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§. 2. Les projets
6 monarchies électives
Rome et Royaume de Naples / Venise / Empire / Pologne / Hongrie / Bohême
3 Républiques fédératives
Belgique (Hollande et Pays-Bas espagnols), Itaque (Gênes, Lucques, Florence, Madère,
Parme et Plaisance) et Suisse
a) Le Conseil général
« Un Conseil général de quarante personnages, fort qualifiés, et surtout bien avisés, parmi lesquels le
Pape, l’Empereur, les rois de France, d’Espagne et de Grande-Bretagne en nommeront chacun
quatre »
Siège dans les villes qui sont « le plus au milieu de l’Europe », par roulement annuel
jusqu’à ce que chacune des 15 dominations ait eu son tour.
b) Des Conseils régionaux (six)
« quant au troisième point consistant en l’établissement d’un certain nombre de conseils si bien ajustés,
situés et puissamment autorisés qu’ils puissent être rendus capables de terminer toutes les diversités des
prétentions et contrariétés d’opinions qui pourraient intervenir entre tant de grands potentats et
peuples, lesquels doivent composer cette universelle république très chrétienne… proposons-nous
semblablement l’établissement de sept conseils…1 à cause de la grande étendue des peuples de tant de
divers Etats, langues et nations qui en devaient convenir, à savoir un général pour tous les associés et
six particuliers pour six particulières dominations »
« La république très chrétienne étant une fois établie, nul des associés ne s’en pourra départir ni
séparer sans attirer sur lui la malveillance de tous les autres, voire leur agression par la guerre si le
cas y échet ; aucuns de ceux qui auront signé l’association venaient à se départir ou refroidir d’elle, ils
seront poursuivis comme ennemis par tous les autres conjointement »
1
Le Conseil général et les six Conseils régionaux.
Section 2. L’Europe westphalienne
§ 1. Le cadre général
A. L’acte fondateur
Non à un traité collectif mais à deux traités bilatéraux (dualité nécessaire pour séparer
catholiques et protestants), bénéficiant de la garantie des deux puissances alliées des princes
allemands réformés (droit d’intervention en Allemagne, jamais appliqué) : le Traité de Münster
(conclu entre la France de Louis XIV, l’Empereur Ferdinand III et les princes allemands, et qui
permet à l’Alsace de devenir française) et le Traité d’Osnabrück (entre l’Empire et la Suède).
Nébuleuse constituée de 355 Etats allemands indépendants qui peuvent conclure des
alliances, voire s’engager dans des guerres, sous réserve de ne pas aller à l’encontre des intérêts
de l’Empereur ou des traités. L’Empire devient une coquille vide, l’autorité de l’Empereur
restant largement symbolique en raison de la nécessité d’obtenir l’unanimité de la Diète pour
les grandes décisions politiques (guerre, paix, lever des taxes…). Après l’échec cuisant subi au
siècle précédent par CHARLES QUINT (v. supra), se trouve ainsi scellée l’échec de la
volonté hégémonique des Habsbourg, de leur rêve d’unité allemande et d’unité de la
Chrétienté, le rêve médiéval d’une société hiérarchisée, le rêve de la respublica christiana.
1. La nouvelle société européenne est une société interétatique qui postule l’anarchie des
souverainetés et un ordre amoral (primat des intérêts nationaux sur les considérations
éthiques), et qui n’exclut pas les rivalités et les guerres (ex. emblématique de 1914-1918).
Une société où, notamment, au XIX° siècle (unifications allemande et italienne,
indépendance de la Belgique en 1830 contre le Roi des Pays-Bas, volonté d’autonomie et
d’indépendance des peuples soumis à l’Empire ottoman comme les Serbes, les Grecs, les
Roumains et les Bulgares), le souci de la conservation du statu quo va devoir affronter la
vigueur du nationalisme.
2
Prélude à une lutte contre les hérétiques chez les Catholiques et chez les Protestants : par ex., 100 000 personnes
exécutées en Allemagne.
Discours de la supériorité de l’Europe (et des peuples d’origine européenne), il est vrai
le centre le plus créatif (thèse de Jean-Baptiste DUROSELLE, L’Europe – histoire de ses
peuples, Perrin, 1990). Repris par les fondateurs de l’anthropologie et, systématisé au XIX°,
voire au début du XX° siècle, par des membres importants de la doctrine internationaliste : ex.
de l’américain Henry WHEATON (Eléments de droit international, traduction française,
1874) :
« Le droit international public, à peu d’exceptions près, a toujours été et est encore limité aux peuples
civilisés et christianisés d’Europe et à ceux d’origine européenne »
C. L’Europe belliqueuse
a) Il ne s’agit pas d’établir les bases d’une union européenne mais, principalement, de fonder la
paix par l’équilibre des puissances. Critiqué dans de nombreux projets, le principe de
l’équilibre apparaît comme le seul moyen de régulation de la société internationale en l’absence
d’autorité suprême : seule la balance des forces, sorte de contrepoids aux ambitions
hégémoniques. Le principe est explicitement consacré dans l’ar. 2 du Traité d’Utrecht (1713) :
« La paix et la tranquillité (sont désormais assurés) par un juste équilibre de la puissance… meilleur
fondement d’une amitié naturelle et d’une union durable »
a) Au départ, existe une volonté de rupture avec le droit de la société westphalienne (car
révolutionner le droit interne ne suffit pas), ton prophétique et universaliste (proclamation de
« vérités immuables » mais a priori idéologie pacifiste, comme en témoigne la (Assemblée
nationale constituante, Décret du 22 mai 1790, repris dans le Titre VI de la Constitution du 3
septembre 1791)3 :
« La Nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes et elle
n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple »
3
La formulation se retrouve dans le préambule de la Constitution du 4 novembre 1848 (« Elle (la République
française) n’entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n’emploie jamais ses forces contre la liberté
d’aucun peuple ») et dans celui de la Constitution du 27 octobre 1946 (« La République française, fidèle à ses
traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues
de conquête et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple »).
Pour les révolutionnaires français, la conviction qu’en encourageant la libération des
peuples de l’Europe, on développera l’entente entre eux les confronte à la question de
l’exportation de la révolution (ex. annexion du Comtat Venaissin en septembre 1791).
Déjà, lors de la (14 juillet 1790), Anacharsis CLOOTS (République universelle du
genre humain avec Paris comme capitale) annonce que « cette fête sera celle du genre
humain ». Le Comte de VOLNEY lance cet appel : « Ö Nations, bannissons toute tyrannie et
toute discorde, ne formons qu’une société, qu’une grande famille » (Les Ruines ou Méditations
sur les révolutions et les empires, 1791).
Est ici emblématique l’affrontement entre le girondin BRISSOT, appuyé par la
bourgeoisie d’affaires en butte à la concurrence britannique (pour une « croisade de la liberté
universelle ») et le montagnard Maximilien ROBESPIERRE (qui craint que la défaite
provoque un retour à l’Ancien Régime et le succès conduise à la dictature d’un général
victorieux, soit un César soit une défaite de la Révolution). Pour ce dernier (3 grands discours
devant la Société des Jacobins, les 18 décembre 1791, 2 et 25 janvier 1792), la guerre est
dangereuse pour la Révolution : « Remettez de l’ordre chez vous, avant de porter la liberté
ailleurs » (2 janvier 1792). Il raille ceux qui remportent des victoires faciles sur le despotisme à
la tribune des assemblées, qui décrivent les guerres comme des conflits « terminés dans les
embrassements fraternels de tous les peuples d’Europe » et pour lesquels « nos généraux ne
sont plus que des missionnaires de la Constitution » et notre camp « qu’une école du droit
public » (2 janv. 1792). Il ne suffit pas d’envahir un territoire pour que sa population adopte les
idées de la Révolution car « personne n’aime les missionnaires armés » (même date). Le 19
nov. 1792, au moment où est adopté le célèbre décret (« La Convention nationale déclare, au
nom de la Nation française, qu’elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui
voudraient recouvrer leur liberté et charge le pouvoir exécutif de donner aux généraux les
ordres nécessaires pour porter secours à ces peuples et défendre les citoyens qui auraient été
vexés ou qui pourraient l’être pour la cause de la liberté», il dénonce encore ceux qui veulent
« planter l’étendard tricolore jusque sur les bornes du monde »). Robespierre approfondit les
mêmes thèmes dans ses Lettres à ses commettants (févr. 1793) : la nécessité d’aider les peuples
à se libérer doit tenir compte du fait qu’ils n’ont pas tous les mêmes mœurs ni le même degré
de lumières et en s’appuyant avant tout sur le temps, la raison et l’exemplarité du modèle
français. Comme le grand jurisconsulte suisse Emer de VATTEL (Droit des gens ou Principes
de la loi naturelle appliquée à la conduite des affaires des nations et des souverains, 1756) qui
ironisait sur les dévots qui s’efforcent de faire le salut des incrédules par le fer et le feu : « On
peut aider la liberté, jamais la fonder par l’emploi d’une force étrangère ».
Un ex. emblématique de l’expansionnisme révolutionnaire : le Chant du départ (1794),
une hymne patriotique de Marie-Joseph CHENIER (1764-1811, homme politique et écrivain,
membre de la Convention nationale, des Cinq Cent, du Tribunat, inspecteur général de
l’Université sous l’Empire)4, composé pour le 5° anniversaire de la Prise de la Bastille et mise
en musique par Etienne MEHUL (1763-1817) :
(…)
Ainsi – par une sorte d’anticipation des révolutions du XX° siècle – l’utopie
révolutionnaire s’abîme dans les guerres de la fin du XVIII° et du début du XIX° siècles . La
circonspection de ROBESPIERRE sera, bientôt, relayée en 1814 par Benjamin CONSTANT
(De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation
européenne) :
« Mais autre chose est défendre sa patrie, autre chose attaquer des peuples qui ont aussi une patrie à
défendre. L’esprit de conquête cherche à confondre ces deux idées. Certains gouvernements, quand ils
envoient leurs légions d’un pôle à l’autre, parlent encore de la défense de leurs foyers ; on dirait qu’ils
appellent leurs foyers tous les endroits où ils ont mis le feu »
4
Frère du poète André CHENIER (1762-1794), l’auteur de La jeune Tarentine, royaliste ayant écrit des Hymnes
et des Odes sur Charlotte CORDAY, exécuté le 7 thermidor An II.
Comme le craignait ROBESPIERRE, la Révolution accouche du Bonapartisme qui
retrouve le rêve de ressusciter Rome et CHARLEMAGNE, ce qui fait dire à METTERNICH
en 1809 que Napoléon Bonaparte est le « souverain de l’Europe ».
a) Toujours (de HEGEL à VON MOLTKE) le discours sur le caractère bienfaisant, salvateur
de la guerre (la guerre comme moyen d’éviter la dégénérescence). Karl VON CLAUSEWITZ
(1780-1831) : général prussien, théoricien et diplomate, tire les leçons des guerres totales de la
Révolution française et de l’Empire (levée en masse, guerre révolutionnaire) : une nation doit
s’y consacrer tout entière et pas simplement par le moyen de son armée. Auteur du célèbre De
la guerre (« La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens »), lu par nombre
de militaires, d’hommes politiques et de philosophes. Helmut VON MOLTKE (1800-1891) :
Feld-Maréchal allemand, disciple du précédent, important rôle dans la conduite des opérations
militaires en 1870-1871, organisateur de l’armée allemande. Partisan de la guerre vitalité,
élément d’énergie qui empêche les hommes de « croupir dans le matérialisme ».
b) Simultanément, se manifeste toujours une répulsion à l’égard de la guerre
Dans son Télémaque (1689, dans l’Odyssée, fils unique d’Ulysse et de Pénélope), il vise
le Roi lui-même et vante l’arbitrage. Cet écrit est prolongé par les lettres très hardies au
monarque (1694) puis en 1699 (Examen de conscience sur les devoirs de la royauté) :
« On pend un pauvre malheureux pour avoir volé une pistole sur le grand chemin, dans son besoin
extrême : et on traite de héros un homme qui fait la conquête, c’est-à-dire qui subjugue injustement les
pays d’un Etat voisin »
Pacifisme des Lumières, et, au-delà, au XIX° siècle, chez VIGNY (Servitudes et
grandeurs militaires, 1835) et LAMENNAIS (Le Livre du peuple, 1838).
Mise en avant des valeurs attachées à la paix : Raison, Nature, Progrès, Bonheur,
Liberté ; critique de la guerre par les Philosophes au nom de la Raison ou par amour de
l’Humanité.
Articles de L’Encyclopédie : ex. Article Paix écrit par DIDEROT :
« Les passions aveugles des princes les portent à étendre les bornes de leurs Etats, peu occupés du bien
de leurs sujets. Ils ne cherchent qu’à grossir ce nombre des hommes qu’ils rendent malheureux. Ces
passions allumées ou entretenues par des ministres ambitieux, ou par des guerriers dont la profession
est incompatible avec le repos, ont eu dans tous les âges les effets les plus funestes pour l’humanité.
L’histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes et cruelles, de champs
dévastés, de villes réduites en cendres ».
Cependant, des nuances : ainsi, dans l’article Puissance, DIDEROT démontre qu’il n’est
pas hostile aux exigences et aux bienfaits de la force. De même, le despotisme éclairé n’exclut
pas certaines formes de nationalisme. Nombre d’auteurs se montrent plutôt sceptiques
(résignation, fatalité) quant à la possibilité de fonder une paix véritable. Ainsi, VOLTAIRE,
frappé par l’absurdité des guerres (Essai sur les mœurs, 1753 ; Candide, 1759) et surtout dans
son Dictionnaire philosophique (1764), l’article Patrie :
« Il est triste que souvent, pour être bon patriote, on soit l’ennemi du reste des hommes… Telle est la
condition humaine, que souhaiter la grandeur de son pays c’est souhaiter du mal à ses voisins. Celui
qui voudrait que sa patrie ne fût jamais ni plus grande ni plus petite, ni plus riche ni plus pauvre serait
le citoyen de l’univers »
Le défenseur du huguenot Jean CALAS (accusé d’avoir assassiné son fils désireux de se
convertir au catholicisme) fustige, dans son Traité sur la Tolérance (1763), les querelles
humaines fondées sur les différences religieuses :
« Il ne faut pas un grand art, une éloquence bien recherchée, pour prouver que des chrétiens doivent se
tolérer les uns les autres. Je vais même plus loin, je vous dis qu’il faut regarder tous les hommes comme
nos frères. Quoi ! mon frère le Turc , mon frère le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? Oui, sans doute. Ne
sommes-nous pas tous enfants du même père et créatures du même Dieu ? »
« Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse, c’est à Toi, Dieu de tous les mondes et de tous les
temps… Daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ! (…) Tu ne nous as point donné
un cœur pour nous haïr, et de mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à
supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ! Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont
frères ! qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le
brigandage… »
Les écrivains qui voyagent à travers l’Europe (comme tout écrivain ou philosophe des
Lumières qui se respecte) se veulent ou s’affirment cosmopolites5.
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Il faut y ajouter l’influence des loges maçonniques qui séduisent par leur esprit humanitaire et dont les rituels
fédèrent leurs adhérents au-delà même des frontières nationales.
Friedrich VON SCHILLER (1759-1805). Allemand favorable à la Révolution
française, fait citoyen français par la Législative en 1792, il exalte la liberté, écrit un appel à la
fraternité (Ode à la joie : « Plus de haine ! Plus de pleurs ! Tous les hommes sont des frères »),
immortalisé par BEETHOVEN à la fin de sa IX° Symphonie (1824).
Deux importantes précisions : 1. le cosmopolitisme est celui d’un groupe limité : celui
porteur d’une culture matérialisée dans la circulation des livres et des personnes, dans les
salons, les clubs, les sociétés de pensée, les académies ; 2. il doit être concilié avec l’essor de
l’idée nationale (par ex., exaltation des vertus du citoyen, du soldat, notamment dans les
collèges tenus par les Oratoriens.