois, ivres de sang et d’orgueil,
Le peuple souverain s’avance :
Tyrans, descendez au cercueil.

La République nous appelle,


Sachons vaincre ou sachons périr !
Un Français doit vivre pour elle,
Pour elle un Français doit mourir !

(…)

Sous ce fer, devant Dieu, nous jurons à nos pères,


A nos épouses, à nos sœurs,
A nos représentants, à nos fils, à nos mères,
D’anéantir les oppresseurs
An tous lieux, dans la nuit profonde
Plongeant l’infâme royauté,
Les Français donneront au monde
Et la paix et la liberté »

Ainsi – par une sorte d’anticipation des révolutions du XX° siècle – l’utopie
révolutionnaire s’abîme dans les guerres de la fin du XVIII° et du début du XIX° siècles . La
circonspection de ROBESPIERRE sera, bientôt, relayée en 1814 par Benjamin CONSTANT
(De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation
européenne) :
« Mais autre chose est défendre sa patrie, autre chose attaquer des peuples qui ont aussi une patrie à
défendre. L’esprit de conquête cherche à confondre ces deux idées. Certains gouvernements, quand ils
envoient leurs légions d’un pôle à l’autre, parlent encore de la défense de leurs foyers ; on dirait qu’ils
appellent leurs foyers tous les endroits où ils ont mis le feu »

4
Frère du poète André CHENIER (1762-1794), l’auteur de La jeune Tarentine, royaliste ayant écrit des Hymnes
et des Odes sur Charlotte CORDAY, exécuté le 7 thermidor An II.
Comme le craignait ROBESPIERRE, la Révolution accouche du Bonapartisme qui
retrouve le rêve de ressusciter Rome et CHARLEMAGNE, ce qui fait dire à METTERNICH
en 1809 que Napoléon Bonaparte est le « souverain de l’Europe ».

3. La persistance de la controverse sur la légitimité du recours à la guerre (L’Europe


demeure toujours un continent guerrier) : ex. de la Guerre austro-turque (1684-1699),
reconquête de la Hongrie par l’Empire (terribles massacres de musulmans et de juifs à Buda par
les troupes impériales au cours de l’été 1686) ; ex. de la Guerre de succession d’Autriche
(1740-1748) et de la Guerre de succession d’Espagne (1701-1714) ; ex. de la Guerre de sept
ans (1756-1763), guerre la plus meurtrière du XVIII° siècle qui oppose d’une part, France,
Autriche, Russie, Saxe, Espagne, Suède et, d’autre part, Grande-Bretagne, Hanovre et Prusse
(Traité de Paris, 1763). La Grande-Bretagne devient le premier empire colonial ; la France perd
ses possessions en Inde et au Canada (né à Nîmes en 1712, le Marquis de MONTCALM meurt
lors de la bataille des plaines d’Abraham à Québec en 1759) ; ex. de la Guerre de Crimée
(1853-1856), opposant la France et l’Angleterre, alliées à la Turquie à la puissance
expansionniste de la Russie (qui perd la guerre) ; ex. de la Campagne d’Italie (1859), opposant
les troupes franco-sardes à l’Autriche en Lombardie (bataille de Magenta ; bataille de
Solferino : 40 000 morts, à l’origine de l’idée de création de la Croix-Rouge par le suisse Henri
DUNANT) ; ex. de la Guerre austro-prussienne (1866) : cuisante défaite autrichienne de
Sadowa, village tchèque de Bohême en 1866 (les Prussiens se trouvant sous la conduite de
MOLTKE) ; ex. de la Guerre de 1870, opposant la France et la Prusse ; ex. emblématique de la
Première Guerre mondiale.

a) Toujours (de HEGEL à VON MOLTKE) le discours sur le caractère bienfaisant, salvateur
de la guerre (la guerre comme moyen d’éviter la dégénérescence). Karl VON CLAUSEWITZ
(1780-1831) : général prussien, théoricien et diplomate, tire les leçons des guerres totales de la
Révolution française et de l’Empire (levée en masse, guerre révolutionnaire) : une nation doit
s’y consacrer tout entière et pas simplement par le moyen de son armée. Auteur du célèbre De
la guerre (« La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens »), lu par nombre
de militaires, d’hommes politiques et de philosophes. Helmut VON MOLTKE (1800-1891) :
Feld-Maréchal allemand, disciple du précédent, important rôle dans la conduite des opérations
militaires en 1870-1871, organisateur de l’armée allemande. Partisan de la guerre vitalité,
élément d’énergie qui empêche les hommes de « croupir dans le matérialisme ».
b) Simultanément, se manifeste toujours une répulsion à l’égard de la guerre

FENELON (Prélat, 1651-1715), précepteur du Duc de Bourgogne au moment où Louis


XIV s’engage dans la guerre (1686) : il écrit pour son élève Les dialogues des morts où il prête
à Socrate un violent réquisitoire contre la guerre :
« La guerre est un mal qui déshonore le genre humain… Toutes les guerres sont civiles : car c’est
toujours l’homme qui répand son propre sang, qui déchire ses propres entrailles ».

Dans son Télémaque (1689, dans l’Odyssée, fils unique d’Ulysse et de Pénélope), il vise
le Roi lui-même et vante l’arbitrage. Cet écrit est prolongé par les lettres très hardies au
monarque (1694) puis en 1699 (Examen de conscience sur les devoirs de la royauté) :
« On pend un pauvre malheureux pour avoir volé une pistole sur le grand chemin, dans son besoin
extrême : et on traite de héros un homme qui fait la conquête, c’est-à-dire qui subjugue injustement les
pays d’un Etat voisin »

Pacifisme des Lumières, et, au-delà, au XIX° siècle, chez VIGNY (Servitudes et
grandeurs militaires, 1835) et LAMENNAIS (Le Livre du peuple, 1838).
Mise en avant des valeurs attachées à la paix : Raison, Nature, Progrès, Bonheur,
Liberté ; critique de la guerre par les Philosophes au nom de la Raison ou par amour de
l’Humanité.
Articles de L’Encyclopédie : ex. Article Paix écrit par DIDEROT :
« Les passions aveugles des princes les portent à étendre les bornes de leurs Etats, peu occupés du bien
de leurs sujets. Ils ne cherchent qu’à grossir ce nombre des hommes qu’ils rendent malheureux. Ces
passions allumées ou entretenues par des ministres ambitieux, ou par des guerriers dont la profession
est incompatible avec le repos, ont eu dans tous les âges les effets les plus funestes pour l’humanité.
L’histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes et cruelles, de champs
dévastés, de villes réduites en cendres ».

Article Guerre par DE JAUCOURT (1704-1779) :


« La guerre étouffe la voix de la nature, de la justice, de la religion et de l’humanité. Elle n’enfante que
des brigandages et des crimes ; avec elle marche l’effroi, la famine et la désolation ».

Cependant, des nuances : ainsi, dans l’article Puissance, DIDEROT démontre qu’il n’est
pas hostile aux exigences et aux bienfaits de la force. De même, le despotisme éclairé n’exclut
pas certaines formes de nationalisme. Nombre d’auteurs se montrent plutôt sceptiques
(résignation, fatalité) quant à la possibilité de fonder une paix véritable. Ainsi, VOLTAIRE,
frappé par l’absurdité des guerres (Essai sur les mœurs, 1753 ; Candide, 1759) et surtout dans
son Dictionnaire philosophique (1764), l’article Patrie :
« Il est triste que souvent, pour être bon patriote, on soit l’ennemi du reste des hommes… Telle est la
condition humaine, que souhaiter la grandeur de son pays c’est souhaiter du mal à ses voisins. Celui
qui voudrait que sa patrie ne fût jamais ni plus grande ni plus petite, ni plus riche ni plus pauvre serait
le citoyen de l’univers »

Le défenseur du huguenot Jean CALAS (accusé d’avoir assassiné son fils désireux de se
convertir au catholicisme) fustige, dans son Traité sur la Tolérance (1763), les querelles
humaines fondées sur les différences religieuses :
« Il ne faut pas un grand art, une éloquence bien recherchée, pour prouver que des chrétiens doivent se
tolérer les uns les autres. Je vais même plus loin, je vous dis qu’il faut regarder tous les hommes comme
nos frères. Quoi ! mon frère le Turc , mon frère le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? Oui, sans doute. Ne
sommes-nous pas tous enfants du même père et créatures du même Dieu ? »

(Chap. XXII, De la tolérance universelle)

« Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse, c’est à Toi, Dieu de tous les mondes et de tous les
temps… Daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ! (…) Tu ne nous as point donné
un cœur pour nous haïr, et de mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à
supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ! Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont
frères ! qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le
brigandage… »

(Chap. XXIII, Prière à Dieu)

La condamnation de la guerre peut, également, procéder d’une démarche utilitariste.


Ces auteurs fondent l’intérêt de la paix sur l’intérêt bien compris des Nations : David HUME
(1711-1776), Traité de la nature humaine (1738) ; Jeremy BENTHAM (1748-1832) (v.
infra) ; Jean-Baptiste SAY (1762-1832), admirateur d’Adam SMITH, grand économiste et
industriel, gérant d’une filature de coton dans le Pas-de-Calais, fait l’apologie de l’industrie, du
machinisme : « La guerre coûte plus que ses frais… On finira par comprendre qu’il n’est point dans
l’intérêt des Nations de se battre. Toutes les Nations sont amies par la nature des choses et les
gouvernements qui se font la guerre ne sont pas moins ennemis de leurs propres sujets que de leurs
adversaires » (Economie politique, 1826, Livre III).

c) Le cosmopolitisme des Lumières

Le cosmopolitisme (amour de l’humanité, au-delà de l’amour de la patrie) ne


s’applique pas forcément au seul continent. Il a, aussi, une vocation planétaire. Comment ne pas
commencer par le fameux passage où MONTESQUIEU s’affirme citoyen du monde, dans une
œuvre longtemps inédite, simplement publiée en 1941 (Cahiers) :
« Si je savais une chose utile à ma Nation qui fût ruineuse à une autre, je ne la proposerais pas à mon
Prince parce que je suis homme avant d’être Français, ou bien parce que je suis nécessairement homme
et que je ne suis Français que par hasard »

Les écrivains qui voyagent à travers l’Europe (comme tout écrivain ou philosophe des
Lumières qui se respecte) se veulent ou s’affirment cosmopolites5.

VOLTAIRE (« Tout homme est né avec le droit de se choisir une patrie »)


ROUSSEAU (« Il n’y a plus aujourd’hui de Français, d’Allemands, d’Espagnols,
d’Anglais même, il n’y a plus que des Européens »)
HELVETIUS (De l’Esprit, 1758) ; le Baron D’HOLBACH (Le système social, 1774)
MABLY (1709-1785) : Il a été chargé de missions diplomatiques lors de la Paix de
BREDA en 1746 (Droit public de l’Europe fondé sur les traités, 1748). Dans les Entretiens de
Phocion (1767), il fait soutenir à celui-ci l’existence d’une vertu supérieure à l’amour de la
patrie qui est l’amour de l’humanité (présence aussi du discours utilitariste).
CONDORCET (Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain,
1793). Pour lui, la guerre est « le plus grand des crimes » : l’avènement de la démocratie doit
éliminer les guerres de prestige et le développement des échanges établir, progressivement, une
grande solidarité entre les peuples
KANT, qui soutient l’idée d’un Etat universel (Weltstaat, Weltrepublik) en 1784 (Idée
pour une histoire universelle du point de vue cosmopolite). Il sera plus prudent, par la suite.
L’abbé Guillaume RAYNAL (1713-1796). Il abandonne le sacerdoce pour la
philosophie, fréquente les salons d’HOLBACH et d’HELVETIUS. Auteur d’un ouvrage
anticolonialiste et anticlérical (Histoire philosophique et politique des établissements et du
commerce des Européens dans les deux Indes), publié en 1770 (clandestinement) et qui l’oblige
à l’exil auprès de FREDERIC II, puis de CATHERINE II :
« Pourquoi ne serait-elle pas un jour soumise à la même forme de gouvernement ? Pourquoi les princes
composant un pareil tribunal dont l’autorité consentie par tous et maintenue par l’universalité contre
un seul rebelle, le beau rêve de l’abbé de Saint Pierre ne se réaliserait-il pas ? »

Johan Gottfried HERDER (1744-1803). Ecrivain et philosophe allemand (même s’il


reste très attaché à retrouver les sources de la culture germanique) : « le patriotisme de
l’Allemand consiste à être cosmopolite ».

5
Il faut y ajouter l’influence des loges maçonniques qui séduisent par leur esprit humanitaire et dont les rituels
fédèrent leurs adhérents au-delà même des frontières nationales.
Friedrich VON SCHILLER (1759-1805). Allemand favorable à la Révolution
française, fait citoyen français par la Législative en 1792, il exalte la liberté, écrit un appel à la
fraternité (Ode à la joie : « Plus de haine ! Plus de pleurs ! Tous les hommes sont des frères »),
immortalisé par BEETHOVEN à la fin de sa IX° Symphonie (1824).

Deux importantes précisions : 1. le cosmopolitisme est celui d’un groupe limité : celui
porteur d’une culture matérialisée dans la circulation des livres et des personnes, dans les
salons, les clubs, les sociétés de pensée, les académies ; 2. il doit être concilié avec l’essor de
l’idée nationale (par ex., exaltation des vertus du citoyen, du soldat, notamment dans les
collèges tenus par les Oratoriens.

d) Le second visage du cosmopolitisme est celui du cosmopolitisme du XIX° siècle


Il ne présente pas d’unité : cosmopolitisme libéral et cosmopolitisme socialiste (celui de
Karl MARX et de la célèbre formule « Prolétaires de tous les pays… » (Le Manifeste
communiste date de 1848) ou celui de PROUDHON (v. infra).

Importance du cosmopolitisme des Romantiques


La suissesse Germaine DE STAËL, fille du banquier genevois et ministre de LOUIS
XVI, NECKER, qui réunit tant d’intellectuels européens (CONSTANT, SISMONDI…) au
château de Coppet. Cependant, ce cosmopolitisme ne vise pas à éliminer les différences mais à
s’enrichir des formes contrastées des âmes nationales (G. de STAËL, De l’Allemagne (1813).
Même si les sources du Premier Romantisme (goût de la nature sauvage, retour aux
sources, attrait du Moyen Age…) pouvait conduire à une nostalgie, celle de l’Europe médiévale
où les hommes étaient liés par le christianisme, une communauté dont la décadence a amené les
peuples à se diviser en Etats divers : ex. typique de l’œuvre du Baron Friedrich VON
HARDENBERG (dit NOVALIS), poète allemand (1772-1801), élève de SCHILLER).
Œuvres de 1799 : Cantiques ; La Chrétienté ou l’Europe. Un important élément conforte le
cosmopolitisme : la Révolution industrielle et l’illusion scientiste : croyance en un progrès
spontané des sociétés vers la paix. Benjamin CONSTANT (De l’esprit de conquête…, 1814) ;
Jean-Baptiste SAY (Economie politique, 1826, Livre II) ; Auguste COMTE (Cours de
philosophie positive, 1842, 5° et 6° Leçon) la guerre est condamnée par l’évolution de la
société, elle est incompatible avec les exigences de la société industrielle (solidarité et
organisation rationnelle des activités productives) ; Pierre Joseph PROUDHON (La guerre et
la paix, 1861).

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