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Alain CHOUET
Chef d’etudes en retraite au ministère de la Défense, Alain Chouet a été successivement détaché
dans les ambassades de France au Liban, en Syrie, au Maroc et en Belgique, ainsi qu’à la Mission
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seraient en quelque sorte que le fer de lance d’un monde irréductiblement opposé
à l’Occident.
« We’ve been attacked first ! » proclamaient les affichettes de soutien à la
campagne militaire en Irak exposées sur les devantures des magasins américains
en avril 2003, déclinant des images apocalyptiques de Ground Zero comme si
l’unicité de doctrine et d’action entre le dictateur irakien et l’aventurier saoudien
était avérée, et alimentant la perception, largement répandue en Occident, que le
monde islamique est un monde de violence indifférenciée avec lequel il serait
préférable de ne pas avoir de relations s’il n’existait le « scandale géologique » du
Golfe.
De fait, si l’on considère le tableau d’ensemble des cinquante dernières années,
l’image du monde arabo-islamique n’est guère encourageante : régimes
dictatoriaux généralisés opprimant leurs populations et pourchassant leurs
opposants dans le monde entier, agressions permanentes contre leurs voisins et
le reste du monde, utilisation systématique de la violence politique à l’intérieur et
du terrorisme à l’extérieur, aussi bien par les Etats que par les organisations
politiques et religieuses. Mais cette méthode d’observation globalisante n’est sans
doute pas la meilleure pour appréhender la réalité. Si on l’applique aux cinquante
e
premières années du XX siècle en Europe, Russie comprise, il apparaît que la
quasi-totalité des pays de ce continent ont connu des régimes dictatoriaux et que
près de 100 millions de personnes y sont mortes par fait de guerre, guerre civile,
pogroms, attentats anarchistes et irrédentistes, ou répressions diverses. Aucun
observateur scientifique n’accepterait pour autant de considérer que la dictature
est consubstantielle à la culture européenne ou que les massacres de masse sont
inhérents à la sphère chrétienne.
De même, la perception qui prévaut actuellement du monde arabo-musulman
résulte d’une erreur de perspective dans l’espace, elle-même étroitement liée à
une erreur de perspective dans le temps. Il faut reconnaître qu’une part de ces
erreurs est directement imputable aux Arabes et aux musulmans eux-mêmes. En
se réclamant sans cesse – de façon incantatoire – d’une unité du monde arabe et
de l’oumma musulmane même s’ils n’y croient guère, en soutenant – par une
solidarité communautaire et quasi tribale – les plus indéfendables d’entre eux
française auprès des Nations unies à Genève, avant de devenir conseiller technique puis chef de
service dans son ministère d’origine.
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même s’ils les haïssent, en glorifiant – par défi à l’arrogance occidentale – les plus
extrêmes et les plus spectaculaires violences même s’ils les réprouvent, ils
donnent l’impression d’être partout les mêmes, partageant le même rejet de
l’Autre, instruments actuels ou potentiels d’une Qaïda planétaire et permanente
qui, depuis le détournement aérien massif de Zarqa, en septembre 1970, terrorise
le monde entier.
Si le but principal du terrorisme est de terroriser, c’est-à-dire – avec une grande
économie de moyens – de plonger un adversaire supérieur en force et en nombre
dans une confusion telle qu’il ne saura analyser la menace objectivement pour y
faire face de façon adaptée, puis de l’amener à se rendre sans combattre ou à
aggraver sa situation par des initiatives inconsidérées, alors il est incontestable
que Ben Laden a marqué des points. Mais, à y regarder de près, les activités
terroristes émanant du monde arabo-musulman depuis une quarantaine d’années
– même si elles n’ont connu que peu d’accalmies – ne s’inscrivent dans aucune
continuité stratégique, spatiale ou temporelle. Leur seul point commun est d’ordre
tactique. Comme toutes les entreprises terroristes, qu’elles soient d’ordre interne
ou international, elles mettent en jeu des manœuvres du faible au fort, chaque
action servant de modèle, de référence et de creuset expérimental pour la
suivante. De la stratégie d’éveil des organisations palestiniennes dans les années
1970, relayant les tensions de la guerre froide, à la stratégie psychotique de la
Qaïda des années 1990, en passant par les diverses stratégies d’Etat des années
1980, l’organisation et la motivation des mouvances violentes dans le monde
arabo-musulman se sont progressivement diluées, individualisées et atomisées.
S’il a certainement existé une forme de « chef d’orchestre rouge » dans la ligne du
Komintern pour donner un sens à la violence euro-palestinienne de la décennie
1970, il ne semble pas exister de « chef d’orchestre vert » pour orienter la violence
islamiste de la dernière décennie. Vouloir en inventer un ne peut conduire qu’à
l’incompréhension du phénomène et à l’échec de sa prévention.
Le « fil rouge »
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commencé dès la fin des années 1960, avec le détournement de plusieurs avions
civils israéliens, et au début des années 1970 avec, en particulier, le
détournement aérien multiple de Zarqa et la prise d’otages occidentaux dans les
grands hôtels d’Amman. Ce type de terrorisme n’avait aucune connotation
islamique, bien au contraire, et était principalement le fait d’organisations
chrétiennes ou laïques (Front populaire de libération de la Palestine [FPLP], Front
populaire de libération de la Palestine-Commandement général [FPLP-CG], Front
démocratique de libération de la Palestine [FDLP), Septembre noir, Saïqa1, etc.).
Sur fond de libération de la Palestine, leur action s’inscrivait dans un cadre
complexe de rivalités interpalestiniennes ou interarabes et dans celui, plus
général, de la guerre froide. Leurs responsables politiques, majoritairement de
confession grecque orthodoxe, bénéficiaient du soutien de l’Union des républiques
socialistes soviétiques (URSS), héritière de la Russie dans la protection de cette
minorité au Moyen-Orient. Ils se réclamaient du marxisme et surtout du laïcisme, à
la recherche, comme tous les minoritaires non sunnites de la région (alaouites,
druzes, chrétiens de toutes obédiences catholiques et orthodoxes), d’idéologies
leur assurant une place dans la collectivité malgré leur différence. Leurs
responsables opérationnels, souvent formés à l’académie militaire de Simferopol,
en Ukraine, entretenaient des liens étroits avec les services spéciaux soviétiques
et satellites, dont ils servaient à l’occasion les stratégies. Cette proximité les a
conduits à des relations de connivence, à des infrastructures logistiques et de
formation parfois partagées, avec les réseaux de l’euroterrorisme (Action directe,
Brigades rouges, Prima Linea, Rote Armee Fraktion [RAF, Fraction armée rouge],
Cellules communistes combattantes [CCC], Armée rouge japonaise [ARJ], Armée
secrète arménienne pour la libération de l’Arménie [ASALA], etc.) et les réseaux
activistes du Tiers-Monde issus de la conférence tricontinentale de La Havane en
1966 (Tupamaros2, Montoneros3, fronts de libération divers).
On leur doit la plupart des nombreuses violences internationales des années
1970-1980 et la formation de mouvements locaux violents, notamment pendant la
guerre civile libanaise (Fractions armées révolutionnaires libanaises [FARL],
Organisation d’action communiste au Liban [OACL], Comité de solidarité avec les
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Force militaire formée à partir des recrutements dans les camps de réfugiés palestiniens.
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Mouvement de libération nationale uruguayen.
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Mouvement révolutionnaire argentin.
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Etats, qui ne peuvent ou ne veulent compter sur une alliance formelle pesante
avec le bloc de l’Est, poursuivront pendant une dizaine d’années ce que les
experts en stratégie ont qualifié par euphémisme de « confrontation asymétrique »
avec l’Occident et avec leur voisinage régional.
L’utilisation du terrorisme par l’Iran, qu’il s’exerce directement par l’action de ses
services spéciaux ou indirectement par le biais d’organisations chiites locales
comme le Hezbollah au Liban, n’a jamais répondu, quoi qu’on ait pu en dire à
l’époque, à une quelconque volonté de prosélytisme religieux mais plutôt à la
défense et à la promotion d’intérêts nationaux :
- lutte contre les opposants (royalistes, libéraux, Moudjahidines du peuple)
réfugiés en Europe ;
- défense des intérêts financiers de Téhéran aux Etats-Unis (gel des avoirs de la
République islamique d’Iran [RII]), en France (apurement du contrat Eurodif), au
Royaume-Uni, en République fédérale d’Allemagne (RFA), etc. ;
- pression sur les soutiens internationaux à Saddam Hussein, notamment la
France, pendant la guerre avec l’Irak ;
- compétition avec l’Arabie Saoudite pour la légitimité et le leadership régional et
musulman impliquant une participation active à la lutte palestinienne et des contre-
mesures à l’activisme sunnite au Maghreb, en Asie centrale et du Sud-Est, en
Afrique et au Proche-Orient .
Dès l’obtention des résultats escomptés de cet usage calculé de la violence
internationale (marginalisation des opposants de l’Iran, règlement du contentieux
Eurodif, départ des contingents occidentaux du Liban, fin du conflit avec l’Irak,
etc.), Téhéran a mis un frein à ses actions violentes, uniquement réservées par
prudence à ses contentieux de voisinage proche, et le ministère iranien du
Renseignement a entrepris d’adresser à ses homologues occidentaux, et même
arabes, des signaux d’apaisement et parfois de coopération.
Mais les constantes demeurent. Dans sa rivalité régionale et internationale avec le
monde sunnite et l’Occident, l’Iran conserve le contrôle des organisations chiites
locales, en particulier le Hezbollah libanais, et de certains mouvement extrémistes
palestiniens (Djihad islamique). Ceux-ci peuvent à tout moment être réactivés,
même de façon oblique ou indirecte, pour la sauvegarde des intérêts de Téhéran
au plan international.
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La Syrie est gouvernée par sa minorité alaouite, qui se veut laïque à défaut de
pouvoir se dire musulmane orthodoxe, et est jugée renégate par l’islam orthodoxe
e
depuis la fatwa d’Ibn Taymiyya au début du XIV siècle. Elle ne saurait non plus
être suspecte d’activisme islamique. Ayant longuement éprouvé l’efficacité des
mouvements activistes palestiniens et libanais, elle les a repris sous sa tutelle, y
compris le trop fameux Carlos, pour promouvoir des intérêts nationaux et
communautaires :
- lutte contre ses opposants (Frères musulmans, libéraux, baasistes exclus) en
Europe ;
- établissement permanent de sa présence au Liban et de son contrôle sur les
organisations palestiniennes en violation du droit international et du consensus
régional ;
- signaux préventifs à la Turquie dans les contentieux pour les eaux de
l’Euphrate et du sandjak d’Alexandrette (Turquie) ;
- chantage financier sur les pétromonarchies arabes et défense préventive de la
communauté alaouite face aux anathèmes wahhabites.
Là encore, quand il est apparu que l’usage systématique du terrorisme
international pouvait coûter plus cher qu’il ne rapportait, et que le « parapluie
soviétique » devenait inefficient, le pragmatique Hafez al-Assad n’a pas hésité à
changer de méthode et à tenter de se dédouaner en expulsant les plus activistes
des Palestiniens, en particulier Abou Nidal, puis en « vendant » Abdullah Oçalan
aux Turcs et Carlos aux Français par Soudan interposé. Cela ne l’a pas empêché,
pas plus que son fils et successeur Bachar, de conserver discrètement un certain
contrôle de la violence politique régionale en maintenant à Damas les bureaux des
organisations palestiniennes extrémistes du Hamas et du Djihad islamique.
Le cas de la Libye est peu ou prou similaire. Le « Guide » libyen, qui a pour le
moins une lecture très personnelle du Coran, ne saurait non plus être assimilé à
un islamiste prosélyte. Ces derniers ne manquent d’ailleurs pas de le lui rappeler
en permanence avec le soutien de Riyad, et c’est en Libye que Ben Laden
envisageait initialement de constituer un émirat islamique après en avoir chassé
l’hérétique auteur du Petit Livre vert. Muammar al-Kadhafi a cependant un grand
appétit de reconnaissance et de pouvoir au Moyen-Orient et en Afrique, mais bien
peu de moyens militaires pour le satisfaire. Dans un pays de 5 millions d’habitants,
posséder environ 3 000 chars et 2 000 avions de combat est un luxe sans doute
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La violence « satanique »
Basée sur la périphérie du monde arabe et non sur son centre, la vague de
violence islamiste qui naît au début des années 1990 est en rupture complète
avec les deux précédentes, dont elle ne reprend ni les acteurs, ni les idéologies, ni
les démarches. De fait, elle est le produit de trois dérives stratégiques :
- l’abandon progressif par les Etats-Unis, à partir de 1990, des groupes militants
et mercenaires islamistes qu’ils actionnaient, soutenaient et entretenaient à la
périphérie de l’empire soviétique, notamment en Afghanistan et dans les pays
musulmans favorables à Moscou ou menacés par l’influence communiste ;
- l’incapacité des Saoudiens à contrôler la vague mondiale d’intégrisme sunnite
qu’ils avaient stimulée et largement financée depuis les années 1980 dans le
monde arabo-musulman et les communautés émigrées pour faire face aux
régimes arabes progressistes et à l’influence politique grandissante de l’Iran
chiite ;
- la tentative maladroite par les cadres pachtounes de l’armée et des services
pakistanais de rentabiliser auprès des Etats-Unis le contrôle qu’ils pensaient
exercer sur les « zones grises » qu’ils avaient laissé se développer en
Afghanistan, au Baloutchistan et au Cachemire.
La conjonction de ces trois dérives va fournir le terreau de la violence terroriste qui
conduira à l’opération du 11 septembre 2001. L’exercice de l’activité terroriste
suppose en effet que trois conditions de base soient au minimum remplies :
- l’existence d’un ennemi irréductible par moyens conventionnels et justifiant une
haine absolue. L’Amérique « arrogante », fer de lance de l’Occident, objet
ambivalent d’attirance et de répulsion qui a abandonné ses « harkis » musulmans
et modifié ses alliances, fera l’affaire ainsi que ses alliés d’autant plus haïssables
qu’ils sont en terre d’Islam ;
- un financement fiable et continu. Si l’acte terroriste est en lui même peu
coûteux, le recrutement, la formation et l’entretien des militants, le soutien à leurs
familles, préalables incontournables à la constitution de tout réseau opérationnel,
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d’un Charles Manson et de sa bande4, d’un Jim Jones et de son People’s Temple
de Guyana5 ou des zélateurs de la secte japonaise Aum Shinrikyô, Ben Laden
rêve d’une violence satanique qui détruirait tout ce à quoi ses déficiences
physiques et mentales ne lui ont pas donné accès.
Contrairement à une opinion répandue, s’il indique les grandes directions, ce n’est
pas lui qui commande. Apportant ses phobies magnifiques, son prestige et son
argent, il est vite instrumentalisé par les vrais maîtres de ce que sera la Qaïda, les
cadres du Maktab al-Khidamat, Frères musulmans égyptiens, koweïtiens ou
saoudiens tels Ayman al-Zawahiri, Mohammed Atef, Abou Zoubeïda, Abou
Abderrahman, Souleyman Abou Ghaith, Sayf al-Adl et quelques autres. Pour ce
groupe inspiré par l’idéologue le plus extrémiste des Frères Musulmans, Sayyid
Qotb, l’objectif est de provoquer une rupture historique entre le monde musulman
et le reste du monde, en particulier les Etats-Unis, pour être en mesure d’y
prendre le pouvoir et les rentes qui s’y rattachent sans susciter d’intervention
extérieure. Les expériences antérieures, trop fractionnelles, ayant été des échecs
(Egypte) ou des demi-succès en voie d’effilochage (Soudan), la conjoncture
pakistano-afghane offre une fenêtre d’opportunité. L’arrivée sur zone de Ben
Laden, qui a vainement tenté d’assouvir ses fantasmes au Soudan, en Somalie et
au Yémen, est donc la bienvenue, d’autant qu’il apporte des moyens financiers, un
discours simple et galvanisant, et une stature emblématique et charismatique qui
vont permettre de faire fonctionner l’organisation sur le modèle d’une secte. Et
c’est bien sur ce modèle qu’il entend fonctionner, puisqu’il ne s’agit pas d’obtenir,
par une violence calculée, un avantage tactique ou stratégique précis et rapide,
mais de dresser un mur de haine. Il faudra donc du sang, celui des victimes, bien
sûr, mais aussi celui des militants érigés en martyrs afin que personne n’ait la
tentation de s’apitoyer sur les victimes. Seul le modèle sectaire permet de
fabriquer de tels soldats.
L’action suicide n’est pas familière à l’islam sunnite, qui a plutôt tendance à la
réprouver. Elle est en revanche plus intégrée par l’islam chiite, qui y voit une forme
d’expiation du martyre d’Ali, gendre de Mahomet, et de son fils Hussein, premiers
imams du chiisme. Largement utilisée par l’Iran et le Hezbollah au Liban pour
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Un gang de hippies criminels qui, à la fin des années 1960, rêvaient de provoquer l’Apocalypse
biblique, de mettre l’Amérique à feu et à sang.
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En novembre 1978, eut lieu le massacre de Jonestown (Guyana), au cours duquel plus de 900
disciples de Jim Jones trouvèrent la mort dans un suicide collectif ordonné par le maître.
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Le mythe de la Qaïda
L’horreur du coup porté a été trop forte, le retentissement dans le monde entier
trop grand et la remise en cause du système de défense occidental trop profonde
pour que les Etats-Unis admettent qu’ils ont été victimes d’un mythomane
psychotique. Aux yeux des responsables américains qui doivent rendre des
comptes à leur opinion, une organisation capable de tels exploits ne peut être
qu’une entité planétaire disposant de capacités conventionnelles et non
conventionnelles sophistiquées et quasi illimitées, susceptible de frapper partout et
à tout moment.
Aux experts qui émettent des doutes sérieux et des plus fondés sur ces capacités,
les politiques répondent qu’il ne leur est pas possible, au nom du consensus
autour de l’horreur et du principe de précaution, de ne pas crier au loup. On ne
sait jamais... Les relais de presse américains, puis européens, décrivent avec un
grand luxe de détails high-tech les réserves nucléaires, bactériologiques et
chimiques de Ben Laden, ainsi que le complexe de commandement de la Qaïda
localisé dans le massif afghan de Tora Bora, qui n’aurait rien à envier au poste de
commandement du Strategic Air Command. Une attaque au bacille d’anthrax aux
Etats-Unis, dont on découvrira par la suite l’origine locale et individuelle, est
immédiatement attribuée à la Qaïda dans la presse, qui se fait l’écho de George
Tenet, directeur de la Central Intelligence Agency (CIA). Celui-ci n’hésite pas à
annoncer la prochaine offensive – peut-être nucléaire – pour Thanksgiving, puis
pour Noël, le jour de l’an ou le prochain 4 juillet. Il n’est pas jusqu’à un accident
industriel dans une banlieue de Toulouse, en France, où l’on ne recherche son
empreinte.
La réalité, on le sait, se révélera tout autre, notamment après le nettoyage de la
zone refuge de l’organisation pendant la campagne d’Afghanistan, qui révélera
une implantation locale rustique, parfois misérable, des capacités militaires
sommaires et des capacités non conventionnelles inexistantes, limitées à
l’empoisonnement de chiens et de chats dans des soupentes de fortune au moyen
de toxiques d’usage courant. Mais le mal est fait. La mystique de l’action suicide
est fortement ancrée dans le monde sunnite. Ben Laden et la Qaïda ont pris une
dimension mythique, attractive dans le monde arabo-musulman, où ils serviront de
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L’enquête démontre qu’il a agi seul mais qu’il était en relation avec des
commanditaires basés à Karachi ;
- le 10 juin 2002, le Federal Bureau of Investigation (FBI) défère à la justice un
ressortissant américain converti à l’islam et de retour d’un séjour au Pakistan,
José Padilla. Il est soupçonné d’avoir voulu fabriquer un engin explosif dispersant
du matériel radioactif ;
- le 12 juin 2002, la Direction de la surveillance du territoire (DST) marocaine
annonce sans autre détail la dispersion d’une cellule terroriste chargée, sur ordre
de correspondants basés à Karachi, de commettre des attentats contre des
navires américains dans le détroit de Gibraltar.
Toutes les autres opérations terroristes internationales perpétrées pendant cette
période semblent étroitement liées au contexte intérieur du pays où elles ont été
commises et rien, dans les faits, ne les relie à la Qaïda : assassinat à Karachi du
journaliste britannique Daniel Pearl en janvier 2002, attentat contre un temple
protestant fréquenté par des Américains à Islamabad en mars 2002, attentat
contre un autobus transportant des techniciens français à Karachi en mai 2002,
massacre de Jammu au Cachemire indien en mai 2002, attentat contre le consulat
américain de Karachi en juin 2002, attentat de Bali en octobre 2002, attentats
multiples de Casablanca en mai 2003, attentat de Djakarta en août 2003.
On aura évidemment noté la place prépondérante du Pakistan dans ces affaires.
A l’évidence, ce pays est devenu l’un des hauts lieux d’expression de la violence
islamiste. Il y a à cela plusieurs raisons, sans qu’il soit nécessaire d’invoquer
l’influence du facteur exogène que constitue l’organisation de Ben Laden. Dans
leur conflit permanent avec l’Inde, leur alliance stratégique avec les Etats-Unis
face à l’Union soviétique, et leur rivalité régionale avec l’Iran en Afghanistan et en
Asie centrale, les autorités pakistanaises ont choisi de laisser se développer le
seul pôle identitaire commun aux populations disparates de leur pays, l’islam
sunnite, encouragées financièrement par l’Arabie Saoudite, qui en a naturellement
favorisé l’expansion des formes locales les plus fondamentalistes, le Tabligh
(imitation stricte de la vie du prophète) et surtout l’école déobandie (wahhabisme
« musclé » et agressif).
Depuis les années 1980, l’armée et principalement les cadres pachtounes de
l’armée de terre qui forment l’ossature de l’Inter Services Intelligence (ISI, les
services spéciaux pakistanais) ont utilisé extensivement ce fort potentiel
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pourraient-ils être d’autre dans ce contexte et dans ce pays ? –, leurs actes n’ont
rien à voir avec l’islam et ne s’en réclament d’ailleurs que vaguement et
indirectement, par des figures obligées de rhétorique creuse. Cheikh Omar, le chef
du groupe des assassins de Daniel Pearl, était de notoriété publique un malfrat à
teinture islamique dont l’ISI avait utilisé les services pour des attentats terroristes
en Inde. Il avait été libéré des prisons indiennes, où il était enfermé à la suite du
détournement d’un avion indien par les Talibans, détournement réglé par une
médiation des services pakistanais...
Sans être identique, le cas de l’Indonésie est similaire. Pendant plus de vingt ans,
soutenus opérationnellement par les Etats-Unis et financièrement par les
pétromonarchies, l’armée et les services indonésiens ont instrumentalisé les
groupes religieux les plus extrémistes dans la lutte contre les communistes, puis,
de leur propre chef, dans la répression des irrédentismes périphériques,
notamment celui du Timor oriental chrétien. En octobre 1999, la chute du
président Jusuf Habibie, engagé aux côtés de l’armée dans ce type de
manipulations héritées de la période Suharto, ouvre une ère d’incertitudes
marquée par d’incessantes luttes de clans et de groupes d’intérêts divergents. En
février 2000, le nouveau président Abdurrahman Wahid démet de ses fonctions le
général Wiranto, ministre de la Sécurité et ancien ministre de la Défense de
Habibie, et écarte ses partisans du commandement de l’armée. Puis il se rend à
Timor, où il présente ses excuses pour les exactions du régime précédent dont il
reconnaît implicitement les manipulations islamistes. Cependant, Wahid demeure
lié et partie intégrante de l’establishment islamique indonésien, notamment des
oulémas, et il est difficile de l’attaquer sur ce plan. Mais en juillet 2001, il est
destitué par l’Assemblée, sur fond de lutte de pouvoirs et de scandales financiers,
et remplacé par la vice-présidente Megawati Sukarnoputri, chef du Parti
démocratique indonésien (DPI). Deux mois plus tard, après le 11 septembre,
certains milieux américains commencent à s’inquiéter des dérives islamiques en
Indonésie et demandent des comptes. Tout ceci ne fait évidemment pas l’affaire
de l’armée ni des services, peu enclins à s’expliquer sur leurs manipulations
passées, ni de l’establishment islamique qui a vu fondre une bonne part de ses
revenus avec l’éviction de Wahid.
Là encore, toutes les conditions sont réunies pour que des messages « forts »,
donc violents, soient adressés au pouvoir en place et aux puissances extérieures
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uns et les autres, la domination de l’un d’entre eux ne pourra résulter que de
manœuvres.
L’enquête est diligentée par la Direction générale de la sûreté nationale marocaine
(DGSN) et son chef, le général Hamidou Laanigri, grand professionnel du
renseignement et de la sécurité, homme d’ouverture et de culture farouchement
opposé à la violence islamiste dont l’étoile montante ne lui vaut pas que des amis
et qui était peut-être l’une des cibles indirectes de l’action. Mais quels qu’en soient
les résultats, et surtout s’ils révèlent des manipulations internes au royaume, il va
de soi qu’on lavera son linge sale en famille et qu’il paraîtra sans doute expédient
d’invoquer l’action d’une insaisissable et étrangère Qaïda, comme le font les
autorités algériennes avec le Groupe islamique armé (GIA) et le Groupe salafiste
pour la prédication et le combat (GSPC), en alimentant le mythe de cette dernière
en Orient comme en Occident.
Enfin, au centre du monde arabo-musulman demeure pendant le problème de la
violence palestinienne. Même si celle-ci se limite actuellement à un affrontement
direct avec son ennemi désigné et n’interpelle plus la conscience planétaire par
des actions internationales, elle n’en demeure pas moins un modèle et une
référence sanctifiant la violence islamique partout dans le monde. Les tentatives
pour relier l’action du Hamas ou du Djihad islamique à celle de la Qaïda relèvent à
l’évidence d’un esprit de propagande. Rien n’est venu attester de tels liens et Ben
Laden n’a jamais manifesté le moindre souci pour la Palestine.
La genèse et l’évolution des mouvements islamistes violents est cependant
conforme au schéma général. On ne peut en effet évacuer le problème que les
cibles initiales de ces mouvements étaient l’Organisation de libération de la
Palestine (OLP) et Yasser Arafat lui-même. Financés par l’Arabie Saoudite qui
s’inquiétait du « gauchisme » et des exigences financières du leader palestinien,
soutenus par la Syrie qui continue de voir dans l’OLP un dangereux point de
ralliement du « sunnitisme » politique, tolérés et parfois encouragés – au moins au
début – par les services intérieurs israéliens qui voyaient en eux un utile
contrepoids à la centrale palestinienne, ces mouvements ont fini par échapper à
tout contrôle et par développer leur logique propre, en particulier financière, qui les
pousse à multiplier les actions violentes pour maintenir leur niveau de crédibilité
aux yeux des pétromonarchies et de leurs alliés occidentaux.
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Sans projet politique réel autre que l’affirmation de leur existence par l’exercice
quotidien de leur capacité de nuisance, ces mouvements sont maintenant
disponibles à toutes les aventures mercenaires. Ils ont servi objectivement les
intérêts d’Arafat dans son bras de fer avec Abou Mazen et l’ordre régional voulu
par Washington. Ils peuvent servir demain tout autre acteur régional qui en aurait
l’utilité et transposer leur capacité de violence du théâtre local au plan
international. La ressource opérationnelle humaine ne manque pas dans les
territoires occupés.
Il serait trop long de poursuivre ici l’énumération et l’analyse des pays arabes et
musulmans susceptibles de connaître des actions violentes directes, et hasardeux
de pronostiquer les pays extérieurs à la zone qui en seront les victimes indirectes.
La plupart des pays musulmans connaissent des situations économiques et
sociales problématiques, assorties de situations politiques inextricables et de
régimes ne permettant pas de transition ou d’alternance autrement que par la
force. Le premier d’entre eux est l’Arabie Saoudite, où le pouvoir et la richesse
sous forme de rente sont accaparés par une famille qui a fermé la porte à toute
possibilité d’évolution politique pacifique, ne laissant le champ de l’opposition qu’à
plus extrémiste et plus violent qu’elle, productrice des Ben Laden passés et à
venir. Dans les zones grises de Somalie, du Yémen, d’Algérie et d’Irak, des
groupes violents constitués ou en voie de constitution n’attendent qu’une occasion
pour agir de façon spectaculaire en vue de gagner en prestige et d’obtenir le
« sponsoring » financier tant convoité des pétromonarchies wahhabites.
Tel semble ainsi être le cas de l’attentat contre l’ambassade de Jordanie à Bagdad
en août 2003, qui fut imputé, probablement à juste titre, à l’action de Moussa el-
Zerkawi, alias Abou Moussaab, ancien membre en déshérence de la Qaïda,
réfugié auprès du groupe islamiste violent Ansar al-Islam dans une zone
incontrôlée du Kurdistan irakien. Le choix de l’ambassade de Jordanie n’est pas
fortuit et s’inscrit dans une continuité historique. Ce pays n’est pas visé en tant
qu’allié de l’Amérique, mais son souverain est une cible en tant que prétendant
potentiel à une légitimité politique en Irak. Dès 1920, en reconnaissance des
services rendus dans la lutte contre l’Empire ottoman, les Britanniques avaient en
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doit être poursuivie pour que justice soit rendue et parce qu’ils continuent de
représenter un réel potentiel de nuisance tant que les autorités pakistanaises
n’auront pas tout mis en œuvre pour les éradiquer. Mais leur neutralisation
n’arrêtera pas les nouvelles formes d’expression de la violence politique dans les
pays musulmans. En revanche, leur invocation incantatoire lors de chaque attentat
ne peut qu’égarer la lutte antiterroriste sur de fausses pistes et renforcer la
conviction des exécutants potentiels que leur modèle existe encore et que leur
action s’inscrit donc dans une croisade mondiale sanctifiée.
Le problème est politiquement et techniquement complexe puisqu’il il faut faire
face non plus à un adversaire unique et identifié, mais à une multitude de petits
entrepreneurs ou sous-traitants locaux de la violence aux stratégies souvent
tortueuses, détournées et indirectes. Tous, cependant, partagent un certain
nombre de caractéristiques communes.
La plupart, en effet, sont issus des manipulations locales des services de sécurité,
en général avec un appui américain, contre les opposants communistes ou
progressistes aux régimes en place. Quels que soient les services qu’ils ont alors
rendus et les liens qu’ils ont tissés avec l’establishment sécuritaire, il conviendrait
peut-être, notamment aux Etats-Unis, de considérer que la guerre froide est
terminée et que l’établissement local de régimes à vocation démocratique ne
renforce pas nécessairement un camp opposé qui n’existe plus.
Tous sont en majeure partie financés par des institutions publiques ou privées
d’Arabie Saoudite et des monarchies du Golfe. Ces financements ne sont pas
foncièrement illégaux tant qu’aucune violence n’a été commise, mais, une fois les
fonds à l’abri et l’attentat commis, il est trop tard pour les inscrire sur une
quelconque liste noire. En outre, il faut considérer que la seule recherche du
financement des actes terroristes eux-mêmes est illusoire et vouée à l’échec.
L’exécution même des actions violentes ne requiert que des sommes limitées,
transférables en liquide, sans grande difficulté, sous un volume réduit.
Tous recrutent leurs adeptes et leurs exécutants dans des mosquées, centres de
formation, centres culturels et sociaux créés et financés par des organisations de
propagande officielles saoudiennes comme la Ligue islamique mondiale,
l’International Islamic Relief Organization ou l’Association mondiale de la jeunesse
musulmane, animés par des imams ou des agents d’influence stipendiés, mais
non contrôlés, par Riyad et acquis en général à la frange la plus extrême des
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