You are on page 1of 2

GEJ10 C99

Le prêtre cherche à justifier sa vie mondaine


1. Le prêtre répondit:« O maître d'une sagesse véritablement surhumaine, je t'ai bien compris, et je
vois encore plus clairement qu'avant que tu dois être puissamment aidé par un Dieu vivant, sans
quoi il te serait tout à fait impossible de savoir mieux que nul ne l'a jamais su à Rome, et encore
moins ailleurs, ce que j'ai fait pendant mes années de jeunesse !
2. Tout ce que tu m'as dit est la pure vérité, et je pourrais dire que ce n'est pas toi, un homme comme
moi, qui as parlé ainsi, mais qu'un Dieu a parlé à travers toi.
3. Mais songe à notre condition humaine, ainsi qu'aux circonstances politiques, qui nous lient par
des chaînes d'airain, et qui ne sont certes pas l'œuvre des prêtres d'aujourd'hui.
4. Si l'on en juge par la raison, l'homme est une créature bien misérable : il vient au monde à son
insu et sans l'avoir voulu ; dès sa naissance, il doit être nourri pour conserver cette fâcheuse vie et
devenir, selon les lois immuables de la nature, un homme fort.
5. Dès que l'on est assez grand pour distinguer le jour de la nuit et le rouge du vert, les parents
entreprennent avec zèle une éducation dont aucun enfant ne peut décider.
6. Lorsque enfin, à force d'apprendre, on est devenu un homme instruit, il faut choisir un état dans
lequel on pourra gagner son pain toute sa vie. Puisqu'il faut bien vivre, on aimerait vivre aussi bien
que possible, aussi choisit-on raisonnablement, selon ses aptitudes, l'état dans lequel on pourra
encore vivre le plus librement et le mieux sous le joug de la puissance publique. Pour moi, ce fut la
prêtrise, et je devins prêtre, sans considérer si ce que je représentais reposait sur le mensonge et la
tromperie ou sur une quelconque vérité - bref, selon les lois publiques, je devais devenir ce que je
suis encore à présent.
7. Ainsi, dès l'enfance, ce qui m'importait avant tout était le monde, et de pourvoir au mieux à mes
propres besoins. Naturellement, d'autres besoins s'éveillèrent en moi par la suite, et, puisque j'avais
les moyens de les satisfaire - toujours légalement, bien sûr -, je les satisfaisais autant que possible,
et aucune divinité n'est jamais descendue du ciel ou sortie de la terre pour me dire : "Prêtre, tu vis
et agis à l'encontre de Ma volonté et de Mon ordonnance ! A l'avenir, vis comme ceci et comme
cela, sans quoi Je te châtierai durement !"
8. Dans de telles conditions, le cœur et l'âme ne peuvent être emplis que d'un amour matériel impur
et non spirituel, et, comme aucune influence purement spirituelle et divine ne venait contrarier cela,
je m'en tenais, au moins pour l'apparence, à ce que j'étais et devais être aussi, selon les lois
publiques, même si, à la longue, surtout l'âge venant, je me posais toujours plus souvent cette
question : y a-t-il donc une seule parcelle de vérité dans ce à quoi tu présides et t'adonnes ? De toute
évidence. ce que j'enseigne et fais n'est que mensonge et tromperie. N'y a-t-il donc plus aucune
vérité première en ce monde ?
9. Je n'ai jamais cessé de chercher et chercher sans relâche presque jusqu’à ce jour, et je n'ai rien
trouvé ! Comment aurais-je pu aller avec le plus pur amour à la rencontre d'une vraie divinité qui
n'a jamais voulu se révéler à moi d'aucune manière? On ne saurait aimer ce qui n'est pas là, que ce
soit un Dieu ou tout autre objet à qui l'imagination des hommes prête la plus grande valeur.
10. Qu'y puis-je donc, ô très sage maître, si, dans ma vie, j'ai finalement dû aimer les satisfactions
que je pouvais atteindre ? Car, pour le bon sens, c'est être un fou que d'aimer les représentations de
sa propre imagination !
11. Si donc j'aurais dû depuis longtemps aimer par-dessus tout l'unique vrai Dieu vivant, et mépriser
et fuir les agréments que le monde offre aux yeux de tous, il aurait fallu que ce Dieu se révélât à
moi, ou que l'ardente ferveur de mon imagination m'en procurât un ! Mais ni l'un ni l'autre n'est
arrivé, et il est donc bien compréhensible qu'ayant été mis au monde et élevé pour jouir du monde
avec ses richesses et ses biens qui nourrissent et réjouissent les hommes, je n'aie pu les sacrifier à un
être qui, pour moi, n'existait nulle part.
12. Quoi qu'il en soit, il est vrai que mon cœur est encore tout empli du monde ; mais qu'une vraie
divinité unique se révèle à moi aujourd'hui, en cet instant, et me dise ce que je dois faire, et tout
l'ancien monde me quittera sur-le-champ !
13. Si seulement cette Perle de Rome m'avait donné ne fût-ce qu'une fois l'assurance qu'elle serait
mienne si je faisais ou cessais de faire telle chose ou telle autre, je serais déjà devenu alors cet
homme à qui aucun sacrifice n'est trop pénible ! Mais cela n'est pas arrivé, et c'est ainsi que j'en suis
resté à ce qu'il m'était le plus facile d'atteindre.
14. Je sais bien que tous ceux que j'ai connus - et, de mémoire d'homme, il en a toujours été ainsi-
vivent dans la détresse et la confusion, et finissent souvent par mourir dans un grand désespoir ,
mais à quoi bon savoir cela, si personne ne vient leur montrer quelle est la vérité ?
15. Ah, très sage maître, tu as certes tout à fait raison en tout ce que tu dis ; mais je n'ai pas tort non
plus, selon la raison humaine ! Les pauvres humains y peuvent-ils quelque chose s'ils sont venus au
mande aveugles, et s'ils ont dû se laisser élever dans le mensonge et la tromperie ? N'ai-je pas raison
de dire cela ? »

You might also like