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LA LECTURE DU CORPS

par Marc-Alain Descamps

Tout le monde voudrait, en regardant un corps humain, pouvoir lire la


psychologie de cette personne. Personne ne peut apercevoir un corps humain
sans en inférer des attributs psychiques (qualités, défauts, caractère...). et par là
découvrir la psychologie de cette personne. Cette psychologie naïve, intuitive de
chacun est à confronter avec la psychologie scientifique qui étudie maintenant les
types de personnalité et leurs modes d’attribution.

Au début on n’a été sensible qu’au second discours que tenait le corps. C’est lui
qui paraissait la vérité profonde (« le corps ne ment jamais ») et c’est par lui que
l’on tentait de percer l’intention secrète. La violence des propos est atténuée par
un sourire ironique ou bien des paroles aimables et flatteuses peuvent être
contredites par un sourire figé, voire un rictus. Tous les enfants savent bien que
les parents peuvent condamner par la bouche et absoudre du regard. Et même,
au-delà, certains peuvent mettre leur sourire en accord avec leurs paroles, mais
pas leur regard qui reste observateur, perspicace ou même hostile.

Puis on en arrive, par extension de la séméiologie médicale, au corps-symptôme.


C’est le corps dans sa construction et en lui-même qui matérialise l’inconscient. Il
y a le sourire désynchronisé du délirant, le regard fuyant de l’autiste ou égaré de
la stupeur ... Le corps se donne à lire comme un rébus que l’on doit déchiffrer. A
celui qui sait, le corps obèse du boulimique ou rachitique de l’anorexique raconte
toute une histoire. A partir de cette direction va se développer la lecture du corps
dans la psychosomatique ou dans la bio-énergie.

L’étude du corps est enfin entrée dans le domaine scientifique

Pour cela on peut partir des éléments fixes, puis variables avec les gestes et les
emblèmes.

1. Le fixe.

a) le corps et la biotypologie

La liaison entre des données anatomiques et des traits psychologiques est aussi
ancienne que la pensée humaine. Le médecin grec Hippocrate aurait lié le
tempérament sanguin à la colère, la bile à la rage, le phlegme à la mollesse, et la
bile noire aux idées noires mélancoliques. Ainsi on passe de l’humeur
physiologique à l’humeur émotionnelle, selon le double sens du mot « humeur ».
La médecine chinoise lie aussi les cinq passions à des organes.

L’école française (Sigaud, Mac Auliffe, Tissot) distingue le digestif jovial, le


respiratoire énergique, le musculaire placide et conciliant, le cérébral théorique,
abstrait et utopique.

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L’Américain Sheldon (1942) oppose l’endomorphe digestif, le mésomorphe


musculaire et l’ectomorphe cérébral. Il leur associe des traits psychologiques par
analyse de corrélation. La viscérotonie comprend l’amour du bien manger,
sociabilité, estime de soi, besoin des autres, courtoisie, tolérance, possessivité,
etc. La somatotonie c’est le plaisir des exercices physiques, le courage, le goût du
risque, de la compétition et du combat, la claustrophobie, dureté à la douleur de
soi et des autres, le tapage, etc. La cérébrotonie rassemble le goût de l’activité
mentale, des réactions rapides, l’agoraphobie et la sociophobie, le contrôle, le
secret, la discrétion, l’introversion, etc.

Nous n’avons jamais vérifié si cela était vrai ou non, mais nous avons vu que ce
système de liaisons fonctionne bien ainsi dans l’esprit du public. Effectivement
selon nos enquêtes les personnes étudiées n’ont aucun mal à attribuer un
caractère à trois types de corps : le gros est gentil mais mou, le maigre est
intelligent mais renfermé et le musclé est dynamique mais prétentieux.

Il en est de même pour la taille, chaque étude vérifie l’existence des stéréotypes.
Les grands sont décrits comme forts, imposants, volontaires, dominateurs et les
petits comme sympathiques et drôles mais complexés et timides. Les hommes
veulent une partenaire petite ou très petite alors que les femmes désirent un
partenaire grand ou très grand, surtout si elles sont petites.

b) le visage et la morphopsychologie

L’ancienne morphopsychologie du Dr. Louis Corman datant 1937 continue à être


utilisée même dans des cabinets de recrutement français. Quand on étudie
comment fonctionnent beaucoup de services d’embauche, on est stupéfait de
constater qu’ils suivent la trilogie «morpho-grapho-astro ». On décrit les formes du
visage selon les types astrologiques : le rond est lunarien, le carré le martien, le
rectangulaire jupitérien, l’ovale vénusien, le long saturnien, le triangulaire
mercurien, etc.

Puis viennent les étages de la figure et les parties du visage. Selon le symbolisme
populaire, on divise le visage en trois : le front désigne l’intelligence, l’étage moyen
les sentiments et le bas en dessous du nez la sensualité, la gourmandise ou la
volonté. Cet ensemble traditionnel fonctionne comme un système ou une théorie
naïve de la personnalité.

A ceci ont été ajoutées deux notions plus scientifiques l’opposition dilaté/rétracté,
et les récepteurs sensoriels écartés ou resserrés. Les canons de beauté féminine
privilégient les grands yeux et les grosses lèvres.

Mais toutes les découvertes récentes comme celles d’Ermiane ou d’Ekman et


Friesen, ainsi que toutes les recherches de psychologie expérimentale, ne sont
toujours pas utilisées. Ce faisant, il y aurait donc une toute nouvelle
morphopsychologie à construire, selon nos recherches sur les traits corporels
humains et leur signification : taille, poids, volume, mains, formes du visage,
importance des récepteurs sensoriels, couleur des yeux et des cheveux, rides,

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maquillage...

2. le mobile.

a) les micro-expressions. Les anatomistes ont toujours étudié cette mécanique


musculaire. Francis Guillaume Duchêne (1862) en tant que médecin légiste a pu
étudier scientifiquement le rôle des nerfs faciaux en les excitant avec le courant
électrique. Au début il se servait des têtes de guillotinés, mais elles n’étaient
utilisables que deux ou trois heures après la décapitation, avant que ne s’établisse
la rigidité cadavérique. Puis dans un hospice il trouva un sujet qui avait une figure
insensible. Après des centaines d’expériences, il découvrit le rôle physique des
nerfs et les expressions qu’ils donnent. Et dans son livre il présente une centaine
de photos de ce sujet.

La découverte complète du jeu des expressions faciales et de la contraction de


tous les muscles du visage a été faite par le Dr. Roger Ermiane. Dans son livre de
1949 il explique comment il a décidé de laisser de côté la morphologie
constitutionnelle pour étudier l’état d’âme lié à la contraction d’un muscle
peaucier. Pendant toute la guerre, il a travaillé devant un miroir, s’entraînant à
isoler un muscle et à le commander. Puis, en le maintenant contracté, il cherchait
l’expression que cela lui donnait dans son miroir et l’état d’âme qu’il sentait
s’établir en lui. Il a donc distingué les contractions passagères qui expriment un
état d’âme passager et les contractions permanentes qui traduisent un état d’âme
durable. Anatomiquement il existe 29 muscles peauciers symétriques et cela
donne 47 éléments. Parmi les combinaisons théoriquement possibles, il en a
étudié 250.

Les Américains ont aboutis à divers systèmes de codage/décodage des


mouvements faciaux qui permettent de lire en instantané le second message
transmis par le visage pendant que l’on parle. Après avoir accéléré les éléments
de transcription, on arrive maintenant à travailler en temps réel et pour pouvoir
saisir toutes les micro-expressions on utilise le ralenti de la bande vidéo que l’on
repasse. Paul Eckman a mis au point le FASt (Facial Affect Scoring Technique) et
Izard le MACS (Maximally Discriminative Facial Movement Scoring Systeme)
selon le très rapide en temps réel.

La communication corporelle est aussi le lieu de nombreuses modes : pour


retrouver le fameux code perdu, on étudie tous ces messages involontaires du
corps …

b) les gestes. Eckman et Friesen ont étudiés ces gestes qui accompagnent le
langage (illustrateurs, ponctuateurs, transitiveurs pour les passages de parole...)
comme une danse corporelle variant avec les langues. Les Illustrateurs miment
les objets dont on parle (un poisson grand comme cela) ou la sensation (rassasié,
le ventre plein) … Les Régulateurs ou Pointeurs scandent les arguments, les fins
d’intervention, les passages à l’interlocuteur … Les Adaptateurs traduisent les
sentiments intérieurs (se mordre les lèvres, mordiller son crayon, ronger ses
ongles). Ils peuvent devenir des Signaux (colère, menace, explosion, attaque).

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c) les emblèmes. Les emblèmes sont des gestes dont la signification est connue
à l’avance (tirer la langue, faire de l’oeil, montrer le poing...). On a beaucoup
discuté pour savoir si ces emblèmes étaient innés ou acquis. Pour l’universalité il
y a les signaux communs entre le langage des signes des sourds-muets et ceux
de la danse sacrée hindoue, le Bharata-Natyam. De plus on a trouvé que les
enfants avant de pouvoir parler utilisaient exactement les gestes instinctifs des
singes primates.

Mais il y a aussi les variations selon les pays et régions (faire un cercle avec
l’index et le pouce signifie parfait aux USA, zéro en France, homosexuel en
Méditerranée, de l’argent au Japon …) et selon les décennies (Viens avec les
doigts en haut a gagné du terrain avec les français en Algérie sur l’ancien les
doigts en bas). Le geste du suicide se fait la main sur la gorge en Nouvelle-
Guinée, le poing dans le ventre au Japon et deux doigts sur la tempe en
Occident.

Ces signaux culturels codés nous font entrer dans la communication.

3. La communication corporelle

La communication n’est pas que verbale. Il reste à intégrer tout l’involontaire qui
émane du corps. Des milliers d’expériences scientifiques faites depuis trente ans
donnent la possibilité de comprendre ces messages involontaires du corps (le
fameux code perdu) et de constituer dans l’avenir une nouvelle morpho-
psychologie scientifique. Cela a commencé avec la Nouvelle Ecole de la
Communication (l’école de Palo-Alto : de Bateson aux théories systémiques) et
leurs principales applications : le code des distances ou proxémie de Hall, le code
des gestes ou kinésique et le code des contacts ou haptonomie.

Le livre sur la communication en fournit une vérification expérimentale par les


stéréotypes, qui sont les idées reçues ou schémas majoritaires d’une population.
S’y ajoutent le décodage des expressions du visage, la reconnaissance des
émotions, la psychologie des regards, des larmes, du rire et des sourires... Les
indices para-verbaux (hésitation, retards, altérations...) suffisent lorsqu’on est
entraîné, la gesticulation et les différents gestes de salutation exigent une grille de
compréhension comme avec les différentes sortes de poignée de main.

4. le mensonge et sa détection

Avec le menteur l’on peut le mieux vérifier l’opposition entre le verbal et le


non-verbal : la bouche dit le mensonge alors que tout le reste du corps traduit la
vérité ou le trouble.

Le premier cas, le plus simple, est celui de l’enfant qui dit ne pas aimer un plat ou
ne pas vouloir un objet alors que tout son corps montre qu’il en a envie. Mais la
sincérité enfantine se perd vite et l’habileté à mentir croît avec l’âge (Parham,
1981).

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Selon la psychologie naïve, le menteur se trahit par ses bredouillements,


l’altération de sa voix, l’impossibilité de regarder droit dans les yeux et
l’augmentation des mouvements compensatoires. Mais l’enquête de Hocking et
Leathers (1980) sur des candidats officiers de police ne le confirme pas. Par
contre Ekman et Friesen (1974), dans une expérience complexe, avaient trouvé
une diminution du nombre des gestes illustratifs et une augmentation des
automanipulations du visage et des changements de posture.

Les linguistes (Zuckerman, 1978) pensent que les indices verbaux (altération du
ton, hésitations, retards...) sont plus importants que les indices corporels. Il a
même été construit, à partir de là, un appareil pour détecter le mensonge au télé-
phone. En filmant des menteurs en face à face et par interphone, Krauss (1981) a
trouvé que la détection par des juges était plus facile dans le second cas, comme
si le menteur relâchait son contrôle lorsqu’il ne se croyait pas vu. Mais l’on sait que
l’attitude du menteur varie selon que son interlocuteur passe ou non pour un
expert en détection du mensonge (Fugita, 1980).

Malheureusement bien de ces nombreuses expériences sont trop artificielles. On


peut mentir pour nuire, pour se disculper, par timidité, pour jouer, par plaisir, pour
éviter de faire de la peine, pour défendre un ami ou son pays, involontairement,
par omission et le pire est que l’on peut se mentir à soi-même par mauvaise foi et
arriver à croire que son mensonge est la vérité. Et les indices corporels ne sont
pas du tout les mêmes selon que l’on s’est préparé ou que l’on est pris à
l’improviste. La détection du mensonge doit donc varier selon le type de
mensonge et l’habileté du menteur. Demander à un sujet volontaire de dire qu’il
n’a pas mouchoir dans sa poche alors qu’il en a un est tout à fait différent de dire
à son partenaire aimé(e) qu’on ne l’a pas trompé(e).

Aussi les meilleures expériences se font avec les douaniers. Kraut et Poe (1980)
ont filmé des passages en douane avec des suspects et des complices simulant
une fraude. Ces derniers, qui n’ont pas les indices classiques (nervosité,
évitement du regard, retards à répondre, hésitations, changements de posture...),
ne sont détectés ni par les juges ni par les douaniers.

On comprend par là l’ambiguïté de la machine à détecter le mensonge par des


enregistrements électriques (cardiaque, pneumographique, myographique, réflexe
psychogalvanique...). Elle ne détecte que des signes de trouble et il n’est pas
facile de faire la différence entre des personnes troublées, culpabilisées ou
angoissées et un menteur entraîné et convaincu de dire la vérité. Les menteurs
sincères comme des acteurs, des joueurs de poker, des escrocs ou certains
hommes politiques sont très convaincants.
Bibliographies dans

Marc-Alain Descamps, Psychosociologie de la mode, PUF, 1979


Marc-Alain Descamps, L’invention du corps, PUF, 1986
Marc-Alain Descamps, Ce corps haï et adoré, Tchou/Sand, 1988
Marc-Alain Descamps, Le langage du corps et la communication corporelle, PUF, 1989
Marc Alain Descamps, Corps et psyché, les psychothérapies par le corps, Desclée de Brouwer, 1992

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Marc-Alain Descamps, Corps et extase, Trédaniel, 1992


Marc Alain Descamps, La psychanalyse spiritualiste, Desclée de Brouwer, 2004

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