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PRIX ARMÉE DE L’AIR 2005

M. Thomas VAISSET

Mémoire de maîtrise d’histoire

Étude du bombardement de Sakiet-Sidi-Youssef

RÉSUMÉ

Dans le cadre de mon mémoire de maîtrise, je désirais travailler sur la France et les
droits de l’homme. L’étude du bombardement de Sakiet-Sidi-Youssef m’a été suggérée par
Monsieur Philippe Levillain, professeur à l’Université de Paris X-Nanterre, comme un
exemple de cas illustrant les liens entre les droits de l’homme et la France. En effet, vouloir
travailler sur la liaison entre les droits de l’homme et la France aurait été beaucoup trop vaste
pour un sujet de maîtrise d’histoire.

Le samedi 8 février 1958 au matin, une vingtaine d’avions de l’armée de l’air


bombarde Sakiet-Sidi-Youssef en réponse aux tirs essuyés peu avant par un appareil de
reconnaissance. Base FLN installée sur le territoire tunisien pour certains, simple village
frontière entre l’Algérie et la Tunisie pour d’autres, Sakiet-Sidi-Youssef devient rapidement,
en ce début d’année 1958, le reflet des tensions grandissantes entre le gouvernement français
et les militaires commandant les opérations en Algérie. En effet, de nombreuses voix, à la
suite de Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères, ont expliqué que le gouvernement
n’avait pas été consulté lors du déclenchement de l’opération.

Les historiens qui ont travaillé sur le sujet sont divisés. D’un côté, l’historienne Samya
El-Mechat estime que les militaires ont agi sur ordres du pouvoir civil, alors que de l’autre, le
professeur américain Irwin Wall, considère le bombardement comme « le cas le plus flagrant
de l’indépendance des généraux vis-à-vis de Paris ».

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La crise diplomatique liée aux bons offices anglo-américains marque véritablement le


début de l’internationalisation de la guerre d’Algérie. Nous n’entendons pas, dans ce cas,
l’internationalisation telle que Henry Laurens l’a défini dans son introduction à Paix et guerre
au Moyen-Orient. En effet, il considère que l’internationalisation d’un conflit, après 1945,
repose sur la rivalité entre deux puissances ennemies, attisée par les forces politiques locales.
Dans notre cas, il est vrai que le FLN tente, depuis le début de l’insurrection, de faire évoquer
le conflit à l’ONU. Mais, c’est bien la Tunisie de Bourguiba qui arrive via les bons offices,
dont l’objet était de résoudre le différend franco-tunisien, à faire du conflit algérien une
question décisive sur le plan international en ce début d’année 1958. Seconde différence, dans
notre étude, l’internationalisation n’est le produit que d’une seule puissance, les États-Unis,
qui sont de plus les principaux alliés de la France.

C’est donc pour mieux comprendre l’implication des différents pays dans la guerre
d’Algérie – URSS, États-Unis, Grande-Bretagne, Tunisie et France – mais également leurs
rapports à l’ONU que le choix a été fait de ne pas débuter cette étude au samedi 8 février,
mais de revenir sur plusieurs éléments antérieurs pour mieux saisir cette crise dans sa brièveté
et son intensité.

L’orientation initiale de mon travail était d’étudier les manœuvres de la diplomatie


française pour éviter une condamnation au Conseil de sécurité des Nations unies. Je me suis
donc rendu aux archives du ministère des Affaires étrangères afin de dépouiller les séries
Maroc-Tunisie, Nations unies et organisations internationales, Amérique, Cabinet du ministre
et mission de liaison algérienne. Je pense avoir obtenu ainsi un panorama assez complet de la
crise diplomatique qui se noue au lendemain du 8 février 1958. Un des moments clé de cette
crise a été, comme j’ai essayé de le présenter dans le mémoire, la réception par le président du
Conseil, d’une lettre du président américain Eisenhower modifiant la position du Département
d’État vis-à-vis du conflit. Ce document, non publié à l’époque, laissait libre cours à de
nombreuses spéculations sur son contenu. Il en est de même pour les historiens, Samya El-
Mechat et Irwin Wall, qui ont travaillé sur ce sujet mais qui n’en possédaient pas les termes.
L’historien américain avait dû se contenter du brouillon transmis par Washington au Foreign

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Office afin de rédiger son chapitre sur le bombardement de Sakiet dans son dernier livre
(France, United States and Algerian war, publié en 2001). Cette lettre a été retrouvée, un peu
par hasard je dois l’avouer, aux archives nationales dans le fonds privé Christian Pineau. Au
CARAN, mon objectif était en effet de consulter les procès-verbaux du Conseil des ministres.
Ces cartons étant soumis à dérogation, j’en ai profité pour élargir ma demande aux papiers
privés du ministre des affaires étrangères, dont l’inventaire ne suggérait pourtant pas
l’éventuelle présence de ce document.

Les papiers de Christian Pineau contenaient également une transcription d’écoutes des
conversations téléphoniques du journaliste Jean Daniel. En la mettant en avant, sans la lui
présenter directement, j’ai eu l’opportunité de le rencontrer au siège du Nouvel Observateur.
Son témoignage est considérable car il est l’un des premiers journalistes français présent à
Sakiet au lendemain du bombardement. Il a, en outre, participé à la rédaction d’une dépêche
de l’AFP contredisant le rapport présenté publiquement par le général Salan.

C’est au cours de la préparation de cet entretien que j’ai rencontré à l’Institut d’histoire
sociale, Pierre Rigoulot, qui m’a proposé de rédiger un article pour un numéro des Cahiers
d’histoire sociale consacré à la guerre d’Algérie (n°23, 2004). La rédaction de cet article m’a
poussé à accorder plus d’attention au bloc soviétique au cours de cette période, pour
finalement en conclure un très important silence de la part des dirigeants de l’URSS.

La lecture des mémoires du général Edmond Jouhaud marque une étape décisive dans
mon travail. Jusque là, je n’avais pas accorder une véritable importance ni au déroulement du
bombardement, ni à l’armée française stationnée en Algérie et en Tunisie. Dans ses mémoires,
Jouhaud pose la question de la responsabilité du déclenchement du raid, qui selon lui est
partagée entre Raoul Salan et Paul Ely. Je me suis alors tourné vers les mémoires de ces deux
autres généraux qui, à leur tour, renvoient les responsabilités sur des tiers (le général Ely
évoque le rôle du général Salan, alors que ce dernier estime que la possibilité de riposte avait
été évoquée par les ordres du ministère de la défense nationale). Les divergences entre les
principaux généraux en poste au moment du bombardement de Sakiet m’ont amené à

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renouveler mon questionnement et à déplacer mon sujet d’étude. Le travail, basé sur les
sources diplomatiques, s’est donc trouvé élargi aux sources militaires pour tenter de
déterminer quelles unités avaient bombardé et avec quel ordre. Je me suis alors concentré sur
le dépouillement des archives des trois armes.

À l’issue de cette année de recherche, il me semble que la réponse est à chercher plus
du côté de la thèse d’Irwin Wall que de celle de Samya El-Mechat. Je tempérerais cependant :
il est indéniable que Paris a autorisé, le 3 février 1958, un éventuel raid contre la DCA
tunisienne. Pourtant, dans ces ordres, le recours à l’action aérienne ne peut pas avoir été
préparé à l’avance. Pourtant, quand on croise le témoignage du général Duval, qui
commandait le GATAC 1, avec les documents trouvés à Vincennes, il apparaît clairement que
le scénario du 8 février 1958 au matin (tir sur un avion de reconnaissance) avait été « écrit » la
veille et que les bombardiers, regroupés pour l’occasion, n’attendaient qu’un « prétexte » pour
riposter.

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