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5¢ année, N° 24 4e trimestre 1961 ARGUMENTS SOMMAIRE LE PROBLEME COSMOLOGIQUE L'horizon cosmique (Kostas AxELos). e Systémologie et cosmogonie (Stéphane LuPasco). Einstein et le besoin d'une théorie du champ unitaire (Aimé VaLpor). Présupposés fondamentaux de la physique des particules (Werner HEISENBERG). Vie, biologie et théorie (Jean CHoay). e Au-deld de la métaphysique (Martin Hemeccer). Le dépassement de la philosophie de Ia subjectivité (Walter ScHutz). L'homme et le Cosmos (Michel Couunet). Nature et liberté (Jacques Housart). La cosmologie comme nostalgie et comme prospective (Pierre Fou- GEYROLLAS). Fragments pour une « physique » (Roger MUNIER). REDACTION-ADMINISTRATION, 7, rue Bernard-Palissy, Paris-6*, Lit. 39-03. C.C.P. Arguments-Editions de Minuit, 180-43, Paris. Abonnements (4 numéros) : 10 NF; étranger : 15 NF; soutien : 20 NF Directeur-gérant : Edgar MonIN. Rédacteur en chef : Kostas AXELOS. Rédaction : Roland BaRrHEs, Jean Duvicnavd, Francois Festd, Pierre FoucgYROLLAs. Secrétaire de rédaction : Réa AXELOS. [ Le numéro : 3 NF. } ‘ar be Covert 1A ROGHELE Quartier Latin : 6* arrondissement : Montparnasse : Cité universitaire : ‘1 arrondissement : Rive droite : Neuilly-sur-Seine : Grenoble : Naney Aix-en-Provence : Toulouse : Strasbourg : Bordeaux : Perpignan : Lyon : Marseille : Montpellier : Dijon : Bruzelles : Geneve : Tunis : Buenos-Aires : LIBRAIRIES DEPOSITAIRES D'ARGUMENTS Panis Librairie 73, 73, bd Saint-Michel. Librairie Saint-Michel, place de la Sorbonne. Presses Universitaires de France, 49, bd Saint-Michel Kiosque « Cluny », 23, bd Saint-Michel. Kiosque, 7, bd Saint-Michel. La joie de lire, 40, rue Saint-Séverin, Montehrestien, 158, rue Saint-Jacques. Croville, 20, rue de la Sorbonne. Le Zodiaque, 60, rue Monsieur-le-Prince. L'Escalier, 12, rue Monsieur-le-Prince. Le Labyrinthe, 17, rue Cujas. A Yami des livres, 83, bd Saint-Michel. 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Les n°* 15 et 16 (1959) étaient consacrés au Probléme mondial et d celui de L'ére planétaire et les n°" 18 (1960) et 21 (1961) @ L’homme- probléme et d L'amour-probléme (1). Avec ce numéro nous tentons Vaventure : éclairer quelque peu Le probleme cosmologique, lieu de convergence des mythologies et des philosophies de la nature d'hier, de la métaphysique et de la physique, des sciences de la nature et des spéculations cosmologiques d'aujourd'hui. Probleme signifie : question ouverte. Ce qu'on peut appeler probléme cosmologique embrasse les questions relatives d lu genése et a Uordre de U'Univers, d la structure de la matiére et de Vénergie, d la dimension du temps et aur phénomeénes de la vie. Et c'est le logos et la praxis qui s'attaquent aux problémes du Cosmos et de la Nature, en tant que logos philosophique, recherche scientifique, praxis technologique ou pensée questionnante. Le souci qui a présidé a la préparation de ce numéro n'est pas encyclopé- dique ; nous ne voulions — et nous ne pouvions pas — étre exhaustifs. Un schéma cosmologique global domine notre époque : d'origine biblique et judéo-chrétienne, il s'est constitué en positivisme et en évolutionnisme (bourgeois) et en matéria- lisme dialectique (marziste). A Végard de ce schéma — et a Vintérieur de lui — nous avons essayé de faire surgir les interrogations que d'habitude on esquive. Peut-étre oserons-nous un jour affronter Dieu-probléme, questionner le sacré et la religion. Arguments. (1) De tous ces numéros, seul le no 21 (L’amour-probléme) n’est pas encore entiére- ment épuisé, L’HORIZON COSMIQUE MEDITATIONS QUESTIONNANTES ET FRAGMENTAIRES (> C’est dans I’horizon cosmiyue yue se pose désormais, avec et sans netteté, le probléme métapliysique et poétique fon- damental : « Qu’est-ce que l’étant ? » (Aristote), « Pourquoi il y a plutdt quel- que chose que rien? » (Leibniz), ¢ Etre ou ne pas étre, voila la question » (Hamlet). “ La totalité cosmique, la Nature, n'ezis- te pas indépendamment de l'homme ; elle n'a pas de sens visible et lisible sans lui, si tant est qu'elle en ait un. Elle n'est nullement, pour autant, instituée par l'homme et constituée pour lui, Elle se passe de l'homme et elle le passe. Aucune décision ne peut — encore? — étre prise quant a l’essence — mobile ou pas — ou la signification d'une his- toire de la nature et des rythmes cos- miques et naturels. Si l'humanité vi- vante et pensante venait 4 disparaitre sur terre — avec ou sans sa volonté explicite, ce qui pourrait n’étre ni un bonheur ni un malheur, puisque per- sonne ne sait et n’éprouve pourquoi Thumanité veut ou ne veut pas survivre dans le mouvement des figures et des spirales visibles de ’Etre-Néant —, si le faire-8tre conduisait A un faire-dispa- raitre et I’éclosion inaugurale & la ca- tastrophe finale, — obsession et visée (@) Ces aphorismes, ainsi que ceux qui ont &té publiés sous les titres Prolégoménes frag- mentaires 4 la pensée anticipatrice, Appro- che du nihilisme (aphorismes systématiques), et Liart en question (systématique aphoris- tique)' dans Arguments (n° 9, 1958; 14, 1959; 19, 1960), font partie d'un ouvrage d’ensem- ble essayant de saisir les Fragments de la totalité (qui est en préparation). Qu’il suffise pour le moment d’indiquer ici que la pensée aphoristique, comme on dit, va d’Héraclite a Pascal et de Novalis 4 Nietzsche... Ce qu’on ne dit pas, entre autres, c'est qu'un dialogue relie la tentative philosophique du systéme dialectique de la totalité, c’est-A-dire l'Ency- clopédie des sciences philosophiques de He- gel, et la visée poétique et totalisante de VEncyclopédie fragmentaire de Novalis. Se souvient-on que la puissance dominante dans Ien-eyclo-pédie est le cercle? Le cer- cle, tout le monde sait ce qu'il est, n’est-ce pas? 2 apocalyptique de presque toute pensée prophétique —, y aurait-il encore quel- que chose, et quoi et pour qui? Ques- tions qui renvoient 4 la question cen- trale qui fonde et dépasse la métaphy- sique : qu’est-ce que le Monde (et non pas qu’est-ce que I'Univers ou la Na- ture) ? Que peut signifier I’attente des renais- sances futures ? oe Toutes les mises en garde, orgueil- leuses ou pleurnichardes, contre une catastrophe planétaire, tous les apitoie- ments sur le sort de I'espéce humaine vont de pair avec cette naive et quasi- ment hystérique foi absolue en l'homme dont font montre l'anthropomorphisme métaphysique ou platement anti-méta- physique, 'humanisme borgne et boiteux, le progressisme fatigué, le marxisme or. thodoxe, hétérodoxe et vulgaire, l'existen- tialisme psychosociologique. A’ partir du moment ot on « pense », dans la dimen- sion du journalisme philosophique et de Vidéologie dominante, qu’ «il est fa- cheux qu'un homme ‘puisse écrire au. jourd’hui que l'absolu n'est pas "hom- me » (Sartre), cen est déja fait du sort de ce petit absolu — puisque le grand absolu s'était déjA anéganti jusqu’é étre. Les mythologies de la nature et les figures mythologiques des dompteurs de la nature semblent situées résolument derrigre nous et en quelque sorte aussi ; devant nous. A nous de les déchiffrer — au seuil usé d'un Age qui se veut acu- ménique. Car si ce que l'on désigne sous le nom de philosophie de l'histoire est devenu peu a peu relativement, et tres approximativement, problématique et transparent — non pas grace au rela- tivisme (par rapport A quoi? A quel absolu?) mais grace A la _possibilité dune approche multidimensionnelle et polycopique, et bien que nous ne sa- chions toujours pas poser le probléme dp sens de Vhistoire.—, ce qui fut ap- pelé philosophie de la nature reste en- termé dans des représentations rigides ou s'achemine a travers des contigura- tions non figuratives vers une approche quasi muette et ucosmique, d’ou tout orient fait défaut. Essayer de découper dans le cercle illi- mité de la totalité ouverte et jamais achevée et donnée deux grands cercles, la Nature et I'Histoire, & savoir ce qui est et se fait sans l'homme et ce qui existe et se produit par et pour l'homme, c'est distinguer bien artificiellement les modes d’étre monde .du Monde (poly- morphe et unique ?). Ce qui ne signifie pas que l'horizon naturel et cosmique ou Vhorizon humain et historique soit le supréme horizon — car la Nature est et n’est pas identique avec I'horizon du Monde et de méme I'Histoire —, ni qu'une synthése des deux puisse consti- tuer horizon des horizons. D'emblée, chez les Grecs, 1a physis semble impliquer d'une certaine maniére la puissance de la techné; c’est pour- quoi la techné peut ensuite l'imiter. Dieu apparait chez les judéo-chrétiens comme le technicien absolu, le Créateur, le Plan de la Providence qui guide l’action assu- jettissante des hommes, leur lutte contre le péché (originel) et 1a nature en géné- ral. Devons-nous attendre encore la do- mestication de la matiare énergétique et de I'énergie atomique, la création artifi- cielle de la vie, la complete cybernétisa- tion de la pensée et la planification totale de la société pour commencer — sur une planéte aussi plate qu’aména- gée, insensée et désignifiante — A expé- rimenter et’& penser la technique plané- taire ? we La cité annihile la nature et la nature anéantit la cité; toutefois, la cité se développe sur fond de nature et c'est a travers la cité que se dévoilent et se dis- simulent présence et absence de la nature. La distinction entre le naturel et le surnaturel exprime In perte du sens (sacré) de Ja Nature, Dans son livre intitulé Le gai savoir, Nietzsche, voulant renverser le platonis- me et le christianisme pour provoquer la crise de l’athéisme; ‘et cela non pas au nom. du monde vrai ou du monde appa- rent (c’est-d-dire ni au nom de leur étre ni au nom de leur distinction), donne la parole & l'Insensé, le Forcené, et le laisse poser ses questions : « Ou est allé Dieu? s‘écria-t-il, je vais vous le dire, Nous Uavons tué — vous et moi! Nous tous, nous sommes ses assassins! Mais comment avons-nous pu boire d’un trait la mer tout entiére? Qui nous a donné V'éponge pour effacer Ihorizon ? Que fai- sions-nous lorsque nous détachions cette terre de son soleil ? Vers od se meut- elle & présent ? N’est-ce pas loin de tous les soleils? Ne tombons-nous pas sans ce8se ? En avant, en arriére, de coté, de tous les cétés? Y a-til encore un en- haut et un en-bas? N’errons-nous pas comme a travers un néant infini? Le souffle du vide ne nous effleure-t-il pas de toutes parts ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne voyez-vous pas venir la nuit et toujours la nuit? Ne faut-il pas allu- mer des lanternes en plein jour? N’en- tendons-nous toujours rien du bruit des fossoyeurs qui enterrent Dieu? Ne sen- tons-nous toujours rien de la décompo- sition divine ? Car les dieux aussi se dé- composent. Dieu est mort! Dieu reste mort! Et c'est nous qui I'avons tué! Comment nous consolerons-nous, les meurtriers des meurtriers? Ce que le monde a possédé jusqu’é présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux — qui effacera de nous ce sang? avec quelle eau nous purifieronsnous ? Quelles _expiations, quels jeux sacrés nous faudra-t-il désor— mais inventer ? » Selon une ancienne — et future — pa- role, tout ce qui surgit et se particula- rise — toutes choses intramondaines — rejoint le berceau universel dont il était issu qui est également son tombeau, c'est-a-dire le Monde, Ainsi le monde roule & tombeau ouvert. Ce procés ne se laisse cependant pas entigrement mesu- rer et calculer. La Nature médiatisée — soit selon le rythme ternaire et unitaire : Logos onto- théologique — Nature cosmique — Esprit historique, soit comprise comme une gigantesque autoproduction, soit dans sa conception en tant que mouvement dia- 3 lectique — reste en permanence un cer- cle carré pour l'esprit humain. ae Nous ne savons guére quels sont les soubassements cosmologiques de la tecli- nologie moderne et quels sont les fonde- ments technologiques de notre cosmolo- gie. Pourtant le jeu du monde exige une compréhension du jeu qui englobe le jeu de la science et toute théorie et pratique scientifiques et techniques des jeux. ss Toutes les petites cosmologies porta- tives de notre époque — avec leurs com- modes schemes épistémologiques qui ne savent point de quoi ils sont schemes —, chrétiennes et teilhardiennes, positivis- tes et naivement ontologiques, marxistes et matérialistes-dialectiques, fantasques et sophistiquées, présupposent et laissent impensé le schéma cosmogonique et cos- mologique qui les régit, & savoir le sché- ma biblique et judéo-chrétien (ayant lui aussi des ancétres) et son prolongement évolutionniste, positiviste, bourgeois et marxiste (engendrant encore des petits). Les sciences cosmologiques — sciences de la nature et sciences naturelles —, nécessairement fractionnelles et fraction- nantes, prennent toutes racines dans un champ défriché au préalable par la phi- losophie, dans Jequel elles se meuvent sans pouvoir suffisamment explorer le vecteur et la teneur de leurs concepts ; faisant ce qu’elles peuvent et doivent faire, elles butent maladroitement sur le probléme du lien des lois de la physique avec les lois de la Nature. Et la philoso- phie des sciences ne pense pas ce que les sciences ne pensent pas, du fait qu'elle leur demeure subordonnée. Aussi ne voyons-nous pas trés clair dans la jonc- tion de la mathématique et de la physi- que. Que les sciences physio-mathémati- ques et bio-chimiques veuillent l'accepter ou pas, il n'y a pas un seul déchiffre- ment du « grand livre du monde », bien qu'une certaine lecture _rationaliste, scientifique, technique et pratique sem- ble dominer la scéne visible, maintenant une certaine tension — ldche ou ser- rée? — avec la méditation et la poéti- cité, avec ce qui nous fige et nous ébranle, Commengons-nous & soupgonner que toute cosmologie ne peut éure que néga- tive et interrogative? Néanmoins nous attendons des réponses globales. L'un. Liidentité une. L'unique. L'uni. L'unitaire. L’unifiant. L’universel. L'uni- voque. Le méme. La tautologie, Ils nous lancent toujours leur appel fondatif et déchirant, we La dualité, Le double. La doublure. Le dédoublement. La bipolarité. La con- trariété. La contradiction. La brisure. L'un et lautre. La vie et la mort. La lumiére et l'obscurité, Le haut et le bas. Liici et Vailleurs. La présence et l'ab- sence. Le male et Ja femelle, L'avant et Vaprés. Le « positif » et le « négatif ». Le sensible et l'intelligible. L’ame et le corps. La droite et la gauche. Ces forces antagonistes sont a l'ceuvre, ont une ori- gine une et commune, demandent & étre réunies ne supportant pas de rester séparées, mais ne peuvent pas étre arti- ficiellement dépassées, ne se laissent pas car elles prendre dans une identité, s‘ajointent. a's L'étre, le non-étre, le devenir. Les trois dimensions. Le corps, l'ame, I'es- prit. Le commencement (l'arché), le dé- veloppement (la croissance), l'aboutisse- ment final (le télos). La trinité mascu- line. Le triangle féminin. Le Pére, le Fils et le Saint-Esprit. L’homme, la femme et l'enfant. L'homme, la femme et V'autre. L'homme, la femme et 1a mort. La dialectique ternaire : la these (posi- tion), l’antithése (négation), la synthése (négation de la négation). Toute chose, son contraire, I'unité d’elle-méme et de son contraire. L’action, la réaction (choc en retour) et le résultat. L'énigme de la triade — se combinant avec l'énigme : ce qui est est-il ainsi ou est-il vu comme étant ainsi? — ne cesse de nous guider et de nous troubler, Les quatre éléments : la terre, l'eau, Vair, le feu. Les quatre dimensions : la longueur, la largeur, la hauteur, le temps. Les quatre moments du temps : le futur antérieur, le passé, le présent, Tavenir. Les quatre régnes : le régne minéral, le régne végétal, le régne ani- mal, le régne humain. Les quatre sai- sons : le printemps, 1'été, l'automne, Vhiver. Les quatre étapes de la journée : le matin, 'aprés-midi, le soir, la nuit. Les quatre points cardinaux : le Nord, le Sud. l'Est, l'Ouest. Les quatre ages Venfance, Ia jeunesse, 1a maturité, la vieillesse. Les quatre angles et direc- tions de toute croix. Ces puissances « carrées » — se rencontrant avec les configurations triangulaires, les duels et les aspirations unitaires — se présentent et sont bien plus fécondes qu’elles n'ap- paraissent A travers les représentations mythologiques, symboliques, allégoriques ou scientifiquement naturelles. Leur pr sence est immédiate et médintisée. aci sante et pnoétique. Elle féconde les tra- vaux et les jours. anime I'etre, l'appa- raitre, le disparaftre et le renaftre des étres et des choses. Elle se manifeste dans le devenir de la Nature — ni recti- ligne et progressif, ni circulaire et répé- titif, ni Tun et l'autre — qui porte et emporte "homme. La sphare de T’étre. L'anneau de Vétant. La circularité du devenir. Le cercle de la totalité. La rotation du temps. Le cycle du commencement et de la fin (qui se présupposent énigmatique- ment et mutuellement, renvoyant l'un & Yautre). La roue de l'histoire. La révo- Tution de tout mouvement. Le cirque des jeux humains. Le jeu déja joué qu'il faut jouer jusqu'au bout. Pourquoi n’ar- rivons-nous pas & penser le temps — gouffre de l'expérience et de l'ouverture — comme omnitemporalité et non pas comme temps limité ou comme éternité, comme unité de I'ancien et du nouveau et non pas comme instant fuyant ou comme durée qui coule, comme temps du monde et non pas comme monde dans le temps ? Peut-étre la totalité cosmique n’a-t-elle ni commencement ni fin, sans étre pour cela éternelle ; peut-étre n'est-elle pas destinée & subir un simple retour éter- nel, ni un progrés infini; peut-étre pla- ne-t-il encore trop d’ambiguité et de confusion autour des maitres-mots tels que : étre et devenir, totalité et monde, nature et univers, “ Toute la pensée esquive le probléme fondamental — dont le fondement méme sans cesse se dérobe, exigeant probable- ment que I’on ne continue pas a Je cher- cher de la sorte et A le fixer — en le noyant dans I'étre ou la pensée, la ma- tidre ou T'esprit, la réalité ou les idées, le subjectivité ‘ou Tobjectivité, ou en voulant le prendre dans les filets d'une toile d'araignée dialectique. Ce probléme se laisserait formuler & peu prés ainsi : quel est le « secret » de l'accord — méme discordant — de l'homme et du Monde. c’est-A-dire en quoi réside la recontre, la correspondance, I'adéquation entre I'ex- périence et esprit humains et le mode d’étre et de se manifester des choses ? Car si l'on présuppose une pensée. une ide, une raison, un savoir qui se dévoi- lent’ pour ¢tre déchiffrés dans lexpé- rience — théorigue et pratique — par- tir de laquelle ils semblent surair, on reste enfermé dans un cercle magique et vieieux (cartésien, kantien. hegelien) ai commencement et fin se rejoignent onto- ligiquement et gnoséo-logiquement, méta- phvsiquement et vhvsiquement, narce qu'on sait d'avance, bien qu'on ne re- trouve ce savoir qu’é la fin. Et si l'on présuppose une réalité en mouvement ou une matigre énergétique qui abou- tissent A la pensée parce qu’elles I'im- pliguaient dialectiquement das le début (matérialisme dit dialectique), on reste également prisonnier du cercle infernal, sans avoir posé le probléme de la circu- larité — atrocement fermée et terrible- ment ouverte et illimitée et non pas infinie — et sans affronter le cercle des cercles ou des spirales qui nous englobe. *, L'étrange réseau de la « matidre », de 1’ « énergie », de la « vie » et de la « pen- sée » ne se laisse pas facilement démon- ter. Nous bousculons le probléme quand nous nous représentons une matiére-éner- gie devenant — se transformant en — pensée qui, A son tour’ et de nouveau, pourra se inatérialiser en se retransfor- mant. L'identité homme-Nature ne se trouve ni derriére ni devant nous. Y a-t-il pour nous autres hommes quoi que ce soit de naturel ? © mére nature ! Nous sommes-nous émancipés du royaume des meres ? Et le pére foudroyant ne foudroie-+til plus ses enfants ? Du ventre maternel au sein de la fem- me, des grottes préhistoriques aux caver- nes platoniciennes, des catacombes chré- tiennes aux abris anti-atomiques, les lieux qui circonscrivent les deux cercles — concentriques ? — du microcosme et du macrocosme cherchent la fois la protection de l'englobant et la trouée de Youverture. oe Les liens de l'ordre cosmique et de Yordre éthique apparaissent maintenant comme une toile d’araignée déchirée. we Tl nous faut enfin édifier 1a topologie du non-lieu. we Le combat — si toutefois il s'timpose — entre le polycentrisme et I'unité va-t-il étre engagé? L'Univers est plein de ces étoiles éteintes dont on voit encore I’éclat, alors qu’elles ont cessé d’exister. Certes, de nouvelles -étoiles vont briller. Nous igno- rons cependant toujours quelle est la constellation dominante de notre ére technologique et planétaire et non pas interstellaire. Nous distinguons a la fois trop et pas assez. Quels sont les liens qui rattachent un Univers (le « nétre ») a I'Univers ? En quel sens notre Univers pourrait-il n'étre. qu'un fragment ? Nous ne serons pas préts 4 poser la question concernant l'existence d'autres étres sur d'autres planétes, tant que nous nous faisons des conceptions si étriquées sur le circuit vie-information et que nous demeurons si inexpérimen- tés en matiare d'occultation. oe Ce qui est visé : la domination de Vhomme sur lespace et le temps, l’ex- ploration et l’exploitation des deux « in- finis » — de l'infiniment petit a l’infini- ment grand —, la saisie et l’expérimenta- tion simultanées de l'organisme (disons biologique) et de l’automatisme (disons technologique), du continu et du discon- tinu, du réversible et de lirréversible, du repos et du mouvement, engage le destin de l'homme, est appelé a déter- miner si l'homme habitera 1a terre, en des lieux et demeures, ou s'il sera un étre météorique, stellaire, sidéral... L'homme interplanétaire échappera peut-étre A la pesanteur pour se faire prendre au piége d'un autre et plus subtil rouage de la mécanique du ciel. oe Les satellites naturels et artificiels gravitent autour des astres errants qui gravitent autour des astres fixes, tandis que les étoiles filantes déchirent le ciel. Lharmonie des sphéres — saisie dans Vart de la fugue — ne cesse d’étre tra- versée par des voix polyphoniques et atonales — et par les voix du silence. Entre le Tout et le Rien, et aprés avoir A souhait procédé au remplissage du vide cosmique, non sans l’avoir marqué de quelques belles conquétes, accéderons- nous & une nouvelle tonalité panique, a un ancien et pourtant inédit accord dis- cordant avec ce qui fut.nommé Physis et Cosmos, Nature et Univers ? Souvent nous croyons étre des tard- venus, des étres crépusculaires, des hom- mes qui, partant A la conquéte des astres, n'ont plus d’étoile. Parfois nous surprend en revanche le sentiment d’étre & la veille d'une mutation dans le dialo- gue de homme et du Monde. Mais au- cune époque et aucun individu ne savent vraiment et simultanément ce quills parachévent et ce qu’lls préparent et inaugurent. Et trop souvent on dépasse ce qui n'a pas été pleinement atteint. Kostas AXELOS. SYSTEMOLOGIE ET COSMOGONIE Si l'image et les lois du systéme pla- nétaire ont servi de modéle fécond aux systémes microphysiques, ceux-ci do1- vent apporter, maintenant, a la forma- tion des systémes astrophysiques, le concours de leurs profondes révélations. Certains I'ont tenté, comme Le Maitre, avec son hypothése cosmogonique de Vatome primitif, ou comme derniérement Blokhintzef, avec son hypothése des deux nucléons antagonistes. J'en dirai quel- ques mots a la fin de cette étude. Il ne s'agit 1a que de constructions empiriques. Je crois qu'une logique de la cosgomonie est possible, par l’élaboration d'une sys- témologie, & partir de la logique que permet de saisir l'investigation expéri- mentale de la science contemporaine et que j'ai déja exposée dans mes travaux. Par ce terme de systémologie — que je me suis permis de créer — j’entends la logique fondement d’une science des syst8mes possibles. Comme il s'agit d'une science déductive dont certaines constatations aziomatiques constituent le point de départ, on peut aussi bien Vappeler une logistique des systémes possibles. Par constatations aziomatiques, je aé- signe l'appréhension de certaines données expérimentales qui portent en lles- mémes la nécessité de leur existence et de leurs enchainements. Tl en est trois, A la base de la systé- mologie : deux qui concernent la notion de systéme, une troisitme, la notion d’énergie. Elles s'impliquent l'une l'autre, comme on le verra, Par cosmogonie, je comprends, dans le sens étymologique du terme, la forma- tion de l'univers, ou des univers. Dans les pages qui vont suivre, je mon- tre et méme je démontre que la systé- mologie implique nécessairement - une systémogenése, qui doit rendre compte de toute cosmogenése. Ainsi, derridre et par-dela es hypotheses astrophysiques que l'on a émises ou que l'on peut émet- tre, se trouvent ou doivent étre retrou- vées les lois logiques de la systémologie. Un systéme est un ensemble d’éléments — je préfére les appeler, pour le mo- ment, des constituants, en attendant de voir que tout élément se réduit a un événement énergétique — liés par une relation qui reléve de leur nature ou de leurs mécanismes inémes, ou encore des forces ou opérations qu’ils expriment, dont ils sont ou peuvent étre les agents. La premiére constatation axiomatique, conditionnant 1a possibilité de tout sys- tame, est la suivante : Deux ou plusieurs constituants qu’au- cune force de répulsion, d'exclusion, de dissociation ne repousse et ne sépare, et que tout attire et associe, se ramassent dans un seul conglomérat : aucun sys- tame, évidemment, n’est ainsi possible. Que ‘si, inversement, deux ou plusieurs constituants se repoussent et s'excluent et rien ne les rassemble, ne les associe, ils s'éparpillent et se dispersent : aucun systéme, dans ce cas encore, n'est pos- sible. Afin done qu'un systéme puisse se former et exister, il faut que les consti- tuants de tout ensemble, de par leur nature ou les lois qui les régissent, soient susceptibles de se rapprocher en méme temps que de s’exclure, & la fois de s'attirer et de se repousser, de s'asso- cier et de se dissocier, de s'intégrer et de se désintégrer... Tout systéme est done fonction de deux forces antago- nistes, liées l'une & l'autre, constituant ce que j’appelle la relation d'antago- nisme. Je n’abuserai pas ici des symboles algébriques, et ceux que je choisirai seront des plus simples. On peut noter tout systéme, en tant que foncion d'une relation ‘d’antago- nisme : s=t®) R signifiant la relation d'antagonisme, elle-méme fonction de deux dynamismes antagonistes d et d = R =f (4a) dd pris dans le sens de la conjonction logique. Done, £(R) = f (aa) La relation R, grandeur nouvelle, peut 7 et doit étre quantifiée et mesurée — au moyen naturellement d’un algorithme adéquat — en quantité d’antagonisme Q = dd. Elle est d'autant plus grande que @ et d se rapprochent de l’égalité, c'est-a-dire d'une tension égale. Pour d = 4, Q est maximum, et va en dé- croissant, selon que d< d ou d>d. Il esi aisé de s’apercevoir que tout sys- tame nucléaire, atomique, moléculaire, des objets mémes qui tombent sous nos sens, est toujours fonction, dans sa cons- titution méme, decette relation des forces antagonistes (notamment, d’attraction et de répulsion). Il est done indispensable d'y saisir et d'y mesurer, dans une refonte de notre microphysique théorique et pratique et a travers et derritre la multiplicité des aspects et des mécanis- mes des phénoménes de systématisation, cette relation “et cette grandeur d’anta- gonisme. Remarguons tout de suite qu'un sys- téme est d’autant plus résistant — d’aprés la définition méme du systéme — que ses dynamismes antagonistes tendent simultanément vers I’égalité de tension, et d’autant plus faible, susceptible de rupture, de désintégration, de dissocia- tion, que l'un de ses dynamismes l'em- porte sur le dynamisme antagoniste. C'est ainsi que s'explique la résistance plus grande d'un noyau que celle d'un atome, celle d'un atome que celle d'une molécule : aux forces de rupture s'op- posent des forces de liaison de plus en plus faibles (liaison dite d’échange. liaison de valence, liaison de cohésion). Une deuxiéme constatation axiomatique concernant la notion de systéme com- plate la premiére : Deux ou plusieurs constituants qui seraient rigoureusement identiques — je dis rigoureusement, c’est-A-lire meme par rapport a leur situation et & leur configuration dans l’espace-temps, cest- a-dire encore ne comportant et ne per- mettant rien qui puisse les délimiter et leur conférer le caractére de constituants — se confondraient dans la méme conti- nuité et la méme homogénéité. Aucun systéme, bien évidemment, ne serait pos- sible. Que si, au contraire, ils étaient rigoureusement hétérogénes, sans la plus vague homogénéité, rien ne permettrait A cette diversité dispersée et se disper- sant de constituer non pas seulement certes un systéme, mais pas méme un 8 ensemble. (L'ensemble de choix est lui- méme lié, dans l'expérience mathémati- que, organiquement — je soutiens, par antagonisme — aux sous-ensembles de Vensemble. Et, dans l'expérience micro- physique, il a fallu le principe d’exclusion de Pauli, imposant une diversification et une individualisation quantique des élec- trons, d’autre part identiques, pour -ren- dre compte de la possibilité du systéme atomique. Les exemples abondent, notam- ment, dans I'expérience des systémes vi- taux. Quant a la Théorie des Ensembles, elle ne retient que l'identité des éléments d'un ensemble ; mais c'est pourquoi elle n'est pas une théorie des systémes ; il reste A voir si une telle Théorie des Ensembles est efficace, sinon possible, dans un univers purement énergétique, si elle ne s'ampute pas, inconsidérément, d'une composante essentielle a I’élabo- ration et & l'existence mémes d'un élé- ment.) Tout systtme done implique a la fois Vhomogénéité et Phétérogénéité, — & des degrés ou paliers respectifs divers — de ses constituants. On doit par conséquent écrire : s=f(ii) ot i désigne lidentité ou lhomogénéité (ou encore, la capacité d'entropie posi- tive) et i 'hétérogénéité (ou la capacité de négentropie ou entropie négative). Tout couple dynamique antagoniste formateur d'un syst&me doit donc com- porter, comme condition encore de sa possibilité d’exister, deux coefficients dhomogénéisation et d’hétérogénéisation, liés 'un a l'autre, se définissant l'un par Yautre et constituant une relation de contradiction C, puisqu'elle implique la coexistence, au sein des mémes consti- tuants, de l'identité et de la non-identité logiques. (Elle est peut-étre impensable — du moins sans un certain entraine- ment ow sans cette intuition profonde des postes,, des musiciens, des artistes —, mais pas davantage, somme toute, que les nombres complexe, imaginaire, irra- tionnel, voire, pas davantage que le banal infini du calcul infinitésimal que manipule l’ingénieur, avec l’aisance con- quérante que l'on sait.) Cette relation C est progressivement plus grande lorsque i ou i tendent vers Végalité, et va eu décrvissant avec i< i de non-contra- et ii: une relation diction C s'élabore progressivement de Ja. sorte. On a done : f (cad) iy) =6(0 66) Pour s= (Sd). li (&,98,) 5 (8,98, ) 36,98 ,) ott e et e indiquent I’énergie et I’éner- gie antagoniste, la fiéche, le passage de Pétat potentiel P a I'état d’actualisa- tion A et inversement, D'une maniére plus précise — qui comporte de consi- dérables conséquences —, en tenant compte du fait que toute énergie qui passe d'un état de potentialisation vers un état d'actualisation se trouve néces- sairement, & un moment donné, dans un état intermédiaire, que j'ai appelé l'état T, ou elle rencontre l’énergie antagoniste passant de l'état d’actualisation a l'état de potentialisation, dans le méme état T: (e,, 9e,) De, €,) 512, 9e,) Ble, >e,) (€,>e,) D(€,9e,) 5 (0, 3€,) D1e,9e,) Plus simplement, on peut convenir que tout événement énergétique implique un événement énergétique antagoniste : e, 26, 5e, De, Fe, De, et considérer que l'énergie est faite de quanta ou conjonctions antagonistes ©. ey 5 Op ee (La notation e > e, ne veut pas dire, comme dans l'éeriture symbolique des logiques formelles classiques, ¢ exclut e. Elle signifie (e > e) > (e >), o8 e > e est lidentité et e > e, la non- identité, si bien qu'on a : (e> &),.> (€ > e),, ete. Pour simplifier, a titre conventionnel, jéecris : e ieee Ainsi, les constituants de tout systéme sont et ne peuvent pas ne pas étre des dualités énergétiques antagonistes. Mais ces dualités qui passent respectivement, comme nous venons de le voir, de la potentialité & l’actualisation, et inverse- ment, sont des dynamismes. Chaque dualité énergétique antagoniste constitue donc un systéme, puisque tout systéme est engendré par des dynamismes anta- gonistes. Un systéme ne peut donc étre qu’éner- gétique et l'énergie ne peut pas ne pas engendrer de systémes. On peut done remplacer, dans la for- mule de tout systéme, d et d par e et e, et on doit y ajouter, a cété des coeffi- cients d’homogénéisation et d'hétérogé- néisation, les coefficients des états A, P et T, en remarquant que toute actualisa- tion, toute potentialisation ou tout état T, entrainent, dans les mémes états, Vhomogénéisation et I’hétérogénéisation du systéme. On écrira donc, en notant, par exemple, & la gauche de e et de e, les i et i, et a leur droite, les A, P et T, et en spécifiant que le systeme n'est plus seulement fonction de d et d, mais constitué par e et e : rier) On peut certes, pour simplifier, consi- BUC, 7 ep) SCTE, ep) SCE dérer que toujours e et e sont, l'un homogénéisant et l'autre hétérogénéisant, mais, dans la définition et la mesure dynamique d'un systéme, le degré d'ho- mogénéisation par rapport au degré a@hétérogénéisation est trés important, car c'est de ces degrés que dépendent 1a structuration spécifique, l'orientation et les lois propres de chaque systéme. Remarquons encore que les grandeurs de d et d sont équivalentes des degrés d'actualisation et de potentialisation : d> 4d signifiant aussi : d, d,,aDELc,! $04 Fee Y SCTE g op $e, peg) BEC, Ainsi done, trois types de systémes sont possibles, dont deur inverses, lors- que l'un ou plusieurs de ses dynamismes ou événements énergétiques antagonistes (constituant une synergie) dominent, par leur actualisation, l'autre ou les autres (en synergie), et un troisiéme, lorsque les dynamismes antagonistes — seuls ou en synergie — se trouvent dans le méme état T, se maintenant dans une égale tension, avec quantité maximum d’an- tagonisme Q. Tous les degrés de complexité de ces trois systémes sont possibles, selon la complexité de e et i, de e et i, et tous les degrés de plus forte ou de plus faible résistance, selon qu'ils se rapprochent de l'état T ou s'en éloignent. Ces systémes logiques de l'énergie s'appliquent aux investigations les plus fines de l'expérience, c’est-a-dire & ]’ex- périence microphysique, qu’ils expliquent logiquement. C'est, en effet, linvestiga- tion microphysique qui s'est trouvée en présence d'événements énergétiques et de systémes qui ne peuvent jamais étre, de par la nature méme de ces événe. ments et de ces systémes, d'une actua- lité rigoureuse, et si bien que l’actua- lisation de certaines de leurs grandeurs potentialise certaines autres grandeurs, On a reconnu 1a les Relations de Heisen- berg. D'une facon générale, un corpus- cule ne peut jamais s'actualiser rigou. reusement parce qu'il est toujours frap- pé, dans sa constitution méme, d'une composante ondulatoire, et, inversement, pour l'onde, frappée toujours d'une composante corpusculaire. Sur le plan de l’investigation expérimentale 4 grosse échelle, par contre, on a toujours cru avoir affaire a des actuels “rigoureux, de par leur constitution méme. A partir de lexpérience microphysique, la poten- tialisation et l'actualisation, toujours rien que relatives, de méme, et par la méme, que l'antagonisme et les valeurs contradictoires, apparaissent comme ir. réductiblement constitutives de tout évé- nement énergétique. Ils recoivent ainsi un droit de cité expérimental, mais non point logique, fondé sur la nature méme de I’énergie, en dehors de la nouvelle logique de l'antagonisme que schéma- tisent ces pages. L'appareil mental du théoricien, I'entendement du chercheur scientifique, fortement structurés par les lois de la logique classique ou usuelle, s’y sont opposés. Considération inaintenant lourde de conséquences, A plus d'un titre, mais surtout ici pour notre propos : la cosmo- gonie, Chacun des trois systémes précédents constitue un événement énergétique glo- bal. En vertu du méme principe d’anta- -gonisme, il impliquera un événement antagoniste, qui sera au moins un systé- me & deux événements antagonistes, et si bien qu'il pourra étre dans I’état A, T ou P par rapport @ celui-ci, lequel nécessairement sera alors dans les états P, Tou A. Déux remarques : ces trois systémes, s'impliquant done, de par la nature anta- goniste de I’énergie, ne peuvent pas ne pas exister logiquement ; d'autre part, leurs implications engendrent des systé- mes de systémes, aussi nécessairement. A partir de ce moment, on compren- dra que nous ne puissions plus nous exprimer par phrases et mots : vague- ment, il n’est pas difficile d'imaginer la complexité des systémes de systémes, des systémes de systemes de systémes, et ainsi de suite... qui peuvent s'engen- drer d’eux-mémes ; mais, sans le langage des symboles, on ne peut guare les sui- vre. Pour donner une idée de la complexité croissante et de l’extension arborescente des combinaisons possibles de systémes, c'est-A-dire de la systémogenése de l’éner- gie, revenons aux expressions : e, >¢,, e, >e, et e, De, qui signifient res- pectivement, comme je I'ai indiqué déja : (e De), 2(e De). (e De), D(e De)y et(e De), >(e>€),. Mais on peut aussi bien écrire : (e>,8) 3(e D,e), (e 5,8) 3(e 3,8) et(e>, e)3(e>e), puisque c'est V'implication qui fait ici que e est e, et Vexclusion ou implication négative qui fait que e n'est pas e, autrement dit, puisque ce sont elles qui constituent a la fois les forces antagonistes de liaison et de rupture et l'identité ou homogénéits et la nou-identité ou hétérogénéité des événements énergétiques. On peut ainsi supprimer méme e et non —e, puisqu’ils ue sont rien en dehors du dynamisme de e et de e. On opérera, désormais, uniquement avec les deux signes > et >, et avec les coefficients A, T et P, pour dresser le schéme général de la systémogenese, quitte a expliciter ces symboles, en pré- cisant et mesurant les grandeurs qu'ils contiennent dans‘le cas particulier de tel ou tel systéme ou ordre de systémes. Le tableau suivant, avec une notation plus ramassée et plus difficile et un algo- rithme que, notamment, un cerveau élec- tronique pourra développer plus vite et plus loin, constitue une grille de détec- tion des systémes en présence desquels se trouve la recherche, de leur type, de leur orientation, comme de leur signi- fication, Je n’indiquerai ici que le premier sys- téme de systémes, en partant du pre- mier systéme, conventionnellement con- sidéré comme tel : il n'existe et ne peut exister, comme on le verra tout a l'heure, de systéme élémentaire, de premier sys- téme, puisque I'énergie, de par sa na- ture méme dynamique, antagoniste et contradictoire, est transfinie et ne peut donc contenir des termes derniers et par 1 méme rigoureusement actualisés, sta- tiques et absolus ; les termes qu’on s'in- génierait a considérér comme ceux du dernier rapport sont destinés A se dis- soudre, & leur tour, en de nouveaux rapports de dynamismes antagonistes — sans que l'on puisse atteindre, cepen- dant, & une régression infinie. Considérons donc les trois types de systémes : s(e, >e,) 8(e, De,) et s(e, De,), que l'on écrira : s(2>,>5,) §(3,>2>, ets( 3, > 5,). On obtiendra trois groupes de systémes de systémes, et ainsi de suite... que l'on indiquera par des points de suspension : ii Ss, [= Py Ss, [s 2) 8 [3,24 24) -S \ Ce tableau, A dessein rudimentaire, ne constitue qu'une symbolique dynamique purement logique de l'antagonisme systé- matisant, Les signes > et > pourront et devront étre remplacés par telles ou telles forces — sous bien des aspects — attraction et d'exclusion, d’association et de dissociation, d'intégration et de 12 Pavrvy 8(> Pavrvr Pavrvr § Pacrer Paeryr PF y désintégration, de liaison et de rupture, ete., et les lettres A, T et P pourront prendre tous les degrés — discontinus, on verra pourquoi, si on ne I’a pas déja compris — d’actualisation : a,, a, a, c'est-A-dire encore, de grandeur statistique majoritaire — on verra éga- lement pourquoi —, tous les degrés dis- + Any continus des forces antagonistes dans le méme état T : t,, ta ty, ... to, c'est-d-dire, a grandeurs statistiques égales, comme tous les degrés discontinus de potentia- lisation : P,, Pa Ps, -- Pm C'est-d-dire encore, de grandeur statistique minori- taire. On pourra de la sorte mesurer la quan- tité d’antagonisme, croissante ou décrois- sante, et, par 1a méme, la résistance plus ou moins grande des systémes de systé- mes, Si l'on convient, par exemple, d'appe- + + 4+ ler s et S,, S,, les systémes et systémes de systémes ott prédomine une énergie +S: s.[sc2, > s(> a>? >,) On y remarquera, tout de suite, que le signe >, qui' veut dire, on s'en souvient, € 3 @ c'est-a-dire I'homogénéité, I'iden- tité, s'actualise progressivement, de sy: témes de svstémes en systémes de systé- mes, sur une potentialisation progres- sive du signe 5, qui signifie e > e, autrement dit, la’ non-identité, V'hétéro- généité. On yY reconnait facilement les oe Ici, c'est 5, Mhétérogénéité, qui s'actua- lise progressivement sur une potentiali- sation progressive de >, de lhomogé- néité. C'est la systémogenese, selon moi, avec bien d'autres aussi, de la matigre vivante, comme je l’ai indiqué dans tous s(2, 2 3}. ofa. > Les forces antagonistes homogénéi- santes et hétérogénéisantes engendrent ici une systémogenése dans l'état T. Cer- tains de ses systémes se retrouvent dans les systemes microphysiques, & grande concentration énergétique et a résistance — c'est 1& le type de dont se rapproche, par exemple, le noyau atomique, bien que sa durée, aussi ion- > A sous forme, par exemple, d'électricité positive, s, et S,, S,, les systémes a prédominance, & actualisation majori- ++ + taire négative et les systémes 8, S, et S., en équilibre, dans l'état T, on n’aura pas de peine a retrouver, sur ce tableau, les chaines des atomes, molécules, macro- molécules, substances ionisées, par défi- cit électronique ou par excés d’électrons, comme celles des syst8mes physiques én équilibre électrique. Distinguons maintenant trois chatnes particuligrement intéressantes : la pre- miére du premier groupe : systémes de plus en plus amples et com- plexes & augmentation progressive de Tentropie, \énergie systématisante en extension macroscopique soumise au deuxiéme principe de la thermodynami- que, l'énergie physique, dans notre Uni- vers, Portons notre attention sur la troisié-. me chaine du troisisme groupe : ro fo. mes travaux et comme je le montre de plus prés encore dans mon prochain ouvrage, qui lui sera entiérement con- sacré, Une troisitme chaine enfin est la deuxigme du deuxiéme groupe : gue fut-elle, est pourtant limitée. Dans notre univers, en effet, cette chatne ne peut. s'épanouir librement, _happée qu'elle est par la premiére chatne domi- née par le deuxiéme principe de la ther- modynamique, et aussi par le deuxiéme, en sens inverse, celle de la matiére vivante (car les trois chaines que nous venons de distinguer, comme toutes les 13 autres d’ailleurs, interférent, & leur tour, s'impliquent et se systématisent, en ver- tu du principe d'antagonisme ; j"y revien- drai plus loin). Cependant, cette troisisme chaine des systémes en T tente de se développer progressivement dans ce que j'ai appelé la matiére neuro-psychique, comportant de frappantes analogies avec la matiére microphysique (cf. mon ou- vrage : Les trois matiéres). Une quan- tité maximum d’antagonisme s'y accu- mule, avec une contradiction croissante ; alors que dans les deux chaines précé- dentes et inverses I'une de l'autre, la quantité d'antagonisme et la contradic- tion sont décroissantes, au profit d'une non-contradiction croissante et d'une résistance de plus en plus faible des systémes, Ces trois chaines particuliéres de sys- temes de systémes, je les ai appelées des ortho-systémogenéses. Elles sont engendrées, comme on !e voit, par des chaines d’implications d’im- plications, positives et négatives, autre- ment dit,’ par ce que j'ai encore appelé les ortho-déductions dynamiques de la logique de I’énergie. : Ce sont elles, et elles seules, qui en- gendrent encore ce qui se présente sous Vaspect d'une matiére ; si bien qu’elles donnent naissance, théoriquement, et, je V'ai montré, expérimentalement aussi, & trois matiéres. La matiére, qui est pure énergie, se distingue de ce qui nest, énergétique- ment, pas matidre, non pas, ainsi qu'on le dit parfois superficiellement, comme le corpuscule se distingue de I'onde, du champ électromagnétique, parce qu'elle serait de nature cospusculaire (I'expres- sion de dématérialisation de 1'énergie signifie, en effet, dans le vocabulaire courant et purement pratique du physi- cien, la transformation des électrons en photons, et I'expression de matérialisa- tion, opération inverse), puisque tout corpuscule est en méme temps ondula- toire, et toute onde, tout champ, consti- tués également de particules, de photons, de quanta d’énergie, mais parce que la matiére est une énergie qui, au moyen des événements corpusculaires et aussi électro-magnétiques, arrive & former des édifices de systtmes de systémes — le noyau atomique est un systéme de nu- cléons, I'atome, un systéme noyau-élec- trons, la molécule, un systéme d’atomes, un objet quelconque un systéme d'ato- mes et de molécules, et ainsi de suite, jusqu’aux galaxies et galaxies de ga- laxies... —, édifices dont le moteur coor- 4 dinateur et le principe génétique de superpositions en extension (de ces écha- faudages en pyramides, pour ainsi dire, renversées) ne peut étre et n'est, a tra- vers et de par toutes ces dialectiques possibles de I'énergie, qu'une ligne direc- trice, une orientation structurante, un sens qui s‘accuse, s’actualise progressi- vement en vertu de la méme logique spécifique. Nous avons vu qu'il existe toujours trois ortho-systémogenéses avec trois logiques respectives : de I"homogene, de I'hétérogéne, de la contradiction des deux. Ce sont bien elles qui sont & la base de toute formation matérielle de Vénergie. Aussi, ai-je défini toute matiare comme une systémogenése énergétique vectorielle. Comme il en existe trois, trois matiéres doivent exister logique- ment, et existent expérimentalement. Toutes les autres systémogenéses des autres chaines de systémes de systémes du tableau précédent. je les ai appelées des para-systémogenéses. Elles constituent des embryons, des tentatives de matérialisation. Elles n’ar- rivent pas & constituer une matiére, justement parce qu'aucune directive d'édification ne peut s’élaborer et se poursuivre au moyen de leur processus déductif, de leur logique — car elles en ont une, mais qui n'est précisément pas matérialisante. Tl est cependant a remarquer qu’elles convergent vers les trois ortho-systémoge. néses, pour en diverger sans cesse, (On verra tout 2 Vheure comment se pose maintenant, selon cette logique de l'éner. gie et cette systémologie, le probleme de la convergence et de la divergence sur le plan général de I'énergie cosmogoni. que — remis surtout A V'ordre du jour par les hypothases de Teilhard de Char. din —, mais peut-étre le voit-on déja.) D'autre part, comme on a dd sen apercevoir, tous les svstémes. tous les svstémes de svst8mes, toutes leurs chat. nes arborescentes constituent des dialec- tiques, des dialectiques de dialectiques. des chaines arborescentes de dialectiques. mais toujours A deux termes — et termes contradictoires dvnamiques; elles ne comportent jamais de troisiéme terme — cette fameuse synthase hégélienne on marxiste — et n'en ont pas besoin pour se développer et s'’engendrer les unes les autres — en conformité, ici encore, avec toutes Jes expériences microphval. ques, physiques et biologiques : l’'atome, la molécule. 1a macromolécule, l'asso- ciation systématique d'atomes et de molécules ne se fondent jamais dans des synthéses, nous n'y voyons jamais que des particules, des événements énergé- tiques systématisés par des forces anta- gonistes, Ainsi, l'énergie, de par sa nature con- tradictionnelle polyvalente et ses princi- pes systémologiques, engendre et ne peut pas ne pas engendrer des dialectiques et des dialectiques de dialectiques de dia- lectiques... toujours rien qu’a deux ter- mes dynamiques. On peut done dire que tout systéme est dialectique et que toute dialectique en- gendre un systéme. Mais toute dialectique n'engendre pas de matiére, si toute ma- tidre est engendrée par une dialectique. On le voit, seules les ortho-dialectiques des ortho-systémogenéses peuvent former des matiéres. Tl existe donc toujours, dans la multiplicité foisonnante des dia- lectiques, trois dialectiques matériali- santes ; ce sont les ortho-dialectiques. Les para-dialectiques des para-systé- mogenéses peuvent donc étre considérées comme des dialectiques immatérialisan- tes. Ce sont de beaucoup les plus nom- breuses, on le constate aisément sur le tableau des systémogenéses. En sorte que la matiére, comme je I’ai déja écrit depuis bien des années, est rare au sein de I’énergie, de par sa nature logique méme — bien que, en vertu encore de cette nature, elle ne puisse pas ne pas exister. (Des astrophysiciens soviétiques viennent de calculer que la masse des particules de toutes sortes, c’est-d-dire des événements énergétiques épars a tra- vers l'espace interstellaire de notre univers, s'avére bien plus grande que celle des événements associés en systemes matériels : planétes, étoiles, galaxis, etc. Lrexpérience confirme une pure déduc- tion logistique, qui fournit ainsi une assise théorique & cet aspect de la cos- mogonie.) Il n'est peut-étre pas inutile de préci- ser encore que Ja seule dialectique dont se soit saisie la pensée humaine, du moins dans notre civilisation occiden- tale, aussi étonnant que cela paraisse, est lortho-dialectique de la systémoge- nése homogénéisante — évoluant, par méme, on I'a vu, vers une non-contradic- tion progressive ; c'est 1a la dialectique de Hegel et de Marx, qui ont pris cette homogénéité et cette non-contradiction croissantes pour une synthése concilia- trice des termes contradictoires, abou- tissant, & la fin du devenir, humain et cosmique, & une identité logique supréme et absolue (triomphe de l'esprit ou des lois rationnelles de non-contradiction). Cette . ortho-dialectique, comme nous Vavons vu, est la dialectique de la macro- physique et du deuxitme principe de la thermodynamique, inverse de l'oftho- dialectique de la ‘matiére vivante. Mais c'est justement — comme je I'ai exposé et l'exposerai encore dans mon prochain livre — par les conséquences cognitives de la dialectique de I’hétérogéne du sys- téme vital, et méme celle de l'ortho- témogenése T, de plus en plus contra- dictoire et riche en énergie, du psychisme, dont nous sommes davantage le sidge actif, Ie sujet opérationnel contre l’agres- sion incessante de 'ortho-dialectique matérialisante du syst8me physique, que s'explique cette cécité de la conscience & leur égard. Les dialectiques agissantes ne congoivent bien que les dialectiques ennemies. L'erreur est de les croire notre moteur méme. Les chaines de systémes de- systémes écrites horizontalement, en effet, s*im- pliquent, leur tour, datis le sens verti- cal du tableau, s‘actualisant et se poten- tialisant respectivement, en vertu du méme principe d'antagonisme. On peut en dresser un nouveau tableau. Trois ortho-systémogenéses d'ortho-sys- témogendses s'en dégagent nécessaire- ment, dont l'une contiendra a titre majoritaire, c’est-A-dire actualisera, l'or- tho-systémogendse homogénéisante, dont Tautre actualisera la systémogenése hété- rogénéisante et la troisime, 1a systémo- gentse T. Ces ortho-systémogenéses d'or- tho-systémogenases impliqueront & leur tour... Inutile de poursuivre ici. un engen- drement que l’on comprend intuitivement. Appelons Univers chaque ortho-systémo- genése d'ortho-systémogenéses." Dans chacun opérent les dialectiques matéria- lisantes et coexistent donc les trois ma- tiéres que forme I’énergie, en quantité et en forces inégales. Il s’élabore ainsi trois Univers de ma- tiére-énergie : un Univers ot prédomine la matiére macrophysique et qu’oriente le deuxiéme principe de la thermodynami- que; d'aprés toutes les investigations expérimentales, c'est 14 le nétre. Il impli- quera un Univers antagoniste ou anti- Univers, inverse, que l'on appelle encore anti-matiére. On le détecte maintenant dans nos centres nucléaires, sous l'aspect du proton négatif, de l'anti-neutron et de I'électron positif, avec bien d'autres anti-corpuscules, ainsi que de par la non- validité du principe de parité. Mais notre Univers le potentialise sans doute si fortement que ses apparitions, c’est-A- dire leurs tentatives de dépotentialisa- tion, sous cette forme de constituants fondamentaux, sont rares et bréves et 15 n’arrivent pas & engendrer des systtmes atomiques d'anti-matiére. Cependant, d'apras cette systémologie et done la logique méme de l’énergie, cet Univers inverse ne saurait étre qu'un univers & entropie négative et a hétéro- généisation croissante majoritaire, com- me aussi a espace-temps négatif (sans que je puisse y insister ici, on peut remarquer que chaque syst’me comme chaque systéme de systéme engendrent, par leurs simultanéités et leurs suces- sions, intrinséques et intimement liées, en vertu méme de leur antagonisme constitutif, un espace-temps propre, que j'ai appelé Vespace-temps de systémati- sation ; si bien qu'un Univers n'est pas contenu dans un espace-temps, mais se Vélabore et se le déroule lui-méme, et si bien encore que son espace-temps global est un trés complexe espace-temps d'espaces-temps de systématisations). Il semble que l'espace-temps négatif se ma- nifeste dans certaines expériences micro- physiques, déroutant les chercheurs. Or, dans notre Univers, sur le plan macroscopique de la systémogentse, les systémes constitutifs de la matitre vi- vante, lorsqu’on examine leur structure antagoniste interne, apparaissent inver- sement agencés et orientés que les sys- témes macrophysiques. La macromolécule vivante comme toute la prodigieuse ma- chinerie d'un étre vivant sont autant de systémes que ces derniers engendrent eux-mémes par antagonisme énergétique, comme nous l'avons vu, mais sur les: quels ils f’actualisent progressivement. La matigre vivante, dont les lois spéci- fiques et Ia logique propre — heurtant notre logique classique et notre physi- que macroscopique — semblent obéir & un_anti-Univers, constitue cette vaste ortho-systémogenése cosmogonique mino- ritaire, sans cesse battue en bréche par le développement majoritaire de l'ortho- systémogenése astro-physique. L'anti-Univers ou Univers inverse du ndtre, doit cependant exister ailleurs, @ son tour, sous forme dominante, majori- taire, sur une potentialisation de I'Wni- vers macrophysique. Ce devrait étre la un Univers biologique, c'est-A-dire dont les formations cosmogoniques : étoiles, galaxies, galaxies de galaxies, etc., de- vraient ‘pouvoir étre dites vivantes, A T'image de nos macromolécules et sys- témes macromoléculaires biologique: qu'organise surtout et cimente le subti électron (négatif) diversificateur, mais bien plus profondément et solidement constitués, puisqu’ils seraient batis sur des atomes d'anti-matiére, sur des pro- 16 tons négatifs et de I’énergie-masse fon- damentale négative. Déduction qu'impose la systémologie de Vénergie; l’expérience du fait ‘vital, selon moi, n’en interdit pas Ihypothese. Un troisisme Univers, on le devine, est encore nécessairement possible, dont V’or- tho-systémogenése est faite, des ortho- systémogenéses antagonistes dans l'état T. C’est I'Univers 4 grande concentration énergétique par quantité maximum d’an- tagonisme et & contradiction fortement actualisée par refoulement réciproque dans l'état T des énergies positive et négative ainsi que des processus d’homo- généisation et d'hétérogénéisation. C'est I'Univers tel qu’il semble apparattre dans les derniers retranchements de la micro- physique et tel qu'il serait en tant que libre de se développer, sans étre désin- tégré et disjoint par les matiéres macro- physique et biologique divergentes de notre Univers, comme par celles sans doute aussi, mais d'une maniére inverse, de lanti-Univers. C'est enfin I’Univers dont nous donne quelque pale exemple Ja vulnérable, rare et pourtant puissante matiére psychique, qui s'élabore, éton- namment conquérante, sur notre planéte et qui ne doit certes pas manquer dans bien d'autres parties de notre monde, On pourrait considérer ce troisiéme Univers comme une sorte d’Univers source, ou central, d'ot partiraient, par désintégration et dégradation de 1’éner- gie, les deux systémogenéses inverses des autres Univers, et rapprocher ainsi les perspectives de cette cosmogonie axioma- tique des récentes hypothéses de Blok- hintzef. Cet astrophysicien soviétique, partant de la notion de « protoétoile », sorte de corps a trés grande densité énergétique, analogue a celle des noyaux atomiques et contenant des systémes & deux nu- cléons antagonistes, suppose que de leur choc jailliraient deux gerbes de parti. cules dans deux directions opposées, et telles que dans une gerbe il y aurait plus de nucléons et dans l'autre plus @antinucléons; si bien que, « d'un coté, nous aurons un monde ; de l'autre, un anti-monde », ou bien encore qu'une « gerbe brdlera en produisant un mon- de », cependant que l'autre « brdlera en produisant un anti-monde ». Brdleraient - elles jusqu’A extinction, cone le laisserait croire cette hypo- thése ? Autrement dit, la cosmogonie aurait-elle une fin, et un commencement, dans le choc initial des nucléons anta: gonistes ? Si la quantité d’énergie était finie, dans un systéme universel clos, les pro- cessus de dégradation seraient irréver- sibles ; et tout s'achéverait dans ce que la physique, précédant la microphysique, appelait, des la fin du x1x° siécle, la mort de 1'Univers. Bien que l'interprétation du deuxiéme principe de la thermodynamique par la statistique de Gibbs-Boltzmann, fondée sur la symétrie moléculaire, n'ait plus aujourd'hui qu'une valeur macroscopi- que, étant donnée la dissymétrie non seulement des molécules mais méme des particules élémentaires (non-validité du principe de parité), comme aussi les Re- lations: d'indétermination de Heisenberg interdisant les précisions simultanément rigoureuses des grandeurs canonique- ment conjuguées, déterminant tout étre physique (position et vitesse, etc.), la dé- gradation progressive de I’énergie est un fait d’expérience, et d'expérience méme micro-physique sous l’aspect de Ja trans- formation progressive de toutes les parti- cules en photons, en rayonnement élec- tromagnétique.. Sans doute, assistons- nous & la transformation inverse, dans nos laboratoires, des photons en paires d'électrons négatif et positif. Il n'en reste pas moins qu'une quantité finie d’énergie universelle doit finalement épuiser ses possibilités dynamiques par l'augmentation irréversible de l'entropie Positive et son étalement définitif dans une homogénéité dernire et absolue. Nous avons vu que telle est aussi l’orien- tation de ‘cette chaine de systémes de systémes que j'ai appelée l’ortho-systé- mogenése homogénéisante, dominant au sein de notre Univers, Aussi, les physiciens soviétiques, se refusant & ces conséquences cosmogoni- ques — pour des raisons politico-méta- physiques — postulent-ils une quantité infinie d’énergie, Le deuxitme principe de la thermodynamique — qui révéle la décadence méme de le pensée bourgeoi- se — n’est pas valable, proclament-ils, parce que I’énergie est infinie. L'argu- ment serait soutenable si une science expérimentale pouvait constater une infi- nité physique | D'autre part, a le supposer pertinent, ce qui exclurait toute fin de l'Univers, comment expliquer une cosmogonie com- me celle de Blokhintzef, dont on pour- rait admettre que les gerbes brolassent indéfiniment, alimentées sans cesse par de nouveaux apports d’énergie, mais non pas le commencement, le choc, & un moment donné, des nucléons antago- nistes? Il faudrait alors ajouter aux processus qui partent des protoétoiles pour former le monde et l'anti-monde, des processus inverses, une réversibilité, une retonte des protoétoiles, et donc dennir une constitution indéfiniment cy- clique de I’énergie, somme toute revenir a ja vieille notion métaphysique de Téternel retour. Rien ne le laisse deviner, ni dans I’hypothése de Blokhintzef, ni dans toutes autres données expérimen- tales de I’astrophysique : les nébuieuses spirales s'éloignent a des vitesses prodi- gieuses et notre Univers est dans une expansion progressive, ol rien n'appa- rait qui pourrait permettre de postuler une rétrocession — aussi bien d'ailleurs dans quelque formation du type proto- étoile que, par exemple, dans l'atome primitit de Le Maitre. Ni le fini ni l’infini ne peuvent justifier le comportement de l’énergie, et non seu- lement dans ses formations cosmogoni- ques, mais dans l'intimité méme de ses mécanismes et de ce qui conditionne son existence. Du concept obscur d’énergie, nous ne connaissons que ses événements antagonistes et ses processus contradic- toires d'hétérogénéité et d’homogénéité, comme nous l’avons vu. Du fait méme de cet antagonisme, une actualisation ne saurait étre finie, achevée ; l'événe- ment antagoniste, par sa potentialisa- tion et son irréductible contradiction, le lui interdit. Pour que cette potentialisa- tion lui permette une actualisation ri- goureuse sans limites, il faudrait qu'elle soit infinie, qu'elle disparaisse dans Vinfini, a la maniére de la différentielle, qui s‘annihile de la sorte pour permettre Je continu. Mais une telle potentialisa- tion exigerait une actualisation infinie, qui, comme telle, entrainerait la suppres- sion méme de tout antagonisme et de Vénergie par 18 méme, dont l’antagonis- me est la condition d’existence ou, du moins, de ses manifestations. Si eq > Cpe et sie, peuvent s’écrire, nous ne > pos qu Tavons vu (© 2e), 9 D(C PElpe et(e De), D(C DEpe alors (e 5e),, et(e >e, ,)s'annulent, puisque rien ne les limite, et nous avons: (e >e) et(e 3e) rigoureusement ac- tualisés, c’est-A-dire la tautologie de Videntité e, oX aucun événement ne peut avoir lieu, et la négation abso- lue @, (ou encore, une homogénité par- faite et immueble, d'un cOté, et une Ww nétérogénéité infihie et définitive, de l'aut tre, si toutefois ces deux notions pou- vaient se définir et exister l'une indé- pendamment de l'autre). Nous retrouvons vertes ainsi la. logique classique qui postule ‘I’impossibilité de la contradic- tion par l’anéantissement de ses termes, mais nous supprimons tout ce qui se pré- sente comme énergétique, c’est-a-dire ce & quoi se réduit aujourd'hui toute donnée scientifique. - La logique de l'énergie enseigne, de par son antagonisme contradictoire et son dynaniisme fondamental, qu'elle ne saurait accepter ni le fini ni l'infni. Elle dépasse nécessairement, comme on le constate d'une maniére particuliére- ment nette sur le tableau des systémes de systémes, le fini, sans pouvoir attein- dre l'infini.’ Elle est transfinie, dans le sens étymologique du terme. Ce n’est pas le sens de Cantor, pour lequel, comme pour tous ceux qui l’ont suivi, le transfini, on le sait, signifie ce qui dépasse l'infini, Mais une arith- métiqué du transfini,” tel que nous le révelent la nature et'le mécanisme mé- me de l'énergie, serait plus adéquate A nos possibilités énergétiques expéri- mentales (et notamment d’ordre mental, car nous pouvons toujours dépasser une limite, ajouter une unité a un nombre, diviser et rapetisser, ajouter et agran- dir, sans jamais toucher l’infini, l’infini- ment petit comme l'infiniment grand), ainsi et surtout qu’aux données de la physique quantique : la différentielle du calcul infinitésimal, qui nous donne le continu, n'est plus qu'un artifice mathé- matique valable statistiquement sur le plan macroscopique. Liexpérience montre, en effet, ainsi que la logique de V’énergie et la systémo- logie qu’exposent ces pages, que tout est a la fois continu et discontinu (ondu- latoire en méme temps que corpuscu- laire), que tout est une infinité plus ou moins actualisée sur une finité plus ou moins potentialisée, et inversement, au- trement dit, que tout tente a la fois de se borner dans le fini et le dépasse et de le dépasser sans atteindre l'infini, que tout est transfini. Telle est la structuration dynamique profonde des événements énergétiques quantiques, et je m’étonne qu’on ne leur ait jamais appliqué cette notion du transfini, dans ce sens précis du terme. Car on comprend mieux ainsi — ce qui demeure autrement une sorte de scan. dale inconcevable — comment une éner- gie passe d'un état quantique & un autre, par ce fameux saut quantique, 18 cest--diré sans aucun intermédiaire, sans continuité, sans l'infini qui la per- mettrait, comment il peut y avoir lien, passage, sur des ruptures, et des rup- tures qui sont pourtant liées. Le fini et Vinfini sont des pdles définis et liés par la contradiction, et tels que l’actualisa- tion de l'un entraine la potentialisation de l'autre, et l'état T de l'un, état T de l'autre, liés en une conjonction con- tradictionnelle et dynamique, qui est le contenu méme du transfini. On voit que le transfini est soumis aux mémes lois logiques-de l’énergie que le systeme et par conséquent que le systéme de systémes, et ainsi de suite, si bien que l'on aura également un trans- fini de transfinis, etc. Ce n'est pas pour nous étonner, puisque l’énergie est trans- finie comme ‘elle est systématisante. Un systéme énergétique, et nous savons que tout systéme est énergétique, ne saurait étre davantage fini qu’infini, sans cesser d’exister. C'est précisément la transfi- nité énergétique qui permet l’engendre- ment, comme le désengendrement, dans la direction du transfiniment grand ou du transfiniment petit — ces notions de grand et de petit étant d’ailleurs toutes relatives — des systémes de systémes, dont chaque constituant est un systéme contradictoire de lien et de rupture, de continu et de discontinu, d'infinité et de finité antagonistes. On comprend, par 14, pourquoi une grandeur énergétique est toujours essen- tiellement statistique : c'est une accumu- lation de tels, quanta dynamiques con- tradictionnels, qui implique, naturelle- ment, une nouvelle arithmétique quan- tique’ et une nouvelle théorie contradic- tionnelle des ensembles, édifiées sur les énoneés de cette logique de l’énergie, On comprend aussi comment une actua- lisation est l'augmentation d'une telle grandeur statistique, et une potentiali- sation, sa diminution. Si bien qu’on peut aussi bien dire qu'un événement éner- gétique, un systéme de systémes, etc., s'actualise ou se potentialise, que dire qu'il développe une grandeur statistique majoritaire ou minoritaire. La mesure de la quantité d’énergie des événements et des systémes, par quantités des dyna- mismes antagonistes et quantité d'anta- gonisme, comme la mesure de leur résis- tance et des possibilités et orientations de leurs systémogenéses, de leurs causa- lités d’antagonisme systématisant, est ainsi facilement effectuable. Enfin, on comprend encore comment une homogénéisation majoritaire peut gagner progressivement du terrain sur une potentialisation ou rétrécissement minoritaire de. l’hétérogénéisation, ou inversement, ou comment les deux pro- cessus peuvent se trouver dans une égale tension évolutive, ou état T, de systémes de systémes en’ systémes de systémes, selon les trois orthosystémogenéses et dialectiques matérialisantes que nous avons décrites, dans un développement arborescent essentiellement _transfini, sans pouvoir s’arréter, ni se poursuivre infiniment, et sans donc que l'on puisse leur assigner un commencement, ni une régression @ l'infini : cette régression est elle-méme transfinie. Aussi bien, l'ortho-systémogenése qui engendre la matiére macroscopique ot s'actualise progressivement le deuxiéme principe de la thermodynamique, comme notre Univers lui-méme, qu'il domine, ne peuvent-ils s'approcher qu'’asymptotique- ment, justement de par leur transfinité, d'une homogénéité totale et derniére, ou mort de l’Univers, postulée par la vieille physique classique. C'est ce qui explique que ies lois et la logique quantiques de cette matiére se rapprochent elles-mémes statistiquement des lois et de la logique de cette physique, sans cependant pou- voir jamais s'y confondre. On ne peut donc fixer un événement initial, ni un terme final aux trois Uni- vers de Ihypothése cosmogonique de Blokhintzef, comme on ne peut, évi- demment, en imaginer aux trois Univers qui s'engendrent en vertu des multiples combinaisons des chaines de systémes de systémes. Ces trois Univers, dont les ortho-systémogenéses sont transfinies, sont eux-mémes transfinis, des trans- finis 4 la puissance transfinie. Ils se combinent, & leur tour, par le méme principe et mécanisme d'antagonisme systématisant, pour former des Univers d'Univers, & la puissance transfinie de la puissance transfinie, et ainsi de suite... On peut en dresser un tableau, & la maniére de celui des systémes de sys- témes, Mais ce que l'on peut remarquer d'im- portant, c’est qu'il y a toujours deux ortho-systémogenéses et deux chaines qui divergent, évoluant vers une non- contradiction statistique transfinie, avec quantité d’antagonisme décroissante et déperdition énergétiques transfinies — ce sont, on s'en souvient, I'Univers de Vhomogénéisation,, comme le nétre, “et celui de I"hétérogénéisation comme I’anti- Univers +, et toujours une ortho-systé- mogenese et une chaine d’Univers engen- drant l'état T, dans lesquels convergent les systémes de systémes contradictoires, avee, ici, quantité croissante transfinie d’antagonisme et donc de concentration et de capacité énergétiques. Et si les multiples para-systémogenéses alimentent sans cesse, comme on le voit, les deux premiers Univers, elles alimentent éga- lement ce dernier, qui serait comme l'Univers central, source transfinie d’éner- gie, voexistant avec les autres et se déve- loppant de concert avec eux. La cosmogonie apparaitrait dés lors comme l'euvre A la fois de deuz diver- gences dialectiques matérialisantes de dégradation transfinie et d'une conver- gence dialectique matérialisante de re- gradation transfinie de I’énergie. (Les astronomes américains, il n'est peut-étre pas sans intérét de le signaler a ce pro- pos, semblent détecter, aux extrémités, dans les zones Jes plus éloignées de leur champ sidéral, la formation continuelle de nouveaux mondes, d'amas d'amas en expansion. Je pense que l'on n'a pas manqué aussi de constater ce qui distin- gue ces considérations d'une hypothése comme celle de Teilhard de Chardin, ou tout converge vers ce qu'il appelle le point oméga. La convergence méme. de ce troisisme Univers se dilate, au con- traire, & son tour, et se déploie en une extension arborescente transfinie.) Ainsi, nous retrouvons, ici encore, dans la coexistence de la divergence et de la convergence cosmogoniques, la contra- diction dynamique comme principe de la pérennité de l’énergie. Observons enfin que selon cette systé- mologie, qu’implique la. logique de I’éner- gie — si cette dernitre existe’ et afin qu'elle existe — la cosmogonie s'édifie et se développe d’elle-méme, selon ces trois directions polaires transfinies qui commandent et coordonnent les dialec- tiques matérialisantes, si bien que trots cybernétiques naturelles apparaissent comme immanentes 4 l’énergie elle- méme. StépHans LUPASCO. 19 EINSTEIN ET LE BESOIN D’UNE THEORIE DU CHAMP UNITAIRE © On a souvent dit que, méme s'il n’avait pas .découvert la Relativité, Einstein aurait été classé au premier rang des physiciens en raison des multiples dé- couvertes qu'il a faites. L'une des pre- migres concerne [effet photoélectrique dont l'explication est l'origine de toute la physique contemporaine. Leffet photoélectrique. — Pour mieux en comprendre l’importance, il faut se rappeler ce que furent les théories de la lumigre aux xvi et xvi sidcles, pé- riodes oi elle devint l'objet d'une étude réellement: scientifique. Deux théses étaient en présence. D'un cété, Newton soutenait la théorie de Vémission : les corps lumineux émettent des corpuscules qui se meuvent en ligne droite. Pour Huyghens, au contraire, la lumiére était un phénoméne ondulatoire. Ces deux hypothéses parvenaient & rendre compte, avec un succ’s presque égal, des phénoménes alors connus de la réflexion et de la réfraction. Par sa théorie des accés, Newton faisait un pas vers l'explication de phénoménes plus complexes ou la lumiére était décom- posée, comme dans le cas des célébres anneaux qui portent son nom. Mais cette théorie tout juste ébauchée n’eut pas un grand retentissement. Au x1X* siécle, explication des phé- noménes d'interférence par Fresnel et Vexpérience dite « cruciale » de Foucault donnent sans conteste la victoire a la (2) Le présent article est tiré d’un ouvrage actuellement en manuscrit : A propos @Einstein - La Relativité et nous. Le but de cet ouvrage est beaucoup moins un exposé des travaux d’Einstein qu'une ré- flexion sur les conséquences qui en découlent et les lumféres quills jettent sur la nature de la science et le réle qu'elle peut et doit jouer dans l'avenir de l'humanité. Il résulte de cela que V’analyse porte principalement sur ‘les méthodes et les procédés utilisés par Yesprit humain pour parvenir a Ja connais- sance de la vérité, Le c6té purement techni- que des découvertes n'est le plus souvent que sommairement rappelé, des renvois étant faits aux pages originales d’Einstein qui reste le meilleur vulgarisateur qui soit de ses pro- pres théories, 20 théorie ondulatoire, victoire confirmée par l'assimilation ultérieure de onde lumineuse & une vibration de nature électromagnétique. Il convient de noter qu’a Ja fin du XIXx* siécle ce résultat, qui semblait seul conforme aux faits, était interprété com- me signifiant I'abandon deéfinitif de la théorie de l’émission, La lumiére ne pou- vait étre qu'un phénoméne corpusculaire, c'est-a-dire discontinu, ou un phénomé- ne ondulatoire, c’est-A-dire continu, Sup- poser qu'elle pat étre d la fois l'un et Vautre edt paru d'une absurdité insou- tenable. C'est pourtant cet obstacle qu’a dd affronter Einstein pour fournir l'expli- cation de l'effet photoélectrique. On savait qu’en frappant certaines substances la lumiére donnait naissance a de lélectricité négative. Einstein, pro- longeant les travaux de Planck sur la quantification des rayonnements, ad- mit l'hypothése que ce courant était da a la présence d’électrons expulsés des atomes par le flux lumineux. Mais l'allu- re du phénoméne restait cependant inexplicable. On pouvait penser, en effet, que la production du courant était uni- quement liée a l’énergie du flux lumi- neux, de sorte que si cette énergie tom- bait en dessous d'une certaine valeur elle devenait insuffisante pour pouvoir arracher un électron @ son orbite, ce qui aurait dQ entrainer la disparition du phénoméne. En réalité, l'émission d'électrons dimi- nuait bien en méme temps que l'inten- sité lumineuse, mais, & partir d'un certain moment, au lieu de cesser com- plétement, elle devenait seulement dis- continue, n'ayant lieu qu’é des inter- valles de plus en plus espacés au fur et & mesure que l'onde lumineuse deve- nait plus faible. Par contre, la nature du flux lumineux intervenait d'une maniére incompréhen- sible. Si la fréquence de la lumire tom- bait en dessous d'une certaine valeur, Yeffet photoélectrique disparaissait tota- lement, quelle que soit l’énergie du flux incident. Pour expliquer ces faits, Einstein sup- posa que, dans un rayon lumineux, Vénergie n'était pas répartie d'une ma- niére uniforme, mais au contraire con- densée, en quelque sorte, sous forme de grains ou « quanta de lumiére » (appe- Iés photons) et que I’énergie de chaque grain dépendait de la fréquence de la Tumiére, Cette derniére condition s'écrit sous la forme w = h v, dans laquelle w repré- sente l’énergie du photon, h la constante de Planck et v, la fréquence de l'onde. On voit tout de suite que si v est infé- rieur A une certaine valeur, l'énergie w pourra devenir plus petite que celle qui est nécessaire pour chasser un électron de son‘ orbite. Par contre, si cette valeur est atteinte ou dépassée, I'électron sera expulsé de T'atome & chaque fois qu’il sera heurté par un photon. Ce qu'on appelle énergie d'un Hux lumineux n'est done que la somme de I’énergie des pho- tons qui s'y trouvent. Plus ce nombre est considérable, plus la probabilité de rencontres d'un photon et d'un électron est grande. Elles peuvent ¢tre si fré- quentes que la production d’électricité ait 'allure d'un phénoméne continu. En revanche, si le nombre des photons inci- dents est petit, la probabilité de chocs n'est cependant pas nulle ; il reste donc une chance pour qu'un électron soit ex- pulsé, mais, cette occasion étant rare, le phénoméne révéle sa structure dis- continue. Que devient alors la théorie ondula- toire de la lumiére ? Il n’était pas ques- tion de l'abandonner puisqu’elle seule pouvait expliquer les phénoménes 4’in- terférence et que diailleurs elle était représentée dans l'explication d’Einstein par la notion de fréquence qui fournis- sait le nombre v. Il se produisit qu'au Meu d'attribuer une valeur essentielle aux termes d'onde et de corpuscule on n'y vit plus que des termes de référence La lumiere n’était ni onde, ni corpuscule, mais elle présentait un aspect ondula- toire ou corpusculaire selon les condi- tions de l'expérience. Avec la mécanique ondulatoire (Louis de Broglie) cette dualité paradoxale fut étendue a la théorie de la matitre, De- puis lors, la description compléte d'un phénoméne physique fait appel aux deux notions d'onde et de corpuscule, notions indissolublement unies par la’ formule méme que nous venons de rencontrer : w=hy (2). (2) Cette dualité fondamentale a été sys- tématisée sous le nom de principe de com- plémentarité (N. Bohr). Sans poursuivre plus loin ce sujet, on peut déja juger de la prodigieuse fécon- dité de l'explication de effet photoélec- trique par Einstein puisqu'elle est a Vorigine de l'une des branche les plus importantes de la physique moderne. L'équivalence de la masse et de Uénergie. — Une seconde découverte au retentissement plus tardif, mais sans doute plus lourd de conséquences, est Vétablissement de I'équivalence de la masse et de I'énergie : E = me?. Einstein donne une dérivation élémen- taire de cette formule dans son livre Conceptions scientifiques, morales et sociales (3). On voudra bien s'y reporter. Je veux toutefois insister & nouveau sur le role que joue dans sa démonstration le changement de systdme de référence. La rigueur du procédé peut échapper & premiére vue, ce qui conduit a le consi- dérer comme un véritable tour de passe- passe. Le processus (4) de la démonstration consiste en ce qu'un phénoméne est ob- servé en méme temps d'un systéme dé référence immobile et d'un systéme de référence en mouvement par rapport & lui. On peut se représenter aisément cela en supposant que le phénoméne observé a lieu sur un bateau qui se déplace sur un canal & la vitesse v : relativement au bateau il est en repos, mais, vu de la rive, il est en mouvement. Le phéno- mane est unique, mais les conditions d’observation doubles. C'est en confron- tant ces deux sortes d'observations que l'on arrive & tirer des conclusions qu’au- cune des deux, prise isolément, n’aurait fournies. Le phénoméne dont il s'agit, c'est Vabsorption d'un rayonnement par un corps. Une premiare série d’observations fai- (3) A, Emstem, Conceptions scientifiques, morales et sociales, trad. M. Solovine, Paris, Flammarion éd., 7 mille, 1952, pp. 44-8 et 102-5, @ Ce passage a dd étre complétement modifié par rapport au manuscrit pour tenir compte du fait qu'il n’était pas possible dans cette Revue de publier les figures qui l'ac- compagnent. L'image du bateau en marche a pour but de donner une représentation coneréte du double systéme de référence utilisé par Einstein, Si Yon se reporte au texte de ce dernier, on verra facilement que le bateau joue le réle du sytéme Ko, immo- bile par rapport au corps B, le bord du canal figurant alors le systéme K relative- ment auquel le corps B est entrainé par le bateau avee une vitesse v. 21 tes.du bateau montrent un corps‘ iinmo- ile’ recevant & droite et & gauche deux complexes de radiations S et S' d’égale valeur et de direction, perpendiculaire a l'axe du bateau, mais de sens opposé. Liaction de ces deux rayonnements égaux et de sens contraire s'annule et le corps B reste immobile par rapport au bateau tout comme lorsqu’il ne recevait aucune radiation, Le méme phénoméne vu du rivage donne lieu aux remarques suivantes : Je le corps B paraft animé d'une vi- tesse v ; 2° la direction des radiations qui frap- vent le corps B.n’est plus perpendicu- laire a ce dernier.’ En effet, le chemin au'elles suivent est toujours perpendicu- laire & I'axe du bateau, mais celui-ci est en mouvement par rapport & la rive. Les radiations s’éloignent done du point de la rive od on les observe, et cela au fur et & mesure qu’elles se rapprochent de B, Elles semblent done avoir une di- rection oblique dirigée-dans Je sens du mouvement de B. L'impression est la méme que si l'on considére un nageur qui traverse un fleuve perpendiculaire- ment au courant ; vu de la rive il paratt nager en biais ; 3° le corps B regoit donc deux com- plexes de radiations qui viennent de der- rigre lui et dont I'’énergie devrait par conséquent avoir pour effet d'accroftre sa vitesse ; mais, le phénoméne. observé étant le méme que dans le premier cas, nous savons qu’en fait sa vitesse (qui ést celle du bateau) reste invariable, qu'il recoive des radiations ou non. Lorsqu’il absorbe des radiations, B se comporte donc comme un. corps d'une masse plus grande. Nous avons vu (5), en effet, que, sous Traction de forces égales, deux masses égales prennent la méme vitesse et que, de deux masses inégales, la plus grande prend la vitesse moindre. Cela revient & dire que si deux masses (ici : le corps B isolé et le méme corps B soumis au rayonnement) prennent la méme vitesse (la vitesse du corps B ne change pas) sous laction de forces inégales (tout d'abord : aucune force extérieure ; puis : influence du rayonnement), la masse qui est soumise 4 la plus grande force est la masse la plus grande. Le corps Bconsidéré par rapport au systéme K apparait donc comme d'une masse plus grande. Tl faut donc conclure que I’'ab- (5) Allusion & un passage ott se trouvait exposé le principe de I'inertie dont l'essen- tiel est rappelé dans les lignes qui suivent, 22 sorption des radiations S ef S' a acert la masse de B. Il y @ done équivalence entre la masse dont s'accroit B et I’éner- gie que transportent S et_S'. En réalité, il n'y a aucune raison pour supposer que cette équivalence entre masse et énergie n'est valable que pour une petite partie de la masse et non pour la masse totale. On est donc amené & conclure que la matiére n'est autre chose que de I'énergie condensée. La valeur de cette énergie est donnée par la formule suivante : E = mc? dans laquelle m représente la masse de la matiére et c la vitesse de la lumiére. En libérant cette énergie on peut produire des effets considérables, hors de proportion avec ceux auxquels conduit l'utilisation ac- tuelle de la matiére. Un calcul trés simple permettra de s’en rendre compte en comparant 'énergie que l'on peut recueillir en partant d'une méme quantité de matiére selon qu'on la projette avec une certaine vitesse ou qu’on la désintagre. Dans le premier cas le calcul se fait en utilisant le théoréme des forces vives; Vénergie déployée E, = 3 m 0? o& m représente la masse de matiare utilisée et » la vitesse dont elle était animée. Dans le cas d'une balle de fusil, cette vitesse n'atteint pas 1 km par seconde. Suppo- sons que Cette méme balle soit entiére- ment désintégrée, I'énergie dégagée est alors E, = mec? (formule d'Einstein). Dans ce cas, ¢ est 300 000 fois plus grand que t. On a done : ¢ = 300000 v. Comme cette vitesse intervient au carré, l’éner- gie produite sera donc : E, = m (800 000 v)? = 90 000 000 000 mv2, crest-a-dire qu’elle sera 45.000 000 000 de fois plus grande que dans le premier cas, Crest la formule d’Einstein qui permet de comprendre la puissance des bombes atomiques ; encore ne s'agit-il pas, dans ce cas, d'une transformation totale de 1a masse en énergie, mais seulement de désintégrations partielles appelées fis- sions. Si I'on se demande comment le simple fait de changer de systéme de référence a pu conduire a une conséquence d'vne telle ampleur, on pourra se représenter l'image suivante. Un observateur con- temple un panorama et voit au loin un objet rond inacessible dont il ne peut, dire si c'est une sphére ou un disque lui fuisant face. Il se déplace alors dans une direction convenablement choisie de sorte que si l'objet est un disque il verra son épaisseur diminuer progressivement jusqu’a ce que, l'apercevant juste par Ja tranche, il devienne pratiquement invi- sible, tandis que si c'est une sphere, il présentera toujours un aspect parfaite- ment circulaire. Pour rudimentaire que soit cet exemple, il montre cependant comment un simple changement des con- ditions d’observation permet de mettre en évidence une propriété qu'on ne-peut atteindre par une observation unique. Voila done devx découvertes fonda- mentales par lesquelles Einstein ouvrit la voie A toute la physique atomique. Cependant, il se détourna de ces recher- ches et montra méme A leur égard une certaine hostilité. Comment expliquer cela? C'est que la science actuelle, avec Vapparition du déterminisme statistique, donne du réel une description trés diffé- rente dans son esprit de ce qu'elle était auparavant. Le déterminisme statistique. — La phy- sique classique, en effet, admet qu'un phénoméne est parfaitement déterminé lorsqu’on connait ses trois coordonnées despace et sa coordonnée de temps. La Relativité, nous l'avons vu, ne change rien a cet état de choses; les coordonnées subissent des corrections qui tiennent compte de la vitesse relative des systd- mes de référence, mais elles servent tou- jours a localiser parfaitement un phéno- mene. Partant de la, il est — théorique- ment — possible de calculer un état a venir en fonction d’un état présent (dé- terminisme rigoureur, au sens de La- place). Lorsqu’une telle prévision exacte n'est pas possible, c'est pour une simple question de fait, ‘soit que joue la gran- deur des erreurs d'observation, soit que des facteurs inconnus interviennent. En est-il de méme avec la mécanique ondulatoire? La réponse doit étre nuan- cée. Si l'on affaire a des ensembles com- portant un nombre considérable de molé- cules (point de vue macroscopique) la conception précédente reste valable ; mais si l'on aborde le domaine des particules élémentaires (point de vue microsco- pique), les choses se passent tout diffé- remment. Nous venons de voir, en effet, que l'un des aspects de l'effet photoélectrique était celui d'un phénoméne continu (grand nombre de photons en action). On peut. alors prévoir 4 chaque instant Vintensité du phénoméne. Mais lorsqu'il se présente sous son aspect discontinu (petit nombre de photons) il devient im- possible de dire a quel instant un choc se produira. La statistique ne permet de déterminer que la probabilité des ren- contres, non leur avénement. Si l'on essaie de décrire avec minutie le mécanisme du phénoméne, comme celui de tout autre phénoméne corpuscu- laire, les difficultés s'accumulent. C'est qu’en effet, & I’échelle od l'on opére, les conditions 'mémes de l'observation ‘per- turbent le phénoméne observé. Si, par exemple, on veut photographier un cor- puscule, il faut I'éclairer, c'est-a-dire le bombarder de photons. Mais, sous J'in- fluence des chocs, le corpuscule va se trouver dévié de son chemin et’ sa vitesse sera changée. On peut organiser Yexpérience de maniére a ne pas modi- fier sa trajectoire, mais il se trouvera alors qu'on n’aura aucun moyen de me- surer sa vitesse, Si, au contraire, on s'applique & déterminer-. cette vitesse, on sera incapable de situer le corpuscule dans lespace. On a pu exprimer par le calcul 1a gran- deur des perturbations ainsi introduites dans lobservation. Ce sont les célébres relations @incertitude de Heisenberg -: Ap-Ax = h dans lesquelles A, désigne lerreur com- mise dans l'appréciation de la quantité de mouvement et A; celle relative & la h Ap = —on voit Ax que si Ax tend vers 0, A, tend vers l'infini et vice versa, Dans ces conditions, on ne peut plus réellement parler de corpuscule, car cette notion entraine la possibilité de le loca- liser en toutes circonstances et d’en connattre la vitesse. On peut seulement dire qu’en telle région de l'espace il existe telle probabilité pour .que telle action (généralement attribuée a un cor- puscule) ait lieu. Mais la notion de cor- puscule, au sens usuel, ne peut disparat- tre sans que celle d'objet ne soit égale- ment dégradée. Au lieu de conserver son unité essentielle, Vobjet, assemblage de corpuscules, ne présente plus qu'une certaine permanence statistique dont on peut toujours envisager la dissolution. On voit maintenant pourquoi la de- scription du monde, dans la physique corpusculaire, est radicalement différente de celle qu'on en donnait dans l’ancienne physique et méme dans la Relativité. 1! est devenu impossible de localiser par- faitement un phénoméne dans le temps et dans l'espace aussi bien au point de vue de lobservation que de la prévisioin. Une prévision rigoureuse, au sens de Laplace, n’a plus de signification. position. En écrivant : 23 Or, cette mgnieré de voir a toujours déplu A Einstein. Sans nier le moins du monde l'efficacité de la méthode ni la valeur des résultats, ce type d’explication lui paraft de nature inférieure, et il n'y voit qu'une étape .provisoire du dévelop- pement de la physique. 1 lui semble que les physiciens ne pourront admettre comme définitif un tel état de choses : « Croire cela est sans contiedit logique- ment possible, mais c'est tellement con- traire 4 mon instinct scientifique que je ne peux pas renoncer A la recherche d'une explication plus complete (6). » Certains physiciens, parmi lesquels je me trouve moi-méme, ne peuvent pas croire que nous devions abandonner, réellement et pour toujours, l'idée d'une représentation directe de la réalité phy- sique dans l’espace et dans le temps, ou que nous devions accepter l'opinion que les événements dans la nature res- semblent & un jeu de hasard. Tl est per- mis & chacun de choisir la direction de son effort, et tout homme peut tirer consolation de la belle maxime de Lessing que la recherche de la vérité est plus précieuse que sa possession (7). » Bien plus, la mécanique quantique. comme méthode de recherche, ne lui parait pas capable de conduire & une théorie plus générale : «Tl est hors de doute que la mécanique quantique a pris possession d'un bel élé- ment de vérité et qu'elle sera une pierre de touche pour toute base théorique de Yavenir, en ce sens qu’il faudra pouvoir la déduire de cette base comme un cas limite, exactement comme |’électrosta- tique peut étre déduite des équations de Maxwell pour le champ électromagnéti- que, ou comme la thermodynamique peut étre déduite de la mécanique classique. Je ne crois pas cependant que la méca- nique quantique sera le point de départ de la recherche de cette base, exactement comme on ne pouvait, inversement, aller de la thermodynamique (respectivement de la mécanique statistique) aux fonde- ments de la mécanique (8). » C'est pour cette raison qu’Einstein abandonna délibéremment toute cette partie de la physique moderne et recher- cha la solution du probléme dans un approfondissement de l'idée fondamen- tale de la relativité. La théorie du champ unitaire. — Nous ne pouvons guére ici que rappeler le souvenir de ces longues années de tra- (6) Ibid, p. 83. (D Ibid, p. 101. ®) Ibid, p. 84-5. a vaux solitaires. Aucune solution décisive n'en est résulté. Les vues d’Einstein en ce domaine sont tellement éloignées de Vexpérience que lui-méme n’en prévoyait aucune vérification possible dans l'état actuel de la science. En gros, voici le probléme. La relati- vité restreinte montrait I'équivalence de tous les systémes galiléens pour lobser- vation physique. Mais comme rien ne justifiait la faveur ainsi accordée aux seuls svst&mes galiléens, une premitre généralisation de la théorie étendait la méme propriété tous les systémes. Un résultat de cette généralisation était que Vexistence d'un champ de gravitation découlait de I’édification d’un tel systd- me et pouvait en étre déduit. Le probléme physique était-il ainsi pleinement réso- lu ? Non. Einstein le déclare en ces termes : «... Je veux montrer tout de suite pour- quoi la théorie n'a pas pu se déclarer définitivement satisfaite du résultat. Sans doute Ja gravitation a été ramenée A la structure de l'espace ; mais, en dehors du champ de gravitation, il y a encore le champ électromagnétique ; il a fallu introduire tout d’abord ce dernier dans la théorie comme une fonction indépendante de la gravitation. Dans Péquation de condition pour le champ, on a dq introduire des termes supplé- mentaires qui correspondent & l'existence du champ électromagnétique. Mais I'es- prit théoricien ne saurait supporter Vidée qu'il y ait deux structures de Vespace indépendantes l'une de l'autre, Tune de gravitation ou métrique, l'autre électromagnétique. La conviction s‘im- pose que ces deux sortes de champ doi- vent correspondre a une structure unt. taire de lespace. » Or la « théorfe du champ unitaire », qui se présente comme une extension, mathématiquement indépendante, de la théorie de la relativité généralisée, cher- che & rénondre A ce dernier postulat (9).» Einstein n'est pas parvenu, semble- til (10), & édifler la théorie unitaire qu'il révait. Du moins, & peine d'un labeur titanesque, a-t-il réussi A lever nombre des objections qui prétendaient déclarer une telle théorie impossible. Cenendant, quel que soit le sort réser- vé aux derniers travaux d'Einstein, {1 est certain qu’aussi bien par les limites (9) Tid., p, 229-30. (10) Une grande partie des derniers tra- vaux d’Einstein est encore inédite. De son provre aveu ses vues seront d'une vérifi- cation extrémement difficile. Tl est impos- sible de préjuger ieur valeur. auxquelles il s'est heurté que par les effort, il semble que pour lui ait été voies qu'il a ouvertes, nous assistons 1a dite la parole : « Il n'est pas, nécessaire 4 l'un des plus prodigieux efforts de pen- d’espérer pour entreprendre, hi de réus- sée que le monde ait jamais connus. sir pour persévérer. » Quant a l'homme qui a soutenu cet Aimé VALDOR. PREUVES Févrigr 1962 Les impasses du communisme frangais L'Guf de Wyasma .... Frangois Quesnay et la société économique . Fin d'un jeu (récit) ... Machiavel ou Vhomme qui a fait son temps . Pierre FOUGEYROLLAS Louis de VILLEFOSSE Herbert Luray Tulio CoRTAzaR YVES FLORENNE Trois « flash » sur le Brésil Jean Duviexaup 4 propos de Marc Bloch : appel et rappels de U'Histoire Emmanuel BERL Michelet aux Archives Annette VAILLANT Le cinéma : L’ «autre plan » La ressemblance (II) . Thédtre étranger : Les innocents coupables (Siegfried Lenz : L’ére des innocents ; Max Frish : Andorra) Frangois Bony Bernard Pincaup Jean GRENIER Poésie et controverse ou insaisissable poésie .......:-. Armand Gumert Une étape pour notre génération (L. Armand et M, Drancourt : Plaidoyer pour Uavenir) . Frangois FONTAINE La vie intellectuelle en France depuis le xvi siécle .. Gilbert Stcaux Un métropolitain devant la mentalité algérienne (Pierre Nora : Les Frangais d'Algérie) . : Le continent noir et U'Occident (Charles-Henri Favrod L'Afrique seule) . Charles-Robert AGERON Olympe BHELY-QUENUM PREUVES : 18, avenue de l'Opéra, Paris-1", OPE 44.88, OPE 64.48 Le numéro de 96 p. ill. : France, 3 NF, étranger, 3,50 NF, C.CP. Paris 178-00. ‘Un ancien numéro sera gracieusement envoyé sur simple demande, comme spécimen. FRANCE -FORUM Février 1962 Que veulent les jeunes rurauz ? par Marcel BRUEL. Information et Démocratie, avec G. Cespron, J. GRANDMOUGIN, G. HOURDIN, P. VIANSSON-PONTE. L’aménagement du territoire d Uéchelle européenne, par Philippe Satvr-Manc. Vent d’Est, vent d’Ouest sur UAmérique latine, par Magdeleine de la CaevRELIZRE. Peut-on partager UAlgérie ? par Annie Lompano. Animer économiquement les chefs-lieur de canton, par André-Frangois MERCIER. La Peste, par Etienne Borne. Chroniques et Notes de J. Matter, H. Bourson, J. Pou, G. Le BRun-KéRis. Abonnement annuel ; 15 NF — 68, rue de Rennes, Paris-6*. C\C.P, Paris 14.788-84. Numéro spécimen sur demande. PRESUPPOSES FONDAMENTAUX EN PHYSIQUE DES PARTICULES ELEMENTAIRES Dans Ja physique atomique de notre temps, les particules élémentaires sont au centre de l'intérét théorique. Comme il s'agit 14 des structures ultimes et fon- damentales de la matiére, il n'est pas étonnant que l'essai d’une formulation des lois naturelles déterminant ces struc- tures ne puisse partir que de présup- posés trés généraux, dont il est difficile de décider s'ils contiennent des énoncés sur le comportement empirique du mon- de, sur des formes de notre pensée ou sur le langage au moyen duquel nous cherchons 4 saisir le monde. I s‘agira done de ces présupposés fondamentaux qui, de tout temps, ont compté parmi les’ objets essentiels de la méditation philosophique. On voudrait esquisser, dans les pages qui suivent, les réflexions qui ont conduit & une proposition bien déterminée — qu'il faut encore vérifier sur le plan empirique — touchant la forme de 1a loi dite fondamentale ; qui conduisent méme presque inévitablement, me semble-t-il, & cette proposition. Dans I'exposé de ces réflexions on renoncera, en vue de l'in- telligibilité générale, & l'usage des sym- boles mathématiques. Mais il convient dinsister en méme temps sur le fait qu'une telle loi naturelle, qui détermine la structure des particules élémentaires, ne peut étre présentée avec rigueur qu’en symboles mathématiques ; car seul ce langage symbolique permet d’atteindre le degré de clarté, de précision et de concision indispensable & l’exposé théo- rique succinct d'un domaine d'expérience aussi vaste et compliqué, Aussi bien fau- dra-t-il & l'occasion renvoyer au langage symbolique et marquer combien il im- porte que les présupposés puissent étre mathématiquement formulés. Ces réfiexions seront précédées de quel- ques bréves remarques sur les résultats des recherches expérimentales menées durant les derniéres décennies dans les parties du monde les plus diverses et qui ont fait la lumiare dans le domaine naguére encore obscur des particules 6 élémentaires. Comme principal aboutis- sement de ces efforts multiples, il est apparu que les particules élémentaires ne sont pas les plus petites « briques » immuables et indestructibles de la ms- tigre, comme on l’avait longtemps cru jadis, mais bien plutdt qu’elles peuvent étre transformées, produites ou anéanties par des chocs réciproques. Il faut donc les concevoir comme différentes formes fondamentales de la matiére, toujours & nouveau surgissant et disparaissant, comme des formes en lesquelles I’élément énergie doit passer pour ainsi devenir matiére. Les particules élémentaires de la physique contemporaine se trouvent de la sorte plus proches des corps régu- liers de la philosophie de Platon que des atomes de Démocrite. Si l'on veut absolument recourir & des comparaisons avec la philosophie antique, il convient plutot de comparer 1’élément énergie nécessaire & leur formation, avec I'élé- ment feu de la philosophie d’Héraclite. Il s'agira donc, dans les pages qui suivent, des présupposés a la formulation d'une loi naturelle de laquelle puissent étre déduites les formes déterminées de Vélément énergie que l'on nomme par- ticules élémentaires, leurs propriétés de symétrie et leurs interactions. Au départ des réflexions que provoque la formulation d’une telle loi se trouve la pensée que l'on doit pouvoir en quel- que. maniére distinguer « quelque chose » de « rien », ou « tre » de « non-étre », Il faut done introduire un symbole ma- thématique qui permette de séparer le « quelque chose » du « rien »; soit, dans le langage des physiciens mathémati- ques : il faut introduire un opérateur qui du « rien » (du « vide ») produise un « quelque chose » (la « matiére »). A cette premigre démarche est déja presque inséparablement liée la seconde, je veux dire la constatation que ce quel- que chose est différencié, qu'il ne peut étre pensé que comme étant dans l’espace et le temps, -c’est-4-dire dans un ordre quadridimensionnel. Sur la question de safoir si cette seconde démarche découle déjA pour ainsi dire inévitablement de la premiére, une lumiere est jetée par les recherches de Von Weizsdcker sur la logique de la théorie quantique. Celles-ci montrent que la conception particuliére de ’alternative logique simple, & laquelle contraint la structure fondamentale de la théorie des quantas, conduit d’elle- méme 4 une diversité quadridimension- nelle, qui satisfait aux exigences du groupe de Lorentz et se comporte ainsi en profondeur comme l’espace et le temps dans la théorie de la relativité restreinte d'Einstein (ou dans les for- mules de la transformation de Lorentz). Mais il n’est pas question d'aborder ici ce probléme ; qu'il suffise de constater que le quelque chose, la matiére, doit étre ordonné en une diversité quadri- dimensionnelle, appelée espace et temps, et qu’ainsi cet opérateur mathématique, qui du rien produit le quelque chose, doit étre compris comme dépendant de l'es- pace et du temps, c’est-A-dire comme une fonction de l'espace et du temps. Comme en cette seconde démarche Yespace et le temps (et par la-méme le groupe de Lorentz qui ressortit & la théorie de la relativité) sont déja intro- duits, la question se pose ici d’elle-méme de savoir comment — en formulation mathématique tout d’abord — se com- porte l'opérateur fondamental indiqué plus haut, dans les transformations du groupe de Lorentz ; soit, en un langage moins mathématique : quelles propriétés de symétrie doit avoir le quelque chose par lui produit, la matidre. En ce point, il faut faire provisoirement un emprunt aux expériences spéciales de la physique moderne. On peut conclure des propriétés de symétrie des particules élémentaires observées que l'opérateur lui-méme ne peut étre complétement symétrique, qu'il doit bien plutot posséder une sorte de bisymétrie, telle que la théorie de l’al- ternative logique l'a déja fait connai- tre; en langage mathématique : l'opé- rateur doit é@tre un spinor. Peut-étre pourra-t-on comprendre et fonder plus tard, de facon beaucoup plus générale, Vintervention en ce point du spinor. La quatriéme démarche est la consta- tation qu'il existe des lois naturelles ; que l'état futur ou passé du monde est lié plus ou moins nécessairement a son état présent. A un examen plus appro- fondi, cette dernitre formulation se ré- véle d’ailleurs imprécise et par 14 méme sans contenu réel; car le monde est un Processus unique, ‘en quelque sorte une expérience qui né peut étre répétée, de sorte que l’existence d'une ‘loi — sous cette ‘forme & peu prés : « Chaque fois quest arrivé ceci, doit aussi arriver cela » — ne peut en aucune maniare étre contrélée. Formulé de facon plus rigou- reuse, l'énoncé qu’il existe des lois natu- relles signifie peu prés ceci : certaines parties du monde se laissent, le cas échéant, considérer isolément du reste du monde, leur comportement ne dépend pas ou ne dépend qu’accessoirement du reste du monde et l'on peut constater empiri- quement que leur comportement futur ou passé est rattaché conformément a des lois leur état présent. Lorsqu’on reconstitue, dans de telles parties déta- chées, la méme situation de départ, le comportement futur ou passé n'est pas nécessairement le méme, mais il existe des régularités qui font clairement re- connaftre une relation la situation de départ. 11 existe ainsi une relation con- forme & des lois entre le « quelque chose » qui est maintenant et celui qui est plus tard ou était auparavant. Comme le « maintenant » n’embrasse qu'un. court espace de temps indifférent, ceci veut dire, dans le langage des symboles ma- thématiques, que pour lopérateur de champ fondamental une équation diffé- rentielle devrait avoir valeur dans le temps. Un cinquiéme: important présupposé a la formulation des lois naturelles tient dans la constatation qu'il existe des in- teractions; que les états du quelque chose, la matiére, ne se. laissent pas superposer simplement. On veut dire par 1a: il se peut qu'il y ait, en un lieu déterminé de l’espace, une pierre ou un arbre. Mais prétendre avoir en méme temps A cet endroit une pierre et un arbre se révéle impossible. Si l'on ten- tait de l’obtenir par force, des processus physiques compliqués entreraient en jeu, qui ne conduiraient pas & ce qu'il y ait finalement en cet endroit simultanément un arbre et une pierre. L'existence de Vinteraction est aussi le présupposé & ce qu’il soit possible, d'une fagon géné- rale, de produire dans une partie déli- mitée du monde des situations détermi- nées. Pour la présentation mathématique des lois naturelles, on peut conclure du fait qu’on ne peut en général superposer simplement des états, qu'il doit s'agir pour les opérateurs, dans 1’équation différentielle, d'une équation différentielle non linéaire. Enfin une sixiéme et décisive démar- che consiste dans la reconnaissance de 27 la causalité. Le mot de causalité ne si- gnifie pas ici que de conditions initiales identiques doivent nécessairement décou- ler dans le futur des processus se dérou- lant de fagon identique. Nous savons, depuis la théorie des quantas, qu'une telle acception de l'idée de causalité serait trop étroite. Le mot de causalité doit bien plutdt exprimer ici que le rap. port de cause a effet, dont la possibilit découle déja de l'existence de lois natu- relles, signifie avant tout une relation entre ce qui se produit en un point de Vespace-temps et ce qui se produit en unt autre point de l'espace-temps immédia- tement voisin, immédiatement consécutif dans le temps. Une formulation précise de cette connexion ne peut étre donnée qu’en liaison avec la structure de l’espace et du temps découverte par la théorie de la relativité restreinte. Mathématique- ment, I'exigence de la causalité jointe la structure connue de l'espace et du temps, semble ne pouvoir étre exprimée qu’en cette maniére : l’équation différen- tielle non linéaire est invariante pour les opérateurs, vis-a-vis de la transformation de Lorentz ; les opérateurs doivent étre interchangeables (ou plus exactement anticommutatifs) dans Jes intervalles temporels, Lorsqu’on cherche la formule mathé- matique la plus simple qui satisfasse aux six présupposés ici examinés, on obtient une proposition pour l’équation fonda- mentale de la matiére qui doit étre véri- fiée sur le donné expérimental concer- nant Jes particules élémentaires et qui, pour autant- qu'on ait pu le constater jusqu'ici, s'est confirmée dans la compa- raison avec ce donné. Mais l'emploi qui est fait du mot « simple » en ce contexte exige encore une explication. « Simple » ne peut évidemment signifier ici qu'il devrait étre mathématiquement simple de déduire de !'équation fondamentale les énoncés les plus importants concer- nant les particules élémentaires. Car la réalité des faits dans le domaine de ces particules est déja si complexe sur le plan empirique (il existe, par exemple, environ vingt-cing sortes’ différentes de particules élémentaires), qu'on peut & peine imaginer comment un schéma mathématique quelconque pourrait pré- senter simplement cette réalité multi- forme. Le mot « simple » peut seulement signifier ici qu'est exigée dans I’équation la plus haute symétrie possible. Ainsi dit-on également que la sphére est une figure plus simple que le cube ou l'oc- tagdre parce qu’elle posséde une symé- 28 trie plus haute, parce que c'est par un nombre plus grand d’opérations qu'elle revient & soi. De méme, la ligne droite ueus semble plus simple qu'une ligne sinueuse ou une spirale. Simplicité si- gnitie done ici qu'il doit y avoir un nom- bre aussi grand que possible d’opérations par lesquelles la figure & nouveau re- vient 4 soi, L'équation fondamentale la plus simple est uinsi celle qui présente la plus haute symétrie, Cette conception de l'idée de simplicité est celle méme qui rend en un certain sens compréhensibles les nombreuses formes diversifiées de la matiére que nous appelons particules élémentaires. Car lorsque l’équation fon- damentale demeure inchangée dans une opération de symétrie, une particule élémentaire qui découle comme solution de l'équation fondamentale ne devra pas étre nécessairement invariante vis-a-vis de cette opération, mais révélera, dans Vexécution de l'opération, un comporte- ment définissable de fagon simple. S'il existe maintenant de nombreuses opéra- tions de symétrie différentes qui laissent inchangée |'équation fondamentale, on peut également distinguer beaucoup de formes différentes, c’est-a-dire de sortes de particules élémentaires dont chacune prise séparément, lors d'une opération déterminée, ne révéle en fait qu'un com- portement trés simple. C'est sdrement ce concept de simplicité qui a déterminé Platon a voir dans les plus petites parties de la matiére des corps réguliers. Mais il faut insister sur le fait que les six présupposés ici énoncés ont été en grande partie étran- gers & In philosophie platonicienne. Quant a savoir s‘ils suffisent a fonder la physique contemporaine des particules élémentaires et surtout s‘ils sont vrais, seule de nos jours peut en décider l'ex- périence, c’est-a-dire la mise en ceuvre de nombreux essais sur les particules élémentaires, jointe & une analyse ma- thématique attentive des conséquences de l'équation fondamentale proposée. Qu’en ce domaine I'expérience, dans ses plus menus détails, apparaisse comme Tultime instance dans le jugement a porter sur des principes fondamentaux de philosophie naturelle, c'est ce qui distingue notre science d’aujourd’hui des sciences de la nature telles qu’elles étaient pratiquées dans les époques an- térieures, Werver HEISENBERG (1959). (Traduit de V'allemand par Roger Muwter.) VIE, BIOLOGIE ET THEORIE Toute théorétisation d'une région du savoir est une tentative pour éliminer les fragments d'empiricité qui accompa- gnent toujours l'établissement des pre- miers résultats. Mais ce mouvement en- traine un dépassement du fondement initial de la science considérée. Une théorie est toujours une réduction a par- tir d'un niveau provisoirement considéré comme fondamental. C'est ainsi que la chimie se transforme en physique, la physique en mécanique et la mécanique en géométrie. En acceptant la contesta- ble classification des sciences impliquée dans cette perspective, on pourrait en déduire que la voie qui conduit a Ja théorie est, pour la biologie, sa trans- formation en chimie. Ainsi, tout au moins en premiére approximation, se compléterait Ia sphére du savoir théo- rique. Cette image d’un chateau de cartes s'effondrant par entrainement mutuel de chacune de ses cartes n'est cependant pas exacte. En effet, dés qu’est atteint un premier niveau de cohérence, surgit nécessairement "horizon d’une nouvelle déductibilité. En particulier, la réduction des processus vitaux en termes chimi- ques est certainement obligatoire, mais insuffisante pour assurer la constitution @une théorie biologique, car la_chimie n'est qu'un secteur restreint de la phv- sique. L'exigence de la théorie en bio- logie est donc plus fondamentale, et doit retrouver le champ de l'interprétation physique, méme si, par son développe- ment radical, elle met en question des fragments entiers de la physique théo- rique constituée. Mais ce dépassement vers la physique ne rend pas moins nécessaire d’envisa- ger Vorigine et le terme atteint par la transcription chimique des processus vi- taux. Les événements initiaux de cette transcription sont tras connus et ressor- tissent & la classique histoire des scien- ces. Les premiéres déterminations systé- matiques de structures de comnosés or- ganiques ont été I'ceuvre de Choiseul ; le premier bilan chimiaue de base du fonctionnement d’organismes .a été dé- terminé par Lavoisier. Toutefois il faut attendre en 1897 la préparation par Buchner d'un extrait acellulaire capable de provoquer une fermentation pour voir se dégager pleinement 1 notion de réaction biochimique. Cette réaction s’ef- fectue in vitro hors de toute organisation vivante comme une réaction chimique, mais reproduit le processus artificielle- ment isolé du fonctionnement global de Vorganisme en synthétisant les mémes substances que lui. Les molécules possé- dant vis-a-vis des réactions biochimiques des propriétés catalytiques semblables a celles du ferment soluble avaient été, quelques années plus tot, nommées enzy- mes. En revanche, dés 1828, une substan- ce entrant dans la composition d'organis- mes, l'urée, était synthétisée par Woh- ler. Cette svnthése était effectuée sans utilisation de catalyseurs biochimiques, par les seuls moyens de la chimie, A partir de ces découvertes s'est pro- gressivement définie la méthodologie propre de cette réduction, Par Ja média- tion et au dela de l’expérience hiologi- que, elle vise l'isolement et la détermi- nation des structures moléculaires des substances organiques, ainsi que I'iso- lement et la reproduction in nitro des réactions qui synthétisent et détruisent ces substances. Le systéme biologique parfait est constitué par l’organisme normal entier ; le systme bioehimique parfait est constitué par la réaction iso- lée transformant au moyen d'une enzv- me une substance en une autre, Ja structure étant connue pour la substance initiale comme pour la substance trans- formée. Entre ces deux systémes se trouvent une série d'intermédiaires. Les premiers respectent l'organisation cellulaire et sont des syst8mes biologiques fragmen- tés de plus en plus éloignés de l'orga- nisme initial, comme le sont par exemple les sytémes d’organes isolés, les coupes d’organes en survie, les cultures tissu- laires et cellulaires. Les seconds ten- dent vers les syvstémes biochimiques purs ; ce sont en particulier les brovats tissulaires ou cellulaires et les fractions sub-cellulaires que les progrés de l'ultra- centrifugation différentielle diversifient @ l'heure actuelle de facon considérable. Mais seul le systéme hinchimique atteint le niveau moléculaire qui est le terme du projet. De plus, des syst8mes chimi- ques purs, se situant bien entendu éga- lement au niveau moléculaire, sont capables de synthétiser des molécules identiques a celles constituant les orga- 29 nismes, mais cette synthése est opérée selon un schéma réactionnel différent puisque aucunes enzymes spécifiques n'y interviennent. Nous n’envisageons ici que quelques faits actuels relatifs aux structures des molécules, ainsi qu’aux systémes biochi- miques et chimiques, en laissant de coté les systémes biologiques, méme fragmen- tés, et en faisant toutes les habituelles réserves sur l’adjectif actuel dans une discipline aussi rapidement mouvante. Dans l'étude des structures moléculai- res, le fait majeur a été la mise au point de procédés permettant la déter- mination de la structure primaire de macromolécules, telles les protides, long- temps considérées comme inaccessibles & analyse parce que trop complexes ou méme trop proches de « l'essence de la vie ». Par structure primaire on entend la composition en molécules de base, en Toceurrence les acides aminés, le mode de liaison de ces derniers, et surtout leur position séquentielle' respective. L'analyse séquentielle a été mise au point en particulier par les travaux de Sanger qui a déterminé la structure de Vinsuline. En dehors de cette molécule, parmi les structures élucidées figure celle d'une enzyme, la Ribonucléase, qui dé- polymérise les acides ribonucléiques ; elle est composée de 124 acides aminés. La structure de la sous-unité de la pro- téine du virus de la mosaique du ta- bac (1) composée de 155 acides aminés, a également été déterminée, Etant don- née l'importance des enzymes comme des virus pour la connaissance des réactions Diochimiques, la détermination de ces deux structures était essentielle. Mais le nombre de macromolécules biochimiques dont la structure n'est pas élucidée est encore considérable. Dans le domaine des protéines en particulier, la plus longue séquence connue est la sous- unité du TMV; par conséquent, toutes les chaines possédant plus de 155 acides aminés demeurent indéterminées. L’ana- lyse séquentielle des acides nucléiques est également inconnue, La molécule d'ose intégrée dans leur chatne, selon qu’ll s'agit de ribose ou de désoxyribose, permet de distinguer les acides ribonu- cléiques (2) et les acides désoxyribonu- cléiques (3). La localisation cellulaire de ces derniers est strictement nucléaire, alors que les acides ribonucléiques se trouvent en petite part dans le noyau (1) TMV dans la suite du texte. (2) ARN dans la suite du texte. (3) ADN dans la suite du texte, 30 mais en grande part dans le cytoplasme. La spécificité des différents acides nu- cléiques est déterminée par la position respective des quatre bases azotées en- trant dans la composition de leur chaine c'est-4-dire l'adénine, la guanine, l'ura- cyl et la cytosine. Dans le cas de ARN du TMY, il a pu simplement étre déter- miné qu'environ 6500 bases entraient dans la composition de sa chaine. Mais on ne connaft aucune voie d’approche profonde de ce probléme central de Vanalyse structurale. L'étude des réactions biochimiques isolées in vitro a montré un certain nombre de caractéres. Elles sont ther- modynamiquement possibles et régies par un catalyseur, Ienzyme, dont la configuration stérique est adaptée a la structure des molécules transformées par la réaction. L'enzyme forme avec ces molécules un complexe dissociable, il agit non seulement comme un cataly- seur classique sur la vitesse de la réac- tion, mais, par sa configuration stérique propre, sur lorientation de cette réac- tion. Par ailleurs les systémes biochi- miques sont souvent régulés par l'inter- vention d'inhibiteurs qui bloquent I'en- zyme par la formation de systémes sta- bles. Les enzymes elles-mémes agissent d’ailleurs dans certains cas comme sub- stances transformées dans des systémes biochimiques secondaires qui souvent activent une forme inactive de l'enzyme. En outre les syst8mes biochimiques sont généralement couplés, le couplage étant toujours thermodynamiquement _possi- ble, c’est--dire qu'il intervient entre une réaction exergonique et une réaction en- dergonique. La réaction biochimique est done avant tout une réaction hautement régulée. Cette régulation met en ceuvre une programmation. Avant 1936 la réac- tion biochimique programmée simple était le canon idéal dans lequel on ten- tait d'insérer toute analyse des proces- sus biologiques, et la biochimie était parvenue a décrire en de tels systémes un grand nombre d’événements relatifs au métabolisme des glucides et des lipi- des, ainsi qu’au catabolisme des proti- des. Mais, comme nous I’avons vu, tout systéme biochimique renvoie & une pro- grammation cellulaire assurant constam- ment le contrdle des syntheses et des dégradations moléculaires. Le point ul- time des régulations demeurait cepen- dant inconnu, et l'on était dans la situa- tion paradoxale d'une programmation sans programmateur. En 1936, la cristallisation du TMV par Stanley, et In preuve apportée l'année suivante que le virus était une molécule de nucléoprotéine, a transformé non seu- lement la biologie tout entiére, mais par- ticuligrement 1a conception de la réac- tion biochimique programmée. Cette découverte montre la possibilité, pour une molécule chimique, extrémement complexe il est vrai, de se multiplier et @imposer sa contrainte d'autres sys- témes biochimiques. Cette contrainte particuliére est le fait de la configura- tion de la molécule ; nous désignerons par motif (4) la particularité de cet arrangement. Dés lors, la réaction biochi- mique programmée se divise en deux groupes fondamentaux, selon qu'elle pos- séde ou non un motif de référence con- traignant. Une série d’expériences effec- tuéés indépendamment par Brachet et Lingstrém-Lang ont prouvé que les aci- des ribonucléiques jouent un réle fonda- mental dans la synthese des protéines et peuvent par conséquent étre considé- rés en premiére approximation comme les programmateurs de ces réactions. Par ailleurs, en 1944, Avery découvrait la transformation bactérienne, c’est-a-dire la possibilité, pour des molécules d'ADN exemptes de protéines, de transmettre & une souche bactérienne les caractéres de la souche dont elles sont extraites. Les caractéres ainsi transmis se sont avérés étre héréditairement transmissi- bles. L'importance de cette découverte est fondamentale pour toute théorie de Vévolution des vivants, bien que son extrapolation aux métazoaires n'ait pu jusqu’a maintenant étre réalisée. L'en- semble de ces faits a conduit la biochi- mie & dégager un schéma général qui a commencé a étre explicité vers 1955. Dans ce schéma, le programmateur gé- nétique est 'ADN qui transmet sa_pro- grammation aux molécules d’ARN ; celles-ci & leur tour synthétisent les protéines, en particulier les énzymes dirigeant l'ensemble des réactions bio- chimiques & programmation simple. L'ARN viral est une exception a ce schéma puisqu’il est directement porteur de caractéres héréditaires. C'est a partir de cette exception qu’avaient été effec- tués les travaux fondamentaux de Stan- ley. C'est sur le méme ARN viral, celui du TMV, qu’en 1956 une nouvelle preuve éclatante de la fonction biochimique des ARN était apportée. A cette date, Gierer et Schramm, ainsi que Frankel-Conrat, ont prouvé que l'ARN extrait du TMV et (4) Motif est entendu du sens architectural. Nl traduit mieux que modéle les termes pattern et template. exempt de protéine était par lui seul capable de transmettre l'infectivité virale a Vorganisme parasité, non seulement en se reproduisant dans cet organisme, mais encore en y synthétisant sa propre protéine pour réconstituer la nucléopro- téine virale initiale. Le motif de l'ARN était par conséquent contraignant pour ces réactions. L'accumulation des preu- ves du role de l'ARN dans la synthése des protéines rendait nécessaire un nou- vel approfondissement du concept de réaction biochimique. En effet, & partir de la notion de motif, on pouvait distin- guer deux groupes : les réactions & mo- tif direct provoquant la réplication de la configuration moléculaire proposée, et les réactions & motif indirect ot la struc- ture de l'acide ribonucléique détermine par un codage la structure d'une autre molécule, en l'occurrence la protéine. A ce dernier type de réactions nous donne- rons le nom de réactions biochimiques & motif codé. Plusieurs systtmes synthétisant des ARN ont déja é6 isolés. Le premier d'entre eux, utilisant comme enzyme la Polyribonucléotide Phosphorylase, a été découvert par Ochoa et Grunberg-Mana- go. Il est capable de polymériser des mononucléotides mais requiert l'emploi a’un amorceur (primer), Il est probable que ce systéme ou des systemes analo- gues assurent dans l'organisme la répli- cation des différents types de molécules @ARN. Par ailleurs, ce systéme est ca- pable de réaliser en milieu acellulaire des polynucléotides synthétiques dont Vétude structurale et réactionnelle a joué un réle décisif dans le développement de la théorie en biologie. Un systéme enzy- matique capable de polymériser les dé soxymononucléotides a été découvert par Kornberg. Il agit également en présence dun primer et son role dans l'économie cellulaire est extrémement important. Comme nous l’avons vu, les réactions conduisant & la synthése des protéines sont des réactions & moddle codé. En effet, ln configuration moléculaire des chaines de nucléotides joue sur les posi- tions réciproques de quatre molécules alors que les chaines protidiques ont comme éléments de base de leur motif 24 molécules. L'étude de tels syst8mes en milieu acellulaire a commencé avec les travaux de Zamecnik et Hoagland. Ces travaux sont en plein développement, mais n'ont pu parvenir A réaliser des syntheses de protéines spécifiques totale- ment in vitro, En effet, des particules sub-cellulaires, les microsomes, semblent indispensables pour assurer la transmis- 31 sion de la programmation de ARN a la protéine ; en outre, dans les systémes ainsi réalisés, il a jusqu'a maintenant été extrémement difficile, sauf dans quel- ques cas, de prouver de facon rigoureuse la synthése d'une protéine spécifique. Une autre direction de recherche se situant dans le cadre du schéma général relatif 4 I'ADN, l'ARN, et les protéines, a suscité des travaux fondamentaux. En effet. des considérations concernant Ia composition nucléotidique des ADN et des ARN avaient amené ces derniéres années l'étude des réactions biochimiques codées dans des difficultés considérables. C'est pour les ‘surmonter qu’a été formulée par Monod et Jacob I’hypothese de l'ARN dit « messager ». Cette hypothése postule Vexistence d'un ARN a « turn over » rapide, ayant une composition nucléoti- dique similaire a celle de !'ADN et venant transmettre sur les microsomes le motif nécessaire & la synthése de la protéine. Le codage entre I'ADN et ARN devient alors simple et le trans- fert de la programmation génétique se trouve expliqué. Le probléme du codage est ainsi reporté aux relations entre VARN messager et la protéine. Cette hypothése est en voie de confirmation. Faute d'isolement de 'ARN comme de méthode de détermination de ses séquen- ces nucléotidiques, il ne peut étre envi- sagé d’étudier directement ce codage. Les polyribonucléotides synthétiques sont probablement en mesure de pallier ces difficultés. I] a ainsi pu étre déterminé que le positionnement dun acide aminé, la phénylalaline, est dd a un triplé de nucléotides dont’ la séquence serait ura- cyl-uracyl-uracyl- (UUU). Des travaux antérieurs avaient d'ailleurs laissé pré- voir qu'un triplé de nucléotides parait toujours nécessaire pour déterminer 1a position de chaque acide aminé. Tl semble que l'étude des systémes bio- chimiques & motif ait permis de péné- trer dans les processus de synthése qui régissent la naissance, le développement et la mort des celluies. Mais les trés graves lacunes qui subsistent dans ces études ont jusqu’ici empéché le fonction- nement de systémes biochimiques purs synthétisant des ADN spécifiques, des ARN particuliers ou des protéines égale- ment spécifiques. A fortiori, 1a pure 5} thse biochimique de nucléoprotéines vi rales est loin d’étre réalisée. En outre la découverte des réactions hiochimiques & motif semble assigner un terme au projet réducteur de la hiochimie. Son objectif est en effet pour linstant de construire des nucléoprotéines in vitro 32 mais non de novo, La nécessité d'un amorceur est peut-étre la transcription chimique de l'adage pasteurien : Omne vivum e vivo. Malgré de prometteurs tra- vaux, peut-étre fnut-il que cette étape soit réalisée pour aborder vraiment le probléme originel des origines. En fait la connaissance de l'évo- lution des organismes est directement _ lige a celle des programmateurs. Il est probable que la modification de ces der- niers peut transformer le matériel géné- tique. La preuve expérimentale en a été apportée pour les bactéries et les virus. Mais les causes, et a fortiori le sens de ces transformations génétiques, ne sont pas connues ; toutefois l’évolution par division des lignées moléculaires com- mence a étre repérée, en particulier nar les travaux d'Acher sur la vasotocine. L'étude de l’évolution introduira proba- blement dans les faits le concept de réaction biochimique a variation de motif. Comme nous I'avons vu, la synthése pour un trés grand nombre de molécules organiques peut également étre effectuée par des systémes de la chimie organi- «ue, et l'on peut considérer, en dehors méme de tout intérét pratique, qu'un certain achévement de 1a biochimie con- siste dans la production de substances organiques hors de l'intervention des catalyseurs enzvmatiaues. La synthése par voie organique de macromolécules est plus avancée que nar voie biochimi- que. Ce domaine a été ouvert par Ia production synthétique d'un octapentide naturel. locvtocine, nar Duvignaud, et certains dérivés obtenus par ces réac- tions chimiques sont d’ailleurs ultérieure- ment retrouvés dans les organismes. De- puis, une séquence de 39 acides aminés, réalisant wm nentide a activité corticn. trone. a été obtenue. Mais la chatne de la ribonucléase n'a nas encore nu étre renroduite. Les grandes chaines nolv- nucléotidiaues sont nour T'instant hors de la nortée de la chimie organicue. Ce- pendant, dans la mesure oi ce nrojet aurait une nossibilité d'étre réalisé, il serait la voie vers la svnthése totale. sinon de la « vie », tout au moins de molécules nrogrammatrices. Cet horizon @une réaction sans amorceur est peut- étre laccomplissement de la recherche biochimiaue, mais ce stade nécessite la résolution de problémes structuraux et réactionnels sitnés nour Minstant tout a fait au dela des movens de la pratique comme de la thgorie organique. Mais bien avant méme ce stade encore totalement spéculatif, la transcription chimique de la biologie conduit la bio- chimie au terme méme out est parvenue la chimie, 4 savoir la théorétisation de Vétude des structures moléculaires et des réactifs. La recherche des structures secondaires est le premier pas vers cette constitution d’une théorie. Elle doit dé- terminer le modale moléculaire géométri. que et dynamique permettant d’explic ter les propriétés physiques des molé- cules en termes d’élasticité et de rupture. Des travaux dus en particulier & Pau- ling sur la configuration hélicoidale des protéines sont caractéristiques de cette voie. Le sont également les études ana- lysant la topologie des liaisons existant entre l'enzyme et son substrat lors de Ja formation du complexe. La connaissance de cette topologie suppose connues, a Ja fois les séquences de la chatne respon- sables de cet attachement et dénom- mées centre actif, et leur position dans une structure tridimensionnelle. La dé- termination stérique du centre actif est encore trés imparfaitement élucidée dans le cas’de Ia seule enzyme a structure totalement déterminée, la ribonucléase ; mais comme la structure de son substrat. VARN, est encore inconnue. il est impos- sible d'établir ni la géométrie ni le mo- déle élastique de la réaction. Tl en va de méme pour les autres réactions hiochi- miques. Dans le domaine des structures secon- daires, une découverte considérable a été effectuée par Watson et Crick : la déter- mination de la structure bi-hélicoidale de T'ADN et la relation stérique des bases entre chaque enroulement. Ce schéma majeur a eu de trés nombreuses conséquences dans T'interprétation de rénctions enzymatiques avec motif. Il est cependant inexact d’y voir, comme cer- tains lont fait, 1'équivalent du modéle proposé par Bohr pour linterprétation de’ Vatome d*hydrogéne. I.'exnlicitation de la constante de Rydberg A laquelle elle conduit porte en effet le sceau de la théorétisation. En effet lintelligibilité du théorique ne réside pas wniquement dans le potentiel de prévisibilité qu'il engen- dre. il semble qu'il soit, & la limite, ha- bité par la nostalgie du transcendental et presque obsédé par une évidence qui se pourrait passer de l'annrohation de Vexpérience et n’étre que démonstration. La réduction d'une molécule A la méca- nique fondamentale des éléments qui In composent ne peut étre a l'heure actuelle que quantique : ce niveau permet seul & Ia molécule comme aux atomes la composant d°étre réduits aux relations quantifies de masse et de charge des particules. Il est certain q'un modéle purement stérique, méme trés appro- fondi, est loin d’étre déductible a partir de ces fondements. En outre, la molé- cule d’ADN est la plus complexe qui ait été rencontrée dans la nature et Vétude de sa structure séquentielle est, nous l'avons vu, & peine ébauchée. Tant dans le domaine des structures que dans celui des réactions, la théorie quantique de la chimie doit se résoudre & n’étre qu'approximation pour les molécules plus complexes que celle & deux électrons de Ihydrogéne dont Vanalyse théorique par Heitler et Lon- don demeure le schéma idéal de toute fonction d’énergie moléculaire. Toute- fois, ces schémas d’approximation ont conduit a [étude électronique d'un grand nombre de molécules, qu’elles soient synthétiques ou biologiques, sans bien entendu que la moindre différence ni dans les méthodes ni dans les résul- tats n’ait été enregistrée. La structure électronique des substances carcinogé- nétiques en particulier représente un apport important & la théorie. Les ma- cromolécules restent encore loin de ces structurations, et les interprétations électroniques de la réaction enzymatique nont encore pu, faute d’élucidations préalables, se déployer pleinement. C'est @ fortiori le cas des réactions biochimi- ques & motif, et il est inutile de montrer le caractére ‘illusoire qu'aurait une élu- cidation quantique d'un codage encore indéterminé ou d'une programmation in- connue. Malgré les difficultés théoriques ren- contrées, il est maintenant assuré que Vintelligibilité des réactions organiques parvient dans Je champ d’interprétation de la physique. L'unité pressentie de la physis devient réelle, et la fon- damentale étape franchie par les tra- vaux de Stanley sur la cristallisation du TMV n’a fait que renforcer cette conception. Sur notre planéte, pour le moment encore la seule connue sur ce plan, les réactions biochimiques forment un cycle réactionnel majeur, initiateur de contraintes considérables. Leur inté- gration A la physique ne peut étre qu'un événement scientifique d'une portée capi- tale. Faut-il penser que cette intégration est une identification, et que les lois déia connues de la ‘physique sont & méme de fournir Vinterprétation uni- taire aux processus naturels, tant bio- logiques qu’abiologiques ? Tl semble dif- ficile, pour deux raisons, de donner une réponse positive & cette question. 33 La premiére se rapporte a l'état méme de la théorie en physique. Il est impos- sible, apras les travaux de l’épistémolo- gie moderne, de parler de crise. En effet, il a été suffisamment prouvé que la crise était au cceur méme de la connais- sance scientifique. Néanmoins, il est in- contestable que de trés grandes difficul- tés ont été soulevées dans le secteur le plus fondamental de cette science. Tl suffit @évoquer les problémes suscités par l'unité du champ électromagnétique et gravitationnel, ou encore Ja théoriedes particules subnucléaires. Dans ce der- nier cas, en particulier, les difficultés qu’a rencontrées I'interprétation quan- tique conduisent A penser que ces sys- tames ne sont pas régis par de telles relations, ou tout au moins que ces relations doivent subir de trés impor- tantes modifications pour fonder la mé- canique des particules subnucléaires. Les réactions biochimiques intéressées, com- me d’ailleurs les réactions chimiques, par la couche électronique externe, ne ‘sont pas directement concernées par ces diffi- cultés, Néanmoins il serait hasardeux de réduire les faits biologiques A des sys- témes en voie de restructuration. La deuxiéme raison se rapporte direc- tement aux résultats atteints, tant expé- rimentaux que théoriques. Elle ne mon- tre pas une compléte superposition de la réaction chimique et de la réaction biochimique. Méme sous sa forme la plus simple, cette dernigre est régie par des catalyseurs configuration stérique relativement spécifique et ce caractére s'acerott dés que l'on aborde les réac- tions donnant naissance aux program- mateurs eux-mémes. Le triomphe de la pensée physico- chimique est certes total dans son exi- gence et dans son intransigeance a Tégard des forces ou des principes vi- taux, mais il ne semble qu'apparent dans sa formulation actuelle. On comprend parfaitement dans ces conditions que la pensée scientifique contemporaine ait été amenée a suppo- ser I'existence de lois plus générales dont les systémes connus ne constitue- raient que des cas particuliers. Ces idées ont été en particulier soutenues par Bril- louin, I] est incontestable qu’elles susci- tent et susciteront de nouvelles recher- ches. Toutefois, la mécanique des sys- tames biochimiques est peut-ttre simple- ment spécifique de ces systémes et I’unité de la nature pourra étre pensée dans une étape ultérieure comme coexistence de différents syst8mes, sans émergence d'un quelonque englobant. La pru- 34 dence doit en particulier se manifester a I'égard des conceptions comme la cy- bernétique et la théorie de l'information. Malgré leur intérét tout particulier et les rapprochements fructueux opérés, Louis de Broglie a admirablement montré que ces deux disciplines ne peuvent consti- tuer le cadre d'une théorie de la biolo- gie. L'information de la théorie du mé- me nom n’est pas superposable a la pro- grammation que recéle la structure de certaines molécules biochimiques. Il se- rait également exagéré de procéder par analogie et de penser que la physique se biologise en méme temps que la biologie se physicalise. Cependant, il est incon- testable que semblable hypothése épisté- mologique propre est a introduire des concepts comme ceux de programmation, de régulation et de norme dans les scien ces de la nature. La vérité d'une attitude vitaliste réside dans sa méfiance a I’égard des conclu- sions trop hatives qui pourraient étre tirées de théories physiques relatives & Vexplicitation de la vie, de son origine, de son sens. Il suffit de rappeler que Vétat des connaissances en biologie avant la découverte des programma- teurs était trés incomplete, ét on ne peut s'empécher de penser que, malgré les progrés radicaux récents, il en est pro- bablement encore de méme pour nos conceptions actuelles. En revanche, il y a dans la pensée vita- liste la tentation d'une mauvaise cou- pure. Souvent cette pensée n’hésite pas & fragmenter la nature en deux secteurs : T'un serait connaissable parce qu'acces- sible & l'expérience de la causalité, alors que lautre resterait & jamais caché. Cette conception tente de se justifier au nom d'une certaine familiarité de l’en- tendement pour le solide et le géométri- que. Elle a toujours comme corollaire la nécessité d'une compréhension pure pour saisir « l'essence » de la vie. Il s'agit 1a probablement de la conséquence ultime des philosophies de la conscience posant Ventendement devant le monde. Tout au contraire, dans et par I'expérience de la théorétisation de la biologie, la pensée doit apprendre & retrouver I'unité, mé- diatisée il est vrai, de I’étendue, méme si elle sait que sa géométrisation par. faite ne peut étre que trés fragmentaire. Cette exigence d’unité n'implique aucu- nement l'identification des processus ren- contrés dans la nature, mais bien plutot la certitude d’une nécessaire diversité, Jean CHOAY. AU-DELA DE LA METAPHYSIQUE La question « Qu’est-ce que la méta- physique ? » reste une question. La pré- sente postface est pour celui qui persiste dans la question une plus originelle pré- face (1). La question « Qu’est-ce que la métaphysique ? » questionne par-dela la métaphysique. Elle surgit d'une pensée qui est déja entrée dans le aépassement de la métaphysique. Il est de l'essence de tels passages qu’ils doivent encore, dans certaines limites, parler le langage de ce qu'ils aident a dépasser. La conjoncture particuliére dans laquelle est débatiue la question portant sur I’essence de la métaphysique, ne saurait conduire & Vopinion que ce questionner est tenu de prendre son départ dans les sciences. Avec d’autres modes de la représentation et d'autres sortes de la production de V'étant, la recherche moderne est engagée dans le trait fondamental de cette vérité, selon laquelle tout étant est marqué par la volonté de volonté, dont la « volonté de puissance » qui la préfigurait a signalé Vapparition. La « volonté » comprise comme trait fondamental de l'étantité de Vétant, c'est I'équivalence posée de V'étant avec le réel, si bien que la réalité du réel est ramenée & la fabricabilité inconditionnelle de lobjectivation géné- rale. La science moderne ne sert pas plus un objectif & elle seule proposé, qu'elle ne cherche une « vérité en soi ». Elle est, en tant qu'un mode de T'objectivation calculante de I'étant, une condition posée par la volonté de volonté elle-méme, grace & laquelle celle-ci assure la domination de son essence. Mais comme toute objec- tivation de I’étant passe dans l’équipe- ment et la consolidation de l’étant et (D) Qu’est-ce que la métaphysique ? est le titre de la conférence inaugurale que pro- nonca Heidegger, le 24 septembre 1929, lors- qu'il devint professeur de philosophie a YUniversité de Fribourg-en-Brisgau. Le texte parut la méme année A Bonn, Henry Corbin en donna une traduction francaise dans Qu'est-ce que la métaphysique ? (Gallimard, Les Essais. 1938). A la quatrime édition (1943) de Vopuscule, Heidegger ajouta une Postface qui est ici traduite pour la pre- miére fois en francais (selon la 5¢ édition, de 1949); c'est nous qui V'intitulons Au-deld de la métaphysique, Elle doit paraitre dans un des volumes des CEuvres complétes de Heidegger que prépare Gallimard. (N.d1R.). tire de celui-ci les possibilités de son pro- grés, lobjectivation persiste dans I'étant et tient déja celui-ci pour I’Etre. Tout rapport avec I’étant atteste ainsi un savoir de l'Etre, mais en méme temps Vincapacité &-se tenir de lui-méme dans la loi de la vérité de ce savoir. Cette vérité est la vérité sur I'étant. La méta- physique est l"histoire de cette vérité. Elle dit ce qu’est l'étant, en portant au concept I’étantité de I'étant. Dans l'étan- tité de I’étant, la métaphysique pense VEtre, sans toutefois pouvoir, selon le mode ‘de sa_pensée, penser (2) la vérité de I'Etre. Partout la miétaphysique se meut dans le domaine de la vérité de V'Etre, laquelle reste pour elle le fonde- ment inconnu et infondé. Mais supposé que, non seulement I’étant soit issu de l'Etre, mais qu’aussi et plus ‘originelle- ment encore I’Etre lui-méme repose en sa vérité et que la vérité de l'Etre déploie son essence comme I'étre de la vérité, alors il est nécessaire de poser la ques- tion de ce que la métaphysique est en son fondement. Ce questionner doit penser métaphysiquement et, en méme temps, penser a partir du fondement' de la méta~ physique, c'est-a-dire ne plus penser mé- taphysiquement. Un tel questionner reste, en un sens essentiel ambigu. Toute tentative de suivre la démarche de pensée de la conférence butera par la-méme sur des obstacles. Il est bon qu'il en soit ainsi, Le questioner en devient plus authentique, Toute question posée en conformité avec la chose méme est déja le pont jeté vers la réponse, Les réponses essentielles ne sont jamais que le dernier pas des questions. Mais ce pas ne peut étre accompli sans la longue série des premiers pas et des suivants. La réponse essentielle tire sa portée de Vinsistance (3) du questionner. La ré- ponse essentielle n'est que le commence- ment d'une responsabilité. En celle-ci, Je questionner plus originairement s’éveil- (2) Bedenken, (3) Instindigkeit. Voir : Le retour au fon- dement de la métaphysique, Préface ajoutée & Quest-ce que. la métaphysique? a partir de la 5¢ édition (1949); tr. fr, de Roger Munier, in Revue des sciences philosophi- ques et théologiques, no 3, 1959, (N.d1R.). Ey le. C'est aussi pourquoi la question authentique n'est pas supprimée par la réponse trouvée. Les obstacles & J’intelligence de la conférence sont de deux sortes. Les uns naissent des énigmes qui se célent dans le domaine de ce qui est ici pensé. Les autres surgissent de l'incapacité, sou- vent aussi du dépit a l'encontre de la pensée. Dans le domaine du questioner pensant peuvent servir parfois des per- plexités passagéres, et sans nul doute celles qui font l'objet d'un examen atten- tif. De grossiéres méprises sont également de quelque fruit, méme quand elles sont proférées dans la violence d'une polémique aveugle. Il faut seulement que la réflexion raméne tout au calme de la méditation longanime. Les perplexités et les méprises prédo- minanies touchant cette conférence peu- vent se grouper sous trois chefs. On dit : 1) La conférence fait du « néant » (4) Vunique objet de la métaphysique. Or comme le néant est le nul pur et simple, cette pensée conduit l'opinion que tout est néant, de sorte qu’il ne vaut la peine ni de vivre ni de mourir. Une « philoso- phie du néant » est le nihilisme achevé. 2) La conférence érige une disposition isolée et de surcrott pénible, l'angoisse, au rang d’unique disposition fondamen- tale. Or comme l'angoisse est l'état psy- chique des « anxieux » et des pusillani- mes, cette pensée nie l’attitude résolue de la vaillance. Une « philosophie de Vangoisse » paralyse la volonté d’action. 3) La conférence se prononce contre 1a « logique ». Or comme l'entendement renferme les mesures de tout calcul et classement, cette pensée abandonne le jugement sur la vérité & la disposition fortuite. Une « philosophie du seul sen- timent » met en péril la pensée « exacte » et la sécurité de l'agir. La juste réponse A ces allégations se dégage d’un nouvel examen approfondi de la, conférence. Il suffit d’apprécier si le Rien qui dispose l'angoisse & son essence, s’épuise dans une négation vide de tout étant ou si ce qui jamais et nulle part n’est un étant se dévoile comme ce qui se distingue de tout étant et que nous nommons I'Etre. En quelque point que toute recherche explore I’étant et aussi loin qu'elle aille, nulle part elle ne trouve l’Etre. Elle n’atteint jamais que I'’étant, parce que d’avance, dans (4) Etant donnés les guillemets. je traduis ainsi, dans ce paragraphe. « das Nichts ». 36 le dessein de son explication, elle de- meure attachée a I’étant. Or I'Etre n'est aucune modalité étante affectant I'étant. L'Etre ne se laisse pas comme I’étant représenter et produire objectivement, Cet Autre pur et simple de tout étant est le Non-étant. Mais ce Rien déploie son essence comme I'Etre. Nous renongons prop précipitamment a la pensée lorsque, dans une explication simpliste, nous don- nons le Rien pour Je seul nul et l’équi- valons a ce qui est dépourvu d’essence. Au lieu de céder & pareille précipitation @une perspicacité vide et d'abandonner Vénigmatique ambivalence du Rien, il faut nous équiper pour I'unique disponi- bilité qui est d’expérimenter dans le Rien la vaste dimension ouverte de ce qui donne a tout étant la garantie d’étre. Crest I’Etre lui-méme. Sans I'Etre, dont Tessence insondable, mais non déployée encore, nous destine le Rien dans I’an- goisse essentiale, tout étant resterait dans la privation d’étre. Mais aussi bien, méme cette derniére n'est pas, comme abandon de 1’Etre, un néant ‘nul, s'il est vrai qu'il appartient a la vérité de VEtre que jamais l'Etre ne se déploie sans l’étant, que jamais un étant n'est sans l'Etre, L'angoisse accorde une expérience de V'Etre comme de l’Autre de tout étant, & supposer que par « angoisse » devant Vangoisse, c'est-a-dire dans la seule anxiété de la peur, nous ne nous déro- bions pas devant la voix silencieuse qui nous dispose a leffroi de l'abime. Tl va sans dire que si, lors du renvoi a cette angoisse essentiale, nous abandonnons arbitrairement la démarche de pensée de cette conférence, si nous détachons I’an- goisse, comme disposition par cette voix disposée, de la relation au Rien, seule nous reste langoisse comme « senti- ment » isolé, que l'on peut distinguer et dissocier d'autres sentiments, dans Tassortiment connu des états d’ame dont la psychologie fait son bien. Conformé- ment 4 la distinction simpliste entre « haut » et « bas », les « états d’éme » se laissent alors ranger dans les catégo- vies de ceux qui exaltent et de ceux qui dépriment. A l'ardente chasse aux « ty- pes » et « types opposés » des « senti- ments », aux variétés et subdivisions de ces « types », jamais la proie n'échap- pera. Mais a cette investigation anthro- pologique de I"homme reste @ jamais fermée la possibilité d’entrer dans la dé marche de pensée de la conférence ; car celle-ci pense, A partir de I'attention & In voix de I’Etre, en direction du dispo- ser venant de cette voix et qui revendique homme dans son essence, afin que dans le Rien il apprenne & expérimenter VEtre. La disponibilité & l'angoisse est le oui a Vinsistance requérant d'accomplir la plus haute revendication, dont seule est Atteinte l'essence de l'homme. Seul de tout I’étant, homme expérimente, ap- pelé par la voix de I'Etre, la merveille des merveilles : Que I’étant est. Celui qui est ainsi appelé dans son essence en vue de la vérité de I'Etre est par la-méme constumment disposé en un.mode essen- tiel. Le clair courage pour l’angoisse essentiale garantit la mystérieuse pos- sibilité de lexpérience de I'Etre. Car proche de l’angoisse essentiale comme effroi de l'abime habite I'horreur. Elle éclaircit et enclot ce champ de l’essence de l'homme, a l'intérieur duquel il de- meure chez lui dans Ce qui demeure. L'« angoisse » devant I’angoisse, par contre, peut s’égarer si loin qu'elle mé- connaisse les relations simples dans I'es- sence de l’angoisse. Que serait toute vaillance, si elle ne trouvait, dans I'ex- périence de langoisse essentiale son point d’appui permanent? Dans la me- sure ot nous déprécions I'angoisse essen- tiale et la relation de I'Etre a l'homme en elle éclaircie, nous dégradons I'essen- ce de la vaillance. Or celle-ci est capable de soutenir le Rien. La vaillance recon- nait dans l'abime de leffrot l’espace & peine foulé de I'Etre, a partir.de I’éclair- cie duquel seule, chaque étant retourne ce qu'il est et peut étre. Cette confé- rence ne cultive pas une « philosophie de l'angoisse », pas plus qu'elle ne cher- che a donner l’impression d'une « philo- sophie héroique ». Elle pense seulement ce qui, pour la pensée occidentale & son début, a point comme ce qui est a-penser et_cependant est resté dans l'oubli V'Etre. Mais I'Etre n'est pas un produit de Ja pensée. Bien plutot c'est la pensée essentielle qui est un événement de V'Etre. C'est aussi pourquoi la question a peine formulée se fait présent nécessaire, de savoir si cette pensée se tient bien dans la loi de sa vérité, quand elle suit uni- quement la pensée que la « logique » contient dans ses formes et régles. Pour- quoi la conférence met-elle ce terme entre guillemets? Pour indiquer que la « logique » n'est qu'une interprétation de lessence de la pensée, celle précisé- ment qui repose, comme le mot déja Vindique, sur l'expérience de I’Etre at- teinte dans la pensée grecque. La dé- fiance envers la « logique », dont la logistique peut étre considérée comme Ja naturelle dégénérescence, surgit du savoir de cette pensée qui trouve sa source dans V'expérience de la vérité de I'Etre, et non dans la considération de Wobjectivité de I’étant, Jamais la pensée exacte n'est la pensée la plus rigoureuse, s'il est vrai que la rigueur recoit son essence de la maniére dont le savoir & chaque fois s'applique & maintenir la relation A l'essentiel de létant. La pensée exacte s'attache uni- quement au calcul au moyen de I’étant et sert exclusivement celui-ci. Tout calculer fait poindre dans le dénombré le dénombrable, afin de I'uti- liser pour le prochain dénombrement. Le calculer ne fait apparaitre autre chose que le dénombrable, Chaque. chose n'est que ce qu'il dénombre. Ce qui est & chaque fois dénombré assure la marche en avant du dénombrer. Celui-ci con- somme en progressant les nombres et se dévore Iui-méme contindment. La mise en ceuvre du calcul au moyen de l’étant vaut comme l’explication de l'étre de Vétant. D'avance, le calculer utilise tout étant comme le dénombrable et con- somme le dénombrer pour le dénombre- ment. Cette utilisation consommante de Vétant trahit le caractére dévorant du calcul. Ce n’est que parce que le nombre peut s'accroitre & l'infini, et ceci indis- tinctement en direction du grand et du petit, que I'essence dévorante du calcul peut se dissimuler derriére les produits de celui-ci et préter 4 la pensée caleu- lante l'apparence de 1a productivité, alors qu’en réalité, déja dans son intention, et non seulement dans: ses résultats ulté- rieurs, elle ne fait valoir tout étant que sous la forme de l'additionnable et du comestible. La pensée calculante s'oblige elle-méme a l'obligation de tout maitriser a partir de la logique de sa maniére de faire. Elle ne peut soupconner que tout calculable du calcul, avant les sommes et produits par ce dernier & chaque fois calculés, est déja un tout dont l'unité appartient certes & I’Incalculable, lequel se dérobe, lui et son inquiétant abime, aux prises du calcul. Ce qui toutefois, partout et constamment, s'est d’avance refusé a Ja prétention du calcul et néan- moins est en tout temps déja, dans une énigmatique inconnaissabilité, plus pro- che de !"homme que tout étant od I'hom- me fait ses plans et s'organise, peut parfois disposer I'essence de l'homme a une pensée dont aucune « logique » ne peut contenir la vérité. La pensée dont les pensées non seulement ne calculent pas, mais sont absolument déterminées 37 @ partir de'l’Autre de l’étant, je l'appelle 1a penséé essentielle. Au lieu de se livrer a des calculs sur I’étant au moyen de Fétant, elle se prodigue dans l'Etre pour la vérité de I'Etre. Cette pensée répond & la revendication de I'Etre, quand Vhomme remet son, essence historique & la réalité simple de I'unique nécessité qui ‘ne contraint pas, tandis qu'elle oblige, mais crée l'urgence qui s'accom- plit dans la liberté de l'offrande. L'ur- gence est que la vérité de I'Etre soit sauvegardée, quoi qu’il puisse/ échoir a Vhomme et A tout étant, L’offrande est le don prodigue, soustrait toute obli- gation, parce que s'élevant de l'abime de la liberté, de Iessence de "homme en vue de la sauvegarde de la vérité de VEtre pour, l’étant. Dans l'offrande ad- vient le merci celé qui seul honore la bienveillance en vertu de laquelle I'Etre s'est transmis & l'essence de l'homme dans la pensée, afin que l'homme assu- me, dans la relation a I'Etre, la garde de l'Etre. La pensée originelle est l'écho de la faveur de l'Etre, dans laquelle s'éclaircit et se laisse advenir l’unique réalité : que l’étant est. Cet écho est la réponse humaine a la parole de la voix silencieuse de l'Etre. La réponse de la pensée est l'origine de la parole humaine, parole qui seule donne naissance au lan- gage comme divulgation de la parole dans les mots. S'il n’était a l'occasion une pensée celée dans le fondement essentiel de l'homme historique, jamais celui-ci ne serait capable du merci, a supposer que dans tout penser et dans chaque -remercier, il doive bien y avoir une pensée, qui originellement pense la vérité de 1’Etre. Mais comment autrement une humanité pourrait-elle jamais ren- contrer le merci originel, si la faveur de I’Etre. n'accorde & l'homme, par la relation ouverte a elle-méme, la noblesse de la pauvreté en laquelle la liberté de Yoffrande céle le trésor de son essence? Lioffrande est le départ de I’étant dans la marche pour la sauvegarde de la faveur de I’Etre, L'offrande peut sans doute étre préparée et aidée par les tra- vaux et réalisations dans l'étant, mais elle n'est jamais par eux accomplie. Son accomplissement s'origine dans l’insis- tance, du sein de laquelle tout homme historique agissant — la pensée essen- tielle est aussi un agir — préserve Vexistence acquise pour la sauvegarde de-la dignité de I'Etre. Cette insistance est la calme assurance qui ne se met pas en peine de la disponibilité celée pour l’essence exodique de toute offran- de, L'offrande est chez elle dans l'essence 38 de l'evénement par lequel I’Etre ‘reven> dique homme pour la’ vérité de Etre. C'est pourquoi l'offrande ne tolére au- cun calcul par lequel ‘n'est & chaque fois escompté qu'un profit ou une perte, les buts soient-ils bas ou élevés. -Une telle supputation altare l'essence de l’of- frande, La hantise des buts trouble la clarté de horreur préte a l'angoisse du courage pour l'offrande, qui a pré- tendu au voisinage de I'Indestructible. La pensée de l'Etre ne cherche dans V'étant aucun appui. La pensée essentielle préte attention aux signes lents de I'In- calculable et reconnait en celui-ci l'im- mémoriale venue de I’Inéluctable. Cette pensée est attentive a la vérité de l'Etre et sert l’étre de la vérité de telle -sorte que celui-ci trouve dans l’humanité his- torique sa demeure. Ce servir n'a pas de résultats, parce qu’il n’a besoin de nul effet. La pensée essentielle sert dans l’existence comme insistance simple, en tant qu’au contact de celle-ci, sans qu'elle puisse en décider ni méme en avoir connaissance, son pareil s‘embrase. La pensée, obéissante a la voix de !'Etre, cherche pour celui-ci la parole & partir de laquelle la vérité de I'Etre accéde au langage. C'est seulement lors- que le langage de l'homme historique surgit de la parole qu’il est d’aplomb, Mais s'il se tient d’aplomb, alors lui fait signe la garantie de la voix silen- cieuse de sources cachées. La pensée de V'Etre veille sur la parole et dans une telle vigilance remplit sa destination, Crest le souci pour l'usage de la langue. Du mutisme longtemps gardé et de Vélucidation patiente du domaine en lui éclairci vient le dire du penseur. Dune méme origine est le nommer du potte, Toutefois, comme le semblable n'est semblable que comme le différent, si le dire poétique et la pensée le plus purement se ressemblent dans le soin donné @ la parole, ils sont en méme temps dans leur essence séparés tous deux par la plus grande distance. Le penseur dit I’Etre. Le poéte nomme le sacré. Quant a savoir comment, si on le pense & partir de l'essence de I'Etre, le dire poétique, le merci et la pensée renvoient l'un & l'autre et en méme temps sont distincts, la question ici doit rester ouverte. Il est probable que merci et dire poétique surgissent de manitre différente de la pensée originelle, qu'ils utilisent, sans toutefois pouvoir étre pour soi une pensée, On connait sans doute beaucoup de choses sur les rapports de la philosophie et de la poésie, Mais nous ne savons rien du dialogue entre pote et penseur qui « habitent proches sur les monts les plus séparés ». Une des demeures essentielles du mu- tisme est l'angoisse au sens de l'effroi auquel l'abime du Rien dispose l'homme. Le Rien comme Autre de I’étant est le voile de I'Etre, Dans Etre, originelle- de Sophocle, prend fin sur une parole qui, de facon fulgurante, se retourne vers Vhistoire celée de ce peuple et réserve lentrée de celui-ci dans la vérité incon- nue de l’Etre : Mais cesses maintenant, désormais Ne réveillez la plainte ; Car partout UVAdvenu tient prés de soi gardé une décision d'accomplissement. jamais plus ment, tout destin de l'étant déja s'est accompli. Le dernier poéme du dernier pote de Vhéliénisme originel, 1'Edipe d Colone Martin HEIDEGGER. (Traduit de V'allemand par Roger Mower.) CAHIERS DU SUD Paraissant 6 fois par an Sont, avec leurs quarante-huit années d’existence, l'une des plus anciennes revues francaises, mais demeurent toujours l'une des plus jeunes. Ont conquis une audience internationale. Ouverts largement aux jeunes auteurs, ils s'attachent aux ceuvres de qualité, aux grandes valeurs de notre culture. Leurs plus récents « frontons » : Réflezions sur Chateaubriand (N° 357) ; Symbolique du temple égyptien (N° 358) ; Constantes du thédtre poétique anglais (N° 359) ; Albert Béguin et l'dme romantique (N° 360) ; D'une esthétique contem- poraine (N° 361) ; Joé Bousquet ou le recours au langage (N°* 362-3) ; Apprentis- sage d'Eluard (N° 364) ; Poésie (N° 365). Administration-rédaction : 10, Marseille. C.C.P, Mar- seille 137-45. Abonnements : France et Colonies : 18 NF, Etranger : 21NF. Le numéro : 3,60 NF. Correspondante @ Paris : Mm S.-H, Mottez, 79, rue du Bac (7). LIT 85-19. C.CP. Jean Ballard 13.550-58 Paris. cours d’Estienne-d’Orves, DIALOOG Revue flamande de philosophie A publié et publiera des textes de Léopold Fiam, Léon APosTet, Kostas AXELOS, Jean et Paul Goossens, Max Lonrau, etc. 4 numéros par an, Rédaction-administration : Kammenstraat 72, Anvers, Belgique. L’AUTO-DEPASSEMENT DIALECTIQUE DE LA « PHILOSOPHIE Crest le sort de l’époque post-idéaliste que de ne plus connaitre ni reconnaitre le sol od elle se fonde elle-méme en fait et conerétement. Il est vrai qu'alors, Vhistoire et Vhistoricité deviennent des thémes philosophiques ; c'est déja le cas pour l’« Ecole historique », d’ot sort toute la science historique ‘moderne ; mais avant tout, c'est le ‘cas. pour la pensée de Wilhem Dilthey, qui se pose le probléme nouveau du « relativisme ». Pourtant, les tentatives de Dilthey pour surmonter la dislocation de la philoso- phie en instituant une multiplicité des visions du monde, ces tentatives de- meurent étroitement dépendantes de la problématique du relativisme. Son cen- tre : la totalité de la vie qui se déploie en mouvements générateurs d'histoire et en leurs types, qu'elle améne de ma- nigre si magistrale & s'exprimer; ce centre est tout nourri de la vision hégé- lienne de W'histoire, sans pourtant en assumer les contenus métaphysiques. Ne reste qu'une « atmosphére métaphy- sique », dans laquelle Dilthey se com- plait, face a la puissance de la méta- morphose historique. Renoncer a toute réponse ultime au probléme de la signi- fication que prend pour nous la totalité de l'histoire, ce renoncement étant consi- déré comme nécessaire pour ‘la raison que « la construction hégélienne est rui- née », méne tout droit & abandonner méme la question du sens de l'histoire. Nous avons signalé que Marx est, au moins fragmentairement (dans son expli- cation avec Feuerbach), conscient des présuppositions historiques de sa propre conception métaphysique. Dans ce qui précéde nous n’avons pas abordé Marx, parce que son systéme n’est pas, comme ceux de Kierkegaard et de Nietzsche, transparent au point qu'une simple men- tion de sa position spécifique par rap- port au probléme post-idéaliste de la médiation puisse suffire & nous le révé- ler pleinement. Pourtant, il est possible de montrer que la pensée de Marx, non seulement ne s'oppose pas a ce qu’on la replace dans le contexte que nous avons cerné plus haut, mais bien plutét I'exige- rait méme. Marx part de I’« homme pro- duisant », et il pense ce point de départ 40 DE LA SUBJECTIVITE » jusqu’a son terme : « Mhomme pro- duisant l'homme. ». Or, précisément, ce point de départ — comparable au « niveau éthique » de Kierkegaard, & « Vimmédiate auto-médiation » — ‘est élevé a quelque chose de plus haut et de différent : Marx concoit le « matérialisme dialectique-historique ». Ce que signifie ici « matérialisme » ne se comprend pas de soi, pas plus que ce que. signifie la « puissance » chez Nietzsche. Matérialis- me, cela ne signifie pas seulement que Vhomme dépend des circonstances éco- nomiques ; c'est au contraire, précisé. ment, cette dépendance qu'il faut juger sévérement. L'allure de fétiche que prend la marchandise, ainsi que sa. conséquen- ce, la déshumanisation de l'homme, doit étre surmontée par l'homme producteur lui-méme, @ qui tout doit étre soumis sous forme de matériel. De cette suppression de I’aliénation, il faut maintenant distinguer la relation — essentielle dans notre contexte — de "homme a la matiére se développant dialectiquement (la matiére étant l'absolu qui, en tant que tel, régit méme l’hom- me producteur): « fondement de tout étant », surhumaine au sens de l'incom- préhensible, elle constitue U'opposé incon- ditionné de toute pensée et de tout pen. sable, Des lors, le probléme fondamental de Marx est de saisir comment I"homme producteur se comporte par rapport & cette « matiére ». Marx discerne dés Vabord quelque chose comme une diffé- rence fondamentale, une « différence ontologique » s'ouvrant entre les deux dimensions, Le probléme de Heidegger, « que V'étre peut bien se déployer sans Vétant. », mais qu’en méme_ temps « Vétre “ne se déploie jamais sans Vétant », ce probléme se trouve déja a l'état embryonnaire chez Marx, dans la mesure of la « matiére » renvoie & homme, sans pour autant dépendre de lui. Le matérialisme historique de Marx tente de penser l'histoire comme un tout qu'il n'est pas possible a l'homme de dominer, mais qui ne peut ni étre, ni advenir ‘sans homme. Mais que Marx détermine in concreto ce matérialisme comme dlalectique, qu’au contraire, done, de Heidegger, il « subjectivise » A nouveau ce qui est puissance d'histoire (la thatiére), cette « rechute » qui assu- jettit derechef l'histoire a un systéme de nécessité relativement facile & con- naftre, témoigne de la difficulté qu'll y a, dans le probléme du movens histo- rigue, & faire ressortir une solution qui puisse subsister au méme niveau que la vision idéaliste de l'histoire. Cela, c'est précisément ce qu’entreprend de faire Heidegger : poser la question de Vhistoire elle-méme, sans, au préalable et univoquement, y répondre par le re- cours & des rapports compréhensibles de nécessité. Heidegger s'expose & l'histoire elleméme, en prétant attention & ses « signes ‘inévitables », Au dela de la simple description phénoménologique de Vhistoricité de lexistence, il s'enquiert de Vhistoire elle-méme, en tant que ce qui traverse et porte I'existence histo- rique comme telle. Et ce quill y a de décisit, c'est que ce dépassement ne cherche pas & se cristalliser en une «métaphysique de histoire», mais qu'il est bien déterming, en tant que question, a Vendurance en’ un espace historique concret en vue d'appréhender cette histoire elle-méme en elle-méme. Mais la présupposition indispensable a cette appréhension, c'est I'« historici- sation » radicale, en laquelle nous com- prenons I’ «histoire de la philosophie » comme un proc’s nous concernant au plus prés, of nous nous tenons nous- mémes et qui nous détermine compléte- ment. La tentative de clarification historique paratt exposée & un double danger : dabord, par souci de ne pas se livrer & des ‘constructions prématurées, de s‘éouiser dans la simple relation du passé et, par Ia, de ne jamais laisser parvenir a la parole ce que signifie pour nous I'histoire ; ensuite, par crainte de manquer excessivement de direction, de surajouter au devenir un schéma qui, lui aussi, fasse se taire la force de Vassignation que nous adresse l'histoire. Concrétement : si nous abandonnons la métaphysique idéaliste de l'histoire, alors Vhistoire nous apparait comme le Heu de rassemblement de toutes les Weltan- schaungen. Et si nous professons que «,tout procéde selon la raison », alors nous ne rendons pas compte du siacle ae « contre-idéalisme » dans lequel nous ivons. Le proces nistorique lui-méme nous montre que la construction simple de Vhistoire comme esprit absolu en déve- loppement est, pour nous, parvenue & son terme; mais il nous montre aussi que précisément cet achévement, qui se produisit dans l'idéalisme allemand, ést la présupposition pour I'époque post- idéaliste, si bien que pour cette époque également, la « dialectique » déploie encore en secret son ragne souverain. Pour parler en gros : nous aussi, les post-idéalistes, nous n’avons pas encore derrigre nous'ce qu'on nomme le « sub- jectivisme » ; nous sommes au contraire soumis & sa loi, bien que d'une autre maniére. Ce qu’est cette loi du subjec- tivisme, cela ne peut devenir manifeste que lorsqu'on ne considére pas le sub- jectivisme simplement comme un proces- sus qu'il faut évaluer moralement, qu'il aurait éé possible d’éviter et qu'il im- porte maintenant de « nier » avec la derniére énergie. Le nier, cela montre précisément que nous ne sommes pas encore capables d’envisager, dans’ sa totalité, le’ sens de notre situation histo- rique. Que nous nous décidions 4 revenir aux ordres’ anciens, ou que nous pro- clamions de nouvelles directives, tou- jours nous présupposons la liberté de nous déterminer nous-mémes — la force avec laquelle nous sommes dominés par cette présupposition se révéle dans Vhybris qui nous fait qualifier d’erreur cing cents ou deux mille ans de notre histoire, La liberté de l’auto-détermina- tion est une apparence, et cette appa- rence tire sa force de la seule naiveté d'une immédiateté dans laquelle -nous nous fermons d la médiation appropria- trice de notre propre destin historique. Mais cette histoire nous apprend que ce ne peut étre notre tache de dépasser le subjectivisme sur le plan de la mo- rale; car toute tentative de nous déter- miner nous-mémes ne fait que nous enga- ger encore plus avant dans la « souve- raineté » subjectiviste. Mais il est tout aussi inconséquent d’attendre un ‘sauve- tage par des forces extra-historiques : une telle fuite se ferme par avance & tout destin historique. Ce qui peut dé passer le subjectivisme, en tant que des- tin historique, c'est seulement le subjec- tivisme lui-méme : le subjectivisme com- mence a se supprimer (aufheben) lui- méme par I'achavement de la subjecti- vité pure. Voila ce que notre histoire a proprement & nous dire dans, et par les derniers grands systtmes de la sub- jectivité pure. Le sens de ces systémes, Al nous l’avons vu, consiste A gagner une nouvelle compréhension de soi, dans la- quelle le sujet — point de départ — est reconnu et approprié comme tel. Dans, et par cette appropriation, la subjectivité s’appréhende son propre contact. Elle se découvre comme l’essence qui, en tant que telle, est orientée et axée sur soi. Ainsi, la relation & un principe sur lequel il faut clairement fonder, cette relation devient caduque. Ensuite, parce la subjectivité est fermée sur elle-méme, le rapport fondamental A un autre étant, mais avant tout aussi Je rapport fonda- mental @ soi-méme deviennent & leur tour caducs, car la subjectivité ne peut pas se fonder en soi-méme. C'est pour- quoi elle s'est surpassée jusqu’é ce qui Tui était autre. Mais, justement, cet autre n’est plus le fondement au’ sens d'un principe reconnaissable. Il ne peut devenir disponible au point que le sujet pourrait expliquer comment il se fonde dans ce fondement. Toujours, il se trouve déja comme « fondé » — V« acte » de la fondation divine, comme dit Schelling, est liberté sans fond. Il est important, du point de vue de Ja méthode, de bien comprendre qu’ici, la fondation toujours renouvelée, par un toujours nouveau principe, cesse pure- ment et simplement. Si l'on se sert de la différence élaborée par la philosophie idéaliste entre objet et principe, alors on peut énoncer que le principe d'une philosophie ne peut pas. en cette philo- sophie méme, etre objectivé, précisément parce que c'est son principe. Sa trans- formation en objet est effectuée par quel- que chose de nouveau et de plus haut, qui transmue tout ce qui a précédé en étape qu'il faut franchir pour accéder & ce nouveau principe. Cette toujours nouvelle élévation (Aufheben) est le progres, accomplissement méme du sub- jectivisme. Il doit étre effectué aussi longtemps qu’il est possible de transfor- mer un principe en étape. Quand cela n'est plus possible, c’est la fin de tout le mouvement. Mais cette fin, qui est atteinte 14 od le principe ne peut plus @tre abaissé principiellement, cette fin est acquise dans les systtmes étudiés ; car ici, le sujet ne peut plus supprimer (aufheben) le principe sans s'anéantir lut-méme, ce qui est impossible, vu qu’en se supprimant, il se pose cependant tou- jours déja. Ne reste que le mouvement dans lequel la subjectivité exprime pour elle ee fait, ce mouvement étant la trans- cendance du sujet par rapport & ce qui lui est autre, et le retour A soi-méme. 42 Cet achévement, nous le comprendrions irrémédiablement & faux, si nous y voyions quelque chose comme une au- tarcie dans laquelle la subjectivité, « pleine @hybris», se scléroserait sur elle-méme. Achévement signifie ici par- venir a la fin, et plus exactement encore : entrer dans ja plénitude de la fin, dans la per-fection. Dans cet achévement, il faut voir la limitation. Cette idée’ de Vachévement était familiére aux Grecs. Ainsi, pour exprimer la sublimité de Vétre, Parménide le compare & une sphére limitée de tous cdtés (Diels-Kranz 8, 42 sq.) ; et Platon fait signe, dans le Ménon, vers les rapports qu'il y a entre Textréme, la fin et la limite (75 a). Mais la perfection moderne se diffé- rencie de la perfection grecque. Elle est perfection par-faite. Entre elle et le grecque, il _y a le mouvement du sub- jectivisme, tel que nous l’avons sous les yeux in nuce dans le systtme du dernier Schelling : 1a suppression (Aufheben) de Yextérieur en intérieur, I'objectivation toujours renouvelée du principe, s'accom- plit ici jusqu’é essai radical, ‘pour la subjectivité, de se saisir elle-méme en tant que principe. Et c’est 18 que s'inau- gure la fin : le sujet se démontre évi- demment qu’il ne va pas plus loin; au cours de ce piétinement se produit la volte-face : de I’étre-extérieur sans repos a la paix de l'immobilité, ‘au calme d'un étre devenu, oit 1a subjectivité se concoit comme « nature ». Que Vesprit lui-méme devienne finale- ment nature, cela signifie qu'il est lui- méme retournée a une nouvelle simpli- cité, & une immédiateté médiatisée. Ce n’est plus Ja simple immédiateté du commencement ; celui qui pourtant s'imagine posséder encore cette immédia- teté, comme par exemple certains des post-idéalistes, celuila est repris, pour ainsi dire en sousmain, par Ia loi de la médiation. Cette nature médiatisée, l'achévement achevé, c'est la dialectique de Ia puis- sance impuissante ; en tant que telle, elle se trouve par rapport & elleméme en une tension singuligre. Comme nature médiatisée, le chemin pour un recul lui est interdit, et sa marche vers l'avenir paralysée, Les deux tentatives de dépas- sement en ramenent la logique interne au terme indiqué. Nietzsche l’exprime bien : « 0 le regard se précipite vers le bas et vers le haut ». Cette précipitation est Vhéritage du subjectivisme, de I'in- satiable .@tre-hors-de-soi en vue d’objec- tiver le pringipe. C'est le faix qui néces- sairement échoit & ces penseurs, parce quills proviennent du subjectivisme, et que, tous, ils sont encore originellement mus par son motif fondamental. Mais — et c'est cela qu'il faut méditer — c'est Yaccomplissement, et par 14, le passage & quelque chose de neuf, & un rapport avec l'avenir qui n'est plus marqué par Yappropriation suppressive de la dialec- tique. C'est donc aussi le passage A une relation au passé qui n’est plus réaction- naire, L'interprétation qui reprend ce mouve- ment demeure, en tant que telle, tou- jours en retrait par rapport & ces pen- seurs. Il lui convient donc de procéder avec prudence quand elle entreprend de représenter le résulat : I'« Ame », que devient Vesprit, « une expression pas précisément commune » (Schelling, XI, 475), et ses effets animants, déja esquissés dans la « Religion de la liberté », reli- gion qui « sans trait limitant, sans autorité ’ extérieure, de quelque ordre qu'elle soit, subsiste par soi-méme, parce que chacun y parvient librement, chacun par sa conviction propre, dans la me- sure o& son esprit ayant trouvé en elle sa patrie, appartient a elle » (XIV, 328); ce niveau johannique de réconciliation, ow toute aspiration dans laquelle le sujet veut se fonder est parvenue & la paix, n’est-ce pas cela que Schelling veut nous dire ? L’enfant jouant, dans son désinté- ressement, cet élément surhumain dans lequel l'homme, l’étre sans cesse tendu vers un but, est dja surmonté dans le cercle de l’éternel retour : n’est-ce pas 14 la véritable signification de Nietzsche pour nous ? Et Kierkegaard : n’a-t-il pas prétendu avec raison que le point central de sa « littérature » étaient les discours religieux dans lesquels il parle de la pa- tience de l'attente, o8 le coeur angoissé trouve la paix parce qu'il a compris le legon des lys dans le champ : ne plus avoir souci? Et n’est-il pas permis de dire que Heidegger est « radical » 1a ot il sait parler de I’ «appel» qui nous vient de I’étre, de la force inépuisable du sim- ple, ott est le savoir « que le renonce- ment ne prend pas, mais donne »? Le danger de malentendu est ici trés grand. Il éclate, si l'on ne fait pas le chemin depuis le commencement jusqu'a Ja fin, si, au contraire, on s'immobilise en chemin, au « point » du renverse- ment et si on comprend ce «:point » comme un lieu od un nouveau principe peut étre pris en main. Or nous avons déja succombé & ce danger. C'est en Dieu qu’on.a mis en évidence le mouve- ment de Schelling ; ce Dieu, oni I'a élevé au niveau de fondement originel de toute réalité, sans voir que, ce faisant, on réveillait pour une apparence de vie, en le modernisant un peu, le vieux prin- cipe du .summun ens, pourtant depuis longtemps supprimé ‘(aufgehoben). En ce qui concerne Nietzsche, on discute.le pour et le contre au sujet de la doctrine du Surhomme, comme principe de 18 puissance pure; que la puissance du surhomrfe soit la fin de la puissance de l'homme et de son fondement spon- tané, cela ne vient pas A V'esprit de la plupart ; en effet, que Nietzsche alt néces- sairement dQ professer un principe sur lequel on se fonde, voila qui est une pré- supposition allant de soi On a fait ressortir chez Kierkegaard la doctrine du Dieu « totalement » autre ; et l'on s'effor- ce maintenant, & l'aide de ce Dieu, de juger le monde sécularisé qui se ferme @ Dieu. Enfin, on parle avec emphase de I’« Etre », car on a découvert 1A un nouveau principe, & l'aide duquel, dans le schéma de la’ différence ontologique, -on « met en question radicalement » tous les fondement de le tradition occiden- iale. Cela signifie : on prend, dans ces systdmes, les points de renversément et on les isole pour en faire un nouveau principe. Voila alors ce qui reste de ces syst8mes de mouvement. Assurément, ce procédé in’est que trop compréhensible : c'est en effet I'essence du subjectivisme que de toujours rechercher un principe plus radical ; le motif de cette interpré- tation est pour ainsi dire I'« angoisse originelle »‘ du subjectivisme devant toute fixation et toute immobilisation. Les penseurs que nous avons nommés sont, eux aussi, déterminés par ce mo- tif, Ils se trouvent a la fin du subjecti- visme. Ainsi, ils ne sont pas innocents du « malentendu », Schelling parle de Dieu comme de la réalité véritable, au- dessus de la raison, et qui est ainsi le fondement qui fonde tout. Kierkegaard détache de la manitre la plus tranche Dieu de "homme; par rapport a Dieu « nous avons toujours tort ». Et Hei- degger veut transcender la logique ou la théologie, parce que, seule, une « ques- tion plus originelle » peut amener une « fondation de la logique », ou la « pos- sibilité de faire l'épreuve d'un rapport & Dieu ». Tous ces efforts en vue d'un 43 fondement dernier dépendent, en tant que métaphysique de la métaphysique, du motif de la métaphysique, qui est de trouver un principe, ce principe pouvant étre soit Dieu, comme sujet supréme, soit létre débarrassé de toute subjectivité. Au regard de ce danger perpétuel de retomber en-decd du résultat réel, il convient d'accomplir le mouvement entier de l'appropriation de la subjectivité et de sa reconnaissance ; comme résultat, il faut n’en prendre que la fin : la décou- verte de la nature par-faite et média- tisée. C'est seulement a partir de ce résultat qu'il est possible de saisir cor- rectement I'essence du dialectiquement autre, & savoir qu’il n'est pas principe isolable, mais medium, miliew du mou- vement dans son ensemble, c’est-d-dire sa_médi-ation. C'est dans la doctrine bien comprise du milieu (medium) que se décide l’arrét par rapport au subjectivisme. L'essence du subjectivisme est la lutte entre objet et principe d’une philosophie, lutte qui ne cessé, avec l'assujettissement d’un principe, que pour recommencer avec Vélévation d’un autre, que menace d’ail- leurs déjé un nouveau déclin. C'est Ja surenchére continuelle pour la place de premier. Cette lutte insensée du subjec- tivisme se supprime dans la tension de la subjectivité achevée. Le principe de la subjectivité achevée est sa propre médiation qui lui appartient par essence, et qu'il est, par conséquent, impossible de supprimer. Voila ce qui permet & Schelling de dire que Ia raison qui s'est appropriée. son vrai contenu posséde désormais celui-ci « pour toujours ». Mais, comme dans cette intuition de Vachévement ressort puissamment I'im- possibilité interne d'une continuation du subjectivisme, c'est ici que grandit au maximum le trouble de ne plus pouvoir — au sens subjectiviste — retourner en arriére, ni avancer, C'est pourquoi aussi régne avec le plus de force le saisisse- ment d'un étre nouveau. Peut-étre, par- mi les penseurs que nous avons ‘cités, aucun n’a_ressenti comme Nietzsche cette situation de renversement. Nous avons signalé, dans le cours de nos analyses, que Nietzsche se situe de ma- niére trés singulitre : en effet, il ne veut plus de fondement. Assurément, l'expo- sition synoptique demandait qu'on mette en rapport ce « ne plus vouloir fonder » avec la volonté de fondement qui est, historiquement, {a position originelle. a Mais il faut, en méme temps, reconnaftre que ne plus vouloir fonder, en tant que négation, met en question la volonté originelle du subjectivisme, qui est de s'assurer de l'objet en le comprenant. Nietzsche est prét au déclin. Dans sa pensée, la grande libération que signifie Tachévement du subjectivisme est pro- prement accomplie. Nietzsche sait que le surgissement du nihilisme est inévitable, avec le vide qui se crée, quand devient évident que toute instauration de valeur, comme entreprise subjectiviste de fonder quelque chose sur de fermes principes, est désormais impossible. De 1a, il tire la seule conséquence possible : il aban- donne homme, en tant qu'étre tendu vers un but, et le reprend, le voit repris comme étre limité, achevé. C'est Nietzs- che qui reconnatt expressément la signi- fication du cercle et du milieu, car il a compris que cela devient désormais le théme philosophique fondamental. Voila pourquoi c'est chez lui que la conscience de ce bonheur est la plus pure : au midi, ou le monde est parfait, « sphére bien ronde, sphére d'or ». Nietsche savait que c’était son destin de parcourir le véritable avenir : « com- me esprit d’un oiseau augural, qui regarde en arriére lorsqu'il conte ce qui vient ; comme premier nihiliste parfait de l'Europe, mais qui a déja vécu en lui-méme le nihilisme jusqu’é sa fin, — qui I’'a derriére lui, sous lui, en dehors de lui » (Volonté de puissance, Avant- propos, 3). Nietzsche a payé son regard de prophéte par la folie, Au vu d'un tel destin, il est inconcevable de vouloir se calculer une position nouvelle & partir des résultats ultimes de Nietzsche et des autres penseurs, afin de s'y installer. Ces expériences ne sont que pour celui qui prend sur lui de faire tout le chemin. Il n'y a pas non plus de paralléles aux- quelles on puisse ici se tenir, méme dans le monde grec, car la nature y était immédiate, et elle avait encore devant elle le chemin légitime et nécessaire du subjectivisme. Tout aussi obscure est la yelation que peut entretenir la subjec- tivité achevée avec l'autre étant, quand le mode de relation antérieur, c’est-A- dire la suppression (Aufheben) n'est plus possible, Nous devons seulement nous préparer peu & peu a ce qu'il y ait d'autres modes de relation a l’étant. Cela déja parait difficile, car nous sommes toujours en danger d’interpréter de ma- nigre subjectiviste, comme autarcie, la nature achevée, au lieu de voir que, com- me cercle, dans son achévement, elle ne

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