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LA LECTURE DU CORPS
Au début on n’a été sensible qu’au second discours que tenait le corps. C’est lui
qui paraissait la vérité profonde (« le corps ne ment jamais ») et c’est par lui que
l’on tentait de percer l’intention secrète. La violence des propos est atténuée par
un sourire ironique ou bien des paroles aimables et flatteuses peuvent être
contredites par un sourire figé, voire un rictus. Tous les enfants savent bien que
les parents peuvent condamner par la bouche et absoudre du regard. Et même,
au-delà, certains peuvent mettre leur sourire en accord avec leurs paroles, mais
pas leur regard qui reste observateur, perspicace ou même hostile.
Pour cela on peut partir des éléments fixes, puis variables avec les gestes et les
emblèmes.
1. Le fixe.
a) le corps et la biotypologie
La liaison entre des données anatomiques et des traits psychologiques est aussi
ancienne que la pensée humaine. Le médecin grec Hippocrate aurait lié le
tempérament sanguin à la colère, la bile à la rage, le phlegme à la mollesse, et la
bile noire aux idées noires mélancoliques. Ainsi on passe de l’humeur
physiologique à l’humeur émotionnelle, selon le double sens du mot « humeur ».
La médecine chinoise lie aussi les cinq passions à des organes.
Nous n’avons jamais vérifié si cela était vrai ou non, mais nous avons vu que ce
système de liaisons fonctionne bien ainsi dans l’esprit du public. Effectivement
selon nos enquêtes les personnes étudiées n’ont aucun mal à attribuer un
caractère à trois types de corps : le gros est gentil mais mou, le maigre est
intelligent mais renfermé et le musclé est dynamique mais prétentieux.
Il en est de même pour la taille, chaque étude vérifie l’existence des stéréotypes.
Les grands sont décrits comme forts, imposants, volontaires, dominateurs et les
petits comme sympathiques et drôles mais complexés et timides. Les hommes
veulent une partenaire petite ou très petite alors que les femmes désirent un
partenaire grand ou très grand, surtout si elles sont petites.
b) le visage et la morphopsychologie
Puis viennent les étages de la figure et les parties du visage. Selon le symbolisme
populaire, on divise le visage en trois : le front désigne l’intelligence, l’étage moyen
les sentiments et le bas en dessous du nez la sensualité, la gourmandise ou la
volonté. Cet ensemble traditionnel fonctionne comme un système ou une théorie
naïve de la personnalité.
A ceci ont été ajoutées deux notions plus scientifiques l’opposition dilaté/rétracté,
et les récepteurs sensoriels écartés ou resserrés. Les canons de beauté féminine
privilégient les grands yeux et les grosses lèvres.
maquillage...
2. le mobile.
b) les gestes. Eckman et Friesen ont étudiés ces gestes qui accompagnent le
langage (illustrateurs, ponctuateurs, transitiveurs pour les passages de parole...)
comme une danse corporelle variant avec les langues. Les Illustrateurs miment
les objets dont on parle (un poisson grand comme cela) ou la sensation (rassasié,
le ventre plein) … Les Régulateurs ou Pointeurs scandent les arguments, les fins
d’intervention, les passages à l’interlocuteur … Les Adaptateurs traduisent les
sentiments intérieurs (se mordre les lèvres, mordiller son crayon, ronger ses
ongles). Ils peuvent devenir des Signaux (colère, menace, explosion, attaque).
c) les emblèmes. Les emblèmes sont des gestes dont la signification est connue
à l’avance (tirer la langue, faire de l’oeil, montrer le poing...). On a beaucoup
discuté pour savoir si ces emblèmes étaient innés ou acquis. Pour l’universalité il
y a les signaux communs entre le langage des signes des sourds-muets et ceux
de la danse sacrée hindoue, le Bharata-Natyam. De plus on a trouvé que les
enfants avant de pouvoir parler utilisaient exactement les gestes instinctifs des
singes primates.
Mais il y a aussi les variations selon les pays et régions (faire un cercle avec
l’index et le pouce signifie parfait aux USA, zéro en France, homosexuel en
Méditerranée, de l’argent au Japon …) et selon les décennies (Viens avec les
doigts en haut a gagné du terrain avec les français en Algérie sur l’ancien les
doigts en bas). Le geste du suicide se fait la main sur la gorge en Nouvelle-
Guinée, le poing dans le ventre au Japon et deux doigts sur la tempe en
Occident.
3. La communication corporelle
La communication n’est pas que verbale. Il reste à intégrer tout l’involontaire qui
émane du corps. Des milliers d’expériences scientifiques faites depuis trente ans
donnent la possibilité de comprendre ces messages involontaires du corps (le
fameux code perdu) et de constituer dans l’avenir une nouvelle morpho-
psychologie scientifique. Cela a commencé avec la Nouvelle Ecole de la
Communication (l’école de Palo-Alto : de Bateson aux théories systémiques) et
leurs principales applications : le code des distances ou proxémie de Hall, le code
des gestes ou kinésique et le code des contacts ou haptonomie.
4. le mensonge et sa détection
Le premier cas, le plus simple, est celui de l’enfant qui dit ne pas aimer un plat ou
ne pas vouloir un objet alors que tout son corps montre qu’il en a envie. Mais la
sincérité enfantine se perd vite et l’habileté à mentir croît avec l’âge (Parham,
1981).
Les linguistes (Zuckerman, 1978) pensent que les indices verbaux (altération du
ton, hésitations, retards...) sont plus importants que les indices corporels. Il a
même été construit, à partir de là, un appareil pour détecter le mensonge au télé-
phone. En filmant des menteurs en face à face et par interphone, Krauss (1981) a
trouvé que la détection par des juges était plus facile dans le second cas, comme
si le menteur relâchait son contrôle lorsqu’il ne se croyait pas vu. Mais l’on sait que
l’attitude du menteur varie selon que son interlocuteur passe ou non pour un
expert en détection du mensonge (Fugita, 1980).
Aussi les meilleures expériences se font avec les douaniers. Kraut et Poe (1980)
ont filmé des passages en douane avec des suspects et des complices simulant
une fraude. Ces derniers, qui n’ont pas les indices classiques (nervosité,
évitement du regard, retards à répondre, hésitations, changements de posture...),
ne sont détectés ni par les juges ni par les douaniers.