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mmediaparr Ql Mepuaranr 2 p.71 La future télé Le Média a des liens trés serrés avec La France insoumise PPAR MANUEL JAROINAUO ET CONATIEN HUET p.73 Wauquie, roitelet en sa région: Ia hache et le spectacle PAR LUCIE DELAPORTE: p.78 Le scandale Weinstein bouscule Hollywood et Washington PAR PHILIPPE COSTE p.79 Aux Pays-Bas, le libéral Rutte reste au pouvoir PAR LUDOVIC LAMANT p.81 Au Niger, la vie radioactive dans 'ombre des mines d'Areva PPAR MARTINE ORANGE Les fonctionnaires dans la rue contre le «projet de société» du gouvernement PPAR MATHILDE GOANEG, CHRISTOPHE GUEUGNEAU, DAN ISRAEL ET AMELIE POINSSOT p.83 p.86 Les mille et une conséquences de I’austérité locale PAR ELSA SABADO p.90 Jonathan Safran Foer, son nombril et le monde PAR LUISE WAIEMAN, p.91 Joan Scott analyse les impasses de la «nouvelle Iaicité» & la francaise PPAR JOSEPH CONFAVREU. p.92 Morin, Ramadan: l'incrédule et le dévot préts pour la révolution AR ANTOINE PERARUD p.95 Comptes de campagne: les bonnes affaires familiales de la députée Iborra PAR SYLVAIN MORVAN, AVEG JEAN LUC FERRE MEDIACITES ToUouse) p.97 L'hérititre de l’empire Prouvost était victime @aigrefins PPAR MICHEL DELEAN Michel Feher: les nouveaux enjeux de Ia question sociale LE SAMEDI 4 OCTOBRE 2017 [PAR CHRISTAN SALMON a Reprenant les concepts fondamentaux de T'analyse marxienne, Feher les fait jouer au sein du capitalisme financier. Cette anamorphose déplace les enjeux des conflits de classe, les sujets en Tutte, les formes et les stratégies de résistance et jusqu'au champ de bataille lui-méme. La figure de l'« investi » (par les lois, du capitalisme financier) se substitue a celle du « proléiaire », gui doit négocier sa force de travail, ot le « projer » en quéte d’investissement prend la place du produit ou de la marchandise. Le champ de bataille Iui-méme se déplace du marché du travail, régi par la négociation fixant le prix de la force de travail, au marché des capitaux soumis & la spéculation sur la crédibilité des projets... Dans cet entretien, Michel Feher appelle Ia gauche a cesser de regretter le bon viewx temps du salariat et &s"appropricr Ja nouvelle condition d'« investi » pour « la dérourner en vue d'une sortie par la gauche de la société salariale ». Seule manitre selon lui de fonder un imaginaire politique renouvelé, Ce docamen et nnagesicemen indie ex trian parent et pa anise, Merc de ou adrerser contact @medipart vous subi ledifuer 298 Directeur dea publication: Bay Pent ommediaparye Ql Mepuararr 3 Alors qu’on célébre le 150° anniversaire de la publication du Capital, vous proposez de repenser la question sociale telle qu’elle a été problématisée depuis Marx pour prendre en compte les transformations du capitalisme. Quelles sont ces transformations qui justifient qu’on jette A la rividre le rapport salarial et plus dun sidele de luttes sociales qui ont pris pour cible ? Michel Feher : Pour Marx, Vexploitation du travail vivant, ui assure la prospérité du capital, est inscrite dans la relation d'emploi. Le profit que réalise I'employeur trouve sa source dans ladifférence entze la valeur créée par ses employés et le prix quele marché attribue & leur force de travail Si cette description n’arien perdu de sa pertinence, on peut s"interroger sur sa place dans le régime d’accumulation du capital qui sévit depuis trois décennies. Comme Vindiquent les transformations récentes de la Iégislation du travail en France, le capitalisme est & présent davantage enclin ase passer du salariat qu’a lui confier la pérennisation du profit. Paradoxalement, il n'y a plus guére que les opposants de gauche aux réformes pour défendre les mérites de l'emploi salarié. Les travailleurs ne sonteertes pas moins exploits qu'auparavant Tostefos, pour rendre compte de In précarité croissant de leurs conditions existence, i ne suffi plus invoquet le rapport de force inégal entre patrons et salariés, ni la légitimation que lui conférent les pouvoirs publics. La stagnation des salaies et la compression des budgets sociaux qui caractérisent notre époque #expliquent avant tout par empise du capital financier sur les entreprises privées ct les Etats. Comme le proclamaitnaguére un candidat & la présidence de la République, cst bien la finance ui gouverne désormas Or son ascendant ne se mesure pas seulement & Ia quantté des fonds qu'elle détoume de l'économie dite rélle vers les circuits de placements spéculatifs. Plus encore qu’a ponctionner des ressources, son pouvoir consiste & sélectionner les initiatives qui méritentd’étre mises en ceuvre. Les critéres de compétitivité et attractivité que les bailleurs de fonds imposent aux producteurs constituent leur prérogative spécifique. Par conséquent, admettre que le centre de gravité du capitalisme s'est déplacé des grandes entreprises industrielles vers les marchés financiers invite a reformuler la question sociale en fonction de ce déplacement, L’enjeu de mon travail est done de dessiner une carte des contflits de classes, dont objet n'est pas T'extraction du profit mais allocation du crédit. Les protagonistes principaux ne sont plus Jes employeurs et les employés, mais bien les investisseurs et les « investis » qui solicitent leurs largesses, Au coeur de votre analyse, il y a cette figure de I’« investi », qui joue pour vous le réle que Mars faisait jouer au prolétaire ou salarié. Qu’en est-il de cette figure ? Est-ce seulement homme ou lentreprise qui doit se faire valoir pour attirer les investisseurs ? Ou bien youlez-vous désigner, dans le double sens du mot « investi », une forme de subjectivation des individus, qui sont en quelque sorte investis par les lois du capitalisme financier ? L’hégémonic des investisseurs fagonne un personnage inédit, qui rompt non seulement avec le sujet du libéralisme classique mais Sgalement avec sa réactivation néolibérale, que Michel Foucault appelle l'entrepreneur de Iui-méme. Le capitalisme libéral, dont Marx fait la critique, puise sa légitimité dans l’universalité d'une condition de commergant. En attribuant aux prolétaires le statut de « travailleur libre », ¢’est-A-dire d’'individu déposs6dé des outils ct du produit de son labeur mais propriétaire d'une marchandise alignable appelée force de travail, les libéraux revendiquent la constitution d'une société égalitaire. Tous ses membres ne sontils pas également habilités & marchander la cession de ce gu'ils possédent, mais aussi également tenus de respecter Ie bien 4 autrui et leurs propres engagements contractuels ? Au sortir de In Seconde Guerre mondiale, les économistes néolibéraux - Friedrich Hayek, Milton Friedman, les ordolibéraux allemands... — vont se donner pour mission de refonder la condition libérale, qu’ils jugent menacée par le keynésianisme. Toutefois, Michel Foucault I'a montré, cette restauration passe, 3 leurs yeux, par l'abandon du laisser-faite cher aux libéraux classiques. Loin de miser sur la propension naturelle des individus & se comporter en commergants libres et responsables, la doctrine néolibérale appelle les pouvoirs publics & une double intervention : i leur appartiont de protéger les fragiles mécanismes du marché des aléas de la démocratie, mais, aussi d’inciter leurs administrés A mener leur vie comme on dirige ‘une entreprise. En empruntant pour aceéder & la propriété immobiligre, en souscrivant une assurance maladie auprés d'un organisme privé ow encore en confiant leur retraite & un fonds de pension, méme les individus qui ne sont pas entrepreneurs de profession sont censés Cedocamen et unagesicemen nde a ctritin par ent 2 pa aaaride, Merct de vou adrever contact mediates rahe le difaer 598 mmediaparr Ql Mepuaranr 4 apprendre & se conduire comme tels. Comme I’écrit l'ordolibéral Wilhelm Rapke, il s'agit de « déprolétariser » les salariés en les dotant d’une mentalité d'entrepreneur, Mais vous soutenez.qu'en dépit du triomphe politique de leur doctrine, les néolibéraus ne sont pas parvenus & leurs fins. Crest tout Te paradoxe, Dis le tournant des années 1980, leur programme de refondation du ibralisme sera appliqué, d'abord aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, puis dans les autes pays développés. Néanmoins, les personnes physiques et morales qui habiten la societéréformeée par le néolibéraux ne ressemblent autre a celles que leur ingéniere sociale entendaitfagonner La raison du hiatus entre 'objectif visé et le résultat obtena n’est autre que la montée en puissance de la finance ~ suscitée par les politiques néolibérales mais absente des réflexions de leurs concepteurs. Car a la différence des autres marchés, les marchés financiers n'ont pas affaire & des négociants en quéte de profit: les sujets qu’ils appréhendent s'apparentent & des projets ala recherche de financement ou, plus généralement, de crédit, ‘moral non moins que financier. Habités par le souci de se rendre attractifs aux yeux des investisseurs, ils se conduisent davantage cn traders préoccupés par l'appréciation du portefeuille qu'ils gérent qu’en entrepreneurs désireux de maximiser les revenus de leur activité commerciale Ainsi en va-til des sociétés cotées en bourse, dont Ia « bonne gouvernance » ne consiste pas & optimiser leurs profits sur le long terme mais & susciter un accroissement, & u2s breve 6chéance, du cours de leurs actions, De méme, les gouvernements nationaux jugent désormais qu'une politique responsable n'a pas pour fin dassurer Ie bien-étre de 1a population ow méme de relancer la croissance, mais de conforter Ia confiance des marchés obligataires dans leur dette publique. Enfin, che7 les particuliers, méme les moins nantis ne misent pas tant leur sécurité matérielle sur la progression de leurs revenus salariaux et le soutien de I'Etat que sur I'appréciation de leurs ressources : A mesure que la précarisation des emplois et la baisse des prestations sociales les obligent & accumuler les recrutements temporaires et les emprunts, c'est avant tout en faisant valoit leurs « capitaux » — patrimoine, mais aussi compétences, relations et, 8 ddétaut, disponibilité et flexibilité sans borne ~, qu’ils s'efforcent améliorer, ou au moins de maintenir leur train de vie. Autre glissement important dans votre analyse par rapport au modle marxien, outre le passage de Pexploité&I’« invest > le changement de scéne : on passe du marché du travail au marché des capitaux, du produit au projet et dela négociation fixant le prix du travail a la spéculation sur la crédibilité dun projet. La mise en regard des deux types de marchés fait apparaitre des pratiques contrastées. Le marché du travail est un terrain essentiellement consacré aux négociations : les. travailleurs négocient le prix de vente de leur force de travail avec les patrons et leurs marchandages convergent vers un point de croisement entre Voffre et la demande. Sur les marchés financiers en revanche, les prix se forment bien moins par la négaciation entre les partenaires de'échange que par les spéculations auxquelles se livrent les agents et qui portent sur la valeur des actifsofferts leur Evaluation. Le cours d'un actif n'est done pas un prix d’équilibre. Hest plut6t l'état actuel des spéculations de la communauté des investisseurs sur Iattractivité de ce tine aux yeux de leurs collegues. Face aux nouveaux enjeux du capitalisme financier, vous lancer : « Une autre spéculation est possible ! » Qu’entendez- vous par Ia ? Faut-il créer des agences de notation citoyenne, spéculer contre les projets polluants par exemple ? Que signifie « habiter » sa condition d’« investi », comme vous y invitez les militants daujourd’hui ? La présentation que je viens de faire du fonctionnement des marchés financiers n'est guére originale : s'y retrouvent tous les admirateurs du chapitre de la Théorie générale de Keynes sur « la prévision d long terme ». Reste qu'elle offre des perspectives nouvelles sur la question sociale et la lutte des classes, une fois admis que celles-ci sont désormais polarisées par le pouvoir des investisseurs Pour s'en convainere, on peut procéder par analogie. Confronté exploitation inhérente au rapport salarial, Ie mouvement ouvrier a certes dénoncé le subterfuge juridique qui donnait au contrat d'emploi allure d'une transaction équitable entre deux: négociants, En pratique, toutefois, si les militants de I'époque ‘éroique ont dénoncé a condition de commergant en force de wwavail qui leur était imposée par l'institution du salariat, ils ont aussi résolument endossée, comme l'identté collective d’od, le prolétariat puiserait son propre pouvoir. Que sont en effet les syndicats ouvriers, sinon des associations de « travailleurs libres », décidés & se présenter ensemble sur le marché de l'emploi en sorte de mieux négocier le prix de leur force de travail ? Réactiver l’intelligence des premiers syndicalistes Réactiver I'intelligence des premiers syndicalistes consiste alors a reprendze leur stratégic, mais en appliquant & la condition '« investi » qu’assignent les pourvoyeurs de crédit. Or, a la diffrence des employeurs, les investisseurs ne traitent pas leurs vis-A-vis en marchands mais en projets aspirant Ase faire appxécier en suscitant des spéculations « haussitres » sur leur propre valeur. L'égale liberté que le capitalisme financiarisé reconnait & tous n'est pas tant celle de négocier, celle dont se sont jadis emparés les syndicats, que celle de spéculer, ou mieux, de Ce docamen et nnagesicement indie ex erin par nent et pa anise, Merde ou adrerser contact media fous shite le difer ABS mmediaparr Ql Mepuaranr 5 spSculer sur les spéculations des autres et, par I8, de peser sur leurs estimations. Par conséquent, s'inspirer de l'inventivité du mouvement ouvrier consiste moins & reprendre les techniques de négociation élaborées au temps du capitalisme industriel triomphant ~ gréves, manifestations, sabotages, etc. — qu’A se former aux techniques de spéculation dont les investisseurs tirent Face & des financeurs qui spéculent sur la valeur des initiatives «titties », que leur présentent les firmes et les Etats, mais aussi face & des managers et des gouvernants qui spéculent en retour sur les annonces susceptibles de rehausser leur attractivité aupres ddes marchés, il revient aux parties prenantes et aux citoyens lésés par les exigences des investisseurs d’apprendre & spéculer pour leur compte, de manitre & modifier les conditions d’allocation du erédit. Sans doute existe-til déja de nombreux exemples de « contre: spéculations militantes » : la publication de révélations, fuitées par des lanceurs d’alerte, sur T'irresponsabilité sociale ou cavironnementale d'une entreprise, les rapports de contre. expertise exposant Ia part odieuse des dettes publiques, les campagnes de boycott contre des projets ou des produits délétéres fou encore les menaces de défaut Inncées par des collectifs dendettés visent tous a affecter le erédit de leurs adversaites. T reste toutefois & faire émerger ce qu’on pourrait appeler Ia conscience de classe des « investis » et &s'interroger sur le modéle organisationnel qui pourrait lui permettee de se cristalliser Lors de I'essor du capitalisme industriel, les syndicats ouvriers cont modelé leur action sur celle des cartels patronaux : comme ces demiers, ils ont formé des ententes pour soutenir le prix ct les conditions d'utilisation de la marchandise dont leurs membres faisaient commerce. Or, pour concurrencer I'aptitude des investisseurs & décider du crédit dont un projet doit bénéficier, ce n’est plus le cartel mais bien I’ agence de notation qui constitue le dispositif le plus adéquat & une appropriation militante D’abord parce qu'elle a précisément pour fonction d’aceréditer ct de discréditer des institutions, mais aussi parce que son mode opératoire est de nature a favoriser la convergence des contre expertises sociales, environnementales, sanitaires et éthiques. F'ajouterai que la vocation de ces agences de notation alternatives nest pas seulement de spéculer conue les projets nocifs mais aussi de favoriser l'appréciation de projets alternatifs. C’est en cela qu’« une autre spéculation est possible » peut devenir un mot ordre d’actualité. Au-dela des exemples que vous venez. d’évoquer, od voyer~ vous les premiers signes de ces nouvelles luttes contre- spéculatives ? Vous citez le « 15 mai » espagnol, le 15-M, et Occupy Wall Street ; mais ces mouyements ne se sont- ils pas essoufflés pendant que leurs rivaux de Wall Street triomphaient ? Les mouvements '« occupation » de 2011 ont fait des institutions financitres leur cible principale. Le krach de 2008, la Grande Récession, mais aussi le choix des gouvernements de renflouer les banques au détriment des contribuables ont dirigé ’« indignation » vers les fournisseurs de crédit. Si le 15-M et Occupy se distinguent également par la décision des militants @'investir des places ou des pares, plus encore que leur souci de se xéapproprier l'espace public, c'est leur ambition de disputer occupation du temps aux investisseurs qui mérite de retenir attention, Quel est en effet le resort le plus décisif de ascendant des tmarchés financiers, sinon leur facullé de faire valoir leurs exigences & chaque instant ? En premitre analyse, on pourait penser que les gouverants nationaux ne sont pas moins tributares de leurs mandants que de leurs créanciers: cat si les seconds financentlargement leurs budges, c'est bien du suffrage des premiers que dépend leur maintien aux affaires. Cependant, la souveraineté des citoyens ne se manifeste que tous les quatre ou cing ans, alors que les marchés obligataires exercent une pression ininterrompue. Or, comme gouvemer consiste généralement & parer au plus press, le souhails des financeurs ne cessent de préempter les revendications des lecteur. Aussi est-ce bien la tentative d'échapper & Tintermittence de Yintervention citoyenne dans le champ politique qui a fait Yoriginalité du 15-M ct d'Occupy. L'occupation protongée d'un lieu public tmoignai d'une volontéd installer ces mouvements dans la durée et surtout de les doter dune capacité expression permanente, A V'instar des institutions finaneitres, les campeurs de la Puerta del Sol ou de Zuccott Park entendaientsoumete les dius & une évaluation incessante de leurs politiques. Sans doute Yepuisement, la repression poliigre et 'impossiblite de miter 8 plein temps oneils eu raison de leur détermination a enter dans le temps des financiors, Reste que leur expérience ~ qui a ensuite nour: les luttes conte les expulsions en Espagne et pour effacement de la dette étudiante aux Etats-Unis ~ permet de stisir enjew : dépasser le cadre des interventions ponetucles = grves, manifestations, vote ~ pour rivaliser avec le pouvoir transformant en quelques années les bilans de leurs sorciers», les Ce docamen et nage sicemen indie ex erin parent et pa anise, Merc de ou adrerser coat @medipart vous subtle difuer. 798

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