Intervention de Jean Pierre LEBRUN
Philippe RASSAT, Directeur Médical du CMPP de Cognac:
Eh oui c’est vrai que cette question - Mais deux parents a quoi ca sert ? -
en voila une dréle de question. En deux mots, nous sommes trés, trés
content d’accueillir Jean pierre LEBRUN psychanalyste, belge, donc, un
peu en retrait par rapport 4 nous, qui a écrit beaucoup de choses depuis
1997 ov il a sorti « Un monde sans limite », livre qui a été une ouverture
pour tous ceux qui trouvaient que le politiquement correct nous
entrainait peut-étre dans une direction qui n’était pas forcément la
meilleure.
Aprés ily a eu plusieurs livres notamment « L’homme sans gravité >,
« La perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui » qui est une
question de plus en plus présente, et le dernier livre « Les couleurs de
Yinceste, se déprendre du maternel » qui est aussi une question de plus
en plus pressante, et je crois que c’est un peu autour de ca que va
intervenir Jean Pierre LEBRUN.
Jean-Pierre LEBRUN :
Bien. D’abord merci, beaucoup, de m’avoir invité A Cognac ov je n’étais
jamais venu, c’était l'occasion ou jamais. J’ai donné comme titre « Deux
parents @ quoi ca sert », alors je vais vous dire directement & quoi ca sert
et puis aprés j‘essaierai d’expliquer pourquoi je pense ca. Ca sert a rendre
possible A enfant de soutenir sa propre parole. Qu’est-ce-que ca veutdire, comment je peux le dire, je viens d’entendre que le savoir posait
toute une série de questions ; eh bien malgré tous les savoirs que vous
pouvez connaitre, malgré tous ceux que vous pouvez apprendre, malgré
tous ceux que vous savez, il faudra quand méme bien que vous supportiez
de soutenir votre propre parole a partir du fait que vous ne savez pas, en
tout cas, pas tout.
Il n’y a pas d'autres solutions. Si vous voulez prononcer - j’espére bien
sdr que la plupart d’entre vous Vont déja prononcé - la célébre formule
« je taime », il n’y a pas d'autres possibilité que de reconnaitre, que
malgré toutes les qualités que vous avez identifiées chez celui ou celle a
qui vous dites ce genre de chose, vous devrez bien finir par reconnaitre
que vous ne savez pas trés bien d’oit est- ce que vous avez tout 4 coup
sorti cette phrase, et qu’en plus de ca, vous avez eu le courage de la
soutenir, de l’énoncer d’abord, parfois ga demande du courage, et de la
soutenir ensuite, de prendre acte de ce que vous l'avez dit.
Autrement dit, c’est encore une autre fagon de le dire, l'enfant ce non-
parlant, au départ de la vie, il faut qu'il arrive a soutenir sa parole, mais
pas seulement une parole qui soit capable d’articuler des choses, bien
stir, ga fait partie de la donne, mais qu’en plus de cela qu’il puisse la
soutenir a partir de son trou dedans, je le dirai comme ga. C’est A dire de
ce manque de savoir, méme s'il est au dela de toute une série de savoirs
quil a constitué.
Jaime beaucoup la phrase que je vais vous lire de Valére NOVARINA,
que vous connaissez certainement, qui a écrit un texte assez superbe sur
Louis de FUNES et c’est dans ce texte qu’il dit ceci: « La parole peut
sembler utile pour communiquer, pratique pour désigner les outils,
mais ¢a n'est pas ¢a quelle est surtout, elle est surtout le signe que nous
sommes formés autour d’un vide, que nous sommes de la chair autour
dun trou et que le trou n'est pas devant nous comme une tombe par
exemple, ow il faudrait un jour tomber pour faire une fin, mais dans
nous , dedans, et que nous ne sommes pas ceux qui ont un néant pour
avenir, ga c’est le sort des animaux, mais ceux qui portent leur néant a
Vintérieur. Non ceux qui le néant est promis comme un futur qui nous
attend, mais ceux @ qui il a été donné, dés maintenant, comme quelque
chose qui est @ Vintérieur de nos paroles et de tous les animaux, nous
sommes les seuls qui avons ce trou a porter ».
Difficile 4 mon avis de mieux dire ce qu’est notre lot d’étre humain, a
savoir que nous avons a parler a partir de ce trou dedans, nous avons a
faire avec ce trou dedans. Ca demande bien stir quelques explications,
mais ¢a met tout de suite au coeur de la chose le fait de parler, c’est 4 dire
le fait de disposer du langage, ce que nous sommes les seuls animaux a
avoir. Je sais qu’on peut évoquer, je ne vais pas développer cela ici, qu’on
peut longuement parler de la différence qui peut exister entre certainslangages, ou ébauches de langage ou protolangage qui existent chez les
animaux, il n’empéche que nous sommes les seuls a utiliser, 4 avoir cette
disposition 4 la parole, au langage parmi le régne animal qui fait
dailleurs que nous n’en sommes plus tout a fait, méme si nous en
sommes toujours encore un peu.
Alors je vais proposer trois séquences. La premiére cest ce qu’il faut pour
assurer, pour arriver a aider un enfant a parler a partir de ce trou de vide,
de rien. Deuxiémement, comment comprendre que les changements
sociétaux rendent ¢a beaucoup plus difficile. Et troisiéme point, peut-étre
bien a partir de 1a, éclairer les effets cliniques dont vous-mémes vous
parlez déjaé dans Tannonce de votre journée, précisément,
particuliérement autour de ce que l’école devient un lieu de combat 4 cet
égard 1a particuligrement important.
Premiére chose, done, qu’est-ce qu’ il faut faire, qu’est-ce qu’ il faut
assurer pour arriver a ce qu’on puisse , pére et mére, aider un enfant a se
trouver en mesure de parler a partir de son propre trou, de son trou
dedans. Si je soutiens cette formule, c’est évidemment en référence a des
analystes, dont particuliérement a l’enseignement de LACAN, mais je ne
vais pas parler lacanien ici, je vais simplement essayer de vous montrer,
de vous indiquer ou de vous rendre sensible 4 un double renversement
qui me semble extrémement important a opérer, chez l'enfant pour qu'il
puisse passer de ce statut d’infans, de non parlant, a celui d’étre capable
de soutenir sa propre parole.
A mon ayis, il faut que s'opérent deux renversements et ces deux
renversements sont ceux-ci : le premier c’est qu'il faut passer de la
prévalence de la présence A la prévalence de l’absence et le second
renversement, c’est qu’il faut passer de la prévalence de la singularité a la
prévalence du collectif. Et figurez vous que ces deux choses la se passent
a travers et sont méme la définition méme de ce que parlerimplique.
Jexplique. D’abord, je dis remplacer la prévalence de la présence par la
prévalence de absence, qu’est-ce-que ¢a veut dire et pourquoi est-ce que
cela est si important. Eh bien, figurez vous qu’au début de la vie depuis
qu’entre autres Winnicott I’a trés clairement écrit, un nourrisson ga
n’existe pas, il n’y a jamais qu’un nourrisson avec une mére, une maman,
une personne, en tout cas, qui se substitue a elle. Nous savons bien - et il
nest pas compliqué de s’apercevoir - qu’un enfant laissé 4 lui-méme au
moment de sa naissance est condamné a une mort certaine. I] a besoin,
vu sa prématurité, du fait qu’il est entiérement dépendant pendant
longtemps de Penvironnement qui est le sien, de ce qui est autour de lui,
il a besoin de autre présent, mais cette présence va devoir petit a petit
faire place 4 de l'absence, au point méme que c’est cette absence qui va
devenir de plus en plus déterminante, parce que dans ce mouvement de
partir de la présence au début de la vie, ce qu’en général assure la mére,10
pour passer a absence du moment oti la vie s’avance et qu’a ce moment
1a on peut dire assez facilement que c’est plutét le pére qui représente ca
mais ¢a n’est méme pas nécessaire de l'indiquer comme ca, de toute
fagon ce qui se passe , c’est que se met alors en place une dialectique
possible entre la présence et l'absence qui est justement ce que veut dire
parler.
Parce que parler, c’est atre capable de faire venir ici ce qui n'y est pas. Le
président HOLLANDE ou Monsieur VALLS, eh bien il suffit que je les
évoque pour qu’ils soient avec nous. Et inversement, a l’encontre de ¢a,
¢a se paye d'un prix, imaginez-vous bien qu'il n’y aurait pas de journée de
Cognac si i] n’y avait pas la parole, il y aurait plein de choses qu'il n’y
aurait absolument pas, il n’y aurait méme peut-étre rien du tout, s'il n'y
avait pas cette capacité qui est la ndtre, cette capacité des étres humains
depuis homo-sapiens de commencer a parler. Eh bien cette capacité de
parole se paye d’un prix, d’un prix irréductible, incontournable que vous
connaissez tous, méme si vous n’avez pas V’habitude de le théoriser ou le
thématiser, c'est le fait que pour avoir une satisfaction complete,
saturante, pléniére, vous repasserez ! C’est fini, c'est terminé, ca ne sera
jamais présent dans votre vie, le seul moment ov peut-étre ce le sera, ce
sera le moment amoureux mais on peut déja prévoir que ca ne durera
pas. C’est absolument certain que, méme si c’est un moment od on peut
croire qu’on est dans la satisfaction totale, on sait trés bien qu’on devra
supporter que ce n’est pas tout a fait comme ga que ca va continuer,
puisqu’il faudra bien faire face et arriver 4 donner de la place a l’altérité
de l'autre.
Done, d’un coté la présence et absence, ca se dialectise. Cest ca les
mots. Les mots c’est faire venir quelque chose qui n’est pas 1a, ¢a se paye
@un prix qui est une sorte de renoncement, d’acceptation, de
consentement, de perte, de perte de la jouissance totale qui est d’ailleurs
ce qui est métaphorisé habituellement par la mére puisque dans toutes
les sociétés du monde, il ne faut pas rester collé 4 la mére, le destin de
Yenfant c’est tu quitteras tes pére et mére comme dit le texte biblique, tu
dois les quitter, tu dois les abandonner, les lacher, tu dois aller dans ta
vie a toi, ¢a fait done partie de la donne. Et vous connaissez tous sans
doute cette petite histoire de Freud avec son petit fils, avec le fort-da c’est
la méme chose, la clinique de la présence-absence, tout cela vient
indiquer, qu'il y a véritablement a devoir, quand on est un enfant, petit
petit, percevoir qu'il y a de l'absence dans la présence, il n'y a pas moyen
déviter, de contourner cette instance la.
ly aen plus un deuxiéme trait que je vous ai indiqué, il faut un autre
renversement, le premier venant dire ce que le langage indique, le
deuxiéme c’est la substitution de la prévalence du collectif 4 la prévalence
du singulier. Qu’est-ce que je veux dire par 14. Eh bien il] est heureux etuw
nécessaire, que l'enfant lorsqu’il arrive dans la famille, ce soit la merveille
du monde, de ses parents. Ca fait partie de la donne, il n’y a pas de
parent, ici, sans doute, qui n’ont pas eu ce sentiment qu’en mettant cet
enfant au monde, ils ont fait la chose la plus extraordinaire qu’ils ont pu
faire. Eh bien voila que cette merveille du monde au début de I’existence,
chose nécessaire pour l'enfant parce que ga va étre le jeu de son
investissement des parents, c’est a partir de la que ¢a va se passer, eh
bien petit a petit, il va devoir substituer la reconnaissance que malgré que
ce soit la merveille du monde de ses parents et qu'il I’ait été, il faudra
bien qu'il rentre dans la vie du collectif au titre de un comme tout le
monde. C’était dailleurs sans aucun doute une des indications des
spécificités que l'on peut donner a ce que dans l’école ancienne, il y avait
un uniforme, ga dit bien ce que ca veut dire, c'est 4 dire qu’au fond
malgré que vous soyez @origine aristocratique ou tout ce que vous
voulez, eh bien non pas du tout, au total vous avez la méme mouture,
vous étes un parmi les autres.
Cette mutation, ce changement de prévalence , ce renversement n’est pas
toujours simple a opérer et je vous signale par exemple qu'il s’opére de
nouveau dans la langue elle-méme, puisqu’au fond au début de la vie, au
début de lapprentissage de la langue ce que fait l'enfant, c’est parler une
langue qui n’est qu'un jargon, un jargon qu’il parle avec maman et papa,
voire avec maman toute seule ; et comme vous le savez, au moment ot il
va grandir, petit A petit va s’intégrer pour lui, non pas quelque chose qui
serait toutes les langues, mais au contraire une seule langue, peut-étre
deux, pas beaucoup plus, qui sont les langues dans lesquelles ceux qui
Tentourent ont leur propre culture . Vous savez d’ailleurs que l'enfant 4
propos de ce qu’il entend commence par étre capable a Ja naissance par
percevoir tous les sons de toutes les langues, mais trés vite il va perdre les
sons qui sont relatifs 4 toutes les langues qu’il ne pratiquera pas. Ainsi,
un enfant qui apprend le russe reste sensible a des sons pour lesquels,
nous qui sommes frangais nous ne le serons pas. Done ga commence
aussi par une perte a chaque fois. Mais cette perte permet du coup
davoir a disposition quelque chose qui est l’ensemble des phonémes de
la langue dans laquelle la culture a lieu, et petit a petit il va done
substituer a cette langue privée qui est celle du jargon avec papa-maman,
la langue qui est celle de la culture a laquelle il appartient c’est 4 dire une
langue qui existe avant lui. II n’y a personne ici dans la salle qui va dire
qu'il a inventé le frangais, c’est une langue qui existe avant lui ca veut
dire donc qu’il se référe d’emblée 4 de l’antériorité, 4 ce qui est avant et
qu'il assume de faire advenir la prévalence de ce collectif sur la
prévalence de sa singularité. Alors 1a, oui, 4 la condition qu’on l'aide a ce
faire, et vous avez déja vu ce type de petites histoires que je peux raconter
a cet égard, c’est 4 dire la maman qui vient avec son enfant, vous n’y12
comprenez pas grand chose parce qu'il parle un jargon tel que vous ne
comprenez pas ce qu’il veut dire, quand vous le dites A la mére, il arrive
que celle-ci vous réponde, de toute facon, moi, je le comprends. Avec un
topo pareil, c’est pas tout a fait aidant a ce que le collectif vienne mettre
sa marque et vienne imposer ce qui est nécessaire pour que T'enfant
puisse renverser cette prévalence.
insiste sur ces deux renversements c’est aussi pour vous rappeler, je
vous le rappelle comment Freud disait ce deuxiéme renversement, parce
que cet investissement massif des parents quand i] a lieu , et
heureusement qu’il a lieu d’ailleurs, parce que quand il n’a pas lieu ca
donne plutét des carences, mais quand il a lieu cet investissement de
Yenfant comme merveille du monde, Freud avait trés bien décrit ce que
était, il avait dit 'amour des parents si touchant et au fond si enfantin
nest rien d’autre que leur narcissisme qui vient de renaitre et qui malgré
sa métamorphose en amour d’objet, en amour de l’enfant, manifeste 4 ne
pas s’y tromper son ancienne nature. Et il ajoute quelque chose de trés
trés intéressant, il dit, il existe chez les parents devant l'enfant une
tendance 4 suspendre toutes les acquisitions culturelles dont ils ont
extorqué la reconnaissance 4 leur propre narcissisme. I] parle
dextorquer, ga veut done dire au fond que le parent, pour étre dans la
culture, a déja fait ce trajet qui consistait a faire ce renversement de
prévalence de cette merveille du monde, son propre narcissisme au profit
de la culture, et que c'est ca qui doit étre refait 4 l'occasion de la
naissance de l'enfant.
Vous voyez done que langage, langue et parole s’articulent tout a fait
dans cette évolution qui va du coup permettre, a partir de 1a, que Yenfant
puisse se soutenir de sa propre parole, de son trou dedans, trou dedans je
renvoie a l’inscription de l'absence et aussi a la discontinuité. La langue
implique le discontinu, 1a ot le sensible est continu, ce qui va faire que
vous n’arriverez jamais non plus a vous dire entiérement. Nous passons
notre temps a essayer de nous dire un peu mieux, un peu moins mal,
mais nous devons bien constater que nous n’arrivons jamais a dire
exactement ce que nous voulons dire, méme si parfois nous en sommes
satisfait, c’était d’ailleurs la raison pour laquelle LACAN a écrit cette
fameuse phrase, la vérité on ne peut que la mi-dire, on ne peut que la
dire a moitié.
Alors, mon deuxiéme trait, le deuxiéme point ot je voulais en venir,
qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui est arrivé, qu’est-ce qui arrive qui fait
qw’on a Vimpression que ces deux changements, ces deux renversements
qui sont nécessaires 4 ce que l’enfant puisse soutenir sa parole comme
adulte du trou dedans, sont mis en difficulté.
Je crois qu'il faut distinguer deux choses, la premiére c'est une évolution
sociétale dans laquelle nous sommes emportés, auquel personne ne peut13
quoi que ce soit et la seconde c’est deux mécanismes trés puissants qui
viennent contrer ce double renversement.
La premiére chose au fond, c’est que le modéle social que nous avons
aujourd’hui mis en place depuis environ une cinquantaine d’année est un
modéle qui fait rupture avec le monde hier, radicalement, et dans cette
mutation, ce changement profond, les repéres culturels qui. étaient
fournis aux parents pour les aider 4 soutenir ce double renversement se
trouvent disparus, ou quasi disparus.
Qu’est- ce que c’est que cette modification fondamentale qui a eu lieu,
qu’est-ce que c’est que ce changement sociétal, comment le lire ? Je le
lirai d'une maniére trés simple et je vais d’ailleurs vous en faire circuler
une image si vous voulez bien, je n’en ai qu’une malheureusement avec
moi. (Limage circule). On pourrait dire comme ¢a, vous savez qu’on était
organisé sur un modéle de lien social qui était trés fort articulé autour de
ce que la religion venait nous aider 4 soutenir. Quand je dis religion, je ne
parle pas de croyance ou de foi, je parle seulement d’organiser selon un
modéle de la religion, c’est 4 dire au fond un modéle pyramidal. La
société a été pendant des siécles organisée sur un modéle pyramidal, ca
veut dire qu'il y avait d’emblée une légitimité au sommet, et que, a partir
de ce sommet, une série de délégations avait lieu qui permettait
évidemment de profiter de la légitimité du sommet pour imposer une
série de choses. C’est évidemment le modéle patriarcal qui se retrouve 14
dedans, et c’est aussi effectivement le modéle de la religion, et vous savez
bien que nous avons petit a petit inversé, renversé ce modéle au profit
dun autre modéle, qu’aujourd’hui on peut qualifier bien a l’ceuvre dans
notre modéle de société, 4 savoir le réseau, parce que le réseau est
essentiellement horizontal et qu'il n’a done plus la légitimité spontanée
de ce sommet pour faire autorité, en quelque sorte. D’ot la crise
dautorité dans laquelle nous sommes. Et cette question de la pyramide
et du réseau a été bien mise en évidence par des juristes belges qui ont
écrit un ouvrage qui d’ailleurs s'appelle comme ga : « De la pyramide au
réseau » et dans lequel ils commencent par donner deux images qui
viennent rappeler ce qu’il en est de ces deux modalités de société.
La premiére c’est le frontispice dont l'image illustrait la premiére version
du « Léviathan » de HOBBS, c’est a dire précisément le premier modéle
sociétal non religieux , puisque HOBBS met fin a la théologie politique
mais par lequel quand méme on construit un modéle de société analogue
4 Ja religion mais sans se référer a elle, et il montre une figure d’ un
personnage tutélaire, au dessus d’un village qui a, la fois en main une
crosse et un glaive, et on voit trés bien la structure pyramidale qui
s‘organise dans ce modéle 1a. Et pour parler du réseau, de la société en
réseau, les juristes en question donnent Texemple d’un tableau
d@ ESCHER, que vous connaissez sfirement tous et qui est ce tableau qui14
lorsque vous le regardez, vous ne savez pas trés bien comment il faut le
regarder pour s’y retrouver. Eh bien c’est exactement ce qui nous arrive,
nous sommes en fait dans une société analogue a la perception d’un
tableau d ‘Escher, c’est 4 dire que vous avez tout le temps une facon de
regarder les choses qui peut étre contrée par une autre et encore une
troisiéme et vous passez votre temps 4 vous demander laquelle va
finalement prévaloir. Est-ce que c’est lui, est-ce que c'est moi et au nom
de quoi ce serait lui plutét que moi, et on est parti dans une sorte de
grande difficulté 4 nous organiser souvent a partir de la. Cette double
image que je vous fais passer, est passionnante par son évidence.
Done, ¢a c’est le point dans lequel nous sommes emportés et ca met
demblée, évidemment vous pouvez le comprendre, ca met d’emblée la
figure qui se référait 4 une instance du sommet dans une certaine
inopérabilité, puisque du coup on ne peut plus se référer a cette place du
sommet pour légitimer quoi que ce soit. Et vous comprenez bien que
dans ce cas 1a, y a pas de difficulté a saisir que l'instance paternelle qui,
elle, s’est toujours plutét référée a l’absence ou plutét référée a la société,
se trouve mise en difficulté, puisqu’elle n’a plus de légitimité dans le
discours sociétal pour intervenir de la méme facon, en tout cas, que surle
modéle dhier. Je n’en fais pas une catastrophe contrairement a ce que
parfois on voudrait me faire dire, je constate simplement, que vous le
vouliez ou non, que c'est comme ¢a aujourd’hui. C’est a dire qu'il y a une
grande difficulté. Il faut bien reconnaitre que l'instance _ paternelle
comme telle on ne sait plus trés bien of elle est et les péres eux-mémes
ils ne savent plus trés bien comment, od ils doivent fonctionner pour
essayer d'intervenir. Et vous voyez bien pourtant que, a travers ce que j'ai
dit du langage, le pére c’est au fond en général l’agent du langage, c’est lui
qui vient souvent par sa présence incarner qu’il y a cette fagon de faire et
de vivre la condition humaine que le langage exige, c'est lui, en tant que
précisément il se rapproche davantage de la question de l'absence et de la
question de la société.
Voila donc l’évolution dans laquelle nous sommes pris, c’est a dire
effacement des repéres culturels d’hier qui disaient aux gens comment il
fallait étre pére, comment il fallait étre mére. Aujourd’hui, débrouillez-
yous, on vous demande simplement d’étre parent, on ne vous dit méme
plus d’étre pére ou mére, il n’y a plus cette distinction pére/mére, on ne
sait plus trés bien ce qu’elle est, on a inventé ce terme de parentalité qui
vient méme laisser croire que l’égalité, concept tout a fait fondamental 4
Ja démocratie et tout a fait légitime, va se trouver d’emblée réalisée au
niveau des deux parents. Alors que si on y regarde d’un peu plus prés, il
est évident qu'il n’y a pas un seul couple au monde qui ne doit pas faire
face 4 de la dissymétrie, c’est 4 dire 4 ce que 4 un moment donné c’est15
Tun quia prévalence sur l'autre ou l'autre prévalence sur l'un mais on n'y
coupe pas.
Done ce n’est pas si simple de préconiser une sorte d’égalité comme ca
qui vaille pour tous au nom d’un principe, par ailleurs, qui a toute sa
légitimité.
L’autre chose que je voulais amener, c’est montrer qu'il y a deux
forces extrémement puissantes qui vont 4 l’encontre du renversement de
prévalence que je vous ai indiqué tout a l'heure. Ces deux forces, je
commence par la seconde a savoir celle ov il faut substituer la prévalence
du collectif 4 la prévalence du singulier, entendez aussi a la prévalence du
singulier, retour du narcissisme des parents, ¢a a directement rapport
avec la langue comme je vous I’ai dit tout a l'heure, et ca vient buter
contre une force extrémement puissante aujourd’hui qui exigel’égalité,
Alors, autant je trouve qu'il faut rappeler que la démocratie est un lien
social construit sur les lois de la parole, je ne vais pas développer mais on
peut démontrer ca, autant il faut rappeler que P’égalité démocratique
comme visée est sans limite, est illimitée, parce que dés que vous étes
dans le voeu d’égalité, vous ne pouvez évidemment cesser de tomber sur
des points qui ne sont pas dans l’égalité, ne fut-ce que la voiture de votre
voisin qui est plus forte ou plus puissante que la votre. Rien que ca, ¢a
justifie qu’a la limite on revendique a cet égard plus d’égalité. Donc, on
narréte pas, et si on est en toute logique de ce mouvement que je
n’appelle dés lors plus légalité démocratique, mais que j’appelle
Yégalitarisme démocratiste, ce qui est autre chose, ce qui est un excés
autrement dit, si on Tapplique a la lettre, vous ne pouvez pas, A un
moment donné, éviter de buter sur un point qui va finir par dire qu'il n’ y
a plus aucune raison qu'il y ait une différence de place entre parents et
enfants. Et c’est parfois un tout petit peu ce qui se passe, je caricature le
trait évidemment, mais il arrive bien souvent que l'enfant devienne de
plus en plus celui qui doit donner son avis ou qui intervient au méme
titre que les parents dans Yorganisation familiale. Au nom d’ailleurs
dune démocratie familiale qui viendrait du coup donner a penser ou
laisser croire que légalité démocratique devrait venir 4 bout de la
différence des places.
La je mets une objection forte parce que la différence des places n’est pas
doffice créatrice d’inégalité, jespére qu’en ce moment d’ailleurs, je
monopolise la parole, je suis le seul a parler, je suis le seul locuteur et
vous étes les auditeurs, et j’espére que vous ne pensez pas pour autant
que nous ne sommes pas tous foutus de la méme fagon et que nous
n’avons pas pour autant, que nous ne sommes pas pour autant égaux.
Mais attention, s‘il n’y a plus la différence des places et vous trouvez ¢a
dans la clinique de la vie de l’équipe, par exemple, tout le temps , si vous
ne respectez pas l’existence d’une difference des places et que dés qu'il ya16
différence des places vous la condamnez, vous la discréditez au nom de
Vinégalité, 4 ce moment 1a vous n’en sortez plus, vous étes comme dans le
tableau d’ESCHER avec tous les mouvements et vous n’arriverez plus &
en sortir, vous ne saurez plus au nom de quoi trancher dans un probléme
et dieu sait si des équipes qui se veulent aujourd’hui a juste titre trés
démocratiques n’arrivent bien souvent plus 4 décider, méme si tout le
monde a donné son avis, parce que tout le monde a donné son avis, ga
cest génial et intéressant, mais aprés qu’est-ce qu’on fait ? La, c’est une
autre affaire, ch bien si vous n’avez pas, 4 ce moment lA, le recours 4 une
différence des places qui est reconnue , qui est acceptée, eh bien vous
warriverez pas a justifier que ce soit Ini Jean, Jules plutot que Jacques ou
Joseph qui décide, vous n’arriverez pas a le justifier, 4 le légitimer etdone
vous risquez de vous trouver sans arrét dans un combat pour arriver A ce
que que Jules, Jean, Joseph ou Jacques continuent 4 se battre pour
arriver chacun 4 leurs fins et 4 imposer leur singularité, c’est A dire
finalement leur narcissisme, et non plus a veiller 4 étre au service du
collectif ou de la tach ire.
Done la force de l’égalitarisme démocratique est trés puissante pour aller
4 encontre de cette substitution de prévalence du singulier au profit du
collectif, et aujourd’hui elle est extrémement puissante. Elle vient mettre
a mal d’ailleurs, du coup, la solidarité, phénoméne que I’on regrette par
ailleurs vivement, sans vouloir nous apercevoir que bien souvent elle est
liée 4 cette méprise, 4 cette méconnaissance qui va aller jusqu’a abolir la
différence des places qui, en toute logique, abolira la différence des sexes
qui ne peut qu’étre la source d’une inégalité, sans s’apercevoir que cette
différence véhicule avec elle la prise en compte d’une dissymétrie qui, de
toute facon, va se poser tot ou tard . Done on va bien voir comment cette
force vient 4 ’encontre de ce qui est exigé pour grandir. Et de l'autre cété,
je ne vais pas non plus vous faire de grand tableau, je le fais dans une
‘cinquantaine de pages dans le livre, je n’ai pas le temps de développer
tout ca, mais je vais prendre un exemple.
Tl est évident, que invention ou la production de l'objet de
consommation, par exemple le portable, aide 4 ce que, finalement, on
donne de la place 4 absence. On est plutét aujourd’hui dans une fagon
de penser les choses ov il faut toujours étre de plus en plus présent. Et il
faut ajouter par la présence, de plus en plus de présence, en espérant que
par ce supplément de présence, on finisse par aboutir a ce qui, en fait, ne
peut aboutir que par Pabsence. Vous pouvez faire tout ce que vous voulez,
il faudra bien que vous acceptiez que le jour od viendra que votre enfant
traversera la rue sana tenir votre main parce qu’il est capable - vous
Yaurez estimé tel — de faire cette démarche de pouvoir enfin traverser la
rue en faisant suffisamment attention pour ne pas se faire écraser, eh
bien vous n’arriverez a le faire que le jour ot vous lui aurez vraiment17
laché la main. Il n’y a pas moyen de faire autrement. Autrement dit, cette
absence qui doit venir remplacer l’absence charnelle de votre corps a
vous, doit venir étre remplacée par l’absence de votre présence dans sa
téte qui va faire que lui, du coup, assumera sa solitude lui et qu'il fera
bien attention a ne pas se faire écraser dans la rue. Mais vous n’y coupez
pas, ¢a doit passer par de absence, et aujourd’hui on a plutét tendance 3
se suppléer de présence, il y a de plus en plus de présence.
Selon le modéle de la société de consommation, que moi j’appelle
volontiers, la société de consolation, car c’est un peu comme s'il fallait
qu’on soit tout le temps consolé du fait d’étre humain, et du fait que, 1a
vraiment, la satisfaction totale vous ne l’avez pas, et que donc il faut tout
le temps vous consoler de ga. C'est le régne du doudou permanent. On
voit bien que ce sont des choses dans lesquelles nous sommes emportés,
que personne ne décide comme tel, mais dans lequel le discours sociétal
fait que nous y allons, c’est une force extrémement puissante, c’est A dire
toute la production et tout le modéle néo-libéral est une force
extrémement puissante contre cette exigence du renversement de la
prévalence de la présence en la prévalence de l'absence que je vous ai
indiquée tout a ’heure.
Et je pense qu’ll faut la repérer commetelle.
Voyons done pourquoi, et c'est mon dernier point, qu’est-ce que ¢a
améne sur le plan clinique. Evidemment, dans un tel contexte, celui ott
s deux points, ces deux renversements de prévalence sont
littéralement, d’une part contrés par, a la fois, le néolibéralisme et le
démocratisme comme je l’appelle , cela pour des raisons qui relévent de
ce changement sociétal dans lequel nous sommes emportés, ce qui n'a
absolument rien de négatif, bien au contraire, mais c’est plutét que si
nous n’avons pas encore construit, nous n’avons pas encore identifié les
moyens, les modéles par les quels nous pouvons venir en aide a ces
parents qui doivent, eux, transmettre — et transmettre ca suppose une
contrainte vous n’y coupez pas — ce qui est exigé pour que enfant puisse
soutenir sa propre parole autrement qu’en croyant que sa propre parole,
son propre trou dedans, c’est son narcissisme. Ce n’est pas¢a.
Et justement la confusion 4 cet égard aujourd’hui est forte et c’est une
des difficultés 4 laquelle nous avons 8 faire et 4 mon avis on n’est pas au
bout.
Pas plus tard qu’il y a quelques semaines, une maman me racontait que
sa fille de six ans, lui avait dit, avec beaucoup de justesse, cette formule
qui était évidemment détonante, elle disait j'ai pas envie daller a l’école,
Ta maman répond mais on va a U’école on a pas @ avoir envie ou pas et
elle répond 4 sa maman a ce moment 1a : mais pourquoi alors mon école
sappelle « école libre Sainte Marie »...18
La force de l'enfant aujourd’hui c’est d’étre en mesure, non pas de
contester la génération du dessus, ga a toujours été le cas, y a rien de neuf
a ca, il n’y a personne ici dans la salle , je l’espére, qui n’ a pas été en
position 4 un moment donné de devoir contester, parce que quand vous
contestez vous n’étes pas d’accord avec ce qui est dit par ceux qui ont la
place du pouvoir ou de lautorité, mais en revanche vous reconnaissez
leur place. Or aujourd’hui ce que font les enfants, ils récusent, autrement
dit c’est ce qu’on fait au tribunal quand on dit 4 un membre du jury, vous
avez pas le droit d’étre dans le jury parce que vous étes le copain de
Taccusé et donc je n’accepte pas ¢a, je vous récuse. Eh bien c’est
exactement la position qu’aujourd’hui, et qu’en toute légitimité Penfant
peut prendre. I] peut dire je récuse, je refuse, la loi existe mais ga ne me
concerne pas.
D’ou lui vient cette force terrible, qu’il acquiert de plus en plus tét
ailleurs, et qui fait que bien souvent les parents viennent dire : mais oui
Je lui ai dit quil doit s‘arréter mais il ne s‘arréte pas, je hui dis mais ca ne
va pas. Qu’est-ce que c’est cette histoire qui se joue au niveau ov je viens
de vous Pindiquer : quelque part, au dela dun discours que nous avons
de type éducatif, il y a quelque chose qui se passe ou qui s’est passée dans
cette position de narcissisme mis en position de toute puissance infantile,
qui a rapport avec la toute puissance de l'enfant qui n’est plus entamée &
partir du moment ot on s’est récusé nous-mémes de la position de
différence de place que nous occupons. Pas mal de parents se sont mis
en retrait de cette place a occuper, du coup ils ouvrent le champ a ce que
les enfants, qui on ne peut pas le leur reprocher, profitent du fait que
les autres ne sont plus a leur place pour pouvoir eux-mémes ne pas se
soumettre a ce qui est nécessaire pour qu’ils apprennent a soutenir leur
parole de rien, du trou dedans.
Cette force de récusation, qui n’est pas la méme chose que la
contestation, me semble, aujourd'hui tout a fait l’ceuvre, par exemple,
dans ce qu’on appelle les phobies scolaires. Elle est aussi 4 l’ceuvre dans
ce qu’on appelle lobé: infantile qui est en train de devenir un
probléme de santé publique, puisqu’il y a quelque chose d’une
satisfaction a laquelle on peut prétendre sur le mode oral qui est, comme
on sait, le premier mode de rapport de l'enfant a objet et qui va faire que
tout va étre saturé a partir de cette possibilité 14. Vous avez aussi l'enfant
qui ne tient plus en place. Des choses plus anodines, toute une série de
difficultés qui tiennent précisément au fond 4 quoi ? Qui tiennent
probablement au fait que la nécessité irréductible de renoncer a la
jouissance incestueuse, c’est a dire a celle que j'ai appelé entiérement
saturante qui est fantasmée comme étant celle du rapport mére / enfant,
je dis bien fantasmée, mais en attendant c’est 14 que c'est percu, eh bien
cette jouissance incestueuse n’a presque plus de contrepartie, de contre-19
pouvoir qui vient aider l'enfant 4 y renoncer. Ce contre pouvoir s’est
éclipsé a cause de la disparition entre autre de l'instance paternelle, de
son déclin en tout cas , et cette absence de contre-pouvoir laisse du coup
liberté, si vous voulez, laisse le champ ouvert a ce que ce travail qui reste
nécessaire envers et contre tout de renoncer a cette jouissance pour
mettre en place, non pas le pouvoir du pére, mais le pouvoir du langage
et de la parole, ch bien du coup il n'y a plus de repéres culturels pour
venir soutenir cela et ¢a fait que nous avons de plus en plus d’enfants,
probablement, qui ne sont plus que liés 4 ce que j’appelle , moi , du coup
la famille bimonoparentale, c’est a dire une clinique de l'enfant qui n’est
plus que liée seulement a la mére.
Ca devient l'enfant qui est dans le rapport seulement la mére voire a
deux méres parce que le rapport pére/ mére n’est plus une articulation —
vous savez bien qu’aujourd’hui il y a de plus en plus de famille
monoparentale, et ¢a n’est pas d’office une horreur contrairement a ce
qu’on pourrait penser, ou ce n’est pas doffice négatif, mais ¢a veut dire
que la tache de jouer la dialectique entre la présence et l’absence est a la
charge d'une seule personne, ce qui est beaucoup plus difficile. De la
méme facon, cela veut aussi dire que certains couples que vous
connaissez, 4 la campagne peut étre pas, en tout cas dans les villes se font
de plus en plus uniquement pour faire un enfant, il n'y a méme pas de
couple, c’est possible, mais ¢a vient bien dire qu’au fond chacun a le droit
davoir la moitié de son enfant et du coup l’enfant se retrouve
systématiquement dans un rapport a un seul parent et il devient
beaucoup plus dépendant de ses parents qui, aujourd’hui, ont décidé
bien souvent, ont voulu cet enfant.
Depuis la disjonction dans la sexualité de la jouissance sexuelle et de la
reproduction, vous avez la un phénoméne nouveau qui est aussi apparu,
A savoir que l'enfant est beaucoup plus dépendant, non pas d’une force,
dieu sait laquelle, qui a fait qu’il est arrivé sur terre, une instance tierce
qui était d’emblée présente en amont du couple, mais il est beaucoup
plus dépendant des parents eux-mémes et donc se trouve
paradoxalement en plus grande difficulté pour quitterl’autre.
Je raconte toujours une évolution dans ma clinique et je termine par 1a,
par un exemple, parce que c’est assez typique. Tl y a vingt, trente ans
quand j’ai commencé, il arrivait souvent que des messieurs venaient voir
le psychanalyste pour dire : je suis embarrassé par ce que je sais pas
choisir entre ma femme et ma maitresse, c’était le coup classique, alors
pour des raisons valables ou pas, peu importe, c’était comme ca que se
présentaient les choses. Aujourd’hui, je vous le signale, ce n'est plus
comme ¢a, jen vois de moins en moins, moi, des gens comme cela, par
contre, je vois de plus en plus de jeunes, ou de moins jeunes, qui
viennent me dire : « écoutez je sais trés bien que ca ne va plus avec ma20
compagne ou mon compagnon, c'est pas lui que j‘aurais di choisir », ou
«¢a va pas mais je ne sais pas ce quill faut faire ». On lui demande :
mais vous avez convenu de vous en séparer ? Oui, oui je sais mais je
voudrais qu'il soit d’'accord (rires). Alors la vous tombez un peu des nues.
Attendez, vous voulez que l'autre soit d’accord avec une position ott vous
voulez le quitter ? Cest quand méme un peu compliqué.
Alors qu’est-ce-que c’est que cette affaire ? C’est une indication de ce que
le probléme nest plus le fait que je suis dans un choix entre l'amour et le
désir et que je ne sais pas trés bien me situer dans cette dichotomie qui
est toujours présente dans les liens conjugaux, mais ¢a devient le fait que
je ne sais plus me sé¢parer de l'autre parce que ce travail de séparation n’a
pas été fait. Je n'ai pas vraiment consenti a parler de mon trou dedans, je
n’arrive pas A soutenir ma position de mon trou dedans, et je veux
Tacquiescement de l'autre pour soutenir ma position, et figurez-vous que
ca veut dire ceci, qui est d’ailleurs trés amusant, parce qu’en francais il_y
a une trés belle formule qui dit ¢a, qui dit: parler de son propre chef.
Alors, vous voyez, ceux qui sont contre les chefs il faut qu’ils sachent que
si lon est contre d’office le chef, on va finir par étre aussi incapable de
parler de son propre chef, parce qu'il faut quand méme toujours finir par
soutenir sa parole de rien, du trou dedans, c’est A dire au moins de son
propre chef.
Crest a ce titre 1a que je trouve qu'il faut étre trés vigilant 4 ne pas laisser
glisser sous le veeu légitime d'une égalité démocratique, parentale,
sexuée, tout ce que Yon veut, une confusion avec un effacement de la
différence des places, faute de quoi, nous sommes et nous irons dans
Timpasse.
Je vous remercie beaucoup. (applaudissements)
Débat avec la salle
Ph. RASSAT :
Bon, eh bien c’était dense. Donc, je suppose qu’un certain nombre
dentre vous, aprés tout ne sont peut-étre pas d’accord avec tout ¢a, et ont
peut-étre envie ou de réagir ou de demander deséclaircissements...
J.P. LEBRUN :
J'ai appris quelque chose, hier, que je ne connaissais pas du tout. C’est
quaprés l’exposé, maintenant, ce qui est proposé c’est de faire ce qu’on21
appelle des voisinades (rires). C’est 4 dire qu’on laisse trois minutes
pendant lesquelles les gens échangent entre eux avant de poser des
questions. J’ai trouvé ¢a trés marrant. C’est la premiére fois que j'ai
entendu ¢a hier a Béziers 1a oti je me trouvais.
Ph. RASSAT :
Bon, vous avez trois minutes alors... (rires), Tout ce que dit Jean Pierre
LEBRUN, nous, au niveau de la clinique de tous les jours dans les CMPP,
on est confronté a ¢a tout le temps. Aprés chez notre partenaire principal
du CMPP qui est l’école, dans le cadre de l’école, cette récusation qu’il y
ait quelqu’un qui sache et qu'il y ait quelque chose a apprendre aux
enfants, c’est une récusation a laquelle I’école a a faire au quotidien et
peut étre que cela peut susciter des questions...
Xa:
Effectivement c’est ce que nous constatons dans la clinique au quotidien
mais du coup a partir de 1A comment, dans nos places, pouvons nous
réagir 4 ga?
J.P. LEBRUN
Je vous remercie de votre question elle est trés précise et pertinente.
D’abord je pense qu'il faut d’'abord s’apercevoir que pour beaucoup
denfants et beaucoup de jeunes aujourd’hui la place de I’instance tierce
n’est méme pas inscrite dans leur téte. Donc ¢a ne sert a rien de donner
des ordres, des indications, des sanctions, ils ne sont pas 14 dedans du
tout, ca ne marchera jamais. Il faut au contraire repenser comment
suppléer cette place, je pense qu’au fond, pour le dire trés bétement, la
position de transfert de type paternel, c’est zéro, ga ne marche plus. I]
faut absolument, d’abord, étre a c6té d’eux mais dans une position si Pon
veut vraiment soutenir et accompagner leurs difficultés, qui doit étre
vigilante tout le temps faire entendre qu’a cet endroit vous ne pouvez
rien pour eux. Vous pouvez les accompagner, entendre leurs difficultés,
travailler avec eux sur ces difficultés mais ’endroit méme od ils ont A
risquer quelque chose d’eux, ca, ce n’est pas possible que vous vous
substituiez a cet endroit.
Et moi je suis trés, trés vigilant 4 ¢a. Ca veut dire que c’est une espéce de
transfert plut6t maternel, mais pas maternant, c’est la mére qui fait
beaucoup plus ~ je trouve qu’on a complétement A s’interroger sur ce que
c'est qu'une mére , surtout chez les lacaniens, 4 mon avis, parce qu’ils
Yont trop vite assimilé 4 ce qui est négatif, 4 ce dont il faut se détacher -
or la mére n’est pas que celle dont il faut se détacher, la mére c’est ce qui
permet la premiére dialectique absence/présence, c'est elle qui introduit
ce mouvement, mais elle ne peut plus malheureusement aujourd’hui22
compter sur l’installation dans la culture ou dans le discours sociétal de
cette nécessité de absence. C’est ca le probleme.
La différence entre la mére de la société africaine, par exemple, qui peut
garder son enfant trés, trés, longtemps avec elle, mais dés que l'enfant
nait, ou méme avant, elle sait trés bien qu’a huit ans ou a dix ans, peu
importe, dans la culture, il y aura un rite de passage qui viendra dire,
maintenant c’est fini, et ce sera méme inscrit sur le corps de l’enfant ce
qui viendra lui témoigner de l’irréversibilité du processus. Eh bien,
aujourd'hui on peut dire qu'il n’y a rien qui dit ca dans le sociétal, au
contraire. C’est ca le probléme 4 mon avis, la il y a une sorte de
disparition des structures sociales mais que nous ne pouvons que
constater — on peut se lamenter mais ca ne sert a rien, on peut
nostalgiser , c’est inutile, ga ne changera pas - par contre, on peut se
demander qu’est-ce qui fait , méme si il n’y a pas de pére, comment faire
entendre, méme si le pére a une place trés désuéte, comment on peut
faire entendre que cette renonciation , ce consentement a cette perte de
jouissance, il faut l’opérer, qu’il n’y a pas moyen de faireautrement.
Et ca vous pouvez, d'une certaine maniére, de la place que vous occupez,
en témoigner a la condition de ne pas vous substituer 4 l'autre au
moment oi il doit faire ce mouvement. Je prone plutét une position de ce
type 1a. Travailler aussi comment eux mémes ne font pas la différence
entre eux et l'autre, toute une série de choses qui relévent de ¢a. C’est un.
peu l’axe que j‘essaierai de prendre, de voir que ’accompagnement dont
on nous vante beaucoup aujourd’hui les mérites, n’est pas faux, 4 la
condition qu’il n’oublie pas que l’objectif c’est quand méme a un moment
donné de lacher la main de l'autre...
X2:
Moi je voulais vous remercier parce que je trouve, je partage
complétement ce que vous avez développé, je fais de la discipline
positive, je ne sais pas si vous en avez entendu parler. Il y a un séminaire
justement en ce moment a Bruxelles. C’est une’ pédagogie par
Yencouragement des enfants et une des raisons pour laquelle ca a
beaucoup de succés, que ca se développe ( ¢a existe de puis quarante ans
aux Etats-Unis) c’est qu’on part de la constatation qu’il y a la disparition
de ce modéle d’autorité verticale dont vous avez parlé et qu’on est
effectivement maintenant dans un modéle beaucoup plus démocratique
qui est horizontal et, donc, comment enseigner a nos enfants tout ce
qu'on souhaite leur enseigner en respectant l'enfant et surtout en n’ayant
plus la maniére qu’on avait avant de leur enseigner les choses avec ces
ordres , avec ces injonctions qu’on avait, et, donc, on prone une
coopération, on prone aussi ce respect des différences, c’est A dire que
Yenfant n’est pas l’égal du parent, n’a pas les mémes droits niles mémes23
devoirs. Mais cette relation beaucoup plus horizontale est plus difficile 4
gérer et donc on est dans le comment enseigner d'une maniére
complétement différente de ce qu’on a connu jusqu’a présent. Je voulais
juste partager le fait que j’étais complétement d’accord avecvous.
J.P. LEBRUN
Oui, ce que je n’ai pas dit, c’est que l’école c’est le lieu vraiment de la
confrontation de la persistance de la logique narcissique avec la nécessité
den passer par une logique collective. C’est 14 que ¢a se joue. On est
passé dune société on il s’agit de transmettre quelque chose a une société
de la connaissance.
La connaissance vous l’avez sur internet, vous n’avez 4 imposer ca a
personne, il suffit de laisser se développer les choses, alors que la
transmission elle exige quelque part des choses nécessaires, elle exige
une certaine inculeation a faire. Le modéle ancien était évidemment trés
clair, entiérement organisé sur la transmission et l'autre n’avait qu’a
supporter de recevoir les choses. Aujourd’hui on a inversé les choses, on
est dans le sacre de Vapprenant, c’est Ini qui est au coeur du systéme,
mais il faudra bien trouver une modalité qui remette en jeu, non pas le
modéle de transmission dhier — de toute fagon il est perdu , et c’est trés
bien , on peut trés bien démontrer toutes les impasses qu'il y avait dans
ce systéme — mais on peut trés bien arriver 4 montrer que ¢a ne suffit pas
de se mettre dans un rapport @horizontalité, parce qu’il y a cette chose
la : des enfants deviennent des petits adultes ! Ce qui se paye d'un prix
extraordinaire qui est que les adultes redeviennent des enfants ! Une
société d’adultes qui prennent leurs enfants pour des adultes produira
une société d’adultes qui sont des enfants. C’est clair, c'est
incontournable.
Il faut que la différence des places, elle reste, il n’y a pas moyen d’éluder
¢a, et l'enfant ne peut se passer d’une génération du dessus qui l’initie a
quelque chose dont lui n’a pas encore les potentialités que l'Autre est
censé avoir déja recues.
Ph. RASSAT :
Javais envie de poser une petite question qui peut paraitre
complétement incongrue mais c’est en Ventendant rappeler le fait que le
rite initiatique en Afrique c’est méme marqué sur le corps de l'enfant
quelle m’est venue. L’extension généralisée des tatouages 4 toute une
génération quel rapport avec ce que l’on peut dire a l’instant?
J.P. LEBRUN :
Ce n’est pas impossible, certains anthropologues pensent la chose
comme ¢a, ce n'est pas impossible que ce soient des auto-marques mais24
le probléme c'est que c’est une auto-marque, méme si elle est faite par le
tatoueur du coin , ca n’a donc pas V'incidence d’une valeur sociétale. C’est
a la difficulté.
Cest intéressant, parce que c'est quelque chose a laquelle je n’étais pas
extrémement sensible comme tel, mais un jour j'ai une patiente qui m’a
appris ¢a. C’est une jeune femme un peu post-moderne — c'est 4 dire on
zappe tout le temps, on fuit dans tous les sens et puis on ne sait plus trés
bien finalement oi l'on est — ce qui est tout le probléme ce n’est plus
détre aujourd’hui dans la contradiction désirante, le probléme c’est, au
fond, comment est-ce que je vais soutenir un désir, puisque je suis
tellement dans la jouissance que je ne sais plus comment soutenir un
désir ? Elle vient en me disant : j‘ai fait un acte trés important, je crois
que c’est vraiment trés important, je me suis fait opérer de ma myopie.
Bon, je reste un peu perplexe sur l'importance en question. Et puis elle
majoute : c’est la premiere fois que je fais quelque chose dirréversible.
Alors 1a, je me suis dit, 1a c’est peut étre quelque chose d’intéressant,
(important.
Parce que redonner la place 4 l’irréversible, cela veut dire redonner la
place a la temporalité, cela veut dire que l'on n’est pas de maniére
permanente toujours sur le méme champ, donc il y a quelque chose 1
@une inscription qui a liewe. On voit bien que la différence entre le
tatouage, qui est une auto marque et la reconnaissance d’une marque —
on peut dire qu’ll s‘agit ici d’une auto marque — mais le fait qu’elle me
parle d'une irréversibilité montre bien qu'elle avait entendu quelque
chose, qu’elle risquait un acte, de se faire opérer de sa myopie, qui avait
une indication d’irréversibilité et qu’elle consentait 4 inscription dans
une temporalité, et je pense que c’est cela qui estdéterminant.
On ne peut pas remplacer I’acte qui vient d’un discours sociétal par l’acte
qu’on s‘inflige & soi-méme, parce que ce n’est pas du tout une maniére
déchapper a ce que laltérité, vraiment, s’inscrive. Aujourd’hui il y a de
plus en plus de gens qui se prétendent, qui se veulent, qui se disent, qui
s'exhibent, qui se souhaitent autonomes. C’est trés bien, c’est vrai, ils ont
raison, le probléme c’est qu'il n’y a pas d’autonomie comme telle, il n’y a
jamais que ce que j'appelle l'autronomie, c’est a dire que ca ne peut étre
qu’a partir de autre.
Tl suffit que vous pensiez vous méme a ce que les pensées les plus intimes
que vous avez dans la téte, elles sont faites dans les mots de tout le
monde, en plus de ¢a, elles ne sont pas trés originales, nous avons tous
les mémes. La quantité de temps fou qu'il faut pour dire un fantasme
sexuel 4 quelqu’un et pour devoir constater qu'il est partagé par la
majorité des gens ( rires ) et pourtant c’est comme ga. D’ot importance
pour Venfant de s’apercevoir que ses parents ne dominent pas ses
pensées. On est a la fois construit dans le méme que tout le monde et en25
méme temps non on a une singularité. Done, je crois qu'il faut quand
méme entendre la force et l’intérét de notre changement de société de
donner de plus en plus de place a la singularité, c’est comme si il y avait
une confusion entre la singularité et lenarcissisme.
Ce n’est pas la méme chose.
La singularité cest quelque chose qui a traversé, qui est au dela du
isme, qui a consenti a la frappe du collectif, ce n’est pas la méme
chose que ce qu’on préconise aujourd’hui comme |’autonomie.
X3:
Bonjour, je voudrais vous poser une question trés vaste, je voudrais vous
parler de la violence, puisqu’il me semble que dans les modéles éducatifs
autrefois, i] y avait de la violence, il y avait de la violence physique, il y
avait des chatiments corporels, peut étre une violence symbolique aussi
et on est allé vers des modéles qui souhaitaient supprimer cette violence
envers l'enfant. Mais finalement on voit que dans la société actuelle, la
violence est présente et peut-étre méme de plus en plus présente, par
exemple avec le racisme, le rejet de l'autre. Qu’en pensez-vous?
J.P. LEBRUN :
Oui, je n’en ai pas parlé. Je consacre un chapitre entier a la fin de mon
livre la dessus parce qu’au fond ce que sécréte notre modéle nouveau,
Cest une violence mais une violence différente. Je ne crois pas qu'il y ena
plus qu’avant, je ne sais pas. D’ailleurs les historiens statisticiens
prouvent que non, on peut leur faire confiance, on est moins trucidé au
coin d’un bois. C’est vrai, on risque moins d’avoir son magot volé lors
dun voyage en TGV qu’en carrosse.
Crest vrai, c’est juste, n’empéche que il y a une autre violence qui arrive et
c'est celle-ci : c’est sortir de l’inceste. Quand vous n’avez plus d’instance
symbolique pour vous appuyer, pour étre non dépendant de l’Autre, il ne
vous reste plus qu’a devenir plus fort que celui qui est plus fort que vous.
Cest le statut de la violence qui émerge, c'est ce que disait Serge
LECLAIRE, c’est une violence qui est uniquement pour sortir de linceste,
cest 4 dire de sortir de cette dépendance, de cette prise de l'autre sur
vous qui n’a plus le langage et l'instance symbolique pour arriver 4 se
différencier. Eh bien 4 ce moment 1a vous n’avez plus que la force comme
telle de l'agression de l'autre dans le réel. Et c'est une violence comme
cela que l'on constate souvent aujourd’hui de plus en plus. Le collégien
qui poignarde son professeur parce qu’il a une mauvaise note (cote ?) ou
quelque chose de cet ordre 1a, ce qui devient de plus en plus banal -
poignardé c’est peut-étre un peu excessif - mais qui en tout cas, qui casse
tout uniquement pour cela, 4 mon avis cela a rapport avec ¢a, rapport26
avec ce travail qui n’a pas été fait de mise en place d'une instance
symbolique, et alors il ne reste plus que des confrontations.
Je pense qu’on risque de voir arriver des matricides 14 ot avant on avait
toujours des patricides. Le mot parricide désignait les deux. Le matricide
cest important. J’avais écrit un petit livre pour les gens qui travaillent
dans le concret la dessus, parce qu’il me semble que Oreste, aujourd’hui,
est une figure trés intéressante a cet égard. Parce que Oreste il a la charge
de tuer sa mére pour venger son pére que sa mere a tué, Et toute la
question c’est quand va-t-il , dans la piéce d’Eschyle « L’Orestie », acter
ga, il sait qu’il doit le faire, il sait qu’il doit mettre la barre sur la mére,
qu'elle n’est pas toute, mais comment va-t-il le faire. Et c'est trés
intéressant de voir que méme dans la piéce d’Eschyle, chez les grecs,
comment ils avaient déja repéré que il y avait quelque chose qui devait se
passer chez la mére pour ca. Un enfant ne sait pas , au fond, mettre la
barre sur la mére si quelque part elle-méme ne reconnait pas que la barre
est sur elle , qu’elle n’est pas toute pour lui, il faut au moins que ¢a elle le
reconnaisse. Mais il arrive que malgré qu’elle le reconnaisse, parfois
Yenfant ne veut pas non plus, et que c'est beaucoup plus compliqué que
a.
Je pense que vous avez raison d’insister sur une nouvelle modalité de
violence que l'on va rencontrer, que vous évoquiez le racisme, c’est vrai,
parce que le fait qu’on soit de tous les mondes comme le tableau
dESCHER I'indique fait qu’on ne sait plus trés bien comment on va se
distinguer de l'autre. C’est ce que LACAN amenait du coté du risque de la
ségrégation montante, oui, du coup, on risque d’avoir une augmentation
du racisme, parce qu’il ne suffit pas pour ne pas étre raciste, @imposer
qu’on ne peut pas étre raciste, cela ne suffit pas. C’est plus complexe que
cela.
x
Bonjour, je voulais poser une question peut-étre un peu théorique, peut-
étre un peu de détail, je ne sais pas, c’est si vous pouviez expliciter ce qui
pour vous fait une différence entre ce que vous appelez la récusation et le
démenti. Est-ce que pour vous ¢a se situe en de¢a, j'entends par rapport a
des différenciations qui se situent en fin de compte aussi au niveau des
structures par rapport a la perversion ou la névrose. Parce que vous
parlez de narcissisme, je ne sais pas si vous comprenez ma question.
Enfin pour simplifier, est-ce que vous faites une différence entre le
démenti, notamment le démenti pervers, et la récusation et comment
vous lexpliqueriez sur un plan théorique si ca vous parle.
Philippe RASSAT:
Juste, c’est la derniére question, aprés on arréte.27
J.P.LEBRUN :
S'il fallait répondre a la question je vous assure qu’il faudrait prendre du
temps. Entre le démenti et la récusation, au fond je n’ai jamais pensé trés
clairement la différence comme telle. Le démenti ou le déni c’est
vraiment, cela a été bien donné par la formule d’Octave Mannoni : « Je
sais bien mais quand méme ». La récusation vient presque légitimer de
rester dans le démenti, c’est la force qui permet de rester dans le
démenti. Ca a un rapport effectivement avec ce que, moi, j’appelle la
perversion ordinaire, ce n'est pas une perversion au sens structural du
terme mais c'est une perversion au sens oi la jouissance du sujet était
quand méme telle, qu’il a pu tellement s’y frotter, que finalement il va
faire tout ce qu’il faut ou tout ce qu’il peut pour conserver ¢a, jusqu’a
instrumenter l'autre, mais ce n’est pas une perversion de structure c’est 4
dire qu'il sait quand méme bien qu'il faudra qu’il fasse autrement. Le
probléme c’est que tant qu’il peut fuir comme cela, il continue a faire
comme cela, et surtout qu'il profite de ce que autre ne vienne pas le lui
dire.
Cest pour cela que j’insiste beaucoup, dans ce que j’appelle la clinique du
quotidien avec les travailleurs sociaux, pour qu’ils ne s’épargnent pas,
méme si ¢a leur est difficile, le souci de dire ce qu’ils pensent. Rien que
parce que, si aujourd’hui vous ne dites rien, vous vous faites complices. I]
faut énoncer, méme si c’est sous forme d'un étonnement, sous forme de
ah vraiment tu crois ga. Parce que vous savez bien, tous, que vous
pouvez longtemps ressasser quelque chose dans votre téte en sachant,
oui ga je ne devrais quand méme pas le faire, je ne devrais quand méme
pas le faire, je ne devrais quand méme pas le faire, etc..., que ca va
prendre une toute autre tournure quand, tout d’un coup, c’est quelqu’un
dautre qui va vous dire écoutes tu sais vraiment bien que tu ne devrais
pas le faire. Ca ne va pas avoir le méme effet. Il y a la quelque chose
qu'on doit garder au niveau des réponses cliniques, garder en téte que si
vous avez repéré qu'il dénie, qu’il récuse, d’accord, oui d’accord tu fais
comme si tu n’avais rien a voir avec ga mais en fait tu sais quand méme
bien et, voyez, ce n’est pas sur le mode de lui intimer un ordre ou de faire
autorité mais bien plutét de lui rappeler qu'il n'y coupera quand méme
pas. Il me semble que la récusation et le déni ca se rejoint mais votre
question je vous en remercie, je vais essayer d’y réfléchir un peu plus
longuement pour la fois prochaine.28
Ph.RASSAT :
Bien, je crois qu’on peut te remercier de tout ce que tu nous a amené et
..(applaudissements), et je pense que ¢a peut donner l’occasion
de voisinades de plus de trois minutes dans la semaine Avenir.
Maintenant nous allons passer au premier travail de groupe fait par des
professionnels des CMPP de Charente et qui porte sur « L’enfant et le
refus de savoir ». Deux, trois minutes, le temps que tout le monde
sinstalle avec son petit carton a la table.
Juste pendant ces deux minutes j’ai envie de vous dire, comme on le fait
dans les spectacles, les arénes ou ailleurs, ce serait bien d’éteindre vos
portables parce que manifestement il y a pas mal de portables qui
fonctionnent et ¢a fait des bip, bip, bip dans les haut-parleurs qui sont
vraiment génants.