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CONFORMISME
Cornelius Castoriadis
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ON a parl d'une sorte de terrorisme de la pense unique, c'est-dire une non-pense. Elle est unique en ce sens qu'elle est la
premire pense qui soit une non-pense intgrale. Pense
unique librale laquelle nul n'ose s'opposer. Qu'tait l'idologie
librale sa grande poque ? Vers 1850, c'tait une grande
idologie parce qu'on croyait au progrs. Ces libraux-l
pensaient qu'avec le progrs il y aurait lvation du bien-tre
conomique. Mme quand on ne s'enrichissait pas, dans les
classes exploites, on allait vers moins de travail, vers des
travaux moins pnibles : c'tait le grand thme de l'poque.
Benjamin Constant le dit : Les ouvriers ne peuvent pas voter
parce qu'ils sont abrutis par l'industrie [il le dit carrment, les
gens taient honntes l'poque !], donc il faut un suffrage
censitaire.
Par la suite, le temps de travail a diminu, il y a eu
l'alphabtisation, l'ducation, des espces de Lumires qui ne
sont plus les Lumires subversives du XVIIIe sicle mais des
Lumires qui se diffusent tout de mme dans la socit. La
science se dveloppe, l'humanit s'humanise, les socits se
civilisent et petit petit on arrivera une socit o il n'y aura
pratiquement plus d'exploitation, o cette dmocratie
reprsentative tendra devenir une vraie dmocratie.
Mais cela n'a pas march ! Donc les gens ne croient plus cette
ide. Aujourd'hui ce qui domine, c'est la rsignation ; mme
chez les reprsentants du libralisme. Quel est le grand
argument, en ce moment ? C'est peut-tre mauvais mais
l'autre terme de l'alternative tait pire. Et c'est vrai que cela a
glac pas mal les gens. Ils se disent : Si on bouge trop, on va
vers un nouveau Goulag. Voil ce qu'il y a derrire cet
puisement idologique et on n'en sortira que si vraiment il y a
une rsurgence d'une critique puissante du systme. Et une
renaissance de l'activit des gens, d'une participation des gens.
et l, on commence quand mme comprendre que la
crise n'est pas une fatalit de la modernit laquelle il
faudrait se soumettre, s'adapter sous peine d'archasme. On
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