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Izuba, le magazine • 20 mars 2010 • Numéro 1 • Gratuit

IZUBA le magazine

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IZUBA MAGAZINE

Les Grands-Lacs
et… ailleurs

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K I N S H A S A : 16 FÉVRIER 1992 -
SOMMAIRE 1 6 F É V R I E R 2 0 1 0 ->P.17-20
Rappel: Conférence Nationale Souveraine (CNS). Une
revue de presse sur l'anniversaire du 16 février 92. Un texte
TOGO: ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE - LES d'analyse sur le rôle politique de l'église.
FRAUDES DE FAURE ->P.3-6
Mascarade électorale: Faure Gnassingbé tente par tous HUTU, TUTSI, TWA ->P.21-30
les moyens de se maintenir au pouvoir. Des élections Un travail universitaire de grande qualité pour revenir sur
contestées. Une opposition et un peuple qui refusent la ces termes et couper court aux discours de propagande de
résignation. Les observateurs de l'Union Européenne témoins ceux qui tentent, aujourd'hui encore, de diviser les Rwandais
des fraudes et des exactions du régime. pour des raisons politiques.
RWANDA: LA FRANCE ET LE GÉNOCIDE ->P.7-15
Rétablissement des relations diplomatiques entre la France
et le Rwanda. Sarkozy à Kigali: "pas d'excuses". Une enquête de Dans le prochain numéro :
Serge Farnel: des français ont directement participé au
génocide. • Burundi, Centrafrique: un oeil sur les élections
• Rwanda: La Nuit rwandaise n°4 (7 avril 2010)
E UROPE: IN HUM A NIT É EN V ER S • France: corruption en Sarkozie
LES SAN S-PAP I ER S -> P.16 • Cameroun: intimidation des journalistes et des médias
La manière dont nos sociétés européennes abordent la + tous vos articles ...
question de la migration en ce début de XXIe siècle restera,
probablement, au regard de l’histoire, une tragédie.

TOGO: PRÉSIDENTIELLE - 43 ANS DE DICTATURE p. 3-6 RWANDA p. 7-15

"Fraude" Gnassingbé fait détruire les procès verbaux et fait arrêter ses opposants. L’Union Européenne Bisesero: Des français ont participé
est prise à témoin des fraudes électorales et des exactions de la dictature togolaise mais semble ne pas au génocide des Tutsi en 1994.
fermement condamner le régime…
Reprise des relations diplomatiques avec
Alors que le 30 août dernier Sarkozy a remis la médaille de Grand Officier de la Légion d’honneur à Ali la France: Sarkozy en visite au Rwanda
Bongo, autre grand fraudeur électoral, la communauté internationale va-t-elle, dans le sillage du "paix des mais ne s'excuse pas.
droits de l'Homme", avaliser le coup d'état

KINSHASA: 16 FÉVRIER 1992 - 16 FÉVRIER 2010 p. 17-20 Participez à la rédaction du


magazine Izuba ou envoyez-nous
L'armée de Mobutu réprime dans le sang la manifestation pour la reprise de la Conférence vos articles pour publication
Nationale Souveraine (CNS). Retour sur cette journée tragique et sur la CNS. sur le site izuba.info
Fin de règne: Mobutu, lâché par la communauté internationale, est remis en selle par la France (sommet de www.izuba.info
Biarritz). Cependant, en 1997, Kisangani est entre les mains de Laurent Désiré Kabila. Le vieux dictateur s'en
ira mourir au Maroc.
Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 1
IZUBA MAGAZINE #1

Bitin•fr ©

Izuba Magazine, le numéro 1…


Quelques pages réalisées à partir d'une
ÉDITO sélection d'articles que vous nous avez
soumis ou que nous avons glanés ici et là…
Une idée originale: regrouper sur un même support le meilleur de
la presse des Grands-Lacs, de la presse africaine et… d'ailleurs.
Revenir sur des sujets d'actualité qui nous semblent importants, proposer des dossiers thématiques pour
alimenter la réflexion, tenter de décrypter les enjeux et les perspectives d'une Histoire - africaine et mondiale -
en pleine mutation, s'attacher à produire une information objective, en décalage par rapport aux "actualités"
standardisées qui nourrissent le quotidien de nos quotidiens: telle est la tâche que nous nous sommes fixée.

Une équipe de bénévoles motivés - que nous vous invitons à rejoindre - pour faire vivre autrement nos
réflexions communes sur l'Afrique d'aujourd'hui, sur l'Afrique de demain et sur les mutations mondiales en cours.

Un objectif en toile de fond: s'ériger contre tous les racismes, contre le sexisme, contre l'impérialisme, combattre
le mensonge, la bêtise et la haine, l'ethnocentrisme, défaire ceux dont les intérêts se dressent contre les valeurs
que nous défendons: liberté, partage, démocratie, entraide, égalité, …
Un numéro 1 imparfait - comme le seront probablement bien d'autres - à lire comme on lirait la première phrase d'un
livre que nous écrirons ensemble. Nous avons la liberté, la possibilité - et la responsabilité - de produire ensemble le
magazine que nous aimerions lire et qui nourrira nos réflexions futures comme celles que nous avons déjà.
Nous attendons impatiemment vos prochaines contributions (informations, analyses, discussions, … mais aussi livres, photos,
dessins, enregistrements audio et vidéo) pour faire vivre izuba.info, le site Internet, la maison d'édition et le magazine.

Un grand merci à celles et ceux qui dors et déjà nous soutiennent.

A toutes celles et ceux qui lisent ces lignes, un seul mot d'ordre:
"propagande, manipulation, désinformation, … ne désespérez pas des médias: FAITES-LES!" Rejoignez-nous.

Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 2


IZUBA MAGAZINE #1
TOGO:
PRÉSIDENTIELLE
Le mardi 9 mars, dans la matinée, la police et la
gendarmerie ont attaqué le siège de l’UFC et ont volé
les procès verbaux des élections du 4 mars dernier.

Si "Fraude" Gnassingbé a réellement gagné, pourquoi


ont-ils besoin de voler et détruire les PV des élections
détenus par les délégués de l’UFC et du FRAC ?

Selon un article du MO5-Togo, (Mouvement Patriotique du Depuis deux jours, ils essayent d’arrêter le personnel en
5 octobre), daté du 9 mars 2010, "Les agents qui seraient de charge de la gestion de ces données. Seule la présence dissuasive
l’agence nationale des renseignements occupent actuellement les des membres de la Mission d’observation électorale de l’UE
locaux de l’OCDI sis au Petit Séminaire de Lomé où le FRAC a (MOEUE) les en empêche. Les Européens sont même obligés de
érigé son centre de compilation des données de la présidentielle faire le guet au siège de l’OCDI à tour de rôle, 24 heures sur 24."
du 4 mars dernier.

Achats de voix et distributions de


riz par des militants de Faure
Gnassingbé à des prix très
inférieurs au prix du marché
Le 6 mars dernier, au nom de ses 130 observateurs
L’UE, dans un rapport préliminaire [publié sur
Izuba.info], pointe plusieurs sources d’irrégularités.
L’inégalité entre les candidats s’est ainsi manifestée
bien avant le vote du 4 mars, selon l’UE.
Mais surtout, les observateurs disent avoir été "témoins de
distribution de riz à des prix trois à quatre fois inférieurs au prix
du marché" par des militants du parti de M. Gnassingbé, une
denrée connue sous le nom de "riz Faure".

armées de la dictature togolaise


Le "clan" arrêtaient douze membres de
l’opposition.
Réactions officielles de
la France?
Gnassingbé Jean-Pierre Fabre a participé
dimanche, dans la capitale, Lomé, à
une manifestation de l’opposition Ali Bongo Ondimba (lui aussi auteur
dirige sans contre laquelle les forces de l’ordre d’un coup d’état électoral au Gabon le 30
togolaises ont tiré des grenades août dernier) a discrètement été distingué
lacrymogènes. en le 24 février dernier par Nicolas
partage le Togo Sarkozy en personne. (Cf. photo du
quotidien
Gabon Matin  -
depuis quarante- mars 2010).
Ali Bongo a

trois ans! 5 octobre 2005 reçu une


médaille de
Grand Officier
Arrestations d’opposants, tirs de de la Légion
lacrymogènes contre des Répression des manifestations d’honneur... 
manifestants, la présidentielle populaires suite au premier vol
togolaise a viré au chaos le week-end électoral de Faure Gnassingbé: On attend donc une réaction de la
du 13 et 14 mars suite à l’annonce, plus de 500 morts. France officielle, qui, rappelons-le,
samedi, par la Commission électorale
de la réélection de Faure Gnassingbé avait soutenu le coup d'état de Faure
(60,92% des voix). Faure Gnassingbé succède dans Gnassingbé ayant en 2005 provoqué
Les résultats de la Commission le sang à son père, au pouvoir au de vives contestations dans le pays
sont vivement contestés par Jean- Togo pendant 38 ans! et une répression sanglante (entre
Pierre Fabre et par l'opposition. Dans 400 et 500 morts, des milliers de
les heures qui ont suivi la [ + d'infos: MO5-Togo]
proclamation des résultats, les forces blessés).

Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 3


IZUBA MAGAZINE #1
préfets ont été réquisitionnés pour informatique des données électorales
Front Républicain pour distribuer le ‘’riz Faure 2010’’, des du FRAC, arrête tout le personnel qui y
sommes d’argent, et pour acheter des travaille et emporte matériels, procès-
l’Alternance et le cartes d’électeurs dans les zones
favorables à l’opposition ;
verbaux de bureaux de vote et autres
documents.
Changement (FRAC) • le refus par la CENI de
définir les modalités d’authentification
Il est important de signaler que les
populations togolaises, dans leur grande
des bulletins de vote après avoir majorité, sont acquises à l’alternance.
MEMORANDUM accepté le principe de cette La mobilisation sans précédent de ces
authentification et l’avoir notifié à tous populations pour l’alternance pendant
SUR LE SCRUTIN DU 04 MARS 2010 les candidats ; la campagne électorale conduite par le
• violation par les CELI des candidat des forces démocratiques en
Les populations togolaises, qui se procédures de centralisation et témoigne.
battent depuis plus de 40 ans pour d’affichage des résultats des bureaux de Le RPT en est conscient. Voilà
l’exercice de leur droit légitime de vote ; pourquoi il s’emploie à empêcher
• violation par la CENI des l’UFC et le FRAC de poursuivre
se choisir librement leurs l’examen des documents qui établissent
procédures de transmission par
dirigeants, traumatisées par les satellite VSAT adoptées dans le cadre les fraudes massives du RPT et ceux
violences qui ont suivi l’élection de du projet PAPE ; qui attestent de la victoire irréfutable
2005, ont accepté la volonté du candidat Jean-Pierre FABRE.
• violation par la CENI des
manifestée par la communauté procédures de recensement général L’opération conduite par les
des votes qu’elle a adoptées éléments de la FOSEP, en exécution des
internationale d’aider à organiser instructions du procureur de la
en 2010 une élection présidentielle conformément à son règlement
intérieur et à l’article 11 du code République, en violation de la loi, prive
paisible, transparente et crédible. électoral ; le candidat de l’UFC de tout moyen de
recours auprès de la Cour
• publication par les CELI en Constitutionnelle.
Le gouvernement RPT qui par la direct sur les médias, des résultats sans
vérification ni validation préalable par la Ce coup de force traduit la
voix de son président, Faure préoccupation permanente du pouvoir
Gnassingbé, s’est engagé à organiser CENI.
RPT d’empêcher les forces
une élection présidentielle crédible et démocratiques de détenir les résultats
sans violence en 2010, s’est opposé à La proclamation de ces résultats réels des élections afin de contester les
toutes les demandes des forces frauduleux a soulevé la réprobation et résultats frauduleux. Il rappelle l’attaque
démocratiques, soutenues l’indignation des populations spoliées et la destruction du centre
généralement par les représentants de de leurs votes. Le FRAC a rejeté et informatique de la Coalition, lors de la
la communauté internationale relatives dénoncé ces résultats à travers des présidentielle calamiteuse de 2005, par
à : manifestations populaires qui ont été des nervis du RPT armés et cagoulés. Il
-  un délai raisonnable nécessaire à sauvagement réprimées par la Force de parachève la démolition méthodique et
une bonne préparation de cette Sécurité de l’Election Présidentielle systématique des processus
élection (FOSEP), faisant une centaine de électoraux, que le régime RPT a
- des conditions minimales de blessés dont plusieurs graves : entreprise depuis les premières
transparence et de crédibilité du • Le dimanche 07 mars 2010, discussions politiques intertogolaises. Il
scrutin, notamment la traçabilité et les éléments de la FOSEP ont chargé le démontre :
l’authentification des bulletins de vote ; sit-in de protestation du FRAC en 1. que le candidat de l’UFC
- des procédures claires et fiables tirant à bout portant, des grenades soutenu par le FRAC a bel et bien
de collecte, de transmission, de lacrymogènes sur les manifestants  : remporté le scrutin du 04 mars 2010 ;
centralisation de validation et de plusieurs blessés dont des responsables 2. que l’instauration de l’Etat
publication des résultats. du FRAC ; de droit est loin d’être une
Aujourd’hui, le constat est patent. • Le lundi 08 mars, dès le préoccupation sous le régime RPT, vu la
Les nombreuses et graves irrégularités démarrage de la marche de facilité avec laquelle les actes arbitraires
observées tout au long du processus, protestation du FRAC, la FOSEP a s o n t o p é r é s  : a r r e s t a t i o n s ,
ajoutées aux exactions perpétrées par encore chargé à coups de grenades enlèvements, saisies, répressions
le régime RPT, entachent lourdement la lacrymogènes et de bombes violentes de manifestations pacifiques.
sincérité du scrutin et enlèvent tout assourdissantes balancées sur les 3. que le régime RPT ne
crédit aux résultats proclamés par la manifestants, dans la cour et aux respecte ni les engagements pris avec
CENI : abords du siège de l’UFC ainsi que dans les bailleurs de fonds, ni les lois et
les maisons voisines  : plusieurs blessés règlements qu’il a lui-même imposés
• une révision chaotique des dont des responsables du FRAC ;
listes électorales et des fraudes unilatéralement. Ce régime s’évertue à
mas sives a u fichie r é lectoral  : • Le mardi 09 mars, le lieu de combattre toute initiative et tout
gonflement des listes électorales par rassemblement pour la marche du consensus visant à mettre fin à toute
inscription de mineurs et d’étrangers FRAC a été pris d’assaut par les dérive et à toute violation. Voilà
dans les zones jugées favorables au éléments de la FOSEP qui ont réprimé pourquoi, le RPT ne peut jamais
RPT, minoration dans les zones jugées de façon aveugle et sanglante la organiser une élection transparente,
favorables à l’opposition, dissimulation m a n i f e s t a t i o n . D e n o m b re u s e s équitable et crédible ;
par la CENI des données chiffrées du arrestations ont été opérées parmi des 4. que faute de prendre
corps électoral ; jeunes embarqués vers des destinations véritablement le contrôle de
inconnues. Dans le même temps, le l’organisation et de la supervision des
• des pratiques abusives et siège de l’UFC a été attaqué par une
illicites en faveur du candidat du RPT élections sous le régime RPT, la
unité de la FOSEP qui a procédé à un communauté internationale investira en
pendant la campagne électorale en bouclage musclé de tout le quartier.
violation des articles 90, 91 et 93 du vain dans les processus électoraux au
Grenades lacr ymogènes, bombes Togo ;
code électoral interdisant notamment assourdissantes, jets de liquides
les dons et libéralités destinés à corrosifs, bastonnades et rafles. Une
influencer le vote ; véritable ‘’expédition punitive’’ contre En raison de tout ce qui précède,
• une mobilisation générale de les militants et responsables de l’UFC l’UFC et le FRAC exigent :
tous les préfets, en violation des et du FRAC ;
dispositions du PAPE (Projet d’Appui au Le comble de l’absurde et de
Processus Electoral), des responsables • la libération immédiate et
l’inacceptable est atteint ce même sans condition de tous les militants et
de l’administration publique et des mardi 09 mars 2010, lorsqu’un
sociétés d’Etat en faveur du candidat du sympathisants arbitrairement arrêtés et
détachement de la FOSEP puissamment détenus à la gendarmerie, dans les
parti au pouvoir. Il est notoire qu’au armé, investit le centre de traitement
cours de la campagne électorale, les prisons et tout autre lieu de détention.

Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 4


IZUBA MAGAZINE #1 • la cessation immédiate de Qu’il a mis en place une
toute poursuite, intimidation,
répression et harcèlement des
commission installée dans un local du
C e n t re d ’ E t u d e S p i r i t u e l p o u r
Manifestation du
13 mars à Lomé
populations sur toute l’étendue du l’Apostolat des Laïcs (CESAL), situé
territoire. dans l’enceinte de la paroisse des
• le remplacement de l’outil Martyrs de l’Ouganda à Lomé, chargée
informatique saisi, violé et dégradé par de la collecte et de la compilation de
les forces de sécurité. tous les résultats des procès-verbaux
reçus par ses délégués dans les bureaux
de vote ;
L’UFC et le FRAC appellent la
communauté internationale à
Que cette commission était
œuvrer pour la reconnaissance de chargée notamment, de l’examen des
la victoire de Jean-Pierre Fabre au irrégularités relevées dans certains
scrutin présidentiel du 4 mars bureaux de vote, savoir, les votes
2010. irréguliers par dérogation et par
procuration, les votes multiples, les
vo t e s m a s s i f s d e m i n e u r s , d e s
Fait à Lomé, le 12 Mars 2010 documents électoraux faisant état de
Le Directeur National de Campagne nombre de votants plus élevé que le
nombre des inscrits, toutes
Patrick LAWSON irrégularités pouvant être établies par 
procès-verbaux, à produire au soutien
du recours qu’il se préparait à
introduire ;
Jean-Pierre Fabre a adressé la Cour
constitutionnelle "une requête à fin Qu’en violation de la loi électorale
de constat" pour expliquer son q u i re c o n n a î t à t o u t c a n d i d a t
incapacité de faire une requête en destinataire des procès-verbaux, le Plus de 200 000 personnes ont
validation du scrutin. A la demande droit d’examiner et de contester les
résultats qu’il estime frauduleux, le manifesté ce week-end à Lomé
du procureur de la République Robert procureur de la République a fait leur refus de se voir une nouvelle
Bakaï, ont en effet saisi les investir, le mardi 09 Mars 2010, le
éléments de preuve dont disposaient centre de compilation, alors que fois voler la démocratie.
l'UFC. courrait encore le délai de recours, par
un détachement de la gendarmerie
Lire-ci dessus la requête envoyée par sous les ordres du capitaine AKAKPO
Jean-Pierre Fabre. qui a saisi tous les procès-verbaux, sans
inventaire préalable, les ordinateurs de
traitement des résultats et autres
REQUETE A FIN DE documents électoraux, et procédé à
l’interpellation des responsables de
l’UFC chargés de superviser les
CONSTAT traitements des résultats et les
opérateurs de saisies ;

A Que les personnes interpellées,


Monsieur le Président, Madame et n’ont été remises en liberté que le
Messieurs les juges de la Cour jeudi 11 Mars 2010, après 18h30 ;
Constitutionnelle Les togolais ne comprennent pas
Lomé Que la gendarmerie a gardé le l a c o m p l a i s a n c e d e l a
matériel ainsi que les procès-verbaux
Monsieur Jean-Pierre FABRE, et les documents saisis ; communauté internationale envers
candidat de l’Union des Forces de la dictature monarchique
Changement (UFC), soutenu par les
partis l’Alliance des Démocrates pour Qu’il lui a été rapporté que les togolaise.
le Développement Intégral (ADDI), gendarmes ont obtenu sous la
ALLIANCE, le Pacte Socialiste pour le contrainte, la clé permettant d’accéder
Renouveau (PSR), et l’Association aux données des ordinateurs saisis ;
S u r s a u t - To g o, r é u n i s e n F ro n t
Républicain pour l’Alternance et le Que cette action en violation de la
Changement (FRAC) a l’honneur de loi, conduite par la gendarmerie sur les
vous exposer : instructions du procureur de la
République qui en assume la
Que la compilation des procès- responsabilité, le prive de son droit
verbaux de vote en sa possession dans légitime de recours devant la Cour
la soirée du 05 Mars 2010, lui donnait Constitutionnelle ;
une avance confortable sur les autres
candidats, notamment, celui du RPT ; Qu’il porte ces faits à la
connaissance des membres de la Haute Le choix volé des Togolais
Qu’en effet, à cette date, les procès- Juridiction à toutes fins de droit.
verbaux en sa possession, le plaçaient [ + d'infos ]
largement en tête, dans la préfecture Fait à Lomé, le 12 Mars 2010
du Golfe, dans la Commune de Lomé,
qui comptent plus du quart du corps Jean-Pierre FABRE
électoral ; dans les préfectures du ZIO, Candidat à l’élection présidentielle Participez à la rédaction du
des Lacs, de l’Avé, de Vo, d’Afagnan, de magazine Izuba ou envoyez-nous
Kloto, et d’Akébou ; vos articles pour publication
sur le site izuba.info
www.izuba.info

Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 5


IZUBA MAGAZINE #1
- des achats de voix et distributions de Damehane (accusé de tortures en 2005
L’Union riz par des militants de Faure Gnassingbé
à des prix très inférieurs au prix du
par l’Organisation Mondiale contre la
Torture), cette Force est financée par
marché, l’Union Européenne (dans le cadre du
Européenne prise - une inégalité de traitement des
candidats à l'élection présidentielle dans
volet « sécurisation de l’élection ») mis
en œuvre par l’Agence Française de
Développement (AFD). Arrestations
à témoin des
les médias d'Etat, arbitraires, interdictions de
- des dérogations et procurations sans manifestations contraire à la
contrôle permettant des votes multiples, constitution, violation de la liberté de
fraudes - une absence de modalité
d'authentification des bulletins au moment
circulation (le quartier général du
FRAC étant encerclé), attaque du siège
de l’UFC (Union des Forces du
du vote,
électorales et des - des problèmes techniques rencontrés
dans la centralisation des résultats, pierre
Changement) : les actes de répression
et d’intimidations se multiplient.
Surtout, une intervention policière au
angulaire de toute fraude électorale.
exactions de la Les irrégularités ont amené deux
centre de traitement informatique des
données du FRAC a conduit à la saisie
du matériel informatique servant au
dictature partis à déposer des recours auprès de
la Cour Constitutionnelle chargée de
recomptage des voix, et à la
destruction de procès verbaux rendant
valider in fine l’élection, alors qu’il y a irrémédiablement impossible des
togolaise peu de garantie sur la crédibilité des
décisions de cette Cour très liée au
vérifications de résultats.
régime. La Commission électorale
Cinq ans après le coup d’État nationale indépendante (CENI) avait L’association Survie relaie les
publié le 6 mars dernier les résultats préoccupations de la société civile
électoral et militaire au Togo, dont togolaise[2] en particulier des 17
provisoires donnant le président
les crimes restent impunis, l’Union sortant Faure Gnassingbé vainqueur organisations regroupées dans le «
Européenne se retrouve prise au avec 60,92 % des voix du scrutin Mécanisme de coordination des
piège de ses engagements comme présidentiel organisé le 4 mars. Jean- activités des organisations de la société
Pierre Fabre, principal candidat de civile », concernant les actes de
observatrice principale de répression constatés, et appelle l’UE à
l’opposition, qui revendique sa victoire
l’ensemble du processus électoral pour le FRAC (Front Républicain pour engager des démarches auprès des
censé aboutir à sortir le pays de la l’Alternance et le Changement), n’a pas autorités togolaises afin de faire cesser
c r i s e. L’ a s s o c i a t i o n S u r v i e émit de recours, considérant la Cour ces violations des droits humains qui
Constitutionnelle comme partiale. La visent à réduire toute forme de
demande à l’Union Européenne contestation d’un processus électoral
délégation européenne se retrouve
qu’elle prenne maintenant ses ainsi témoin principal de ce bras de fer pourtant désastreux. Survie se joint aux
responsabilités face à un scrutin inégal, qui l’implique dans la légitimation revendications exprimées par la société
dévoyé et à la dérive violente du du régime issu de la dictature civile togolaise qui :
régime togolais. d’Eyadéma.
- « demande à l’Union Européenne,
Les premières conclusions du principal bailleur de fonds du Togo dans le
rapport préliminaire de la délégation Alors que Faure Gnassingbé lui- cadre du processus électoral, qu’elle
des 130 observateurs de l’UE (publié le même brille bizarrement par son s’assure que toutes les étapes du
6 mars) sont d’ores et déjà absence, cette crise politique et processus électoral qu’elle finance
accablantes[1]. La liste des irrégularités constitutionnelle donne l’occasion aux obéissent aux normes et standards
militaires de réapparaître comme internationaux ;
constatées dans la préparation et dans
la tenue du scrutin, justifierait une acteurs principaux. La Force Sécurité
Election Présidentielle 2010 (FOSEP), - exhorte le système des Nation Unies, de
invalidation de celui-ci. Entre autres, ont l’Union Africaine, de la CEDEAO et toutes
pu être constatés : participe actuellement à la répression les institutions impliquées dans le
des militants du FRAC contestants les processus d’accompagner les différents
- un gonflement du fichier électoral et résultats à Lomé. Dirigée par le
des enregistrements de mineurs dans les acteurs dans la recherche des solutions
Lieutenant-colonel de gendarmerie Yark consensuelles et pacifiques aux différends
régions favorables à Faure Gnassingbé, nés du présent processus électoral. »

Cinq ans après une succession


dynastique sanglante, le bras de fer
entre Faure Gnassingbé et ses
opposants continue et implique
maintenant les institutions
européennes. L’UE ne peut accepter
que soit appliquée de nouveau la loi du
plus fort. Elle ne peut ignorer non plus
l’enjeu que représente cette élection
pour un régime habitué aux fraudes,
aux manœuvres et acquiescements de
la Françafrique : à savoir la recherche
d’une caution et d’une légitimation
internationales. Celles-ci permettant au
régime de faire oublier son caractère
dictatorial et illégitime et de normaliser
les relations diplomatiques avec ses
partenaires.
Association Survie
communiqué du 11 mars 2010
www.survie.org
Notes:
➡[1] A télécharger ici : http://www.moeue-
togo.eu/FR/PDF/PS_MOE_UE_Togo_2010.pdf
➡[2] A télécharger ici : http://
www.togocity.com/IMG/fraude.pdf

Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 6


IZUBA MAGAZINE #1

Sarkozy au Rwanda
Rétablissement des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda

France-Rwanda : les dessous d’un rapprochement


soutien politique, militaire, financier de la France à un
À l’occasion du déplacement de Nicolas Sarkozy à Kigali gouvernement génocidaire ne peut se dissoudre dans de
le 25 février 2010, l’association Survie tient à décrypter quelconques excuses.
ce qui constitue un profond revirement de la diplomatie La solennité d’une déclaration ne peut se substituer au
française dans la région des Grands Lacs, et tient à nécessaire débat qui doit être mené dans notre pays sur sa
politique en Afrique, et sur le rôle de son armée au
alerter l’opinion sur le fait que ce revirement reste fort Rwanda en 1994, comme en cinquante ans de présence sur
éloigné d’une véritable réforme de la politique de la le continent.
France sur le continent. En effet, en 2009, malgré un volontarisme de façade de
l’Elysée, les termes de la cooptation de la France sur des
gouvernements profondément anti-démocratiques n’ont
Par ce rapprochement avec le Rwanda, entamé il y a guère évolué (Cameroun, Congo-Brazzaville, Mauritanie,
deux ans et consacré par cette visite, la diplomatie Madagascar, Gabon, Niger, etc.). Le rapprochement Paris-
française vise trois objectifs : Kigali s’inscrit dans cette filiation, car il pèse sur Paul
Kagamé de graves soupçons sur le rôle tenu par son pays
• la réintégration de la France dans les nouveaux dans les conflits du Kivu voisin depuis 1998, ainsi que sur
partenariats économiques et industriels de la région ; les nombreuses entraves à la démocratie relevées sous son
autorité au Rwanda.
• le règlement définitif de l’accusation de complicité de Il apparaît donc que ce « dégel » entre les deux pays ne
génocide pesant sur elle et quelques-uns de ses hommes s’encombre d’aucune condition démocratique. En
politiques et de ses militaires ; revanche, il vise une nouvelle fois à positionner la France et
ses entreprises dans la compétition internationale qui se
• enfin l’affirmation d’une «  rupture  » avec certains joue pour l’accès aux ressources naturelles de la région, au
réseaux traditionnels de la Françafrique. mépris de la justice pour les victimes du génocide et des
autres crimes commis.
Les diverses étapes du rapprochement entre les deux De ce fait, Survie tient à prévenir des risques de la
pays ont été l’objet d’une négociation serrée entre les deux normalisation en cours, qui pourraient s’assimiler à une
États, dont l’un des enjeux majeurs fut l’accusation de amnistie mutuelle pour des crimes imprescriptibles, hors
complicité de génocide des Tutsi du Rwanda pesant sur la de tout contrôle des peuples concernés et sans tenir
France [1]. Il est à redouter que l’arrangement trouvé se compte de l’intérêt des populations de la sous-région.
contente au mieux d’une excuse officielle et solennelle ou
de la reconnaissance d’erreurs de la France diluées au sein Association Survie
de celles de la communauté internationale. (Communiqué du 22 février 2010)
En aucun cas, une simple contrition orale ne pourrait [1] Lire notamment La complicité de la France dans le
suffire à mettre sous le boisseau ce qui demeure comme génocide des Tutsi du Rwanda. 15 ans après, 15 questions pour
l’un des plus grands scandales de la Vème République. Le comprendre, Survie, L’Harmattan, avril 2009.

60 soldats français se trouvaient au Rwanda d’avril à juillet 1994, pendant


le génocide...
Un ex-ministre en procès au Tribunal pénal 1er et 2 décembre 2009 par un n’est pas crédible et que toutes les allégations
international pour le Rwanda (TPIR) essaie témoin désigné par le nom de code qu’il a portées contre leur client sont fausses.
CNAL qui a d’ailleurs ajouté qu’il
en vain de vérifier auprès de Paris une leur servait de cuisinier.
allégation selon laquelle un contingent de L’ex-ministre, qui clame son innocence,
E n c a s d e c o n fi r m a t i o n , l e s est inculpé d’entente en vue de commettre le
60 soldats français se trouvaient au mont défenseurs souhaitent également génocide, génocide, incitation directe et
connaître les noms de ces soldats, les publique à commettre le génocide ,
Ndiza, dans le centre du Rwanda, d’avril à unités auxquelles ils appartenaient et extermination et assassinats.
juillet 1994. les dates exactes de leur présence.

Dans une requête datée du 15 février et Originaire de Gitarama , Nzabonimana,


La défense explique, en s’en remettant à qui est présenté par le procureur comme le
reçue mardi à l’agence Hirondelle, les avocats la chambre, avoir tenté en vain de
de Callixte Nzabonimana, ministre de la principal instigateur des massacres dans cette
vérifier cette information auprès préfecture du centre du Rwanda, était
Jeunesse dans le gouvernement en place des autorités françaises.
pendant le génocide de 1994, demandent membre du Mouvement républicain national
ainsi à la chambre de rendre une ordonnance Les juges n’ont pas encore statué sur la pour la démocratie et le développement
appelant les autorités françaises à confirmer demande. (MRND) de l’ex-président Juvénal
ou infirmer cette affirmation d’un témoin à La démarche des avocats de Habyarimana.
charge. Nzabonimana, pour lesquels cette présence [Source: Agence Hirondelle]
Selon cette requête, la présence de de militaires français à Ndiza n’est pas
militaires français à Ndiza a été alléguée les avérée, vise à prouver que le témoin CNAL Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 7
IZUBA MAGAZINE #1

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Dossier de Presse de "France Rwanda Génocide, Enquêtes, Justice et


Réparations (FRG-EJR)"
Paris, le 22 février 2010
Dans le contexte du rétablissement des relations EJR observe le fait que ce comportement est cohérent avec la
diplomatiques franco-rwandaises et du déplacement protection dont les génocidaires rwandais bénéficient en
de Nicolas Sarkozy à Kigali, l’association France- France depuis seize ans (voir document 5).
Rwanda-Génocide, Enquête, Justice et Réparations, Quant au «  réchauffement  » diplomatique symbolisé par la
visite officielle de Bernard Kouchner à Kigali, l’association
tient à rappeler que ce « réchauffement » ne doit pas FRG-EJR signale un témoignage, récemment mis-à-jour,
occulter les responsabilités françaises dans le évoquant le fait que lors d’un des précédents voyages de
génocide des Tutsi du Rwanda en 1994. l’actuel ministre des affaires étrangères au Rwanda, celui-ci
s’était retrouvé dans le même convoi que Théoneste
La création d’un pôle de juges d’instruction spécialisé dans Bagosora, considéré comme le «  cerveau du génocide  »,
la poursuite des crimes contre l’humanité appelle des attaqué par les troupes du FPR… (voir document 6)
réserves quand on sait que depuis seize ans la justice
française n’aura déféré aucun des nombreux Rwandais FRG-EJR rappelle que l’actuel président de la République,
responsables du génocide des Tutsi qui séjournent en France. Nicolas Sarkozy, était ministre du Budget et porte-parole du
gouvernement d’Édouard Balladur responsable de la politique
De même, les responsabilités politiques et militaires mise en œuvre tout au long de la préparation et de
françaises n’ont pas été examinées par la justice à ce jour, l’exécution du génocide.
ainsi que le rappelle le Syndicat de la Magistrature dans un
récent communiqué. L’association FRG-EJR dénonce le L’association France-Rwanda-Génocide, Enquête, Justice et
scandale de cette impunité (voir document 1 - les documents Réparations appelle à ce que toute la lumière soit faite sur les
sont reproduits pages 9 à 14). responsabilités françaises dans le génocide des Tutsi du
Rwanda.
Le général Quesnot, aujourd’hui à la retraite, et à l’époque
du génocide chef d’état-major particulier du Président Elle dénonce le fait que, seize ans après, les victimes du
Mitterrand, demande à pouvoir poursuivre en diffamation les génocide n’aient toujours pas bénéficié des réparations
accusations prononcées contre lui dans le rapport rwandais auxquelles elles ont droit, et que la France leur doit.
sur l’implication de la France au Rwanda. Considérant la
responsabilité du général Quesnot comme de premier plan
dans la mise en œuvre de cette politique criminelle, France Rwanda Génocide, Enquêtes, Justice et Réparations
l’association FRG-EJR reprend à son compte l’ensemble des (FRG-EJR)
affirmations du rapport rwandais, et défie le général Quesnot
d’aller au bout de son intention proclamée (voir documents 2 Contact presse :
et 3)
Le rapport rwandais sur l’attentat du 6 avril 1994 Michel Sitbon au 09 52 73 81 53
confirme la probable implication des extrémistes hutus dans
l’assassinat du président Habyarimana. Reste la question, non Jacques Morel au 06 84 56 04 60
abordée par l’enquête rwandaise, du rôle de la France dans www.francerwandagenocide.org
l’organisation et l’exécution de cet attentat.
L’association FRG-EJR dénonce le fait qu’aucune enquête Email : contact [at] francerwandagenocide [point] org
sérieuse n’ait jamais été engagée en France sur ce point, et
demande formellement que le ministère de la défense
remette au juge Trévidic, en charge de l’enquête sur ce crime,
les éléments dont l’armée française dispose depuis le 6 avril
1994 (voir document 4) Les documents :
Un rapport de l’ONU, en date du 9 novembre 2009, • La justice française dans l’impasse face au Génocide des Tutsi du
constate que des dirigeants des FDLR (Forces démocratiques Rwanda (page 9)
de libération du Rwanda), responsables de nombreux crimes • Diffamation du général Quesnot : FRG relève le gant (page 10)
en République du Congo, résident en France, et que les • Le rôle du général Quesnot (page 11)
autorités françaises refusent de coopérer à l’enquête les
concernant. Fin janvier, Associated Press s’alarmait de la • Attentat Habyarimana  : lettre ouverte d’FRG au 1er Ministre
protection dont bénéficie en par ticulier Callixte François Fillon (page 12)
Mbarushimana, secrétaire général des FDLR (voir l’article de • La France soutient-elle les FDLR au Kivu ? (page 13)
Kagatama sur le sujet), accusé y compris de crimes pendant le • Bernard Kouchner à l’épreuve du feu, le 15 mai 1994 (page 14)
génocide. Rappelons que les FDLR sont une émanation du
groupe responsable du génocide de 1994. L’association FRG-

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IZUBA MAGAZINE #1

Document 1:
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Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 9


IZUBA MAGAZINE #1
Document 2:
Diffamation du général Quesnot : FRG relève le gant
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Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 10


IZUBA MAGAZINE #1

Document 3:

Le rôle du général Quesnot

novembre 2009 v0.1

Né le 24 mai 1938 à Vire, saint-cyrien (promotion 1960 avec Rondot et Dewatre). Officier du génie, il
est ingénieur des Ponts et Chaussées. Suit l’ESG (1972-74) avec Varret. (Périès p. 201) Officier de rensei-
gnements affecté au Tchad (1979-1980), au Liban (1983-1984). (Jean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise,
p. 503 )
Que fait-il de 1984 à 1991 ?
Christian Quesnot est chef d’état-major particulier du 24 avril 1991 à septembre 1995. Le général
Jean-Pierre Huchon est son adjoint, puis le général Bentegeat et l’amiral de Lussy. Le chef d’état-major
particulier est conseiller militaire du Président de la République. Sa fonction relève de la faculté du
Président à engager la force nucléaire stratégique. Il n’a pas de rôle officiel. Il prépare les Conseils de
Défense (= Conseils restreints)
Le Rwanda faisant partie du pré-carré et celui-ci étant du domaine réservé du Président, le rôle de ses
conseillers Delaye et Quesnot est très important et échappe aux ministres. Etant donné que le Rwanda
est surtout l’affaire des militaires, le rôle de Quesnot est plus décisif qu celui de Delaye. Concernant le
Rwanda, il est le point central où arrivent toutes les informations et d’où partent toutes les décisions.
(Audition Martres, MIP, Tome III, Vol. 1, p. 127) Il reçoit les chefs militaires avant leur départ au Rwanda
comme les colonels Poncet et Cussac à la veille du 9 avril 1994. Il est destinataire de toutes les notes de
l’ambassadeur et de l’attaché de Défense à Kigali. Il se rend lui-même au Rwanda le 13 octobre 1992 où
il visite les positions des FAR.
Principaux aspects de l’action de Quesnot sur le Rwanda :
- La stratégie indirecte d’appui aux FAR (= la guerre secrète) :
Alors que l’amiral Lanxade invoquait l’accord de cessez-le-feu de N’Sele du 29 mars 91 pour retirer
toutes les troupes de l’opération, Mitterand s’y oppose et le remplace par Quesnot le 24 avril. Celui-
ci développera la présence militaire française qui fournit une aide opérationnelle en juillet 1992 (Note
Quesnot du 1er juillet 1992) et en février 1993 par l’envoi de 2 compagnies supplémentaires (note Quesnot
du 19 février 1993). Il préconise d’intervenir fortement en soutien à l’armée rwandaise (note Quesnot du
23 février, préparation Conseil restreint du 24 février)
- la découverte d’un SAM 16 neuf le 18 mai 1991 (note Quesnot du note du 23 mai 1991) présente
beaucoup de contradictions. En 1998 Quesnot ne parle plus que de débris. Ne serait-ce pas un montage
pour camoufler le don par les Français aux FAR de missiles prélevés en Irak ?
- L’opposition aux Accords d’Arusha :
Il est opposé aux Accords d’Arusha parce qu’ils donnent des avantages exorbitants au FPR, en par-
ticulier dans la future armée.
- Il est bien informé des préparatifs d’un génocide :
« La victoire de l’ethnie tutsie qui dirige le FPR aménerait sans aucun doute un sursaut ethnique
hutu dont les conséquences pourraient être dramatiques. » (note Quesnot du 23 février 1993, préparation
Conseil restreint du 24 février)
- Il est anti-Tutsi (Tutsiland, fascistes, khmers rouges)
- Il s’oppose à « la loi minoritaire du clan tutsi » (note du 3 mai 1994)
- Il est obsédé par le spectre du Tutsiland (note du 6 mai 1994)
- « Le FPR est le parti le plus fasciste que j’aie rencontré en Afrique. Il peut être assimilé à des
“khmers noirs”» (à Françoise Carle 29 avril 1994)
- Le FPR est l’auteur de l’attentat (note du 7 avril) + mercenaires belges (note du 29 avril)
- Des responsables français, comme le général Quesnot, prétendent contre toute évidence que le FPR
est passé à l’attaque dès le 6 avril.

Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 11


IZUBA MAGAZINE #1
Document 4:
Attentat Habyarimana : lettre ouverte d’FRG au 1er Ministre François
Fillon

Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 12


IZUBA MAGAZINE #1

Document 5:

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Nous ne resterons pas indifférents


L’association Appui Rwanda constitue un pôle
d'aides aux Rwandais en grande difficulté.
Elle maintient active la mémoire du génocide des Tutsi
de 1994.
appuirwanda.free.fr

Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 13


IZUBA MAGAZINE #1 Document 6:
Bernard Kouchner à l’épreuve du feu, le 15 mai 1994
Jacques Morel
17 janvier 2010, v0.1

Bernard Kouchner a été pris dans une fusillade, lors de son séjour au Rwanda du 12 au 18 mai 1994,
pour négocier un « corridor humanitaire » et faire évacuer des orphelins vers la France. Peu d’explication
a été donné dans la presse française qui s’est bornée à souligner le courage de l’ancien ministre, alors que
le titulaire de l’époque, Douste-Blazy avait prudement évité de se rendre à Kigali.
Un article de Paris-Match montre en photo le ci-devant ministre délégué à la santé en bras de chemise,
qui s’est rendu « sur place » mais « n’a pu pénétrer dans Kigali livré aux hordes de tueurs » et s’est contenté
de visiter des camps en Tanzanie et au Burundi en déclarant qu’« au lieu de compter les morts, c’est-
à-dire principalement des Tutsi, il faut s’occuper des vivants », c’est-à-dire des Hutu en majorité. Une
autre photo nous montre « Kouchner sous les balles », assis dans un fossé, protégé d’un gilet par-balles
et coincé entre deux Casques-bleus. La légende indique : « Un soldat de la paix à l’épreuve du feu. Après
avoir dénoncé devant tous les médias les horreurs du Rwanda, Bernard Kouchner est pris pour cible à
Kigali par les fous de la guerre tribale. »1
La presse française voit dans cette fusillade essuyée par le french-doctor des retombées bénéfiques pour
lui en vue des élections européennes. « Bernard Kouchner ayant essuyé des tirs à Kigali, et Bernard-Henri
Lévy des éclaboussures de tarte à la crème à Cannes, Kigali, pour un soir, éclipsa donc Sarajevo. Lumi-
neuses éclaboussures ! [...] La campagne électorale européenne se poursuivant pendant lesdits massacres,
les balles qui visaient le convoi de Bernard Kouchner ne furent pas perdues pour tout le monde. Il fallait
bien que quelqu’un les ramassât et les renvoyât. Porte-parole du PS, Jean Glavany s’y employa, compa-
rant les déconvenues pâtissières de Bernard-Henri Lévy au courage de Bernard Kouchner, qui, “sous les
balles”, insista-t-il, se penchait sur la détresse du Rwanda. »2
Nous n’en saurons pas plus que ce qu’en écrit Renaud Girard : « Dimanche, Bernard Kouchner s’était
rendu en convoi à Gitarama où il avait obtenu le plein accord du gouvernement intérimaire. »3
Mais il est un peu plus disert dans un reportage téléphoné diffusé par Antenne 2 :
Bernard Kouchner s’est rendu dimanche à Gitarama, bourgade située à 45 km de Kigali,
où s’est réfugié le gouvernement intérimaire. Le Président lui a donné son accord de principe.
Au retour à 3 km de la capitale, le convoi de Kouchner est pris sous un feu nourri des
guérilleros. Tout le monde dans le fossé pendant une demi-heure. Pas de blessés. Les forces
gouvernementales avait tenté de profiter de l’aubaine du convoi pour s’exfiltrer. Il reste de
nombreux obstacles. Les barrages de miliciens surexcités et incontrôlables et, si l’opération
réussit, l’accueil des orphelins pour lesquels les pays occidentaux ne s’empressent guère.4
Il est vrai que la rencontre avec le Gouvernement intérimaire rwandais à Gitarama, dimanche 15 mai
1994, fut assez particulière.
Officiellement, Bernard Kouchner, appuyé par Boutros Boutros-Ghali est venu négocier avec le gou-
vernement intérimaire l’ouverture d’un corridor humanitaire à Kigali.5 Officieusement, il est envoyé par
1 Michel Peyrard, Réfugiée dans une case hutue, Haziza la Tutsie devient le fragile symbole d’une chimérique réconci-

liation, Paris-Match, 2 juin 1994, pp. 102-103. Cet article décrit les charniers que découvrent les soldats du FPR dans la
région de Nyamata au Sud-Est.
2 Daniel Schneiderman, En compétition, Le Monde, 18 mai 1994, p. 26.
3 Renaud Girard, Rwanda : la loi du sang, Le Figaro, 17 mai 1994, p. 4.
4 Renaud Girard, Envoyé spécial du Figaro, 16 mai 1994, A2, 7 h 30, par téléphone.
5 « J’ai été envoyé là-bas par M. Boutros-Ghali et j’y retournerai. ». Cf. Jean-Pierre Langellier, Agathe Logeart, Un

entretien avec Bernard Kouchner, Le Monde, 20 mai 1994, pp. 1, 7. http://www.francerwandagenocide.org/documents/


LeMondeKouchner20mai1994.pdf

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Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 14
FRANCE-RWANDA : L’HISTOIRE QUI N’A PAS ÉTÉ DITE
IZUBA MAGAZINE #1

"Les soldats français avaient pris position sur une colline et tiraient sur
les Tutsis…"
Serge Farnel a commencé le tournage d’un film
documentaire en avril 2009 sur les lieux du
massacre au «   pays des mille collines   » et Rwanda’s Genocide : The Untold Story
principalement à Bisesero.
’The whites were stationed at a height, and first they got us
Il a enregistré plusieurs heures de témoignages de out of hiding with their shots. . . . They stopped when the
Interahamwe [the Hutu militia] came, and started again when
rescapés et de miliciens. Un à un, les anciens we resisted.’
génocidaires filmés par Serge Farnel racontent la
même histoire   : des militaires français étaient Bisesero, Rwanda
présents au Rwanda pendant le génocide. Ils ’I tell you as I saw it,«  says Fidéle Simugomwa, a former
prêtaient main forte aux miliciens Interahamwe. Ils Hutu-extremist militia chief during the Rwandan genocide, as
les aidaient à débusquer de leurs cachettes les Tutsi he sits for an interview with French documentary-maker Serge
ayant échappé au massacre… Farnel.  »The French soldiers were standing on the hill, and
firing down at the Tutsi. . . . We had a sign so the French didn’t
shoot at us—[we had] leaves on.«  One by one, the ex-
Ce documentaire de Serge Farnel, produit par la génocidaires whom Mr.  Farnel films tell the same story  :
Metula News Agency, sera prochainement diffusé par Namely, that on May 13, 1994, small teams of white men they
des chaînes de télévision. describe as  »French soldiers," clad in fatigues and riding in
jeeps or …
«  Je vous le raconte comme je l’ai vu  », dit Fidèle
Smugomwa, ancien chef de la milice extrémiste des Hutus Lire la suite de l’article d’Anne Jolis
pendant le génocide rwandais, lors d’un entretien avec
Serge Farnel, journaliste (Menapress, La Nuit rwandaise) et sur le site du Wall Street Journal
réalisateur de films documentaires.
« Les soldats français avaient pris position sur une colline et
tiraient sur les Tutsis… Nous [les miliciens hutus] portions un
signe distinctif afin que les Français ne nous tirent pas dessus –
nous nous étions dissimulés sous des feuilles d’arbres ».
Un à un, les anciens génocidaires filmés par Serge
LE 7 AVRIL 2010
Farnel racontent la même histoire ; à savoir que, le 13 mai un entretien exclusif avec Serge Farnel
1994, de petites équipes d’hommes blancs, qu’ils décrivent
comme étant des «  soldats français  », vêtus de treillis et
transportés dans des jeeps ou des camions, se
rassemblaient sur les hauteurs dans l’arrière-pays de
l’ouest rwandais. Ils tiraient des coups de feu dans les
collines de Bisesero afin de débusquer les Tutsis.
Puis ils visaient directement les hommes, les femmes et
les enfants qui prenaient la fuite. Quand les coups de feu
cessèrent, les tueurs hutus investissaient les collines.
Maniant des machettes, des lances, des massues cloutées,
et leurs propres fusils, ils achevèrent les blessés. Une
vingtaine de survivants me racontèrent une version
identique des événements.
Ce jour-là et le lendemain, 40.000 Tutsis furent
massacrés. En tout, environ 800.000 personnes – des Tutsis
et des Hutus opposants du génocide – périrent
atrocement ce printemps 1994.
« Les Blancs étaient postés sur les hauteurs, et ils nous ont
d’abord débusqués de nos cachettes par des coups de feu… Ils
cessèrent quand les Interahamwe [la milice hutue] arrivèrent,
puis recommencèrent quand nous résistâmes  », dit Sylvestre
Niyakayiro, un Tutsi âgé de 22 ans à l’époque et qui se
rappelle avoir été chassé de colline en colline au cours des
trois attaques perpétrées ce jour-là, dirigées par des
Blancs.
M.  Farnel demande, de manière répétée, si
M. Niyakayiro ne mélange pas les dates, si les Blancs de la
mi-mai, dont il se souvient, n’étaient pas en fait les soldats
français qui arrivèrent à la fin juin pour l’Opération
Turquoise, quand un autre assaut fut lancé contre les
quelques Tutsis qui demeuraient dans les environs de
Bisesero.
«  Les jours du 13 et du 14 [mai] furent inoubliables  »,
répond M. Niyakayiro. Dans toutes les bonnes librairies
[Lire l’intégralité de cet article exclusif sur le site de MENA et sur le site de la revue
Press (Article d’Anne Jolis [voir ci-contre] traduit en français par
Llewellyn Brown)] www.lanuitrwandaise.net

Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 15


IMMIGRATION EN EUROPE
Médecins du Monde, présent auprès
des migrants dans les 22 centres de
soins de l’association en France, mais
aussi dans des programmes mobiles
auprès des personnes sans papiers
comme à Calais ou Paris [1] complète
de la Manche ou, dans les squares désormais ce rapport du Pnud avec des
L’EUROPE INTERPELLEE publics de Paris ou d’autres villes de données spécifiques relatives à
France ? l’immigration pour des raisons
PAR SES IMMIGRES Comment accepter que des médicales. Ces données viennent
hommes, des femmes et des enfants contredire l’idée, répandue, que les
A l’occasion de la journée sans meurent dans l’indifférence générale, personnes qui émigrent du Sud vers le
immigrés, le 9e des sans-papiers s’est alors qu’ils ont pris place, pour fuir la Nord pour bénéficier des soins
invité à la Commission Européenne, pauvreté, sur des embarcations de médicaux de qualité des pays Européens
fortune pour rejoindre Tenerife, sont toujours plus nombreuses.
au 188 boulevard St-Germain à Paris, Lampedusa ou d’autres points de
afin de porter les revendications des Un travail mené par les équipes de
débarquement sur les côtes MDM dans onze pays européens et
immigrés et des personnes sans- occidentales de la Méditerranée ? publié en septembre 2009 («  L’accès
papiers au niveau européen. Comment admettre enfin les aux soins des personnes sans
incarcérations massives dans des camps autorisation de séjour dans onze pays
Les personnes sans-papiers, en d’Europe  ») a étudié les principales
France, dans les pays de l’Union de rétention installés en Europe mais
aussi au Maroc ou en Libye, et les raisons invoqués pour expliquer la
Européenne comme ailleurs dans le décision de migration  : les personnes
monde, participent activement à humiliations dont sont les victimes ces
migrants originaires de zones frappées évoquent majoritairement des raisons
l’économie du pays où ils résident. Ils économiques pour plus de la moitié
occupent en effet des emplois dans de de plein fouet par la récession
économique, la sécheresse ou la d’entre elles. Seuls 6% ont cité comme
multiples secteurs d’activité, parmi les motif de migration vers l’Europe des
plus difficiles (restauration, bâtiment, guerre ?
raisons de santé. Ces données sont
sécurité, garde-malade…), et dans des Les migrations ne sont pas un quasiment identiques de celles
conditions de travail le plus souvent phénomène nouveau en France. Depuis contenues dans les rapports
indigne. De l’esclavage moderne. 1980, la part de la population immigrée régulièrement produits par le Comede
Dans le même temps, la «  question dans la population totale se situe autour ou l’Institut de Vieille Sanitaire. Elles
de l’immigration et des sans-papiers  » de 8%. En 2010, un quart des enfants de infirment donc l’idée de l’immigration
se voient incessamment moins de 18 ans ont un grand parent pour raisons médicales et le lien entre
instrumentalisée par la classe politique maternel né à l’étranger. La France est immigration et déficit des comptes de la
dans son ensemble a de pures fins donc riche de ces diverses origines et sécurité sociale.
électorales, le spectre de l’étranger est l’immigration stable.
En revanche, s’agissant le plus
brandie comme menace et péril des « La criminalisation de l’entrée et de souvent de populations migrantes en
équilibres nationaux et la présence irrégulières des migrants en situation de fragilité sociale et
internationaux… Europe porte atteinte aux principes économique, vivant dans la précarité, le
Des politiques publiques et établis du droit international. Elle est travail de MDM met en évidence à
dispositifs extrêmement violents sont aussi à l’origine de nombreuses l’échelle européenne un accès aux soins
mis en place à l’endroit des personnes tragédies humaines sans pour autant et un suivi médical inadapté et
sans-papiers, bafouant leur droits les atteindre sa finalité, qui est de maitriser largement insuffisant. Ce qui est
plus fondamentaux, créant des climats réellement l’immigration  », a affirmé clairement inquiétant. Pour ne prendre
d’insécurité et de peur, attentant à leur début février 2010 Thomas qu’un exemple, la situation des femmes
intégrité physique et psychologique. Les Hammarberg, Commissaire aux droits enceintes dont seule une petite moitié
multiples rapports de la Commission de l’homme du Conseil de l’Europe, bénéficie dans les faits d’un suivi des
E u ro p é e n n e , l i s t a n t l e s s u c c è s alors qu’il présentait un document grossesses adapté.
remportés en matière de répression, en thématique sur ce sujet. Il ajoutait  :
« Les Etats ont effectivement un intérêt Les représentations sécuritaires des
attestent s’il le fallait (gestion intégrée phénomènes migratoires masquent les
des frontières extérieures, mandat légitime à contrôler leurs frontières,
mais la criminalisation est une mesure tragédies individuelles des migrants que
d’arrêt européen, rapprochement des nos équipes croisent quotidiennement
législations en matière de criminalité disproportionnée, qui peut entrainer
davantage de stigmatisation et la ici, en France et en Europe, là bas, dans
transfrontalières et de terrorisme etc.). les pays dont ils sont originaires ou vers
marginalisation des migrants ».
Nous exigeons le respect des droits lesquels ils migrent dans l’espoir de
des immigrés et personnes sans- Loin des représentations des hordes lendemains plus humains. C’est
papiers, et l’arrêt des politiques de de migrants déferlant sur l’Europe, un pourquoi nous nous attachons à leur
harcèlement, de stigmatisation et de autre rapport du programme des redonner un visage et une parole, et
persécution. Nations Unies pour le développement nous refusons des logiques sécuritaires
(«  lever les barrières  : mobilité et qui nient les droits fondamentaux de la
9e Collectif des Sans-Papiers développement humains  »), publié personne humaine au risque d’accroitre
récemment et passé relativement leur exclusion et leur précarité.
inaperçu, bouscule aussi d’autres idées
Migrants en Europe, reçues. Les flux de population des pays
pauvres vers les pays riches restent
Dr Olivier BERNARD, Président MDM
France
l’effroyable inhumanité minoritaires.
Si chaque année, cinq millions de Pierre SALIGNON, Directeur général
action humanitaire
La manière dont nos sociétés personnes franchissent des frontières
européennes abordent la question de internationales pour aller vivre dans un
pays développé, elles sont bien [1] MDM mène également des actions
la migration en ce début de XXIe davantage à migrer vers un pays en dans des régions qui voient transiter les
siècle restera, probablement, au développement ou à se déplacer dans migrants, au Maroc, en Algérie, au Mali où
regard de l’histoire, une tragédie. leur propre pays. Ainsi, ce sont bien les encore sur le continent nord-américain à la
pays en développement qui assument la frontière entre le Mexique et les USA.
majeure partie des flux migratoires. De L’association intervient depuis longtemps
Comment comprendre nos silences plus comme le souligne le rapport : « il dans plusieurs régions d’émigration,
face aux renvois vers leur pays en n’existe aucune preuve d’impacts l’Afrique subsaharienne, l’Asie du sud est,
guerre de jeunes Afghans venus négatifs de l’immigration sur l’Amérique Latine, mais aussi des pays
chercher refuge en Europe et qui, l’économie, le marché du travail ou le actuellement en guerre, Afghanistan et
confrontés à une gestion des flux budget, alors que les bénéfices ne sont Somalie.
migratoires exclusivement répressive, se plus à démontrer dans des domaines
retrouvent dans la plus grande précarité comme la diversité sociale et la capacité
à survivre dans des taudis, sur les plages d’innovation ».

Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 16


IZUBA MAGAZINE #1
Zaïre: Conférence Nationale Souveraine
7 août 1991- 6 décembre 1992
Les grands bouleversements de la politique internationale dès la
fin 1989 avec le démantèlement du communisme en URSS,
l'effondrement du mur de Berlin, la chute de Ceasescu en Un climat politique difficile
Roumanie, marquent la fin de la guerre froide et contraignent le Vers la mi-août, on assiste au pays et
particulièrement à Kinshasa, a un regain
président Mobutu qui sent venir la contestation dans son pays, à d'insécurité et de violence, on parle des
lancer le 14 janvier 1990 l'idée des consultations populaires au opérations de “hiboux”, il s'agit de raids
cours desquelles le peuple exprime ses doléances. nocturnes, opérés à bord de véhicules de
marque Mitsubishi Pajero non immatriculés,
avec des hommes armés, parfois masqués,
A l'issue de celles-ci se forme Président de l'assemblée procédant à des enlèvements, intimidations,
progressivement le projet de la nationale et lance dès le 5 mauvais traitements…
Conférence nationale dont la mission décembre une “Journée ville Qui sont en fait, ces hiboux ?
est de contribuer à la recherche des morte” largement suivie par la Le résumé d'un rapport publié par la
solutions susceptibles d'améliorer le population de Kinshasa. Ligue de droits de l'homme à Kinshasa le 22
fonctionnement des institutions Le 11 décembre, la CNS septembre révèle que 32 instructeurs Sud-
nationales. reprend ses travaux sous la africains auraient entraîné une centaine de
Cette Conférence nationale s'ouvre présidence du ministre de soldats zaïrois aux techniques de type non -
le 7 août 1991 au Palais du Peuple à l'intérieur  : M. Mandungu Bula conventionnel ; guérilla urbaine, sabotage,
Kinshasa. C'est le Premier ministre Nyati  ; avec un seul point inscrit emploi de mines, enlèvements, assassinats,
Mulumba Lukoji qui préside la séance à l'ordre du jour  ; élection du répression, etc.
d'ouverture, en l'absence injustifiée du Président du Bureau provisoire. L'instruction des soldats, issus dans leur
chef de l'Etat. Dans son discours, il Le candidat présenté par la quasi - totalité de l'ethnie Ngbandi, a débuté
dresse un bilan négatif de trente une société civile  ; Monseigneur en mars à la base de Kitona, dans le Bas-
années d'indépendance, Monsengwo, archevêque de Zaïre, et s'est achevée le 25 août par une
particulièrement sur le plan socio- Kisangani et président de la remise de brevets. Les instructeurs Sud-
économique. Après cette ouverture, Conférence épiscopale du Zaïre africains, tous de race blanche, sont aussitôt
l'opposition remarque la présence l'emporte. retournés à Pretoria.
m a s s i v e e t i n j u s t i fi é e d e s M. Joseph Iléo Président du
i n c o n d i t i o n n e l s d u M o u ve m e n t Saccages et pillage
Par ti Démocrate et Social
Populaire de la Révolution(MPR) qui Chrétien  (PDSC) est élu vice- D'autre part, suite à la baisse du pouvoir
siègent en tant que “invités du président du bureau provisoire. d'achat et au non-paiement de leurs soldes,
gouvernement”. le lundi 23 septembre 1991, les
C'est dans un climat de tension, de Suspension de la CNS parachutistes des Forces armées zaïroises
panique et de peur alors que les travaux cantonnés au camp CETA, s'emparent de
de la Conférence Nationale stagnent, Le 24 décembre, M. Nguz l'aéroport international de N'djili, ils pillent,
que le président Mobutu après une installe le bureau provisoire de la incendient et saccagent ses différents
réunion de concertation au Palais de CNS au Palais du Peuple, ses bâtiments. Le signal est ainsi donné pour un
Marbre à Kinshasa avec les travaux s'y déroulent presque pillage systématique dans la ville, pendant
représentants des forces politiques de normalement jusqu'au 19 janvier deux jours, les militaires d'autres camps se
l'opposition, signe le 30 septembre, au 1992 lorsque, dans un message à dispersent dans Kinshasa où ils pillent,
terme d'une troisième journée de la radio et à la télévision, il en dévastent aussi bien les domiciles privés que
concertation, l'ordonnance portant suspend les travaux. les équipements industriels et collectifs.
nomination de M. Etienne Tshisekedi au Toutes les forces vives du Dans ces désordres, on déplore des blessés,
p o s t e d e P re m i e r m i n i s t re . L e pays se mobilisent et protestent des victimes de viol, mais aussi une centaine
gouvernement Tshisekedi sera révoqué contre cette suspension de la de perte en vies humaines.
le 21 octobre, Mobutu déclarant que le CNS, le 16 février 1992, les
Premier ministre était dans chrétiens de Kinshasa organisent
l'impossibilité légale d'exercer ses une marche pacifique pour réclamer sa République (HCR) aux fonctions
fonctions. Cette révocation suscite la réouverture, l'armée intervient, la législatives et de contrôle.
réprobation de toute la population mais répression est brutale et il y a de S'ensuit une période de plus de
n'empêche pas Mobutu de signer une nombreuses pertes en vies humaines deux années de troubles, d'assassinats
nouvelle ordonnance, dès le 23 parmi les manifestants. A cause de ces (Valentin Lubumba) et de pillages
octobre, qui nomme Bernardin Mungul pressions internes mais aussi (Kisangani, au Shaba, et destruction
Diaka Premier ministre. internationales, le pouvoir de Mobutu partielle de Goma [92], de Kinshasa
Ce dernier réunira deux fois la CNS autorise le 06 avril 1992 la réouverture [93], …), dans un Zaïre déliquescent,
en séance plénière, le 15 et 20 de la CNS qui inscrit à son actif deux alors que la communauté internationale
novembre. Mais dès le 25 novembre, le éléments importants  : la proclamation "lâche" Mobutu dont le régime part
président Mobutu annonce le de sa souveraineté et la nomination de complètement à la dérive.
remplacement de M. Mungul Diaka par son bureau de direction permanent.
M. Nguz-a-Karl-Ibond. Souveraine, la CNS entend que ses Remise en selle du vieux dictateur
L'opposition conteste la nomination décisions aient force de loi sur tous les par la France
de Nguz, considéré comme un traître. Zaïrois et sa juridiction s'étende aux
domaines tant politiques et juridiques En novembre 1994, Mobutu est
Cela se traduit par d'innombrables invité au sommet franco-africain de
manifestations populaires de qu'économiques et culturels. Ses
travaux se poursuivent normalement Biarritz (France), ce qui marque la fin de
protestation. son isolement diplomatique sur la scène
jusqu'au 14 août 1992 lorsque
Tshisekedi est élu Premier ministre du internationale.
Le 4 décembre: Expiration du
gouvernement de transition qui doit Mobutu venait d'accorder à la
mandat de sept ans du maréchal conduire le pays vers les élections. France le droit d'utiliser Goma comme
Mobutu Presque à la fin de ses travaux, la base arrière de l'opération "Turquoise",
CNS a élu 453 de ses membres à la permettant la fuite au Zaïre des
Le jour même de cette expiration, le génocidaires rwandais alliés de la France
président Mobutu annonce qu'il restera fonction de Conseiller de la
République. Leur mandat tel que définit qui prennent en otage un million de
en fonction jusqu'aux prochaines civils rwandais puis, durant plusieurs
élections. L'opposition exige dans l'Acte de Transition, est de nature
l'application de l'article 40 qui stipule législative. années, les populations congolaises du
Kivu....
qu'en cas de vacances ou La Conférence nationale achève ses
d'empêchement, les fonctions de travaux le 6 décembre 1992 après avoir A partir de l'article d'Alexis M. Kabambi,
Président de la République soient désigné un Haut Conseil de la revue Renaissance, n°21 du 31/10/1998.
provisoirement assumées par le
Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 17
IZUBA MAGAZINE #1

REVUE DE PRESSE
Ne pas oublier : 16 février 1992
16 février 1992. C’est ce jour que tout a changé et que le glas venait de sonner pour le régime Mobutu.
A l’initiative des abbés catholiques, les chrétiens avaient bravé le régime en place, exorcisé le démon de la
peur pour marcher afin de réclamer la réouverture de la Conférence nationale souveraine. Car quelques
heures plus tôt, le Premier ministre de l’époque, Nguz a Karl I Bond, avait fermé « avec force » les travaux de
ce cadre de la démocratie, de la liberté d’expression.
Jamais pareille marée humaine n’était descendue dans les rues de Kinshasa pour revendiquer ses droits. Un spectacle
inédit. Une image captivante, inoubliable. Surtout au niveau de l’échangeur de Limete d’où les premiers coups de feu ont été
tirés. Rameau d’une main, Bible ou chapelet dans l’autre, des milliers de chrétiens marchaient, tout en entonnant des
chansons religieuses. Face à eux, des militaires bien armés, doigt sur la gâchette. Du jamais vu à Kinshasa. Du jamais vu en
République démocratique du Congo, alors Zaïre.
Mais hélas ! Cette marche pacifique fut brutalement réprimée. Dans le sang. Personne ne connaîtra jamais le nombre
exact des morts de la démocratie, de la liberté d’expression.
(…)
[Source: Le Potentiel]

Aux martyrs du La grande marche … il ouvrit le feu


16 févriers pacifique du 16 dans la foule ...
Il y a 18 ans la Société Civile avait février 1992 Témoignage de de Bruno
Kasonga, journaliste au quotidien
organisé une inoubliable marche
pour la réouverture de la Elima
16 février 1992-16 février 2010, il
Conférence nationale souveraine y a 18 ans, la marche pacifique (…) des militaires (visiblement des
(Cns) fermée sous le des chrétiens, organisée à garde-civils) et commandés par un officier
gouvernement Nguz, marche au allèrent à l'encontre du groupe. Ceux-ci
Kinshasa par le Comité laïc de s'arrêtèrent devant les manifestants en
cours duquel les chrétiens ont été coordination de l’Eglise leur demandant de ne point franchir le
massacrés en victimes de la catholique, était réprimée dans le pont et de se disperser. Le groupe
démocratie que le régime sang par les soldats de Mobutu. s'agenouillât en chantant sans faire
dictatorial agonisant de Mobutu a mouvement. Un dialogue des sourds.
Les chrétiens ne réclamaient que la Lorsque les militaires reculent, les
vainement cherché à mater. Gare réouver ture de la Conférence manifestants avancent, jusqu'à franchir le
à la récupération politicienne de nationale souveraine (CNS) fermée pont. Les militaires  reculaient. Ils
ce jour de gloire nationale ! «avec force» par Nguz A Karl I Bond, s'adressèrent aux parachutistes qui
alors premier ministre. étaient le long de la route pour se joindre
Le 16 février 1992, les Chrétiens à eux afin de contenir la foule. Les para
s’étaient mobilisés dans la rue pour rétorquèrent que ce n'était pas leur
réclamer la réouverture des travaux Dix-huit ans après, comme le boulot de s'occuper des civils. C'est la
de la Cns fermés par le Premier relèvent Les Dépêches de Brazzaville tâche des gendarmes et de la garde civile. 
ministre Nguz. L’initiative est venue du dans son édition du 9 février 2010, Les militaires visiblement dépassés,
comité laïc de coordination dont les cette date devrait être consacrée à appellent par phonie leurs supérieurs
acteurs sont Pierre Lumbi, actuel une réflexion profonde pour évaluer le pour demander du renfort. La foule
ministre des Infrastructures et long parcours du processus de s'accroissait davantage en nombre et
François Kandolo. Les politiques eux, démocratisation, pense un analyste. venait de franchir la rivière et dépassait
sont venus se greffer à cette initiative D’introspection pour se ressourcer et déjà le niveau de la station de pompage
pour en tirer un quelconque dividende susciter de nouvelles énergies d'eau de la Régideso. C'est en ce moment
politique. De mémoire de journaliste populaires car, dit-il, le péril est qu'un officier supérieur surgit et il
dans ce pays, aucune organisation toujours en la demeure. ressemblait bien à Baramoto. Il ordonna à
n’avait réussi de mobiliser telles ses hommes d'ouvrir le feu sur la foule.
foules. Aucun parti politique n’était (…) Personne ne s'exécuta. Il arracha l'arme à
capable de cet exploit. [Diosso Olivier, Le Potentiel] son subalterne et ouvrit le feu dans la
foule. (…)
(…)
[L’Avenir] [R. Diku et B. Kasonga, Congo One]

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Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 18


IZUBA MAGAZINE #1 marche d’espoir fut sauvagement rendre au peuple pour leur mauvaise

Analyse réprimée dans le sang par le pouvoir qui


démontra une fois encore sa
dangerosité. Cependant, cette grande
manifestation a eu le mérite de mettre à
nu surtout la désapprobation générale
du système et de ses gouvernants, les
gestion de la chose publique.
Emanation directe de la CNS, le
Haut conseil de la République (HCR)
n’a pas pu non plus examiner ces
dossiers, alors qu’il avait pour tâche de
«Le rôle de l’Eglise dans le poursuivre le travail inachevé de cette
processus de démocratisation en méthodes d’oppression et ses effets dernière et d’en exécuter les décisions
néfastes causés par la brutalité du sur la base des orientations déjà
République démocratique du Congo régime contre les contestataires sans tracées. Par la suite, la même mission
(1990-2006) : nécessité et armes. Par leur grande mobilisation, les sera dévolue à la nouvelle institution,
perspectives» Congolais ont démontré aux yeux du Haut conseil de la République/
monde et du pouvoir la force que parlement de transition (HCR/PT) qui, à
par Jimmy Mungala Feta revêtent la non-violence évangélique et la différence du HCR, était le fruit d’un
Autant la suspension de la le prix qu’ils attachaient à la CNS. consensus politique général. A l’issue
Conférence nationale souveraine (CNS) Comme toujours, l’Eglise, par la bouche des négociations politiques intervenues,
des évêques catholiques, a vite perçu un consensus permit une fusion des
était un affront pour le peuple congolais cette «tentative d’annihilation de
qui y plaçait tout son espoir, autant la parlementaires issus de la CNS qui
marche des chrétiens du 16 février l’espérance des fils et filles de la RDC (ex- exerçait également les prérogatives
1992 l’était pour le Maréchal-président Zaïre) ». législatives en tant qu’instance extra
M o b u t u . E n e f f e t , b o n n o m b re Elle a dénoncé ces manoeuvres institutionnelle, avec les anciens députés
d’observateurs soutiennent qu’au moins dilatoires tendant à rompre l’élan vers la de la défunte législature.
pour la première fois, le Maréchal- démocratie tout en dénotant l’inutilité MOBUTU RECUPERE LA
président trouvait sur son chemin un des moyens disproportionnés de SITUATION
peuple qui ne lui devait rien, un peuple violence et l’importance de la
libéré de la peur et déterminé à sortir réconciliation manquée des filles et fils Fort malheureusement, au lieu de se
de l’esclavage dictatorial. congolais réunis en Conférence. Par préoccuper de l’avancement du travail
ailleurs, elle annonçait le chemin de la amorcé par la défunte CNS pour sortir
En outre, le chef de l’Etat, dans son vérité en réprouvant la classe politique l’Etat de la crise multiforme et le peuple
refus de s’impliquer dans le processus de l’angoisse, au niveau du Haut Conseil
de la remise en question de sa gestion irresponsable et les diverses institutions
corrompues de la République. de la République, les politiques et
catastrophique, voyant la tournure que parlementaires, toutes catégories socio-
prenait la CNS, et sur tout la Nonobstant la reprise des travaux le professionnelles et tendances
détermination du peuple réuni en 06 avril 1992 annoncée par une représentées, avaient tout simplement
Conférence, instruisit le gouvernement allocution du Chef de l’Etat le 27 Mars choisi de se battre pour «leurs intérêts
à prendre l’indélicate décision le 19 1992 et quelques acquis comme égoïstes» au point d’appliquer la théorie
janvier 1992 de suspendre les travaux l’élection démocratique du premier de prédation, comme l’a si bien fait
de la CNS. Ministre et chef du gouvernement, remarquer Tshimbombo Mukuna dans la
Etienne Tshisekedi Wa Mulumba, le 15 livraison du journal le Soft du 3
Certes, la démocratisation n’était août 1992, l’absence de volonté
qu’à un stade embryonnaire, mais le juin1996.
peuple a vite compris qu’il s’agissait politique réelle d’engager l’Etat sur le
c h e m i n d e p ro fo n d e s r é fo r m e s Quoique des appels incessants des
purement et simplement d’un autre confessions religieuses sur la justice
coup de force tendant à retarder la attendues avait sensiblement réduit la
marge des manoeuvres de la CNS. distributive aient été adressés aux
bonne marche dudit processus. Qui plus Ainsi, elle n’a pu épuiser toutes les gouvernants pendant la Transition, ces
est, cette suspension, jusqu’à nouvel derniers ont donné l’impression d’être
ordre, n’avait aucun fondement avec son matières ni présenter les rapports
d’audition et débats sur certains frappés de surdité et de cécité
financement tel qu’officiellement politiques au profit de leurs intérêts
déclaré. En réalité, des prétextes dossiers très sensibles parmi lesquels
les biens mal acquis, assassinats égoïstes. Ce comportement colle à la
avancés, à savoir le coût exorbitant des politiques, détournement de fonds, peau de la plupart des dirigeants
assises, la question de la géopolitique, la congolais et guide pour l’essentiel leurs
prise en charge des délégués à la enrichissement illicite et frauduleux, et
autres jusqu’à la clôture précipitée des velléités de rébellion, de trahison, de
Conférence, couvait une remise en corruption, de mauvaise gestion et
cause de certaines décisions prises par travaux le 06 décembre 1992 dans une
ambiance électrique augurant des parfois d’impunité. Ces déboires qui
les délégués du peuple réunis en lendemains incertains. rongent la gouvernance en RD Congo
Conférence. accentuent davantage la pauvreté de la
Dans la lutte du peuple congolais en ECHECS DE LA CNS, DU population. Ce souci permanent de
quête du changement, cette HCR ET HCR/PT partager des postes et par le pouvoir et
circonstance demeure l’un des moments Certes, la CNS, comme toute par l’opposition avait débouché sur une
historiques et mémoriaux. C’est oeuvre humaine, n’a pas été parfaite; qui «3ème voie». Pour n’avoir pas empêché
pourquoi, comme un seul homme, sur plus est, l’usure du temps et la la réalisation de cette «3ème voie», le
toute l’étendue du pays, spécialement à persistance de la crise ont entraîné la prélat sera désavoué par ses pairs du
Kinshasa, où se tenaient les travaux, le désintégration de la résistance . HCR-PT et destitué de ses fonctions de
peuple descendit dans la rue pour Toutefois, il sied de rappeler, tout président de l’instance législative de la
exiger la réouverture de la CNS. Ce 16 spécialement, le thème de la Ttransition. Ceci créa une septicémie
Février 1992, à l’appel du Comité laïc de réconciliation nationale par rapport à la politique définie par de nouveaux
coordination de l’Eglise catholique, le c o n fl i c t u a l i t é ay a n t m a rq u é e n rapports de force qui mirent en branle
peuple de Dieu par centaines de milliers profondeur l’histoire de la RD Congo l’excellent héritage de la CNS légué au
de fidèles catholiques, protestants, depuis l’indépendance. Dans une HCR, devenu à son tour HCR-PT.
kimbanguistes, orthodoxes, adeptes des certaine mesure, le peuple a mis en Comme il fallait s’y attendre, le
Assemblées de Réveil et tous les profit les messages de la non-violence régime mobutiste a recouvré à la fin
Congolais épris de paix, des milliers de active des confessions religieuses relayés l’essentiel du contrôle de la situation
manifestants encadrés par les grâce à l’émergence de la presse après avoir paralysé le parlement et le
organisateurs descendirent envahir libéralisée pour parvenir à refuser la gouvernement de transition.
massivement les artères avec des division et la guerre civile.
chants, cantiques et danses, tenant en A la lumière des événements, il
mains qui images religieuses, rameaux, apparaissait que la fin en catastrophe de Extrait de:
qui croix, chapelets et tous avec des la CNS révélait les intentions malsaines Le rôle de l'Eglise dans le processus de
bandelettes noires autour de la tête et nuisibles du pouvoir qui avait démocratisation en République Démocratique
comme seules armes. boycotté et avait saboté la cérémonie du Congo (1990-2006) : Nécessité et
REPRESSION DANS LE de réconciliation prévue à la clôture du Perspectives
SANG forum national. Aussi, nous restons par Jimmy MUNGALA FETA
En optant de descendre dans la rue, d’avis que s’il y a eu échec de la CNS Chaire Unesco pour les droits de la
le peuple a payé donc le lourd tribut qui a offert au peuple une merveilleuse personne et de la démocratie 
occasion de restauration nationale, il est
car, pour braver la dictature, cette à situer du côté des leaders véreux et Diplôme d'Etudes Appronfondies (DEA)
marche des chrétiens dite grande alimentaires qui avaient des comptes à
Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 19
IZUBA MAGAZINE #1
HISTOIRE : 15 mars 1997 Zaïrois qui sont en(fé)tichés de sous la houlette de Jacques Foccart et
Mobutu. de son adjoint Fernand Wibaux. Le chef
Kisangani tombe aux Les orphelins ont deux options : mercenaire se fait appeler Malko, ou
l’affranchissement, ou le «colonel Dominique». Il s’attribue un rôle
mains des rebelles de réasservissement. Laquelle choisiront- décisif dans la libération des deux
ils ? Le néo-colonialisme foccartien pilotes de Mirage français tombés en
L-D. Kabila vo u l a i t é p a r g n e r a u x A f r i c a i n s 1995 aux mains des Bosno-Serbes, et
Kisangani, chef-lieu du Haut-Zaïre, francophones la morsure de l’histoire. p r é t e n d c o n n a î t re l e f a c t o t u m
Ils ont eu les deux, la domination et la pasquaïen Jean-Charles Marchiani, - sur
est tombé, le 15 mars 1997, ce coup-là comme sur bien d’autres.
comme un fruit mûr aux mains des morsure. Celle-ci se fait plus cruelle -
annonçant peut-être la liberté, non la A Belgrade, les intermédiaires sont
«rebelles» de Laurent-Désiré fin des souffrances. Ainsi, pour sortir du des proches du président Milosevic,
Kabila (LDK). La Franzaïre - mobutisme, on aurait pu imaginer des dont le chef de la Sécurité Jovica
branche locale de la Françafrique moyens plus économes en vies Stanisic. Le recrutement est mené,
- leur opposait une coalition humaines - si la France, par exemple, entre autres, par Milorad Palemic, qui
avait eu quelque respect pour l’éveil dirigea un commando bosno-serbe
hétéroclite, un ramassis de démocratique de l’Afrique. De même, i m p l i q u é d a n s l e m a s s a c re d e
criminels : ils partent en une justice internationale moins Srebrenica. De Belgrade, une série de
débandade. sabotée aurait pu éviter que ne se vols ont été organisés pour transporter
règlent, par le feu, les comptes du plusieurs centaines d’hommes, mais
LDK et ses troupes sont accueillis génocide de 1994. L’histoire s’est écrite aussi des armes - la part la plus juteuse
en libérateurs : les Zaïrois, qui ainsi, mais nous n’adhérons pas à ses du contrat. Une base avancée a été
h é s i t a i e n t à re c o n n a î t re c e t t e façons. Les pages qui se tournent, les établie au Caire (l’Egypte est un
résurgence improbable du options qui se rouvrent éveillent notre partenaire habituel des opérations
lumumbisme, paraissent décidés à attention. Mais nous ne chantons pas ce françafricaines). Pour les mercenaires
chevaucher l’opportunité de balayer, qui scelle aussi tant d’échecs, tant français, on a sollicité notamment les
enfin, le système Mobutu - leur ruine d’occasions manquées, au risque de milieux d’extrême-droite , par
personnifiée - chaque fois remis en semer la haine et légitimer la brutalité. l’intermédiaire de François-Xavier
selle par les interventions occidentales Il est plus que temps de songer à nous Sidos et de la société Groupe 11. (La
(françaises, surtout). Le signe zaïrois est co-civiliser. Lettre du Continent et L’Evénement du
vaincu : des Africains ont triomphé des Si les Kabila’s boys vainquent J e u d i , 2 0 / 0 2 / 1 9 9 7 ; L’ E x p r e s s ,
mercenaires, et non l’inverse. presque sans combattre, c’est qu’ils 27/02/1997 ; The Sunday Times,
Vieillis, les réseaux recruteurs de surfent sur la conjonction de plusieurs 09/03/1997 ; The Observer, 16/03/1997 ;
soudards ont montré leurs limites. lames de fond : le ras-le-bol de The Times, 17/03/1997 ; Washington Post,
Kisangani a de bonnes chances d’être, Mobutu, interne mais aussi externe (il 19/03/1997 ; Libération, 21/03/1997).
au néo-colonialisme de la France, ce en a trop fait à ses voisins angolais,
que Dien Bien Phu fut à son ougandais ou rwandais) ; la volonté L’aveugle et le paralytique
colonialisme : le signe de sa fin. Comme d’en finir avec les forces armées du
les symboles mènent l’histoire, on peut génocide de 1994; et une dernière Il n’est pas triste d’entendre le
s’attendre à un effet de souffle, à des vague qui peut beaucoup enfler, la ministre des Affaires étrangères belge,
ondes de choc dans tout le «pré-carré» francophobie. Sans compter qu’en face, Eric Derycke, inviter la France à
francophone, à commencer par la on tire littéralement contre son propre «changer de politique» au Zaïre. Une
Centrafrique et le Congo. camp. fois! Voici un siècle, le roi Léopold II fit
17 mars 1997. Jacques Foccart Au moins 650 hommes de l’ex- à son peuple l’encombrant cadeau d’un
s’éteint. Le concepteur de la rébellion angolaise, l’Union nationale pays-continent, le Congo. Depuis, la
Françafrique en était redevenu la clef pour l’indépendance totale de l’Angola Belgique est embourbée dans ses
de voûte. Certes, sa maladie réduisait (Unita) de Jonas Savimbi, combattent contradictions coloniales, redoublées
de plus en plus les fils de son réseau à aux côtés des troupes de Mobutu (Le par ses propres dissensions. Elle ne
ceux du téléphone (eux-mêmes Nouvel Afrique Asie, 03/1997). Un savait comment se dégager de Mobutu.
remplacés, souvent, par les liaisons vieux couple françafricain. Du coup, le Après la chute de Kisangani, elle
satellite), mais quel magnétisme ! A gouvernement de Luanda a laissé plus découvre la lune : l’ère Mobutu est
Jacques Chirac, tenté, un moment, de de 1.500 ex-gendarmes katangais, «révolue» ! Elle aimerait partager cette
réformer le système français de héritiers des dissidents du Shaba, rallier révolution copernicienne avec la
coopération (ce déguisement Kabila à Bukavu (Le Soir, 01/03/1997). France. Mais le regard de cette
foccartien du dessein néo-colonial), il dernière ne semble pas remis, depuis
fut ordonné: touche pas ! Et le Les mercenaires trois siècles, de son éblouissement par
président de se recoucher dans un lit le roi-soleil ...
vermoulu, mais douillet. Ils sont beaux, ces mercenaires Mi-mars, dans un sursaut de
C’est aussi Jacques Foccart qui, fin serbes dragués par les réseaux franco- lucidité, Jacques Foccart aurait envoyé
avril 1994, à Gbadolite, peu avant zaïrois pour la défense du mobutisme ! des émissaires auprès de Mobutu pour
l’opération Turquoise, orchestra l’ultime Un habitant de Kisangani, qui eut à lui demander de démissionner. Ce qui
restauration de Mobutu. Il sut le subir leurs exactions, résume leur aurait aggravé l’état de santé du patient
revendre aux Occidentaux comme le attitude : «Ils étaient devenus (Le Soir, 18/03/1997). Entre-temps,
champion de la stabilité contre le complètement mabouls», tuant ou Foccart est mort, et l’Elysée a laissé
chaos. Kisangani est le K.O qui ponctue torturant tous ceux qu’ils Mobutu repartir vers le Zaïre. La
ce combat de trop. Mais on n’a pas le soupçonnaient de sympathie pour les politique africaine de la France est dans
coeur à filer la métaphore sportive : «rebelles». le coma.
depuis 39 ans, les combats organisés Le 14 mars, sentant le vent tourner, A l’Onu, «on a du mal à nommer un
par ce manager de la Françafrique le ils décidèrent de fuir par la voie des seul pays [d’Afrique francophone] qui, par
furent au prix du sang des Africains (un airs. Ils rejoignirent un aéroport sympathie pour la diplomatie française,
million au moins) : Camerounais, sécurisé par des commandos français, soutienne encore la thèse de Paris» sur le
Nigérians, Libériens, etc. Sans parler des officiellement chargés de protéger Zaïre, s’étonne un diplomate africain
actuels conflits en Afrique centrale. l’évacuation des humanitaires, et (Le Monde, 19/03/1997). La garde
Charles Pasqua a, lui aussi, un profitèrent des appareils de l’armée rapprochée du podium français à l’Onu
réseau africain très développé. Mais il française ... Ceux-ci évacuèrent aussi les était, faut-il le rappeler, un axe
n’a pas l’autorité d’un Foccart. La hauts gradés zaïrois. Mais la piétaille ne stratégique du système franco-africain.
disparition de ce dernier creuse donc voulait pas se laisser abandonner :
un vide dans cette par t de la durant plusieurs heures, les Serbes
Françafrique qui préfère la soumission firent feu sur leurs «alliés» zaïrois, Tout fout le camp!
(dût-elle parfois conduire à l’ignominie) causant de nombreux morts. Cette
filière serbe a été montée par la Billets d’Afrique n° 45 - Avril 1997
à l’autonomie de pensée. Le même
deuil trouble en ce moment le chef Direction de sécurité du territoire www.survie.org
(comme disent les Belges) de ceux des (DST) français et un certain Patrick F.,

Izuba, le magazine • 20 Mars 2010 • 20


IZUBA MAGAZINE #1

Hutu, Tutsi,
naturelle de gouverner et se « bastion du phénomène Hutu-Tutsi ». De
considérait comme différent des autres fait, en dehors de l’espace géographique
composantes de la population. rwandais et burundais et de leur
Plus au sud, l’élite pastorale du Buha voisinage immédiat à l’Est et au Sud,
aucune région de la zone interlacustre

Twa était communément qualifiée de «  Tusi


ou Tutsi  », mais le vocable Hutu, peu
répandu n’était généralement utilisé
que comme un sobriquet par les
n’a développé une telle catégorisation
de la population. Dans le sillage des
spéculations des explorateurs, des
chercheurs on tenté de rapprocher la
extrait du livre à paraître "Les habitants. Quant au terme Twa il
semble inusité en Giha. distinction rwando-burundaise Hutu-
enfants d'Imana" Tutsi, du couple Baïru-Hima que l’on
Dans les espaces tanzaniens à l’Est rencontrait au Nkore mais il ne s’agit
Par Jean-Luc Galabert du Rwanda, on ne repère guère de que d’une analogie des organisations
trace vernaculaire des termes hutu et sociales.
Nous chercherons ici à décrire à tutsi ; il en va de même dans les parties
de l’Ouganda qui n’ont jamais été Cette restriction de l’aire
quoi les termes Hutu, Tutsi et Twa d’utilisation des identifications Hutu et
intégrées à l’ancien royaume du
se référaient initialement, avant Rwanda. En revanche, le terme omutwa Tutsi accrédite l’idée du caractère
d’être absorbés et sédimentés par se retrouve dans les langues Kiga, secondaire des catégories Hutu, Tutsi.
le discours de l’anthropologie Nkore et Nyoro. L’hypothèse la plus probante est que
ces catégories rwando-burundaises
européenne, puis réintroduits dans A l’ouest de l’espace rwando- sont le résultat de processus de
le vocabulaire politique burundais  : au Bushi, au Buhavu, au différenciations internes, au sein de
interlacustre. Buhunde et chez les Balega Sile, on communautés ayant en commun des
rencontre une catégorie de la caractéristiques historiques, politiques
Nous essayerons dans un premier population appelée par différents noms et culturelles qu’il reste à identifier. Les
temps de déterminer l’extension dérivés de la racine twa  : «  murhwa  », récits d’origines du Rwanda nous
géographique politique et en langue Shi et Haavu  ; mutswa en permettent-ils d’avancer dans la
Tembo. Ces différents termes désigne compréhension de la genèse de ces
culturelle de la subdivision des généralement des groupes résidants catégories  ? Nous tirerons d’éventuels
populations entre Hutu, Twa et dans les forêts qui pratique la chasse et enseignements de ces traditions après
Tutsi guidé par les interrogations la cueillette et sont souvent rattachés avoir exposé les principaux mythes qui
suivantes : aux pygmés. En tembo le terme fondent l’imaginaire politique et social
namwamitswa (banamwamitswa au de l’ancien royaume rwandais.
• Cette distinction est-elle une pluriel) désigne une femme pygmée qui
caractéristique de l’ancienne couchait rituellement avec le roi après
civilisation interlacustre ? son intronisation.
• Est-elle un phénomène propre On trouve dans cette région, une S’agit-il historiquement
aux civilisations interlacustres ou catégorie de « Baluzi » ou « Baluci » que d’identités prescrites et
certains observateurs occidentaux ont
particulier à des espaces assimilé aux Batutsi, mais l’occurrence subies, ou au contraire auto
sociopolitiques et culturels des catégories «  Hutu  » et «  Tutsi  » revendiquée et assumée ?
spécifiques ? n’est pas avérée. Dans les langues
• Cette distinction recouvre-elle en Bantu de l’ouest du lac Kivu la racine
tous lieux le même sens ? luzi a une connotation politique de
Puis nous poserons la
« supériorité » et de « noblesse », qui se Hutu, Tutsi et Twa dans les
rapproche de celle de la catégorie
problématique de l’historicité des ganwa du Burundi. Dans ces territoires traditions orales
catégories Hutu, Twa et Tutsi en nous dont les chefs suprêmes s’appelaient
demandant notamment : La datation de ce que l’on nomme
Bami, comme au Rwanda, il semble bien sans doute improprement «  traditions
Peut-on en évaluer la profondeur qu’un corps de notables auxiliaires du orales » pose un problème irrésolu à ce
historique ? pouvoir, ici nommés Batutsi et là jour. L’occurrence des termes Hutu,
• S’agit-il de catégories Baluzi, occupaient des fonctions Tutsi et Twa dans les récits oraux
originellement distinctes l’une de analogues. Mais, au-delà de cette rwandais ne permet pas par elle-même
analogie fonctionnelle, l’histoire du d’évaluer l’ancienneté de ces termes.
l’autre ou, au contraire, de catégories peuplement de la région, et celle des
d’identification corrélées, issues de Dans le chapitre intitulé «  Chroniques
amoko que nous avons évoquées rwandaises mythiques et historiques  »,
processus de différenciations internes auparavant montre qu’il serait abusif de
au sein d’une population ? nous avons eu l’occasion de relever que
déduire une identité bio-ethnique les variations apparaissaient, dans les
• L’apparition de ces catégories est- commune des ces différents groupes. narrations historiques produites d’un
elle repérable ? Dans l’île d’Ijwi, qui fut très aède l’autre, sans altérer la structure et
• La signification de «  Hutu  », temporairement rattachée au Rwanda les thèmes fondamentaux des récits.
« Twa » et « Tutsi » a-t-elle évolué ? sous Kigeri IV Rwabugiri, on rencontre Ce constat ne permet pas pour
• S’agit-il historiquement également des Baluzi. Mais on ne autant dire que les récits ibitekerezo,
trouve pas ici non plus d’autochtones sont la mise en forme d’une mémoire
d’ethnonyme assumé ou assigné  ? En qualifiés de Hutu ou Tutsi. Pour les
d’autres termes, s’agit-il d’identités historique inchangée depuis sa
î l i e n s d e t r a d i t i o n h av u , c e t t e formulation initiale au plus près des
prescrites et subies, ou au contraire différenciation n’était en outre pas
auto revendiquée et assumée ? évènements narrés. Eu égard aux
pertinente pour distinguer les rwandais modalités générales de la transmission
entre eux : ils appelaient collectivement humaine, il semble raisonnable de
Extension du phénomène les migrants venus du Rwanda concevoir les récits qui ont été figés
Hutu-Tutsi-Twa « Badusi », terme dérivé de Batutsi. par leur forme écrite, non comme le
Ce tour d’horizon des pays fruit d’une mémoire collective inaltérée
Les termes Hutu, Tutsi et Twa se limitrophes du Rwanda permet de mais comme le résultat de mises en
retrouvent au Burundi comme au mesurer la diffusion assez large de la
R w a n d a ave c d e s s i g n i fi c a t i o n s formes successives ; la forme moderne
racine «  twa  » et la restriction de et ciselée au fil des générations de
proches. Mais à ces trois catégories l’extension géographique des termes canevas mêlant schèmes symboliques
communes, les Barundi ajoutent une hutu et tutsi, dans une région africaines immémoriaux et préoccupations
quatrième spécifiquement burundaise, où les mouvements de populations, les contemporaines des narrateurs et de
celle de Ganwa qui désigne les échanges culturels et les alliances
représentants des grandes familles où leur public. Suivant la formule de Jean-
matrimoniales ont été multiples. Pierre Chrétien, il est probable que les
étaient choisis les souverains et les L’historien des sociétés interlacustres textes finaux des récits historiques en
chefs. A l’instar des Babito du Bunyoro, Jean-Pierre Chrétien a donc avec raison général et ceux des récits de fondation
ce groupe s’attribuait la vocation qualifié le Rwanda et le Burundi de en particulier, amalgament plusieurs

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mémoires et qu’ils doivent être Terre  » Abasangwa-butaka, qui par none ngwino uvune urwanda rwa so.
décryptés comme des palimpsestes alliance fonderont le «  Royaume de la [alors viens sauver le rwanda de ton
superposant plusieurs strates Terre  ». Aussi, les souverains rwandais père]
narratives . de la dynastie nyiginya, descendant To u j o u r s s e l o n l e s r é c i t s
ultimement de Nkuba, sont-ils fondateurs, Gihanga, l’un des
Sabizeze-Kigwa et les d’origine céleste. Plus généralement descendants de Sabizeze-Kwiga, est
les rejetons de la lignée première sont l’ancêtre éponyme de tous les
Ibimanuka métis du ciel et de la terre. r w a n d a i s q u i s e d é fi n i s s e n t
Nous entamerons notre Sabizeze Kigwa, tomba sur la my t h i q u e m e n t c o m m e «  b e n e
pérégrination «  archéo-mythique  » des terre, en compagnie de son frère et Gihanga » « les enfants de Gihanga. » Le
termes Hutu, Tutsi et Twa dans de sa sœur et d’un couple de nom de Gihanga signifie « Fondateur ».
l’univers des récits ibitekerezo, par serviteurs twa à l’est du Rwanda, aux Cette figure essentielle de l’imaginaire
l’exposition du mythe de la naissance abords du grand rocher Ikinani, rwandais a longtemps été considéré
de Sabizeze, l’ancêtre des souverains «  l’Inamovible  », sous lequel ils comme un personnage historique.
rwandais. Voici la trame de ce récit trouvèrent refuge. Ils fraternisèrent Les récits que nous évoqués
fondamental pour appréhender avec les locaux qui leur accordèrent jusqu’ici doivent être appréhendés,
l’imaginaire rwandais : l’hospitalité. En retour, les enfants du non comme l’écrin d’une mémoire
tonnerre Célestes donnèrent aux fils histoire, mais comme des mythes
Sabizeze est le fils du Roi du Ciel de la terre, gouvernés par le roi
ou Roi d’en haut, dont le nom royal fondateurs de liens, instituant une
Kabeja, un peu du feu qu’ils avaient communauté d’imaginaire historique
est Nkuba (La Foudre), son nom amené avec eux du ciel et ils leur en
personnel étant Shyerezo (La Fin politique . Jean-Pierre Chrétien
Dernière, L’Aboutissement). Sa mère apprirent tous les usages. rappelle à juste titre que, dans les
l’une des épouses du souverain Plus tard, Kigwa conçu un fils avec sociétés de traditions orales, les récits
céleste est la Reine Gasani «  La sa soeur, qu’il nomma Muntu, d’origines ont pour fonction d’être
sacrée ». «  L’humain  ». Ce denier qui est «  des chartes sociales et politiques, des
métaphoriquement le père de tous les sortes de constitutions non écrites,
Le Roi Nkuba souhaitait agrandir hommes – Muntu ni se w’Abantu fondatrices d’un ordre dont la légitimité
son empire par la conquête. Il réunît bose – instaura la première dynastie est ainsi affirmée sur le mode narratif.
ses conseillers, et leur exposa son des rois du Rwanda. Mais l’immuabilité de cet ordre est aussi
désir. Le Conseil engagea le souverain mythique que la fixité supposée du récit
à consulter les augures. Les devins- Il importe de préciser que cette
partie de la tradition orale rwandaise censé l’exprimer. La formalisation quasi
abanyambuto, c’est à dire « ceux de la littéraire de ce dernier lui donne à la fois
semence », sélectionnèrent un taurillon ne porte vraisemblablement pas sur le
seul Rwanda, entendu dans le sens u n e s t a b i l i t é e t u n e c o h é re n c e
approprié, recueillirent la salive du esthétiques et une richesse symbolique
Roi, appelée «  semence  » pour moderne, mais sur l’Urwanda, c’est-à-
dire «  le monde entier  ». Ceci est particulière. »
l’occasion. Les gestes rituels
accomplis, les abanyambuto firent indiqué clairement dans l’ancienne Une remarque s’impose ici : si ces
avaler le liquide augural au taurillon affirmation, Urwanda ni isi yose, «  le récits de fondations évoquent
avant de le sacrifier . C’est par la Rwanda, c’est le monde  ». Chaque fois marginalement les Batwa à travers le
lecture des entrailles de l’animal, ainsi que les récits fondateurs mentionnent couple de serviteurs qui accompagna
«  ensemencé  » par le fluide éminent le terme Urwanda ou la locution Kigwa dans sa chute sur terre, ils
que les devins conclurent que le Urwanda rugari, le « grand Urwanda », n’utilisent à aucun moment les termes
projet du souverain céleste serait il faut entendre « le Monde » c’est-à- «  Tutsi  » et «  Hutu  », en dehors du
réalisé, mais non par Shyerezo lui- dire le royaume planétaire de Muntu, nom propre Mututsi dont est affublé
même, mais pas un de ses fils qui était «  L’humain  », qui se distingue de le demi-frère de Sabizeze-Kigwa. La
encore à naître. Urwanda rwa Gasabo, «  le pays de différenciation fondamentale qui est
Gasabo  », c’est-à-dire le territoire posée par les mythes d’origine est
Au moment où les devins étaient minuscule considéré comme le celle qui distingue les ibimanuka des
rentrés au palais pour rendre compte berceau du futur état rwandais qui abasangwa butaka, autrement dit les
de leur consultation, la Reine Gasani, avait pour épicentre le Mont Gasabo. êtres « issus du ciel » et ceux « trouvés
sur avis de sa conseillère Impanvu (La sur terre  ». Ce motif symbolique n’est
cause), déroba le cœur du taurillon Jan Vansina rappelle que le terme
rwanda signifie littéralement «  la pas proprement rwandais  ; on le
sacrificiel, le plaça dans un pot retrouve notamment au Buganda avec
d’érythrine et l’aspergea surface occupée par un essaim ou un
éparpillement » soit un vaste espace. A le personnage de Kintu.
quotidiennement de lait pendant neuf
mois. Au terme, de cette période, elle l’origine, le vocable rwanda était Les personnages de ces récits font
trouva dans le récipient un petit bébé toujours utilisé en y adjoignant un écho à la scène politique du Rwanda
surnageant dans le lait caillé . Elle marqueur spécifiant le lieu évoqué. des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle. Ils
l’appela Sabizeze «  Le recour s « L’éparpillement de Gasabo » indiquait renvoie de manière réfractée au
propice » . Nkuba voulut supprimer cet ainsi l’aire occupée par les gens ayant paysage clanique à travers la référence
enfant né dans des circonstances si essaimé à partir de Gasabo, «  le aux amoko dynastiques issus de Kigwa
étrange, mais la grâce du sourire du Rwanda de Kamonyi  », celle des gens et de Gihanga , aux amoko
nourrisson eût raison de la funeste ayant essaimé de Kamonyi. Dans les matridynastiques issus de Mututsi et
intention. récits historiques le mwami pouvait aux amoko considérés par les
dire «  mon rwanda  » et s’entendre tradition de la cour centrale comme
Pendant son adolescence Sabizeze répondre «  ton rwanda  » pour dépositaires du rôle rituel d’ubuse.
quitta la maison familiale, suite à une désigner la région habitée par tous
dispute, et « perçant » le plancher du Cette répartition des fonctions
ceux qui lui obéissaient. Ainsi trouve-t- symboliques les éminentes se
ciel, qui est le plafond de la terre, on dans un récit historique, relatant
« tomba à l’Est ». Il prit dès lors le nom retrouvent dans l’ubwiru, institution
les hauts-faits de Ruganzu Ndori le essentielle à la légitimation de la
de Kigwa, « Le Chuté ». C’est sous ce dialogue suivant entre le conquérant
nom qu’il fonda, sans le savoir, un royauté sacrée.  Les trois grands biru,
héroïque et son fidèle messager ou « rois » rituels, venaient de chacun
embryon de royaume, qui devint, au Kavuna.
temps de son fils Muntu, « l’Humain », de ces trois groupes  : respectivement
le Royaume des Humains, Abantu. Ndori lui demanda : un Tsobe, un Kono et un Singa. Les
C’est ainsi que le fils de Nkuba Mbwira uko urwanda rwa data Bacyaba avaient par ailleurs un «  roi
réalisa, à son insu, en répondant aux rumeze [Dis-moi comment se trouve le pour rire » à chaque règne . Le mwiru
circonstances du moment, le grand Rwanda de mon père]. t s o b e , «  r o i  » a u B u m b o g o ,
projet que son Père céleste avait représentait une lignée rituelle, liée au
conçu. Kavuna répondit : culte des prémices du sorgho, qui
Imigezi yarakamye, [Les rivières sont fournissait aussi des batabazi, c’est-à-
Les mythes de la première asséchées] dire des «  libérateurs  » censés se
dynastie narrent ainsi les aventures de sacrifier à la guerre pour sauver le
Sabizeze pendant son enfance et sa inkoko zirabikira mu magi, [les poules
chantent dans les oeufs] pays quand il était menacé. Il faut
jeunesse au ciel puis, une fois sur noter cependant que Rutsobe, leur
terre, avec ses célestes compagnons, abana baralilira mu nda za banyma ; ancêtre éponyme, est très marginal
les relations entre «  Ceux du Ciel  » [les enfants pleurent dans les ventres de dans la lignée de Gihanga. Quant au
Ibimanuka et «  Ceux trouvés sur la leurs mères] mwiru kono, il était aussi au
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Bumbogo, chargé de la succession, mais douces aux gens qu’ils rencontraient et
cette fonction avait été créée les mangea pendant le chemin, il Jean-Luc Galabert est
seulement sous le règne de Cyirima mangea également les épis de sorgho
Rugwe, le deuxième des rois vraiment qu’il glanait en marchant. Gatutsi se membre de
historiques (après Ruganzu Bwimba) au garda des ces aliments de peur qu’ils ne l'association France
XVIe siècle. Le mwiru Singa enfin l’indisposent. Il se serra une corde
renvoie plus spécialement au cycle autour du ventre et attendit Gatutsi R w a n d a G é n o c i d e,
narratif de Gihanga par le biais de la qui avait écouté jusque là sans bouger Enquêtes, Justice et
dynastie des Barenge, alors que le cycle entendit encore les paroles que la
de Kigwa met plutôt en avant les femme adressa à son mari  : «  On l’a Réparations (FRG-EJR)
« autochtones » Bazigaba. vraiment bien dit : « ukuri koko izina si ryo et du comité de
Les mythes d’origine ne font donc muuntu  » le nom ce n’est pas la
écho à la situation des clans dans le personne ! Dois-tu t’informer comme si tu rédaction de la revue
Rwanda du XIXème siècle que de ne savais pas que l’aîné des mois est La Nuit rwandaise
manière approximative ou décalée. Les ukwakira qui accueille toutes les
positions les plus influentes dans le semences  : la pluie tombe et les haricots
Rwanda précolonial que nous sont plantés, l’éleusine est semée, les
connaissons ne correspondent pas patates douces sont cultivées, les courges, Vous pourrez consultez
nécessairement aux rôles dominants les ignames et beaucoup d’autres
mis en scène dans les légendes de semences sont mises dans le sol ? - il me les nombreuses notes
semble bien qu’il en est ainsi, répondit
Kigwa et de Gihanga. Ces lignes de
faille conduisent à se demander Si les Kimenyi.  » Lorsque les deux époux de ce texte et sa
furent profondément endormis, Gatutsi
rôles secondaires n’ont pas été
pu se lever et rejoindre la couche de bibliographie complète
introduits au fil de l’histoire, chaque
groupement tenant à légitimer sa ses frères. dans le livre à paraître
présence dans la société rwandaise par Le lendemain Kimenyi trompa les
une représentation dans le corpus enfants en leur disant que l’aîné des (en 2010)
fondamental auquel se réfère la mois était Mutarama. Il le fit pour que Les enfants d’Imana.
mémoire collective nationale. Nous Kibaza ne sache pas le temps de la
aurons à revenir sur cette dialectique culture et soit affamé. Les enfants
de recomposition périodique. rentrèrent au foyer. Quand ils
arrivèrent, leur père demanda à Gatwa
Gahutu, Gatutsi et Gatwa quel était le message : il répondit à son Alors je l’ai gardé pour toi. Bois
père que l’aînée des lunes est Seigneur." Alors Imana dit à Gatutsi  :
Les mythes relatifs à l’origine de la Mutarama parce qu’il l’avait entendu de « Ganza, règne ! » Il maudit Gatwa et en
différence entre Batwa, Batutsi et Gahutu. Gatutsi rectifia et dit que c’est fit un paria parmi ses frères et donna
Bahutu n’appartiennent pas à ce corpus Gahutu qui avait obtenu cette réponse l’ordre à Gahutu d’être le subordonné
liée à la tradition de la cour de Kamenyi, mais qu’en réalité l’aînée de son frère Gatutsi.
(iby’ibwami), mais relèvent, semble-t-il, des lunes est ukwakira et il raconta
plutôt de la tradition populaire (ibyo comment Kamenyi avait cherché à les L’épreuve de la jarre de lait est
muri rubanda). tromper. parfois complétée par une autre qui
consiste à construire une hutte sur le
Voici l’un d’entre eux : « Le mythe de Kibaza s’en souvint le jour de son rocher, et que seul Gahutu réussit
l’aîné des mois » testament, il fit de Gatutsi le chef de manifestant son esprit pratique, sa
Un homme du nom de Kibaza famille ; Gahutu devait lui obéir et de se compétence technique et son goût
(l’éternel interrogateur) arriva au charger du dur travail de la terre. pour la vie domestique. Dans une autre
Rwanda alors que le pays était encore Quant à Gatwa il n’aura nulle version encore, Gatutsi garde son lait
une forêt. Il défricha la forêt, il cultiva et considération de personne, il sera tenu intact et reçoit les vaches  ; Gahutu
fit des semailles. Les jours passèrent. Il à l’écart et vivra des choses que ceux laisse tomber peu de lait sur ses mains
engendra successivement trois garçons que ses plaisanteries auront enchantés et manifestera sa valeur par son
qui grandirent ensemble comme des lui donneront. travail ; la femme en laisse tomber dans
jumeaux. L’aîné, Gatwa jouait l’enfant Le mythe de la jarre de lait est son giron et aura pour fonction
gâté  ; la gourmandise et la légèreté également très connu et souvent cité. d’enfanter  ; quant à Gatwa, il boit tout
accaparaient son cœur  ; Gahutu, lui, En voici la trame essentielle : manifestant qu’il n’y a rien à attendre
aimait cultiver et aider sa mère aux Imana, Dieu des collines heureuses, de lui que la gloutonnerie. Un autre
travaux du ménage, mais il avait peu cherchait à qui confier le troupeau des jugement spécifie que Gatutsi traira la
d’intelligence ; Gatutsi dépassa ses deux vaches du Rwanda. Un soir, il descendit vache, Gahutu traira les champs et que
frères au cours de la croissance  ; il les sur sa terre préférée. Il confia à Gatwa, Gatwa traira la forêt.
dépassa en agilité et intelligence et Gahutu et Gatutsi une jarre de lait. Pierre Smith commente ainsi, la
ajouta à cela l’art de flatter et de ruser. Ayant fait cela, Imana remonta dans philosophie du récit de l’aînée des
Kibaza cultivait le sorgho pendant la l’empire céleste. Le matin, il revint sur lunes, dans lequel les trois frères sont
lune de Werurwe (mois lunaire les lieux, à l’issue de la nuit- ancêtre, chargés de ramener un message de vie,
correspondant à mars-avril) et il le voir ce que les trois hommes avaient la réponse qui évitera la famine . « Dans
récoltait chétif pendant Tumba (saison fait de sa jarre de lait. En sortant de son toutes les versions de ce conte Gahutu et
sèche). Il plantait les haricots pendant premier sommeil, Gahutu avait eu soif. Gatwa se rendent coupable des mêmes
Kaboza (décembre-janvier) et le soleil Il avait bu le lait et s’était recouché. erreurs  : précipitation, gourmandise et
de Mutarama (janvier-février) les A l’aube, au moment de la nuit dit oubli, indisposition, sommeil inopportun et
abîmait en pleine floraison. "quand les petits veaux remuent", ignorance qui sont les maillons d’une
Il se dit alors  : «  Si j’envoyais Gatwa s’était débattu dans son même chaîne et font de l’homme le
quelqu’un chez Kimenyi (le savant), il sommeil, sa jarre s’était renversée, la prisonnier de la mort. A l’inverse, le
m’indiquerait quel est l’aînée des lunes et terre avait bu le lait. Au moment où le contrôle de soi, l’abstinence, la mesure, la
je saurais ainsi quel est le temps des soleil venait de Bulyazuba, le pays où disposition à veiller, la vaillance, la
semailles et celui de la récolte. » Il réunit l’on mange le soleil, Imana trouva discrétion sont les vertus attribuées à
ses fils et leur dit  : «  Préparez Gatutsi accroupi auprès de sa jarre de Gatutsi. Ces qualités lui confèrent le rôle
suffisamment de provision et partez sans lait et la veillant. Apercevant Imana, de gardien protecteur des secrets de la
tarder chez Kimenyi lui demander de ma Gatutsi ôta prestement le couvercle vie  : ceux de la fécondité et du cycle des
part quel est l’aîné des mois. Gatwa qui ainsi que font les gens bien élevés, car saisons. La légitimité de sa primauté est
est le plus âgé transmettra le message. Et offrir une boisson couverte était une fondée sur son rôle de médiateur entre les
toi, Gahutu, si Gatwa oublie quelque insulte. forces vives du ciel et l’organisation de la
chose, rappelle le lui. Quant à Gatutsi, il vie sur terre. »
"Tu n’aimes donc pas mon lait  ? "
vous tiendra compagnie. » demanda Dieu - Si Seigneur, répondit L’importance du respect de la vie
Sur le chemin Gatwa qui portait les Gatutsi, mais je me suis dit que tu est mise en scène dans un autre récit
provisions les mangea à l’insu de ses reviendrais au Rwanda, notre pays est si qui lui aussi disqualifie Gatwa.
frères. Gahutu demanda des patates beau. Et que tu aurais peut être soif.

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Imana appelle les Tutsi et, mettant responsable des cultures  ; le second, Quelles que soient les
en valeur leur intelligence, il leur dont le pot était à moitié rempli, interprétations que l’on attribue aux
propose  : Vous êtes la seule catégorie prendrait le nom de Kahuma et serait signifiant «  Twa  », «  Hutu  », «  Tutsi  » il
intéressante  : voici des armes, responsable du bétail ; le troisième qui reste que chacun d’eux est lié à un
débarrassez-nous des autres. Les Tutsi avait encore son pot plein de lait et champ sémantique distinct. «  Gatwa  »
réfléchissent à l’utilité des autres et avait pris la tête de bœuf, s’appellerait renvoie à enfant gâté, gourmandise,
refusent. Les Hutu réfléchissent et Kakama. Ruhanga lui donna le pouvoir oubli, insouciance , malédiction,
refusent à leur tour, car ils ont besoin de diriger ses frères et de régner sur le légèreté, non-respect des prescriptions
des Tutsi pour arbitrer les conflits et les Kitara. C’est lui qui, selon la tradition, et restrictions rituelles  ; "Gahutu"
protéger, et des Twa pour fabriquer des fut le premier souverain du Kitara et renvoie à travailleur, amour de la terre,
pots et les amuser. Quand c’est au tour donna leur titre aux rois qui suivirent gourmandise, simplicité, intelligence
des Twa, ils foncent sans réfléchir et (abakama). réduite… ; « Gatutsi » renvoie à agilité,
Imana les arrête et les maudits. Ils ne Dans une autre version , tempérance, contrôle, intelligence, art
pourront plus porter les armes que Nyamuhanga et son épouse Nyabagabe de flatter, ruse. C’est donc tout au
sous les ordres des Tutsi. e n g e n d r è re n t u n e n f a n t q u ’ i l s moins à l’énonciation d’une hiérarchie
Dans une autre version, le Twa nommèrent Kintu  ; Kintu qui devint le des valeurs de références de la société
refusent également et ce sont les premier roi du Kitara se maria et rwandaise que procèdent les mythes.
femmes, lasses d’être moquées par les conçut trois enfants  : Kaïru, Kahima et
hommes, qui foncent pour les tuer. Kakama. Quelque temps avant de Traditions orales et
Imana les arrête, leur expose les mourir Kintu voulut désigner son
inconvénients de leur conduite et elles successeur  ; il présenta à ses fils trois peuplement du Rwanda
avouent qu’elles n’y avaient pas pensé. objets : un morceau de fer, un récipient La thèse de l’autochtonie originelle
Imana décrète alors que pour porter en bois et un tronc d’arbre. Ayant des Batwa, de l’implantation ancienne
des armes il faut d’abord savoir demandé alors à chacun de choisir mais ultérieure des Bahutu et de la
réfléchir et il pose, pour les femmes, l’objet qui leur paraissait le plus migration beaucoup plus récents de
l’interdit absolu de porter des armes. important : Kaïru choisît le morceau de pasteurs Hamites – Batutsi qui auraient
Les motifs de ces récits étiologiques fer, Kahima prit le récipient et Kakama colonisés les «  peuples premiers  » du
ne sont pas proprement rwandais  ; on porta son choix sur le bois. Kintu leur Rwanda a parfois été étayée par de
les retrouve notamment dans des dît que chacun avait choisi sa vocation : vagues référence aux traditions orales
traditions nyoro  :, les noms des le morceau de fer de Kaïru rwandaise.
protagonistes ne sont plus Gahutu, représentant la houe  : il prendrait soin
des cultures  ; le récipient en bois de Pierre Smith qui a œuvré à la
Gatutsi et Gatwa mais Kakama, Kahima collecte de celles-ci, ainsi qu’à l’étude
et Kaïru, ancêtres éponymes des rois Kahima signifiant le pot servant à traire
les vaches : il s’occuperait du bétail ; le des récits populaires de toute la zone
(bakama), des Bahima et des Baïru. des Grands Lacs rapporte que, si les
bois de Kakama désignant le tambour :
Ruhanga qui est à l’origine de tout, il serait souverain. mythes d’origines, ibirari, font référence
dota les humains de tout ce qui est à la hiérarchie de Gatwa, Gahutu et
nécessaire à leur existence. Il créa le Comme on le voit les récits Gatutsi, aucune source orale ne fait
soleil, la nuit, la lune, les oiseaux, les d’origines ont une valeur étiologique et d’allusion à une quelconque invasion
herbes, les outils (le couteau, le tendent à justifier une répartition Tu t s i n i m ê m e à u n o r d r e
marteau, la hache), le bétail et le feu. sociale des tâches et la prééminence de d’implantation de chacun de ses
Nkya Mba, frère de Ruhanga avait la fonction monarchique. Les variantes groupes. Pour Jean-Pierre Chrétien,
quatre fils  : l’aîné s’appelait Kantu de ces récits reflètent, selon les l’histoire de Gahutu, Gatutsi, et Gatwa
( p e t i t e c h o s e ) e t t ro i s a u t re s royaumes, la diversité des serait en outre marginale dans les
répondaient au même nom de Kana configurations socio-politiques mais ils traditions orales et ferait figure de
(petit enfant). Cette situation posait un ne mettent nullement en scène une pièce rapportée. Sa popularité actuelle
problème  ; lorsque le père appelait tel opposition de type racial puisque les devrait beaucoup à sa réitération à
fils c’était un autre qui se présentait. personnages centraux de ces mythes usage politique et idéologique au XXe
sont frères. siècle.
Pour mettre fin à ce désordre, Nkya
Mba organisa un concours qui lui Les références mythiques Ce même historien considère
permettrai de doter chacun de ses fils rwandaises établissent elles aussi la également que ce sont les idéologies
du nom qui lui conviendrait. Il les fraternité de tous les Banyarwanda en contemporaines qui se sont emparés
convoqua à son domicile, et confia à même temps que leur hiérarchie en des mythes de Kigwa et de Gihanga
chacun d’eux un pot de lait (ikisahi) définissant les valeurs dominantes de la pour faire de ces deux personnages
puis les renvoya. Sur le chemin, Nkya société. On s’en doute, ces mythes originels les symboles d’une invasion
Mba avait placé différents objets  : un n’ont pas manqué d’être repris, tutsi venue du Nord. Mais dans les
panier de sorgho, des patates douces, interprétés diversement soit en traditions orales ceux-ci ne sont pas
un coussinet en herbes, une hache, un accentuant la fraternité originelle de associés à une partition ethnique de la
couteau, une corde servant à attacher Gahutu, Gatwa et Gatutsi et donc celle société mais bien plutôt, comme nous
les pattes des vaches pendant la traite de tous les rwandais, soit pour l’avons déjà mentionné, à l’histoire des
et une tête de bœuf. Parvenus à cet légitimer la domination sociale des uns amoko rwandais. De fait plusieurs
endroit, le plus âgé et le cadet ou au contraire dénoncer une situation d’entre eux se réfèrent à la geste de
abandonnèrent les pots de lait confiés d’asservissement multiséculaire. Kigwa et de Gihanga dans leurs
par le père. Le premier se mit à Josias Semujanga dénonce les généalogies mythiques. Les amoko de
consommer la nourriture. Comme il interprétations idéologiques certaines dynasties modernes sont
n’arri¬vait pas à tout terminer, il anachroniques qui ont pu être faites de mentionnées dans les récits de
s’empara du coussinet en herbes, le mit cette légende. Pour lui, La fonction fondation  : Banyiginya du Rwanda,
sur la tête et emporta le reste. Quant essentielle des mythes des fils de Bahondogo du Bugesera, Bashambo du
au plus jeune, il préféra prendre la tête Gihanga serait d’expliquer l’origine du Ndorwa. Les ibirari font également
de bœuf. patrilignage et les qualités exigibles du référence à l’ubwoko qui fournît le plus
Ruhanga, organisa une deuxième chef de lignage aux Rwanda. Au seuil de grand nombre de reines-mères des
épreuve. Après la traite du soir, il confia la mort, rapporte-t-il, chaque père bami rwandais depuis le XVIIIe siècle.
de nouveau un pot de lait à chacun des pouvait rependre le récit des épreuves Sont aussi mis en scènes les amoko
trois enfants et leur demanda de tenir de Gahutu, Gatwa et Gatutsi pour abasangwa butaka - ceux dit «  trouvés
jusqu’au matin. Maladroit, le cadet désigner son successeur à la fonction sur la terre  » - Bazigaba, Bagesera et
renversa un peu de lait  ; il supplia ses de chef de l’umuryango ou de l’inzu. Et Basinga. Ces derniers, selon Jean-Pierre
frères qui acceptèrent de lui ajouter il conclut  : «  Les signifiants hutu, tutsi, et Chrétien, auraient fondé « les anciennes
chacun quelques gouttes et son pot fut twa ne sont que des attributs moraux du dynasties régnantes sur tout le tiers nord
à nouveau rempli ; au milieu de la nuit, triptyque munyarwanda. Que de façon et est du Rwanda actuel. Chacun de ces
le plus âgé renversa tout son lait et se implicite la monarchie nyiginya, pour groupes est représenté c hez les
retrouva le matin les mains vides. fonder sa légitimité, ait utilisé le mythe de responsables des grands rituels royaux,
Gihanga ou Kigwa pour faire du Tutsi l’allié dénommés les abiru, à travers les clans
Après ces épreuves, Ruhanga du pouvoir politique, cela n’empêche pas respectifs des Tsobe, des Bakono, et des
imposa un nom à chacun. L’aîné, qui le mythe de rester le fondateur de la Basinga.  » Les textes de ces rituels
avait tout renversé et pris le sorgho, qui genèse d’une lignée munyarwanda. » font-ils référence à la distinction entre
s’appellerait désormais Kaïru serait Twa, Hutu et Tutsi ?
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IZUBA MAGAZINE #1
C’est à l’étude de cette question dynastique Karinga . Le rituel prescrit Kuu ntebe y íintéeko
que se rapportent les développements que c’est un «  muhutu  » attaché à la Isérereye hw íntaama
à suivre. cour appartenant à la formation
militaire «  Intarindwa  » qui porte ce Yĕrejw akír uumutuutsi
Hutu, Tutsi et Twa dans les panier chez la mwami. C’est au terme 95
de cette réception que le panier des N áaho yiimyé
rituels royaux « ubwiru » prémices est donne à un «  muhutu
Kukw íyó yiimyé
quelconque  », «  umuhutu ubonetse
Les bami nyiginya inauguraient leur weese  » qui le transporte en cortège Atongéra kwambar intaama
règne et le poursuivait en participant à jusqu’à la fin du rite. L’honneur qui est
des rites destinés d’une part, à affirmer rendu à ce panier des prémices est Yambar inká gusa
la prise en charge matérielle et comparable à celui rendu au tambour En français :
spirituelle du pays, ses hommes, ses royal « Karinga ». Le mwami s’assied au milieu de la
terres, ses troupeaux et, d’autre part, à Voici la lettre de la voie : maison
assurer sa sécurité et à conjurer les
c a l a m i t é s r é c u r re n t e s . C h a q u e 66 Sur le trône
protocole rituel est appelé «  voie  » Bukir umwam akakira [Le soir le Auquel on a lié la peau d’un mouton
inzira. L’ensemble de ces rites est mwami fait l’acte] Désigné comme favorable quand il
appelé ubwiru . Le sens de ce terme Umuhutu w intarindwa [Un Hutu des était encore Tutsi
n’est pas évident. Selon Alexis Kagame, inapprochables]
ubwiru signifierait «  secret inviolable  »  ; Et au moment où il a été intronisé
mais il s’agit là d’une explication du Agahenger ingoma zitarabambura Car lorsqu’il est intronisé
caractère ésotérique des rites royaux [Guette le moment où les tambours Il ne porte plus de peau de mouton
et des textes qui s’y rapportent, plutôt sonneront le réveil]
que d’une définition proprement dite. Agatindura cya gicuba [Pour vider le Il ne porte qu’une peau de vache
L’étymologie de ce terme reste pot juste avant] Le nom profane que le nouveau
incertaine. Il a pu être suggéré un 70 souverain portait avant son avènement
rapport entre ubwiru et ubwire «  la et le nom de règne qu’il a désormais
tombée de la nuit », entendue comme un Akijyanir umutsim akirira [Il emporte pour charge d’accomplir sont
voile obscur qui recouvre la terre. la pâte et la mange] proclamés au peuple, assemblé pour la
Ubwiru signifierait alors «  ce qui est Bikab aho [Les choses en reste là] circonstance. Ce rite se déroule au
caché, les choses voilées  ». Le mwami et Ukwezi kukajya gushira [A peu près cours de la cérémonie des prémices.
la reine-mère umugabekazi étaient les jusqu’à Voici un extrait du texte rituel :
officiants principaux des cérémonies. la fin de la lune]
Dans cette fonction, ils étaient assistés Dans ce passage, les transcripteurs du Bagerakukarubanda, umutsoobe
des gardiens de la conformité rituelle rituel n’ont pas jugé pertinent de traduire mukuru, Ati dor umwami waa nyu
abiru en leurs diverses catégories, dont Umuhutu. rubanda, Izina rv’ubutuutsi ni kaanaka, I
trois principaux étaient appelés bami, à S’ils en avait pris le parti, la ry’ubwami ni kaanaaka
l’instar de la plus haute autorité t r a d u c t i o n d e  : «  U mu h u t u w Quand ils arrivent à la place
politique au Rwanda. intarindwa  » aurait pu être  : «  L’un des publique le Tsoobe principal dit :
Les textes des rituels étaient servants des Inapprochables. » «  Peuple, voici votre roi. Son nom de
confiés à des lignages déterminés. Ailleurs, le terme «  Muhutu  » Tutsi est tel, Son nom de de règne est tel »
Ceux-ci assumaient la charge d’assurer recouvre une autre signification. Il L’occurrence du mot Twa est bien
la mémorisation et la conservation de semble parfois être utilisé pour signifier plus élevée que celle des vocables Hutu
g é n é r a t i o n e n g é n é r a t i o n d e s « représentant des cultivateurs ». Dans et Tutsi. Il apparaît dix-neuf fois. «  Il
précieuses voies. Au sein des lignages cette acception, le «  muhutu  » est s’agit dans un premier cas, d’une femme
abiru, cette transmission ne se faisait parfois spécifié comme « descendant de sans seins dans un rituel pour conjurer la
pas nécessairement de père en fils, car Myaka ». Le terme « imyaka », au pluriel stérilité (ikirumbo, voie 2  : 10 fois)  ; dans
il fallait, non seulement manifester les signifie céréales ou récoltes. Myaka un autre cas il s’agit de la famille de Twa
aptitudes requises, pour apprendre le pourrait être le nom d’un ancêtre issus de Bwami, gardiens du feu de
«  métier  » de d’officiant ritualiste, mais mythique des cultivateurs. Le code Gihanga (voie 6 du feu et voie 17 de
aussi pouvoir devenir des archives désigne également le « Muhutu » par le l’intronisation, lors de la réanimation du
vivantes capables de retenir par cœur nom de «  descendant de Musana et de feu de Gihanga ; 4 fois) dans le troisième
de longs textes, sans jamais rien y Mumbogo ». cas, il s’agit de la famille Twa Mahenehene
modifier ni oublier le moindre détail - à laquelle appartient le bourreau officiel
sous peine de mort, dit-on. Comme les Tsoobe, Ces «  Bahutu
descendant de Myaka, de Musana et de (voie 11  ; 2 fois)  ; enfin, le quatrième cas
L e s 1 7 t e x t e s d e l ’ u b w i r u Mumbugo  » étaient vraisemblablement, est celui des Twa musiciens (voies 7 et
couvraient un champ situé en amont à l’instar de certain Tsoobe, des 11  ; 3 fois).  » Si donc, les termes Tutsi,
des lois et des règlements du représentants des ritualistes des Hutu, et Twa sont présents les textes
royaume . Il prescrivait la conduite cultivateurs. Ceci inciterai la encore à de l’ubwiru, leur usage est peu
pour prévenir ou surmonter les crises interpréter, le vocable muhutu dans ce fréquent.
graves pour la nation : rites à mettre en c o n t e x t e , c o m m e s i g n i fi a n t Leur opposition, ou même leur
œuvre lors de catastrophes naturelles « représentant rituel des cultivateurs ». distinction terme à terme, n’apparaît à
du type sécheresse, inondation, maladie aucun endroit. Les thèmes les
du bétail…  ; rites à effectuer « Umututsi » Le code ésotérique utilise le terme
récurrents de l’ubwiru font en
périodiquement pour l’ouverture de la d u m w a mlorsqu’il évoque l’existence
revanche font montre d’une série de
chasse, l’abreuvage des vaches, les intronisation i eta nson térieure à son
identité lorsqu’il préoccupations qui dévoilent un
prémisses…  ; rites à accomplir en était encore un être commun. faisceau de valeurs.
situation de guerre ; rites concernant la
création d’un nouveau souverain  ; L’ubwiru décrit le protocole par Comme l’a analysé Ser vilien
tâches assignées aux descendants de lequel l’être personnel de celui qui est Sebasoni, ces valeurs sont incarnées par
telle famille ou aux gens de telle appelé à être le médiateur suprême des figures rituelles  : le mwami,
province. entre le pays et les forces génésiques souverain intermédiaire mystique et
garant de la prospérité ; la fécondité et
Les termes Hutu Tutsi et Twa sont de l’imana incorpore la souveraineté.
la sécurité du territoire et de tous les
peu fréquents dans les textes rituels. Le Selon l’ubwiru, être mututsi est un état
êtres vivants  ; le tambour emblème de
q u
vocable « Hutu » apparaît trois fois dans intronisation. e l e mwami quitte par son
La peau de vache qu’il la souveraineté ingoma  ; les hommes,
L a v o i e d e s p r é m i s s e s , I n z i r a portera désormais en lieu de celle de abagabo  ; les femmes, abagore  ; les
y’umuganura, avec le sens de « personne mouton symbolise ce vaches, inka ; le territoire, uRwanda ; le
au service » d’un rite. Ainsi, au cours de changement.
peuple du Rwanda, rubanda ; la terre et
la cérémonie des prémices umuganura, Le protocole d’intronisation précise sa culture.
le panier contenant le sorgho qui était ainsi :
au centre du rituel était porté en 91
cortège et traité à l’égal du tambour Umwam akicara mu kirambi

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IZUBA MAGAZINE #1
Hutu, Tutsi et Twa dans les Pierre Crépeau et Simon Bizimana attachées à ces termes dans les
commentent  : «  Senkobwa était un Twa proverbes sont congruentes avec celles
a d a g e s e t l e s réc i t s qui, sous le règne de Musinga, habitait la qui ont été décrites plus haut lors de
colline de Nyanza près de Butare. l’analyse des imigani mettant en scène
populaires Bourreau de la cour, il est resté dans la Gatwa, Gahutu, et Gatutsi. Il est
D’aucun ont tenté de démontrer un tradition comme l’exécuteur, notamment important de relever que, si la
de l’envoûteur Nkiramacu, de la colline de thématique des rappor ts entre
supposé mépris ou une méfiance Musange, personnage qui a donné son puissants et faibles est récurrente dans
réciproque entre groupes dit ethniques
à partir de la mention de proverbes nom à l’affaissement entre les collines de les proverbes, c’est exceptionnellement
évoquant les qualité de Hutu, Tutsi ou Ruhande et Cyarwa : umukoni wa Nkira. » qu’elle s’exprime en termes
Twa. Mais un tel indice est rare et dans d’opposition Hutu-Tutsi-Twa.
l’immense majorité des cas l’auditeur
La rhétorique rwandaise recourt ou le lecteur reste dans l’expectative
effectivement volontiers aux proverbes en ce qui concerne l’appréciation de
Hypothèses sur les origines
en les introduisant à brûle-pourpoint
dans la conversation comme argument l’ancienneté des sentences populaires. et l’évolution des termes
d’autorité. Mais, il faut convenir qu’il ne De plus une forme ancienne peut se Hutu, Tutsi et Twa
s’agit justement que d’un procédé qui voir attribuer un sens radicalement
n’a de valeur performative qu’à l’aune nouveau, ou recevoir des significations Pour Schoenbrun, les anciennes
du silence de l’interlocuteur ou de sa divergentes selon le milieu ou le sociétés de l’Afrique des Grands Lacs
capacité à répondre selon la même voie proverbe est énoncé. Un trait positif se percevaient initialement comme des
en rétorquant un autre adage. peut ainsi changer de valence. La regroupements de voisinages (ibihugu
discrétion, la capacité à garder un en kinyarwanda) distincts des autres.
Il reste que les proverbes, et autres secret peuvent être prise pour des
adages populaires-imigani*, témoignent Les différentes déclinaisons du radical
d’une pensée anonyme mais qui, qualités ou au contraire comme l’indice hanga que l’on retrouve dans la plupart
popularisée par sa reprise dans le d’une stratégie malveillante. Enfin des langues interlacustre seraient
parler commun, échappe au moins notons qu’en tant qu’énoncé à visée apparues pour exprimer initialement la
performative , la totalité de la notion d’«  étrangéité  » de groupes
partiellement au contrôle des pouvoirs signification d’un proverbe n’est
sacrés ou politiques. Examiner les voisins dans le contexte de
évocations proverbiales rwandaises appréhendable théoriquement que si multiculturalité primitive et de
mentionnant les catégories Hutu, Tutsi l’on peut en déterminer les contextes coexistence de groupes d’expression
et Twa est donc un contrepoint d’énonciation. Or comme l’on noté bantu, soudaniques, couchitiques...
également Crépeau et Bizimana, il Selon ce scénario, les processus
essentiel de l’étude des leurs serait chimérique de vouloir
occurrences dans les textes rituels et d’échanges et d’interaction entre
autres traditions attachées de près à la déterminer le contexte situationnel communautés régionales de langues
cours. A partir de leur recension, réel de chaque énoncé. En effet, étant différentes aurait généré une
quelles analyses sont-elles possibles ? donné le grand nombre de proverbes conscience de soi dont les formes ont
recensés et leur vaste circulation, étant évolué. Dans le contexte de fusions des
Introduisons tout d’abord, quelque donné aussi que l’art du proverbe héritages culturels et de systèmes
propos de précaution. L’interprétation réside principalement dans son agraires différencié au sein de sociétés
des proverbes pose de délicats application à des situations nouvelles, il devenues ultérieurement bantouphones
problèmes  ; nos développements résulte que les circonstances de lieu et le qualificatif mahanga pourrait avoir
doivent donc être considérés comme de temps, l’événement social et les initialement été appliqué au
des hypothèses et non comme des interlocuteurs, qui constituant la communautés ou aux individus qui
affirmations péremptoires, même situation appropriée à la citation d’un continuaient à cultiver des modes de
lorsqu’un conditionnel de prudence ne proverbe, peuvent varier presque à vies soudanique, est-sahélien, couchite.
le souligne pas explicitement. l’infini. Ces précautions liminaires ne
En introduction de leur ouvrage doivent pas pour autant conduire à un Origine du terme "Twa"
recensant de quelques 4500 proverbes, scepticisme radical.
Crépeau et Bizimana, que L’examen des proverbes, ici ceux Le terme twa qui n’est pas un
«  L’interprétation du proverbe est une évoquant les catégories dites terme auto-référentiel pourrait dériver
abstraction, un peu comme le concept de «  ethniques  » par l’anthropologie de cette logique de qualification des
masse en physique ou celui de gène en coloniale, est riche d’enseignement. La individus qui choisirent de continuer à
biologie. C’est une idée générale applicable fréquence relative des thèmes, des cultiver leurs modes de vies initiaux
à des situations diverses et couvrant une proverbes, la cohérence ou les fondés sur l’exploitation des ressources
zone sémantique souple et mouvante, dont contradictions interne à une forestières animales et végétales, au
la configuration se modifie sans cesse sous thématique, la mise en réseaux des sein d’une société ou les activités agro-
la poussée de nouvelles applications. » motifs, sont ici précieuses pour pastorale devinrent dominantes.
Comme tout trait culturel le déterminer l’intentionnalité sous- Dans le Rwanda ancien,
proverbe est une composante d’un jacente particulière d’un proverbe ou l’ethnonyme non territorial «  Twa  »
système de significations et d’un d’une série d’adages et étayer était utilisé soit comme terme
système d’actions. La difficulté est de raisonnablement nos conjectures. Ainsi générique englobant des groupes ne
déterminer l’un et l’autre sachant que l’analyse de la fréquence d’apparition pratiquant ni l’agriculture ni l’élevage,
chacun a évolué dans le temps. Les des termes Hutu, Tutsi et Twa atteste soit comme terme désignant quelques
risques d’anachronismes et tout d’abord de la marginalité des communautés pratiquant la poterie  ;
d’interprétations erronées sont proverbes contenant ces termes parmi cet ethnonyme se surajoutait le terme
patents, et ce, d’autant plus que les milliers recensés à ce jour. L’index impunyu distinguant les chasseurs-
l’évaluation de la profondeur historique du recueil de Crépeau et Bizimana récolteurs qui vivaient dans les forêts
d e t e l l e s e n t e n c e e s t s o u ve n t mentionne 21 occurrences du vocable et les grands marais. Une hostilité
irréalisable ou incertaine, hors des Hutu, 17 pour Tutsi et 6 pour Twa. mutuelle semble avoir teinté les
rares cas ou un indice permet de situer Même si la compilation des ces deux relations entre les Twa des grandes
l’énoncé dans le temps. chercheurs n’est pas exhaustive, ces forêts de l’ouest et du nord Rwanda et
Tel est, par exemple le cas du fréquences mises en regard avec celles leur voisins agriculteurs susceptibles
des thèmes relatifs à la destinée au réduire le territoire de chasse des
proverbe suivant  : Nzamukerekwa ni principe-entité imana à l’humanité et au
mwene Senkobwa umutwa. Traduit premiers en défrichant la forêt. «  Un
littéralement cet adage signifie « Je te le cœur - umuntu et umutima – à comportement d’évitement et de mépris,
montrerai, c’est le fils de Senkobwa le l’échange et à la solidarité démontrent peut-être mutuel, caractérisait les relations
Twa  » et veut dire  : «  Lorsque l’occasion la marginalité des proverbes entre les Twa et tous les autres habitants.
mentionnant les trois catégories Hutu, Non seulement les Twa et les autres ne se
s’en présentera je vous prouverai que je Tutsi et Twa.
dis vrai. Je vous le montrerai en flagrant mariaient pas entre eux, mais par peur
délit.  » La mention du nom Senkobwa Sans entrer dans une analyse de d’une souillure sociale ils ne buvaient pas à
permet de situer historiquement contenu fine, des locution populaire la même cruche, ne pouvaient utiliser les
l’apparition de cette expression recélant les mots Hutu, Tutsi et Twa, il mêmes écuelles, disposaient de leurs
populaire. possible de dire que les valeurs propres paillotes, de leurs propres sources

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IZUBA MAGAZINE #1
d’eau... Malgré ces comportements, une Kanyamachumbi fait remarquer que, Et Kanyamachumbi de conclure  :
certaine symbiose existait entre Twa et dans le Nord-Est du Nkore, territoire « Résidence royale et paradis d’éleveurs de
autres habitants, car on échangeait les situé dans l’espace de l’actuel la région, Ntutsi ou « Omuntutsi », comme
produits de la forêt, surtout le miel, le Ouganda, un lieu porte un nom proche l’écrit Karugire, était sans doute bien
gibier et les peaux contre des produits du vocable Tutsi. Il s’agit de Nutsi qui se connu des Banyarwanda et inversement,
agricoles. » trouve à moins de 200 km de la les gens de la cour royale de Ntutsi
Récits et anecdotes donnent des frontière rwandaises . Ce nom est celui connaissaient le Rwanda et la dynastie des
Twa une image ambivalente. Ils sont d’un site archéologique . Il est Banyiginya. Il est donc possible que des
souvent décrits comme des êtres mentionné sur une liste des résidences habitants de «  Ntutsi  », rentrés ou
impurs parfois infrahumains, mais ils officielles des anciens rois du Bunyoro- immigrés au Rwanda, par exemple à
sont aussi loués pour leur agilité, leur Kitara sous le nom « Omuntutsi » . l’occasion de la disparition restée
courage et les talents musicaux et leur Les investigations des archéologues mystérieuse de la dynastie des Bacwezi,
valeur guerrière. Certains sont amis et révèlent qu’à l’instar de Bigo, Bwera et aient adopté le nom de leur lieu d’origine.
espions des rois. Ils incarnent aussi une Mubende, Ntusi, était un centre Il semble qu’il existe au Rwanda même, un
sagesse tranquille et désabusée dans de d’implantation humaine pérenne dès la lieu dit « Ibututsi », dans le Kayanza. Telle
nombreuses anecdotes, comparables à fin du premier et le début du deuxième pourrait être, nous semble-t-il, l’origine du
celles d’un Nasredin dans les pays millénaire B.P. Les fouilles ont mis à vocable, «  umututsi  » et «  abatutsi  »  : un
d’Afrique du Nord. jour un centre fortifié en terre nom qui a servi d’abord à désigner une
argileuse, habité par une communauté cour royale, un lieu servant à l’élevage
Avec le terme Twa, ceux d’Hima et bovin et finalement, des personnes liées au
Tutsi constituent les trois ethnonymes pratiquant et à la fois la métallurgie et
la culture des céréales, notamment du pouvoir royal et exerçant principalement
non territorialisés qui introduisirent le métier d’éleveurs du gros bétail. »
une première distinction au sein de la sorgho. Ntusi comme Bigo étaient
population de l’espace rwandais. Il entourés de fortifications en terre
n’existait semble-t-il primitivement argileuse. Ces cités anciennes semblent Origine du terme "Hutu"
aucun terme subsumant les gens du avoir été désertés au XVIe siècle. Quant au mot «  hutu  », celui-ci ne
commun pratiquant les activités A partir de ces données serait pas à l’origine un ethnonyme.
agricoles dominantes. La terminologie – Kanyamachumbi s’interroge  : «  après la Va n s i n a l u i a t t r i b u e c o m m e
note Vansina – suggère que la vie chute du royaume des Bacwezi, on voit significations originelles : « dépendant »,
agricole était perçue comme la s’épanouir celui des Banyiginya. Celui-ci «  sujet  », «  domestique  », «  manant  ».
condition normale des habitants dont il n’a-t-il bénéficié d’aucun apport du «  A v a n t l e M w a m i M a z i m p a k a
fallait distinguer les gens «  différents  » précédent  ? La question reste ouverte. En (1696-1720), les maîtres à la cour
qui pratiquaient un autre mode de vie. tout cas rien n’exclut qu’un groupe de traitaient leurs serviteurs de «  hutu  »
populations ait pu quitter Ntusi vers le indépendamment de leurs origines.  »
Origine du terme "Tutsi" «  Rwanda rwa Gasabo  » et ait pu Ainsi, toute la population de la région
redynamiser ainsi le royaume des du Budaha (sud-ouest du pays) fut
Si le terme Twa était un ethnonyme Banyiginya alors en formation. Ce qui lui appelée hutu parce qu’elle faisait partie
assignés, le terme Tutsi tout comme aurait permis de s’imposer sur les autres de la corporation chargée de ravitailler
celui de Hima semblent avoir été royaumes des alentours Dans le sens de la cour. C’est de là que viendrait
initialement deux ethnonymes l’étymologie que nous suggérons ici, les l’expression courante pour refuser un
revendiqués par des groupes populations qui les premières se seraient service  : «  Sindi umuhutu wawe  » que
spécifiques du fait de leur activité ou auraient été appelées «  Abatutsi  » l’on peut traduire littéralement par « je
principales. Selon Vansina, «  Hima  » feraient partie d’un groupe de Rwandais ne suis pas ton serviteur  », mais dont le
s’appliquait à tous les éleveurs, au sud qui auraient vécu à Ntusi en Ouganda ou sens a évolué pour devenir l’équivalent
de l’Ouganda et au Buhaya du Nord. Au q u i en sera ien t o r igin a ires . (…) sémantique de l’expression française
Rwanda, au Burundi et au Karagwe en L’hypothèse de « Ntusi » veut simplement « occupe toi de tes oignons » . Se référant
revanche, « Hima » ne désignait que les suggérer l’origine d’un nom qui a pu à Schumacher , Vansina rapporte
éleveurs du commun tandis que s’étendre aux populations trouvées sur également que le terme hutu désignait
« Tutsi » désignait une élite pastorale. place, exactement comme celui des en outre les étrangers, c’est-à-dire
Les connotations et le contenu du Bahutu et des Batutsi s’est étendu à tous « tous ceux qui ne vivaient pas dans le
terme Tutsi auraient particulièrement les habitants de l’ancien royaume du royaume et ce sans aucune
évolué dans le sens de cette distinction Rwanda à partir du centre est du pays. distinction ».
dans les sociétés où les éleveurs Ainsi, un groupe qui aurait vécu ou qui
serait venu de l’Ouganda a pu devenir une Appréhender l’évolution des
devinrent prééminents dans l’élite significations de «  Hutu  » suppose de
politique. Toujours selon Jan Vansina, le référence sociale et faire adopter son
nom par son milieu de vie . » contextualiser l’énonciation de ce mot.
choix de la dynastie nyiginya La connotation de Hutu a pu plutôt
d’abandonner la désignation de Hima La plausibilité d’une telle hypothèse signifier le rang inférieur de celui à qui
pour celle de Tutsi serait un indice de est étayé par la récurrence du procédé on s’adresse . Elle pouvait être
cette évolution. L’usage de l’étiquette par lequel des ethnonymes territoriaux péjorative lorsque la qualité Hutu était
«  Hima  » évoluera de pair. A partir du ont servi de point de référence et attribuée par les notables à des tiers
premier quart du XVIIème siècle (sous d’identification pour leurs anciens inférieurs et serviles.
le règne du Mwami Ndori), la mention ressortissants et les descendant de
«  Tutsi  » gagnant en prestige, «  Hima  » ceux-ci. Hutu n’aurait donc pas désigné
sera progressivement réservée aux systématiquement les agriculteurs dans
Ainsi par exemple, à l’intérieur une première période . Cette
éleveurs transhumants du Mutara et les comme à l’extérieur de l’espace
gens d’élite en feront également un association serait apparue plus tard,
rwandais, les originaires du Nduga, du vers la deuxième moitié du XVIIIe
usage méprisant pour désigner les Kinyaga et du Mulera par exemple,
éleveurs de moindre condition sociale siècle, sous le règne du Mwami Rujugira
s’identifiaient et étaient identifiés (1744-1768) et serait liée à une
qu’eux-mêmes. Cet usage est attesté respectivement comme Abanyanduga,
dans certains récits ibitekerezo ou différenciation des fonctions dans
Abanyakinyaga et Abalera. De manière l’organisation militaire. Les armées
«  Hima  » est utilisé pour désigner les analogue , aujourd’hui, le nom
« petits Tutsi ». étaient composées de différents corps
«  Banyamulenge  » du Sud-Kivu de différenciés  : combattants, fourrageurs,
Le terme Tutsi est généralement l’actuel Congo RDC, est attribué à des rabatteurs et producteurs. Le terme
considéré comme un ethnonyme non populations qui habitaient à « Mulenge » tutsi aurait été appliqué à tout guerrier
territorialisé. Toutefois, Mgr. Patient et s’est ensuite étendu à d’autres combattant, celui de hutu aux membres
Kanyamachumbi, suggère la plausibilité populations qui ont fusionné avec elles de leur suite chargés de porter leurs
de rapprocher le vocable Tutsi avec des en formant une seule communauté armes.
noms de lieux . culturelle. Nous avons vu que, selon
une logique similaire, le label d’amoko Cette différenciation des rôles
M ê m e s i l ’ hy p o t h è s e d e c e serait à l’origine de la première
chercheur me semble fragile, car la rwandais était probablement également
relié aux foyers originaires de leur distinction institutionnalisée des
proximité phonique ne vaut pas preuve catégories Hutu et Tutsi. Les guerriers
de lien linguistique, il n’est pas inutile expansion. Bugesera pour les Bagesera,
Buha pour les Baha, Bushingo pour les combattants étant initialement recrutés
d’exposer son raisonnement : parmi les intore (pages) issus des
Bashingo…, etc.

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IZUBA MAGAZINE #1
grandes familles tutsi, le rapprochement autonome du Ndorwa, du Bugoyi et du Servilien Sebasoni relève que pour
des vocables "tutsi" et "guerrier" fut Kinyaga. tout Rwandais, même les plus experts :
favorisé. La majorité des non- « Il y a moins de deux cents ans, une « il y a toujours eu hésitation à savoir, (…)
combattants étant issus des partie des préfectures actuelles de si un Rwandais était Hutu ou Tutsi par la
agriculteurs, le terme hutu aurait Byumba, de Ruhengeri, de Gisenyi et de race, par la fortune ou par la condition
progressivement été appliqué par les Cyangugu n’était pas territoire rwandais. sociale.  » La complexité des termes
élites à tous les agriculteurs quelles que Et parmi les habitants de ces territoires «  Hutu  », Twa  », «  Tutsi  », vient du fait
soient leurs origines. Selon la même annexés récemment au Rwanda, il y a que leurs significations s’ordonnent
logique, les élites en seraient venues à aujourd’hui un grand nombre de selon une pluralité de chaînes
appeler Tutsi tous les éleveurs, là aussi personnes dont les ancêtres n’étaient ni s é m a n t i q u e s , q u i d o i ve n t ê t re
indépendamment de leurs origines. Hutu ni Tutsi. Ainsi dans le Ndorwa dont distinguées même si elles se sont
Cette distinction se serait diffusée à les Citoyens étaient des Bakiga et les entremêlées au fil de l’histoire. L’une
toute l’aire rwandophone et au-delà catégor ies sociales composées de est liée à la spécialisation économique
dans le mouvement de croissance de Bashambo et de Baïru, ceux dont les et fiscale (polarisation agricole ou
l’influence politique et culturelle de la ascendants ont été annexés au Rwanda ne pastorale), une deuxième est d’ordre
dynastie nyiginya et de la multiplication s’appellent plus Bas¬hambo et Bayiru politique (importance du statut social),
des armées dans le territoire. mais Batutsi et Bahutu. De même dans le une troisième est liée à l’attribution
Jean-Népomucène Nkurikiyimfura Bugoyi et le Kinya¬ga les anciens Baluzi, d’une origine mythique transmise de
pose l’hypothèse que la première étape Bahunde ou Bashi sont devenus des façon patrilinéaire, une quatrième est
du clivage entre Mututsi et Muhutu se Batutsi et des Bahutu. De plus ceux des liée à des comportements de type
situerait après les grandes conquêtes B a g oy i q u i é t a i e n t d ev e n u s d e s éthiques. Quelques exemples nous
de la dynastie nyiginya qu’il situe vers Ban¬yarwanda et qui ont émigré au permettent d’illustrer cette pluralité
1550, quand l’autorité royale de ce Congo (RDC) dans les royaumes des sémantique :
royaume dota son domaine d’une Bahavu de Kalehe ou des Bahunde de Murinda, un Hutu du Bugoyi régnait
première organisation administrative. Masisi sont redevenus Ba¬hunde. » à Kadasa près de Goma  ; il s’étonnait
Dès lors, dans les zones conquises Dans ce régime contribtion très que Cyirima, le nyiginya qui vivait en
deux systèmes administratifs se pointu comme celui de l’ancien face ne cherchait pas à se battre avec
superposèrent celui qui était en vigueur Rwanda, un Mututsi appauvri de¬vait se lui  ; on lui dit que ce roi n’aimait que
dans les régions qui jusqu’alors avaient recenser parmi les Hutu et un Hutu son tambour royal, ses vaches Isanga,
été des royaumes autonomes d’une bénéficiaire d’un troupeau de vaches ses vaches Murinda et sa fille
part, et le système en vigueur dans entrait dans la catégorie des Batutsi. Nyabarondo. Si Murinda voulait se
noyau nyiginya du Rwanda et qui Cette catégorisation des habitants, fait battre avec lui, il suffisait de lui
intéressaient aussi les miliciens du remarquer Patient Kanyamachumbi, réclamer une de ces quatre choses.
Mwami qui s’installaient comme n’était d’ailleurs pas une exception en Murinda lui réclama ses vaches à
«  colons  » sur les terres nouvellement région interlacustre. longues cornes Muringa. Cyirima
annexées au Rwanda rwa Gasabo. Une consulta son fils  : «  Faut-il que j’envoie
donnée essentielle est de relever que «  Au Burundi la société nationale mes vaches à ce Hutu ? » et son fils de
les désignations Hutu et Tutsi n’étaient ancienne comprenait outre le roi et la lui répondre  : «  Comment peut-tu
pas usitées sur toute l’aire de l’actuel reine, des Baganwa des Batutsi, des l’appeler Hutu alors qu’il est roi en son
Rwanda. Mgr Patient Kanyamachumbi, Bahutu et des Batwa  ; le Buganda pays ? »
fait remarquer que l’usage des précolonial avait des Balangira, des
Bataka, des Bakungu et des Bakopi. Dans Le pouvoir et ses attributs seraient
catégories «  Hutu  », «  Twa  », «  Tutsi  », donc incompatibles avec la qualité de
s’étendit géographiquement au fur et à le Bunyoro, Nkore et le Karagwe
précoloniaux, la communauté nationale hutu ou du moins le rang de pair (de
mesure de l’expansion de la domination roi à roi) ne permettrait pas l’usage de
politique nyiginya. était dans chacun de ces Etats, composée
de Babito b’ Engoma anciennement des ce qualificatif. Dans le contrat
«  Au fur et à mesure que le petit Bacwezi, des Bahima et des Bayiru  ; dans d’ubuhake, la dénomination «  hutu  »
Urwanda rwa Gasabo s’agrandissait par le Ndorwa ancien la communauté s’applique à tout obligé quelle que soit
l’annexion de nouvelles principautés, le nationale comprenait des Bashambo et sa filiation. Le shebuja dit « mon hutu » à
territoire conquis devenait le Rwanda, la des Bayiru. Plus loin en Afrique centrale, le chacun de ses abagaragu. Le terme hutu
population conquise devenait globalement royaume lunda précolonial avait une était donc utilisé dans ce contexte
rwandaise mais pour des raisons population ainsi répartie ; outre le Mwant- comme un terme relatif à la position de
d’organisation politique et administrative, Jav qui est le roi et la reine mère, il y avait l’un des protagonistes de la relation.
notamment en ce qui concerne le fisc, la les Answan, les Ilol et les Tulamb. Il est indéniable qu’autour du terme
catégorie dirigeante du nouveau peuple «  tutsi  » se sont agrégées des
annexé était intégrée parmi les Batutsi, le Dans toutes ces diverses
communautés, les Bacwezi ou Babito b’ connotations liées aux valeurs de
commun du peuple rejoignait les Bahutu référence de l’élite rwandaise. Que l’on
et les Batwa rentraient dans la catégorie Engoma, les Balangira, les Baganwa et les
Answan étaient et restaient encore des soit dans le registre économique,
de leurs collègues Batwa. Le nouveau politique, éthique ou mythique, « tutsi »
peuple adoptait la culture et en particulier nobles de sang royal. Les Bakungu du
Buganda, les Batutsi du Rwanda et les Ilol agrège les valeurs les plus hautes. La
la langue kinyarwanda. » hiérarchie fondée par les mythes entre
des Lunda étaient de hauts fonctionnaires
Du point de vue contributif, les du royaume chargés spécialement de la Gatwa, Gahutu et Gatutsi restent
riches et la classe dirigeante appelée collecte des impôts. Il n’est pas improbable identique quelles que soient les sphères
Batutsi payaient l’impôt annuel en gros que les Bahima du Bunyoro, de Nkore, de sociales et culturelles.
bétail, le commun du peuple payait son Karagwe et les Batutsi du Burundi avaient Le dénominateur commun, quel que
impôt en vivres, en petit bétail et en la même fonction. Le gros des soit le registre (économique, éthique,
divers objets de l’artisanat local. Les contribuables était composé des Bakopi au politique), du réseau sémantique du
Batwa payaient l’impôt avec le produit Buganda, des Bahutu au Rwanda et des terme «  hutu  » paraît être la
de la chasse, généralement des peaux Tulamb chez les Lunda, du Congo (RDC) signification de subordination. Peut-on
de bêtes et de l’ivoire. Comme l’impôt et d’Angola. » p ose r l ’ hy p ot h è se q ue ce tte
se payait par famille, très peu de temps hiérarchisation est une construction du
après l’annexion d’un nouveau royaume Ainsi, grâce au système politico-
administratif nyiginya chacun et tous les groupe dominant politiquement et
ou d’une nouvelle principauté au culturellement l’aire rwandaise ?
Rwanda, les familles Hutu, Tutsi et Twa citoyens du royaume rwandais était
étaient recensées et bien connues. répartis en trois catégories sociales L’historien rwandais Emmanuel
C’était dans l’intérêt du royaume du perméables et solidaires, les fondateurs Ntezimana remarque que  : «  les
Rwanda et des chefs Batutsi qui par- de l’ancien Rwanda auraient posé là les références Abatutsi, Abahutu et Abatwa
devers eux gardaient une partie de principes fondamentaux d’unité et apparaissent nombreuses à la fin du
l’impôt dû à la cour royale. Dans le cas d’intégration nationale. Le système XVIIIe. Elles n’apparaissent volontairement
de l’annexion, on devenait donc très fiscal constituait un instrument omniprésentes que dans les lignages qui
vite Hutu, Tutsi et Twa. Pour illustrer sa politique qui permettait au royaume du sont précisément (…) des lignages
thèse, Mgr Patient Kanyamachumbi Rwanda de s’étendre à souhait en prédominants » . Le clivage Hutu et Tutsi
donne l’exemple des anciens ibihugu assurant l’intégration et la convivialité aurait donc d’abord été une
de ses résidants. construction politique mise en scène

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de manière locale au niveau des élites plus des autorités locales et priva les composaient leur suite les
lignagères ou cooptées par la cour agriculteurs de terres qu’ils cultivaient accompagnaient ceux-ci, alors qu’ils
nyiginya et les clans qui lui sont affiliés jusqu’alors (ainsi que les petits nommaient Bagogwe ou Bahima leurs
avant de se répandre dans la société de éleveurs). Une décennie plus tard, fut voisins qui seront ultérieurement
manière générale  ; l’opposition Tutsi / créé la fonction d’abanyamukenke, assimilés aux « Tutsi ».
H u t u fi n i s s a n t p a r r e c o u v r i r « chef des hautes herbes », dont la tâche La généalogie du clivage Hutu /
l’opposition impfura/rubanda. (impfura : était de gérer tous les pâturages Tutsi, présentée ici, est corroborée par
élite , distingué, noble , au sens restant dans la province sauf ceux qui les enquêtes de terrain très fouillées
économique et éthique  ; rubanda  : le avaient été directement assignés à des que Catharine Newbury a menées dans
peuple, le commun) troupeaux officiels, et de commander le Kinyaga une province historique du
Le clivage social primitif ne divisait les éleveurs qui les utilisaient. Ceci sud-ouest du Rwanda, restée jusqu’au
pas des ethnies mais séparait les entraîna une division des compétences règne de Rwabugiri au XIXe siècle, en
grandes familles (constituant une classe territoriale autrefois assumée par périphérie de l’influence centralisatrice
qu’on pourrait, avec réserve, qualifier l’umutware w’intara, «  c hef de des bami nyiginya. L’observation des
de noblesse, des simples sujets, qu’ils province ». rapports sociaux et l’analyse de récits
fussent agriculteurs ou pasteurs et Celui-ci perdit une partie de ses généalogiques qu’elle a recueillis ont
indépendamment de leurs origines. prérogatives et son titre. Il fut dès lors servi de matière à son travail majeur,
Les phénomènes de passage de la appelé umunyabutaka, «  chef des The cohesion of oppression, dans
classe hutu la classe tutsi (ukwihutura) terres ». Ce dédoublement des autorités lequel elle montre l’affermissement du
ou à l’inverse, de la classe tutsi à la territoriales eut plusieurs pouvoir central, la variabilité des
classe hutu (gucupira), si souvent mis conséquences  : il entraîna une hausse rapports de domination et la dimension
en exergue, aurait donc marqué non le des redevances ; il diminua les pouvoirs conjoncturelle de l’ethnicité.
passage d’une ethnie à une autre, mais des lignages ; il divisa les communautés Au Kinyaga les traditions montrent
d’un statut économique, social et agro-pastorales puisque les agriculteurs que la région peuplée assez
politique à un autre. Ces phénomènes et les éleveurs ne dépendaient plus de tardivement d’immigrants d’origines
ainsi conçus, on comprend mieux que la même autorité et devaient des diverses, avait vers le milieu du XIXe
certains «  Hutu  » aisés prenant pour prestations de plus en plus différenciés. siècles, quelques liens avec l’Etat central
épouse une femme « Tutsi » furent avec Enfin ces reformes furent suivies de la sans que ceux-ci n’entraînent
leur famille reconnus comme «  Tutsi  » création d’un nouveau système d’obligations. Des immigrants
alors que dans une organisation d’exploitation : l’uburetwa, qui là où elle originaires du centre tiraient de cette
patrilinéaire la femme adopte par son fut pratiquée astreignit plus provenance un certain prestige local
mariage le lignage de son époux auquel particulièrement les agriculteurs. mais les gens du Kinyaga préservaient
elle apporte une descendance. L’umunyabutaka se considérant leur autonomie. La volonté d’expansion
L’union matrimoniale n’était pas la comme seul maître des terres, de l’administration centrale sous Kigeri
seule manière d’accéder à la « dignité » commença à exiger de chaque famille Rwabugiri aurait rendu ces options
tutsi. La richesse en troupeaux de de cultivateurs des redevances incompatibles. Ce n’est donc qu’à cette
vaches pouvait aussi transférer une comprenant une partie conséquente époque que «  Hutu  » aurait pris des
famille du groupe Hutu à au groupe des récoltes et une obligation de connotations, sinon de servilité, du
Tutsi. «  Les Bahutu devenus propriétaires prestation de services, deux jours par moins de subordination et sans pour
de gros bétail et qu’on appelait ibyihuture semaine. Selon Schumacher tous les autant cristalliser une identité collective
«  les quittant-la-condition-de-cultivateur  » éleveurs Tutsi n’échappaient pas à quelconque. La disjonction entre
passaient dans la catégorie politique des l’uburetwa mais les prestations dont ils origine lignagère et attribution d’une
Batutsi.  » Selon Nkundabagenzi, «  le étaient redevables étaient « nobles » à la «  ethnicité  » apparaît dans le fait que
Muhutu qui, par exception, était nommé différence de celles des agriculteurs c’est à cette époque que les gens du
chef sous l’ancien régime, devait se Hutu qui pouvaient se voir demandé Kinyaga situent l’arrivée des premiers
hamitiser le plus vite possible, ce qui avait des travaux de nature plus servile. « Tutsi », alors même que l’histoire des
pour effet d’effacer sa basse origine et le Cette discrimination se conjuguant lignages atteste leur présence bien plus
faisait désormais considérer au milieu de avec la différenciation, «  Hutu-Tutsi  » tôt.
ses pairs comme un vrai Mututsi  ». que nous avons déjà évoqué, au sein Deux options sont possibles pour
L’exemple le plus connu est celui du des armées aurait entraîné la interpréter ce phénomène :
Hutu Bisangwa qui devint Tutsi après sa conscience d’une différence de
traitement inique et, à partir de là, la • La première est de considérer que
nomination par le mwami Rwabugiri à les informateurs qui ont rapporté les
la tête d’une de ses armées prise de conscience d’un clivage social
qui allait scinder toute la société en chroniques familiales se sont fourvoyés
Ingangurarugo : « Les assaillants d’avant- dans leurs récits de l’arrivée des
garde » . deux catégories sociales désormais
hiérarchisées et opposées celle des premiers Tutsi au Kinyaga. L’erreur des
A la distinction entre élite imfura et «  Tutsi  » et celle des «  Hutu  » Les informateurs est la seule solution dans
gens du commun rubanda, se signifiant Hutu et Tutsi n’auraient plus le cadre d’une théorie qui considère
superposait la distinction commune dès lors désigné une fonction dans la «  Hutu  » et «  Tutsi  » comme des
entre dotés de richesses (ubukungu, production économique et sociale, mais groupes ethniques et des identités
ubikire , ubutunzi) et pauvres un statut transmissible en voie immuables.
(munyaruharo et mucanshuro) ainsi patrilinéaire. Cette extension du clivage • La seconde est de considérer que
qu’une gradation sociale fine entre plus Hutu, Tutsi, n’a toutefois pas été les informateurs énoncent la vérité de
ou moins bonnes et mauvaises familles, adoptée dans l’ensemble de l’aire la perception sociale de ce qu’étaient
selon les occupations l’aisance et la culturelle rwandaise. «  Hutu  » et «  Tutsi  » à savoir, des
réputation. Ces cadres structuraient la identités relationnelles relatives à des
conscience de classe des rwandais Les pasteurs Bagogwe ou Bahima
des montagnes du Nord qui, sous la statuts et des fonctions qui ont fluctué
anciens. dans le temps et sont dans la région du
deuxième république , seront
La cristallisation antagonique des pratiquement exterminés, parce que Kinyaga tout à fait récente. Ainsi,
catégories socio-économique Tutsi et considérés comme «  Tutsi  » refusaient « l’identité Tutsi » ou « l’identité Hutu » ne
Hutu se serait opérée au XIXe siècle d’être assimilés au Tutsi du Rwanda seraient pas simple affaire d’origine
en instituant des pratiques central. Inversement, ces derniers même si tend à le faire accroire
discriminatoires entre éleveurs et considéraient comme une insulte d’être l’organisation générale d’une société
agriculteurs. appelés Bahima  ; les agriculteurs du lignagère patrilinéaire dans laquelle les
A cette époque où l’accroissement Nord se reconnaissaient comme fonctions sociales se transmettent de
démographique modifiait les équilibres « Bakiga » et non comme « Hutu ». Les générations en génération. Le lecteur
fonciers où la concurrence foncière Bakiga du Nord  ; les «  Hutu  » de l’Est l’aura pressenti, nous inclinons à opter
entre agriculteurs et éleveurs se du Nord de l’Est et de l’Ouest pour cette seconde hypothèse.
renforçait, la cour nyiginya introduit appelaient indifféremment «  Tutsi  » L’arrivée de représentants de l’Etat
diverses réformes  : elle inventa le toute personne venue du Centre quel central identifiés comme Tutsi a eu
domaine pastoral réservé les ibikingi que soit son lignage, qu’il s’agisse pour conséquence de transformer les
vers 1840. Cette pratique favorisa les d’aristocrates mais aussi bien des catégories identificatoires  : «  L’identité
éleveurs puissants qui ne dépendaient «  Hutu  » et des «  Twa  » qui culturelle fondée sur un paradigme

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circulatoire de réciprocité cède le pas aux
rapports au centre et la position dans un
réseau d’échanges inégaux.  » Pendant la
colonisation le renforcement de la Consultez
A LIRE
prégnance du pouvoir central sera les nombreuses
honni, notamment du fait de notes de ce texte et sa
l’accroissement de charges pesant sur bibliographie dans le livre
les gens du commun. Après la seconde de Jean-Luc Galabert, à
guerre mondiale , la première paraître (en 2010), Les
opposition politique se structurera à enfants d’Imana.
partir de critères de classe sociale et
non d’ethnie. Ainsi les «  Tutsi  »
déclassés comme les «  Hutu  »
adopteront des positions similaires. Ce
n’est seulement qu’à la fin des années
cinquante, sous l’influence de la
radicalisation ethniste du par ti
Parmehutu, qu’un clivage apparaîtra
entre «  Tutsi pauvres  » et «  Hutu  » et
que les positions des uns et des autres
se cristalliseront sur des bases
ethniques.
Togo, de l’esclavage au
Pour conclure, il est donc possible libéralisme mafieux
de dire qu’au Rwanda, le clivage Hutu /
Tutsi préexistait à la période coloniale.
Mais, dans sa forme d’antagonisme
social, les prémisses de ce clivage date
du dernier tiers du XIXème siècle. Il
serait donc faux d’en faire une création
purement occidentale. Ce que le
colonisateur apporte en propre est une
lecture raciale et ethnique du clivage
Hutu / Tutsi, absente jusque-là et une
interprétation et de la tradition en
miroir des rapports sociaux désormais
cultivés dans cadre de l’exploitation
coloniale. Les autres «  apports  » de la
tutelle allemande puis belge seront
l’exacerbation des rapports sociaux qui
seront instrumentalisés pour asseoir le
pouvoir colonial, la confirmation des
discriminations les plus humiliantes et
la création de nouvelles et enfin de la
réification définitive des catégories
Hutu, Tutsi et Twa en les inscrivant sur Avril 2005. Le choix volé des
tous les documents d’identité à partir Togolais. Rapport sur un coup
d’État électoral perpétré avec la
des années trente. De nombreux complicité de la France et de la
auteurs rapportent que l’inscription de
la mention Tutsi ou Hutu sur les pièces
Bitin•fr © communauté internationale,
L’Harmattan, 105 pages, 10 euros
o f fi c i e l l e s f u t d é c i d é e p a r
l’administration coloniale sur la base du Rapport coordonné par
nombre de vaches possédées par l’association Survie
famille. Avec les contributions de :
La possession de dix vaches aurait
entraîné l’assimilation au groupe Tutsi. Ligue Togolaise des Droits de
Participez à la rédaction du l’Homme, Commission
Mais aucun auteur ne semble en magazine Izuba ou envoyez-nous diocésaine Justice et Paix de
mesure de faire référence à un vos articles pour publication Lomé, Rencontre Africaine pour
quelconque document officialisant la Défense des Droits de
cette décision, ni même d’en préciser la sur le site izuba.info
l’Homme (RADDHO), Kangni
date exacte de mise en application. www.izuba.info Alem, Benjamin Chevillard (revue
Selon Hakiza Rukatsi, l’élevage de Indésens), Clément Boursin
(ACAT-France), Franck Ekon (Le
gros bétail aurait été utilisé par Togolais.com), Thomas Loudenot
l’administration belge à partir de 1938 et Charlotte Merle (Citoyens Sans
comme critère pour distinguer le Frontières), Ardiouma Sirima,
Muhutu du Mututsi, lorsqu’elle organisa Fabrice Tarrit, Comi Toulabor
l’immigration vers Masisi au Zaïre. (CEAN, Sciences-Po Bordeaux),
Ce serait la volonté de l’autorité de F r a n ç o i s - X a v i e r Ve r s c h a v e ,
tutelle belge à cette époque de Abdourahman Waberi.
diminuer le nombre d’immigrants
identifié comme éleveur Tutsi qui aurait
conduit pour contrôler le flux
migratoire à arrêter comme critère Nous ne resterons pas
d’identification ethnique le nombre de
vaches possédées. indifférents Mise en page:
L’association Appui Rwanda Izuba Team avec Bitin•fr:
Pour l’administration coloniale, un constitue un pôle d'aides aux SC, BG, GA, CC, JLG, TT
Munyarwanda qui possédait moins de Rwandais en grande difficulté. Images © :
dix vaches était censé être Muhutu et Elle maintient active la Rwanda: (Kigali, Kivu) Bitin.fr
admis à l’immigration . mémoire du génocide des Tutsi de Togo: Gnim Atakpama
1994.
appuirwanda.free.fr

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