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EN COUVERTURE Les intérêts notionnels

28 Quatre contre-vérités sur


les intérêts notionnels
Un coût élevé pour l'Etat ? Un cadeau aux
entreprises ? Une mesure taillée pour les
multinationales et non créatrice d'emploi ?
Remettons les pendules à l'heure …

32 “En milieu de peloton”


Notre pays est-il fiscalement compétitif face
aux Pays-Bas, la Suisse ou le Danemark ?

33 “Pas touche aux intérêts


notionnels”
Des chefs d'entreprise montent au créneau

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Les intérêts notionnels EN COUVERTURE

Ils ont remis la Belgique sur la carte du monde

Intérêts notionnels :
les points sur les i

E
n attendant une harmonisation fiscale euro- fonds propres des entreprises (et tout particulière-
péenne qui n'est pas pour demain, il est un ment des PME). Un seul chiffre atteste du succès sur
fait, qu'on le veuille ou non, que les Etats doi- ce dernier point : rien que pour les années de 2006
vent réfléchir à leur positionnement exactement à 2008, les intérêts notionnels ont généré des aug-
comme les entreprises s'inquiètent de savoir si leurs mentations de capital à hauteur de plus de 400 mil-
produits sont toujours en phase avec les attentes liards d'euros. C'est 40 fois plus que le montant des
des consommateurs. L'attractivité fiscale est un élé- capitaux attirés par les arrêtés 15 et 150 (les AR Coo-
ment-clé du 'marketing mix'. Depuis 2005, les inté- remans-De Clerq) dans les années 1981 et 82.
rêts notionnels (ou déduction sur capital à risque),
soit la plus profonde modification structurelle de Plébiscite international
l'impôt des sociétés depuis l'instauration de celui-ci Grâce à ces augmentations de capital, nos entrepri-
en 1962, sont devenus l'un des ingrédients incon- ses ont été mieux préparées pour affronter la crise.
tournables de notre attractivité vis-à-vis des investis- Les intérêts notionnels ont d'ailleurs été plébiscités
seurs, chez nous mais aussi et surtout à l'étranger. au niveau international, lors du Tax Forum 2010, com-
Une économie ouverte comme la nôtre ne serait rien me un des moyens structurels les plus appropriés
sans l'apport de capitaux étrangers. pour sortir de la crise. Le FMI, l'OCDE et la Com-
mission européenne se penchent de près sur cette
Les intérêts notionnels ont permis à notre petit pays ingénierie fiscale "Made in Belgium" comme instru-
de sortir de la masse, alors qu'il avait tendance à ment de stimulation socio-économique.
disparaître du radar des investisseurs. La prouesse
de cette mesure fiscale est d'avoir au minimum at- Malgré tout, les intérêts notionnels sont toujours lar-
teint trois objectifs simultanément : conserver et in- gement incompris d'une partie de la population et
tensifier les activités des centres de coordination font l'objet d'attaques régulières d'une partie du
(dans le prolongement d'une stratégie d'attraction monde politique qui n'y voit qu'un cadeau fait aux
des centres financiers initiée en 1983), rendre la Bel- entreprises. Ce dossier vise à dissiper un certain
gique fiscalement plus attrayante en ramenant son nombre de malentendus et surtout à placer les inté-
taux effectif d'imposition des sociétés dans la rêts notionnels dans un contexte plus large de con-
moyenne européenne (alors qu'une diminution du currence fiscale internationale. Les intérêts notion-
taux nominal de l'impôt des sociétés, en plus de nels ont remis la Belgique sur la carte du monde des
passer inaperçue à l'étranger, aurait coûté des mil- investisseurs, mais rester visible constitue un combat
liards à l'Etat) et enfin, stimuler le renforcement des permanent. 

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EN COUVERTURE Les intérêts notionnels

Les intérêts notionnels rapportent plus qu'ils ne coûtent

Quatre contre-vérités
sur les intérêts notionnels
Les intérêts notionnels ont permis de remettre la petite Belgique sur le
radar des investisseurs, chez nous comme aux quatre coins du monde. Et en plus
de rendre la Belgique à nouveau compétitive fiscalement (ce qui ne veut pas
dire, loin de là, qu'il faut s'endormir sur ses lauriers), les intérêts notionnels per-
mettent de renforcer la solidité financière de nos entreprises. Nonobstant ces
évidences, certains milieux créent depuis 2006 un climat de défiance permanen-
te envers cette mesure et n'hésitent pas à faire circuler pas mal d'exagérations
ou fausses vérités à son égard. Remettons les pendules à l'heure…

1 “Les intérêts notionnels coûtent te des investissements directs de ces dernières années (Johnson &
Johnson, Baxter, Google, etc.) pour lesquels les intérêts notionnels
trop cher à l'Etat” ont été le petit "plus" déterminant.

S'il y a bien une assertion qui fait bondir les fiscalistes que nous … et compensations
avons rencontrés, c'est celle que la déduction pour capital à risque "Il faudrait donc tenir compte de ces effets de retour macroéco-
viderait les caisses de l'Etat… nomiques, mais aussi des nombreuses nouvelles mesures de com-
Le montant brut déduit au titre de la déduction pour intérêts no- pensation politiques qui ont été votées par les différentes coali-
tionnels s’est élevé à 12,017 milliards EUR en 2007 (exerci- tions au pouvoir ces dernières années, en 'échange' des intérêts
ce d’imposition 2008), ce qui correspond à une écono- notionnels," fait remarquer Jean Baeten, directeur du Départe-
mie d’impôt théorique brute de 4,085 milliards EUR. ment fiscal de la FEB. Il évoque notamment le maintien de la nor-
Mais la notion de 'coût brut' est peu probante car elle me de 4,5% pour les soins de santé ou des mesures pour le pou-
ne tient pas compte de certains effets de retour. Le voir d'achat (les chèques énergie).
premier d'entre eux est que le passage du régime des
centres de coordination à celui des sociétés de finan- +25% de recettes fiscales
cement bénéficiant des intérêts notionnels (les La Banque Nationale a bien tenté d'évaluer le coût net des intérêts
'NID companies') a élargi la base taxable : même notionnels. Selon elle, ce coût se situerait dans une fourchette
imposées à quelques pour cent, ces 'NID com- comprise entre 140 et 360 millions EUR en 2006 et entre 280 et 770
millions EUR en 2007. Une analyse macroéconomique a aussi fait

“33,99%
apparaître que les mesures n’ont eu pour l’heure tout au plus qu’un
Il faut rappeler qu’une baisse du taux nominal de effet négatif limité sur les recettes de l’impôt des sociétés. Celles-
à 25% (pour se rapprocher de la moyenne ci n'ont en effet pas cessé d'augmenter ces dernières années, sauf
européenne) aurait eu un coût, dès la 1ère année, de l'année dernière, en conséquence logique de la crise qui a pesé sur
les bénéfices (et donc sur la base imposable) des entreprises.
plus de 2,7 milliards d'euros !” Jean Baeten (FEB)
Selon la BNB, les impôts prélevés sur les bénéfices des sociétés ont
atteint 3,7% du PIB en 2007, dépassant de 0,3% du PIB le niveau
panies' (sociétés de financement, centres de trésorerie, etc.) ont eu qu’il affichait en 2005. En comparaison de 2003, les recettes ont
un impact positif sur les caisses de l'Etat. progressé de pas moins de 0,8% du PIB, soit presque d’un quart.
Le tableau ci-contre, basé sur les chiffres du SPF Finances, donne
Effets retours … un perçu de l'évolution de l'impôt des sociétés payé par les 500
Il faudrait également déduire de ce coût brut l'impact, sur les recet- plus grandes entreprises du pays, en comparaison avec toutes les
tes publiques, du rapatriement vers la Belgique de nouvelles acti- entreprises. Il indique très bien que les intérêts notionnels n'ont
vités de financement intra-groupes et le fait que les intérêts notion- pas empêché de grossir les recettes fiscales.
nels se sont en partie substitués à des intérêts réels qui étaient "Quel que soit le coût budgétaire net de la mesure, il convient de
entièrement déductibles. En outre, il faudrait bien sûr tenir comp- rappeler qu’il s’agissait avant tout d’une mesure indispensable à la

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Les intérêts notionnels EN COUVERTURE

restauration et au maintien de dination ne payaient quasiment pas d'impôts. On ne peut donc pas
notre compétitivité. Un débat parler de ‘cadeau’ par rapport au régime précédent.
sur les intérêts notionnels n’est
donc correct que s’il intègre Et pour toutes les autres entreprises ‘opérationnelles’, les intérêts no-
également une évaluation du tionnels ont certes permis de rendre la Belgique à nouveau compéti-
coût de l’inaction et/ou le coût tive sur le plan fiscal, mais sans pour autant réduire le taux d'imposi-
budgétaire des éventuelles tion de moitié ou plus, comme certains le laissent parfois entendre.
autres alternatives permettant "La déduction pour capital à risque a fait baisser le taux effectif dans
de réaliser les mêmes objec- une fourchette de maximum 6,52% en 2007, ce qui correspond bien à
tifs (multiples). Il faut ainsi rap- l'estimation généralement annoncée par le gouvernement (impact
peler qu’une baisse du taux no- équivalent à une baisse de 7 à 8% du taux nominal). Par rapport à
minal de 33,99% à 25% (pour 2004, la baisse n'est réellement que de 4,3%", a calculé Jean Baeten
se rapprocher de la moyenne sur la base des statistiques communiquées par le SPF Finances. Il
européenne) aurait eu un coût s'agit d'un calcul théorique, basé sur les bénéfices bruts, sans tenir
net direct et automatique, dès compte de revenus étrangers exonérés ou de pertes antérieures, mais
la 1ère année, de plus de 2,7 qui atteste néanmoins que les déductions restent dans les proportions
milliards EUR ! Et quel aurait souhaitées par le gouvernement.
été le coût du départ des cen- Le tableau ci-contre prouve que la quote-part des grandes entreprises
tres de coordination (ndlr : es- dans les bénéfices imposables reste constante.
timé à l'époque à plus de 700 millions d'euros de coûts directs) ? Tant
que le coût budgétaire net est inférieur au coût d’opportunité, on
doit admettre que le la mesure a nécessairement un effet positif sur 3 “Les intérêts notionnels ne
les finances publiques", conclut Jean Baeten.
Admettons que les intérêts notionnels coûtent même 500 millions
profitent qu'aux multinationales”
d'euros à l'Etat... c'est la somme que la Région flamande a récemment
déclaré pouvoir libérer pour venir en aide à une seule entreprise auto- Faux. Dès le départ, l'accord de gouvernement dans le cadre duquel
mobile et ses sous-traitants. Alors que les intérêts notionnels profitent a été conçu le mécanisme des intérêts notionnels dans les années
à l'ensemble de nos entreprises. 2002-2003 intégrait la volonté explicite de "renforcer la capacité d'au-
tofinancement des PME". Mais cet objectif a-t-il été
atteint et les PME font-elles effective-
Evolution positive de l'impôt global des sociétés ment appel aux intérêts notionnels ?

Exercice Impôt des sociétés global Evolution Impôt des sociétés Quote-part des
d'imposition de toutes les entreprises
(en millions d'euros)
global des 500 plus
grandes entreprises
500 plus grandes
entreprises 57,56% des déductions
(en millions d'euros)
ont été opérées par
2001 9.397 2.155 22,93%
2002 9.136 -2,80% 2.130 23,31%
des PME
2003 9.041 -1% 1.953 21,60%
2004 9.091 0,60% 2.365 26,01% Les chiffres parlent d'eux-mêmes : pour
2005 10.244 12,70% 2.851 27,64% l’exercice d’imposition 2008 (année comp-
2006* 11.026 7,60% 3.160 28,66% table 2007), 177.194 sociétés (sur 395.227
2007* 11.787 6,90% 3.211 27,24% déclarations, soit 44,83% des sociétés dé-
2008* 12.685 7,60% 3.362 26,50% clarantes) ont demandé la déduction pour
* estimation de la situation au terme du délai d'imposition de trois ans mentionné à l'art. 354 du CIR 1992 capital à risque. 101.996 déductions ont
été opérées par des sociétés bénéficiant
Le tableau ci-dessus démontre que les intérêts notionnels n'ont pas empêché une croissance des recettes de des taux réduits PME, soit 57,56%. "Et si
l'impôt des sociétés et que la quote-part des plus grandes entreprises dans l'impôt global a également aug-
menté (les intérêts notionnels ne sont donc pas un cadeau fait aux grandes entreprises) 43% des PME n'appliquent pas les inté-
rêts notionnels, c'est probablement par-
ce que leurs fonds propres corrigés sont négatifs", souligne Jean
Baeten, qui se base sur une autre donnée chiffrée pour tirer la conclu-
2 ”C'est un cadeau disproportionné sion que l'immense majorité des PME (97,6%) qui peuvent appliquer
fait aux entreprises” les intérêts notionnels le font effectivement : toute PME doit en fait
opter pour une durée de trois ans soit pour la déduction pour capital
à risque (les intérêts notionnels) soit pour la ‘réserve d'investissement’
Comme déjà expliqué au point précédent, les sociétés de finance- entrée en vigueur en 2003 (loi du 24 décembre 2002) et qui court tou-
ment (les 'NID companies'), qui sont les plus gros bénéficiaires des jours. Il ressort des données du SPF Finances, que pour l'année 2007,
intérêts notionnels en termes absolus, génèrent désormais un ‘re- seulement 4.500 PME ont opté pour cette réserve d'investissement,
turn’ d'environ 4% pour l'Etat, alors que les ‘anciens’ centres de coor- soit à peine 2,6% de celles qui ont préféré les intérêts notionnels. "Il

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EN COUVERTURE Les intérêts notionnels

n'y a certainement pas de problème de méconnaissance pour les


PME. Bien sûr, certains patrons de PME ignorent peut-être les dé-
Un peu de calcul...
tails de la mesure, mais leurs comptables sont au courant", conclut La déduction pour capital à risque, mieux connue sous la
Jean Baeten. Une enquête publiée en juillet 2008 par le CEFIP (Cen- dénomination d'intérêts notionnels, vise avant tout à atté-
tre d’Etude sur le Financement des PME) auprès des comptables et nuer la discrimination fiscale qui existe entre le coût des
experts-comptables a d'ailleurs révélé que 98,5% des sondés con- fonds empruntés, logiquement déductible, et le coût des
naissent les intérêts notionnels. Et une évaluation des intérêts no- fonds propres (le capital et les bénéfices réservés), qui est
tionnels réalisée en juillet 2009 par la Hogeschool-Universiteit Brus- intégralement taxable. Elle permet à toute entreprise de
déduire de ses bénéfices imposables un montant égal au
sel à la demande du CEFIP) indique que 56% des PME ont recours
montant de ses fonds propres multiplié par un taux d'inté-
à (et connaissent) la déduction pour capital à risque (ce qui cor-
rêt 'notionnel' défini chaque année par l'Etat.
respond exactement aux statistiques du SPF Finances). En outre,
Pour calculer les intérêts notionnels, on prend en compte la
l'UCM et Unizo ont rappelé ces dernières semaines à quel point les
valeur des fonds propres l’année précédente.
intérêts notionnels étaient une mesure nécessaire pour les PME. Exemple : fin 2009, une société a des fonds propres pour
100 millions d’euros. Sur son bénéfice de 2010, elle pourra
déduire 3,8% de 100 millions euros = 3,8 millions euros.
4 “Les intérêts notionnels ne créent Admettons que son bénéfice avant impôt soit de 5 millions
pas d'emplois” d’euros. Elle ne sera pas imposée sur ces 5 millions euros,
mais sur 5 – 3,8 = 1,2 million euros. Le taux de l’impôt des
sociétés est de 33,99%. Sans les intérêts notionnels, cette
Il est malaisé, voire impossible de chiffrer, noir sur blanc, le nombre société aurait payé un impôt de 5 millions x 33,99% =
d'emplois qui seraient redevables directement aux intérêts notion- 1.699.500 euros. Grâce aux intérêts notionnels, elle ne paie
nels. Mais il apparaît comme évident qu'en attirant chez nous des in- que 1,2 million x 33,99% = 407.880 euros.
vestisseurs ou en aidant à ancrer chez nous une série d'entreprises
étrangères, les intérêts notionnels participent à la création d'activité
et d'emplois ou, au pire, au
Les intérêts notionnels maintien de ceux-ci. La fédéra- nombre de compétences financières très spécifiques. La Belgique
permettent globalement tion Agoria a estimé à 4.200 le parvient ainsi à attirer des profils internationaux, généralement à
nombre d'emplois qui avaient fort pouvoir d'achats, qui génèrent à leur tour des emplois indi-
de mieux résister à la crise, pu être maintenus dans le sec- rects, avec des effets bénéfiques pour l'ensemble de l'économie
ce qui a aussi bien sûr un teur technologique grâce aux belge", souligne Jean Baeten.
impact sur l'emploi intérêts notionnels. Il faut ajou-
ter à cela la spécificité du main- Un autre point essentiel est qu'au-delà de l'avantage purement fis-
tien, voire de l'élargissement, de l'emploi lié aux ex-centres de coor- cal, les intérêts notionnels, en stimulant le renforcement des fonds
dination. A l'époque, les emplois directs dans ce secteur d’activité propres des entreprises et notamment des PME, leur permettent
hautement spécialisé et qui gère des montants financiers extrême- globalement de mieux résister à la crise, ce qui a aussi bien sûr un
ment importants étaient estimés à plusieurs milliers. On ne dispose impact sur l'emploi. Les intérêts notionnels ont à ce titre sans dou-
malheureusement pas d'estimation de l'emploi dans les sociétés de te été plus efficaces que toutes les mesures anti-crise imaginées
financement actuelles. "Il s'agit de structures relativement peu par le gouvernement ces deux dernières années. 
gourmandes en main-d'œuvre, mais qui concentrent un certain

Une machine à frauder ?


Certains articles de presse récents laissaient concernent le 'double dip' (une situation qui et les respectent. Ces règles du jeu, incluant
entendre qu'un premier cas de fraude avérée existait déjà sous le régime des centres de d'ailleurs des mesures anti-abus, ont été
aux intérêts notionnels était sur le point d'êt- coordination et à l’étranger, et qui permet à approuvées démocratiquement par le
re dévoilé. Si tel était effectivement le cas, il une société-mère, financée en partie par des Parlement. C'est un peu facile pour certains
conviendrait évidemment de réprimer une emprunts, de capitaliser une filiale qui béné- députés de crier au loup 5 ans plus tard… La
telle fraude. Il semblerait toutefois qu’il s’a- ficiera des intérêts notionnels). Le ministre loi fiscale est une loi d'autorité publique qui
gisse plutôt d’un ‘test case’ que d’un réel cas des Finances a logiquement confirmé que ce répond à des règles d'interprétation qui lui
de fraude. 'double dip' est parfaitement légal et respec- sont propres et il est donc tout à fait normal
Il convient également de préciser à ce stade te le principe du choix de la voie la moins que, dans ce cadre, l'inspection des Finances
que certains adversaires des intérêts notion- imposée. "Il est évident que certains opéra- puisse considérer que certaines augmenta-
nels qualifient un peu rapidement de fraude teurs ont créé des fonds propres de manière tions de capitaux ont été abusives", tempère
ce qui n'est qu'une application correcte de la opportune. Mais croyez-moi, les groupes Christian Chéruy, avocat spécialisé en fiscali-
législation. Les critiques les plus virulentes internationaux connaissent les règles du jeu té chez Loyens & Loeff.

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EN COUVERTURE Les intérêts notionnels

Les intérêts notionnels n'ont pas fait de la Belgique un champion fiscal

“En milieu de peloton”


La Belgique est-elle toujours attractive pour les investisseurs étrangers ? Les intérêts notionnels ont-ils
rendu notre pays fiscalement compétitif face à des pays comparables comme les Pays-Bas, la Suisse ou
le Danemark ? Nous avons posé la question à deux experts en fiscalité internationale.

S
i on parle à nouveau de la Belgique pays dans la course aux investissements et nellement forts dans l'attraction de centres
comme lieu d'investissement dans les ont aussi un effet bénéfique pour la trésorerie financiers internationaux, grâce à un régime
milieux d'affaires internationaux, c'est des entreprises, ce qui a été un atout face à fiscal favorable pour les holdings et une poli-
essentiellement grâce aux intérêts notion- la crise, mais "nous ne jouons toujours pas tique de ruling bien rodée. En outre, ils pra-
nels. Ce constat est partagé par Christian dans la cour des grands en matière fiscale", tiquent comme la plupart de nos concurrents
Chéruy, avocat au cabinet Loyens & Loeff fait remarquer Christian Chéruy. "Nous som- une exonération à 100% sur les dividendes
spécialisé dans la fiscalité internationale, et mes tout simplement dans le milieu de pelo- rapatriés des filiales étrangères dans le cadre
Frank Dierckx, managing partner de PWC ton," partage Frank Dierckx. Pourquoi ? d'un holding. La Belgique ne pratique qu'u-
Tax Consultants. Selon eux, les intérêts no- ne exonération à 95%. Ces 5% de différence
tionnels sont pour beaucoup dans l'afflux de Premièrement, parce que la pression fiscale sont souvent rédhibitoires", indique Frank
capitaux constaté en 2006. La Belgique a globale reste trop élevée. Les intérêts notion- Dierckx. "Les Pays-Bas ont amélioré leur ré-
alors atteint le niveau historique de 4e desti- nels ont ramené le taux d'imposition des so- gime pour les holdings, ce qui leur a permis
de conserver davantage de quartiers géné-

“Nous ne jouons toujours pas dans la cour raux que chez nous. Ils peuvent en outre
s'appuyer sur une longue tradition de con-
des grands en matière fiscale” ventions fiscales et de traités avec l'étran-
Christian Chéruy (Loyens & Loeff) ger", poursuit Christian Chéruy.

nation mondiale pour les investissements ciétés effectif à 26%, mais la


directs étrangers, derrière les Etats-Unis, la moyenne européenne est
Grande-Bretagne et la France. Notre pays a entre-temps descendue à
alors également profité d'une politique fisca- 23,22%. En 2009, le Tax Free-
le hésitante aux Pays-Bas. dom Day (TFD), à savoir le
Mais l'état de grâce a été de courte durée. jour où les contribuables bel-
L'instabilité politique, combinée à un regain ges, particuliers comme en-
de la pression fiscale globale, a fait retomber treprises, cessent de payer
la Belgique aux alentours de la 8e place des des impôts et commencent à
nations européennes les plus attrayantes en travailler pour eux est tombé Les Pays-Bas ou la Suisse savent choyer les quartiers généraux
termes d'investissement. "La concurrence fis- le 8 juin. La crise, et la chute
cale s'est accrue ces dernières années et il y des recettes imposables, explique le ‘gain’ Nos autres principaux concurrents sont la
a clairement eu à nouveau une diminution de deux jours par rapport à 2008. Sans la cri- Suisse, qui sait également choyer ses quar-
des investissements, en particulier en prove- se, le TFD serait probablement tombé après tiers généraux, le Danemark et la Finlande. "Il
nance des Etats-Unis. Les investisseurs étran- le 10 juin cette année. Aux Pays-Bas, le TFD s'agit de pays de taille comparable. Cela a
gers veulent de la sécurité à long terme et est tombé le 24 mai. Le Royaume-Uni est pas- peu de sens de nous comparer au Luxem-
certains ont été effrayés par les remises en sé du 2 juin en 2008 au 14 mai en 2009. Seule bourg, champion fiscal mais modeste écono-
cause fréquentes des intérêts notionnels", consolation, la France est en recul : le TFD mie, ou à la France ou à l'Allemagne, pas
déplore Frank Dierckx. "Contrairement à ce 2009 est tombé le 11 juin, contre le 7 juin en plus attrayants que nous au niveau fiscal, mais
qu'on pourrait penser, les décideurs à la tête 2008, et ce malgré la crise. En Allemagne, le qui peuvent s'appuyer sur de larges marchés
de groupes internationaux ne sont pas des TFD tombe comme chez nous le 8 juin. intérieurs", souligne Christian Chéruy. L'Irlan-
gens compliqués. Leur approche est pres- de est selon lui également difficilement com-
que binaire, basée sur quelques chiffres et Deuxièmement, certains de nos concurrents parable, car ce pays qui était le plus pauvre
indicateurs clés. Ce qu'ils recherchent avant ne manquent pas d'atouts. Au premier rang de l'Union revient de très loin, est décentré
tout, c'est la pérennité et la stabilité", em- desquels nos voisins du nord : "Les Pays-Bas géographiquement et a surtout axé sa poli-
braie Christian Chéruy. ont finalement abandonné l'idée de copier tique d'attractivité sur quelques secteurs-
Selon les deux experts, les intérêts notion- notre système d'intérêts notionnels, pour des clés, dont l'informatique. 
nels ont donc eu le mérite de remettre notre raisons budgétaires. Mais ils sont tradition- OF

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Les intérêts notionnels EN COUVERTURE

Des chefs d'entreprise montent


au créneau

“Pas touche aux intérêts


notionnels”
Un 'réalignement' bien nécessaire de la
fiscalité belge face à une concurrence
européenne de plus en plus forte, un incitant
à l'investissement générateur d'emplois,
une bouffée d'oxygène en période de crise, la
fin d'un avantage fiscal illogiquement accordé
aux sociétés les plus endettées … "Pas tou-
En 2009, Baxter annonçait un investissement de 70 millions d'euros
che aux intérêts notionnels", nous disent des sur son site de production de Lessines
responsables d'entreprises de divers horizons.

“Les intérêts notionnels incitent les entreprises certainement pas un luxe à cet égard. "En ce qui
à renforcer leur ancrage en Belgique” concerne les investissements, nous sommes en per-
Christian De Vos, directeur financier pour l'Europe occidentale chez Baxter manence en concurrence avec les autres sites de
production de Baxter en Europe et dans le monde.
Rien n’est jamais acquis. Récemment, nous sommes

L
e géant de la pharmacie et de la biotechnologie Baxter parvenus à décrocher un plan d'investissement 2009-2012 de 70
emploie plus de 2.250 personnes en Belgique. Il possède millions EUR, avec à la clé, l'embauche de 170 personnes. Les
un centre R&D à Nivelles et un centre de distribution à intérêts notionnels ont été un incitant parmi d’autres critères qui
Lessines, ce qui en fait la deuxième plus grosse entreprise amé- ont influencé cette décision d’investis-sement."
ricaine implantée en Wallonie. En 2009, Baxter annonçait un in-
vestissement de 70 millions d'euros sur son site de production Christian De Vos insiste sur le fait que la stabilité des incitants
de Lessines et investit chaque année plus de 30 millions en fiscaux est tout aussi importante que les avantages intrinsèques
R&D. La Belgique a été le premier pays où Baxter a mené des de ces incitants. "Les remettre en question porterait atteinte à
activités hors des Etats-Unis, dès 1954. la crédibilité de notre pays."
Son directeur financier Christian De Vos ne cache pas que les in- Il rappelle que les investissements réalisés depuis 2004 ont per-
térêts notionnels ont aidé à ajouter de nouveaux chapitres à mis d'embaucher 400 personnes pour atteindre aujourd'hui un
cette déjà longue his- effectif total de 2.300 salariés.

“ Les investissements
réalisés ont permis
toire entre la multina-
tionale et notre pays :
"Ce système incite les
d’embaucher 400 entreprises à renforcer “Un effet multiplicateur qui a et aura un effet
personnes depuis 2004” leur ancrage en Belgi- favorable sur l'emploi” Jean-Louis Bremer, CEO de
que. Par ancrage, nous Gondrexon Industrie et président de la Commission PME de la FEB
entendons les activités industrielles et commerciales avec bien
évidemment des emplois qui y sont liés. De manière générale,

C
les intérêts notionnels permettent également d’éviter la compé- omme tout chef d'entreprise, petite ou grande, Jean-
tition entre des sociétés fortement endettées, qui peuvent dé- Louis Bremer salue d'abord le fait que les intérêts no-
duire leurs charges financières, et d’autres fortement capitali- tionnels ont permis de quelque peu atténuer un triste
sées, qui ne bénéficieraient d’aucune déduction particulière." privilège qui faisait que nos entrepreneurs étaient parmi les plus
taxés en Europe : "Une telle mesure nous permet de nous ali-
Il souligne par ailleurs que la compétition est de plus en plus gner globalement sur la fiscalité appliquée aux entreprises des
forte entre pays européens et que les intérêts notionnels ne sont autres Etats européens."

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EN COUVERTURE Les intérêts notionnels

Cette 'correction' apportée par les intérêts notionnels a été Le CEO de Gondrexon (un fabricant de toiles métalliques,
déterminante pour ancrer quelques grosses multinationales d'éléments filtrants et de bandes transporteuses qui emploie
chez nous et en attirer de nouvelles. Ce maintien, voire regain 60 personnes à Zaventem) voit deux bénéfices au renforce-
d'activité, ne peut être que bénéfique pour les PME sous-trai- ment de la structure financière : "Le premier impact est l'ac-
tantes. célération de certains projets dans les trois dernières années
grâce à une plus grande mobilisation de capitaux et, par con-
Mais, selon Jean-Louis Bremer, les inté- séquent, des investissements plus rapides et plus importants.
rêts notionnels ont d'autres vertus que fis- Le second impact est une meilleure capacité d'emprunt et,
cales : "En établissant un nouvel équili- au-delà, un nouvel effet de levier pour encore accroître les in-
vestissements. Il y a donc un effet multiplicateur d'une gran-

“ontLespermis
intérêts notionnels
à la moitié des
de efficacité qui a et aura un effet favorable sur l'emploi. Dans
certaines entreprises, il augmentera. Mais ce qui est souvent
négligé dans les analyses, ce sont toutes ces entreprises où
PME de renforcer leur l'emploi ne diminuera pas."

ratio de solvabilité” Mieux préparés pour la reprise


Jean-Louis Bremer (Gondrexon) Comme le souligne Jean-Louis Bremer, les intérêts notionnels
n’ont rien à voir avec la crise : ils ne l’ont pas provoquée, ils ne
bre entre les fonds propres et l'endettement, les intérêts la résoudront pas non plus. "Mais, quand la reprise sera au
notionnels ont permis à la moitié des PME de renforcer leur rendez-vous, les effets des investissements facilités par les in-
ratio de solvabilité. Et ce meilleur rendement ne profite pas térêts notionnels vont consolider la croissance retrouvée."
nécessairement aux actionnaires : les politiques de dividen- Au lieu de condamner une mesure "qui a fait preuve d'une vi-
des n'ont pas changé après l'entrée en vigueur des intérêts sion courageuse", il en appelle plutôt à en mettre de nouvel-
notionnels." les sur les rails. 
OF et SBR

Le MCB-Forum voit plus loin que les centres de coordination


Il y a quelques jours, un nouveau lieu d’é- Même son de cloche pour le directeur d’atouts (productivité, formation du per-
changes est né dans les milieux d’affaires opérationnel du forum, René Hex (JC sonnel, niveau d’études, niveau de vie,
belges : le MCB-Forum. Autrement dit, le General Services, le centre de trésorerie localisation…) mais ne parvient pas suffi-
forum des entreprises multinationales de de Johnson & Johnson). samment à le faire savoir. Le
Belgique. Il s’agit du successeur de Pour lui, il est aisé de criti- baron Philippe Vlerick, CEO
Euro187, né dans l’optique de défendre les quer mais les intérêts de BIC Carpets, n’en démord
centres de coordination basés dans notre notionnels sont un outil pas. Pour lui, la Belgique est
pays. Ceux-ci ayant vécu, les multinationa- attractif pour les multinatio- pratiquement un paradis pour
les désiraient néanmoins rester unies face nales. Tout comme l'étaient les investisseurs étrangers.
aux problématiques qu’elles peuvent ren- les centres de coordination Avec un bémol: l’environne-
contrer. Les intérêts notionnels y figurent qui ont permis, d'après lui, ment juridique, trop mouvant
en bonne place. d’attirer les entreprises selon lui. "Pourquoi chaque
étrangères et ainsi participer petit niveau de pouvoir doit-il
Pour le baron Ajit Shetty, président de à la création de 50.000 sortir sa loi, son décret, son
Janssen Pharmaceutica et règlement pour avoir l’impres-
vice-président de Johnson &
Johnson, les intérêts notion-
“ Sans ce type de mesures, Johnson sion d’exister ? Chacun pense trouver sa
légitimité dans sa propre loi, c’est ridicu-
& Johnson n’aurait pas installé ses
nels sont une excellente cho- le", dit-il en substance. Il reconnaît aussi
se pour la Belgique. "Sans ce quartiers généraux dans notre pays” que les charges qui pèsent sur le travail
type de mesures, Johnson & Ajit Shetty (Janssen Pharmaceutica) sont trop importantes. "La Belgique est
Johnson n’aurait pas installé merveilleuse pour les gens riches, elle ne
ses quartiers généraux dans notre pays." Il emplois et à l’entrée de plus d’un milliard l’est pas pour tous ceux qui travaillent dur
serait donc dommageable de revenir sur d’euros dans les caisses de l’Etat. et en font la richesse."
cette mesure. En effet, estime-t-il, les
entreprises multinationales ont besoin de Les membres du forum en sont persua- D.Gr.
disposer d’un cadre juridique stable. dés : la Belgique dispose de beaucoup

34 • AVRIL 2010

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