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L’ENSEIGNEMENT DE DAVID HALIVNI : À

L’ÉCOUTE DES STAMMAÏM DANS LE TALMUD


BABLI

Florian Deloup Wolfowicz

Table des matières


1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
2 Les interprétations « forcées » dans le Talmud . . . . . . . . . 5
2.1 Les difficultés du texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
2.2 Dyouq et doh.aq dans le Talmud . . . . . . . . . . . . . 6
2.3 Sensibilité au sens simple . . . . . . . . . . . . . . . . 10
3 Historicité et contemporanéité du texte . . . . . . . . . . . . 13
4 Les Stammaı̈m . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
4.1 La question de l’attribution du matériel dialectique . . 15
4.2 Rav Achi et Ravina, fin de la hora’ah . . . . . . . . . 17
4.3 L’œuvre des Stammaı̈m . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
5 Autorité, canonicité et ouverture séminale . . . . . . . . . . . 22
6 L’étude pharisienne après la destruction . . . . . . . . . . . . 26
7 Une brève bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

1
1 Introduction
La tradition juive est fondée sur une œuvre collective de sages juifs sur
plusieurs siècles, le Talmud. Texte riche et dense, qui touche à une variété
extrême de sujets, il constitue le socle de la vie juive traditionnelle avec
toutes ses ramifications légales, spirituelles et philosophiques. Le Talmud tel
qu’il se présente à nous aujourd’hui est constitué de deux parties distinctes,
à la fois sur le plan historique et sur le plan légal : la Michnah, qui est un
code de lois qui contient peu d’explications, et la Guemara qui est un com-
mentaire complexe sur la Michnah. La Michnah se constitua dans le siècle
qui suivit la destruction du Temple, tandis que la Guemara qui réagit à la
Michnah, la supplémente, la discute et l’explicite, fut élaborée pendant plu-
sieurs siècles.

Tels sont les premiers éléments, massifs, de la tradition juive rabbinique


qui fut finalement écrite et dont le caractère oral se poursuit néanmoins jus-
qu’à nos jours par l’étude par la plupart des juifs traditionnels.

Parmi les recherches contemporaines sur le Talmud, l’œuvre de David


Halivni occupe une place à part. Encore peu connue en France, elle a pour-
tant renouvelé en profondeur notre compréhension du Talmud et en particu-
lier, l’étude de la sougya, l’unité textuelle discursive de la Guemara. L’œuvre
de David Halivni est l’œuvre de toute une vie, littéralement consacrée à
l’étude du Talmud. L’ouvrage majeur de David Halivni est un commentaire
en hébreu en cours, en plusieurs volumes, sur le Talmud, intitulé Meqorot
OuMessorot (Sources et Traditions) 1 .

Nuancée et érudite, la thèse de David Halivni s’énonce peut-être le plus


simplement sous sa forme historique :

1. L’essentiel de la constitution du Talmud, en tant que texte, fut l’œuvre


de sages anonymes – qu’il appelle Stammaı̈m (stamma étant le terme
araméen pour anonyme) – qui œuvrèrent à partir du sixième siècle2 .
2. Les Stammaı̈m ne disposaient pas de toutes les sources nécessaires
1
Sont parus à ce jour sept volumes. Le premier volume est paru en 1968, le dernier
est paru en 2008. Dans la suite du texte, nous indiquons les références à cet ouvrage par
son titre en français, Sources et Traditions, suivi du nom du traité talmudique commenté.
Voir la bibliographie en fin d’article.
2
Cette thèse se trouve formulée pour la première fois dans Sources et Traditions, Seder
Moed, De Yoma à H . aguigah, Jérusalem, 1974.

2
à l’élaboration de la Guemara. En conséquence, n’ayant pas devant
eux l’ensemble des textes, ils durent reconstruire les discussions et les
débats à partir du matériel lacunaire dont ils disposaient.
3. L’intérêt pour le discursif et le désir de conserver les discussions et les
débats, absents pour l’essentiel de la Michnah, se développa à l’époque
des Stammaı̈m, mais étaient fondés sur un précédent dans l’histoire
juive qui est le Midrach, l’exposition d’un verset suivi de son commen-
taire et de son implication légale ou spirituelle.
Cette thèse diffère du point de vue juif traditionnel selon lequel la Gue-
mara – et avec elle l’ensemble du Talmud – se clôt avec les derniers Amoraı̈m
(sages qui vécurent après la rédaction de la Michnah) au cinquième ou
sixième siècle. Elle s’oppose aussi au point de vue traditionnel selon le-
quel tous les détails des arguments étaient méticuleusement conservés par
les sages.

Selon David Halivni, « entre le Talmud et nous se tiennent les Stammaı̈m ».


Pour comprendre le poids de cette affirmation, esquissons quelques-uns des
éléments historiques de la formation du Talmud.

La Michnah, qui compose la première strate du Talmud, est un code


de lois conçu dans le siècle turbulent qui suivit la destruction du Temple
de Jérusalem. C’est la première fois dans l’histoire juive que les lois sont
conservées pour la postérité par thèmes, selon un ordre prescrit et presque
sans justification. Cette forme tout à fait nouvelle tient au prestige d’une
figure exceptionnelle, Rabbi Yehoudah HaNassi. Il prit la décision de ras-
sembler une partie des enseignements des Tannaı̈m sous forme de Michnah.
Sous son autorité, sa Michnah devint le code de lois qui s’imposa à l’en-
semble du monde juif.

Les sages de la génération suivante, les Amoraı̈m, ne poursuivirent pas le


développement de la Michnah ; ils ne cessèrent de l’étudier et de la commen-
ter, avec une érudition insurpassée. Mais leur propre formulation des lois ne
fut pas intégrée à la Michnah.

La Guemara, qui constitue la seconde strate du Talmud, n’a pas été


rédigée sous l’autorité d’une figure telle que Rabbi Yehoudah HaNassi, même
selon le point de vue traditionnel3 . La Guemara est beaucoup plus poly-
3
Ce que par exemple, une étude approfondie de T. B. Guittin 59a et de sa version
parallèle dans T.B. Sanhedrin, 36a, permet de montrer. Voir Sources et Traditions, Baba

3
morphe et versatile que la Michnah ; la densité et la multiplicité du texte
lui-même lui confèrent un caractère unique. Elle contient les enseignements
des Amoraı̈m, mais de manière beaucoup plus discursive et parsemée que
ceux des Tannaı̈m dans la Michnah.

Selon David Halivni, les Tannaı̈m comme les Amoraı̈m ne conservaient de


manière officielle et scrupuleuse que les arrêtés de la loi. Leurs successeurs,
les Stammaı̈m, s’attelèrent à la tâche de trouver les arguments dialectiques
menant aux conclusions légales. Ne disposant pas de source officielle, ils
durent compléter, reconstruire et conjecturer à partir du matériel lacunaire
dont ils disposaient. Selon la belle formule de David Halivni, les Stammaı̈m
sont les architectes du Talmud. (Même s’ils ne percevaient certainement pas
leur tâche de cette manière, du fait que l’autorité venait de la génération
antérieure.)

Les Stammaı̈m sont responsables de la prise de conscience que le discur-


sif, le moyen d’arriver à une conclusion légale est tout aussi important que la
décision légale elle-même. David Halivni, qui postule leur existence à partir
de nombreux éléments, tirés de sa connaissance intime du texte talmudique,
leur consacre donc une attention - et peut-on dire, une admiration - toute
particulière. Leur tâche, en effet, est monumentale.

Fidèle à la méthode des Stammaı̈m, David Halivni cherche alors à découvrir,


ou plutôt à reconstruire, le cheminement des Stammaı̈m qui leur permit de
conclure à l’importance de conserver le discursif. La question est ainsi de
savoir si la prise de conscience capitale des Stammaı̈m a un antécédent histo-
rique. Il conclut que cet antécédent existe et qu’il se trouve dans le Midrach,
la forme d’étude dans laquelle l’exposé de la loi est précédé du verset qui la
justifie. Le Midrach est antérieur à la Michnah et a pu servir de précédent
aux Stammaı̈m pour fonder leur activité de reconstitution des arguments.

La tâche magistrale de reconstruction et de restitution que se fixe David


Halivni résonne avec le parcours de sa propre vie qu’il a retracé dans une
sobre et intense autobiographie. Né en 1927 à Kobolečka Poljana (alors en
Tchécoslovaquie, aujourd’hui en Ukraine), il grandit à Sighet où il est rapi-
dement reconnu comme un prodige dans son apprentissage du Talmud : il
obtient une smikhah (« ordination ») de rabbin à quatorze ans. Comme tous
les Juifs de la ville, il est déporté par les nazis en 1944 à Auschwitz. Libéré
Metsi‘a, p. 12 et 13 (première partie de l’introduction). Voir aussi §4.

4
en 1945, il est le seul survivant de sa famille. Emigré aux Etats-Unis en 1947
avec un groupe de jeunes réfugiés orphelins, il rencontre l’érudit Saül Lieber-
man qui devient son maı̂tre. Il entame alors au Jewish Theological Seminary
(JTS) à New York ses recherches critiques dans le Talmud, qu’il poursuivra
dans la même institution pendant une trentaine d’années. En 1985, à la suite
de désaccords profonds avec la nouvelle direction du JTS sur les réformes
halakhiques qu’elle souhaite voir adoptées, David Halivni quitte une institu-
tion sur laquelle il aura cependant eu une profonde influence. Peu de temps
après, il est nommé professeur à l’université Columbia à New York. David
Halivni est récépiendaire de plusieurs distinctions prestigieuses, notamment
le prix Bialik et le prix Israël. Il vit aujourd’hui à Jérusalem.

Le très long parcours de David Halivni couvre plusieurs continents et plu-


sieurs époques. Cependant, comme l’écrit l’un de ses fils, Baroukh Weiss4 ,
en un sens peut-être le plus important, le parcours de David Halivni est
immobile. Il continue d’étudier le même feuillet du Talmud qu’il étudiait à
Sighet il y a trois quarts de siècle. Tout a changé depuis - un monde a été
irrémissiblement détruit -, seule l’étude du Talmud demeure.

Si la thèse et la méthode de David Halivni sont érudites, leur impor-


tance est incontestable aujourd’hui au-delà des cercles universitaires. Elles
touchent à des questions contemporaines essentielles, sur l’autorité d’un
texte, sur son sens littéral, sur la différence entre sa pertinence légale et le
commandement de l’étudier, sur la relation subtile qu’entretiennent l’écrit
et l’oral, en particulier aujourd’hui.

Invitons à présent le lecteur à une étude un peu plus approfondie re-


traçant le cheminement de David Halivni qui mène de l’existence des Stam-
maı̈m à l’appréciation de leur œuvre et de ses conséquences jusqu’à nos
jours.

2 Les interprétations « forcées » dans le Talmud


2.1 Les difficultés du texte
Quiconque étudie, même superficiellement, le Talmud observe que le
texte contient de nombreuses difficultés. Ces difficultés sont de différentes
4
Dans le volume jubilé Neti‘ot le-David , en l’honneur de David Halivni, Ed. Y. Alman,
Ephraı̈m Betsalel Halivni, Tsvi Aryeh Steinfeld, Jérusalem, 2005.

5
natures ; par exemple, la langue (hébreu tannaı̈tique et araméen, sans comp-
ter l’hébreu rabbinique des commentateurs postérieurs qui est un mélange
élaboré des deux), l’extrême concision de l’expression, l’absence de définitions,
les multiples renvois d’une page à une autre ou d’un traité à un autre, les for-
mules et les tournures, le rythme varié du flôt des questions et des réponses,
les digressions par associations sont quelques-unes des difficultés classiques
de l’étude de la Guemara.

Il est une difficulté cependant qui non seulement résiste à l’étude mais
au contraire s’approfondit avec elle : le wegc yexit, pirouch dah.ouq, que
l’on peut traduire par interprétation spécieuse ou forcée. Ces commentaires
« forcés » font partie intégrante du Talmud. Ils ont largement contribué
au développement du pilpoul , l’art de résoudre ou d’harmoniser les contra-
dictions internes du texte tout en conservant sa littéralité. Toute personne
étudiant le Talmud se confronte de façon permanente aux dah.ouqim, à tel
point que la personnalité de chacun se révèle dans sa sensibilité, ses réactions
aux dah.ouqim et sa manière de les appréhender.

L’approche de David Halivni n’appartient pas au pilpoul . Elle vise une


explication des difficultés du texte de manière plus radicale, mais aussi plus
respectueuse du sens simple du texte. Une étude littérale scrupuleuse des
dah.ouqim dans le Talmud est donc nécessaire. Ce point est capital, car de
l’appréciation du doh.aq (caractère « forcé » du commentaire talmudique)
dépend toute la thèse de David Halivni5 .

2.2 Dyouq et doh


. aq dans le Talmud
La précision méticuleuse des sages dans le domaine des traditions légales
est chose bien connue, ainsi que la loi rabbinique d’ailleurs le formule expli-
citement,
.eax oeyla xnel mc` aiig

Tout homme a l’obligation d’enseigner [la loi] dans la langue de


son maı̂tre [c’est-à-dire dans les mêmes termes que son maı̂tre la
lui a enseignée].
Cette obligation est au fondement de la tradition rabbinique. Elle est
communément appelée weic, dyouq, exactitude. Il est probable que les sages
5
A posteriori David Halivni découvrira que sa résolution du doh.aq est d’une portée
plus générale et concerne en réalité l’ensemble du matériel dialectique du Talmud. Voir
plus loin §4.3.

6
non seulement suspectaient la paraphrase de rendre imprécis un enseigne-
ment mais encore voyaient dans la paraphrase elle-même un écart à « la
chaı̂ne de la tradition ». Comme l’écrit David Halivni (Introduction à Sources
et Traditions : seder Nachim, p. 7) : « Continuité de la langue et continuité
de la tradition allaient de pair dans la pensée rabbinique. Tout changement
qui affecte le premier affecte le second ».

Et pourtant il est indiscutable que des changements halakhiques, c’est-


à-dire des changements dans le domaine du droit hébraı̈que, ont eu lieu dans
la littérature talmudique et que nombre d’entre eux ont eu lieu du fait d’une
imprécision de la part du transmetteur. Quand deux sages dans le Talmud
s’opposent et que chacun a reçu une tradition de son maı̂tre, elou veélou
divréi eloqim h.ayim, les deux enseignements sont paroles du Dieu vivant.
Mais par exemple quand un même sage affirme une chose et son contraire,
nous sommes forcés d’admettre que seule une des deux paroles est la parole
du Dieu vivant ! Les cas où une telle contradiction provient du fait que le
sage soit revenu sur sa déclaration sont rares. Imperceptiblement et à l’insu
des transmetteurs, des changements ont eu lieu.

Or selon la belle formule de David Halivni, les changements d’hier sont


« le langage du maı̂tre » d’aujourd’hui. Ainsi les difficultés de compréhension
du texte sont-elles consécutives à ces changements. Les sougyoth de la Gue-
mara sont une tentative d’arranger et d’expliquer de manière méthodique
et extensive les enseignements ; les auteurs de ce travail, les Stammaı̈m,
n’eurent pas d’autre choix que de résoudre ces difficultés que de manière
forcée. Les interprétations forcées de la Guemara sont avant tout (avec cer-
taines réserves cependant parfois) le signe que nous ne disposons pas des
sources dans leur forme première. De manière générale, lorsque l’explication
donnée par la Guemara s’éloigne du pchat, du sens littéral ou simple, du
texte, la probabilité augmente que le commentateur n’ait pas disposé des
sources dans leur entièreté. De fait, de nombreux commentateurs classiques
post-talmudiques, dès les Gueonim, ont interprété parfois la Michnah ou la
Braı̈tha différemment de la Guemara et pas uniquement pour des questions
de langue, de même qu’il arrive dans la Guemara elle-même qu’un Amora
ne connaisse pas une Braı̈tha, selon la formule explicite de la Guemara,
,dil riny `l `ziixa

Il n’a pas eu connaissance de cette Braı̈tha,


ou qu’il n’en connaisse qu’une partie seulement. Nous reviendrons plus en
détail sur ces questions.

7
Voici un premier exemple6 , dans T.B., Sanhedrin 42b (ainsi que dans le
T.P., Sanhedrin 27a, 6 :1). La Michnah dit
oic zial ueg did dliwqd zia elweql eze` oi`iven oicd xnbp
."(dpgnl uegn l`) llwnd z` `ved" xn`py

Une fois qu’on est parvenu au verdict [que l’accusé est déclaré
coupable], on [le] sort [l’accusé] pour le lapider. Le lieu de lapi-
dation était en-dehors du tribunal comme il est dit (Lévitique
24 :14) : « Sors le blasphémateur en-dehors du camp ».
Les deux Talmuds (babylonien et palestinien) soulèvent la question de
la différence entre « en-dehors du tribunal » (qui est l’énoncé de la loi) et
« en-dehors du camp » (qui est la source scripturaire, tel qu’il est énoncé
dans le verset). Le Talmud (babylonien, ad loc.) demande :
? `l eze ded c''al ueg dliwqd ziae

Mais le lieu de lapidation n’était-il qu’en-dehors du tribunal et


pas plus loin ?
La Guemara pose la question car elle connaı̂t une Braı̈tha, c’est-à-dire
un enseignement tannaı̈tique qui n’a pas été inclus dans la Michnah, le-
quel enseigne explicitement que le lieu de lapidation est en-dehors des trois
camps, c’est-à-dire en-dehors des murs de la ville. Comment concilier cet en-
seignement avec celui de la Michnah qui ne connaı̂t comme lieu d’exécution
qu’« en-dehors du tribunal » ? La Guemara cherche alors une explication à
l’enseignement qui déduit que « en-dehors du camp » (source biblique) signi-
fie « en-dehors des trois camps » (Braı̈tha) et donc finalement en-dehors de
la ville. À cet effet, une autre Braı̈tha est rapportée, qui utilise une gzeirah
chavah, sorte de comparaison contextuelle entre deux versets. Puis la sougya
propose une deuxième explication, d’un Amora cette fois. Dans les deux cas,
le Talmud interprète « en-dehors du tribunal » comme très loin du tribunal,
en étirant cet éloignement jusqu’en-dehors de la ville. Cette explication est
forcée.

6
Cet exemple a ceci d’unique qu’il concerne une des michnayoth les plus anciennes de
toute la Michnah de Rabbi Yehoudah HaNassi. Il a été choisi cependant parce qu’il est
relativement simple. Il illustre bien le fait que le doh.aq n’est pas arbitraire mais qu’il est
au contraire la trace d’une reconstruction à partir de sources lacunaires contradictoires.

8
David Halivni a proposé une explication7 qui ne remet pas en cause ni
le pchat du verset ni celui de la Michnah : l’auteur de l’enseignement dans
la Michnah vivait à une époque où le tribunal siégeait à la porte de la ville,
comme à l’époque biblique. « En-dehors du tribunal » signifiait alors aussi
« en-dehors de la ville », dans une direction. Quand l’auteur de l’enseigne-
ment dit « en-dehors du tribunal », il fait effectivement référence à cette
direction selon laquelle « hors du tribunal » est ipso facto hors du camp ou
hors de la ville. D’où la preuve scripturaire : « hors du camp ». Par la suite,
explique David Halivni, le lieu du tribunal changea, comme en témoigne le
Sifrei Devarim (pisqa 289).

Peu nous importe ici le moment historique de ce changement. Le point


important est que l’explication forcée du Talmud reflète la volonté des cons-
tructeurs de la sougya de préserver à tout prix deux fils de tradition qu’ils
savaient authentiques ; et ne disposant pas de toute l’information requise
pour le faire, ils n’avaient d’autre choix que le commentaire forcé, le dah.ouq.

Dans ce cas, les explications forcées reflètent, accompagnent ou suivent


un fait historique jamais identifié comme tel mais indiscutable (l’évolution
de l’emplacement du tribunal).

Dans d’autres cas, le dah.ouq est le signe qu’il manque quelque chose à
la discussion elle-même. Il est en général délicat de discerner si le `lwy
`ixhe (chaqla vetaria), le matériel dialectique du Talmud, est lacunaire ou
non. Voici un second exemple tiré de Sources et Traditions, Roch HaCha-
nah (p. 402 et suivantes), où le caractère lacunaire du débat peut être mis
en évidence. À la fin de la page 48a de Roch HaChanah, deux Amoraı̈m
s’opposent. Le premier, Rabba, dit :
zvwn `vi xead zty lr driwz zvwne xeaa driwz zvwn rny
cenr dlriy xg`l driwz zvwne xgyd cenr dlriy mcew driwz
`vi `l xgyd

Celui qui écoute une partie des sonneries [du Chofar] dans un
puits et une partie des sonneries [du Chofar] en haut du puits
s’est acquitté de son obligation, celui qui écoute une partie des
7
Nous ne pouvons reprendre ici sa démonstration extensive. Voir son livre Midrash,
Mishnah and Guemara, Harvard University Press, 1983, pp. 25–27 pour un résumé et
son article The location of the Beit Din in the Early Tannaitic Period , Proceedings of
the American Academy for Jewish Research, vol. 29, 1960–61, pp. 181–191, pour une
discussion complète.

9
sonneries avant l’aube et une partie des sonneries après l’aube
ne s’est pas acquitté de son obligation.
Le second, Abbayé, émet l’objection suivante :
`pira inp `kd `kile `aeiga driwz dlek `pirac mzd `py i`n
`aeiga driwz dlek

En quoi dans le dernier cas [ne se serait-il pas acquitté de son


obligation s’il n’a pas écouté toutes les sonneries du Chofar]
conformément à son obligation alors que dans le premier cas [il
le serait alors qu’il n’a] pas non plus [écouté] toutes les sonneries
du Chofar conformément à son obligation ?
La Guemara propose plusieurs réponses et explique un peu plus loin, ik
'eke diytpl dlere rweza dax xn`w, « ainsi a dit Rabbah, il s’agit de celui
qui sonne le Chofar et remonte, etc ». Mais si Rabbah parle de celui qui
sonne le Chofar en train de remonter du puits, c’est-à-dire si celui qui sonne
le Chofar et celui qui écoute sont la même personne, quelle est donc l’objec-
tion d’Abbayé ? En effet, l’objection d’Abbayé n’a plus raison d’être : dans
le premier cas, il a alors écouté toutes les sonneries et rempli son obligation.

L’objection d’Abbayé, un Amora contemporain de Rabbah, ne peut


pas être purement rhétorique. Nous devons en conclure que les Stammaı̈m
connaissaient l’objection d’Abbayé à Rabbah, mais qu’ils ignoraient la ré-
ponse de Rabbah. Des réponses sont effectivement proposées, sous forme
anonyme, mais aucune ne cerne le point soulevé par Abbayé sans « forcer »
d’une manière ou d’une autre le sens simple de son objection.

2.3 Sensibilité au sens simple


Les sages, dès le début du Moyen-Âge, les Richonim, étaient conscients
de l’existence d’explications « forcées » dont regorge le Talmud. Ils pro-
posèrent toutes sortes de teroutsim, de résolutions des difficultés textuelles
qu’ils percevaient.

Cependant, l’appréciation du caractère « forcé » ou « artificiel » d’une


explication ou d’un commentaire est elle-même liée, en dernière analyse, à
l’appréciation du texte lui-même et en particulier à notre sensibilité au sens
simple du texte. Il nous faudrait donc en toute rigueur définir ce qu’est le
sens simple d’un texte. Il faudrait également étudier la question de savoir si
les sages d’une époque donnée (Tannaı̈m, Amoraı̈m, Stammaı̈m, Saboraı̈m,
Gueonim, Richonim, Ah.aronim) respectaient notre « sens du sens simple ».

10
Ces deux questions, très délicates, sont abordées en détail par David Ha-
livni8 . En particulier, il met en évidence que ce que les Tannaı̈m et Amoraı̈m
appellent pchat (généralement traduit par sens littéral) est distinct du sens
médiéval et moderne. Ces sages comprenaient le pchat dans son acception
étymologique : sens étendu à son contexte, à l’ensemble du verset.

Il semble de plus que la notion d’équivalence entre sens simple et sens


littéral soit plus moderne qu’on serait tenté de le penser. Parfois, une in-
terprétation allégorique ou métaphorique est le sens simple, le pchat, du
texte. Un exemple frappant est le passage biblique prescrivant la mise des
phylactères (tefillin) :
(h:bi zeny) jipir oia oexkfle ,jci-lr ze`l jl dide

(h:e mixac) jipir oia zthhl eide jci-lr ze`l mzxywe

Ce sera pour toi comme un signe sur ton bras et comme un


mémorial entre tes yeux (Exode 13 : 9)
Tu les attacheras comme un signe sur ton bras et tu les porteras
en fronteau entre tes yeux (Deutéronome 6 : 9)
Les rabbins comme les sectes du second et premier siècles avant l’ère
chrétienne étaient convaincus que ces versets ordonnent de mettre sur l’avant-
bras et sur le front des boı̂tes contenant des passages spécifiques de la To-
rah. Ils interprétaient donc ces versets de manière « littérale ». Cependant,
il est possible de concevoir que le sens simple de ces versets soit précisément
métaphorique et non littéral (particulièrement le verset de l’Exode). Pour-
tant cette possibilité n’est pas même évoquée dans l’abondante littérature
midrachique tannaı̈tique (dont une des caractéristiques pourtant est de sou-
lever des possibilités d’explications multiples, ne serait-ce que pour les re-
jeter). En revanche, plus de mille ans plus tard, à l’époque médiévale, le
Rachbam9 , dans son commentaire sur la Torah (ad loc), embrasse explicite-
ment l’approche métaphorique (contrairement à Rachi) :
lr aezk el`k cinz oexkfl jl didi .eheyt wner itl :jci-lr ze`l
.(e:g mixiyd xiy) jal lr mzegk ipniy oirk .jci

Comme un signe sur ton bras : selon la profondeur du pchat.


Cela sera pour toi une mémoire permanente comme si elle était
8
Une synthèse est présentée dans la première partie de son livre Peshat and Derash,
Oxford University Press, 1991.
9
Rabbi Chemouel ben Méir, petit-fils de Rachi, juriste, décisionnaire et commentateur
de la Bible et du Talmud, 11-12ème siècle.

11
inscrite sur ton bras, comme dans le verset (Cantique des can-
tiques 8 : 6) : Place-moi comme un sceau sur ton cœur, comme
un sceau sur ton bras.
La sensibilité contemporaine est plus proche de celle du Rachbam que
celles des Tannaı̈m. Le sens simple du verset, le pchat, est métaphorique.
Ce qui distance le Rachbam des Tannaı̈m ici n’est pas la conclusion légale
(l’obligation de porter les tefillin est incontestée) mais une différence de per-
ception interprétative.

La réponse à la seconde question posée plus haut est donc que les sages
de l’époque tannaı̈tique ne partageaient pas notre « sens du sens littéral ».
En particulier, ils ne voyaient pas de supériorité intrinsèque du sens littéral
sur le sens allusif ou retravaillé (drach). L’exégèse rabbinique, comme toute
activité humaine, est fonction de l’époque historique. La sensibilité au sens
littéral croı̂t donc avec le temps et une métaphore qui n’est pas même en-
visagée par les Tannaı̈m est ouvertement interprétée comme le sens littéral
par le Rachbam.

S’il en est ainsi, notre perception du caractère « forcé » d’une explica-


tion dans le Talmud est pertinente seulement en regard de notre propre
sensibilité au sens littéral. Un grand nombre de sages depuis le Moyen-Âge
s’employèrent à réconcilier le texte talmudique avec leur propre sensibilité
au pchat en démontrant que les explications « forcées » du Talmud sont en
réalité le « vrai pchat », le « pchat en profondeur » (réminiscent de l’ex-
pression employée par le Rachbam dans son commentaire cité plus haut).
L’étude du Talmud avec les Richonim en particulier est à cet égard un ex-
cellent moyen de déceler les lignes de fracture de l’ensemble du texte talmu-
dique. Cette direction de l’exégèse rabbinique est responsable en définitive
de l’éclosion du pilpoul (l’art des déductions casuistiques poussées). Le pil-
poul ne déplace pas le sens littéral du texte ni sa substance (légale ou autre)
mais par le biais de rapprochements formels et logiques, cherche à exprimer
une sorte de logique cachée du texte. Plus la logique est cohérente sans que
la substance du texte ne soit touchée, meilleur est le pilpoul. Le pilpoul est
un moyen de préserver la surface du pchat, l’apparente littéralité du texte,
en dévoilant une logique invisible à l’œuvre à travers le texte.

Il demeure qu’aujourd’hui, indépendamment d’une apprécitation cer-


taine pour sa virtuosité, le pilpoul heurte également notre sensibilité. (No-
tons de plus que le pilpoul ne mène en général pas à une halakhah le-

12
ma‘asseh, à une conclusion légale en pratique.) Comment alors répondre
au défi que constituent les difficultés textuelles du Talmud ?

3 Historicité et contemporanéité du texte


Une réponse possible aux difficultés textuelles du Talmud – et parti-
culièrement à ses explications forcées – consiste à nier toute pertinence à
l’histoire du texte. Les explications des sages depuis le Moyen-Âge jusqu’au
pilpoul et les yéchivot du monde achkénaze jusqu’au dix-huitième siècle ont
été pour l’essentiel anhistoriques. L’histoire y apparaı̂t comme un sujet an-
cillaire. La bible, le Talmud, les commentaires des maı̂tres suffisaient pour
étudier et vivre.

Néanmoins, il est difficile aujourd’hui de maintenir une telle attitude. Ou


plus exactement, une telle attitude n’est plus – comme elle l’a été pendant
des siècles de l’histoire juive – anhistorique ; même si elle puise à des sources
très diverses, elle est de fait anti-historique. Comme l’écrit sobrement Y. H ..
Yerushalmi dans son ouvrage classique Zakhor – Histoire juive et mémoire
juive 10 :
Les Juifs qui se tiennent encore à l’intérieur du cercle enchanté de
la tradition, ou ceux qui y sont retournés, nient toute pertinence
au travail de l’historien. Ce qu’ils cherchent dans le passé, ce n’est
pas son historicité, mais son éternelle contemporanéité. Posée
directement par le texte, la question de savoir comment ce passé
évolua doit leur sembler subsidiaire, sinon dénuée de sens.
Cette attitude nous est familière et beaucoup de Juifs éprouvent au moins
une forme de sympathie instinctive pour cette attitude, tant le Juif qui vit
ou retourne à la yéchivah classique que le Juif qui participe activement à
l’économie du monde moderne et qui peut-être lit les grands philosophes.
L’histoire continue d’être un instrument de jugement hégelien ; or le Juif
ne devrait-il pas résister de tout son cœur et de toute son âme à ce que
l’histoire soit instituée comme magistrat des hommes ? Une certaine histoire
du vingtième siècle ne nous enseigne-t-elle pas, en dépit de toute la hauteur
d’une pensée, comment l’histoire se mue en raison du plus fort ?

Voilà exprimée, peut-être, l’objection la plus forte à l’histoire. Mais elle


présuppose justement une conscience historique.

10
p. 113 de la traduction en français par E. Vigne.

13
Une figure juive contemporaine aussi imposante qu’Emmanuel Lévinas
disait de la philologie qu’elle se laisse ajourner. L’étude pharisienne des
textes, écrit-il, met à jour une convergence aussi miraculeuse que le miracle
d’une source unique, qui serait l’arrière-plan d’une foi naı̈ve. La déconstruction
des textes n’ouvrirait que des portes déjà enfoncées. Mais l’étude histo-
rique des textes des sages est-elle toujours œuvre de déconstruction ? La
dignité des sages des générations qui nous ont précédés n’exige-t-elle pas,
précisément, de ceux qui en ont l’aptitude, de reconstruire et de restituer
leurs textes ?

L’étude pharisienne des textes est nécessairement un travail sur les dif-
ficultés du texte. La mise à jour d’une confluence des enseignements talmu-
diques est peut-être moins une synthèse fût-elle divinement éclairée, qu’un
travail patient, qui se donne tous les outils humains pour restituer le texte
dans sa dignité. L’histoire fait partie de ces outils. Pourquoi faire de l’expli-
cation forcée un principe de la vérité divine de la Torah ? La Torah ne parle-
t-elle pas le langage des hommes, selon l’expression des sages ? Certes, ceux
qui répugnent à chercher un motif ou une cause rationnelle aux explications
forcées du Talmud peuvent élever le drach à des hauteurs métaphysiques –
les portes du drach ne sont jamais fermées et celles de la philosophie restent
toujours entrouvertes pour le Juif pharisien –, mais à eux alors d’examiner
si le prix n’est pas l’abandon du pchat. Or le texte talmudique qui fourmille
d’explications forcées est avant tout un texte légal. Ajourner la résolution
critique de ces difficultés, n’est-ce pas prendre le risque d’évincer la halakhah
– le droit hébreu – de sa contemporanéité ? En effet, refuser d’aborder les
difficultés du pchat en se prévalant de l’inviolabilité des textes, n’est-ce pas
conférer aux lois un statut en-dehors de la raison ? N’est-ce pas même leur
conférer un statut uniquement en-dehors de la raison ? Nous serions alors
semblables à ceux qui répugnent de voir un motif dans les lois divines et
préfèrent voir dans l’absence de sens rationnel une preuve de leur origine
divine11 .

Chaque génération de sages se confronta aux textes des générations


précédentes. Ainsi le Maharal de Prague12 explique l’expression talmudique
tranchante
ipzw ikde `xqgn ixeqg

11
cf. Guide des Égarés, III, XXXI.
12
Rabbi Judah Loew ben Bezalel, juriste et penseur du 16ème siècle, auquel est rattachée
la légende du Golem.

14
[Notre Michnah] est certainement lacunaire et voici ce qu’elle
enseigne [vraiment],
par le fait que le rédacteur de la Michnah, afin de circonvenir l’interdiction
de mettre la Loi Orale par écrit, a sciemment omis certains mots. Si cette ex-
plication nous paraı̂t artificielle, c’est qu’elle se heurte à notre connaissance
historique (la Michnah est restée encore orale de longs siècles après sa com-
pilation par Rabbi) et à notre sensibilité moderne face à tout texte faisant
autorité (comment un rédacteur pourrait-il laisser intentionnellement de côté
des informations essentielles). Cependant, si artificielle nous paraı̂t-elle, elle
indique déjà une conscience de la tension entre le texte et son histoire.

Si la majorité du texte du Talmud est constituée d’explications anonymes


qui choquent notre sensibilité relativement à notre perception du sens simple
du texte et si ces explications pourtant sont vitales à la tradition et à la
compréhension que nous en avons, nous devons nous poser la question : qui
sont donc ces sages dont nous buvons les paroles à chaque page du Talmud
et dont nous ignorons les noms13 ?

4 Les Stammaı̈m
4.1 La question de l’attribution du matériel dialectique
Nous avons présenté jusqu’à présent principalement les points suivants :
1) les explications anonymes de la Guemara constituent l’essentiel du matériel
dialectique du Talmud ; 2) les explications anonymes, particulièrement les
explications « forcées » ou qui nous semblent artificielles, de la Guemara
sont la trace d’une reconstruction des débats menant aux arrêtés légaux ;
3) cette reconstruction est postérieure aux arrêtés légaux eux-mêmes ; 4)
les difficultés du texte causées par ces reconstructions, sont perçues, sous
différents modes, par les générations postérieures de sages, au moins depuis
les Richonim (début du Moyen-Âge).

Or les derniers sages qui énoncent des lois consignées dans la Guemara
sont les Amoraı̈m. Il se pourrait que le matériel discursif et anonyme de la
Guemara soit le fait des Amoraı̈m eux-mêmes et non de sages postérieurs.
En quoi les passages anonymes de la Guemara seraient-ils postérieurs aux
Amoraı̈m ? Pour ne citer qu’un seul exemple, on trouve à travers toute
13
Cf. Horayoth 14a : ? mixikfn ep` oi` mzenye mizey ep` mdininy elld md in

15
la Guemara plus de quatre mille énoncés, opinions, réfutations et objec-
tions rapportés ou rattachés à Abbayé et de Rava, deux illustres Amoraı̈m
de la quatrième génération, au point que l’expression « les délibérations
d’Abayé et de Rava » (`axe iia` zeieed) est devenue un synonyme du Tal-
mud lui-même. Si l’ensemble du matériel dialectique rattaché à Abbayé et
Rava est postérieur à ces sages, doit-on l’intégrer à une génération suivante
d’Amoraı̈m (à peu près le point de vue traditionnel) ? Ou au contraire faut-
il postuler l’existence d’une période postérieure de sages, distincte de celles
des Amoraı̈m ?

La réponse de David Halivni à cette question est un lent cheminement


qui dure plusieurs décennies au cours duquel il s’éloigne progressivement du
point de vue historique traditionnel. Avec la parution de chaque nouveau
volume se renforce l’idée d’une génération distincte de sages, qui œuvre
après la fin complète des Amoraı̈m. Dans le volume de Sources et Traditions
consacré au seder Nachim, il attribue encore une part du matériel anonyme
(discursif) aux Amoraı̈m. Avec la parution du volume consacré au seder
Moed (De Yoma à H . aguigah), un tournant est atteint : il revient sur cette
hypothèse fondamentale. Désormais il a acquis la certitude que les stam-
moth, les passages anonymes de la Guemara, font entièrement partie d’une
époque postérieure à celle des Amoraı̈m. Plus précisément, les stammoth ne
sont pas apparues avant Rav Achi et Ravina (vers le milieu du cinquième
siècle e.c.). Il écrit en particulier dans l’introduction au volume sur le traité
Chabat : « Ce que nous avons reçu des Amoraı̈m et ce que nous n’avons
pas reçu d’eux, la forme dans laquelle nous avons reçu les enseignements,
tout est passé par les mains des Stammaı̈m. L’enseignement des Amoraı̈m
est dilué dans l’enseignement des Stammaı̈m. » Les nuances des stammoth
sont encore approfondies dans les volumes consacrés aux traités Chabat et
Baba Qamma14 . Dans l’introduction au volume consacré à Baba Metsi‘a,
il retarde encore davantage la période des Stammaı̈m ; la production des
stammoth ne débuta pas à la mort de Rav Achi et de Ravina, mais après la
mort du dernier Amora cité dans le Talmud (vers 550-600). Dans le dernier
volume paru en 2008 consacré à Baba Bathra, David Halivni allonge cette
fois la période des Stammaı̈m jusqu’au milieu du huitième siècle, de sorte
que leur activité dure environ deux siècles.

14
voir en particulier les introductions à ces volumes.

16
4.2 Rav Achi et Ravina, fin de la hora’ah
Un point central dans la discussion de l’existence des Stammaı̈m comme
sages postérieurs aux Amoraı̈m dépend du sens de l’expression `piaxe iy` ax
d`xed seq, « Rav Achi et Ravina, fin de la hora’ah ». Le point de vue tra-
ditionnel s’appuie sur l’Épı̂tre de Rav Cherira Gaon (966–1065, époque des
Gueonim). Pour Rav Cherira Gaon, la transmission du matériel dialectique
débute dès l’apparition de la Michnah :
-linl ekixhv`e `ail hirni` ,iaxc diytp gpe dpyn `nizqi` cke
diqxbnle oedicenlz hw

Quand la Michnah fut terminée et que reposa l’âme de Rabbi


[Yehoudah HaNassi, qui a mis sur pied la Michnah], le cœur
s’amoindrit [i.e. faiblit] et le besoin se fit sentir de rassembler les
enseignements et de l’étudier. (Épı̂tre de Rav Cherira, p. 69 de
l’édition de B. M. Lewin.)
Il écrit également :
(...) `wiqti` `piax xzae `piax cr `xc xza `xc d`xed `tqezi`
.`cenlz miizq`e d`xed seq [iy` ax] dineiae

la hora’ah s’est développée génération après génération jusqu’à


Ravina et elle s’est arrêtée après Ravina (...) Et la fin de la
hora’ah survint à l’époque de [Rav Achi] et le Talmud fut achevé.
Rav Cherira identifie donc la fin de la hora’ah à la fin du Talmud. Il en
résulte que tout le matériel dialectique (anonyme) de la Guemara est soit
le fait des Amoraı̈m eux-mêmes soit de Rav Achi. Soit la discussion d’une
loi a été rapportée par le sage même qui a énoncé la loi, soit elle l’a été par
Rav Achi. En particulier, le matériel anonyme se trouve investi de l’autorité
amoraı̈que.

Nous pouvons remarquer que les Richonim n’adhèrent pas tout à fait
strictement à la thèse historique de Rav Cherira Gaon. Rachi, dans son
commentaire (T.B., Baba Metsi‘a au début de 86a, ad loc) identifie la fin de
la hora’ah à la fin des Amoraı̈m :
xcqd lr `xnb dziid `l mdini cr .mi`xen`d lk seq :d`xed seq
dl`y e` yxcnd ziaa dpynd mrha zl`yp dl`y dziidyk `l`
xne` cg`e cg` lk ,xzide xeqi` e` oenn oica rxe`nd dyrn lr
erawe mdiptly mi`xen`d zereny excq `piaxe iy` axe .enrh
,dl diepyde die`xd dpynd lv` cg`e cg` lk zezkqnd xcq lr
mi`xen`de md uxzl miie`xy miwexite aiydl yiy zeiyew eywde
(...) mdniry

17
[Rav Achi et Ravina] fin de la hora’ah : fin de tous les Amoraı̈m.
Jusqu’à leur époque [celle de Rav Achi et Ravina], la Guemara
ne suivait pas un ordre déterminé mais se faisait selon les ques-
tions qui étaient posées sur le sens ou la raison d’une Michnah
dans la Maison d’études ou sur une décision de droit civil ou
religieux rendue par un tribunal, chacun expliquant son motif.
Rav Achi et Ravina arrangèrent toutes les explications dont ils
disposaient, fixèrent l’ordre des traités en fonction de leur rela-
tion à la Michnah, soulevèrent, eux et les Amoraı̈m qui étaient
avec eux, les difficultés auxquelles il y avait lieu de répondre et
les objections et les problèmes qu’il fallait résoudre (...).
Il semble ainsi que selon Rachi, « fin de la hora’ah » signifie clôture de la
Guemara, comme Rav Cherira Gaon. Pourtant, en d’autres endroits (T.B.
Pessah.im 97a, Sanhedrin 6a), Rachi explique l’expression savarouah comme
introduisant une explication des « Saboraı̈m de la Maison d’Études » ou des
« Amoraı̈m de la Yechivah » sans les relier explicitement à Rav Achi (alors
qu’il le fait à d’autres endroits par exemple à la fin de Souccah 3b), appa-
remment parce que le sage qui donne l’explication (savarouah) est postérieur
à Rav Achi15 . Il y a donc une certaine ambiguı̈té chez Rachi, dans la mesure
où il semble souscrire à la thèse de Rav Cherira Gaon, et en même temps
admet implicitement qu’il existe des sougyoth dont l’inclusion dans le Tal-
mud est postérieure à Rav Achi.

Plus explicitement, un des grands Richonim du monde juif espagnol, le


Ritva (1250–1330) écrit dans Baba Metsi‘a 3a :
`ed oe`b i`cedi xa xnc `pyil `l` q''yd xwirn epi` df yexit

Cette explication ne fait pas partie de l’essentiel du Talmud mais


ce sont les mots de Mar bar Yehoudaı̈ Gaon...
À un autre endroit, dans Qetouboth 34b, il écrit :
'xc `yexit `l` q''ydc `pyiln epi`c [o''anxd] lecbd epiax yxite
.dpixg` `zkecl dpin iweq`l `kile l''vf oe`b '`cedi

Notre grand maı̂tre [Nah.manide] a expliqué que ce n’est pas le


langage du Talmud mais les paroles de Rav Yehoudaı̈ Gaon de
mémoire bénie et qu’il n’y a pas lieu de les importer d’un autre
endroit.
15
Voir Sources et Traditions, Introduction à Baba Bathra, p. 13, note 27.

18
Les Gueonim et les Richonim avaient donc conscience que du matériel,
y compris dialectique, avait continué de s’accumuler dans le Talmud, bien
après « la fin de la hora’ah ». En conséquence, l’expression « Rav Achi et
Ravina, fin de la hora’ah » n’a pas à être comprise comme un fait historique.
David Halivni apporte d’autres éléments historiques corroborant cette ana-
lyse16 . De plus, le terme hora’ah, tel qu’il est utilisé par Rav Cherira, n’est
probablement pas synonyme de `ixhe `lwy, du matériel dialectique du Tal-
mud. Dans le Talmud, le terme hora’ah signifie l’arrêté de loi. La fin de la
hora’ah signifie alors la fin de l’époque de la transmission officielle des arrêtés
de loi sans matériel dialectique17 . Et s’il en est ainsi, le matériel dialectique
de la Guemara est postérieur à l’époque amoraı̈que.

4.3 L’œuvre des Stammaı̈m


Dès lors que l’on est conscient que non seulement de nombreux pas-
sages du Talmud sont des interprétations forcées mais encore que l’ensemble
du matériel anonyme de la Guemara est postérieur aux Amoraı̈m, se pose
la question de comprendre pourquoi ils apparaissent dans notre Guemara.
David Halivni distingue deux explications principales :
1. L’intervalle de temps entre les enseignements des Amoraı̈m et leurs
explications stammaı̈tiques ;
2. L’absence de transmission officielle du matériel dialectique (des argu-
ments menant aux conclusions légales).
Ces deux explications ne se contredisent pas mais ne sont pas équivalentes.
Les deux explications impliquent que les passages anonymes du Talmud
sont postérieures aux Amoraı̈m, que Rav Achi et Ravina n’ont pu être les
éditeurs du Talmud. Cependant, il y a une différence fondamentale entre
ces deux explications : selon la première explication, le matériel dialectique
dont nous disposons est celui des Amoraı̈m et en un certain nombre d’en-
droits, ce matériel a été endommagé ou oublié au cours du temps. Aussi
leurs successeurs n’ont pu restituer les arguments des discussions qu’à l’aide
d’explications forcées. Néanmoins, dans les cas où le texte dialectique s’ex-
plique suivant le sens simple ou littéral (de manière naturelle, non artifi-
cielle), on devrait en conclure que les arguments sont ceux des Amoraı̈m.
16
Voir Sources et Traditions, introduction à Baba Metsi‘a, p. 12–13.
17
Cette question a été discutée par de nombreux auteurs. On pourra se reporter
également à ixard htynd [Le Droit Hébreu], de M. Alon, Jérusalem, 1973, p. 896 et
à l’article de C. Z. Havlin, zicenlz zextqa mixwgn [Études sur la littérature talmudique]
dans le livre en l’honneur de Saül Lieberman, onxail le`yl dpy mipeny ze`ln lbxl oeir mei,
Jérusalem 1983, pp. 148–192.

19
Or selon la seconde explication ci-dessus, si les Amoraı̈m ne transmettaient
pas officiellement leurs arguments, la formulation même des arguments, telle
qu’elle se présente à nous dans une page de Guemara, ne peut être celle des
Amoraı̈m. La seconde explication est donc plus radicale : tout le matériel
dialectique, qu’il soit composé d’arguments artificiels ou non, est la création–
reconstitution du Stam, de sorte que les Stammaı̈m sont les premiers sages
à conserver pour la postérité les arguments dialectiques. Il y a ainsi une
rupture fondamentale entre l’époque amoraı̈tique et l’époque stammaı̈tique.

Pendant deux siècles18 , les Stammaı̈m élucident les sources et les tradi-
tions de lois qu’ils ont reçues, en reconstituent et reconstruisent les délibéra-
tions. Cette tâche de reconstitution et de reconstruction – qui implique une
part d’erreur et de conjecture – occupe l’essentiel du temps des Stammaı̈m,
au point que très peu de nouvelles halakhoth leur sont attribuées.

Dans Midrach, Michnah et Guemara, David Halivni propose une analo-


gie éclairante avec la constitution des États-Unis d’Amérique19 . La Consti-
tution des États-Unis d’Amérique, qui est l’une des plus anciennes consti-
tutions écrites encore en vigueur, est incontestablement un texte fondateur
des États-Unis. S’il ne lui est certes pas attribué de fondement divin, elle se
définit comme « loi suprême » du pays. On sait qu’il revint à la convention
fédérale de 1787 d’entreprendre la tâche ardue et complexe de définir le cadre
de cette constitution. Les délégués participant à la convention avaient plei-
nement conscience du moment historique qu’ils vivaient. Ils sont considérés
comme les pères fondateurs des États-Unis au même titre que les signa-
taires de la Déclaration d’Indépendance de 1776. Or les délibérations de
la convention fédérale restèrent dans l’obscurité pendant plus d’un siècle.
Plusieurs versions, contradictoires, de ces délibérations circulèrent, aucune
d’entre elles n’étant absolument fiable. Le travail de mise à jour et d’édition
de ces délibérations, mené avant la première guerre mondiale par Max Far-
rand20 , est un travail d’érudition remarquable dont les difficultés sont fa-
milières à l’érudit critique moderne du Talmud.

Si un texte tel que la Constitution des États-Unis d’Amérique suscite de


telles difficultés dans la reconstruction de ses délibérations, que dire alors
18
Voir l’introduction à Sources et Traditions, Baba Bathra.
19
pp. 138–139, note 10.
20
The Records of the Federal Convention of 1787 , 4 volumes, Yale University Press, New
Haven, 1937 (édition révisée). L’introduction, dans laquelle Farrand décrit la difficulté
considérable de clarifier et de reconstituer les débats, est particulièrement recommandée.

20
de la tâche des Stammaı̈m ? En effet, il n’est pas de domaine de l’existence
humaine qui ne soit investi par les Docteurs de la Loi. De plus, contraire-
ment aux délibérations de la convention fédérale qui ont duré quatre mois,
les débats des Tannaı̈m et des Amoraı̈m ont duré des siècles... Et pourtant,
l’œuvre des Stammaı̈m a finalement pris la forme d’un livre écrit, le Talmud,
qui est devenu lui-même le fondement de la loi et de l’étude juives.

Dans le dernier volume paru de Sources et Traditions 21 , David Halivni


s’attèle précisément à la tâche de décrire la formation du Talmud jusqu’à sa
forme écrite en tant que livres (zezkqn). Il est amené à distinguer plusieurs
tâches dans l’activité des Stammaı̈m et déplace progressivement son champ
d’analyse à la jonction de l’époque stammaı̈tique et de l’époque saboraı̈que,
puis à l’époque saboraı̈que. Ces tâches sont de deux types : l’une consiste
à transmettre des éléments discursifs et des sources à un matériel qui en
est dépourvu ou qui, pour une raison ou une autre, en manque. La seconde
consiste à rassembler les sougyoth pour en faire une Guemara unique. Dans
la première activité, les transmissions sont elles-mêmes classifiées ; David
Halivni n’en dénombre pas moins de cinq classes, une preuve de leur ri-
chesse exceptionnelle. L’import de matériel dialectique d’un endroit à un
autre s’étend à toute la période stammaı̈tique. Cette activité ne s’identifie
pas à une « édition » du Talmud ; les Stammaı̈m étaient probablement tel-
lement engagés dans leur entreprise qu’ils ne visaient ni ne concevaient une
« édition » du Talmud. La seconde activité, plus radicale que la première,
ne s’apparente pas non plus à une édition au sens classique : elle consiste à
rassembler, pour ainsi dire de force, des sougyoth distinctes, parfois entières
et contradictoires, qui ont été enseignées dans des académies différentes.
L’auteur, ou leurs auteurs, n’avaient déjà plus la possibilité de modifier le
corps dialectique de la Gemara (ou des Guemaroth) déjà constituée ou d’y
ajouter de nouveaux arguments ; en conséquence, ils n’étaient pas en mesure
de résoudre les contradictions qui s’y trouvaient.

Il se dégage de l’analyse érudite de David Halivni que le Talmud non


seulement ne s’est pas achevé sous l’autorité d’une figure individuelle, mais
qu’il n’y a jamais eu de clôture dialectique ou synthétique du Talmud : le
Talmud est venu à s’achever comme livre après que la tâche de reconstitution
et de reconstruction des arguments par les Stammaı̈m se fût achevée. Or cet
achèvement ne signifie pas la fin de l’argumentation, mais la conscience puis
la volonté de distinguer les nouveaux arguments des anciens. Les Stammaı̈m
21
Introduction à Baba Bathra, 2008.

21
s’attachaient à renouer les fils de traditions antérieures d’arguments. Lors-
qu’il ne fut plus possible d’ajouter à l’œuvre des Stammaı̈m que de brefs
commentaires ou des notes explicatives, le Talmud était proche de la forme
que nous connaissons. Cependant, le mouvement dialectique initié par les
Stammaı̈m poursuivit son cours. Le temps des nouveaux livres indépendants
du Talmud (même lorsqu’ils réagissent à ses enseignements, les reprennent
ou les commentent) était alors venu.

5 Autorité, canonicité et ouverture séminale


Il va du destin des textes comme de leur usage. La tradition juive ne
connaı̂t pas de « texte canonique », mais des textes inspirés par l’Esprit
saint ou « qui rendent impures les mains22 », et dont l’écriture, la lecture
publique et la vocalisation en particulier sont codifiées.

Cependant, la décision elle-même d’attribuer un tel statut à un texte –


où l’erreur d’écriture la plus insignifiante invalide sa lecture publique – est le
fruit d’une délibération. Nous trouvons ainsi dans le Talmud des éléments de
discussions tannaı̈tiques et amoraı̈ques à propos de textes bibliques comme
le Rouleau d’Esther ou Qohélet (l’Écclésiaste). Quel est l’objet de cette
délibération ? Est-ce seulement une justification, puisque la décision, si elle
est prise, est précisément d’élever le texte à un statut au-delà de toute jus-
tification ? Et s’il s’agit d’une justification, cette justification ne vaut qu’a
posteriori puisque l’avis opposé aurait pu prévaloir. Comment autorité et
justification du texte peuvent-elles coexister ?

L’œuvre de David Halivni soulève un certain nombre de questions diffi-


ciles à l’horizon de l’étude du Talmud et probablement de tout texte auquel
nous conférons autorité.

Tout en étant le texte rabbinique transmis avec le plus grand degré de


fidélité, la Michnah de Rabbi ne fait pas partie de la Bible. Elle a un statut
exceptionnel dans la littérature rabbinique au point que l’on distingue parmi
les enseignements tannaı̈tiques ceux qui y sont inclus de ceux qui ne le sont
pas (braı̈ta). De plus, la substance du matériel discursif du Talmud repose
sur la Michnah. Pourtant, parfois, les sages de la Guemara n’hésitent pas à
22
On pourra lire à ce sujet le commentaire d’E. Levinas intitulé Pour une place dans la
Bible, à propos de la discussion talmudique relative au Rouleau d’Esther, dans À l’heure
des Nations, Ed. de Minuit, 1988.

22
émender le texte de la Michnah. Or la Michnah est avant tout un texte légal.
Ses ramifications légales sont immenses. Comment les sages peuvent-ils ainsi
« relire » la Michnah ? Une telle relecture ne saurait se concevoir comme une
libre initiative personnelle ; elle est donc une obligation. Et si les sages se
sont senti l’obligation d’émender la Michnah, le texte qu’ils avaient devant
eux avaient une raison impérieuse d’être émendé.

Ces questions sont aussi anciennes que la Torah Orale et se posent aussi
sur la Torah Écrite. Il est particulièrement malaisé de chercher à répondre
par une formule unique à des questions essentielles non seulement de textes
mais aussi de la vie juive plurimillénaire. L’autorité, où se trouve-t-elle ?
L’œuvre de David Halivni nous suggère qu’elle ne se trouve pas – ou pas
toujours – dans le texte écrit, fût-il canonique, confirmant en cela la pers-
pective rabbinique classique qui fait prévaloir la Torah Orale sur la Torah
Écrite. Ainsi nous lisons dans le T.B., Qiddouchin 66b23 :
`xw xn`c l`eny xn` dcedi ax xn` olpn dleqt ezcearc men lra
`le mly `edyk mely izixa z` el ozep ippd xen` okl (dk xacna)
`id drihw melyc e"ie ongp ax xn` aizk mely `de xqg `edyk

[Un prêtre] qui a un défaut physique, son office est invalide.


D’où [le savons-nous] ? Rav Yehoudah dit que Chmouel a indiqué
[comme source biblique] le verset (Nombres, 25 : 12) : voici, je
lui donne mon alliance de paix [chalom] – c’est-à-dire quand le
prêtre est parfait [chalem] mais non quand il a un défaut phy-
sique. Mais il est écrit chalom ! Rav Nah.man dit : la lettre vav du
mot chalom est brisée [de sorte que l’on peut lire le mot chalem].
Or ce commentaire magnifique apparaı̂t ignorer le fait que dans le texte
canonique, le vav n’est pas brisé ! Et par conséquent, la halakhah – une loi –
concernant le prêtre qui a un défaut physique n’a pas de fondement biblique.

Les commentateurs post-talmudiques n’ont pas manqué de remarquer les


écarts entre les citations rabbiniques et le texte biblique. La grande majorité
d’entre eux n’a pas vu dans ces écarts un défi théologique quand bien même
ils affectent non seulement la aggada (partie narrative et philosophique)
sans conséquence légale mais aussi la halakhah qui porte directement sur le
comportement quotidien de chaque Juif. Le Rachba24 tenta de faire rectifier
le texte massorétique, c’est-à-dire qu’il proposa, dans le cas de divergences,
23
Voir Revelation Restored [La Révélation Restituée], David Halivni, pp. 38–39.
24
Rabbi Chlomo ben Aderet, autorité halakhique du monde juif espagnol, auteur de
nombreuses responsa, a vécu et a enseigné à Barcelone (1235–1310).

23
d’adopter comme texte canonique de la Torah le texte tel qu’il est cité par
les sages du Talmud. Cependant, sa tentative ne trouva guère d’écho25 et
le texte massorétique de la Torah demeura inviolable. Les lois du Talmud
continuèrent de s’appliquer et les scribes continuèrent d’écrire les rouleaux
de la Torah selon la tradition. D’autres commentateurs (par exemple, le Baal
HaTourim, commentaire sur la Torah, ad loc) réintroduisent un drach pour
expliquer ces écarts textuels. Ou peut-être faut-il voir, à l’inverse, dans ces
écarts l’ouverture par excellence au drach ? Quoi qu’il en soit, ce drach ne
remet en question ni l’inviolabilité du texte biblique d’un côté ni l’autorité
de la halakhah de l’autre.

Ainsi le verset « œil pour œil » n’a jamais été « corrigé » dans le texte
massorétique de la Torah, alors qu’il n’y a pas de discussion entre les plus
anciens Tannaı̈m sur le fait qu’il signifie compensation financière. En parti-
culier, ils ne discutent pas de l’écart entre texte écrit et loi. De fait, l’idée
d’une loi orale, dt lray dxez, qui accompagne et rectifie la loi écrite,
n’apparaı̂t presque pas dans la littérature tannäıtique. L’expression bien
connue halakhah le-Moché mi-Sinaı̈ (loi orale de Moı̈se au Sinaı̈) est d’origine
tannaı̈tique, certes, mais elle n’a pas de poids décisionnaire décisif26 . (Da-
vid Halivni montre cependant que son utilisation croı̂t avec les générations
suivantes de sages puis chez les sages post-talmudiques.)

Certains commentateurs tentèrent au Moyen-Âge de fonder la Torah


Orale sur la Torah Écrite, c’est-à-dire développèrent l’exégèse comme moyen
de surmonter les écarts entre le texte écrit et la loi. (Cette entreprise ne se
confond pas avec la doctrine des Caraı̈tes pour lesquels seule la Torah Écrite
fait autorité et qui rejetaient la Torah Orale.) Ces commentateurs juifs res-
pectaient la Torah Orale, les décisions légales des sages. Cependant, chaque
génération successive vit dans le mot écrit une source croissante de tradi-
tions orales. Dans un mouvement opposé et concomitant, un grand nombre
de traditions orales furent rattachées à la révélation sous la dénomination
25
L’histoire ultérieure de cette tentative est elle-même passionnante. L’ironie de l’histoire
est que semble-t-il, le manuscrit du Rachba a été altéré suite à une erreur de copiste. En
conséquence, plusieurs sages postérieurs au Rachba ont eux-mêmes mécompris le sens
de son responsum à ce sujet et en définitive, ont précisément pris le contre-pied de la
suggestion du Rachba. On pourra consulter l’ouvrage en hébreu de Daniel Sperber, Netivot
Psiqa, ed. Reouven Mess, Jérusalem, 2008, pp. 71–80.
26
P. Schafer, Das Dogma von der Mundlichen Torah : Studien zur Geschichte und Theo-
logie des Rabbinischen Judentums, Leiden : E.J. Brill, 1978, pp. 153–197 ; J. Neusner, The
Rabbinic Traditions About the Pharisees Before 70 , Leiden : E.J. Brill, 1971, vol. 3, pp.
177–179 ; David Halivni, Revelation Restored , Westview, 1999, pp. 54–63.

24
halakhah le-Moché mi-Sinaı̈.

Peut-on dénouer davantage les nœuds de la tradition orale ? Clarifier la


nature de la Torah Orale par rapport à la Torah Écrite, c’est surtout, pour
le Juif, une tentative de s’éclaircir sur sa propre position dans une tradi-
tion plurimillénaire. Mais cette clarification ne se résume pas à l’énoncé de
quelques principes qui attendraient une démonstration. Cette clarification
elle-même est appelée à faire partie intégrante de la Torah Orale.

L’autorité de la Torah Orale, qui prévaut sur la Torah Écrite, est au fond
elle-même à démystifier. David Halivni montre ainsi que l’œuvre rabbinique,
œuvre humaine collective visant à servir le Créateur dans tous les aspects
quotidiens de l’existence, est elle-même en prise avec cette démystification,
depuis son origine jusqu’à nos jours. Les Stammaı̈m en particulier ainsi que
leurs héritiers post-talmudiques, percevaient au moins partiellement la na-
ture dichotomique de leur œuvre, entre la vérité consensuelle (les décisions
légales des Tannaı̈m et des Amoraı̈m, prises en suivant la règle de la majo-
rité) et la vérité textuelle (la poursuite intellectuelle de l’étude comme fin
en soi).

Y. Leibowitz a énoncé une formule tranchante27 : la Torah Orale, qui est


pour l’essentiel et presque entièrement œuvre humaine, est la Torah divine
qui nous oblige. En particulier, puisque la Torah Orale est œuvre humaine,
il est impossible qu’elle soit exempte d’erreurs.

Y. Leibowitz identifie le « divin » à « ce qui oblige l’homme qui a décidé


de servir le Saint, béni soit-Il », ce qui nous place à la fois devant un dogme
(la Torah Orale est divine) et une tautologie (la Torah divine nous oblige)
– qu’il reconnaı̂t d’ailleurs comme tels. Mais rien n’est dit encore de cette
entreprise humaine qu’est la Torah Orale. Les Stammaı̈m, enseigne David
Halivni, ne disposaient pas de précédent théorique dans leur entreprise de
reconstruction et de conjecture, néanmoins ils s’appuyèrent sur les Midre-
chei Halakhah, les midrachim qui ont une portée légale, pour justifier de
consacrer leur tâche au matériel dialectique. La sève dialectique des lois, im-
parfaite et consensuelle, contradictoire et parfois corrompue, est plus riche
que la seule leçon pédagogique d’édification, non seulement elle contient la
27
Il la répète à plusieurs reprises. Il la nuance et la fait précéder de deux avertissements
dans m''anxd ly d`eapd zxez lr zegiy [Conversations sur la théorie de la prophétie de
Maı̈monide], Jérusalem, 1997, ouvrage posthume paru à l’initiative de ses étudiants qui
est un recueil de ses enseignements oraux sur Maı̈monide. Voir en particulier pp. 435–466.

25
possibilité de rouvrir une délibération légale (Michnah ‘Edouyoth 1) mais
aussi elle ouvre à la gestation d’œuvres à venir.

Nous ne pouvons ici que donner à entrevoir cette ouverture séminale.


Cette ouverture apparaı̂t dans une non-coı̈ncidence : entre la fin de la ho-
ra’ah et le début de la conscience dialectique. Ce n’est pas que les Tannaı̈m
et les Amoraı̈m se désintéressaient du discursif, loin de là ! Mais le temps des
délibérations afin de parvenir à des conclusions légales ne se superpose pas
au temps de l’intéressement aux délibérations pour elles-mêmes. Il n’est pas
donné à l’homme de délibérer afin de parvenir à une conclusion et simul-
tanément de donner un sens à sa délibération. Il y a dans toute délibération
une mesure d’opacité. Délibérer, ce n’est pas – pas encore – donner un sens
à sa délibération. Ce dernier mouvement est nécessairement postérieur à la
délibération elle-même, comme dans l’exemple de la Constitution des États-
Unis d’Amérique. Les délibérations des Tannaı̈m et des Amoraı̈m n’étaient
pas conservées de manière officielle, elles étaient seulement laissées dans la
mémoire individuelle des sages qui participaient aux délibérations. Ce n’est
que plus tard qu’elles devinrent le premier objet d’étude des sages. Le conflit
entre le pchat et le drach apparaı̂t ainsi comme le lieu même de la significa-
tion de la loi juive.

6 L’étude pharisienne après la destruction


L’ajournement de la philologie, dont parle Lévinas, peut s’entendre comme
un rejet de la toute-puissance de la raison, ou de la raison triomphante, che-
val de Troie de l’histoire hégelienne. Reste qu’il ne saurait être un abandon
de la rationalité.

L’usage de la raison comprend l’acceptation du risque, inhérent à toute


entreprise humaine, de se tromper. L’œuvre immense des Stammaı̈m, œuvre
de reconstitution et de reconstruction, implique une part d’erreur et de
conjecture. Est-il nécessaire de rappeler que la halakhah fait aussi partie
de l’histoire humaine ? Dès lors, la question se pose : devons-nous réparer
ces erreurs ? Et un tel projet n’est-il pas lui-même entaché de nos propres
erreurs de jugement présentes ? Une autorité médiévale telle que le Rachba
ne put faire rectifier le texte massorétique de la Torah quand celui-ci diverge
du texte cité dans le Talmud. Sa tentative est similaire à celle d’autres rab-
bins postérieurs d’harmoniser le pilpoul et la halakhah. Elle se heurta à de
fortes résistances dans les yéchivoth et là où elle fut imposée, ni le pilpoul

26
ni la halakhah ne purent s’épanouir.

Nous avons vu que certains éléments de l’œuvre de David Halivni trouvent


incontestablement leurs racines dans la littérature rabbinique traditionnelle.
En effet, les sages depuis les Gueonim, avaient conscience, à des degrés di-
vers, des difficultés et des singularités du texte talmudique, y compris quand
les discussions ont des conséquences légales. David Halivni a donné à l’ana-
lyse historique des textes talmudiques un caractère systématique qui lui sort
du cadre traditionnel. Cependant, la conscience historique du Juif n’est pas
pour autant apaisée. Ce dernier étudie le texte, non pas en tant qu’histo-
rien, mais en tant que sujet respectueux d’un commandement religieux. S’il
a une conscience historique, alors il se trouve en face d’un conflit d’intérêts
divergents : d’un côté, l’étude du texte qui inclut la rigueur sans compro-
mis du pchat et de l’histoire, et de l’autre, le respect des commandements,
du drach rabbinique. Le Juif contemporain ne risque-t-il pas de s’aliéner à
l’un ou l’autre de manière exclusive ? Pour le Juif religieux, la pratique des
mitsvoth est elle-même proximité et intimité immédiate avec le Dieu vivant.
Seule l’excellence de la Torah Orale peut l’assurer de l’authenticité de cette
proximité.

Ainsi l’œuvre de David Halivni donne-t-elle à penser, de manière contra-


dictoire, au Juif contemporain sa « part dans la Torah ». Le Juif contempo-
rain est en prise, comme le survivant de la destruction, avec deux matériaux
contradictoires. D’un côté, l’arbre de la tradition qui ne peut lui servir
d’arrière-plan intellectuel de confort. De l’autre, les outils de la raison cri-
tique qui ne peuvent immédiatement s’intégrer à la tradition. Dans son au-
tobiographie, Halivni consacre un chapitre à ses réflexions sur la destruction
des Juifs28 :
(...) Je pense toujours qu’un survivant sensible – et surtout s’il a
la possibilité de mener des activités intellectuelles – doit œuvrer,
devrait œuvrer sous l’influence de forces contradictoires. Il doit
reconnaı̂tre qu’il y a eu un effondrement des normes. (...) Et si
l’on a un minimum de finesse, face à l’effondrement, on doit re-
considérer tout ce que l’on était. On peut en faire un test : s’il
n’y avait pas eu la Choah, que feriez-vous ? Si votre réponse est
« la même chose », alors sachez que vous vous trompez. Si vous
enseigniez la littérature, par exemple, cette littérature a échoué,
28
The Book and the Sword , Westview, 1996. J’ai légèrement modifié la traduction en
français de S. Finkelstein.

27
vous a trahi. Quelque chose doit avoir changé (...). Aussi quel-
qu’un qui étudiait le Talmud avant et l’étudie après est confronté
à cette difficulté. Quelque chose doit avoir changé.
La critique du passé est donc une nécessité d’intelligibilité du Juif contem-
porain et cette nécessité ne peut pas non plus éviter la tradition, qui elle,
est au-delà du champ de l’intelligibilité :
D’un côté, on doit trouver à redire sur ce qui s’est passé, sans
quoi il y a là un accord indirect. Si vous continuez de faire main-
tenant ce que vous faisiez alors, alors vous dı̂tes qu’il n’y avait
rien de mal – et vous ne tenez pas compte de ce qui s’est passé. Ne
pas critiquer le passé, c’est être comme ceux qui justifient – ceux
qui savent le « pourquoi ». Et savoir pourquoi, c’est une forme
d’approbation. D’un autre côté, si vous reconnaissez le mal, vous
courez le risque de scier la branche sur laquelle vous êtes assis
(...). C’est pourquoi on est confronté à la double nécessité de
trouver les moyens de critiquer la tradition tout en s’y accro-
chant fermement. Critiquer, c’est affirmer que quelque chose a
mal – extrêmement mal – tourné. Et pourtant, on doit trouver
réconfort et consolation dans la tradition. Seulement, quelque
chose doit changer dans cette tradition, sinon c’est comme s’il
ne s’était rien passé.
La question n’est plus de choisir entre Athènes et Jérusalem, selon la
formule de Leo Strauss. « Le philosophe ne peut renoncer à Athènes sans
renoncer à lui-même ; mais il ne peut renoncer à Jérusalem sans aller à la ca-
tastrophe. » croit pouvoir écrire J.-C. Milner. Cependant, l’œuvre de David
Halivni qui s’adresse peut-être davantage au Juif qu’au philosophe, invite à
une autre tentative : lever les yeux plus haut que l’horreur de la catastrophe
tout en sachant que l’étendue de la catastrophe est irréparable – en parti-
cipant à notre tour à l’aventure entreprise par les Stammaı̈m. Être adulte,
c’est savoir que cette aventure se poursuit aujourd’hui à l’ombre de la des-
truction. Renouer avec les sages anonymes qui tissent les pages du Talmud,
c’est certainement poursuivre leur œuvre ; et cette tâche-là ne saurait être
ajournée, fût-ce en élevant le Talmud à une hauteur méta-historique.

L’enseignement de David Halivni n’offre aucune garantie doctrinale. D’au-


cuns pourront lui reprocher – et de toute évidence, il ne s’agira pas des
mêmes personnes – d’un côté, une forme de transigeance intellectuelle sur la
tradition et de l’autre, une forme d’intransigeance comportementale vis-à-
vis de la modernité. En d’autres termes, l’œuvre d’Halivni n’aura peut-être

28
pas l’impact libératoire que certains souhaiteraient dans le champ de la ha-
lakhah : elle ne propose certainement pas de subordonner la halakhah à
notre sens moral. (David Halivni a d’autres raisons de préférer notre sens
de la raison à notre sens de la moralité.) Elle n’aura pas non plus l’effet
doctrinal conservateur que d’autres attendraient : elle ne se donne pas non
plus comme objectif de ramener le Juif moderne, fût-il Juif de savoir, dans le
cercle de la tradition. Les élèves de David Halivni savent déjà que le cercle
de la tradition réserve bien des surprises topologiques. L’œuvre d’Halivni
conduit à une conscience accrue des contradictions humaines au cœur de la
tradition juive et instille dans tout lecteur juif soucieux des mitsvoth un sens
d’humilité et de fragilité. Puisse-t-elle l’inviter tant à étancher sa soif, avec
courage et humilité, dans les eaux vives de la Torah Orale qu’à participer à
son renouvellement.

7 Une brève bibliographie


L’article étant une invitation au lecteur à s’abreuver plus intensément
aux sources, certaines déjà citées dans les notes, nous donnons ici une brève
bibliographie de David Halivni.

Meqorot OuMessorot (Sources et Traditions) : sept volumes. En hébreu.


1. Seder Nachim, Tel Aviv, 1968.
2. De Yoma à H. aguigah, Jérusalem, 1974.
3. Chabat, Jérusalem, 1981.
4. ‘Erouvin–Pessah.im, Jérusalem, 1981.
5. Baba Qamma, Jérusalem, 1992.
6. Baba Metsi‘a, Jérusalem, 2001.
7. Baba Bathra, Jérusalem, 2008.
Ouvrages en anglais :
8. Midrash, Mishnah and Guemara, Harvard University Press, 1983. (Tra-
duction en français par l’auteur de cet article.)
9. Peshat and Derash, Oxford University Press, 1991.
10. Revelation Restored, Boulder, Westview 1997.
11. Breaking the tablets : Jewish Theology after the Shoah, Rowman and
Littlefield, 2008.

29
Ouvrages en français : l’autobiographie de David Halivni (publiée d’abord
aux États-Unis en anglais en 1996 sous le titre The Book and the Sword :
a Life of Learning in the Shadow of Destruction) a été traduite en français
par S. Finkelstein :
12. Le Livre et l’Épée, Bibliophane, Édition du Rocher, Paris, 1999.
Un ouvrage collectif a été consacré à David Halivni en 2005 : Neti‘ot
le-David , ed. Y. Alman, Ephraı̈m Betsalel Halivni, Tsvi Aryeh Steinfeld,
Jérusalem, 2005. Les contributions des auteurs, élèves et collègues de David
Halivni, sont en hébreu et en anglais. Une bibliographie de David Halivni (à
jour en 2005) est donnée au début de l’ouvrage.

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