Quand tu m’as demandé, en août dernier, quelles critiques j’avais à faire sur ton livre, elles m’ont paru de deux sortes : sur le style, et sur une certaine « tradition » de la théorie critique, que les nouvelles conditions d’une époque doivent nécessairement contraindre au dépassement ; en gros que les vérités de la veille deviennent facilement l’idéologie du lendemain si l’on n’y prend pas garde. Ainsi on ne peut préconiser indéfiniment la « vraie démocratie des Conseils ouvriers » (p. 58) sans tomber dans une attitude par trop figée, à la fois mécaniste et unilatérale. Et suffit-il, comme on en discutait alors, d’attendre que les prolétaires se donnent de nouvelles formes d’organisation ? En posant la question dans Songe d’une nuit d’émeute (« les staliniens peuvent bien réclamer l’autogestion et les conseils d’atelier, nous ne voulons plus recevoir de conseils ni rester ouvriers ni autogérer la mort lente. Quant aux usines où ils voudraient bien nous enfermer, elles disparaîtront comme lieux de production séparés » … « il faut que le prolétariat s’empare de cette théorie. »), je pensais aussi aux limites d’un certain discours critique sur le prolétariat, à la nécessité de l’auto-explication des luttes par ceux qui les font, et donc à la nécessité du théoricien de viser aussi à sa propre suppression en tant que théoricien, en tant que « voix de ceux qui n’ont pas encore la parole ».
Extrait d’une Lettre de Jean-François Martos à Gianfranco Sanguinetti
Paris, le 3 juin 1981
[Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord.
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998]
Quand tu m’as demandé, en août dernier, quelles critiques j’avais à faire sur ton livre, elles m’ont paru de deux sortes : sur le style, et sur une certaine « tradition » de la théorie critique, que les nouvelles conditions d’une époque doivent nécessairement contraindre au dépassement ; en gros que les vérités de la veille deviennent facilement l’idéologie du lendemain si l’on n’y prend pas garde. Ainsi on ne peut préconiser indéfiniment la « vraie démocratie des Conseils ouvriers » (p. 58) sans tomber dans une attitude par trop figée, à la fois mécaniste et unilatérale. Et suffit-il, comme on en discutait alors, d’attendre que les prolétaires se donnent de nouvelles formes d’organisation ? En posant la question dans Songe d’une nuit d’émeute (« les staliniens peuvent bien réclamer l’autogestion et les conseils d’atelier, nous ne voulons plus recevoir de conseils ni rester ouvriers ni autogérer la mort lente. Quant aux usines où ils voudraient bien nous enfermer, elles disparaîtront comme lieux de production séparés » … « il faut que le prolétariat s’empare de cette théorie. »), je pensais aussi aux limites d’un certain discours critique sur le prolétariat, à la nécessité de l’auto-explication des luttes par ceux qui les font, et donc à la nécessité du théoricien de viser aussi à sa propre suppression en tant que théoricien, en tant que « voix de ceux qui n’ont pas encore la parole ».
Extrait d’une Lettre de Jean-François Martos à Gianfranco Sanguinetti
Paris, le 3 juin 1981
[Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord.
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998]
Quand tu m’as demandé, en août dernier, quelles critiques j’avais à faire sur ton livre, elles m’ont paru de deux sortes : sur le style, et sur une certaine « tradition » de la théorie critique, que les nouvelles conditions d’une époque doivent nécessairement contraindre au dépassement ; en gros que les vérités de la veille deviennent facilement l’idéologie du lendemain si l’on n’y prend pas garde. Ainsi on ne peut préconiser indéfiniment la « vraie démocratie des Conseils ouvriers » (p. 58) sans tomber dans une attitude par trop figée, à la fois mécaniste et unilatérale. Et suffit-il, comme on en discutait alors, d’attendre que les prolétaires se donnent de nouvelles formes d’organisation ? En posant la question dans Songe d’une nuit d’émeute (« les staliniens peuvent bien réclamer l’autogestion et les conseils d’atelier, nous ne voulons plus recevoir de conseils ni rester ouvriers ni autogérer la mort lente. Quant aux usines où ils voudraient bien nous enfermer, elles disparaîtront comme lieux de production séparés » … « il faut que le prolétariat s’empare de cette théorie. »), je pensais aussi aux limites d’un certain discours critique sur le prolétariat, à la nécessité de l’auto-explication des luttes par ceux qui les font, et donc à la nécessité du théoricien de viser aussi à sa propre suppression en tant que théoricien, en tant que « voix de ceux qui n’ont pas encore la parole ».
Extrait d’une Lettre de Jean-François Martos à Gianfranco Sanguinetti
Paris, le 3 juin 1981
[Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord.
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998]