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Edmond Paris

1894-1970

Durant des années, Edmond


P A RI S a r a s s em b l é u n e
documentation considérable
concernant l'histoire moderne et
contemporaine. Dans ses oeuvres, il
se réfère à des documents émanant
du Saint-Siège ainsi qu'à de
nombreuses études d'auteurs
appartenant à différents courants
philosophiques, tant catholiques que
Wiques. De nombreux écrivains, y
compris Roif Hochhuth (Le
Vicaire), y ont déjà trouvé une
abondante source d'information.

Après Le Vatican contre la


France, paraissait à Paris, en 1959,
l'important ouvrage Le Vatican
contre l'Europe, puis, en 1970,
L'Histoire secrète des Jésuites, qu'il
termina quelques mois avant sa
mort. Il a laissé quatre autres
manuscrits: le présent ouvrage, Le
Bréviaire de la Superstition
catholique, La Mystification de
l'Enseignement catholique et Le
Regard sur l'Education catholique qui seront édités au cours des prochaines années.

Né à Oran, le 25 janvier 1894, d'une famille française, Edmond Paris fit de brillantes études
au lycée de la ville. A l'âge de dix-huit ans, il vient à Paris et s'inscrit à la Faculté de Droit. Ses
études terminées, il se fixe définitivement dans la capitale où il exerce la profession de conseiller
juridique. Il décide alors de se consacrer aux recherches historiques et à la rédaction et à la
publication de ses ouvrages.

Edmond Paris concevait son rôle d'écrivain et d'historien comme celui d'un homme engagé.
Dans ses oeuvres, il s'est attaché à montrer que le dogmatisme et l'obscurantisme - l'intolérance
idéologique et l'ingérence religieuse dans la politique - ont été à l'origine de presque tous les maux
dont l'humanité a eu à souffrir depuis le début du siècle.
Ce livre est dédié respectueusement à MM. Les membres de
l’UNESCO.
Puisse-t-il contribuer, pour sa modeste part, à l’oeuvre qu’ils
poursuivent pour la diffusion et l’assainissement de l’éducation
dans le monde.
E.P.

« Tout se vend à Rome: temples, autels, sacerdoce, sacrifice,


encens, prières, le Ciel et Dieu même.»

Le Mantouan,
Prieur général des Carmes.

«L’attente fébrile vers le prodige est mère des hallucinations


collectives.»

Edouard Le Roy
de l’Académie française.

«Fatima est devenu une machine de guerre au service de


l’intégrisme catholique.»

Nicolas Houlte
Les Mystères
de
Lourdes, La Salette, Fatima

Les marchands du Temple


Mercantilisme religieux
Marché d’illusions

« Il n’est pas d’autre salut que l’amour de la vérité»


Jean Guéhénno,de l’Académie française.

« C’est pourquoi, renoncez au mensonge et que chacun dise la vérité »


Eph. 4:25

UNION DE DÉFENSE PROTESTANTE SUISSE


AVANT-PROPOS

Les ouvrages traitant de Lourdes et de ses guérisons miraculeuses ont paru en si grand nombre
depuis l'année 1858, où eurent lieu les fameuses apparitions de la Vierge à Bernadette Soubirous,
que leur seule bibliographie, à peu près complète, suffirait à emplir un volume tel que celui ci.
Toutefois, ce sujet rebattu n'a rien perdu de son intérêt, semble-t-il, à en juger par les nombreux
articles de presse et les livres de toute sorte qui en traitent encore aujourd'hui. Une remarque,
cependant, s'impose: tandis que les biographies plus ou moins romancées de sainte Bernadette, les
inventaires des « miracles », les traités de haute spiritualité sur le « mystère » de Lourdes, les études
historiques touchant la genèse de ce culte « mariai »I et autres ouvrages apologétiques, foisonnent
à l'envi à l'occasion du centenaire, l'observateur impartial ne peut manquer d'être frappé de l'absence
quasi complète de la contradiction. Qu'est-ce à dire? Les sceptiques, si nombreux jadis, et même
encore naguère, auraient-ils radicalement disparu, enfin touchés par la grâce, sans doute, et venus
à résipiscence? Ou bien, hypothèse moins édifiante, ne peuvent-ils se faire entendre?
Pour qui a suivi tant soit peu la politique mondiale con temporaire et n'ignore pas, de ce ait,
a gigantesque puissance financière dont dispose aujourd'hui le Vatican, le choix n'est pas douteux
entre les deux explications. Outre les clefs de saint Pierre qui ouvrent les portes du ciel, la papauté
détient désormais la clef d'or qui ouvre celles de la terre... ou les ferme selon le cas. Il n'y a donc pas
à s'étonner qu'aucun ouvrage d'inspiration hétérodoxe ne vienne troubler le concert des apologies.1
Il y a deux ans, pourtant, un livre, un seul, a réussi à franchir le barrage. C'est une thèse
soutenue devant la Faculté de Médecine par le Dr Thérèse Valot. Couronnée par la Faculté, cette
thèse a paru chez un éditeur d'ouvrages médicaux, assortie d'une étude du mari de l'auteur, le Dr Guy
Valot, sous le titre Lourdes et l'illusion.
Ainsi, seul le caractère scientifique de ce travail lui a permis de voir le jour. Madame Valot
devait succomber peu après à un accident d'automobile, et le concert de cannibales qui salua sa mort
« providentielle » jette une lumière assez crue sur la charité chrétienne de ceux qu'elle avait osé
contredire. Nous ne manquerons pas de nous référer à ce savant ouvrage, unique « forceur de
blocus » qui ait pu accéder à l'audience du grand public. Ce sera tout pour les années présentes, du
côté de l'opposition, avec quelques articles de presse et des brochures parues dans les catacombes
où la toute-puissance du pontife romain refoule les non-conformistes, comme jadis Néron les
premiers confesseurs du Christ.
Pour le surplus, nous aurons donc recours à des ouvrages moins récents, publiés à l'époque où
la liberté d'expression était en France une réalité. Ils n'ont rien perdu de leur valeur, au reste, traitant
d'un sujet qui demeure invariable à travers les années.
Mais surtout nous puiserons aux sources les plus pures, chez des écrivains d'une orthodoxie
éprouvée, d'une doctrine sans fissure, ecclésiastiques ou laïcs, car - nous le savons d'expérience - ce
n'est pas sous l'imprimatur qu'on cueille les moins belles perles. Ainsi mettrons-nous à profit, en
quelque façon, le flux d'ouvrages édifiants dont nous a gratifié la munificence papale à l'occasion
du centenaire.

1 On fait aussi des miracles à Rome. Témoin la prolifération fantastique des capitaux sacrés pendant et après la
deuxième guerre mo ndiale (1939-1 945 ). Mais ces m iracles-là, d 'ordre tout po litico-financier, sont de ceux qu'on n'ébruite
pas.

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A cette étude sur la Vierge pyrénéenne, nous en avons joint deux autres consacrées à
Notre-Dame de La Salette et à Notre-Dame de Fatima. Chacune de ces Apparitions « mariales »
revêtant un caractère particulier, il ne fallait pas moins que cette trilogie pour donner au lecteur une
idée suffisante de ces visites dont la Reine des Cieux daigne parfois nous honorer.
Note de l'auteur. - La brièveté voulue de cet ouvrage ne permettait pas d'y insérer les très
nombreuses références sur lesquelles il s'appuie. Nous avons donc multiplié les épigraphes pour
donner au moins au lecteur l'essentiel des textes les plus marquants.

LIVRE PREMIER

« Bernadette Soubirous, affirme-t-on, est sotte. Sotte est peu dire : elle ne comprend rien à ce
qu'on essaie de lui expliquer, les passages du catéchisme, par exemple... au couvent de Nevers, on
lui imputera ce « manque total d'intelligence »...
» A Lourdes tout le monde jugeait Bernadette « insignifiante », « vulgaire » ou « retardée ».
Elle n'avait jamais pu apprendre le français et désespérait ses maîtresses d'école. Elle-même
convenait de sa stupidité, s'écriait : « Je suis bête ! c'est vrai ! Je suis » bête ! »
» Il est évident que l'instauration d'un pèlerinage fait quelque bien au lieu où s'est produit le
miracle... la commercialisation des lieux sacrés est un fait. »
Jean Hellé.

« Lourdes... c'est une essence d'horreur égouttée dans une tonne de grosse joie ; c'est à la fois
et douloureux, et bouffon, et mufle. Nulle part, il ne sévit une bassesse de piété pareille , nulle part
encore, le satanisme de la laideur ne s'est imposé, plus véhément et plus cynique. Oui certes, cela
incite à quitter cette ville et à n'y jamais remettre les pieds... »
J.- K. Huysmans.
(Les foules de Lourdes).

« L'Egypte pharaonique avait ses temples d'Isis et de Sérapis, exclusivement consacrés à la


guérison « miraculeuse ». Les sanctuaires de Memphis, de Canope, d'Alexandrie, de Busyris ou
d'Abydos faisaient ainsi de florissantes affaires. »
André Coronis.

«Quel miracle incontestable ce serait, si les millions de malades qui peuplent les hôpitaux du
monde entier se levaient-il simultanément, délivrés tout à coup de leurs maux ! Mais serait-ce trop
demander à la sainte Médiatrice ? »
XXX.

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« Donnez-moi une demi-douzaine de personnes à qui je puisse persuader que ce n'est pas le
soleil qui fait le jour, et je ne désespérerai pas que des nations entières n'embrassent cette opinion.
» Quelque ridicule que soit une pensée, il ne faut que trouver moyen de la maintenir pendant
quelque temps, la voilà qui devient ancienne, et donc elle est suffisamment prouvée... »
Fontenelle.

« Mgr Donald Campbell, archevêque de Glasgow (Ecosse) meurt à Lourdes »


Combat, le 7 juillet 1963.

« Qui de nous n'a pas entendu parler de la santa casa, cette prétendue maison de la Vierge
Marie transportée dans les airs par les Anges de Nazareth aux marches d’Ancône et dont le
merveilleux récit fait l'objet d'une mention spéciale dans le bréviaire des prêtres catholiques ? »
Louis Roguelin.

« Pour respecter la sainte Vierge est-il nécessaire de croire que sa maison a été transportée
par des anges à travers les airs... Est-il nécessaire de croire que la sainte Vierge est apparue à une
bergère de quatorze ans pour lui révéler que les crimes des prêtres criaient vengeance au Ciel ? »
Julien de Narfon.

«Lorsqu'un apologiste se risque à écrire: «Le miracle de Lourdes impose le surnaturel », il


ne convainc plus personne... On n'a jamais vu à Lourdes des morts ressusciter... »
Henri Fesquet.
(Le Catholicisme, Paris 1962).

« Une question toute naturelle se posait aux esprits: pourquoi Bernadette Soubirous, de
Lourdes, atteinte de tuberculose, n'allait-elle pas réclamer sa propre guérison à la Grotte ? »
Jean Hellé.

«L'année dernière, j'ai écrit un article sur la duperie de Lourdes, dans lequel je disais que
l'eau « miraculeuse » venait du Gave de Pau, la rivière qui court à travers la ville, et que l'Église
catholique l'admettait... »
Dr J.-V. Duhig.
20 février 1969.

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«En fait Lourdes se présente comme un vaste rackett magique entre les mains d'une Église
romaine avide de richesses et de pouvoir. Eau de Lourdes, croix de Lourdes... Tout est présenté avec
le label magique du miracle. Lourdes est devenu le grand bazar de l’Église... L'entreprise se double
d'une usine à entretenir la superstition. »
Guy Casaril.

« En pèlerinage à Lourdes, 2300 aveugles de France... »


La Croix, 6 avril 1967.
Mais aucun cas de guérison ne fut enregistré!)

« En fait, depuis 1858 jusqu'à ce début de 1956, 52 cas de guérison seulement ont été reconnus
à Lourdes. »
Rév. Père Réginald-Omez.
(Imprimatur, 1956).

«On ne peut retenir la légende selon laquelle les apôtres auraient assisté à la mort de la
Vierge, auraient trouvé son tombeau vide, auraient vu son corps emporté par les anges... jusqu'au
VI siècle on ne connaissait pas de sépulcre de la Vierge... cela ne suffirait pas à fonder la croyance
dans l'assomption de la Vierge. »

Jean Guitton,
de l'Académie française.
(La Vierge Marie, Imprimatur 1957).

LOURDES

« Plutôt que d'accorder çà et là, quand elle y pense quelque incertaine guérison, la Vierge ne
pourrait-elle supprimer une fois pour toutes les maux terribles qui désolent l'humanité : la peste,
le cancer, la lèpre, la poliomyélite etc. ? » Ce serait là le vrai miracle, bien plus probant que de
prétendues apparitions à la sauvette... »
XXX.
« La Folie : « Je reconnais authentiquement de notre farine ceux qui se plaisent à écouter ou
à conter de mensongères et monstrueuses histoires de miracles...
» Plus le fait est invraisemblable, plus ils s'empressent d'y croire et s'en chatouillent
agréablement les oreilles.

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» Ces récits, d'ailleurs, ne servent pas seulement à charmer l'ennui des heures ; ils produisent
quelque profit, et tout au bénéfice des prêtres et des prédicateurs. »
Erasme: Eloge de la folie, XL.

« L'évêque de Tarbes juge dans le premier article de Mandement que l'apparition de Notre-
Dame à Lourdes revêt tous les caractères de la vérité, et que les fidèles sont fondés à la croire
certaine.»
Père Laurant Volken.
(Imprimatur, 1961).

« Un fabuleux et prétendu miracle: la guérison totale d'un homme atteint d'une déviation de
la colonne vertébrale à la suite d'une immersion dans une eau miraculeuse. Après enquête, il fut
révélé que le malade portait une bosse en sucre. »
Jean-Louis Chardans.

« Lourdes. Aucun croyant n'aurait la naïveté de solliciter une intervention divine pour la
repousse d'une jambe coupée. Un miracle de ce genre, qui serait pourtant édifiant, n'a jamais
été constaté. »
Félix Michaud.

Les apparitions de la Vierge ne sont pas si rares que pourrait le croire un public insuffisamment
averti. A ce que nous apprend La Croix du 15 avril 1952, durant les vingt années qui se sont écoulées
de 1931 à 1950, la Reine du ciel se serait manifestée vingt-quatre fois ici-bas, dans la plupart des cas
à des fillettes. Encore ce nombre ne représente-t-il, nous dit-on, que les « principales » apparitions.
Nous ne chicanerons pas sur le mystérieux critérium qui permet de distinguer, en cette matière, le
principal du secondaire; pas plus que nous ne demanderons à quel chiffre se sont élevées les visions
de la qualité inférieure. Nous en tenant, donc, à la statistique officielle, remarquons seulement qu'elle
ne fait mention que de l'Europe, à deux exceptions près: l'une au Brésil et l'autre aux Philippines
(Encore l'Église n'a-t-elle pris aucune décision quant à la première, tandis qu'elle rejetait la
deuxième.) Quoi? pas la moindre visite miraculeuse au Canada, aux Etats-Unis, en Argentine, aux
Antilles, en Afrique noire, non plus que dans les « chrétientés » de l'Inde et du Japon? Certes l'Esprit
souffle où il veut, et il serait outrecuidant de lui reprocher ses carences. Mais comment ne pas
s'affliger de voir tant de membres d'une Église qui se proclame universelle, ainsi frappés de
discrimination, soit qu'aucun d'eux n'ait été favorisé de ces visions béatifiques, soit que celles-ci aient
été classées d"daigneusement dans le deuxième choix, sur lequel on fait le silence?

Des examens approfondis


Pourtant l'Europe, ainsi avantagée, aurait tort de s'abandonner à l'orgueil. Sur les 24 apparitions
examinées, 14 ont été rejetées par l'autorité diocésaine, 8 sont encore à l'étude, et 2 seulement, en

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Belgique, reconnues comme de bon aloi. La
Croix ajoute à ce propos : « Autre trait qui manifeste
encore mieux la prudence et la clairvoyance de
l'Eglise: une décision (Beauraing) est
intervenue après onze ans d'attente et
d'examens approfondis, l'autre après seize ans
(Banneux) 2 ».
Nous n'avons pas d'indications sur les
motifs, gardés secrets selon la règle, qui ont
enchaîné la décision des autorités
ecclésiastiques compétentes. Mais onze ans
permettent en effet des « examens approfondis
», cependant qu'une longue « attente » prémunit
contre l'éventuelle versatilité des témoins. On
ne peut qu'applaudir à cette prudence. Quant à
la « clairvoyance » de l'Église, il faut qu'elle
soit bien grande, elle aussi, pour l'avoir amenée
à reconnaître la réalité de l'apparition de
Beauraing contre l'avis des deux experts,
distingués neurologues et fervents catholiques,
commis à l'examen des jeunes visionnaires, et
qui concluaient dans leurs rapports à la
simulation. (L’un des enfants, une fillette, avait
d'ailleurs déclaré tout de go que le mystérieux
nimbe qui ceignait la statue « animée » de la
Vierge était la lueur d'un phare d'auto). C'est ce
que nous apprend le professeur Lhermitte,
lui-même parfait catholique 3. Il cite également
la phrase de regret par quoi se terminait le
rapport de l'un des experts: Portrait et signature authentiques de Bernadette Soubiroux

« Oh, si vraiment la Vierge avait daigné venir chez nous! »


La décision favorable de l'autorité diocésaine, après un délai raisonnable de onze années, a
donc comblé le voeu de cet excellent homme, et s'il fut un peu froissé sans doute, dans sa dignité de
savant, par le mince cas que l'on fit de ses conclusions négatives, il n'a pu que s'en réjouir, par contre,
en sa ferveur « mariale » 4.

2 La Croix, 15 avril 1952


3 Jean Lhermitte : Le problème des miracles (Gallimard 195 6, pp. 177 à 18 5).
4 Le professeur Lhermitte conclut de même négativement dans Le Problème d es Miracles (pp. 178-185) ainsi que
le savant théologien Janssens, (qu'il cite) dans son article : « L'Absence de surnaturel dans les faits de Beauraing, paru
dans les Etudes Carmélitaines de 1933 . Faut-il que les experts ès-miracles du diocèse se soient sentis «inspirés», pour
passer outre à ces avis !

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Une terre bénie
Il apparaît donc clairement que l'Église, pour se prononcer en toute infaillibilité sur ces
matières délicates, dispose bien, ainsi qu'elle l'affirme, de lumières exceptionnelles, peut-être un peu
lentes à l'éclairer, mais dont la transcendance, Dieu merci, n'a rien à démêler avec le sens commun.
Au reste, sans ce secours surnaturel, comment les «doctes >, même d'une compétence éprouvée, se
débrouilleraient-ils pour séparer le bon grain de l'ivraie parmi tant de phénomènes toujours bizarres,
et quelquefois ahurissants, soumis à leur juridiction ? Passe encore pour les apparitions classiques
de la Vierge ; Chez nous, en règle générale, elle ne hante que les grottes, et c'est exceptionnellement
qu'en 1956, à Nîmes, elle choisit pour s'y manifester sous forme de glaçon une bouteille d'eau de
Lourdes 5. On vit aussi, naguère, à Englancourt, sa statue battre doucement des paupières.
Manifestations anodines, en somme.
Mais dans les contrées méditerranéennes, en Italie surtout, dans la patrie de Don Camillo, il
s'en faut que les hôtes du ciel, Madone en tête, montrent la même discrétion. Là, pour un oui, pour
un non, principalement en périodes électorales, le panthéon catholique se met en branle, les effigies
sacrées s'animent d'une vie fiévreuse ; devant les foules excitées, ce ne sont plus que Christs qui
saignent et que Vierges qui pleurent, que saints et saintes se livrant à d'étranges mimiques. Cela sans
préjudice -il va de soi - du « tout-courant », des prodiges dûment classés qu'exécutent à dates fixes
certains bienheureux fonctionnarisés, si l'on ose dire, à la façon de saint Janvier à Naples, et d'autres
exploits insolites réalisés de ci de là par quelques moindres virtuoses.
Sur ces terres bénies, les moines se font volontiers thaumaturges. On voit aussi des possédées
pratiquer la lévitation, du moins si l'on en croit Mgr Cristiani 6, et les stigmatisés n'étonnent plus
personne. Heureux pays où le miracle est quasi quotidien !
Il n'est pas jusqu'au pape Pie XII lui-même... mais nous verrons cela plus loin.
On conçoit que dans ces conditions le contrôle du merveilleux ne soit pas une sinécure, et que
les théologiens voués à cette tâche ingrate y perdent leur latin. Faut-il s’étonner si, débordé par le flot
montant des miracles, le clergé de la péninsule ne se montre pas vétilleux en matière de preuves?
D'aucuns le lui reprochent cependant, et certaines méchantes langues vont même jusqu'à insinuer
qu'il donnerait le coup de pouce...

La belle Dame de la grotte


Quoi qu'il en soit, auprès de subversions de l'ordre naturel aussi spectaculaires, le « fait de
Lourdes » (comme on dit volontiers aux alentours de Saint-Sulpice), réduit à ses éléments d'origine,
pourrait paraître bien mesquin, si l'immense succès de son exploitation mystique et commerciale ne
lui avait assuré la vedette.
On sait l'histoire : le 11 février 1858, une pauvre fille, Bernadette Soubirous - restée à 14 ans
de très petite taille, maladive, grevée d'une lourde hérédité alcoolique, d'esprit borné au point que,
malgré sa piété exemplaire, elle n'a pu parvenir à apprendre le catéchisme - s'en va un matin avec
deux petites camarades ramasser du bois mort sur la rive du Gave, au-dessous de la grotte de
Massabielle, où ne viennent, de loin en loin, que des paysans pour y jeter leurs bêtes mortes,... ou
encore un couple d'amoureux furtifs.
5 cf. Libération' 22 février 1956.
6 cf. Mg r Cristian i : Actu alité de Sata n (Ed it. du C enturion, 1 954 , pp. 131-132 ).

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Restée seule un moment, elle croit voir remuer un buisson et une forme blanche se dessiner
derrière lui dans l'ouverture la plus élevée de la grotte. C'était, d'après la visionnaire: « une jeune fille
pas plus grande que moi, qui nie salua par une légère inclination de tête ». Bernadette se met à
genoux et récite son chapelet. « Quand j'eus fini mon chapelet, elle me salua en souriant. Elle recula
dans la niche et disparut tout d'un coup... »
Telle est la version officielle de cette première entrevue qui devait être suivie de dix-sept
autres. La mystérieuse dame blanche se montre à nouveau le dimanche suivant. A sa troisième
apparition, elle demande à Bernadette de « lui faire la grâce » de revenir pendant quinze jours. Des
enfants, puis des femmes, des hommes, en nombre de plus en plus grand accompagnent la jeune fille,
mais il va sans dire qu'ils ne voient absolument rien.

Les vignes du Seigneur


Il nous faut maintenant donner quelque idée de la famille Soubirous. Pour cela, nous
emprunterons, non à un détracteur de Lourdes, mais au Père jésuite L. M. Cros, lequel, sur le désir
de l'évêque de Tarbes, Mgr Jourdan, recueillit de 1877 à 1879 une masse de témoignages de la
bouche même des contemporains 7.
Voici ce que disait Dominique Vignes, marié à une tante de la future sainte :
« Les Soubirous étaient misérables, ils avaient fait de mauvaises affaires dans le moulin de
Boly. Soubirous était un joueur aux cartes, au cabaret, il ne s'occupait guère de sa famille. La mère
Soubirous buvait : triste femme comme lui ; je crois qu'elle est morte de la boisson ; elle vendait son
linge pour aller boire ; je défendais à ma femme de la fréquenter... »
Témoignage de Basile Casterot (soeur de la mère de Bernadette) : « François Soubirous était
paresseux ; il fallait pour travailler qu'il fût forcé. Louise, dans sa jeunesse, eut toujours une bonne
conduite, alors elle n'aimait pas à boire : cette habitude lui vint après le mariage... Elle tenait à la
religion : M. Pomian était le confesseur de toute la famille... »
Témoignage d'André Sajoux, cousin germain de la mère de Bernadette « Louise était vaillante,
mais elle touchait un peu le vin quand elle avait quelques sous, elle achetait du vin. Elle se sortait
quelquefois de la maison, elle aimait le rouge et plus le blanc. Bernadette commençait à toucher un
peu le blanc... »
Quant à M. Michel de Saint-Pierre, un des plus récents apologistes, il nous apprend que le frère
de Bernadette se glissait dans l'église pour y dévorer la cire des cierges!
Étrange famille...

Pas d'autographe de la Dame


Cependant les autorités s'émeuvent du trouble croissant apporté dans la population par cet
événement qui exalte les uns tandis que les autres s'en gaussent. Le commissaire de police Jacomet,
d'autres fonctionnaires encore, interrogent la visionnaire. Des médecins la pressent de questions et
concluent : « Tout fait supposer que cette jeune fille est cataleptique ». Écoutons encore M. Michel
de Saint-Pierre:

7 L. M. Cros : Tém oins de l'événement (Lethielleux, Paris 1953).

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«Si la Dame existe, murmure le curé Peyramale, bourru, elle n'a qu'à faire fleurir (nous
sommes en février) le rosier sauvage qui pousse au pied de la roche. » 8
Hélas! le rosier ne fleurira pas. Est-ce parce que la Dame s'est froissée d'une telle mise en
demeure ? Ou bien ne veut-elle pas se départir de cette attitude discrète qu'adoptent les apparitions -
comme nous l'avons signalé - de ce côté des Alpes, où elles semblent répugner aux effets trop
voyants?
Ces choses-là sont rudes,
Il faut pour les comprendre avoir fait ses études.
Ses études théologiques, s'entend.
Notre opinion - toute profane - s'appuie sur le fait que, quelques jours plus tard, la Dame laisse
encore passer l'occasion de faire un de ces miracles patents, incontestables, qui jettent à genoux,
humbles et repentants, les pécheurs les plus endurcis.
Elle a manifesté, paraît-il l'intention de laisser un « message ». Le notaire prête une écritoire,
du papier, une plume d'oie, que Bernadette, suivie de son cortège habituel, apporte à la grotte, non
pour s'en servir elle-même, la pauvre fille, car elle est illettrée, mais dans l'espoir que la Dame
daignera écrire en personne ce qu'elle compte lui confier. Hélas une fois encore! La souriante
apparition ne fait pas le geste attendu. Certes, il serait impie de récriminer, et nous nous en garderons
bien. Mais qu'il nous soit permis du moins de déplorer cette abstention. Non seulement elle a frustré
les assistants du spectacle peu ordinaire, et combien édifiant, d'une plume courant toute seule sur le
papier sous l'impulsion d'une invisible main, mais l'humanité, et plus particulièrement l'Église, qui
en aurait quelque besoin, s'est vue ainsi privée d'un document irréfutable venu directement du Ciel.
Donnons aussi une pensée à la déception du notaire, lui qui faillit tenir entre ses mains (et d'une
encre puisée à sa propre écritoire) une pièce olographe unique, comme nul tabellion n'en contempla
jamais.
Miracle dans la cressonnière
Patience cependant; les temps sont proches où va éclater le premier « miracle » de Lourdes.
Le 25 février, Bernadette en extase reçoit cet ordre de la Dame : « Allez boire à la fontaine et
vous y laver ». Il lui est enjoint aussi... de manger de l'herbe. (Est-ce un symbole ?) La jeune fille se
dirige vers le Gave, mais, nous disent les auteurs pieux, la Dame « la rappelle ». Alors elle se penche,
gratte la terre... et l'eau surgit.
Voilà donc enfin le prodige, renouvelé de celui de Moïse, et bien propre à confondre les
incrédules! Pourquoi faut-il que, par malheur, les déclarations des contemporains viennent doucher
notre enthousiasme?
Que dit l'évêque de Tarbes de l'époque, Mgr Laurence, rappelant le fait dans un mandement,
en 1862?
« L'enfant obéit, mais elle ne trouve que cette terre détrempée. Aussitôt elle pratique de ses
mains un petit trou qui se remplit d'eau boueuse, elle boit, se lave et mange une espèce de cresson
qui était dans ce lieu. » 9
Écoutons aussi les Lourdais interrogés par le Père jésuite Cros 10 :
8 Michel de Saint-Pierre : Bernad ette et Lourdes, cité par M. P. de Bo isdeffre dans Combat du 15 octobre 1953.
9 Drs T. et G . Valo t : Lourd es et l'illusion (M aloine 195 6).
10 L. M. Cros : Tém oins de l'événement, Lourdes 1958 (Lethielleux, Paris 1958).

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Témoignage du capitaine de gendarmerie en retraite d'Angla, ancien maréchal des logis à
Lourdes en 1858
« Je connaissais les Soubirous avant les apparitions, comme gens sans ressources et
maraudeurs... J'étais convaincu que la fontaine exista de tout temps. Je dis plus tard, quand on publia
le contraire dans les livres : c'est un mensonge... J'affirme que la source existait avant les événements
de 1858, mais non telle qu'elle est. Avant de sourdre de la paroi gauche de l'excavation, on voyait
en maint endroit l'eau couler sur un sol inégal, s'infiltrer et disparaître travers une couche pierreuse
pour en ressortir plus loin. Dans la grotte le rocher la suait abondamment, mais ne la projetait pas
en fontaine jaillissante; c'est en l'enserrant dans le sol tassé par le travail du terrassement qu'on est
arrivé à avoir un jet unique et compact... »
Témoignage de Sophie Pulo : « Avant les apparitions, j'ai vu au coin de la grotte, à gauche,
toujours un peu d'eau l'endroit où Bernadette alla ensuite gratter : il y en avait comme une assiette.
Quand les prêtres de Tarbes vinrent faire l'enquête, on fit venir mon père pour l'interroger. Mon père
répondit que la source y était de tout temps. »
Tel était ce terrain sec, anhydre même, d'où « jaillit »tout à coup la fontaine miraculeuse, aux
dires des apologistes !

Une exhortation paternelle


Peut-on être surpris que maints concitoyens de Bernadette lui aient refusé tout crédit ? Parmi
les témoignages que cite le Père Jésuite Cros, celui de Mme Jacomet, veuve du commissaire de
police, est particulièrement suggestif :
« Pour moi, bien que je ne croie pas aux apparitions de Lourdes, j'aime la Sainte Vierge...
Avant la grotte, je n'avais guère connu les Soubirous... Louise Soubirous se saoulait, je l'avais ouï
dire. Jamais je n'ai rien entendu dire contre Bernadette, excepté qu'elle buvait. Le 4 mars, tandis que
Bernadette était à genoux, son cierge à la main, j'entendis le père François Soubirous dire à
demivoix à sa fille : « Nou trompés pas oué. I hé dé pla. (Ne te trompe pas aujourd'hui ; fais bien.)»
«Il paraît que, la veille, Bernadette s'était levée sans avoir eu de vision. Quand j'ai entendu
François Soubirous parler à sa fille comme je vous l'ai dit, le doute est entré dans mon âme et il n'en
est plus sorti. »
Comme on comprend cela! Il faut avouer qu'on douterait à moins.

Pensées célestes
Heureusement pour la gloire de Lourdes et le futur essor du commerce local, il ne manquait
pas de spectateurs de ces extases qui, eux, ne voulaient douter à aucun prix. C'est sur le compte de
ceux-là qu'un journaliste parisien, imbu (déjà !) du plus grossier matérialisme, s'exprimait dans les
termes suivants : « Impossible de décrire l'abêtissement et le crétinisme moral de ces benêts. La
visionnaire s'en sert comme d'une bande de singes, et leur fait exécuter des momeries de tout
genre...» 11
Le jugement était sévère à l'égard de ces bonnes gens qui entendaient bien prendre leur part
de ces merveilles, ne fût-ce que par personne interposée.
11 "M ichel d e Saint-Pierre, op. cit.

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N'étaient-ils pas suffisamment récompensés à ouïr de la bouche de la voyante quelqu'une de
ces fortes pensées célestes dont la Dame se plaisait à la gratifier ? C'était : « Priez pour les pécheurs »
- « Pénitence ! Pénitence ! Pénitence !» - et enfin : « Dites aux prêtres de bâtir une chapelle et qu'on
y vienne en procession. »
On jugera peut-être que ces exhortations d'en-haut n'étaient pas des plus originales, ni d'une
inspiration bien relevée ; que Bossuet et Bourdaloue ont fait beaucoup mieux dans le genre avec des
moyens tout humains. Telles quelles, pourtant, elles restaient bien dans la tradition, la dernière en
particulier, car on sait que les immortels, quel que soit l'Olympe ou le Paradis qu'ils habitent, ont un
goût commun pour l'encens.
L'ennui, c'est qu'on ne savait à qui la dédier, cette chapelle, la Dame s'obstinant à conserver
l'anonymat. Si bien que Bernadette la désignait le plus souvent dans son patois par aquéro (celle-là).

Une bizarre identité


Il faudra attendre le 25 mars (après quelques jours où l'accès de la grotte fut interdit par
décision préfectorale) pour qu'enfin, au cours de son avant-dernière apparition, la Dame se décide
à livrer son identité. Mais en quels termes ! C'est bien le cas de dire que l'on n'avait rien perdu pour
attendre. En effet, d'après Bernadette, aquéro avait déclaré tout uniment dans le patois lourdais :
« Que soy era Immaculada Councepciou (je suis l'Immaculée Conception) ».
Le curé Peyramale, qui alors n'était pas encore éclaire par la grâce (ou par le maire Lacadé,
selon le Dr Guy Valot), pouvait s'exclamer avec juste raison : « Ce n'est .pas un nom de personne,
cela ! ». En effet, c'est seulement le nom d'un dogme, et l'on ne sait comment s'expliquer une erreur
si grossière de la part de la céleste visiteuse. Ainsi, jadis, certain naïf prenait Le Pirée pour un
homme. Mais Bernadette maintenait hautement son dire. Seul le discret abbé Pomian, son confesseur
et celui de toute la famille, comme nous l'avons vu plus haut, eût pu sans doute éclaircir ce mystère;
ou encore le père Soubirous qui exhortait si bien sa fille, enfant docile mais malheureusement
bornée.
D'ailleurs, les enthousiastes ne regardaient pas de si près. La Sainte Vierge - car c’était Elle,
on n'en doutait plus désormais - pouvait bien s'exprimer comme bon lui semblait. N'était-elle pas
assez grande dame, après tout, pour bousculer, s'il lui plaisait, les règles du bien dire ? Les autorités
ecclésiastiques se rangèrent à cet avis, et la surprenante formule : « je suis l'Immaculée Conception »,
passa comme lettre à la poste. C'est ainsi qu'on peut voir encore aujourd'hui la statue de la Vierge,
dans la grotte de Massabielle, s'orner de cette audacieuse métonymie - la version gasconne sur le
socle et la française en guise d'auréole - cela pour l'édification des simples - et le scandale des lettrés.

Marie... ou bien sainte Anne?


Devons-nous, maintenant, exprimer toute notre pensée? La chose est délicate... Hasardons-la
pourtant. En identifiant la Dame de la grotte à la Reine des cieux, les autorités compétentes, Nos
seigneurs les évêques et autres « doctes », n'auraient-ils pas été un peu vite en besogne? Il nous
semble à nous, sauf respect, qu'ils ont agi dans cette affaire avec quelque légèreté. Bref, pour tout
dire, nous craignons qu'il y ait erreur sur la personne.
En effet, même si l'on admet le tour de langage insolite par lequel la Dame déclina son identité,
s'ensuit-il qu'il désigne la Sainte-Vierge? Et pourquoi pas sainte Anne? Car enfin la conception -

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immaculée ou non - concerne la mère autant que l'enfant, que l'on sache ! Autant et même davantage.
C'est du moins ce que prétend le dictionnaire. Qu'y lisons-nous ? « Conception : Action par laquelle
un enfant est conçu ». Voilà qui est formel: le mot désigne bien l'action et non son résultat. Dès lors,
il ne peut convenir qu'à la mère. Qui peut dire : « je suis cette action », sinon elle ? La Dame était
donc sainte Anne et non Marie. C'est peut-être fâcheux, mais qu'y faire ?
L'Église a autorité sur le dogme et non sur le langage. Elle ne saurait modifier à sa guise le sens
des mots.

Un problème angoissant
Cela posé, comment s'expliquer la méprise? « A tout seigneur tout honneur », nous dira-t-on
peut-être. De fait, il semble bien que seule la prééminence de la Vierge ait emporté la décision dans
cette affaire. Mais mieux encore: à bien y réfléchir, on en vient à se demander si cet étrange abus de
mots que commettait la Dame en s'affublant du nom d'un dogme - erreur inconcevable chez personne
d'aussi haut parage - n'était pas destiné justement a créer l’équivoque; si l'apparente faute ne
dissimulait pas un piège. Il n'y a pas à se récrier l'a-dessus. Le Ciel aime bien parler par énigmes.
C'est un fait don l'Ancien Testament nous offre maint exemple, pour ne rien dire du Nouveau. Que
de passages diversement intelligibles ont engendré des controverses infinies! D'ailleurs, sans cela,
y aurait-il une exégèse, un apologétique et, partant, des théologiens?
C'est donc à bon droit que nous nous permettons de soumettre à la sagacité de ces derniers la
grave question qui se pose. Elle vaut bien qu'ils y appliquent tout leur art, car la réponse est
d'importance. Voit-on que la Dame érigée sur les autels, à Lourdes, ne soit pas la bonne! On frémit
à l'imaginer...

Une bourde géniale


Pour ceux que laisserait mal convaincus le raisonnement précédent, et qui répugneraient à
croire que cette étonnante déclaration d'identité : « Je suis l'Immaculée Conception », émanait
vraiment de sainte Anne, voire de sa fille Marie, on peut essayer d'une autre explication, celle-là tout
à fait terre à terre.
Bernadette eut-elle un « souffleur » ? L'hypothèse est assez vraisemblable.
Peu avant ses apparitions, la fillette avait séjourne pour sa santé à Bartrès, à 3 km de Lourdes,
où le vicaire Ader confiait à l'instituteur, M. Barbet, qui l'a rapporté dans son petit Guide des
Pèlerins: « J'ignore ce qui se passe en moi, mais toutes les fois que je rencontre cette enfant, il me
semble apercevoir les bergers de La Salette ». C'est l'apologiste G. de Pierrefeux qui fait état de cette
curieuse... prémonition, dans Le Triomphe de Lourdes, à la page 256 12.
Le certain, en tout cas, c'est que la fillette avait un confesseur 13.

12 cf. André Lorulot : Lourdes (Edit. de l'Idée Libre, Herblay 1933).


13 On lit dans un rapport du procureur impérial, M. Dutour, daté du 19 avril 1858 : « On sait maintenant qu'un
ecclésiastique, son confesseur, exerce une grande influence sur sa conduite, qu'elle lui rend compte, en dehors du tribunal
de la p énitence, des démarche s qu'elle fait ou dont elle est l'objet. »

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A supposer que la première extase ait été spontanée, il est clair que ce directeur de conscience
en reçut la confidence sans déplaisir, à en juger par la façon dont sa pénitente persévéra dans cette
voie de perfection; et sans doute n'est-il pas téméraire de supposer qu'il l'y soutint de ses conseils -
au besoin en les lui faisant rappeler, sur les lieux, par son père...
Mais le succès passa son espérance. En un mois, cet événement qui devait édifier la petite ville
pyrénéenne a tourné au scandale et presque à l'émeut--. Il est temps d'en finir. L'ecclésiastique le sent
bien. Peut-être aussi le lui a-t-on fait comprendre.
Cependant, comment renvoyer au néant - ou au Ciel - la mystérieuse Dame sans lui avoir
donné un nom ? Certes, il n'est si bonne compagnie qui ne se quitte, mais après ses visites réitérées
(il y en aura 18 en tout), peut-elle décemment se retirer aussi anonyme qu'au premier jour ? D'autre
part, comment oser mettre tout uniment dans la bouche de ce phantasme : « je suis la Sainte Vierge»
ou « je suis la mère de Dieu » ? Voilà qui ferait plus que de friser le sacrilège ! Sans compter les
réactions de l'autorité civile en alerte, voire de l'évêché, encore réticent... Tel se présentait le
dilemme, d'où il n'était pas aisé de se tirer.
L'« Immaculée Conception » fut une vraie trouvaille. Merveilleusement jésuitique, elle disait
tout... sans rien dire.
Pour notre part, nous la mettons bien au-dessus de ces pâles exhortations : « Priez pour les
pécheurs » ou « Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! » - n'en déplaise à tant d'auteurs pieux qui se
battent les flancs pour tirer de ces pauvretés un enseignement hors de pair, un « message spirituel»
d'une incalculable portée.
Nous la préférons encore à cette escobarderie, à la « fontaine » aux eaux boueuses, et même
au cresson à brouter, si amusant pourtant... et combien significatif !
On peut dire que le « souffleur » fut vraiment inspiré quand il tira de son cerveau roublard cette
bourde géniale, d’ailleurs promise aux plus glorieuses destinées.

La transe à heure fixe


Ainsi raisonnent les sceptiques, race abhorrée des hommes et des dieux. Ils ne manquent pas
non plus de faire remarquer que l'accès de la grotte fut interdit à peu près la moitié du temps que dura
le « mystère » de Lourdes. (La défense ne fut levée que sur l'intervention de l'impératrice Eugénie,
pieuse Espagnole qui se trouvait alors à Biarritz en compagnie de son auguste époux.) Tout compte
fait, la vision de Bernadette se reproduisit donc à peu près chaque jour qu'elle se rendit à la grotte
- et cela 18 fois ! C'est un exemple unique, croyons-nous, de l'extase à répétition - et encore au milieu
de la foule !
Mais, voyons, cela ne rappelle-t-il rien ? Eh oui, cela rappelle à s'y méprendre la « transe » à
heure fixe des voyantes de music-hall, honnêtes artistes qui travaillent dans l'illusion sous l'invariable
direction d'un « Professeur » X ou Y. (« Madame ... Stella ... ou Christabel ... ou Rosalba de Jéricho,
que voyez-vous ? Il y a ici, au septième rang de l'orchestre, une personne qui... » etc.)
Là aussi le programme a ses exigences, et l'« Esprit », consciencieux, ne manque pas au
rendez-vous.

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L'apôtre de la source
Trêve de plaisanterie, dira-t-on. A Lourdes il y a des miracles.
Certes - et même au début on put craindre qu'il n'y en eût trop. Tout nouveau, tout beau.
Quoique rare et terreuse encore, l'eau sainte issue du Paradis prodiguait avec une folle largesse ses
vertus longtemps comprimées - et le cresson faisait merveille. Ce fut un inoubliable spectacle, une
cascade de miracles. « En ces lieux des aveugles voient, des sourds entendent, des paralysés
marchent... 14 »
Si l'on ne ressuscita pas les morts, ce fut tout juste. Encore ne voudrions-nous pas en jurer.
Du reste, comment en eût-il été autrement ? La protection divine s'étendait de façon évidente
sur ces lieux que la Vierge ou sainte Anne - avait élus pour s'y manifester. Déjà, le maire Lacadé était
des plus compréhensifs, mais surtout, par l'octroi d'une grâce particulière, Dieu avait fait « surgir de
sa dextre » l'homme le plus propre à représenter dans le « siècle » les intérêts de la source sacrée.
Personnage providentiel (bien que révoqué deux ans auparavant de l'hospice de Lourdes), le Dr
Dozous était, si l'on peut dire, l'apôtre des sources thermales. Celle de Cauterets, à ce qu'y prétendait,
guérissait non seulement la tuberculose, mais encore toute une kyrielle de maladies 15. On juge de
ce qu'il advint lorsque, en place d'eaux qui n'empruntaient leurs vertus efficaces qu'au soufre ou aux
sels minéraux, il en eut une en mains, toute chargée de radiations célestes. Chez ce premier directeur
du Bureau médical, ce fut une rage, un délire ! De tous ceux qui s'aventuraient dans la grotte de Mass
bielle, bien peu ne s'en retournaient pas guéris - au moins sur ses registres.
« Tempérament généreux, passionné, humanitaire... », comme le veut l'abbé Laurentin 16, ou
homme d'une conduite « tortueuse, déloyale et indélicate au premier chef », d'après son contemporain
le sous-préfet Duboe, on ne peut du moins lui contester d'avoir été le vrai lanceur de Lourdes, le
« créateur du mythe » selon l'expression du Dr Guy Valot.
Plus tard, appelés à gérer l'affaire, les Pères de la Grotte, effrayés par cette avalanche de grâces,
jugèrent plus prudent de se priver des services de ce grand homme, et le remplacèrent par un
praticien moindrement inspiré qui ramena les guérisons miraculeuses à un chiffre sinon plus vrai,
du moins plus vraisemblable.
Volontairement oublié de ses ingrats concitoyens, escamoté le plus possible par les histoires
de la Grotte, ce pionnier n'a point de statue sur la place publique pour commémorer ses exploits.
Mais grâce au Ciel, il en subsiste quelque trace. Certains de ses « cas » sont demeurés célèbres, l'un
surtout, le premier « grand » miracle de Lourdes, qui commença de fonder sa réputation : celui de
l'aveugle Bourriette.

14 La Croix> 4 janvier 19 53.


15 Cf. L'article du Dr Valot dans l'Idée Libre de mai 1958, p. 211.
16 Lourdes, documents authentiques (Lethielleux, Paris 1958).

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La première pierre

M. Jacques Derogy a fort bien résumé l'affaire :


« A l'époque on n'avait pas encore pris très au sérieux les visions de la bergère. Il fallait corser
la révélation en obtenant une guérison miraculeuse. C'est alors qu'un carrier nommé Louis Bourriette
se présenta à un médecin de Lourdes, le Dr Dozous, en prétendant avoir recouvré la vue par un
simple bain d'yeux dans l'eau de la source. La légende de l'aveugle guéri ne tarda pas à faire tache
d'huile.
Or Bourriette n'a jamais été aveugle ! Il résulte de trois observations médicales, retrouvées par
le Dr Thérèse Valot, que Bourriette était un vieux client du Dr Dozous, en proie au delirium tremens
et qui avait reçu vingt ans plus tôt, au cours de son travail, un petit éclat de pierre au niveau de la
sclérotique de son oeil droit. C'est pourtant sa « guérison » qui va bâtir toute l'histoire de
Lourdes... 17
On peut dire en effet qu'avec son « éclat x le malin carrier a posé la première pierre. Elle n'était
pas grosse pourtant, mais idoine : parva sed apta. Faut-il ajouter que la démonstration ne gêne en
rien les écrivains apologistes ? Dans leurs oeuvres les plus récentes, Bourriette, ce témoin de
l'époque héroïque, ce premier confesseur d'une nouvelle foi, trône toujours à la place d'honneur,
immuable et benoît comme saint dans sa niche - miraculé in aeternum.

Autres guérisons convaincantes


Notons encore une histoire d'aveugle, celle d'un bonhomme de Luz, lequel, lui aussi, recouvra
subitement la vue qu'il n'avait pas perdue - ce qui est bien en quelque façon un miracle. La
supercherie fut découverte quand le curé de Luz eut protesté. Découverte, et non publiée, il va sans
dire.
Autre cas demeuré fameux, mais celui-là à mettre au compte d'un petit Lourdes belge,
Oostaker - car la maison a des filiales, nous le verrons plus loin. C'est le « cas » de Pierre de Rudder:
guérison instantanée d'une jambe fracturée, avec esquilles, suppuration, etc., ce qui, à dire d'expert,
représenterait le fin du fin de l'inexplicable, le miracle-type en quelque sorte.
Mais voilà, la jambe examinée pour constatation étaitelle la bonne - c'est-à-dire la mauvaise,
celle qui avait été brisée ? Il y a tout lieu d'en douter.
L'expert d'Oostaker, le lendemain même de la « guérison », trouvait la face interne du tibia
absolument lisse ; or, un examen postérieur révélait un accident dans l'architecture de l'os.
Voyons ce que dit à ce sujet, non un médecin mécréant, voltairien, mais le professeur
Lhermitte, excellent catholique, membre de la Société de Saint-Luc :
« Le squelette de la jambe, qui a été exhumé et conservé, laisse apparaître, en effet, une
angulation importante du tibia et du péroné et cette déformation ne pouvait guère passer inaperçue.
On se demande donc si l'honorable praticien n'a pas été trompé en faisant porter exclusivement son
examen sur la jambe saine au lieu du membre qui venait soi-disant d'être consolidé 18.»
17 Libération, 14 juin 1956.
18 jean Lhermitte, Le Problème des Miracles (Gallimard, Paris 1956, pp. 106-107.

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N'est-ce pas charmant ? Et n'est-on pas fondé à sourire lorsque les « lourdo1àtres » font sonner
bien haut la rigueur scientifique qui préside aux constatations médicales de cette sorte ? Le cas est
loin d'être isolé. On peut le voir en poursuivant la lecture de l'ouvrage dû au professeur Lhermitte,
lequel (« Seigneur, gardez-moi de mes amis. ») ne nous laisse pas grande illusion sur la valeur des
méthodes usitées encore aujourd'hui par les « experts » du B. C. M. de Lourdes, et le caractère plutôt
fantaisiste de leurs conclusions.

Une explication lumineuse


Ainsi, le Dr Leuret, maintenant décédé, qui fut directeur de cet organisme, et le Dr H. Bon,
publiaient en 1950 un ouvrage en collaboration sur les cas à eux soumis 19. A propos de la
pseudo-guérison miraculeuse d'une certaine Mme Biré (la « repousse », peut-on dire, d'une rétine
atrophiée), ces deux médecins exposaient quel avait été, d'après eux, le processus de l'action divine,
et ils concluaient en ces termes : « Les tissus atrophiés acquerraient dans cette hypothèse, sans doute
sous une action vitalisante, la faculté de suppléer les éléments différenciés qui parviendraient à se
régénérer dans la suite. »
Où donc es-tu, Molière, père immortel des Diafoirus ? Le professeur Lhermitte se contente de
noter froidement : On nous excusera de ne point nous attarder à la réfutation de l'opinion de ces
auteurs dont l'imagination dépasse les données du réel, objet de l'observation et de l'expérimentation
scientifique, et ne s'appuie sur aucun fondement 20. »

La signature de la Vierge
Plus loin, c'est l'histoire de la guérison prétendue miraculeuse Y. (Lhermitte dixit) d'une
tuberculose pulmonaire de caractère évolutif. Disparition de l'expectoration, de la fièvre, reprise de
l'appétit, etc... Mais, six ans après, l'examen radiologique révélait toujours une caverne au sommet
du poumon droit. Qu'à cela ne tienne! On va nous expliquer la chose. « C'est ce que nous appelons,
écrivent F. Leuret et H. Bon, la signature de la Sainte Vierge qui permet souvent d'authentifier
rétrospectivement le miracle. »
Et le professeur, qui vient de citer cette phrase effarante, de conclure avec quelque ironie :
« On le voit, à suivre cet enseignement, il serait plus heureux pour le miraculé de conserver une
séquelle importante de ses lésions que d'en être débarrassé complètement... 21 »
On voit aussi par là que les « constatateurs » du B.C.M. n'ont pas beaucoup changé depuis le
Dr Dozous, de glorieuse mémoire.

Contrôles réticents
Le professeur Lhermitte déplore en effet, avec le R. P. Bouillard, que le contrôle des guérisons
miraculeuses « ne soit pas toujours accompagné de toutes les précisions que rend possible la
technique moderne ».
19 F. Leuret et H. Bon : Les Guérisons miraculeuses modernes (Presses Universitaires, Paris 1950).
20 Jean Lherm itte, op. cit., pp. 10 3-10 4.
21 Jean Lhermitte, op. cit., pp. 109-110.

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« Peut-on concevoir, poursuit-il, un diagnostic d'affections osseuses ou articulaires sans que
celui-ci soit confirmé par des radiographies; un diagnostic du mal de Pott sans examen du liquide
céphalo-rachidien, un diagnostic d'affection pulmonaire: tuberculose, néoplasme, sans plusieurs
examens radiographiques et tomographiques, un diagnostic de lésion cardiaque sans
électro-cardiogramme...
« Sans doute, les éléments qui se trouvent à la base de toute oeuvre d'expert qualifié et que
nous venons très sommairement de rappeler, sont connus et acceptés par tous les spécialistes, mais
il semble que du côté des experts appelés à donner leur avis sur les guérisons dites miraculeuses, une
réticence notable se fasse sentir 22. »
Et le professeur cite, en exemple de cette « réticence », ce qu'écrit le R. P. Dubarle : « C'est
vouloir ignorer beaucoup que de vouloir connaître scientifiquement ; c'est surtout vouloir connaître
de travers 23. »
A supposer - ainsi qu'on nous le laisse entendre - que les « experts » s'inspirent de ce beau
principe, on ne peut guère s'étonner si, comme le constate le même R. P. Dubarle : « Aucun
événement miraculeux n'a été, du moins à la connaissance du rédacteur de cette étude, l'objet d'une
observation qui en ferait une véritable donnée scientifique 24. »
L'aveu est précieux, surtout sous la plume de ce savant ecclésiastique ; et voilà - une fois n'est
pas coutume -les sceptiques d'accord avec les croyants, ou plutôt avec ceux d'entre eux qui ont une
formation scientifique.

Pas de miracle démontrable


Mais les autres - les malheureux ! - peuvent-ils au moins espérer qu'un jour les « experts Y
useront de plus de rigueur dans leurs observations et que quelque bon miracle dûment contrôlé,
patent, incontestable, leur sera fourni, qui leur permettra de confondre les incrédules ? Hélas !
Lasciate ogni speranza... comme il est inscrit, selon Dante, aux portes de l'Enfer. Voici le Dr
Sendrail, autre savant catholique, qui déclare : « C'est errer, en effet, comme le font beaucoup,
d'attendre que se dégage un jour, dans travaux du Bureau des Constatations, une démonstration
scientifique du surnaturel 25. »
Et le professeur Lhermitte, décidément impitoyable, renchérit :
« Un de mes très éminents collègues, aujourd'hui disparu, dont la noblesse d'âme égalait la
qualité exceptionnelle de ses dons de médecin auquel j'avais demandé, au titre de président du
Comité de l'Ile-de-France de la Société de Saint-Luc, de faire une conférence sur les guérisons
miraculeuses, déclara publiquement qu'ayant été sollicité pour assumer le poste de médecin du
Bureau des Constatations dans un lieu de pèlerinage fort célèbre, il s'y était refusé. « Si j'avais été
le contrôleur des guérisons » Miraculeuses, il n'y aurait plus eu de miracles », nous dit-il. Parole
audacieuse mais qui mérite que l'on s'y arrête.

22 Jean Lhermitte, op. cit., pp. 90 à 92.


23 24 R. P. Dub arle : « L'attitude d u savant chrétien en fac e du fait miraculeux (Bulletin de la Société de
Saint-Luc, 1954).
25 M. Sendrail : Guérisons naturelles et guérisons miraculeuses, (Bulletin de l'Association m édica le internationale
de Lourd es, juillet 1949 ).

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« Pourquoi, poursuivit notre conférencier, les miracles auraient-ils disparu ? Parce que je me
serais armé de tous les dispositifs les plus perfectionnés de la science expérimentale moderne ; avant
de se rendre au foyer des miracles, les patients eussent été examinés, soumis aux investigations les
plus profondes dans la mesure où elles s'imposaient.
Nous aurions donc eu en mains des documents probatoires indiscutables attestant les
antécédents et les conséquents d'une action mystérieuse, celle même du miracle. »
L'éminent collègue du professeur Lhermitte expose comment il aurait recherché dans les
centres urbains des malades qui, selon l'avis d'une commission de médecins et de biologistes, ne
pouvaient pas guérir. « Nous en prendrons un nombre aussi important que possible et ces patients,
déclarés absolument incurables, seront envoyés, après leur consentement, dans les endroits où se
réalisent les guérisons miraculeuses. « Eh bien, concluait notre collègue, je suis bien persuadé qu'il
n'y aurait aucun miracle 26. »

Quand Dieu se retire...


On peut se demander, après une déclaration aussi dénuée d'artifice, comment il existe encore
des gens informés pour ajouter foi aux miracles de Lourdes. Il en est encore cependant, comme on
sait, et l'auteur de cette déclaration le tout premier. Cela, le professeur Lhermitte, bon catholique,
tient à nous le bien préciser, et il explique le fait comme suit : « Selon son opinion, agir de la
manière que nous venons de rapporter eût été se faire « juge de Dieu »ce qui est inadmissible d'une
part, et eût entraîné, d'autre part, le refus de Dieu d'opérer des miracles 27. »
Et voilà ! Passez muscade...
Notons que le savant mais pieux professeur fait sienne l'opinion ainsi rapportée. Plus loin,
parlant de stigmatisées - une trentaine ! - soumises à une vérification sévère (application d'un
pansement cacheté, sujet isolé en cellule), il nous dit que chaque fois, au bout de quelques jours,
toute trace des plaies disparut, laissant apparaître « un revêtement cutané normal », et il conclut :
« S'il s'agissait d'une affection naturelle, de semblables expériences suffiraient à ruiner tout
crédit aux manifestations stigmatiques, mais si elles sont d'ordre surnaturel, toute critique perd sa
force et s'évanouit : Dieu se retire des prises de la science expérimentale 28. »

La voie étroite
Certes, c'est le droit le plus strict du professeur Lhermitte de se retrancher derrière cette
explication mystique, mais le nôtre n'est-il pas de lui faire observer qu'il se contredit à plaisir ?
Si « Dieu > se retire des prises de la science expérimentale », s'il se dérobe à tout contrôle, à
quoi bon toutes ces précautions méticuleuses réclamées par l'auteur quelques pages plus haut ?
Pourquoi ces diagnostiques confirmes par les méthodes les plus sûres, ces radiographies, ces
examens du liquide céphalo-rachidien, ces tomographies et ces électro-cardiogrammes - si vivement
souhaités par lui - s'ils ne doivent servir qu'à effaroucher le miracle ?

26 27 Jean Lherm itte, op. cit., pp. 13 0 à 132.


28 Jean Lhermitte, op. cit., pp. 138-139.

Page 22
Et comment a-t-il pu houspiller les experts du Bureau des Constatations pour le peu de rigueur
de leurs observations avant et après guérison, et les railler discrètement sur cette « caverne » au
poumon considérée par eux comme la signature de la Vierge ?
Ils auraient beau jeu à lui rétorquer, en reprenant les termes employés par son éminent
collègue, et même les siens propres : « C'est nous qui sommes dans le droit chemin en ne nous «
armant » pas de « tous les dispositifs les plus perfectionnés », en ne soumettant pas les malades aux
« investigations les plus profondes », en ne nous souciant pas de réunir les « documents probatoires,
indiscutables, des antécédents et des conséquents ». Nous ne voulons pas risquer de voir Dieu « se
retirer des prises de notre science expérimentale ». Nous ne voulons pas nous faire les « juges de
Dieu » et entraîner par là son refus d'opérer des miracles. »
Voilà une objection, nous semble-t-il, à laquelle le docte professeur aurait quelque peine à
répondre.
Mahomet a dit que le chemin qui mène au Paradis est aussi étroit que le tranchant d'un sabre.
Celui que parcourt, en équilibre instable, un savant qui se veut catholique ne paraît pas être beaucoup
plus large - d'où les chutes...
Le fin mot du problème
Nous sommes donc invités, disions-nous plus haut -non seulement par le savant auteur du
Problème des miracles, mais encore par des autorités aussi incontestées que le philosophe catholique
Blondel, les R. P. Liégé, Dubarle, Bouillard et autres représentants hautement qualifiés de
l'orthodoxie théologique - à considérer la réalité du miracle comme matériellement indémontrable.
Le Dr Sendrail précise même qu'elle ne peut être reconnue que par « une libre adhésion des âmes,
voire une grâce que chacun doit mériter, et qui ne saurait être le partage de tous 29. » Ce que M. Jean
Cotereau 30, polytechnicien visiblement privé de cette grâce nécessaire, traduit en ces termes précis:
« Au fond, le fin mot du problème est qu'il n'existe de miracles que pour ceux qui y croient
d'avance. »

Universalité des grâces


On ne peut décemment se montrer plus royaliste que le roi et puisque les autorités susnommées
nous affirment que les miracles ne sont point ce qu'un vain peuple pense, c'est-à-dire de ces
évidences grossières destinées au commun usage, mais bien de subtiles révélations réservées aux
âmes d'élite dans leur colloque avec le Ciel, il ne nous reste qu’à en prendre humblement bonne
note - non sans nous étonner un peu, pour tout dire, du tapage (nous avons failli écrire : infernal) que
l'on mène autour de ces intimités. Car, sans vouloir être aucunement désobligeant, on peut bien
avancer - et nul témoin ne le contestera -que les défilés tumultueux de Lourdes évoquent beaucoup
plus le tintamarre assourdissant des parades foraines que le silence recueilli de l'oraison jaculatoire.
Tout comme la réclame faite à ce lieu de discrets « colloques » ne serait pas désavouée par les plus
effrontés barnums de la publicité yankee 31.
29 Jean Lhe rmitte, op. cit., p. 142. (Le D r Sendrail dit encore que le miracle « est la preuve d'une élection. Il ne
se sépare pas du colloque en tre une infinie charité et une imp loratio n personnelle. »)
30 jean C otereau, anc ien élève de l'Ecole P olytechnique : Point de miracle pour la science (L'Idée Libre, mai
195 8.)
31 « Ville-Kerme sse, atmosphère d e foire... » Ce n'est pas nous qui l'écrivons, c'est Le Pèlerin dans son numéro
spécial : « Album du Centenaire », 1958.

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Cela dit seulement en passant, revenons au fond de la question.
Ce que le Dr Sendrail et ceux qui le cautionnent viennent de nous apprendre ainsi nous
apparaît du plus vif intérêt et de la plus vaste portée, surtout si on l'applique non pas au seul présent,
mais encore au passé, et cela sur toute l'étendue de la planète. On ne manque jamais en effet, dans
les débats sur ce sujet, de rappeler que les guérisons miraculeuses, et le miracle en général, sont de
tous les temps et de tous les pays. Les sanctuaires d'Asclépios à Epidaure, Cos et autres lieux, les
sérapeïons de l'Égypte ptolémaïque ou romaine sont les plus fréquemment cités en ce qui concerne
l'antiquité, mais il faut encore leur adjoindre bien d'autres centres de cure à caractère religieux aux
Indes, en Chine, au Japon, la source Zem-Zem à La Mecque et les innombrables « marabouts » ; sans
oublier que les tenants du chamanisme, dans la Sibérie orientale, ou des religions africaines,
indiennes ou polynésiennes, ne manquent pas non plus de recourir au Ciel pour la guérison de leurs
maux. (Le grand écrivain R. L. Stevenson ne fut-il pas délivré sur-le-champ d'un rhume de cerveau,
dans une île des mers du Sud ? Ce que l'on n'a pas encore vu à Lourdes, à notre connaissance.)
Considéré à l'échelle mondiale et multimillénaire, le nombre. des miraculés atteint donc à des
proportion astronomiques - et si l'on en croit le Dr Sendrail et nombre de Révérends Pères, ce serait
autant de belles âmes ayant « mérité » cette faveur divine. Il est vraiment réconfortant de penser que
les âmes d'élite ont ainsi pullulé sur notre misérable globe, même dans les époques et les milieux les
plus barbares ; et il sera bon de s'en souvenir dans ces moments où l'on se sent enclin à la
misanthropie.

Label de garantie
Pourtant, ne nous serions-nous pas réjoui trop tôt? C'est ce qui apparaît, hélas ! si l'on s'en
réfère aux théologiens. (Nous ne voudrions à aucun prix mal parler de ces « doctes », mais le moins
que l'on puisse dire est qu'ils sont d'un commerce épineux.)
- Attention : avertissent-ils. Il y a les vrais miracles et les faux.
- Diantre ! Et comment les distingue-t-on ?
- C'est bien simple : les vrais, ce sont ceux que nous approuvons. Hors de là il n'y a qu'erreur
et ténèbres, vains prestiges, oeuvres du démon.
- Pourtant, certaines de ces guérisons dites miraculeuses paraissent aussi bien attestées que les
vôtres.
- N'importe ! Elles sont fausses in absoluto, quelle que soit, d'ailleurs, leur réalité bienfaisante.
En somme, comme l'a dit à peu près le poète :
Nul n'aura de l'Esprit hors nous et nos amis.
Telle est la « doctrine » - et tant pis pour les infidèles qui eurent le malheur de guérir de la
sorte, alors que, mieux instruits, ils auraient pu trépasser dans les formes. L'Église romaine - c'est
une tradition constante - a toujours regardé comme des suppôts de Satan les Asclépios, les Sérapis,
et généralement tous les « faux dieux », voire les Apollonius de Tyane et autres thaumaturges « qui
ne sont pas de la paroisse ». Et sans doute en va-t-il de même du Bouddha, de ce sage qui, plus de
cinq cents ans avant le Christ, prêcha le renoncement aux choses de ce monde, l'amour et la pitié
envers toutes les créatures - qui fut fait Dieu bien malgré lui, à l'exemple de quelques autres, par des
disciplines trop zélés, et à ce titre opère des miracles - et dont le culte, enfin, présente avec la liturgie

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catholique romaine de si étranges ressemblances...
Il y aurait aussi Kouan-Yin, céleste déité de la Miséricorde, et bien d'autres encore.
Si tous ceux-là furent des suppôts de l'Enfer, qu'est-ce à dire sinon que le Diable ne doit pas
être aussi noir qu'on le fait ? (En tout cas, s'il se manifestait toujours ainsi, on pourrait s'en
accommoder.)

Nous, médecins... catholiques


Mais passons... et ne retenons que l'acquis : l'Église s'est arrogé le monopole des guérisons
« miraculeuses », sans pouvoir toutefois démontrer qu'elles sont bien telles. Mais ne suffit-il pas
qu'elle l'affirme ? C'est ce que la science « catholique » admet sans conteste en la personne de ses
plus distingués représentants, entre autres le Dr Sendrail qui, après avoir parlé du miracle-colloque,
écrit :
« Nous médecins, nous ne devons donc étudier les faits miraculeux que pour enrichir nos
propres tentatives d'expérience du divin et celles des âmes de bonne foi, et non pour nous efforcer
de les traduire en vérités notoires et publiques 32. »
On jugera peut-être une telle déclaration bien désinvolte, venant d'un homme de science.
N'importe, recueillons-la précieusement, non sans donner une pensée au renard de la fable, qui ne
pouvait atteindre les raisins :
Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. Fit-il pas mieux que de se plaindre ?

La foi qui guérit


Cependant, livres, revues et journaux bien-pensants nous rebattent les oreilles à l'envi de cures
extraordinaires autant qu'instantanées qui se produiraient à la grotte de Lourdes, et que l'on nous
présente bel et bien - n'en déplaise au Dr Sendrail - comme « notoires et publiques ». Sans doute
faut-il faire dans tout cela une large part à l'exagération naturelle à la fois, et d'ailleurs nécessaire aux
besoins de la publicité - tenir compte des méthodes plutôt sommaires du Bureau des Constatations,
de l'optique particulière à cet organe hybride, lequel tient de la sacristie au moins autant que du
cabinet médical - enfin penser encore à la simulation, car nous avons vu par quelques exemples que
l'idée n'en est pas à écarter absolument. Restent, après cette mise au point nécessaire, quelques
guérisons ou améliorations surprenantes, spectaculaires, mais aussi trop souvent éphémères.
Qu'en penser ? Comment les expliquer de façon rationnelle ? Pour cela, comme on a pu le
constater, la science « catholique », par sa nature même, nous serait d'un mince secours. Essayons
donc de la science pure et simple. Là, nous serons peut-être plus heureux.
« La foi, a dit le professeur Roger, exerce sur le système nerveux une action dont nous ne
pouvons qu'entrevoir l'importance. Elle explique bien des phénomènes surnaturels et rend compte
des innombrables guérisons qui se produisent dans les sanctuaires 33. »

32 M. Send rail, op. cit.


33 Professeur Roger : Les Miracles, p. 300 (cité par M. jean Cotereau).

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C'est ce qu'a démontré le fameux professeur Charcot, théoricien de la grande hystérie, dans
un opuscule : La Foi qui guérit, paru chez Alcan en 1897. On y trouve d'ailleurs un parallèle
savoureux entre l'asclépieion et nos modernes grottes à miracles : même source purificatrice, mêmes
cérémonies propitiatoires, même comportement des pèlerins, mêmes ex-voto, même commerce de
bimbeloterie sacrée et, bien entendu, même astuce rapace chez les hiérophantes.

Préparation psychologique
Le Dr Spehl, ancien professeur à l'Université de Bruxelles, a, lui aussi, largement développé
ce sujet à propos de Lourdes, dans un ouvrage dont nous allons citer quelques passages 34.
« On sait avec quelle habileté les prêtres s'introduisent dans les familles catholiques soit
comme amis, soit comme conseillers ou « directeurs de conscience ». Ce sont eux, aidés de médecins
« bien pensants », qui se chargent de découvrir les malades réunissant toutes les conditions
requises 35. On choisira de préférence les sujets les plus ignorants et, par conséquent les plus
crédules, et on les convaincra facilement de la toute-puissance de la Vierge. On admettra forcément
des malades atteints de lésions organiques, aussi incurables à Lourdes que chez eux, mais on
s'efforcera surtout de trouver des nerveux, souffrant de troubles fonctionnels, sur lesquels les
procédés. et les remèdes habituels n'ont ordinairement aucune action, et qui sont particulièrement
sensibles aux méthodes suggestives, parmi lesquelles les pèlerinages aux lieux saints occupent pour
eux la première place. »
L'auteur décrit ensuite la « préparation psychologique »du futur pèlerin :
« Les amis et les connaissances, bons catholiques naturellement, l'encouragent, l'envient
presque, et lui assurent qu'il guérira. Lui-même se suggestionne de plus en plus ; son imagination
travaille ; sa confiance dans l'influence de la Vierge augmente ; il l'implore chaque jour par des
prières et finit par être convaincu que le « miracle » de sa guérison s'opérera ; bref, il se trouve dans
les conditions les plus favorables pour obtenir la guérison tant désirée.
« Cette période qui précède le pèlerinage est donc d'une importance capitale ; c'est une sorte
de période d'incubation thérapeutique, au cours de laquelle toutes les forces nerveuses, curatives
s'exaltent et se concentrent dans une direction bien déterminée. On attend avec la plus vive
impatience le moment de se mettre en route pour le salut.
« Le jour si impatiemment attendu se lève enfin ; les malades sont embrigadés par groupes
encadrés de dames patronnesses et d'ecclésiastiques. Bientôt les conversations s'engagent sur
l'efficacité du pèlerinage à Lourdes, et chacun cite des cas miraculeux qui lui ont été rapportés. »
On récite des prières, on chante des cantiques. « ... La psychologie des foules, si bien décrite
par Gustave Le Bon, se développe ici au plus haut degré ; chacun excite sans le vouloir son voisin,
l'exaltation religieuse atteint son maximum d'intensité, et il se produit une sorte de délire collectif
qui augmente jusqu'à l'arrivée au terme du voyage. »
A Lourdes, nous dit l'auteur, « tout est habilement combiné pour impressionner les fidèles et
exercer sur eux une influence suggestive incontestable. Ce qui frappe le profane, nous voulons dire
l'incroyant, qui observe les faits sans parti-pris, en simple spectateur, c'est en premier lieu le côté
théâtral, la mise en scène des cérémonies organisées pour la foule des pèlerins...
34 Dr Spehl : Lourdes et la suggestion (Edit. de l'Idée Libre, Herblay 1934).
35 C'est peut-être là qu'il faut rechercher le secret de certains diagnostics... téméraires, que déplorait le professeur
Lhermitte.

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« Les moyens employés pour influencer les malades sont : d'abord l'aspect féerique de la grotte
et l'immersion dans la piscine ; puis la procession aux flambeaux complétée par les chants en
commun ; enfin la procession du Saint-Sacrement. »

Le scandale de la piscine et le « miracle quotidien »


Cette immersion dans la piscine, le Dr Spehl la décrit ainsi : « Que l'on se représente des
malheureux atteints de toutes sortes d'infirmités, des paralytiques, des ulcéreux, des suppurants, des
tuberculeux, des syphilitiques, plongés dévêtus, l'un après l'autre, quelle que soit la température, dans
une eau glacée et polluée, toujours la même pendant une journée entière... Si des faits semblables
se passaient dans un établissement laïque, hospice, hôpital ou clinique, on crierait au scandale et l'on
prendrait d'office des mesures sévères pour y mettre fin. A Lourdes tout cela est permis et ne donne
lieu à aucune critique ni intervention officielles. »
Quand au « miracle quotidien », à cette immunité inexplicable dont jouiraient les malades ainsi
traités, l'auteur se prononce sans ambages :
« Nous opposons le démenti le plus formel à la déclaration des médecins du Bureau des
Constatations que nous venons de rapporter, et nous affirmons que les accidents... sont au contraire
très fréquents. Mais grâce à la soumission et à la discipline des catholiques, ces accidents restent
habituellement inconnus, car le mot d'ordre est donné, et toutes les précautions sont prises pour que
le public les ignore. Autant on fait de tapage autour d'une guérison banale, vraie ou fausse, autant
le silence est assuré lorsque l'accident se déclare à la suite d'un pèlerinage à Lourdes. »
Suit un exemple, que celui qui parle ainsi a personnellement constaté. Un ingénieur de sa
connaissance, atteint de paralysie agitante, décida, d'accord avec son curé et le médecin qui le
soignait, de se rendre à Lourdes. « Il fut plongé dans la piscine et, ayant été pris d'un violent frisson,
il dut revenir précipitamment à S... (commune de Belgique) où l'on reconnut qu'il était atteint d'une
pneumonie aiguë, dont il mourut trois jours après sa rentrée à son domicile. Cette pneumonie ne fut
naturellement pas constatée par le bureau médical de Lourdes. »
Déjà, en 1906, l'écrivain catholique jean de Bonnefon, auteur de Lourdes et ses tenanciers,
ouvrait une enquête sur ce sujet : Faut-il fermer Lourdes ? Les réponses affirmatives qu'il reçut de
1 000 médecins disent assez que le danger signalé par le Dr Spehl n'est pas imaginaire. Citons
seulement celle du Dr Pauliet, d'Arcachon : « Lourdes est un homicide, doublé d'une vaste
escroquerie. »

Une obsession hallucinante


Revenons cependant aux cérémonies qui doivent prédisposer les malades à ces mystérieux
« colloques » invoques plus haut par le Dr Sendrail. Il y a d'abord, pour ceux qui peuvent marcher
et pour les pèlerins valides, la Procession aux flambeaux, « chacun des participants tenant à la main...
un petit cierge allumé, dont la flamme est plus ou moins protégée par une coquille en carton.
« Toute cette multitude, excitée par les entraîneurs, hurle (le mot n'est pas trop fort), en
marchant d'un pas rapide, la complainte de Bernadette, et chacun des couplets... est suivi du
sempiternel refrain : « Ave, ave, ave, Maria »... La procession parcourt un chemin immense autour
des vastes pelouses qui précèdent la Basilique, et le refrain ci-dessus qui est repris cent fois, mille
fois peut-être, par les innombrables tronçons qui se forment automatiquement dans la colonne en

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marche, devient une obsession réellement hallucinante ; on sent, au passage de cette foule haletante,
qu'elle est emportée par une sorte de foi sauvage que l'on ne rencontre probablement nulle part
ailleurs.
« Il est évident qu'une semblable manifestation doit exercer une influence profonde non
seulement sur les malades qui y prennent part, mais même sur ceux qui, ne pouvant marcher y
assistent en spectateurs. »
Ajoutons encore la cérémonie « décisive », l'ostension du Saint-Sacrement, tout resplendissant
sous son dais, environné de prêtres dans leur chasubles d'apparat, l'officiant qui « clame, de toute la
force de ses poumons, des invocations que la foule recueillie répète avec ferveur : « Seigneur Jésus,
guérissez-nous », « Seigneur, délivrez-nous de nos maux », « Divin Jésus, ayez pitié de nous », etc. »
Et tout cela pour aboutir... à une guérison ou amélioration (quand il s'en produit une) sur
quelques milliers d'implorants.
Comment ne pas penser à la montagne qui accouche d'une souris ? Comment ne pas se
demander, également, si c'est l'oreille, ou bien le coeur, qui est si dur chez la divinité ?

Puissance de la suggestion
En revanche, on conçoit très bien que la mise en scène exposée ci-dessus puisse avoir un
retentissement profond sur des maux directement liés à l'état moral et nerveux du sujet. Après avoir
passé en revue de nombreux cas de cette sorte, le Dr Spehl écrit : « ... il apparaît nettement que le
moral peut exercer une influence bienfaisante ou pathogénique considérable, non seulement sur tous
les organes qui échappent à l'action de la volonté (coeur, glandes, fibres lisses, etc.), mais encore sur
les muscles striés (volontaires) et, par conséquent, sur toutes les fonctions de l'organisme :
mouvement, digestion, assimilation, respiration, nutrition, circulation, innervation, etc. »
Ce médecin observe aussi que les symptômes ou accidents dus aux influences morales ne
peuvent plus être modifiés par la volonté propre du sujet ; qu'ils résistent à l'action de tous les
médicaments ; qu’ils peuvent se maintenir pendant des mois et ni Lies, jusqu'à ce qu'une influence
morale favorable vienne rétablir le fonctionnement de l'organe ou du membre malade ; que cette
influence favorable peut être produite par de nombreux moyens : remède ou procédé capable de
frapper l'imagination, influence spéciale d'un médecin très réputé, comme d'un empirique quelconque
employant un procédé « mystérieux x, ou enfin recours à un pèlerinage célèbre dont on a décrit au
malade les « cures » merveilleuses.
« Toutes ces méthodes, conclut-il, opèrent de la même façon ; que le malade s'en rende compte
ou qu'il l'ignore, elles agissent toutes par suggestion. »
Il est bien évident que les médecins catholiques cités plus haut ne contestent pas l'influence
de la suggestion sur l'organisme humain. Le professeur Lhermitte, entre autres, lui fait une large part
et se défend de faire entrer les troubles fonctionnels susceptibles de cette influence dans les cas
d'hypothétiques miracles qu'il examine, ne retenant, dit-il, que ceux qui ont trait à la guérison de
lésions organiques. Mais quelle valeur peut-on attribuer à cette réserve, alors que lui-même doit
reconnaître, après étude minutieuse, que la réalité d'aucune guérison de ce genre n’a pu être
scientifiquement établis ?
Sa foi dans le miracle possible est donc purement religieuse, c'est-à-dire médicalement sans
valeur. Elle n'acquerrait quelque fondement que si, comme l'écrit M. jean Cotereau, « ... Notre-Dame

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de Lourdes réussissait au moins une fois par exemple la guérison d'une de ces maladies « bleues »
que des chirurgiens quelconques réalisent aujourd'hui... » Et nous avons pu constater qu'aucun des
médecins catholiques précités n'ose espérer rien de pareil.
Par contre, qui ne voit que la thèse de la suggestion, magistralement établie par Charcot à la
Salpêtrière, et si bien exposée par le Dr Spehl, peut seule rendre compte raisonnablement des
guérisons ou améliorations obtenues à Lourdes, comme de toutes celles qu'on signale urbi et orbi,
aujourd'hui et dans le passé ? Ce qui devrait rassurer les catholiques, en somme. Car il est tout de
même inquiétant pour eux - quoi que puisse dire l'Église - que les « colloques » des païens avec
Asclépios, Sérapis, Baal-Mardouk, voire Quetzacoatl le Serpent à plumes, se soient montrés
« fructifiants », sinon plus, que les leurs avec le Vrai Dieu 36.

Casuistique et « pompe à phynance »


Tout cela est fort bien, mais « le prêtre vit de l'autel ». Aussi peut-on prévoir sans risque
d'erreur que la Dame de Lourdes, en dépit de toutes les critiques, dispensera longtemps encore aux
affligés sa médiation inefficace mais coûteuse. Il ne faudrait pas cependant tomber à ce sujet dans
une erreur assez commune, que les publications pieuses ne manquent pas de relever à l'occasion. En
matière de miracles - à l'exception de ceux de Jésus-Christ et des apôtres - l'Église, nous dit-on, ne
s’engage pas. Elle permet seulement d'y croire - « d'une foi toute humaine »selon l'expression
consacrée.
Quoi ! dira-t-on. Bernadette n'est-elle pas canonisée ? La statue de l'Immaculée Conception
(où es-tu, Vaugelas, arbitre du bien-dire ?) ne s'érige-t-elle pas dans la grotte de Massabielle,
entourée de buissons de cierges ardents ? A telle enseigne qu'il faut l'astiquer deux fois l'an, tant elle
est enfumée. Et ces cires - qui ne sont d'ailleurs que de la stéarine en dépit des prescriptions de la
liturgie -les Pères ne les vendent-ils pas à beaux deniers comptants (si l'on peut ainsi désigner notre
pauvre monnaie) ? La basilique, est-ce une rêverie ? Et cette monstrueuse église souterraine que l'on
vient à peine d'achever ?
Et les pèlerinages organisés par les diocèses... Et tant de Monsignori de tous grades et de tous
plumages... Et ce pullulement de prêtres et de moines, de bonnes soeurs, de dames patronnesses,
etc... Et le battage monstre organisé par la presse « croyante » ... Enfin - prétexte et matière première
de la florissante industrie - le pitoyable défilé des pauvres égrotants, se traînant, roulant ou béquillant
sous la houlette du clergé, qui règle leurs chants, leurs prières, leur immersion dans l'eau glacée - et,
en cas d'« accident », les administre et les enterre dans les formes... N'est-ce donc rien que tout cela?
Certes, c'est quelque chose. Et même - pour le traduire en symboles mathématiques ou, si l'on
aime mieux, en termes de « phynance », comme disait le Père Ubu - c'est chaque année quelques
milliards qui tombent dans la caisse.
Cependant, qu'on ait garde de s'y tromper : l'Église « permet » tout cela, encaisse la recette,
mais elle ne s'engage pas.

36 Il est amusant de constater avec quelle discrétion un savant catholique, comme le professeur Lhermitte, passe
sur ce sujet brûlant (16 lignes). « De toute évidence, dit-il, il serait insensé de se prononcer sur la valeur de ces prétendus
miracles... » et il conclut - « ... un fait demeure : ce qu'on regardait co mme miracle s'insérait toujours dans un co ntexte
religieux. Eh oui, le fait demeure et même s'impose. Alors, à quand un temple Tous les Dieux - y compris le Deus
Igno tus?

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Respecter la « foorme » ...
C'est que l'on est devenu prudent, à Rome, depuis certaine affaire d'Indulgences, de
calamiteuse mémoire - ces Indulgences, merveilleux détersif du péché, qu'un pape infaillible mais
simoniaque (pour ne pas dire infailliblement simoniaque) faisait vendre sur les marchés comme de
simples savonnettes - ce qui fâcha si fort Martin Luther.
Une bonne partie de la chrétienté ayant alors tourné le dos au Siège apostolique, et professant
cette hérésie damnable, mais, hélas ! trop vite répandue, que plus de dignité ne messiérait pas au
ministère religieux, il fallut bien se mettre au pas, à Rome, vaille que vaille, recommander quelque
décence aux prêtres et aux moines, et en ce qui touche au négoce sacré, user d'un peu plus de
circonspection.
Ainsi en est-il pour Lourdes et autres lieux visités par la Grâce. Les « miracles » qui sont
censés s'y opérer peuvent être chantés à plaisir sur le mode lyrique par les thuriféraires, plus ou
moins appointés, du Vatican ; exaltes par la presse, l'édition, le cinéma et la radio ; claironnés aux
quatre coins de ce A monde par la plus fracassante publicité ; reconnus même et prônés par Sa
Sainteté en personne dans ses « lumineuses » encycliques de septembre 1953 et juillet 1957.
N'importe ! Ils ne sont pas officiellement « approuvés ». Ils ne sont pas « de foi ». Ils ne sont pas
théologaux. Dès lors, l'honneur est sauf, tout est en règle - et la recette n'y perd rien. La « Foorme,
la « Foorme » ! disait Brid'oison.

« Qui tient cette doctrine est en sécurité »


On pourrait dresser une bien jolie table de concordances - ou, plus exactement, de
discordances - en plaçant côte à côte, d'une part, les apologies les plus exaltées, les plus excessifs
dithyrambes de Bernadette et des cures miraculeuses opérées par l'intercession de l'Immaculée
- d'autre part, les graves rappels de la réserve que prétend observer l'Église devant les faits
surnaturels - les uns et les autres textes, d'ailleurs, publiés, par un raffinement d'humour, dans les
colonnes des mêmes journaux et revues catholiques, et quelquefois en même temps.
Confrontés de la sorte, on en ferait un choeur à deux voix alternées du plus charmant effet.
Bornons-nous à un simple exemple, mais de choix. Le très savant R. P. Aloïs Janssens C. 1.
C. M., professeur de théologie, écrit : « Un décret de la Sacrée Congrégation des Rites (12 mai
1877) permet d'exposer dans les églises des images de Notre-Dame de Lourdes, de La Salette, mais
fait observer en même temps que les apparitions elles-mêmes ou les révélations n'ont pas été
approuvées par le Saint-Siège, ni réprouvées ni condamnées ; qu'il est permis seulement de les
admettre et encore de foi purement humaine. Cela veut dire qu'en permettant la vénération des
images de Notre-Dame de Lourdes et de La Salette, le Saint-Siège n'entend pas s'engager dans la
question de la réalité de ces apparitions.»
« Dans l'Encyclique Pascendi (8 septembre 1907), le Souverain Pontife, Pie X lui-même,
confirme cette doctrine... Qui tient cette doctrine est en sécurité 37. »
A ce qu'il semble du moins, voilà le croyant scrupuleux bien sûr de son affaire : le Saint-Siège
n'entend se prononcer ni sur Lourdes ni sur La Salette. C'est un pape infaillible par état, et
aujourd'hui canonisé, qui en a ainsi décidé et le proclame par voie d'Encyclique.

37 R. P. Aloïs Janssens . Etudes Carmélitaines, 1933 pp. 91-117.

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Mais si, d'aventure, le même croyant consulte une autre Encyclique - « lumineuse » disent les
thuriféraires du Vatican, et appelée à devenir historique comme la précitée - l'Encyclique Fulgens
Corona, donnée en 1953, qu'y lit-il sous la plume d'un autre pape, non moins infaillible que le
précédent, et déjà canonisé de son vivant - ou peu s'en faut - à savoir SS Pie XII ? Voici :
« Quatre ans, en effet, ne s'étaient pas encore écoulés (depuis la promulgation du dogme de
l'Immaculée Conception) que dans un village de France, aux pieds des Pyrénées, une enfant simple
et innocente voyait, à la Grotte de Massabielle, la Sainte Vierge lui apparaître. La Vierge avait un
aspect juvénile... A l'enfant qui demandait instamment à connaître le nom de Celle qui avait daigné
se montrer à elle, Celle-ci répondait, levant les yeux au ciel et souriant doucement : « Je suis
l'Immaculée Conception ».
« Les fidèles saisirent parfaitement la portée de l'événement, et, accourant innombrables de
toutes les parties du monde... etc. Et en ce même lieu ils obtinrent aussi à maintes reprises par leurs
prières des faits miraculeux propres à susciter l'étonnement général et à confirmer que la religion
catholique est bien la seule... » etc.
C'est ce que comprirent éminemment, comme il était naturel, les Pontifes romains, qui
enrichirent de faveurs spirituelles et comblèrent de leur bienveillance le temple magnifique élevé en
l'espace de quelques années par la piété du clergé et du peuple chrétien 38. »

Ces affirmations non équivoques


Ayant lu, que va faire notre fidèle, avide de « tenir » la bonne doctrine et, par là, d'être « en
sécurité » ? Va-t-il dodeliner de la tête en fredonnant rêveusement la vieille antienne : « Entre les
deux mon coeur balance » ? Même pas, car les deux Encycliques des deux Pie sont également «
Contraignantes » pour le croyant, marquées qu'elles sont de la même infaillibilité.
Il ne reste donc à notre homme qu'à tâcher de se persuader qu'il n'y a pas contradiction, et que
c'est là ce qu'on appelle à Rome « ne pas S'engager x - laissant aux « doctes », pour le surplus, le soin
d'invoquer l'un ou l'autre texte selon les besoins de la cause. Et ces « doctes »eux-mêmes ne s'y
retrouvent pas toujours...

« Cachez cet or que je ne saurais voir »


Qui donc prétend que la littérature pieuse exhale un invincible ennui ? Quelle erreur ! Il s'agit
de savoir la lire, voilà tout. Mais où la farce atteint à des proportions guignolesques, c'est quand un
prélat hautement qualifié, lui aussi, non content de rappeler la « prudence » de l'Église en pareille
matière, s'avise de mettre en garde les fidèles contre « appétit déréglé du merveilleux », une «
religiosité illimitée et aveugle » - affectant ostensiblement de chasser loin de lui, avec des gestes de
dédain, cette poule aux oeufs d'or qui s'obstine à enrichir ses maîtres.
Si accoutumé que l'on soit à ces bouffonneries, on se prend encore quelquefois à se frotter les
yeux en se demandant si l'on rêve.
Les expressions précitées sont tirées d'un article que le cardinal Ottaviani, assesseur du
Saint-Office, publiait dans l'Osservatore Romano en l'année 1950. Dans ce morceau de haulte
gresse, on lit avec un certain effarement :
38 La Croix, ler octobre 1953.

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« Il y a cinquante ans, qui se serait imaginé que l'Église devrait aujourd'hui mettre en garde
ses fils, et même certains prêtres, contre de prétendues visions, contre de prétendus miracles, bref
contre tous les faits qualifiés de surnaturels qui, d'un continent à l'autre, d'un pays à l'autre, attirent
et excitent les foules ? »
Et plus loin, après avoir longuement rappelé que l'Église est l'unique, l'infaillible dépositaire
de la saine « doctrine » (en tout cas, on ne craint pas de le répéter), le vénérable sermonneur ajoute:
« La crédulité nuit autant au bon croyant que l'incrédulité. Certes, tous ne peuvent se faire une
opinion directe sur toutes les questions ; mais à quoi servent donc les évêques et le pape ? 39 »
Eh, parbleu, Monseigneur ! la réponse est aisée : ils servent, entre autres choses, à pousser les
foules moutonnières et les pauvres malades qu'on abuse d'un fol espoir, vers Lourdes, La Salette et
autres hauts lieux de l'Esprit.
Mais... n'est-ce pas à cela, justement, que tendait tout ce beau discours ? Ne fut-il pas composé
à seule fin de prévenir l'éparpillement possible de la clientèle, naturellement inconstante, vers de
nouveaux miroirs aux alouettes qu'il faudrait encore équiper à grands frais ? Il ne manque pas de
grottes, en France et ailleurs, ni de municipalités - ou de curés - qui ont compris la leçon de Lourdes,
et comment jadis elle détrôna Bétharam et Pellevoisin !
(Nous savons quelques catholiques qui n'entendent pas autrement cet éloquent sermon).

Logique et mariologie
D'ailleurs qu'on ne croie pas que l'attitude plus qu'ambiguë du Saint-Siège en cette matière ait
choqué seulement les laïcs. Nous avons dit que les « doctes » eux-mêmes ont peine à voir clair dans
cet entortillage. Témoin un distingué théologien, le R. P. Charles Ballic, 0. F. M., président de
l'Académie mariale internationale (car il y a une Académie « mariale »). Examinant l'attitude susdite
- avec les précautions oratoires d'usage - dans une étude intitulée : De l'autorité de l'Église en ce qui
concerne les apparitions et les révélations 40 et, après avoir passé en revue les décisions et décrets
sur ce sujet de la Sacrée Congrégation des Rites, les Encycliques papales de diverses dates, et autres
impressionnants documents qui ont gonflé le dossier « miraculeux » à travers les pontificats
successifs de Pie IX à Pie XII, le savant auteur ne craint pas d'avancer : « Il semble vraiment que le
Saint-Siège ait porté un jugement sur le fait lui-même des apparitions de Lourdes, et un jugement
positif~ C'est-à-dire une approbation positive ». (C'est bien ce qui nous semble aussi à nous, pauvre
profane que nous sommes.) « Si, de nos jours, poursuit-il, cardinaux, archevêques et évêques du
monde entier, et tous les vicaires de Jésus-Christ, les uns après les autres, recommandent le
pèlerinage de Lourdes, invitant à en méditer le message 41, comment un catholique pourrait-il
considérer tout cela comme étant tout à fait libre, ni approuvé, ni condamné, mais simplement
permis ? »
Comme on le voit, la logique la plus pure habite le Révérend 0. F. M., qui termine en
souhaitant que la question (« fort intéressante pour des théologiens » opine La Croix) puisse être
étudiée à Lourdes même, en septembre de cette année du centenaire, lors du Congrès de mariologie.
39 Traduit dans La Croix du 10 février 1950.
40 La Croix, 23 mai 1958.
41 On ne serait pas fâché de savoir, une fois pour toutes, en quoi consiste ce mystérieux «message » tant vanté
mais jamais défini. Est-ce : « Priez pour les pécheurs » ou « Pénitence... Pénitence... Pénitence... » ?

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(Pour les lecteurs mal informés de ces questions, nous croyons utile de préciser que ce terme
bizarre ne dérive pas de l'argotique « mariole » comme on pourrait aisément le penser - non sans
quelque apparence de raison. Il s'agit en fait d'une investigation méthodique et approfondie touchant
Marie, ses vertus, apanages et attributs, dont SS Pie XII en personne a défini les « normes » - bref,
d'un nouveau secteur de la Recherche scientifique qui donne les plus beaux espoirs. On n'arrête pas
le progrès ...) 42

Théologie opportuniste
L'idée du R. P. Ballic nous paraît judicieuse et la saison heureusement choisie, point trop
chaude ainsi qu'il convient pour traiter de matières aussi subtiles. Vu la contention cérébrale intense
qu'elles exigent, la canicule on le conçoit - eût risqué d'être fatale aux « mariologues ».
Mais au moins, pour prix de tels efforts, obtiendront-ils que le Vatican renonce à son expédient
statu quo ? Que les vétérans de la casuistique, équilibristes chevronnés, abandonnent une position
si commode ? Que le Saint-Siège se porte officiellement garant des mystifications de Lourdes ? Qu'il
proclame sienne, à la face du monde, cette escroquerie gigantesque aggravée d'homicide ?
C'est peu probable. Toutefois, il faut compter avec la nécessité de combattre la concurrence.
Le fromage attire les rats, c'est un fait. Il semble bien que l'on s'agite en divers lieux - et même, du
côté d'Ephèse, où se serait opérée l'Assomption, il y a eu des ballons d'essai... 43
Ah ! la théologie opportuniste ne représente pas une petite affaire, on s'en doute, et selon la
forte parole du R. P. Gabel, ex-rédacteur en chef de La Croix, « la question des miracles n’est pas
aussi simple qu'on pourrait croire ».

« L'appui précieux du Vatican »


Lourdes : « Etrange ville où les affaires du ciel rendent celles prospère celles de la terre. »
Ainsi s'exprime l'Album du Centenaire, édité par Le Pèlerin, et certes on ne saurait mieux dire -
d'autant que les Pères de la Grotte ont encore les pieds sur cette terre, à notre connaissance, et aussi
les mains... Dieu nous garde de leur imputer l'affreux péché de simonie ! Mais il est bien licite,
n'est-ce pas ? de vendre des cierges 44 - en pure cire d'abeilles (?) comme le veut la liturgie - des
médailles, des livres pieux, des chapelets, etc. ; de loger et nourrir les pèlerins, directement ou par
personnes interposées ; d'expédier dans le monde entier, contre dons « volontaires », l'eau
miraculeuse en bouteilles et en bidons ; de recueillir les commandes de messes (1 million de messes
par an, dit-on) ; enfin de recevoir pieusement les offrandes, dont beaucoup ne sont pas petites ! Bref,
l'affaire apparaît puissamment « rentable » à en juger par les travaux immenses exécutés par les Pères
« pour édifier les basiliques, rétrécir le lit du fleuve, construire les quais et les ponts jetés sur le
Gave » 45
42 Le lecteur aurait tort de vo ir la moindre exagération plaisante dans ce que nous venons d'écrire. Nous avons
en effet sous les yeux un ouvrage d 'apologie, Sainte Thérèse de Lisieux et sa mission. Les grandes lois de la spiritualité
thérésienne (Editions U niversitaires, Paris-Bruxelles), signé de M. André Combes, docteur en théologie, maître de
recherches au Centre national de la Recherche scientifique.
43 Cela dit sans arrière-pensée d'un rapprochement sacrilège.
44 « Pour le 11 février seuleme nt, les 50 000 pèlerins ont acheté 8 tonnes de cierges. - (La Croix, 23 mai 1958)
45 G. de P ierrefeux : Le triomp he de Lo urdes.

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- à en juger aussi par l'empressement à se fixer à Lourdes de onze congrégations de religieuses
(Clarisses, Dominicaines, Soeurs de l'Immaculée-Conception, du Bon Pasteur, etc.) - sans compter
qu'il fallut défendre âprement le fromage contre l'appétit des ordres masculins, Assomptionnistes,
jésuites, Dominicains, et autres « renards par l'odeur alléchés ».
C'est ainsi que les Pères peuvent encore envoyer « des millions à Rome, au Denier de
Saint-Pierre, pour obtenir l'appui précieux du Vatican 46 ».
« Les églises, le jardin, le palais des missionnaires, le palais de l'évêque, le mobilier, les objets
d'art, ont coûté 100 millions-or, versés par la piété publique... » écrivait déjà jean de Bonnefon au
début de ce siècle 47.
Et l'on a vu récemment Mgr Théas, heureux évêque d'un diocèse entre tous béni, le plus riche
de France, dit-on se lancer dans l'énorme entreprise de construire, sous les pelouses qui précèdent
la basilique, la nouvelle église-hypogée, hall gigantesque qui peut recevoir 40 000 personnes, la
population d'une petite ville, 14 000 mètres carrés de surface couverte, 70 000 mètres cubes de
terrassement - coût : la bagatelle de 4 milliards et demi 48.
Il lui a fallu d'ailleurs, pour achever cet ouvrage pharaonique, recourir à l'Opus coenaculi,
organisme vaticano-financier de crédit, et recevoir de ce fait, aux fins de le « seconder », un
coadjuteur versé dans la « phynance ». Il est vrai que, pour le consoler de son autonomie perdue, Sa
Sainteté lui envoya en don gratuit... une calotte de Pie X " 49. On ne sait si Son Excellence compte
se coiffer de la sainte relique ou, plus révèrencieusement, l'exposer sous vitrine à la vénération de
ses visiteurs.
Du reste, ayant appartenu à un pape canonisé, ce couvre-chef pourrait bien, quelque jour, se
mettre lui aussi à faire des miracles. A Lourdes, cela n'aurait rien qui surprenne. N'en est-il pas ainsi
pour certains marabouts islamiques qui s'enorgueillissent de posséder le fez ou les babouches de
quelque iman très vénéré ? 50

46 And ré Lo rulot . Lo urdes (Ed itions de l'Idée Lib re, Herblay (S. et 0.)
47 Cet auteur était bon catholique, mais il avait le tort de ne pas aimer les escrocs. C'est dire s'il est malmené par
les apologistes de Lourd es.
48 Les travaux se trouvèrent compliqués du fait de quantité de sources qui jaillissaient miraculeusement de tous
côtés, cette fois de façon bien inopportune.
49 La Croix, 28 mars 1958.
50 Signalons aux lecteurs qui l'ignoreraient que la dépouille mortelle du saint Pie X a été récemment « remise
à neuf », à la demande du pape, par le professeur Rivolta, de Gênes, spécialisé dans la conservation des bienheureux ou
présumés tels (Cf. L'Ami du Clergé, 6 août 1953). Ce technicien ne manquera pas d'ouvrage, nombreux étant les princes
de l'Église qui s'assurent dès à présent ses services futurs, afin de se présenter en b on état, éventuelleme nt, à la vénération
des fidèles. Memen to quia p ulvis es...

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Pas de miracle pour Bernadette
Quoi qu'il doive advenir d'un pareil supplément de grâces, les résultats actuels sont déjà plus
que satisfaisants. 8 millions de pèlerins - et de curieux - pour cette année du centenaire. Il est vrai
qu'on n'a rien négligé pour cela. Toutes les ressources de la publicité moderne y ont largement
contribué. Le Saint-Siège a donné à plein (et reçu de même sans doute). L'armée a délégué 40 000
soldats de divers pays. Ministres et parlementaires ont défilé le cierge en main, sollicitant les
inspirations salutaires de l'Esprit qui règne en ce haut-lieu. Ils n'ont pas manqué non plus d'aller se
recueillir à Bartrès, ce petit village où Bernadette fut bergère, et d'y méditer sur l'affinité naturelle
entre pasteurs d'hommes et gardeurs de moutons.
La presse a répandu à foison l'image édifiante de notre ancien ministre des Affaires étrangères,
M. Georges Bidault, baisant dévotieusement l'anneau pastoral de Mgr Théas. On dit même qu'il
aurait bu un verre d'eau à la source de Massabielle, mais ce détail peu vraisemblable est contesté par
ceux qui le connaissent bien.
On note, il est vrai, une abstention marquée chez les voisins pyrénéens de la ville miraculeuse,
mais ces montagnards ont été remplacés avantageusement par les milliardaires américains qui
accourent en steamers de luxe, sous la houlette de l'opulent cardinal Spellman.
Bref, ce fut un succès sans précédent, et sainte Bernadette a dû s'en réjouir là-haut, elle qui
jadis, en grattant le sol de la Grotte, donna le jour à ce Pactole. Cette joie lui était bien due, car le
séjour qu'elle fit ici-bas fut bref et dénué de charmes. L'Église connaît le latin, et plus
particulièrement l'adage : sic vos non vobis 51. Une fois son rôle joué, expédiée bien loin par les
prêtres, elle mourut à 33 ans d'une maladie de poitrine aggravée par le régime monastique, dans le
couvent des Soeurs de la Charité à Nevers.
On ne s'explique pas, du reste, que, par un étrange paradoxe, l'eau miraculeuse qu'elle avait
fait jaillir à Massabielle ne l'ait pas guérie elle-même, et la toute première.
Quoi qu'il en soit, dans ce couvent où, aux dires de ses biographes, elle fut traitée sans
douceur, on bat aujourd'hui monnaie de ses reliques.
Mais tout n'est-il pas bien ainsi ? Aux saints la Légende dorée - à l'Église et à ses prélats un
or qui, n'est aucunement légendaire.

Essaimage
Le tableau ci-dessus ne serait pas complet - à supposer qu'il puisse jamais l'être - si l'on ne
disait un mot des Lourdes de seconde zone. En effet, comme les Uniprix, l'affaire est à succursales
multiples. « ... Nous en connaissons deux en Belgique, écrit le Dr Spehl, l'une à Oostaker.12, près de
Gand, l'autre à jette, aux environs de Bruxelles. Dans cette dernière on a imité scrupuleusement la
grotte et la statue de la Vierge, et l'on y attire les fidèles en grand nombre, surtout le dimanche, dans
le but évident de toucher le plus d'« offrandes » possible. On y voit, outre les troncs habituels, des
bougies allumées, de nombreux ex-voto de cire représentant surtout des jambes, puis des bras, même
des dentiers ; quelques cannes, des béquilles, des photos, des rosaires ; enfin des plaques de marbre
blanc portant l'inscription : « Reconnaissance à Notre-Dame de Lourdes » et cela à Jette, en Brabant !
Pourquoi pas Notre-Dame de jette ?
51 Ainsi vous (travaillez) mais no n pour vo us.
52 C'est là que fut guérie miraculeusement la jambe (saine) de Pierre de Rudder.

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« Attenant à la grotte, il y a un magasin où l'on peut se procurer les bougies, les ex-voto et tous
les objets dits « de piété », en bois, en ivoire, en marbre, en albâtre, en cuivre, en bronze ; des images
de toutes dimensions ; des livres, des objets d'art (?). A quelques pas de là se trouve une , « Salle
des Pèlerins » située dans une vieille guinguette, connue de tous les Bruxellois... »

Une « combinaison » avantageuse


Mais il va de soi qu'une bonne maison - et Lourdes a bien droit à ce titre - ne saurait négliger
la livraison à domicile. Voyons comment elle s'opère :
« Vis-à-vis de la grotte sont installés des magasins identiques à ceux de la grotte ; on y vend
en outre les Pastilles à l'eau de la grotte... fabriquées à Lourdes même ; sur le prospectus qui
accompagne ces pastilles, nous lisons cette recommandation : « Se méfier des nombreuses
contrefaçons »...
« Dans les susdits magasins on ne vend pas de l'eau de Lourdes, mais les pastilles la
remplaçent avantageusement, car, par elles, on peut faire arriver l'eau miraculeuse « sans encombre
et sans embarras dans tous les lieux, même dans les pays les plus éloignés de la terre »...
« La circulaire continue en ces termes : « Notre combinaison (!) offre cet avantage
inappréciable qu'on pourra garder toujours sur soi l'eau miraculeuse pour s'en servir pieusement
en tout temps et en toute circonstance.
» Une pastille à l'eau de la Grotte glissée dans un vase de tisane n'enlèvera rien à l'efficacité
du remède prescrit par le médecin, mais elle donnera confiance au pauvre malade qui espère en
Dieu et en la bonne Vierge,
» On n'ignore pas, en effet, que ce n'est pas la plus ou moins grande quantité de l'eau de la
sainte Fontaine qui opéré les guérisons, mais que la vertu d'une seule goutte est assez puissante
pour guérir à la fois le corps et l'âme qui souffrent. Et n'avons-nous pas vu de malheureux infirmes
retrouver l'usage de leurs membres perdus en se baignant chez eux dans de l'eau naturelle à laquelle
on avait religieusement ajouté un simple verre d'eau de la Fontaine miraculeuse ? »

La garantie pontificale
Est-ce assez joli ? Et que l'on ne vienne pas nous dire que l'Église n'est pour rien dans cette
tartuferie, grotesque autant qu'odieuse, si l'on songe à qui elle s'adresse.
Ecoutons encore le Dr Spehl :
« Nous tenons à faire remarquer que le prospectus dont il est question ci-dessus est revêtu du
cachet pontifical, et reproduit « le texte authentique de la faveur pontificale qui a été accordée au
fabricant le 26 janvier 1888 au nom du pape Léon XIII par le cardinal Rampolla 53. »
Voilà une faveur qui ne dut pas être gratuite !

53 Dr Spehl, op. cit., pp. 30, 31, 32, 33.

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Vierges à musique et Vierges à baromètre
Nous avons vu ce qu'il en est, à Lourdes, de la « Cité religieuse », pour nous exprimer comme
l'Album du Centenaire, mais il y a encore la cité « profane », si tant est que l'on puisse ainsi désigner
une ville où l'on ne saurait manger, boire, dormir ou faire provision de cigarettes autrement que sous
l’invocation du Sacré-Coeur de Jésus, de l'Immaculée Conception, des Prophètes et des Apôtres, et
de tous les saints du Paradis. On s'explique, d'ailleurs, la dévotion ostentatoire des commerçants du
cru, car, outre qu'elle plaît à la clientèle, elle s'avère beaucoup plus « fructifiante » - soit dit sans
blasphème - que les pathétiques supplications adressées à la Médiatrice par les malheureux affligés.
Après Jean de Bonnefon dans Lourdes et ses tenanciers, et bien d'autres auteurs, M. Jacques
Derogy a tracé récemment un tableau truculent de ce bazar sacré 54.
Il évoque « les rues étroites et tortueuses qui descendent vers le Gave » et qui « forment de
véritables souks, où les enseignes de la bimbeloterie religieuse et de l'hôtellerie moyenne, agglutinées
porte à porte, égrènent leur monotone litanie du nom de tous les saints et de tous les hauts lieux
bibliques... Sans parler des innombrables neveux et petits-neveux de la famille Soubirous, laquelle,
« en ce temps-là » était la plus pauvre du bourg ». Puis, dans la ville nouvelle, ce sont des kilomètres
de galeries d'un grand bazar de la Charité vendant la même marchandise aux mêmes prix
imbattables... et dans toutes les langues...
« Les chapelets pendent en lianes, groupés selon le bois, le lapis, l'agathe, l'or et l'argent ; les
médailles pleuvent sur les comptoirs ; les statuettes peinturlurées de l'Immaculée Conception sont
disposées en rang d'oignons, par ordre de taille, ou suivant l'importance de la mécanique qu'elles
recèlent : Vierges à lumignon, Vierges à musique, Vierges en albâtre lumineuse, Vierges en plastique
incassable, Vierges aux yeux mobiles, Vierges en bouteille Vierges en savonnette... Il y en a même
pour 1950 francs qui chantent l'Avé Maria quand on les remonte... » « Des machines à l'Avé »,
souffle au journaliste son irrévérencieux compagnon.)
Et ce sont, toujours à l'effigie de Marie, les cravates où elle apparaît phosphorescente, « les
bidons pour emporter l'eau de la source, les stylos, les portefeuilles, les presse-papiers, les pipes, les
ronds de serviette, les coquetiers et les tabatières », sans préjudice des briquets et des etuis à
cigarettes.
Mais il y a mieux encore, tels ces sabliers sur lesquels la Vierge enseigne à Bernadette l'art
de faire cuire les oeufs à la coque ou de compter une communication téléphonique, ces baromètres
artistiques, garantis cinq ans, où l'Immaculée Conception change de couleur suivant état du ciel,
ces tire-bouchons perfectionnés dont le culot s'orne d'une image édifiante d'adoration. »
On propose aussi à tous les coins de rues les véritables Pastilles à l'eau de Lourdes
(méfiez-vous des contrefaçons) et les « cailloux du Gave », dont, nous dit M. Derogy, « 500 tonnes
ont été commandées cette année ».
« ... Enfin l'affaire Lourdes est prête pour la plus grosse opération financière de son histoire:
10 millions de médailles, 20 millions de cartes postales, 1000 tonnes de cierges - encore que le débit
du Rosaire représente une sérieuse concurrence - 200 000 disques du Centenaire (avec Brigitte
Fossey), 1 million de microsillons en matière plastique à 150 francs avec fond colorié de vitrail et
fond sonore de cloches et de roulements de galets dans le Gave, etc. »

54 Libération, 21 février 1958.

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Aussi les prix des fonds de commerce et pas de porte atteignent-ils des hauteurs
impressionnantes. Il n'en coûte pas bon marché à qui aspire à tenir une boutique de « bondieuseries
» ou un de ces hôtels comme celui qu'a noté Bonnefon et qui restera le modèle du genre : « Hôtel du
Calvaire, ascenseur, chauffage central, confort moderne ».
Il est vrai que le rendement est en proportion : « 1500 à 7 000 francs par jour, et à l'hôtel de
la Grotte on trouve des chambres non chauffées à 5 600 francs la nuit. »

Anathème à « l'esprit de lucre »


La fièvre de l'or qui règne sur ce véritable placer ne manque pas de scandaliser les fidèles, au
moins les plus évolués. Pour le Centenaire, il convenait de faire un effort de tenue. Aussi Mgr Théas
est-il parti en guerre, cette année, contre les vendeurs du Temple - ou plus exactement contre certains
d'entre eux, car il ne manifeste aucune hostilité aux tenanciers d'hôtels qui étrillent la clientèle. Il
semble même entretenir avec eux des rapports excellents si l'on en juge par ce que dit à un reporter
de La Croix son propre coadjuteur « phynancier », Mgr Maury :
« A la demande de S. Exc. Mgr Théas, et sous son patronage, avec l'appui de la municipalité
et du Syndicat des hôteliers, les Mouvements suivants - ...ont été chargés d'organiser à Lourdes un
camp d'hébergement de jeunes pèlerins... 55
On voit que le torchon ne brûle pas entre le vénérable évêque et les marchands de sommeil,
bien que ceux-ci se plaignent, d'après M. Jacques Derogy, de « la multiplication des couvents qu'ils
accusent d'être des pensions camouflées... » Mais on n'est pas à Chicago, que diable !
Entre gens avisés, d'ailleurs embarqués sur le même bateau (c'est le cas de le dire), on finit
toujours par s'entendre sans empoigner la mitraillette ou le parabellum.
C'est contre les marchands d'objets de piété que s'exerce uniquement le courroux épiscopal ;
contre ces gens qui vendent, eux aussi, comme les magasins du Rosaire, des cierges, des chapelets,
des statuettes, etc., en payant, il est vrai, la patente à la Ville, mais non pas la dîme à l'Église. Le
Figaro écrit :
« Dans un communiqué « rédigé à regret et adressé aux » commerçants et aux pèlerins », Mgr
Théas, évêque de Tarbes et Lourdes, s'élève contre « l'esprit de lucre » qui aboutit à l'abus des
choses saintes : eau de la Grotte, images de Notre-Dame de Lourdes et objets de piété. »
« L'eau de la Grotte, écrit Mgr Théas, est destinée à la boisson et à l'ablution. On peut en user
ainsi à Lourdes ou chez soi, mais toujours avec un religieux respect, 56 ». Elle ne doit pas être vendue
dans un objet religieux ou profane, car dans ce cas elle est « commercialisée », (alors que,
canoniquement, elle ne peut être que donnée... contre offrande, bien entendu).
Cette information parue dans toute la presse (La Croix parle même d'un « vigoureux
avertissement ») précise encore que « c'est un abus de mettre l'image de Notre-Dame de Lourdes sur
des souvenirs profanes, tels que briquets, porte-cigarettes, cendriers ». La prétention des marchands
de vendre des objets bénits est également dénoncée comme sans fondement. Enfin, Mgr Théas
souhaite que les commerçants n’offrent aux pèlerins « que des souvenirs religieux de bon goût ».

55 La Croix, 23 mai 1958


56 Le Figaro, 22 avril 1958.

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Un peu de casuistique...
Voilà une bien belle mercuriale, et conçue en termes fort dignes, pourtant, qui ne laisse pas
d'appeler quelques observations. Et d'abord, à première vue, l'anathème jeté sur les audacieux qui
osent « commercialiser » l'eau de la Fontaine sacrée nous avait paru mettre en cause de façon fort
irrévérencieuse certaine « faveur pontificale »dont le Dr Spehl nous entretenait ci-dessus. Mais une
lecture plus attentive nous a rassuré' sur ce point. Il n'est nullement question de Pastilles dans
l'« avertissement » de Mgr Théas. Elles sont passées rigoureusement sous silence - et pour qui sait
avec quel soin sont pesés tous les termes d'un communiqué de l'Église romaine, il ne saurait être
question d'une omission involontaire. Au reste, cette eau qui entre, paraît-il, dans leur composition,
ne s'évapore-t-elle pas à la cuisson? (En laissant toutefois subsister ses vertus efficaces.)
Tout est donc pour le mieux. Les ingénieux industriels qui ont su capter et mettre à la portée
de tous, sous forme e bonbons, les effluves miraculeux, ne sont évidemment pas coupables de cet
« esprit de lucre » et de cet « abus des choses saintes » si sévèrement condamnés. L'eau divine n'est
pas « commercialisée x par eux, mais plutôt volatilisée. Il y a là plus qu'une nuance, aux yeux d'un
bon casuiste. Ils pourront donc - eux ou leurs héritiers - continuer d'exploiter en toute sûreté de
conscience cette « combinaison », dont ils recommandent d'ailleurs - on l'a vu - qu'on use
« religieusement », selon le voeu de Mgr Théas. Et d'autre part, les ombres bienheureuses (du moins,
il nous plaît de les croire telles) de S. S. Léon XIII et du cardinal Rampolla ne seront pas troublées
là-haut, dans leur béatitude, par une censure injurieuse venant d'un « frère vénéré » - et, qui plus est,
détenteur d'une calotte de Pie X.

... et un peu d'hydraulique


Nous n'en avons pas fini, cependant, avec cette eau « miraculeuse ». Voilà-t-il pas qu'un
médecin anglais, le Docteur J. V. Duhig, vient de rappeler dans The Free thinker de Londres, certaine
information publiée en 1953 par Paris-Match, hebdomadaire certes non suspect d'hostilité au
Vatican, à ses pompes et à ses oeuvres, qu'il célèbre souvent, au contraire, avec un grand luxe
d'images en gros et petit plan.
On a pu lire néanmoins, dans sa rubrique Télégrammes, ce texte dépourvu de toute ambiguïté:
« Inquiétude à Lourdes : Electricité de France veut capter les eaux du Gave de Pau entre
Saint-Pierre, Lourdes et Saint-Pé. Si ce projet était réalisé, les piscines où se plongent les fidèles
venus chercher la guérison miraculeuse risqueraient d'être taries. »
Nous voilà fixés sur la nature du « miracle » qui a transformé le suintement boueux de
Massabielle en une source abondante... et sacrée : les hydrauliciens y ont eu plus de part que
J'Immaculée Conception. Mais que penser de ces apologistes, ecclésiastiques ou laïcs, se déchaînant
avec une indignation bien jouée contre ceux qui osent douter du prodige?
Tant de fourberie entre-t-il dans l'âme des dévots ?
Que penser surtout du maître de ces lieux, recommandant d'user toujours « avec un religieux
respect » de cette eau sainte... qu'il sait tirée de la rivière?

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Du tac au tac
S. E.. l'évêque de Tarbes et de Lourdes a donc adressé un « vigoureux avertissement » aux
marchands de bondieuseries. C'est fort bien, mais ceux-ci ne pourraient-ils lui rétorquer avec juste
raison :
« Que nous reprochez-vous ? En bons commerçants, nous vendons à la clientèle ce qu'elle
demande, ce qui lui plaît. Nous débitons au bord du Gave des Vierges a musique ou des
Vierges-flacons comme nous ferions sur la Côte d'Azur de bikinis ou de lunettes de soleil. Est-ce
notre faute, ou celle de l’Église, si ces gens possédés d'une « religion illimitée et aveugle » - que l'on
a soigneusement cultivée chez eux, n'en déplaise à Mgr Ottaviani - se jettent avidement sur notre
bimbeloterie pieuse, voire, de préférence, sur ses plus hideux spécimens ? Est-ce nous qui les avons
dressés à voir et à adorer le divin à travers les plâtreries, peinturlurées du quartier Saint-Sulpice ?
Qui leur avons donné le goût des petites pratiques et du fétichisme idolâtre?
« Nous faisons franchement notre métier, nous autres, sans prétendre y gagner le Ciel et moins
encore y envoyer autrui. (A ce qu'on dit, certains d'entre eux montreraient même, en leur particulier,
une incrédulité cynique assez plaisante.) Notre métier, nous ne nous en cachons pas, c'est de vendre,
et donc d'amasser de l'argent. Mais n'y sommes-nous pas à notre place autrement bien que des
ecclésiastiques, et cet « esprit de lucre » qu'on nous reproche ne nous sied-il pas beaucoup mieux
qu'à ceux-ci? Que vient-on nous parler d'« abus des choses saintes » ? Ce n'est pas nous, après tout,
qui exploitons l'espoir insensé des malades dans l'intercession de la Vierge, après le leur avoir
pratiquement insufflé; qui battons la grosse caisse et racolons les gogos dans le monde entier ; qui
ramassons les millions par centaines aux Etats-Unis, au Canada, en Argentine, au Brésil, etc., sans
compter notre vieux continent - le tout sur la foi de prétendues apparitions et de , miracles » falsifiés
- et faisons ainsi élever de magnifiques constructions, y compris votre propre palais, Monseigneur!
Ce n'est pas nous, enfin, qui avons « monté l'affaire ».
Ainsi pourraient parler ces honnêtes marchands. Et, de fait, ce serait bien le cas de citer La
Fontaine :
Le fabricateur souverain Nous créa besaciers tous de même manière. Il fit pour nos défauts
la poche de derrière Et celle de devant pour les défauts d'autrui.
Mais on nous répondrait que le Bonhomme est à l'Index.

Pourquoi Lourdes ?
Tel est l'aspect « temporel » du fait de Lourdes » ; il nous reste à dire quelques mots de son
aspect « spirituel ». Mais là, on conçoit que, simple profane, nous ressentions sinon une terreur
sacrée, du moins quelque crainte timide, et ne fassions qu'une courte incursion, et encore d'un pas
furtif, en ce domaine des « docteurs ».
Pourtant, il est une observation que nous a suggérée ce haut-lieu et que nous ne pouvons nous
résigner à taire, dussions-nous voir braqués sur notre modeste personne tous les canons de la
théologie. Disons-le tout net : nous ne comprenons pas que des chrétiens puissent aller à Lourdes.
En effet, s'il est un enseignement constant dans l'Église romaine - qui, à d'autres égards, a
beaucoup plus varié qu'elle ne veut le dire - c'est bien que Dieu se plaît à éprouver les justes, à leur
envoyer diverses afflictions afin d'exercer leur patience et pouvoir par la suite, dans son Immuable

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justice, les récompenser proportionnellement au Ciel. Et il n'est pas douteux que ceux-ci ne peuvent
que lui en savoir gré. De cela, les exemples abondent dans la littérature religieuse, à commencer par
le bonhomme job qui pourrissait sur son fumier en louant le Seigneur pour la lèpre dont Il l'avait
gracieusement pourvu, jusqu'aux saints et aux saintes de notre temps, célébrés à l'envi par les
hagiographes pour leur allègre soumission aux décrets de la Providence. Au reste, il n'est pas une
oreille campagnarde, avide de consolation, qui ne se soit entendu rappeler tout cela par le curé de
son village.
Dès lors, il semble que l'attitude du croyant apparaisse toute tracée lorsqu'il se voit favorisé
de quelque bonne maladie ou infirmité, signe éclatant de la prédilection divine. Il doit la recevoir
avec joie et reconnaissance, et toute autre conduite de sa part ne peut être que pécheresse, pour ne
pas dire davantage.
Que fait-il en effet, en allant à Lourdes, par exemple, solliciter sa guérison par l'intercession
de la Vierge Marie, si ce n'est prier le Seigneur de bien vouloir tempérer son amour et lui en épargner
les manifestations trop vives ? Requête impertinente s'il en fut, et qui confine au sacrilège !
Cependant, passe encore pour les bénéficiaires de ces grâces. Il faut faire la part de la faiblesse
humaine et ne pas se hâter de crier à l'ingratitude.
Mais l'Église, infaillible gardienne de la « doctrine », comment peut-elle admettre,
encourager, provoquer au besoin des voeux aussi impies? Exalter les uns pour leur sainte
résignation, tandis qu'elle pousse les autres à implorer la cessation de leurs misères à grand renfort
de cierges, de prières et de cantiques ? Il y a là une contradiction choquante.
On nous dira, bien sùr, que tous les maux ne sont pas des signes d'élection. Mais parmi les plus
fortes têtes théologiques, laquelle oserait se vanter de distinguer les uns des autres? Et ils sont tous,
au moins, des occasions exceptionnelles d'avancer dans la voie de la perfection. Cela l'Église ne peut
le nier. Est-ce à elle, dès lors, qu'il appartient d'y mettre obstacle ?
Il faudrait tout de même choisir. On est « doloriste »ou on ne l'est pas. Mais, à la vérité, il n'y
a pas de doloristes. A peine des quarts, des dixièmes, des centièmes de doloristes - tout juste ce qu'il
faut pour nourrir l'orgueil d'y prétendre.
Le plus maupiteux diseur de patenôtres est aussi attaché à sa triste carcasse que le jovial
épicurien à sa rondelette personne - avec moins de tonus vital, voilà tout. Quant a certains prélats
de mine florissante, il vaut mieux ne pas en parler...
On peut bien exalter les sévères beautés de l'abstinence et du renoncement, vanter au troupeau
l'herbe rare et flétrie comme éminemment favorable au salut. Mues par un sûr instinct, les ouailles
ne s'en vont pas moins vers la bonne pâture, et le pasteur les suit - quand il ne les précède pas.
Cependant il y a les Principes : pénitence, mépris du monde... Alors, que faire ? On triche...
On se vautre dans l'herbe grasse en affectant de lancer vers le terrain pelé des regards nostalgiques.
On évite avec soin la griffe acérée des épines, non sans louer bien haut leur vertu mortificatrice. On
se gave à loisir de la bonne provende, en feignant d'appeler, avec des bêlements plaintifs, le jour béni
de l'abattoir.
« Pharisiens, sépulcres blanchis! » disait le Christ.
En vérité, l'Église romaine nous la baille belle, et les dévots aussi, avec leur pénitence, leurs
larmoyantes homélies, leurs « messages » et leurs Avé Maria. Mieux vaudrait avouer franchement
que la philosophie païenne, officiellement réprouvée, est toujours bien vivante au coeur des croyants

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- étant la philosophie naturelle, qui nomme plaisir le plaisir et douleur la douleur, recherche l'un, fuit
l'autre, et ne professe pas cette orgueilleuse aberration d'en intervertir les valeurs.
Mais avouer cela, jamais ! Car contre l'évidence il y à la « doctrine ». L'homme est ici-bas pour
souffrir - et le plus gros chanoine ne voudrait pas en démordre d'un pouce.
Alors pourquoi Lourdes, mon Révérend ?

Le ver dans le fruit


On a vu le triomphe inouï que connaît aujourd'hui la Cité du Surnaturel, à l'apogée d'une
carrière éblouissante.
Néanmoins, il n'est rien de parfait ici-bas, pas même a Lourdes, ville sainte, chef-d'oeuvre de
foi et d'astuce. A bien y regarder, en effet, un ver est dans le fruit - dans ce beau fruit doré, duveteux,
mûr à point, et surtout juteux à plaisir. Ce ver rongeur, c'est la diminution continue, inexorable, des
guérisons « miraculeuses ».
Ce n'est pas qu'elles aient jamais été fréquentes, sinon à l'époque héroïque où régnait le Dr
Dozous, thaumaturge abondant s'il en fut. L'Église en a reconnu 54 seulement depuis le jour béni
où jaillit la Fontaine. Ce n'est pas beaucoup pour un siècle. Mais à ce modeste total, il convient
d'ajouter les guérisons jugées probables, encore que non reconnues, et, à ce titre, prônées avec
vigueur par les apologistes. Ainsi, bon an mal an on s'y retrouvait à peu près. Cependant, à mesure
que le temps passe, les « certaines » et les « douteuses » deviennent de plus en plus rares. On dirait
un filon qui s'épuise.
L'an dernier, même, en 1957, on vécut là-bas des heures dramatiques. Des Pères de la Grotte
aux voltigeurs de la photo-express, en passant par les gros négociants en Vierges et en chapelets,
l'angoisse étreignait tous les coeurs. Pas un miracle en vue - et cela à la veille du centenaire! Il fallut
toute l'énergie de Mgr Théas pour redresser la situation. Ne connaissant que son devoir, et d'ailleurs
éclairée a une par le Saint-Esprit, Son Excellence recourut à une mesure héroïque: d'un « cas » si
manifestement suspect que le B. C. M. lui-même avait dû renoncer à en tirer quoi que ce fût, elle fit
un bel et bon miracle. Et chacun respira, soulagé. Mais l'alerte avait été chaude!

Une baisse catastrophique


La situation, pourtant, reste sérieuse au bord du Gave, où l'on se demande : « De quoi demain
sera-t-il fait? » Car l'année 1958 - malgré le centenaire, ses 8 millions de pèlerins et l'espoir de
grâces nombreuses que le Saint-Père a publiquement proclamé - ne s'annonce pas « fructifiante »
pour les malades. On s'arrangera, c'est certain, mais cela promet d'être dur.
Il y a bien lieu d'être inquiet, en effet, si l'on considère les chiffres. Ils sont éloquents, même
si l'on n'accorde pas une créance entière à ceux des « temps mytologiques » (si tant est qu'on en soit
sorti). De 1894 à 1908, le Dr Vourch, auteur de La Foi qui guérit, estime que le nombre annuel des
guérisons oscillait entre 100 et 235 ! Mais arrivons aux temps modernes, et écoutons M. Henri
Fesquet qui écrit dans Le Monde 57 :

57 Le Monde, 17 juillet 1956.

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« De 1926 à 1938 il n'y aurait que dix guérisons par an environ. Les « Cahiers Laënnec »
(catholiques) retiennent deux cents cas seulement pour toute la période de 1921 à 1947. Enfin,
d'après le Dr Leuret, le Bureau des Constatations a enregistré quinze guérisons de 1939 à 1950. Si
l'on tient compte de l'extraordinaire accroissement du nombre des pèlerins depuis une cinquantaine
d'années, la baisse des cas de guérison retenus est remarquable. Une guérison pour deux mille en
1900; une guérison pour cinq mille en 1930; une guérison pour un million en 1949... 58
Et, depuis, la moyenne baisse toujours, témoin l'an 1957 où l'on frisa la catastrophe.
« Les pèlerins prieraient-ils moins bien aujourd'hui qu'autrefois ? demande M. Henri Fesquet.
L'atmosphère serait-elle moins recueillie ? »
Mais peut-on supposer moins de foi chez les pauvres malades, venus le plus souvent de loin,
dans des conditions fort pénibles ? Ou bien paieraient-ils pour la frivolité des touristes? Il faudrait
alors supposer une « reversibilité des démérites » qui ne figure pas - ou pas encore -dans la
« doctrine », à notre connaissance.

« L'unique nécessaire ... »


Le journaliste mentionne ensuite l'explication donnée par l'abbé Laurentin dans son ouvrage
Le sens de Lourdes. Celle-là est plus réconfortante: les pèlerins n'auraient rien perdu de leur foi, bien
au contraire. Ils l'auraient « transcendée » : « La vie de Lourdes s'approfondit et s'intériorise. De plus
en plus on y va pour l'unique nécessaire, pour la guérison des âmes plus que pour la guérison des
corps. »
Oserons-nous dire à l'abbé qu'à lire ces deux jolies phrases, on ne peut réprimer un sourire ;
(Mais lui-même...?) Et souffrirait-il que nous les traduisions en langage vulgaire : A défaut de
grives... ? Ne lui en faisons pas un grief personnel, cependant, car ce n'est que l’écho d'un mot
d'ordre, comme on s'en rend compte aisément en parcourant la presse religieuse. L'Église, prudente
(d'aucuns prononcent: cauteleuse), devant le fait positif de la disette de « miracles », a rectifié le tir
en conséquence. Foin du corps, cette guenille ! Si les malades, aujourd'hui, continuent de demander,
à Lourdes, la guérison de leurs misères, c'est pure formalité de leur part. Ils ne tiennent pas autrement
à être exaucés et s'en retournent au logis, bredouilles et contents, puisant même un surcroît de foi et
de ferveur - à ce qu'on nous assure - dans la seule satisfaction d'avoir pu prier à loisir en compagnie
de milliers d'autres malheureux, également déçus par l'hydrothérapie sacrée. C'est du moins ce
qu'affirme sans rire (?) la presse « croyante », et plus particulièrement Témoignage chrétien 59.

La vigilance qui s'impose


Tout serait donc pour le mieux, et Mgr Théas ne se verrait pas obligé de renouveler son exploit
de 1957... si la clientèle avalait la couleuvre. Or, cela nous paraît douteux. Que serait Lourdes sans
miracles? Ce que serait - sauf respect - la Loterie nationale sans gagnants.
Là aussi, on sait bien que l'on n'a guère plus de chances de toucher le gros lot, voire un petit,
que de trouver une aiguille dans l'épaisseur d'une botte de foin. Mais l'espoir ne calcule pas. Encore
faut-il qu'il y ait espoir.
58 Chiffres cités par le Dr Guy Valot
59 Cf. Témoignage chrétien, 14 février 1958.

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On voit mal l'acheteur de dixièmes, ou de tickets du P. M. U., allonger sa monnaie sans nulle
idée de gain, par pure foi civique, ou pour améliorer en tout désintéressement la race chevaline. Le
miracle nous paraît donc indispensable à Lourdes. C'est pourquoi son énergique évêque fera
sagement, croyons-nous, de rester vigilant et prêt à l'action. Au reste - il ne l'ignore pas - on n'est
jamais si bien servi que par soi-même.

Une explication lumineuse


Cependant, pour en revenir à l'abbé Laurentin et a ses émules, le Seigneur se verrait, par leurs
soins, heureusement lavé du reproche, apparemment trop justifié, de ne prêter aux plaintes de ses
créatures, transmises par sa Sainte Mère, qu'une oreille de plus en plus inattentive. Si, comme ils le
prétendent, ce sont les créatures qui ne se plaignent plus que mollement et sans conviction, la chose
est toute différente. Pourtant, cette ingénieuse explication n'a pas satisfait tout le monde. On en a
cherché d'autres, et certains esprits terre à terre n'ont pas craint d'attribuer aux progrès de l'art
médical le secret de ce tarissement des grâces. D'après eux, la sûreté des diagnostics devenant de
plus en plus grande réduirait d'autant cette frange d'incertitude où le surnaturel semble se glisser avec
prédilection. Les fausses tumeurs d'origine nerveuse, par exemple, se trouvant aujourd'hui facilement
dépistées, ne viendraient plus à Lourdes se « dégonfler » spectaculairement sous l'effet du choc
émotionnel. Et ainsi de bien d'autres cas. En somme, on ne verrait plus guère à la Grotte que des
malades atteints d'affections graves bien déterminées, incurables pour la plupart - d'où l'échec.
Cette thèse, claire et précise, semble porter un coup fatal aux tenants du surnaturel. Pourtant,
que les « rationalistes », comme on dit, ne se hâtent pas de chanter victoire, car on pourrait bien leur
montrer leur béjaune.
Qu'on se rappelle : deux savants catholiques, le professeur Lhermitte et un éminent collègue
qu'il cite, ne nous ont-ils pas prévenus ? « Dieu se retire des prises de la science expérimentale ».
Dès lors, tout change et se métamorphose en un clin d'oeil comme aux féeries de l'ancien
Chàtelet. Si Dieu ne fait plus de miracles à Lourdes sur les malades incurables, c'est non parce qu'il
ne le peut pas, mais parce qu'il ne le veut pas. Tous ces contrôles, tous ces diagnostics méticuleux
l'irritent - quelques précautions que puissent prendre les médecins du B. C. M. (et on a vu qu'ils en
prennent beaucoup) pour ne pas donner matière à sa susceptibilité.
Ainsi tout s'explique, et l'honneur de l’Église est sauf. Tant il est vrai que pour se tirer d'affaire
en ce bas monde, il n'est encore rien de tel qu'une subtile casuistique.

Mais encore ... ?


N'y aurait-il pas outrecuidance à prétendre ajouter quelque chose à cette lumineuse explication
- fût-ce pour la corroborer - alors qu'elle résume les méditations conjuguées des plus profonds
penseurs du monde catholique?
Sans doute - et, pour notre part, nous ne nous y hasarderions pas si nous n'avions estimé qu'il
y a en somme obligation morale d'apporter sa contribution personnelle, pour modeste qu'elle puisse
être, à l'élucidation définitive de cette énigme si troublante, et de tant de conséquence pour les
croyants.
C'est donc avec bonne conscience que nous nous sommes demandé si l'explication rapportée
ci-dessus est tout a fait satisfaisante - ou si quelque argument resté inaperçu, mais toutefois non

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négligeable, ne doit pas y être ajoute. A-t-on tout dit quand on attribue le refus de Dieu - hélas ! trop
évident - d'opérer des guérisons miraculeuses, à l'abus des moyens de contrôle auxquels il lui déplaît
que l'on prétende le soumettre ? N'a-t-il pas encore quelque autre motif d'irritation ?
C'est celui-ci - soit dit en toute humilité - que nous avons cru discerner. Il nous faut même
ajouter, chose pénible à dire, qu'en ce cas ce serait aux princes de l'Église qu'en reviendrait toute la
coulpe.
En effet, quelque diligentes recherches que nous ayons entreprises - pour bien nous assurer du
fait - dans les colonnes de la presse religieuse ou assimilée, nous n'avons pu y découvrir le plus petit
entrefilet annonçant que tel ou tel de ces dignitaires, souffrant de quelque mal passager ou
chronique, s'était plongé dans la piscine.
Qu'est-ce à dire ? Ou quelqu'un de ces diablotins dont Mgr Cristiani nous invite à ne pas faire
fi, aurait-il dérobé ces informations à nos yeux ? Le fait est que nous avons dû renoncer à en trouver
la moindre trace, et force nous est de penser qu'il n'en a point paru de cette sorte. Peut-on s'étonner,
en conséquence, si Dieu s'est offensé, finalement, de voir ce don de son Ineffable Bonté ainsi
dédaigné par ses plus hauts Ministres?

Troublante énigme
Les santés épiscopales et cardinales seraient-elles si florissantes qu'elles ne requièrent jamais
le moindre soin? Certes, on sait bien que, le Seigneur n'en use pas envers ces Princes comme envers
le commun des fidèles. Ce ne sont pas des maladies, de bonnes disgrâces physiques qu'il leur envoie
comme marques de sa faveur, mais plutôt un heureux équilibre, un teint fleuri, un aimable
embonpoint qui va parfois jusqu'à l'obésité. Néanmoins, soumis à l'humaine nature, ils ne peuvent
pas être exempts de petites misères, serait-ce seulement celles qu'engendre la pléthore.
Comment s'expliquer, alors, qu'aucun d'eux ne recourt jamais à la médication divine?
Car c'est un fait : Eminences et Excellences se succèdent à Lourdes, plus particulièrement cette
année, y prennent la parole en grande pompe devant les foules recueillies, célèbrent en termes
touchants la Vierge, Bernadette et les cures miraculeuses, exhortent invariablement les chrétiens à
méditer le mystérieux « message »... puis s'en vont, tournant le dos à cette eau merveilleusement
bénéfique - à ce qu'ils disent - sans y avoir trempé seulement un orteil.
Ainsi font-ils tous, jusqu'au vénérable patriarche de Venise, Mgr Roncalli, devenu, depuis, S.
S. jean XXIII, qu'on a pu voir, monté sur une jeep, mitre en tête et goupillon au poing, parcourir
l'immense substruction de Mgr Théas en bénissant avec soin les puissantes nervures - ce qui ne fut
pas une petite affaire, étant donné les dimensions de cet ouvrage titanesque.
Oui, tel est l'exemple peu édifiant que l'on donne aux fidèles, alors qu'ils devraient voir se
prolonger à l'envi dans ces saintes baignoires tout ce que les Porporati et les Monsignori du monde
entier peuvent compter d'égrotants et de béquillards.

Un comble
Mais il y a pire encore, car Mgr Théas lui-même... En 1952, le Ciel, rompant avec sa conduite
habituelle envers les Princes de l'Église, lui envoya, par faveur toute particulière, un excellent
infarctus du myocarde qui manqua l'emporter tout droit au Paradis. Il commença pourtant de se

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rétablir, peu à peu, et par un zèle fort louable tint à se faire porter sur un brancard, dolent encore, au
milieu des malades. C'est ce qu'apprit à ses lecteurs La Croix du 23 août 1952.
Tout en donnant à la conduite du prélat en cette circonstance le juste éloge qu'elle appelle, on
pourrait supposer raisonnablement qu'il accompagna ces malades à la piscine et s'y fit plonger avec
eux. Point du tout ! Il resta fermement sur le bord.
C'est vraiment à n'y rien comprendre. Si l'évêque de Lourdes lui-même renonce à demander
sa propre guérison à l'eau sainte dont il est l'auguste gardien, il n'y a plus qu'à tirer l'échelle !
On dira peut-être que l'affection dont il souffrait ne se soigne pas à l'eau froide, et qu'un
médecin assez fou pour la prescrire en pareil cas aurait à en répondre devant ses pairs, si ce n'est en
correctionnelle. Mais à Lourdes, on ne connaît pas ces distinguo. Tout, indifféremment, s'y traite à
l'eau glacée, advienne que pourra.
D'ailleurs, n'y a-t-il pas le fameux « miracle quotidien », la garantie cent pour cent contre les
accidents, aux dires des experts du B. C. M. ?

Faut-il espérer?
On se perd donc en conjectures sur cette étrange hydrophobie du haut clergé. D'autant qu'elle
semble affecter jusqu'au chef suprême de l'Église. En 1954, Sa défunte Sainteté Pie XII fût
gravement malade, voire dans un état désespéré. Une médication ultra-moderne, à base d'embryons
de poulets, de glandes de béliers et autres capripèdes, le tira cependant d'affaire, par miracle
pourrait-on dire, si l'expression en l'occurrence ne prêtait à interprétation maligne.
Mais Lourdes, dira-t-on... Eh bien, le Saint-Père ne lui marchanda pas les louanges dans sa
lumineuse Lettre Encyclique de 1957. Il poussa même la bonté jusqu'à aider Mgr Théas à sortir de
ses embarras - en prenant la clé de la caisse, bien entendu, car dans l'âme de ce grand pape la
mystique ne faisait pas tort à la « phynance » (il avait d'ailleurs quelques neveux banquiers).
Cependant, mise à part cette opération « fructifiante », Pie XII ne manifesta aucun désir de
nouer avec la Fontaine de Bernadette de plus intimes relations.
Il est vrai qu'il y a les Pastilles (il faut penser à tout). Peut-être, en son particulier, Sa Sainteté
n'en avait-elle pas fait fi, d'autant qu'elles reçurent la « faveur » de son devancier Léon XIII. Mais
leur usage clandestin - hypothèse toute gratuite - ne saurait remplacer devant Dieu et devant les
hommes un bel et bon acte de foi public, tel que l'immersion rituelle.
C'est en raison de tout cela que nous augurons mal de l'avenir quant à l'apaisement de la
Divinité et la reprise des miracles.
A moins que... Car il faut toujours conserver l'Espérance, cette vertu théologale. A moins qu'un
jour quelque intrépide Monsignore (à défaut du Souverain Pontife), se sacrifiant au bien commun,
ne surmonte la répugnance propre à sa caste et n'entre bravement, crosse en main et la mitre en tête,
dans cette eau fétide et glacée.
Si ce nouveau martyr ne fait pas remonter le taux des guérisons miraculeuses, il aura du moins
édifié le public. Ce ne serait pas inutile car, quel que soit le prétexte invoque, on se méfie toujours
du cuisinier qui ne mange pas de sa propre cuisine - comme du sommelier qui ne boit pas son propre
vin.

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LIVRE DEUXIÈME

« La Salette ? Il s'agit là de la plus grossière crédulité et de la plus basse superstition, de la


plus monstrueuse et désastreuse absurdité... Il s'agit là d'une tentative délibérée d'obtenir de l'argent
du peuple sous les plus grossiers et faux prétextes... »
Times, de Londres, 7 septembre 1852.

« Les grands fondateurs d'ordres religieux ont tous commencé leur vie mystique par
l'hallucination et la folie, à partir du visionnaire saint Antoine...
» Voyez quels succès ont obtenu la fable de la visionnaire de Lourdes, celle des bergers de La
Salette, malgré la démonstration juridique de la fourberie, que la France laisse exploiter par le
clergé, qui sait en tirer un riche parti... »
Adolphe Bertet.

« Lorsque, en 1851, les abbés Rousselot et Guérin lui avaient présenté à Rome le fameux
secret des bergers de La Salette, le pape Pie IX s'était écrié, après avoir lu : « Mais ce que vous
m'apportez- là, c'est tout un monde de stupidités, de monstruosités, bon à jeter aux papiers sales »
» Un an plus tard, il se ravisa, sachant que le pèlerinage rapportait 300 000 francs par an. »
C.-S. Volpi, camérier secret du pape.

L'Archange saint Michel au Mont Gargano:


« Une basilique est consacrée aux premières apparitions de saint Michel aux premiers temps
du christianisme...
» Pie XII, à plusieurs reprises, fit appel à la protection de l'archange saint Michel...
» L'archange apparut sur le mausolée d'Adrien... »
L'Osservatore Romano, 23 août 1963.

« Louis Veuillot portait sur la littérature mariale ce jugement sévère : « On s'étonne que le
zèle qui fait lire ces pauvretés inspire si mal ceux qui les écrivent. »
Chanoine René Laurentin,
(La Question mariale, Imprimatur 1963).

« Il n'est peut-être pas de moment dans nos annales, où le message pathétique de La Salette
prenne une plus saisissante actualité que dans les jours que nous vivons et qui représentent la plus
grande césure de notre histoire... »
Robert d'Harcourt, de l'Académie française.

Page 47
«Mystique, saint Dominique Savio le fut, lui qui, avec son Dieu, tenait d'interminables
colloques ; que Don Bosco envoyait consulter la Vierge, et l'enfant revenait avec la réponse de la
Madone ; qui, après sa mort, revint trouver son maître avec une commission précise d’En-Haut...»
La Croix, 12 juin 1954.

« Tous les miracles dans l'Église catholique sont fourberie, mensonge, fiction, imposture: des
prodiges ridicules, simplement relatés par des auteurs privés... admis sur le crédit accordé à des
fables, à des rapports sans autorité... »
Do cteur S tillingfleet.

« Après avoir soumis à Rome le texte de son mandement pour plus de garantie, Mgr Bruillard
déclara officiellement l'apparition de La Salette vraie, indubitable et certaine. »
Maria Winowska,
La Salette (Imprimatur 1959).

« Voltaire souhaitait c pour qu'un miracle fût bien constaté qu'il fût fait en présence de
l'Académie des Sciences de Paris, ou de la Société Royale de Londres, et de la Faculté de
Médecine.»
Abbé André Deroo.

« Que l'on songe à ce fameux pèlerinage de Lorette... dont aucun esprit averti ne peut plus
soutenir l'authenticité... »
Jean Guitton,
de l’Acad émie française
(La Vierge M arie, Paris 1957).

« Les petites filles qui croient entendre des voix célestes ou voir apparaître la vierge Marie
ont été considérées par l'Église tantôt comme des sorcières, tantôt comme des saintes. Plus
simplement, leurs hallucinations ne sont que des manifestations d'un état pathologique. »
Marcel Guichard.

« Si on célèbre la sainte Vierge parce qu'elle aurait sauvé Rome (juillet 1943), je me sens alors
saisi par la honte: comme si on pouvait accepter que la Vierge, ait sauvé ce peuple et ait laissé
mourir ailleurs tant de gens qui ont en vain levé les bras au ciel ! »
Pro fesseur F ranco Lom bard i.

« Les nombreux exemples de contrefaçons de miracles et d'événements surnaturels qui, à


toutes les époques, ont été découverts par un témoignage contraire ou qui se sont découverts par
leur absurdité, prouvent assez la force de la tendance humaine à l'extraordinaire et au merveilleux,
et doivent raisonnablement engendrer des soupçons contre toutes les relations de ce genre...
» Si l'esprit de religion se joint à l'amour du merveilleux, c'est la fin du sens commun. »
David Hume.

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« Et si l'on vient nous dire que la ville de Lourdes est, plus que toute autre, livrée aux
marchands du Temple, que tel gouvernement portugais cherche à mobiliser au service de ses thèses
apparition de Fatima, que le message de La Salette demeure inconnu, sinon suspect, à beaucoup
nous répondrons qu'il s'agit là de pèlerinages terrestres... »
Révérend Pè re Engelmann.

« Pourquoi la Vierge apparaît-elle furtivement dans les grottes, suivant une mise en scène
invariable ? Je croirai aux « apparitions » quand j'en verrai une se produire au grand jour, sur la
place publique, au vu et au su de chacun - c'est-à-dire jamais. »
XXX.

LA SALETTE
Sommaire
Une curieuse innovation : la Vierge apparaît à deux petits bergers, Mélanie et Maximin, sous
l'accoutrement d'une paysanne des Alpes - Les pleurs de la Corédemptrice: elle s'épuise à retenir le
bras de son Fils irrité - Gare aux pommes de terre ! - Exégèse de l'Apparition par un Père jésuite :
pourquoi la Vierge portait-elle un bonnet de grand-mère, et non la Fulgens Corona ? Peuton pleurer
au Paradis ? - Passe-temps et divertissements célestes : « Les saints se réjouiront des tourments des
impies. »
Instabilité des deux petits « miraculés » - Maximin est tour a tour séminariste, zouave
pontifical et fabricant de la « liqueur de la Salette » - Mélanie, entrée en religion, passe de couvent
en couvent. - Divulgation du « secret » confié à Mélanie par Celle qui pleure - Une prophétie
terrifiante : les prêtres devenus des « cloaques d’impuretée » Lucifer sera détaché de l'Enfer,
« malheur aux princes de l'Église », l'Antéchrist à Rome, cataclysme et tremblements de terre, etc.
- Le « secret » mis à l'Index ou la Vierge censurée par le Saint-Office.
Scepticisme inattendu de J.-M. Vianney, curé d'Ars - L'aveu de Maximin : il n'avait rien vu
ni entendu - L'abbé Déléon découvre le pot aux roses - Un étrange duo : le grand vicaire de l'évêché
de Grenoble, enquêteur canonique dans l'affaire de l'Apparition, et la demoiselle de La Merlière,
prêcheuse de carrefours - Cette Vierge un peu mûre avait un gros paquet de vêtements - Les abbés
Déléon et Chatellier dénoncent la supercherie -Celle qui pleure leur intente un procès en diffamation
- Elle est déboutée de sa plainte « dénuée de tout fondement », avec des attendus significatifs -
Confirmation en Cour d'Appel - La demoiselle et le grand vicaire classés parmi les « charlatans et
les bateleurs qui surprennent la crédulité publique ».
L'enquête épiscopale n'en conclut pas moins à la réalité de l'Apparition - L'impudence, vertu
théologale ? -Une basilique à Notre-Dame du Bonnet : pèlerinages et retraites sacerdotales -
Pourquoi pas un centre de perfectionnement professionnel pour les titulaires de « cures à miracles »,?
- Canonicité de l'abus de confiance - Les jésuites et la mariolâtrie.
« Prévost-Paradol, choqué par le besoin des catholiques de compenser par des miracles (à
La Salette et à Lourdes) l'insuffisance de leur apologétique, ironisait sur la répétition de ces «
représentations célestes », qui permettait « la création d'une industrie exceptionnelle qui n'exige
aucune mise de fonds, qui ne connaît aucune morte-saison et qui ne craint aucune concurrence
étrangère. »
Professeurs Latreille et Rémond.

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« LA SALETTE DEVINT UN DES HAUTS LIEUX DE LA FOI. »
Daniel-Ro ps,
de l'Académie française.
(Imprimatur 1960).

« Les souverains pontifes de Pie IX à Pie XII, n'ont cessé de recommander la dévotion à
Notre-Dame de La Salette. »
La Croix, 7 septembre 1946.

« Vous voulez savoir ce qu'il y a dans les secrets de La Salette ? Eh bien ! c'est la parole de
l'Evangile... »
Pie IX.

«La nature embrasse l'univers entier et il n'y a rien en dehors d'elle : tout est dans la nature,
l'inconnu comme le connu, et le surnaturel n'existe pas. »
Flammarion.

«A propos de l'apparition de Notre-Dame à La Salette, dont le procès canonique, comme le


déclarait Pie XII, s'est avéré favorable (1946), l'Ordinaire du lieu juge dans son mandement
doctrinal, article premier, qu'elle porte en elle-même tous les caractères de la vérité et que les
fidèles sont fondés à la croire indubitable et certaine.»
Père Laurent Volken.
(Imprimatur, 1961).

La vision éblouissante de Notre-Dame de Lourdes, trônant dans le scintillement d'une forêt de


cierges, aux yeux de pèlerins accourus par millions, a relégué dans une modeste pénombre les autres
apparitions que la Vierge avait bien voulu faire déjà, en France et en Europe, à des dates diverses.
En conséquence, il n'y aurait pas lieu de rappeler particulièrement celle de La Salette, dans l'Isère,
si elle ne se recommandait à l'attention par certains caractères i lui sont propres.
D'abord, elle se produisit douze ans avant celle de Lourdes, et d'aucuns sont enclins à penser
qu'elle n'y fut pas tout à fait étrangère - se souvenant de la miraculeuse prémonition du vicaire Ader,
de Bartrès, qui subodora si bien la prédestination chez la bergère Bernadette.
D'autre part, à La Salette, nous tenons enfin un « message » positif, et quel ! On le verra plus
loin.
Enfin, on relève dans cette apparition un effort de renouvellement dans la présentation qui lui
donne son cachet tout particulier. Il y a en effet chez la Vierge une nette rupture avec une tradition
vestimentaire établie dès longtemps et d'ailleurs consacrée par l'imagerie saint sulpicienne : robe
blanche, écharpe bleue, couronne d'or.

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Innovations
La Dame qui apparut aux deux petits bergers, Mélanie Calvet et Maximin Giraud, ne
conservait du costume traditionnel que la robe blanche. Pour le surplus, elle faisait montre, cette fois,
d'une piquante fantaisie: tablier et bas jaunes, fichu entouré de roses, et surtout certain bonnet à
brides nouées sous le menton, surmonté d'une espèce d'amas de roses, de forme mal définie, qui
tenait du casque et de la couronne.
Sous cette étrange accoutrement, les yeux de la foi eux-mêmes n'auraient pas reconnu la
Madone, si par bonheur - et contrairement à ce qu'elle devait faire à Massabielle - elle ne s'était
presque aussitôt nommée. Sage conduite, à notre avis, d'ailleurs conforme au savoir-vivre, et qui ne
laisse pas matière à discussion comme à Lourdes, où tout repose en somme sur une attribution
arbitraire vraisemblablement erronée.
Quant à la signification symbolique et mystique de ce costume original, nous ne doutons pas
qu'elle ne soit profonde, mais il faut avouer notre impuissance à en donner la clé. Au reste, c'est un
aveu qu'on peut faire sans honte, les plus savants théologiens ayant usé leurs veilles à creuser le
problème sans en trouver la solution, à notre connaissance. Tout espoir n'est pas perdu néanmoins,
étant donné le magnifique essor de la « mariologie ».

Celle qui pleure...


Costume original, disions-nous, mais en somme pimpant. Pourtant, elle ne levait pas « les yeux
au ciel en souriant doucement », comme dans l'Encyclique de Pie XII, la pauvre vierge si
anti-conformiste en ses atours. Voici le portrait lamentable qu'en trace La Croix, sûre caution en ces
matières:
« L'inconnue était assise sur une Pierre, la tête dans les mains, les avant-bras appuyés sur ses
genoux, comme si elle avait peine à porter le poids d'une douleur accablante. Elle pleurait. Les deux
voyants la prirent d'abord pour « une maman que ses enfants auraient battue et qui se serait ensauvée
dans la montagne ».
C'est en de telles circonstances que l'on mesure la surnaturelle pénétration d'esprit départie aux
« voyants ». Poursuivons en effet:
« Ils ne se trompaient guère... « Depuis le temps que je souffre pour vous ! » disait à ses petits
confidents la Corédemptrice 1 ».
On imagine l'émotion de ces pauvres enfants en apprenant qu'ils étaient la cause, bien
involontaire, de ce gros chagrin - surtout quand ils surent que la personne qu'ils avaient ainsi affligée
n'était rien de moins que la Reine des Cieux!

Gare aux pommes de terre!


On s'expliqua pourtant. La Dame n'entendait pas s'en prendre à ces deux innocents. C'était
l'impiété qui régnait, paraît-il, dans ce coin perdu des Alpes, qui lui faisait verser des larmes si
amères.

1 La Croix, 21 septembre 1949.

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Les paysans manquaient la messe et, à l'occasion, ne craignaient pas de jurer par le saint nom de
Dieu; on méprisait la religion, les filles aimaient trop le bal, etc. Bref, la patience de son fils
Jésus-Christ était à bout, et la pauvre Madone s'épuisait à retenir son bras prêt à frapper. Les récoltes
allaient incessamment faire les frais d'un exemplaire châtiment : les raisins pourriraient sur pied, les
noix seraient véreuses. On ne sait trop pourquoi, les pommes de terre semblaient particulièrement
visées par le courroux céleste, à en juger par l'évident souci de la visiteuse quant au sort de ces
tubercules.
De telles préoccupations s'expliquent d'autant mieux que, cette fois, ce n'était pas sous les traits
d'une toute jeune fille, comme à Lourdes, que se présentait la Madone, mais bien sous ceux d'une
bonne ménagère un peu mûre, puisque les deux petits bergers l'avaient prise d'abord pour une «
maman » fuyant les mauvais traitements de ses enfants - ce qui laisse supposer que ceux-ci n'auraient
pas été en bas âge. (Ineffable mystère des métamorphoses célestes !)

Révélations différées
Mais l'ire divine, encore que spécialement dirigée contre les cultivateurs de la région, ne
laissait - pas de s'étendre à toute la terre... et même aux prêtres de la Sainte Église catholique. C'est
ce qu'apprirent, avec quelque stupéfaction sans doute, les deux gamins auxquels la Dame dicta ses
révélations, le fameux , Secret de la Salette », avec recommandation expresse de ne pas le divulger
avant douze ans, soit en 1858. Ne nous demandons pas la raison de ce long retard, alors que la
nécessité de mettre en garde les humains contre un sort aussi menaçant apparaissait urgente - ni
pourquoi les deux petits enfants devaient être les seuls dépositaires de ces redoutables - et, dès lors,
bien inutiles - révélations. Ne nous hasardons pas à sonder d'aussi profonds mystères. Nous n'y
verrions pas plus clair pour autant, et puis - comme on le sait - « qui raisonne perd la foi »
Bien entendu, les enfants contèrent la rencontre, sans toutefois dévoiler le terrible « secret ».
Mais ce que la Vierge, puisque c'était Elle, avait dit en dehors de ce suprême arcane était bien
suffisant pour semer la panique, et pas seulement chez les Isérois propriétaires de noyers ou de
champs de pommes de terre. On ne saurait évaluer, même de loin, la quantité d'encre théologique
que cette affaire fit couler en France et dans le monde, d'autant plus qu'elle devait avoir d'étranges
rebondissements... La seule énumération des ouvrages exégétiques et apologétiques qu'elle suscita
demanderait plusieurs volumes. Et le flot n'est pas encore tari.

Illusion d'optique
On voudra bien nous excuser, en conséquence, si nous nous bornons à citer quelques lignes
empruntées au Père jésuite Gabel, ex-rédacteur en chef de La Croix, écrivain j, d'autant plus
orthodoxe que cet organe est, comme on le sait, le porte-parole en France du Vatican 2. Visiblement,
la tenue quelque peu insolite de la Vierge de la Salette ne laisse pas de le gêner :
« La Sainte Vierge aurait-elle donc au ciel ce costume de paysanne des Alpes, avec son fichu,
son tablier, son bonnet qui se transforme en diadème, sa croix balancée d'un marteau et de tenailles?
Personne ne se la représente habillée de la sorte au Paradis. »
Jusqu'à présent non, en effet; mais sait-on ce que nous réservent les progrès de la
« mariologie »? Cependant, sans plus attendre, le R. P., fidèle à l'esprit de son Ordre, s'avise d'une
subtile explication, d'autant plus satisfaisante qu'elle peut s'appliquer à tous les détails saugrenus des
apparitions passées et à venir. Il poursuit donc avec désinvolture :

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« La réponse est aisée (!) la diversité relevée dans le visage du Christ ou de la Vierge est
explicable par l'impuissance où se trouvent les voyants d'exprimer ce qu'ils ont vu et peut-être aussi
par la mesure plus ou moins abondante selon laquelle se sont révélés dans leur gloire le Christ et
la Vierge. »
Ouais ! tout cela est bel et bon, mais dans le cas qui nous occupe, il paraît peu probable que
les « voyants » aient confondu avec un bonnet de grand'mère la fulgens corona, chère à S. S. Pie
XII 3. Fallait-il qu'ils fussent éblouis!
Mais le R. P. sait bien où il veut en venir : « je ne suis pas obligé de conclure, me semble-t-il,
que la Sainte Vierge avait revêtu un habit qu'effectivement elle ne porte pas au ciel... »
Qu'en sait-il? Ignorance qu'il reconnaît, car il ajoute :
« Savons-nous d'ailleurs si les corps glorifiés auront un vêtement semblable à ceux des
hommes? »
Ce n'est certes pas nous qui le renseignerons sur ce point. Cependant, il n'est pas sans
apercevoir le danger de sa trop subtile hypothèse :
« Certains diront : puisque le vêtement était d'emprunt, le corps l'était aussi. » (On verra que
ces certains-là n'auraient pas été si mal avisés !)
Bref, notre ergoteur s'en tire tant bien que mal en supposant qu'il fallait « que Notre-Dame
s'adaptât, maternelle, à notre humaine condition, » Nous voulons bien, mais alors pourquoi n'a-t-elle
pas montré à Massabielle le même souci folklorique en adoptant le costume gascon ?

Les joies du Paradis


« La seconde objection est beaucoup plus grave x, estime le savant exégète. « Les enfants ont
vu la Sainte Vierge avoir beaucoup de chagrin ; elle a pleuré ; elle a versé d'abondantes larmes. Or
une saine théologie nous apprend que les saints au Paradis connaissent une félicité parfaite... »
Certes - et même, par les voix les plus autorisées, cette « saine théologie » nous enseigne que
les bienheureux ajoutent un agréable piment à leur béatitude en contemplant les tourments des
damnés. Il n'est pour s'en convaincre que de consulter le Maître des Sentences, saint François de
Sales, Pierre Lombard, saint Thomas d'Aquin, le Docteur angélique, et bien d'autres 4.
On comprend, dans ces conditions, que le Père Gabel s'étonne de tant de sensibilité chez la
Corédemptrice pour le malheureux sort des pommes de terre iséroises, voire de ceux qui les
cultivent. Mais passons...
Quand au « secret », ne soyons pas surpris que notre révérend n'en souffle mot, car ce sujet est
frappé d'un « tabou », ainsi qu'on le verra bientôt.

2 La C roix, 14 août 1946.


3 La couronne flamboyante.
4 « Pour que les saints jouissent davantage de leur béatitude, et afin 5ue leurs actions de grâces à Dieu soient plus
abondantes, il leur est donné de contempler dans toute son horreur le supplice des impies : datur eis ut poena impiorum
perfecti videant. Les saints se réjo uiront des tourments des impies : sancti de poenis impiorum gaudebunt. » (St Thomas
d'Aquin : Somme théologique, in Suppl. q . XC IV, 1 , 3.)

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Un nouvel avatar
L'évêque de Grenoble, Mgr Bruilhard, chargea son rand vicaire, l'abbé Rousselot, d'instruire
canoniquement 'affaire. Les « experts ès-miracles et apparitions » du diocèse, ayant fait oraison,
entreprirent donc leurs mystérieux travaux avec l'imperturbable gravité requise en pareille matière
- et en toutes autres, d'ailleurs, où s'engage la majesté de l'Église romaine. (« Malheur à vous qui
riez », fulminait Bossuet.)
Le résultat ne faisait pas de doute, comme on pense. Les foules accouraient vers ces lieux où
s'était passé quelque chose, poussées par cet « appétit déréglé du merveilleux »que Mgr Ottaviani
a si vigoureusement dénoncé... en principe. On n'allait pas les décevoir, d'autant que ce diocèse
montagnard n'était pas alors des plus riches. Et la très Sainte Vierge connut ainsi une nouvelle
incarnation, un nouvel avatar à la manière brahmanique, sous l'aspect de Notre-Dame du Bonnet -
laquelle serait sans doute devenue la vénérée patronne des fabricants de « couëffes »en tout genre,
si cette industrie n'était malheureusement tombée en décadence.
Que les âmes sensibles ne s'attristent pas, cependant, sur le sort terrestre de « Celle qui pleure
». Elle n'est pas abandonnée, tant s'en faut. La Croix nous en apporte l'assurance :
« Comme la source qui n'a pas cessé de couler là où les pieds de l'Apparition touchèrent le sol,
le flot des pèlerins continue de s'y répandre sans interruption... 5 Des retraites sacerdotales
commencent à s'y donner. Plusieurs diocèses ont pris l'habitude d'y conduire d'abondantes
caravanes pour deux ou trois jours de pèlerinage, comme on le fait à Lourdes... Mais si les
guérisons physiques y sont rares, les miracles spirituels s'accomplissent à profusion... 6 »
Qu'elle est jolie, cette dernière phrase! Et comme on voudrait l'avoir trouvée soi-même ! Nous
nous garderons bien d'en gâter la fraîcheur par aucun commentaire. Signalons-la seulement à
l'attention de l'abbé Laurentin, auteur du Sens de Lourdes, qui connaît si bien la question.
Ajoutons encore que la Sacrée Pénitencerie a daigné accorder des Indulgences particulières
à tous ceux qui participeraient au Centenaire de La Salette, en 1946. C'est un peu tard pour signaler
la chose aux amateurs éventuels, mais l'occasion se représentera. Il n'est que de prendre patience.
Toutefois, nonobstant le sanctuaire élevé dans ce lieu montagneux, le concert de louanges des
Encycliques, les pèlerinages, les retraites sacerdotales, les Indulgences, etc., le croyant avide de «
bonne doctrine » et de « sécurité » ne doit pas oublier que là comme à Lourdes, l'Église ne garantit
pas la réalité de l'Apparition. Mais on accepte les offrandes. A bon entendeur salut !

5 Cette phrase n'est pas claire comme eau de source, ca r elle laisse supposer que la fontaine n'existait pas
auparava nt. Or, il nous semble bien avoir lu le contraire, et que les vaches y allaient boire. Erreur toute humaine sans
dou te...
6 La Croix, 21 septembre 1949.

Spirituel et spiritueux
Qu'advint-il des deux petits miraculés? Eh bien, suivant la coutume constante pour les
bénéficiaires de ces grâces, ils entrèrent en religion. Mais l'un et l'autre devaient y faire preuve d'une
remarquable instabilité. Ce n'est pas en vain que, dans son jeune âge, on a rencontré sur son chemin
une Apparition aussi peu conformiste que la Dame de La Salette. Mélanie fut expédiée dans un
couvent d'Angleterre. Elle le quitta pour aller à Marseille, puis entra dans une autre congrégation en

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Italie. Le fameux « secret » dont elle était dépositaire ne cessait de la travailler, de l'agiter comme
la Sibylle sur son trépied. Enfin, le temps venu, elle le publia - et vraiment, à le lire, on comprend
qu'elle s'en soit débarrassée avec soulagement.
Quant à Maximin, envoyé au séminaire de Dax, il ne put y rester, faute de vocation et
d'aptitude aux études, tenta fortune à Paris, puis en Italie où il servit un temps dans les zouaves
pontificaux, enfin revint dans son pays où il entreprit de fabriquer une « liqueur de La Salette »,
occupation plus conforme à son génie naturellement porté vers les boissons fortes. Mais l'affaire ne
rendit pas, le fabricant -- par excès de conscience professionnelle peut-être absorbant à lui seul la
quasi-totalité de la production.
Comme Mélanie (en religion soeur Marie de la Croix) il a été canonisé et son coeur embaumé
repose au sanctuaire de la Salette - ce qui prouve (que l'ivrognerie n'est pas incompatible avec la
sainteté, quoi qu'en ait pu dire Alphonse Daudet dans son délicieux conte L'Elixir du R. P. Gaucher.

« Des cloaques d'impureté »


Mais qu'était donc ce terrible « secret » ? D'abord, matériellement, un document équivalant à
plus de deux cent cinquante lignes en petits caractères - et le vrai miracle, en cette affaire, serait
qu'une fillette illettrée eût pu le retenir mot pour mot de mémoire, après l'avoir entendu seulement
une fois. Ce texte a été publié d'abord en Italie, puis traduit en plusieurs langues, et abondamment
répandu. Les éditeurs pontificaux Desclée, Lefèvre et Cie l'ont d'ailleurs imprimé à Rome en 1906.
Nous ne pouvons le reproduire in extenso ici, mais quelques extraits suffiront à en donner le
ton. Le début est des plus prometteurs :
« Mélanie, ce que je vais vous dire maintenant ne sera pas toujours secret ; vous pourrez le
publier en 1858.
« Les prêtres, ministres de mon Fils, les prêtres par leur mauvaise vie, par leurs irrévérences
et leur impiété à célébrer les saints mystères, par l'amour de l'argent, l'amour de l'honneur et des
plaisirs, les prêtres sont devenus des cloaques d'impureté, Oui, les prêtres demandent vengeance, et
la vengeance est suspendue sur leurs têtes. Malheur aux prêtres et aux personnes consacrées à Dieu,
lesquelles par leurs infidélités et leur mauvaise vie crucifient de nouveau mon Fils ! Les péchés des
personnes consacrées à Dieu crient vers le Ciel et appellent la vengeance, et voilà que la vengeance
est à leurs portes, car il ne se trouve plus personne pour implorer miséricorde et pardon pour le
peuple ; il n'y a plus d'âmes généreuses, il n'y a plus personne digne d'offrir la Victime sans tache à
l'Eternel, en faveur du monde. »

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Attention aux « faiseurs de miracles » !
C'est à croire que, pour composer cet exorde, la Sainte Vierge avait obtenu la collaboration de
saint Jean Bouche d'Or, ou pour le moins d'un farouche anticlérical. Mais plus loin c'est plutôt à
l'auteur de l'Apocalypse que l'on pense.
« Dieu va frapper d'une manière sans exemple. Malheur aux habitants de la terre! Dieu va
épuiser sa colère, et personne ne pourra se soustraire à tant de maux réunis.
« Les chefs, les conducteurs du peuple de Dieu ont négligé la prière et la pénitence, et le démon
a obscurci leurs intelligences ; ils sont devenus ces étoiles errantes que le vieux diable trainera avec
sa queue pour les faire périr...
« La Société est à la veille de fléaux les plus terribles et des plus grands événements ; on doit
s'attendre à être gouverné par une verge de fer et à boire le calice de la colère de Dieu. »
Mais voici des conseils directs au chef suprême de l'Église :
« Que le Vicaire de mon Fils, le Souverain Pontife Pie IX, ne sorte plus de Rome après
l'année 1859... Que le pape se tienne en garde contre les faiseurs de miracles, car le temps est venu
que les prodiges les plus étonnants auront lieu sur la terre et dans les airs. »
Il ne semble pas - témoins Lourdes et Fatima - que les papes aient fait grand cas de cet
avertissement « marial ».

« Malheur aux princes de l’Église ! »


Viennent ensuite des précisions :
« En l'année 1864, Lucifer, avec un grand nombre de démons, seront détachés de l'Enfer ; ils
aboliront la foi peu à peu et même dans les personnes consacrées à Dieu... ces personnes prendront
l'esprit des mauvais anges ; plusieurs maisons religieuses perdront entièrement la foi et perdront
beaucoup d'âmes... Malheur aux princes de l’Église qui ne seront occupés qu'à entasser richesses
sur richesses, qu'à sauvegarder leur autorité et à dominer avec l'orgueil! »
Eh, eh ! pensera-t-on peut-être, cela n'est pas si mal pensé. Mais la Vierge qui pleure - comme
il est naturel en -pareil cas - se montre tout de même un peu trop pessimiste :
« Dans l'année 1865, on verra l'abomination dans les lieux saints ; dans les couvents les fleurs
de l'Église seront putréfiées... »

Catastrophes et séismes
Ce ne sera pas l'Église seule qui aura ainsi à souffrir. Les laïcs en prendront largement leur
part. Il y aura des guerres (prévision trop facile, hélas! en tous temps et en tous pays). « Les
montagnes et la nature entière trembleront d'épouvante... Paris sera brûlé et Marseille englouti;
plusieurs grandes villes seront ébranlées et englouties par des tremblements de terre : on croira que
tout est perdu... »
Ces fâcheux événements devront se passer dans les 35 années qui suivront la prédiction. Il y
aura cependant une trêve. Jésus-Christ ayant commandé à ses anges de mettre à mort ses ennemis,
les « persécuteurs » de son Église et tout hommes adonnés au péché périront et la terre deviendra

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comme un désert ». La question parait donc réglée. Pas encore: « Alors se fera la paix, la
réconciliation de Dieu avec les hommes (les rares survivants, sans doute) ; Jésus-Christ sera servi
et glorifié ; la charité fleurira partout. Les nouveaux rois seront le bras droit de la Sainte Église qui
sera forte, humble, pauvre zélée et imitatrice des vertus de Jésus-Christ... »

Un fils d'évêque : l'Antéchrist


Hélas ! « Cette paix parmi les hommes ne sera pas longue ; vingt-cinq ans d'abondantes
récoltes (nous y revoilà) leur feront oublier que les péchés des hommes sont cause de toutes les
peines qui arrivent sur cette terre. »
L'histoire recommence donc. Mais cette fois c'est encore plus sérieux. Voici venir
l'avant-coureur de l'Antéchrist. « La terre sera frappée de toutes sortes de plaies... La nature demande
vengeance pour les hommes et elle frémit d'épouvante dans l'attente de ce qui doit arriver à la terre
souillée de crimes. » Puis c'est l'Antéchrist lui-même qui « naîtra d'une religieuse hébraïque, d'une
fausse Vierge qui aura communication avec le vieux serpent, maître de l'impureté; son père sera
évêque; en naissant il vomira des blasphèmes, il aura des dents; en un mot ce sera le diable
incarné... »
Ce personnage peu recommandable sera d'ailleurs accompagné de 12 frères qui ne vaudront
guère mieux que lui ; « ils seront chacun à la tête des armées, assistées par les légions de l'Enfer. »
On imagine les cataclysmes qui résulteront de tout cela
« Les saisons seront changées, la terre ne produira que de mauvais fruits, les astres perdront
leurs mouvements réguliers, la lune ne reflétera plus qu'une faible lumière rougeâtre ; l'eau et le feu
donneront au globe de la terre des mouvements convulsifs et d'horribles tremblements de terre, qui
feront engloutir, des montagnes, des villes, etc.
« Rome perdra la foi et deviendra le siège de l'Antéchrist. »
(Dans toute l'affaire, c'est encore cette dernière affirmation qui paraît la plus vraisemblable.)

La fin des fins


Suit un pathétique appel aux « vrais disciples du Dieu vivant et régnant dans les cieux », aux
« vrais dévots », aux « Apôtres des derniers temps... qui ont vécu... dans le silence, dans l'oraison et
dans la mortification, dans la chasteté... etc. Combattez, enfants de lumière, vous, le petit nombre
qui y voyez, car voici le temps des temps, la fin des fins. »
De fait, cette fin des fins, qui est aussi celle de la prophétie, est rien moins que réjouissante.
Ce ne sont plus que pestes et famines, maladies contagieuses, grêle d'animaux (?), tonnerres,
tremblements de terre, pays engloutis, etc. « Rome païenne disparaitra » ; le feu du ciel tombera (une
fois de plus)...
« Voici le temps; l'abîme s'ouvre. Voici le roi des ténèbres. Voici la Bête avec ses sujets, se
disant le sauveur du monde. Il s’élèvera avec orgueil dans les airs pour aller jusqu'au ciel... »
Rassurons-nous cependant « Il sera étouffé par le souffle de saint Michel Archange. Il tombera
et la terre, qui depuis trois jours sera en de continuelles évolutions, ouvrira son sein plein de feu ;
il sera plongé avec tous les siens dans les gouffres éternels de l'enfer. Alors l'eau et le feu purifieront

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la terre et consumeront les oeuvres de l'orgueil des hommes, et tout sera renouvelé : Dieu sera servi
et glorifié. »
Ainsi soit-il ! Tout est bien qui finit bien, mais nous avons eu chaud.

Bavardage céleste
Tel est le fameux « secret » de La Salette qui défraya longtemps les conversations du monde
catholique et suscita d'infinis commentaires parmi la gent théologique. Cette fois, en effet, le
« message » ne laissait rien à désirer: il était aussi explicite que copieux. Trop peut-être, car ne faut-il
pas attribuer à cette débauche verbale, dont nous n'avons donné qu'une petite idée, la raison du
laconisme de la Vierge lors de son apparition à Lourdes, douze ans plus tard ? (Si toutefois c'était
bien Elle.) Les noyers de l'Isère, entre temps, avaient « fructifié » ni plus ni moins qu'auparavant, la
vigne était prospère, et les pommes de terre croissaient et multipliaient à plaisir. Chose assez
vexante, il faut l'avouer, pour l'auteur de la prophétie. C'est que, pour être la Vierge, on n'en est pas
moins femme : on parle, on parle, on se laisse entraîner... Mais, instruite par l'expérience, la fois
suivante, Elle montra plus de prudence. Au point que ce qu'elle dit à Bernadette - et qui était bien
peu compromettant - tiendrait aisément dans une demi-page, avec beaucoup de blancs, quoiqu'Elle
lui soit apparue dix-huit fois.
C'est ainsi que la Corédemptrice, mère de toutes les vertus, ne néglige pas d'avancer encore
dans les voies de la perfection, mène au séjour de la béatitude. Ineffable exemple qui pourrait faire,
nous semble-t-il, l'objet d'un débat passionnant au prochain Congrès de « mariologie », en quelque
saison fraîche à venir - si toutefois la question entre bien dans les « normes » définies par Sa Sainteté.

La Reine des Cieux à l'Index


Quoi qu'il en soit, après avoir longtemps recommandé la lecture et la méditation de cet
horrifique « secret », le Saint-Siège a bien dû s'apercevoir qu'il pourrait y avoir là quelque
intempérance de langue, puisqu'il finit par le mettre à l'Index. Les trente-cinq années qui devaient
voir s'exécuter la première partie du plan de destruction céleste étaient depuis longtemps passées.
Paris s'obstinait à ne pas brûler, Marseille à ne pas s'engloutir, et Lucifer, en 1864, n'avait point paru
à Rome avec ses légions infernales - tout au moins de manière ostensible. Aussi, le 21 décembre
1915, le Saint-Office, sans condamner expressément le « secret », rendait le décret ci-dessous:
« La Sacrée Congrégation ordonne à tous les fidèles, à quelque pays qu'ils appartiennent, de
s'abstenir de traiter et de discuter le sujet dont il s'agit, sous quelque forme que ce soit, telle que
livres, brochures ou articles signés ou anonymes, ou de toute autre manière. Que tous ceux qui
viendraient à transgresser cet ordre du Saint-Office soient privés, s'ils sont prêtres, de toute dignité
qu'ils pourraient avoir, et frappés de suspense par l'Ordinaire du lieu, soit pour entendre les
confessions, soit pour célébrer la messe ; et s'ils sont laïcs, qu'ils ne soient pas admis aux sacrements
avant d'être venus à résipiscence... »
Ainsi la Sainte Vierge était bel et bien censurée par le Vicaire de son Fils. Diable! Voilà qui
est grave, et quasi sacrilège. Est-ce parce qu'on a eu la langue un peu longue peut-être qu'il faut se
voir ainsi traitée ? Et cette petite faiblesse devait-elle être claironnée urbi et orbi ?

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On comprend mieux dans ces conditions (car au Ciel tout se sait à l'avance) que la Médiatrice
se soit laissée aller à houspiller vivement le clergé, jusqu'à traiter de vénérables ecclésiastiques de
« cloaques d'impureté ». Mais ne faut-il pas voir là aussi, dans cette irrévérence pontificale, le
commencement du « temps des temps », de la « fin des fins », solennellement annoncés ?
On tremble pour la suite...

« Qui sont ces femmes ? »


Le 26 juillet 1958, l'hebdomadaire protestant Réforme publiait sous la signature de Mme
Antoinette Butte, en manière de fraternelle contribution au Centenaire de Lourdes, un article intitulé:
Qui sont ces femmes ?
L'auteur y écrivait notamment : « Un malaise vous saisit dans le « sanctuaire-caverne » de
Lourdes... Que sont ces apparitions féminines en terre chrétienne depuis 150 ans? La piété des
voyants les appelle « La Vierge ». Vierge de la rue du Bac, de La Salette, de Lourdes, de Fatima, et
puis de Beauraing et Banneux en Belgique, etc. Or, qu'ont-elles de commun, ces femmes, avec la
Vierge Marie ? »
Mme Butte ne cachait pas à ses « frères catholiques », avec force citations bibliques à l'appui,
qu'elle soupçonnait là quelque tour du Prince des ténèbres « dans les cavernes des montagnes », et
elle répétait pour finir :
« Oui, qui sont ces femmes ? »
Dès le lendemain, d'ailleurs, sa curiosité lui valait d'être régalée, par les soins du R. P. Wenger,
rédacteur en chef de La Croix, d'une dégoulinade jésuito-mariale qui la dégoûtera pour longtemps,
pensons-nous, de poser des questions incongrues 7.

Une Apparition bien concrète


Quant à nous, notre religion est loin d'être assez éclairée pour nous permettre de satisfaire
pleinement la questionneuse. En ce qui touche à Lourdes, la « femme » qui apparut à la bergère
Bernadette nous semble avoir été constituée d'une substance infiniment ténue, celle dont se tissent
les songes au dire de Shakespeare. Mais pour La Salette, en revanche, il n'y a pas à hésiter : la
« femme » était là parfaitement solide, résistante au toucher, et au surplus - comme on le voit par son
« message » - douée d'une redoutable vitalité. Cela, d'ailleurs, la journaliste de Réforme le sait
certainement aussi bien et mieux que nous-même.
Il n'y a pas à en douter, la Vierge de La Salette ne saurait être regardée comme une ombre
vaine, un phantasme. La preuve, c'est qu'elle portait « dans le siècle » le nom de Mademoiselle de
La Merlière - qui doit l'avoir prédisposée à piper les zozos - après avoir porté en religion celui de
soeur Stéphanie de Jésus. On va voir comment cela se sut.

7 Cf. La Croix, 27 juillet 1958.

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L'aveu de Maximin
L'Apparition avait, nous l'avons dit, fait un bruit énorme dans le pays, puis dans toute la France
et dans le monde entier. Les deux petits « favorisés » furent copieusement interrogés. Si leurs
réponses satisfirent pleinement, il faut le croire, les « experts canoniques » et le grand vicaire
Rousselot en premier lieu, par contre il n'en alla pas de même avec d'autres personnes, moins
intéressées dans l'affaire. Le maire d'une localité voisine, Corps, reçut de Maximin l'aveu qu'il
n'avait rien vu ni entendu de la merveilleuse rencontre et avait seulement répété ce que lui avait dit
sa petite camarade Mélanie. Aveu qu'il fit encore à l'abbé Raymond, vicaire du curé d'Ars (dans
l'Ain), le fameux J. B. Vianney, canonisé en 1925 et devenu le patron de tous les curés de France.
Ce n'était pas que ce saint homme fût absolument ennemi des manifestations surnaturelles. Ses
longs démêlés avec le diable, qui furent célèbres en leur temps, le prouvent surabondamment. Mais
il était, si l'on peut dire, étroitement spécialisé dans le Démoniaque - d ordre tout domestique et
familier, d'ailleurs - et n'accordait, de ce fait, aucune créance aux apparitions virginales. Ce porteur
d'auréole eût fait, de son vivant, un piètre « mariologue ».
Subodorant la supercherie dans l'affaire de La Salette, il fit donc interroger Maximin par son
vicaire, qui en obtint l'aveu susdit. Puis le saint curé conta l'histoire à l'un de ses amis, l'abbé Déléon.
Celui-ci étudia l'affaire, et bientôt il découvrit le pot aux roses.
Une certaine demoiselle de La Merlière, ancienne religieuse, avait fort bien connu à la Maison
de Saint Pierre, à Grenoble, l'abbé Rousselot qui en était le directeur spirituel, avant de devenir le
vicaire général de l'évêché, et enfin l'enquêteur canonique dans l'affaire de l'Apparition. Curieuse et
providentielle coïncidence!

La prêcheuse inspirée
L'ancienne religieuse s'était établie à Saint-Marcellin, centre fromager réputé; mais
apparemment les produits de l'industrie locale ne devaient pas retenir beaucoup son attention, car
elle était toute à Dieu et aux intérêts de la religion. Cela à sa manière qui ne laissait pas d'être
capricieuse et fantasque. Elle pérorait volontiers dans les auberges et les cabarets, sur des sujets il
va sans dire, et prêchait même aux carrefours, vitupérant les incrédules et les mauvais prêtres, et les
menaçant des foudres du Très-Haut. Après l'Apparition, on la vit exhiber fièrement la robe blanche
de la Vierge qui pleure, en tenant des propos qui laissaient peu de doute sur le rôle qu'elle avait joué
dans l'affaire.

La Sainte Vierge en diligence


L'abbé Déléon apprit tout cela. Il sut comment cette excentrique personne avait pris la
diligence allant de Valence à Grenoble, avec, sous son bras, un énorme carton contenant le singulier
accoutrement, d'apparence si peu céleste, qui devait donner tant de tablature aux théologiens, tels que
le R. P. Gabel précité.
Quand il eut reconstitué tous les détails de cette grotesque équipée, l'abbé fit paraître - d’abord
sous le pseudonyme de Donnadieu - un petit livre, La Salette-Follavaux ou la Vallée du mensonge,
qui dénonçait la supercherie et remporta le succès de curiosité amusée que l'on pense.
Alors s'engagea entre l'auteur et le grand vicaire Rousselot qui tenait ferme à son miracle - et

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pour cause -un duel homérique, renouvelé du Lutrin, dont aucun Boileau, malheureusement, n'a
chanté les péripéties. Une partie du clergé isérois tenait pour le dégonfleur de baudruche, et le vicaire
général dut mettre en oeuvre tous les moyens de pression que lui fournissait l'évêché pour venir à
bout de cette dissidence.

Le pape se tait, mais la justice parle


L'abbé Déléon avait finalement reconnu la paternité de son ouvrage, qu'il avait fait suivre d'un
deuxième, La Salette devant le pape. Un certain curé Cartellier avait lui aussi publié un Mémoire
au pape sur La Salette. Dans le public, on s'amusait de plus en plus. En 1855, la « Vierge qui pleure
», alias Mademoiselle de La Merlière, intentait un procès en diffamation aux deux auteurs devant
le tribunal civil de Grenoble.
Les privilégiés qui purent trouver place dans la salle d'audience ne s'ennuyèrent pas un instant
au cours des débats, tandis que les témoins, se succédant à la barre, confirmaient les propos, non
moins hilarants que compromettants, qu'avait tenus l'ancienne religieuse. Mais le plus gros succès
revint au voiturier qui avait eu l'honneur de transporter la Corédemptrice, chère à La Croix, et son
volumineux baluchon.
Imprudente Vierge au bonnet, qui avait cru pouvoir compter sur l'humaine justice ! Elle fut
ignominieusement déboutée, le 2 mai 1855, et les attendus du jugement ne laissent aucun doute sur
la conviction intime des magistrats, bien qu'ils n'eussent pas à se prononcer sur le fait même de la
supercherie. On y relève :
« Attendu qu'il faut d'abord reconnaître que ces ouvrages sont l'examen critique d'un fait
demeuré jusqu'alors obscur (ce jusqu'alors, comme dans Molière, en dit beaucoup plus qu'il n'est
gros) ; que le but unique que se sont proposé les auteurs a été de prouver dans l'intérêt de la vérité,
qui est aussi celui de la religion, que ce fait n'avait rien de surnaturel (de mieux en mieux!) ; qu'ils
ont voulu combattre ce qu'ils regardaient comme une erreur (!)... etc.
« Attendu qu'il ne saurait y avoir faute de la part des auteurs pour avoir écrit ce qui se trouve
dans leurs livres touchant la demoiselle de La Merlière, alors que celle-ci l'a rendu vraisemblable
par ses actes, ses propos suffisamment constatés jusqu'à présent... etc. »
Bref, la demoiselle dut se contenter de s'entendre affirmer « que les allégations renfermées
dans les écrits » n'avaient pu « porter en aucune façon atteinte à son honneur. à sa considération »
et qu'elle était « restée après les publications ce qu'elle était avant, une personne renommée par sa
grande dévotion, par son zèle ardent pour les intérêts religieux, pour la propagation de la foi... » Ces
magistrats grenoblois devaient être des pince-sans-rire. Mais la pilule, tout enrobée de sucre qu'elle
fùt, dut paraître amère à la «personne renommée », dont la demande se voyait finalement rejetée
comme « dénuée de tout fondement ».

« Ces charlatans, ces bateleurs... »


Cependant, le tandem La Merlière-Rousselot ne se tint pas encore pour battu. Il fallait tout
tenter pour tâcher d'obtenir la reconnaissance d'un préjudice causé à la réputation de la
demanderesse, ce qui, habilement présenté, eût passé aux yeux des naïfs pour infirmer les
accusations de l'abbé Déléon, et paru établir officiellement la réalité de l'Apparition, avec toute
l'autorité de la chose jugée.

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La demoiselle de La Merlière interjeta donc appel, et l'affaire revint devant la Cour. Un maître
du barreau, jules Favre, prêtait le concours de son talent à la défense de la « diffamée ». Ce fut en
vain, pourtant, qu'il déploya toutes les ressources de son éloquence ; en vain qu'il s'écria, dans un
grand envol de ses manches :
« Quoi, messieurs ! Elle est désignée à tous par le jugement dont vous venez d'entendre la
lecture, comme l'héroïne (!) de La Salette ! Il est décidé par le tribunal de première instance, et il le
serait par vous, si vous confirmiez sa décision, que MM. Déléon et Cartellier ont eu le droit de la
représenter comme ayant joué un rôle infâme ! Son nom serait écrit dans l'histoire à côté de celui
de ces charlatants, de ces bateleurs qui surprennent la crédulité publique, et elle n'aurait rien à
souffrir de semblables attaques ! »
Et le défenseur d'insister sur « l'opprobre » sous lequel le premier jugement a « enseveli » sa
cliente en laissant entendre clairement « qu'elle a pu paraître devant deux bergers couverte d'un
costume de fantaisie, et jouer une comédie indigne, profanant ce qu'il y a de plus sacré en ce
monde... »
Ainsi, la pauvre demoiselle voyait sa conduite implicitement stigmatisée par son propre avocat.
A celui Messieurs de la Cour auraient pu rétorquer que sa cliente devait s'estimer bien heureuse de
n'avoir pas été inculpée elle-même pour atteinte à l'ordre public, en raison du scandale soulevé par
sa comédie. Ils se contentèrent, par leur arrêt du 6 mai 1857, de confirmer le jugement de première
instance en condamnant l'appelante à l'amende et aux dépens.
Telle fut la réponse de la justice, et l'on ne saurait, certes, suspecter de partialité anticléricale
les magistrats de Napoléon III. La demoiselle de La Merlière se voyait donc définitivement classée
parmi les « charlatans et les bateleurs qui surprennent la crédulité publique », et le grand vicaire
Rousselot convaincu, en conséquence, de lui avoir servi de compère (« baron » en argot de métier),
si ce ne fut d'impresario.

Gloria in excelsis
Mais, nous l'avons rappelé plus haut, l'espérance est vertu théologale aussi bien que la foi. (Ne
parlons pas de l'impudence, victime d'un juste oubli.) Le grand vicaire conserva pieusement la
première vertu et les pèlerins la deuxième. Ainsi Notre-Dame de La Salette put traverser sans trop
de mal sa mésaventure judiciaire, n'y laissant que quelques roses de sa couronne et peut-être une
bride de son bonnet. Là-haut, la demoiselle de La Merlière doit respirer avec un injuste orgueil les
fumées de l'encens qui s'élèvent vers elle - et traiter quasiment d’égale à égale avec la sainte
Médiatrice (sur laquelle elle l'emporte incontestablement pour l'éloquence de la chaire).
Au reste, comme nous le disait La Croix, ce ne sont pas seulement les laïcs qui lui rendent
hommage, puisque des retraites sacerdotales viennent se donner sous son invocation. On imagine
assez bien les thèmes de méditation qui doivent être proposés aux retraitants: « De la sainteté du
mensonge dans les choses de religion » par exemple,. ou encore : « Canonicité de l'abus de
confiance ».
Aucun lieu ne parait plus propice, en effet, à l'établissement d'un centre professionnel de
perfectionnement pour les titulaires de cures « à miracles » - reliques ou eaux salutaires - lesquelles
abondent en France, du nord au sud et de l'est à l'ouest.

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Sincérité des mariolâtres

Quant aux pèlerins dévots à Notre-Dame du Bonnet, lequel d'entre eux sait quelque chose de
l'histoire, et comment le garde-manger de l'Église s'enrichit d'un nouveau fromage par les soins d'une
Vierge, un peu excentrique, qui venait de Saint-Marcellin ?
Ils ne le croiraient pas, d'ailleurs, si on le leur disait, non plus que ceux qui en ont ouï quelques
bribes. Trop de subtils jésuites ont prouvé - et prouvent encore aujourd'hui - par raisons
démonstratives et convaincantes, qu'il n'y eut là qu'un déplorable malentendu, oeuvre du Malin sans
conteste : la bonne Vierge descendait directement du Ciel et non pas de la diligence ; son « secret »
abracadabrant fut mal compris par Mélanie ; quant à la demoiselle de La Merlière, si elle rôdait à ce
moment-là dans la montagne, du côté de La Salette avec un volumineux paquet de vêtements, c'était
en toute innocence et seulement pour aérer sa garde-robe aux saines brises des hauteurs.
Pour l'Église, l'apparition demeure donc « indubitable et certaine » comme la proclamèrent
solennellement deux évêques de Grenoble - n'en déplaise à la justice humaine (si faillible 1), aux
trop curieux abbés Déléon et Cartellier et même au très saint curé d'Ars. Si celui-ci tenait pour
supercherie, de son vivant, le « miracle » de La Salette, n'était-ce pas que le Grappin, son persécuteur
inlassable, se plaisait à aveugler - avec la permission de Dieu - le futur « patron de tous les curés du
monde » ? On ne saurait expliquer autrement une « erreur » aussi évidente.
Voilà pourtant à quelles honteuses bouffonneries, aggravées d'abus de confiance, ces gens-là
ne craignent pas de mêler la Madone pour laquelle ils professent - à les entendre - une si profonde
et filiale vénération! C'est ce dont il convient de se souvenir, comme test de sincérité, quand on voit
s'épancher à longueur de colonnes, dans la presse spécialisée, la source inépuisable et quasiment «
miraculeuse » de leurs louanges melliflues.

LIVRE TROISIÈME

La fabrique d'hérésies :
« Saint Bernard dénonçait la fête de l'Immaculée Conception « comme un rite étranger à
l'Église »... saint Bonaventure et saint Thomas... rejettent l'Immaculée Conception... la pensée
catholique sur la Vierge est inintelligible. Nul ne peut soutenir que la mariologie actuelle soit celle
des premiers temps... »
Jean Guitton, de l'Académie française.

«Aujourd'hui, les pèlerinages ont pour objet des sanctuaires de la Vierge : Lourdes, Fatima.
On pourrait ajouter d'autres lieux par centaines...
» Dans plusieurs universités, des chaires et même des académies ou instituts mariologiques
ont été fondés. Des bibliothèques mariales spécialisées se sont multipliées sur les deux continents...
Jamais on n'a tant écrit sur la Vierge... Ces signes extérieurs de prospérité connaissent en ces
dernières années certains fléchissements... Le mouvement marial actuel trouve sujet de réserves et

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de perplexité. »
Chanoine René Laurentin.
(Imprimatur 1963).

« Il est certain que les plus proches conseillers de Pie XII voyaient dans les Panzerdivisions
de Hitler le bras droit de Dicu, qui accomplirait la prophétie de Fatima... »
Michaël Serafian.

« Fatima est devenu une machine de guerre au service de l'intégrisme catholique... »


Nicolas Boulte.
(Le Nouvel O bservateur, 10 mai 1967).

« Mais il est sûr aussi que ces éléments religieux (culte de la Vierge et des saints, processions
et pèlerinages, bénédictions et exorcismes, médailles et scapulaires, cierges et ex-voto) peuvent
facilement dégénérer en superstitions et ont continuellement besoin d'être purifiés. »
Révérend Pè re Danielou.
(Imprimatur 1965)

«Nous sommes dominés par une mythologie aussi vaine et puérile que celle des Grecs et des
Romains, des Egyptiens et des Babyloniens, qui n'a point l'excuse d'un passé lointain et d'une
ignorance à peu près générale du cours de la nature. Il faut avoir la loyauté de le reconnaître et le
courage de le dire.
«C'est pour éclairer la route et pour la déblayer que j'ai cru devoir opposer aux rêveries de
jeunes visionnaires, apostillées par le Vatican, cette étude objective et critique, qui n'a d'autre but
que de servir la cause de la vérité historique et du progrès humain. »
Professeur Prosper Alfaric.

« La psychologie de l'enfant, surtout au cours de la période pubertaire, de même celle du sexe


féminin (surtout à certaines époques), se prête admirablement à l'éclosion des illusions ; enfin l'état
affectif d'une foule, surtout lorsqu'elle se trouve en proie à un mouvement passionnel d'enthousiasme
et de foi, n'offre que de faibles barrières morales à ces sortes de déformation perceptive... »
Professeur Lhermitte,
de l'Académie nationale de Médecine.

« Aucun observatoire au monde, dans la journée du 13 octobre 1917, n'a enregistré quoi que
ce fût qui ressemblât, de près ou de loin, à une perturbation solaire. Les archives de l'Institut
d'études météorologiques de Lisbonne signalent pour la journée orages matinaux, averses ;
éclaircies de 13 h. à 18 h...
» N'importe qui, fixant le soleil des yeux, doit normalement le voir bouger. Ce sont là
classiques perturbations, non du soleil, mais de la rétine... »
Jean Hellé .

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« Imposer aux fidèles la croyance que, dans une partie de l'univers, la Madone existe en tant
qu'entité corporelle, est un acte osé, un défi à la science...
»Même certains prêtres catholiques... nous ont dit avoir éprouvé quelque doute et quelque
embarras... »
Corrado P allenberg.
(Les Secrets du Vatican, Paris 1961).

«La contemplation passionnée d'un même sujet, auquel tout un groupe est décidé à accorder
une même interprétation, est fort capable d'engendrer une illusion collective, c'est-à-dire de donner
à un objet donné une même signification... »
Professeur Jean Lhermitte.

« A Fatima, il n'y avait rien de météorologique dans la « rotation » solaire. Il s'agit


manifestement d'une hallucination collective. »
Docteur Paul Chauchard.

« Rappel du surnaturel : Dans les événements de Fatima le surnaturel l'emporte sur les
prétentions de la raison humaine... le culte de Fatima a l'approbation de l'Église... cette Foi qui
croit même sans vérifications, n'est-elle pas enivrante?... »
Osservatore Romano, 26 mai 1967.

« Grands metteurs en scène d'apparitions « mariales », les Jésuites comptent parmi eux
d'excellents hypnotiseurs. Ce talent leur est fort utile pour « inspirer » les humbles et ignorantes
petites bergères de Lourdes, Fatima et autres lieux - et pour leur souffler des « messages »,
prétendus célestes, d'une pitoyable indigence parfaitement conforme à leur enseignement. »
XXX.

« Je voulus assister à l'apparition de la Vierge à Fatima. Je me trouvais tout près du chêne


vert et des enfants (Lucie, François, Jacinthe). J'entendis des gens qui criaient, disant voir une
lumière extraordinaire, des pétales qui tombaient du ciel, etc. Moi je ne voyais rien, et pourtant
j'étais à côté des enfants... »
Carlos M endès.

«Le principe, c'est qu'un récit surnaturel ne peut être admis comme tel, qu'il implique toujours
crédulité ou imposture... Le miracle est, d'ordinaire, l'oeuvre du public plus que de celui à qui on
l'attribue. »
Ernest Renan,
de l'Académie Française.

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FATIMA

Sommaire
Un miracle » opportun: l'apparition de la Vierge en 1917 coïncide avec les « prières pour la
paix » (allemande) du germanophile pape Benoit XV. - L'affaire ne cessera pas d'être utilisée à des
fins politiques.
La Dame apparaît, au lieudit La Cova da Iria, à trois petits bergers portugais : Lucia, Jacinte
et Francisco -Lucia, « fausse Bernadette », mène le jeu - Elle seule entend parler la Belle Dame -
Confidences célestes : le chapelet, panacée à tous les maux de cette terre - Grave débat théologique
: s'agit-il du chapelet ou du rosaire ? – Lucia destinée à répandre dans le monde la dévotion au Coeur
Immaculé de Marie.
Révélations tardives : Lucia, devenue religieuse, écrit en 1941 - sur l'ordre de ses supérieurs
- ce que lui aurait dit la Dame en 1917 - Les cinq premières apparitions et le « Grand
Avertissement » marial : si l'on dit assez de chapelets, la Russie se convertira - Manque de
concordance entre les prophéties de La Salette et de Fatima - Qu'est devenu l'Antéchrist ?
La sixième et dernière apparition à La Cova - La Dame révèle son identité : elle est
Notre-Dame du Rosaire - Etrange erreur de la Vierge : elle annonce la fin immédiate de la guerre...
un an trop tôt - La « Vision multiforme » : Lucia voit successivement apparaître la Sainte Famille,
Notre-Dame des Sept Douleurs et Notre-Dame du Mont-Carmel - A quand l'encyclique Multiplicata
Virgo ?
Le Grand Prodige atmosphérique: Lucia s'écrie: « Regardez le soleil ». - La « danse » de l'astre
et la « roue de feu » - Diversité des témoignages - La réponse des astronomes : les appareils n'ont rien
enregistré - Halo ou suggestion collective ? - Polémiques dans la presse -Un catholique raisonnable
donne la clé de l'énigme : ayant regardé fixement le soleil, le lendemain des scènes de la Cova, il a
vu se reproduire la même illusion d'optique -Le « Miracle » n'était qu'un éblouissement.
Exploitation de l'affaire par la Compagnie de Jésus - L'évêque de Leiria, Mgr da Silva, jésuite
en service détaché, exile Lucia dans un couvent, avec défense « de parler de ses visions ». Il achète
La Cova en sous-main « à très bas prix », organise les pèlerinages, recueille les dons des fidèles - En
1930, l'évêque approuve, après « enquête canonique », le nouveau culte qu'il avait lui-même créé -
Publicité tapageuse : « La voix de Fatima » et le « Manuel du Pèlerin » - Les puits que Mgr da Silva
a fait creuser, donnent une eau « miraculeuse » - Un Lourdes portugais : basilique, hôpitaux, maisons
de retraite, couvents, séminaires, etc.
« Le mystère se développe » - Dans les jardins du Vatican, le soleil « danse » pour Pie XII et
lui transmet des « messages muets, mais éloquents » - Les photos truquées de l'Osservatore Romano
- « Le doigt de Dieu sur Pie XII » : jésus lui apparaît et lui parle - La mégalomanie sacrée.
Réalités de la liaison Fatima-Vatican - Le futur Pie XII, Mgr Pacelli, nonce ' Berlin, puis
Secrétaire d'Etat du Vatican, mise sur Hitler et le fait accéder au pouvoir - La Wehrmacht et les
jésuites convertisseurs en Russie - Le « secret » politico-religieux de Fatima (« La Russie se
convertira ») publié en 1942, quand l'armée allemande est tenue en échec devant Moscou -
Notre-Dame ne réussit pas à donner la victoire à Hitler.

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Après la défaite allemande, la statue de Notre-Dame de Fatima fait du tourisme politique... aux
frontières de la Russie - Elle prend ensuite la « Route mondiale » -Voyages en Asie, en Afrique, en
Amérique - Enthousiasme des Basutos et des Papous - Pluie de miracles : le soleil « danse » à
Ceylan, les éléphants, les chèvres, les moutons vénèrent la Madone - Bel avenir assuré à la
mariolâtrie.
« Fatima et les destins du monde » - Une nouvelle variété de folie religieuse : la fatimite La
dernière partie du « secret » sera révélée en 1960 Mgr l'évêque de Leiria détient dans une « enveloppe
scellée » les arcanes de l'avenir - Question angoissante : le monde aurait-il dit assez de chapelets ?
« Depuis près de vingt ans, Benoîte Rencurel connaissait le Paradis, pour l'avoir visité... La
sainte Vierge se montra à elle et lui dit : « Ma fille suivez-moi ». Dans l'instant la bergère est
enlevée par deux Anges, à travers l'espace. Un personnage vêtu de rouge ouvre les portes du
Paradis, au nombre de six... Marie fait à Benoîte les honneurs de la cité céleste et la conduit à l'aube
dans notre vallée de larmes... »
Pierre Molaine.
(Imprimatur 1952).

« Avant les apparitions de la Vierge, les trois petits bergers de Fatima, Lucie, Jacinthe et
François, furent trois fois les heureux bénéficiaires de la visite d'un Ange... »

Révérend Père D.-P. Auvray.


(Imprimatur 1958).

« On sait aussi - mais on feint de l'ignorer - à quelles fins politiques le fait de Fatima a été et
continue d'être exploité... »
Révérend Pè re Engelmann.
(Imprimatur 1959).

« Pourquoi l'annonce du voyage de Paul VI à Fatima m'est elle si pénible » ... on observera
que le sanctuaire de Fatima est au centre d'une dévotion qui s'est elle-même teintée de politique...»
J.-M. Dom enach.
(Le Mo nde, 7 mai 1967 ).

« Jusqu'à ce jour, les historiens n'ont découvert dans les trois premiers siècles chrétiens
aucune fête liturgique de la Vierge ni aucun culte public particulier de Marie... On s'efforce de
porter un jugement sur les différentes hypothèses émises pour expliquer les origines du culte
marial. »
La Croix, 29 juillet 1967.

« Aujourd'hui encore, une naïve bergère, qui s'endort sur l'herbe et rêve que la Vierge lui
parle, peut ignorer qu'elle a rêvé... »
Alain

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« Rien ne caractérise mieux un miracle que l'impossibilité d’en expliquer l'effet par les causes
matérielles. »
Buffon.

« Quels tristes abus n'a-t-on pas fait de certaines apparitions en les mêlant aux luttes
politiques, sociales et religieuses du temps...
» Le besoin de l'événement pousse à l'abus aussi en ce sens que des auteurs veulent
impressionner les lecteurs en interprétant les messages qui contiennent des promesses et des
châtiments dans une perspective de terribles catastrophes apocalyptiques. »
Laurent Volken.
(Imprimatur 1961)

Béatification d'adolescents visionnaires.


«Actuellement, les travaux préparatoires du procès de béatification de Francisco et de Jacinta
sont en cours. »
Père jésuite Baumann.

« Le secret de Fatima ne sera pas révélé cette année 1967 et ne le sera peut-être jamais. »
L'Aurore, 13 février 1967.

« Il est certain qu'il y a dans les alentours de l'apparition (de Fatima) des choses qui
paraissent étranges, en particulier la question du soleil qui « danse », aussi certains théologiens ont
émis des doutes quant à l'authenticité de quelques aspects des apparitions. »
Révérend Père Jean D aniélou.
(La France catholique, 12 mai 1967).

Les « apparitions » de la Vierge ici-bas sont chose assez commune, en somme, au point que
nous avons pu observer chez le haut clergé une hostilité de principe, telle que l'a exprimée Mgr
Ottaviani, contre la trop fréquente ré pétition de pareille faveur. Il est d'ailleurs bien d'autres
manifestations de cet état d'esprit - et l'on ne peut s'empêcher de sourire devant la vivacité de cette
réaction de défense chez certains prélats qui ont le bonheur de posséder dans leur diocèse un centre
de miracles dûment et régulièrement authentifié. Nous y reviendrons, du reste, par la suite.
Mais c'est un fait - n'en déplaise à ces graves censeurs - que le « merveilleux » se déclenche
plus aisément qu'il ne se freine. L'instinct d'imitation est irréductible chez l'homme. Il faut même
le regarder comme l'un des plus puissants moteurs et mainteneurs de toute société. En conséquence,
on ne saurait être surpris de la multiplication des « voyants » qui résulte tout naturellement de
l’immense publicité faite aux apparitions de La Salette ou de Lourdes, pour ne citer que les plus
notoires des phénomènes de ce genre. Tel doit être aussi le point de vue des autorités ecclésiastiques.
Car on ne peut décemment supposer, sans cela, qu'elles se permettraient de refouler sans pitié, dans
le capharnaüm des visions hallucinatoires, la plupart des visites que la Corédemptrice daigne faire
en notre bas monde.

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Un miracle politique
Parmi les apparitions qui ont trouve grâce auprès de ces juges sévères, professionnellement
soucieux de ne pas laisser galvauder le surnaturel, on peut inscrire au premier rang celles qui eurent
lieu à Fatima. Là, grâce à Dieu ! bien loin de mettre la sourdine l'Église appuie sur la pédale forte
- et Mgr Cerejeira, l’un des artisans de cette réussite, peut s'écrier avec un juste orgueil : « Depuis
le début, la ferveur grandit, le miracle augmente, le mystère se développe... »
Aussi bien faut-il remarquer que cette intervention de la Reine des Cieux se produisit à point
nommé, avec une opportunité politique réellement miraculeuse. C'est là, d'ailleurs, son aspect
caractéristique, auprès duquel pâlissent les autres grâces obtenues en ce Lourdes méridional. Les faits
remontent à 1917, année décisive de la Grande Guerre, et se sont passés dans un obscur village de
l'Estrémadure portugaise, dont l'église dessert une quarantaine de hameaux. L'endroit n'a rien de
remarquable, sinon qu'il est assez voisin du monastère de Batalha, joyau d'art gothique élevé
là-même où Jean 1er, roi du Portugal, remporta une grande victoire sur les Castillans, en 1385, par
la protection, dit-on, de Notre-Dame du Rosaire. Aussi cette personnification particulière de la
Vierge est-elle restée en grand honneur dans la contrée.
Est-il besoin d'ajouter que, là encore, la Médiatrice, fidèle à sa coutume, choisit pour
confidents des enfants aussi pieux qu'illettrés ?
Dans cette longue histoire de quarante ans - et qui nous réserve encore du nouveau, à ce qu'on
nous promet - le professeur Prosper Alfaric, spécialiste de l'histoire des religions à la Faculté de
Nancy, a distingué « trois étapes différentes et complémentaires, une de caractère limité, purement
local, une autre plus large, de tendance nationale, une autre enfin, d'esprit international, disons
catholique au plein sens du mot... La troisième et dernière se déroule sous le signe et avec les
bénédictions du pape Pie XII. Les trois actes de ce drame mystique sont intimement liés 1.
Ainsi se présentent les choses, en effet, et l'on ne peut qu'adopter cette première analyse du
savant professeur. Ajoutons cependant que le caractère politique international de toute l'affaire s'y
annonce dès le début.

La « fausse Bernadette »
Les trois visionnaires se nommaient Lucia dos Santos, 10 ans, Francisco Marto, 9 ans, et sa
soeur Jacinte, 7 ans ; trois cousins qui ne se quittaient guère et allaient paître ensemble leurs moutons
sur les terres des deux familles.
Les confidents de la Vierge étaient, cette fois, plus jeunes encore qu'à La Salette et à Lourdes.
Mais cela, comme on nous l'a maintes fois répété, n'est-il pas dans l'ordre et dans la tradition ? Et
Jésus lui-même, en son enfance, ne confondait-il pas les « doctes » ?
Le professeur Prosper Alfaric, peu sensible à cet argument, observe avec justesse :

1 Professeur Alfaric : Fatima 1917-1954 . Comment se crée un lieu saint. Cahier du cercle Ernest Renan, no 4,
quatrième trimestre 1954 -Paris, 3 rue Récamier.

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«Notre Code n'admet pas en justice la déposition de témoins qui n'ont pas encore 21 ans...
» L'Église, quand ses intérêts sont en cause, n'a pas les mêmes scrupules. Au temps de
l'Inquisition, elle livrait, comme elle disait, au « bras séculier », disons plus précisément au bûcher,
des gens suspects d'hérésie, sur la dénonciation, provoquée par elle, de jeunes mineurs, dont la
raison était d'autant moins développée qu'ils n'avaient fréquenté aucune école. Ne le pouvant plus
aujourd'hui, elle invoque leur témoignage, dans les limites de son domaine spirituel, en ce qui
concerne les visions du Christ, de la Vierge ou des Saints 2. »
Les visages de ces favorisés du Ciel, tels que les reproduisent certaines photographies qui les
groupent, rendent parfaitement compte du rôle qui devait échoir à chacun. Doux, sensibles, rêveurs,
Francisco et sa soeur Jacinte seront les témoins passifs des communications de la Madone avec
Lucia, leur cousine et aînée. Pour celle-ci, c'est autre chose : le masque renfrogné, au menton lourd,
l'oeil sombre et quelque peu farouche, le front bombé (comme celui de Bernadette), signe d'un
invincible entêtement, tout cela donne fort à penser, à première vue. On conçoit dès l'abord
l'influence qu'elle dut exercer sur ses deux cadets, et qui rappelle d'ailleurs celle de Mélanie sur
Maximin, à La Salette.
Sa mère, qui sait lire l'« imprimé », chose rare dans la contrée, réunit parfois les enfants du
hameau et leur enseigne des prières, quelques rudiments du catéchisme, leur lit des épisodes de la
vie des saints. L'histoire de La Salette et celle de Lourdes ont été contées à Lucia, comme il résulte
de ses réponses et de celles de sa mère au chanoine Formigao, qui les a consignées dans son ouvrage
As Grandes maravillas de Fatima, publié à Lisbonne en 1927, sous le pseudonyme de vicomte de
Montelo.
On nous dit même que les soeurs de Lucia, pour la tourner en dérision, la traitaient de « fausse
Bernardette » ! Sa piété était d'ailleurs très grande, et l'on voit, dans tous les récits qu'elle a faits des
circonstances qui ont précédé les visions, que les jeux des trois petits bergers s'entremêlaient, par ses
soins, de nombreuses récitations du chapelet. Au reste, les propos de l'Apparition reviendront
inlassablement à cet égrènement de Pater et d'Ave, qui semble être, dans l'esprit de la Visiteuse, ou
au moins de son interprète, la panacée à tous les maux de cette terre

Visions opportunes
Parmi ces maux, il faut compter au premier rang le caractère « laïque » du gouvernement
portugais de l'époque, depuis la proclamation de la république en 1910. Tous rapports étaient rompus
avec le Vatican, et le programme démocratique reprenait à l'égard du clergé, et surtout des jésuites,
la vigoureuse action dont le marquis de Pombal, réformateur du Portugal au XVIlle siècle, avait été
le promoteur, non sans succès puisque « le Saint-Siège, devant l'ampleur du scandale, ne put que
supprimer cet ordre ». 2 bis
En outre, c'était la guerre. Le Portugal, lui aussi, était entré dans le conflit en mars 1916,
fournissant son contingent de combattants. Toutes les pensées allaient vers les absents, vers leurs
souffrances et leurs dangers de chaque jour.

2 Professeur Alfaric : Fatima 1917-195 4. Com ment se crée un lieu saint. Cahier du cercle Ernest Renan, no 4,
quatrième trimestre 1954 -Paris, 3 rue Récamier.
2 bis Michel Agnellet : Miracles à Fatima. (Edit. de Trévise, Paris 1957, p. 22)

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C'est dans cette atmosphère tendue qu'eut lieu la première apparition de la Vierge à Lucia, le
13 mai 1917.
Date fort significative. En effet, c'était l'époque où Benoît XV - que les Italiens appelaient il
papa tedesco, et les Français le « pape boche » - voyant le sort des armes tourner contre les Empires
centraux, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, celle-ci pilier « temporel » du Saint-Siège - tentait de
leur épargner la défaite en donnant tout l'appui de la diplomatie vaticane à une tentative de paix
séparée qui eût détaché la France du bloc des Alliés. Au reste, le futur Pie XII, envoyé comme nonce
à Munich, allait prendre une part active à cette manoeuvre qui échoua devant la loyauté française.

Prières pour la paix... allemande


En ce mois de mai, le Saint-Père avait ordonné des prières publiques pour disposer
favorablement l'opinion, et prescrit qu’aux litanies de la Vierge fussent ajoutés ces mots : « Reine
de la paix, priez pour nous ». Initiative fort mal accueillie d'ailleurs par la plupart des catholiques
français, lesquels n'étaient pas alors aussi asservis à la Curie romaine qu'ils le sont aujourd'hui, et
comprenaient parfaitement où tendait le jeu du Vatican.
« Ce message, a écrit le professeur Alfaric, lancé le samedi 5 mai, urbi et orbi, au centre et aux
extrémités du monde catholique, ne put manquer d'être communiqué à Fatima comme partout
ailleurs, au prône de la messe du dimanche 13 mai. Il y fût commenté, selon toute apparence, par le
curé, sous la forme simple et naïve qui convenait à l'auditoire de cette paroisse très rustique. » C'est
ce que confirme, en effet, le chanoine Barthas, grand spécialiste des « merveilles » de Fatima 3
« Lucie dut en recevoir un choc d'autant plus vif et profond que son frère, alors âgé de 22 ans,
était absent du logis et mobilisé pour la grande guerre. Ne sachant à peu près rien du vaste monde...
elle ne retint du sermon dominical que ce point essentiel : la Sainte Vierge pouvait seule mettre fin
à la guerre et elle le ferait sans nul doute si cela lui était demandé avec ferveur. Toute son attention
allait tendre désormais vers ce but essentiel 4 ».

La Dame du chêne vert


Donc, ce dimanche-là, les trois cousins, après la messe, ont conduit leurs moutons à la pâture,
dans une dépression de terrain appelée la Cova da Iria. A midi, ils ont déjeuné et dit un chapelet,
lorsqu'un premier éclair, puis un deuxième, leur font rassembler leur troupeau. C'est alors que paraît
la « Dame » dans un nimbe de lumière, au-dessus d'un petit chêne vert. Elle est vêtue comme le sont
habituellement les statues de la Vierge dans le pays: robe blanche et grande mante aux ornements
dorés. Aux petits bergers effrayés elle dit doucement:
- N'ayez crainte, je ne vous ferai aucun mal.
Notons que, d'abord, c'est seulement Lucia et Jacinte qui sont favorisées de cette apparition.
Francisco, lui, n'a rien vu ni entendu. C'est seulement quand il aura dit son chapelet, comme il le lui
est prescrit, qu'il finira par voir la Dame comme sa soeur et sa cousine; mais sans percevoir ses
paroles.

3 C. Barthas : Fatima, Merveille du XX e siècle (Nouvelle Edition, Toulouse, 1957 , p. 44).


4 Professeur Alfaric, op. cit., p. 12.

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A la question de Lucia qui lui demande qui elle est, elle répond :
- Je suis du Ciel.
Et le dialogue continue en ces termes que nous empruntons au chanoine Barthas :
- Je viens vous demander de vous trouver ici six fois de suite à cette même heure, le 13 de
chaque mois. En octobre, je vous dirai qui je suis et ce que je veux.
Cette réponse, observe un autre apologiste, M. Michel Agnellet, « fait irrésistiblement penser
à celle de la Vierge de Lourdes s'adressant à Bernadette ». On ne saurait mieux dire...
Après un moment de silence, Lucia reprend :
- Vous venez du Ciel... Et moi, irai-je au Ciel ?
- Oui, tu y viendras.
- Et Jacinte ?
- Aussi.
- Et Francisco?
« Les yeux de l'apparition se tournent alors plus directement vers le garçonnet et le fixent avec
une expression mêlée de bonté et de maternelle compassion :
- Lui aussi. Mais il faut qu'il récite son chapelet 5. »

Chapelet ou rosaire?
Nous voilà tout de go en plein coeur de l'affaire. Le chapelet, véritable « tarte à la crème », ne
va plus cesser de reparaître avec une obsédante régularité, à travers les considérations
politico-religieuses de la Madone. Le chanoine Barthas, conscient du rôle primordial dévolu à ce
pieux accessoire, lui a même consacré une note de deux pages, aux fins d'établir si la Vierge avait
parlé de chapelet, sans autre spécification, ou de rosaire, comme l'ont écrit certains traducteurs. Nous
ne pouvons, à notre grand regret, transcrire ici ce morceau de haute technicité, mais nous en
conseillons vivement la lecture aux esprits avides de précisions 6.
Il en va de même, d'ailleurs, pour une autre note intitulée : la prière entre les dizaines de
chapelet - note qui tend à fixer le texte authentique de cette prière, dictée, parait-il, à Lucia par la
Vierge en personne. Les âmes a sauver, qu’elle concerne, sont-elles celles des pécheurs, en général,
ou plus spécialement les âmes du Purgatoire ? Grave question, d'autant plus difficile à résoudre qu'à
l'époque où se répandit la formule habituellement usitée, mais contestée aujourd'hui par la voyante,
« nul théologien n'avait encore approfondi le sens du Message marial de Fatima 7 ». Devant une aussi
fàcheuse lacune, on ne peut qu'approuver la sage conduite de ce bonhomme du cru qui déclare: «
Lorsque je suis seul, je la récite ainsi lorsque je suis à l'église, je la dis comme les autres 8. »

5 C Barthas, op. cit., p. 49.


6 Barthas, op. cit., pp. 58-60.
7 et 8 C. B arthas, o p. cit., pp . 85-8 7.

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Mais laissons cette haute théologie et revenons à nos moutons, ou plutôt à ceux qui les gardent.
« La conversation se poursuit entre les petits bergers extasiés et la mystérieuse « Demoiselle », nous
dit le chanoine Barthas qui ne semble pas se souvenir que seule Lucia s'entretient avec l'apparition.
« Les enfants n'en oublieront pas un seul mot; mais ils n'en parleront qu'entre eux. D'un commun
accord, ils feront silence sur certaines choses qu'il leur paraîtra indiscrétion ou vanité de révéler.
Lucia seulement plus tard les écrira dans les cahiers qu'elle rédigera vers 1936-1937, puis vers
1941-1942, à la demande de ses supérieurs 9. »

Révélations antidatées
Lucia, en effet, et comme on pouvait s'y attendre, est entrée en religion. C'est du fond de son
couvent qu'elle a complété à plusieurs reprises, à la demande de ses supérieurs, ce que lui aurait dit
la Dame en 1917, et ces ressouvenirs s'adaptent, comme par hasard, à la situation internationale du
moment où elle les rédige. C'est ainsi que : « Fatima n'a pas dit encore au monde son dernier mot ».
comme P écrit Mgr Cerejeira. Nous l'en croyons sans peine - la soeur Lucia ne compte encore que
cinquante et un ans, et son excellente mémoire, opportunément sollicitée, autorise tous les espoirs...
« Nous sommes là, écrivait le professeur Alfaric, devant un mécanisme complexe dont le montage
a été lent et gradué 10. »
Pour notre part, nous donnerons l'essentiel de ces « révélations », sans oublier que la plupart
d'entre elles ont été antidatées de quelque 20 ou 25 ans par ce commode procédé, puis savamment
entremêlées à celles de l'époque. Mais qui songerait à s'en plaindre, sauf ces pauvres « rationalistes
» qui n'ont pas le sens du surnaturel?
* * *
« L'entretien semble avoir duré une dizaine de minutes » écrit M. Michel Agnellet. « Bien plus
que le temps de réciter un Pater et un Ave, mais guère plus que le temps suffisant pour réciter tout
un chapelet », dira Lucie 11. » Cette façon de mesurer le temps ne laisse pas d'être amusante - et
significative. Cependant Lucia décide qu'elle-même et ses petits compagnons ne diront rien de cette
étonnante aventure. Mais Jacinte ne peut se tenir d'en parler à sa mère, et ses parents, comme ceux
de Lucia, se fâchent, nous assure-t-on, et accusent de mensonge les trois enfants. Encore ceux-ci
n'ont-ils pas tout dit : l'Apparition leur aurait demandé s'ils étaient prêts à « s'offrir à Dieu pour
accepter toutes les souffrances qu’Il voudra bien leur envoyer, en réparation des péchés si nombreux
qui offensent sa divine Majesté », ainsi que de « toutes les offenses faites au Coeur Immaculé de
Marie ». C'est du moins ce que prétend soeur Lucia dans son deuxième cahier, en 1942.
Abstenons-nous d'épiloguer sur la révélation tardive d'une aussi étrange demande adressée à ces trois
bambins, et passons au rendez-vous du 13 juin.

La deuxième apparition
Les enfants s'y trouvent à midi, comme convenu. Il ne semble donc pas que leurs parents aient
persévéré dans leur opposition. Ils ne sont pas seuls : une cinquantaine de personnes les entourent,
car le bruit d'une apparition à la Cova s'est vite répandu dans le pays. Mais ces témoins ne verront
rien et, apparemment, n'en entendront pas davantage. Cela vaut mieux, d'ailleurs, car - à en croire
9 C. B arthas, o p. cit., pp . 49-5 0.
10 Professeur Alfarie, op. cit., p. 21. 11 Michel Agnellet, op. cit., p. 43.

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les biographes - ils eussent appris, et rapporté aux parents de Jacinte et de Francisco une triste
nouvelle la mort prochaine des deux enfants. Francisco succomba en effet à l'épidémie de grippe
espagnole en 1919, et sa soeur en 1920. Mais... cette révélation de la Dame, qui constitue le « petit
secret » de Fatima, ne fut communiquée qu'en 1927 par soeur Lucia, qui y ajouta encore quelques
détails supplémentaires en 1942 ! Il va sans dire que les pieux « historiens » n'élèvent aucun doute
sur l'authenticité de cette prédiction... rétrospective, et s'extasient sur la force d'âme des deux pauvres
gamins qui, selon eux, se trouvaient fixés sur leur sort dès la deuxième apparition. Ainsi, la petite
Jacinte - 7 ans - qui n'avait pu se tenir de conter à sa maman la première entrevue de la Cova, aurait,
en revanche, gardé stoïquement ce terrible secret durant plus de deux ans - de même que son frère!
Mais les cinquante témoins, comment n'avaient-ils pas compris ? Voici, paraît-il, la déclaration
de l'un d'eux : « J'entendis bien ce que Lucie disait à la Vision, mais je ne vis rien et n'entendis pas
les réponses... 12 »
Voyons donc les questions :
- Madame, je voudrais vous demander de nous prendre au Paradis.
... (ici réponse de la Dame.)
- Alors, je dois rester ici-bas toute seule ?
N'est-ce pas assez clair ? Ou faut-il croire que l'on a l'entendement particulièrement rétif à
Fatima et lieux circonvoisins ? Mais voici ce qu'avait dit la Dame:
- Oui, pour Jacinte et pour François, je
viendrai bientôt les prendre. Mais toi, tu dois rester
plus longtemps ici-bas. Jésus veut se servir de toi
pour me faire connaître et aimer. Il veut établir dans
le monde la dévotion à mon Coeur Immaculé 13. »
Et cela s'accompagnait, bien entendu, d'une
nouvelle et instante recommandation de réciter le
chapelet.

Imagerie jésuitique
A vrai dire, on éprouve une impression
pénible, plutôt que de l'amusement, à voir un homme
d'âge - fût-il chanoine - commenter gravement de
telles niaiseries. N'a-t-il donc jamais entendu parler
de mythomanie et de délire des grandeurs? Et ne
voit-il pas qu'ils s'étalent ici, alliés à une non moins
évidente sottise?
Passons, cependant. Nous en verrons bien
d'autres. Et d'abord ceci « ...une vision, je dirai
supplémentaire, dont nous connaissons les détails par
un autre cahier de soeur Lucie (1942)...
Les trois pastoureaux en 1917 Jacinte, François, Lucie.
12 et 13 C. Barthas, op. cit., pp. 63-64.

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Devant la main droite de l'Apparition, ils
voyaient un coeur entouré d'épines qui le piquaient
de toutes parts.
Les enfants comprirent que c'était le Coeur
Immaculé de Marie, affligé par tant de péchés du
monde, et qu'il demandait pénitence et réparation
14

Soit, mais pour notre part, nous nous
demandons si ce chanoine toulousain ne serait pas
un naïf volontaire. Car, sans avoir - grâce au Ciel -
aucune prétention à la transcendance, nous avons vu
cela cent fois sur les images pieuses répandues à
profusion par les jésuites, ces grands spécialistes en
coeurs saignants. Et nous n'avons pas eu à «
comprendre » de quoi il s'agissait, vu que c'est
imprimé dessous.

Un incrédule
Cependant, le R. P. Marqués Ferreira, curé de
Fatima, ayant convoqué et interrogé les « voyants »,
ne cachait pas son incrédulité :
- Il ne me semble pas que tout cela vienne du Ciel. Est-il possible que Notre-Dame en soit
descendue pour nous dire de réciter le chapelet tous les jours, alors que c'est un usage presque
général dans la paroisse ?... 15 »
Ainsi, ce prêtre - comme bien d'autres aux alentours - ne discernait pas la haute portée du «
message », ni combien devaient peser, dans les destins du monde, les Pater et les Avé récités dans
ce coin perdu de L'Estramadure portugaise. Etrange aveuglement, semble penser notre chanoine.
En effet, au rendez-vous suivant, le 13 juillet, devant quatre ou cinq mille personnes « au
moins », lesquelles ne voient et n'entendent rien comme à l'ordinaire, la Dame, qui tient à son idée,
insiste, « pour la troisième fois, sur la récitation quotidienne du chapelet en l'honneur de la Sainte
Vierge :
- Dites-le avec l'intention d'obtenir la fin de la guerre. Seule l'intercession de la Sainte Vierge
peut obtenir cette grâce 16. »
Cependant, la chose ne lui parait pas tellement urgente, puisqu'elle ajoute :
- Revenez ici tous les mois. En octobre, je vous dirai qui je suis et ce que je désire... Et je ferai
un grand miracle pour que tout le monde puisse vous croire 17. »

14 et 15 C. Barthas, op. cit., pp. 65, 68


16 et 17 C. Barthas, op. cit., pp. 73-74.

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Page 76
Messe de clôture de l’année sainte,
Fatima, 13 octobre 1951 (à la suite du
Congrès Mondial du Message de Fatima
et la Paix, 7-11 octobre). De gauche à
droite, les trônes de leurs Éminences:
Segura, Cerejeira, Tedeschini, Gerlier, et
Gouveia.

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Toujours le chapelet
Mais s'il n'y a pas à se presser pour mettre fin à la guerre, en revanche le chapelet, lui, ne peut
pas attendre. A. preuve les réponses qu'obtient Lucia qui demande diverses grâces :
« La Vision répondit qu'elle ne guérirait pas l'estropié, mais qu'il pourrait se suffire et gagner
sa vie et qu'il devait réciter chaque jour le chapelet avec sa famille. Le malade ne devait pas perdre
patience : Elle savait mieux que lui le moment où il conviendrait de venir le prendre. Quant aux
autres personnes, elles obtiendront les grâces désirées dans le courant de l'année, mais il faut qu'elles
récitent le chapelet.
A un certain moment, on entendit Lucie dire à haute voix : « Oui. Elle veut qu'on récite le
chapelet !... Qu'on récite le chapelet ! 18 ».
Ainsi l'incrédule curé Ferreira se voyait servi de son fut. Mais c'est vraiment trop beau, et si
nous n'avions cité intégralement le passage, on ne nous eût pas cru. « Fatima ou la Folie du
chapelet ». C'est le titre que nous nous permettons de suggérer, pour son prochain ouvrage au bon
chanoine Barthas qui en a déjà produit quatre sur le sujet, dont l'un porte ce titre mirifique : « Fatima
et les destins du monde, preuve par les faits que le message de Fatima apporte le salut au monde. »
Et nous qui reprochions à l'auteur de n'avoir pas discerné la mégalomanie chez la voyante !
D'ailleurs il n'en va pas autrement à Rome, car cet ouvrage apocalyptique s'accompagne d'une lettre
élogieuse du Saint-Père, W S. S. Pie XII, lequel était orfèvre en la matière, comme nous aurons
l'occasion de le voir plus loin.

Révélation tardive du « secret »


Telle fut donc l'entrevue du 13 juillet, mais ce n'était pas tout, paraît-il, et nous allons
comprendre l'enthousiasme de notre chanoine. Le plus intéressant du dialogue entre l'Apparition et
la petite bergère de dix ans restait enveloppé dans les plus profondes ténèbres. Ce fut en août 1941
seulement, que la dite bergère, devenue religieuse, écrivit pour ses supérieurs, « par pure obéissance
et avec Permission du Ciel », ce que la Dame lui aurait dit le 13 juillet 1917. Hâtons-nous de préciser
que si elle attendit si longtemps pour révéler ce fameux « secret » qui engage ni plus ni moins que
les destins du monde », ce ne fut pas par réticence volontaire, mais bien pour obéir à l'ordre exprès
de la Vierge Marie - à ce que l'on nous affirme, tout au moins.
Voici donc ce qu'aurait écrit soeur Lucia, dans son « troisième cahier » :
« Le secret consiste en trois choses distinctes - mais étroitement connexes; je vais exposer deux
d'entre elles, la troisième devant continuer à rester enveloppée de mystère 19. »
La première de ces choses est une vision de l'Enfer. Ce 13 juillet 1917, un faisceau de lumière,
issu des mains de Notre-Dame, semble entr'ouvrir la terre, et les enfants voient une grande mer de
feu :
« En cette mer étaient plongés, noirs et brûlés, des démons et des âmes sous forme humaine,
ressemblant à des braises transparentes. Soulevés en l'air par les flammes, ils retombaient de tous
les côtés comme les étincelles dans les grands incendies, sans poids ni équilibre, au milieu de grands
cris et de hurlements de douleur et de désespoir qui faisaient frémir et trembler d'épouvante...
18 C. Barthas, op. cit., p. 74
19 C. Barthas, op. cit., p. 76.

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» Les démons se distinguaient des humains par leurs formes horribles et dégoûtantes d'animaux
épouvantables et inconnus, mais transparents comme des charbons embrasés 20. »
Charmant tableau - mais, hélas ! malheureusement incomplet : il y manque les bienheureux
accoudés au balcon, car on sait qu'ils sont friands de ce spectacle (nous l'avons rappelé plus haut).
Cependant, ne chicanons pas la narratrice. Par une conséquence aussi heureuse qu'imprévue,
son séjour au couvent lui a beaucoup formé le style. C'est là un morceau qu'un père jésuite - son
confesseur, par exemple - pourrait signer sans déshonneur, et l'on ne peut qu'applaudir à la
description si vivement troussée de ce gigantesque autodafé.
On comprend l'émotion des trois gamins devant un spectacle de si haut goût. Aussi en
croyons-nous volontiers soeur Lucia quand elle nous dit que, s'ils n'avaient pas été rassurés sur leur
propre sort par leur « bonne Mère du Ciel », ils seraient « morts de frayeur et d'épouvante ». Mais
telle est la justice divine: qui aime bien châtie bien.
La Vierge dit alors « avec bonté et tristesse » :
« Vous avez vu l’Enfer où vont aboutir les âmes des pécheurs. Pour les sauver, le Seigneur
veut établir dans le monde la dévotion à mon Coeur immaculé... »
Puis, Elle passe à la politique internationale :
« La guerre va vers la fin (celle de 1914-1918), mais si l’on ne cesse pas d'offenser le
Seigneur, sous le règne de Pie XI en commencera une autre pire. »

Une erreur de la Madone


Ici, nous nous voyons forcé de signaler que la Vierge a commis une erreur: la deuxième guerre
mondiale commença sous le pontificat de Pie XII et non de PieXI. Mais sans doute, au Ciel, n'y
regarde-t-on pas de si près. N'insistons pas - d'autant que l'autodafé ci-dessus décrit tous incite à
quelque prudence.

Le grand avertissement marial


La Madone annonce donc le châtiment des crimes du monde par la guerre.
« Pour empêcher cela (dit-elle), je viendrai demander la consécration de la Russie à mon Coeur
Immaculé et la communion réparatrice des premiers samedis.
« Si l'on écoute mes demandes, la Russie se convertira et l'on aura la paix. Sinon, elle répandra
ses erreurs par le monde, provoquant des guerres et des persécutions contre l'Église; beaucoup de
bons seront martyrisés plusieurs nations seront anéanties 21. »
Quel dommage que de telles révélations n'aient été publiées qu'avec vingt-cinq ans de retard!
C'est ce que semble déplorer aussi M. Michel Agnellet :

20 C. Barthas, op. cit., p. 76.


21 C. Barthas' op. cit., pp. 77-78.

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« Ce texte - qui perd évidemment un peu de sa valeur prophétique dès l'instant où,
communiqué en 1917, il ne fut publié qu'en 1942 - est suffisamment bouleversant pour se passer,
croyons-nous, de commentaires 22. »
Que cet écrivain nous excuse, mais nous ne sommes nullement d'accord sur ce dernier point.
Le dit texte nous paraît, au contraire, appeler bien des commentaires. Ainsi, dès 1917, nous dit-on,
la Vierge prévoit qu'une guerre pire encore viendra désoler l'humanité « si l'on ne cesse pas d'offenser
le Seigneur ». Elle apparaît spécialement à Fatima pour engager la dite humanité à cesser ces
offenses, et Elle ne parle pas du châtiment éventuel ? Ou plutôt, Elle en réserve la confidence à trois
petits enfants, avec défense expresse d'en rien dire à qui que ce soit ? C'est ce que le chanoine
Barthas et autres appellent « le grand avertissement marial ». Singulier avertissement, qui attend
que le mal soit fait pour s'exprimer!
Il est vrai qu'il en fut de même à La Salette où la Dame, ne pouvant plus retenir le bras pesant
du Seigneur, adressait aux Isérois et à toute l'humanité un appel angoissé... à ne révéler que douze
ans plus tard ! Décidément, il y a dans la logique céleste quelque chose qui nous échappe.

Une curieuse coïncidence


En revanche, ce qui ne nous échappe pas, c'est que la publication du « secret » fut décidée par
S. S. Pie XII, « pour le bien des âmes », en octobre 1942, c'est-à-dire au moment où l'armée
hitlérienne, après ses désastres en Russie, y reprenait désespérément l'offensive - au moment où
l'Église romaine, par la voix de ses plus hauts prélats, tels que le cardinal Baudrillart à Paris, appelait
partout des volontaires pour voler au secours des nazis.
C'est à ce moment, le 31 octobre 1942 exactement, que S. S. Pie XII, le pape le plus
germanophile de l'histoire, (et ce n'est pas peu dire), prononça « la consécration du monde et de la
Russie au Coeur Immaculé de Marie ». Singulière coïncidence !
On pourrait encore observer en manière de commentaire - n'en déplaise à M. Michel Agnellet
- que le personnage d'Hitler, pourtant assez considérable à ce qu'il semble, est curieusement absent
de cette prophétie à retardement... La Sainte Vierge, en 1917, ne prévoyait pas le rôle primordial qui
lui était destiné ? Ou bien préféra-t-Elle ne pas faire allusion à ce nouveau Michel Archange, utile
mais peu avouable, et qui, finalement, devait pas terrasser le Dragon ?

Qu'est devenu l’Antéchrist ?


D'ailleurs, ce n'est pas la seule lacune que nous ayons à déplorer. On nous avait promis à La
Salette l'intervention prochaine de l'Antéchrist. Or, dans les nouvelles vaticinations de Notre-Dame,
on ne trouve plus trace de ce « fils d'un évêque et d'une religieuse hébraïque en communication avec
le vieux serpent, qui dès sa naissance devait avoir des dents et vomir des blasphèmes 22 bis ».
D'aucuns, il est vrai, ont voulu le reconnaître dans Hitler; mais il y a loin de l'ermite de
Berchtesgaden à un personnage aussi haut en couleur. Et, surtout, l'infaillibilité papale, garantie par
le Saint-Esprit, n'aurait pas misé à fond sur le Führer, comme elle le fit, s'il avait été l’Antéchrist -
du moins faut-il le supposer.
22 Michel Agnellet, op. cit., p. 54
22 bis V oir cha pitre « La Salette », p. 85.

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Concluons plutôt, de ce défaut de concordance, que les plans divins sont, eux aussi, sujets à
variations... ou tout au moins à interprétations diverses. Ainsi, nous attendrons avec plus de sérénité
l'an 1960 où doit nous être dévoilé, parait-il, le reste du « secret ». Mais d'ores et déjà, le chanoine
Barthas entend nous prémunir contre toute désillusion. « Le but de Notre-Dame, nous dit-il, n'est pas
la satisfaction de notre curiosité, mais bien le salut éternel des âmes. Au fond, le « secret » affirme
que le péché est le plus grand mal de l'homme... 23 » etc.
Soit, nous n'attendrons pas de trop grandes merveilles de cette date fatidique. Ce qui nous
surprend davantage, c'est ce que « laisse entendre » en fin de compte la « voyante », à savoir qu'un
jour « la consécration au Coeur Immaculé se fera, la Russie se convertira et un temps de paix sera
donné au monde 24 ».
Comprenne qui pourra, car enfin cette consécration est chose acquise depuis le 31 octobre
1942, et la Russie n'a toujours pas fait sa soumission à Rome - que l'on sache. La promesse
conditionnelle de Notre-Dame ne s’est donc pas réalisée.
Mais, une fois encore, nous nous garderons d'insister, ne nous souciant nullement - comme on
le comprendra - d'être transformé en « braise transparente ».

Quatrième et cinquième apparition


Il y a peu de choses à dire sur les apparitions du 13 août et du 13 septembre à la Cova da Iria.
D'ailleurs, ne nous y trompons pas, sans les confidences à retardement de la soeur Lucia, le bilan
des précédentes entrevues apparaîtrait fort mince, lui aussi.
Le 13 août, les enfants ne sont pas à la Cova. Ils ont été « enlevés » par le Coregidor, ou
administrateur civil, farouche anticlérical, nous dit-on, qui juge des plus fâcheuses l'effervescence
soulevée dans la région par les manifestations surnaturelles. Il amène chez lui les trois petits
« voyants », ne peut obtenir qu'ils se rétractent, les confie à sa femme, qui « les soigne
maternellement », puis il les relâche le surlendemain, désolés d'avoir ainsi manqué au rendez-vous
céleste. « La Dame, apprirent-ils, les y avait attendus vainement 25 ». (Il apparaît donc, une fois de
plus, que l'on est mal renseigné là-haut sur les événements, grands ou petits, de notre misérable
terre.) « Mais, poursuit notre auteur, leur chagrin fut de courte durée. Le 15 août (selon Lucie, mais
plus vraisemblablement le 19 août aux dires des témoins, la Sainte Vierge leur apparut, en effet, en
un autre endroit où ils gardaient leurs brebis... 26 »
C'était - bien entendu - pour leur rappeler de réciter tous les jours le chapelet. Quant au surplus,
il nous faut renoncer à distinguer ce qui est « d'époque » de ce à été ajouté depuis par soeur Lucia,
tant les apologistes t appliqués à mélanger le tout. La Dame - qui ne toujours pas nommée - aurait
promis pour le 13 octobre, jour de la sixième et dernière apparition :
« ... saint joseph viendra avec l'Enfant-Jésus pour donner paix au monde ; Notre Seigneur
viendra bénir le peuple et aussi Notre Dame sous la figure de Notre-Dame Douleurs 27. » La même
promesse sera faite, d'ailleurs, à l'entrevue suivante, à cela près qu'une autre visiteuse a rejoint cette
céleste société : « ... saint joseph viendra l'Enfant-Jésus et aussi Notre-Dame des Douleurs et
Notre-Dame du Carmel 28. »
23 C. Barthas, op. cit., pp. 78-79. 27 et 28 C. Barthas, op. cit., 98, 104.
24 C. Barthas, op. cit. pp. 78-79.

25 et 26 Michel Agnellet, op. cit., p. 62.

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Multiplicité des Madones
Certains s'étonneront peut-être de cette vision simultanée de deux Madones, promise à la
pieuse Lucia. Mais cela est écrit noir sur blanc par un chanoine, avec la caution de l'Imprimatur, et
au surplus c'est la Vierge elle même qui parle, à ce que l'on nous dit. Il n'y a donc pas à douter de ce
dédoublement.
D'ailleurs, chacune de ces Dames - qui sont innombrables par le monde, outre les précitées -
possède ici-b sa physionomie propre, ses attributs, ses spécialités curatives et tutélaires, etc. Pourquoi
voudrait-on qu'au Ciel elles abandonnassent tout cela pour se confondre en une seule et
impersonnelle figure ? En fait, on voit qu'il n'en est rien. Comme il résulte des propos de l'une d'elle,
la Dame de Fatima, ce sont autant de personnes distinctes qui peuvent apparaître en groupe ou
séparément, à leur choix ; et le polythéisme antique se voit ainsi largement dépassé, car nous n'avons
pas souvenance que la Diane d'Ephèse, par exemple, se soit jamais montrée à ses fidèles en
compagnie de celle de Gabies.
La parole est maintenant au Souverain Pontife pour définir canoniquement et proclamer urbi
et orbi ce nouveau privilège marial - dont la dévotion populaire n'a, du reste, jamais douté. A quand
l'Encyclique Multiplicata Virgo ?

La dernière apparition
La sixième et dernière apparition eut lieu, comme prévu, le 13 octobre 1917, sous une pluie
battante, mais néanmoins en présence de 70 000 personnes, paraît-il. Nous dirons plus loin comment
elles furent récompensées de leur zèle.
Cette fois, selon sa promesse, la Dame décline son identité :
« Je suis Notre Dame du Rosaire. je désire en ce lieu une chapelle en mon honneur. »
C'est là en effet le désir uniforme de toutes ces Dames. A ce voeu d'ordre personnel, Elle
ajoute:
« Il faut que les hommes se corrigent, qu‘ils demandent pardon de leurs péchés. »
« Et, nous dit le chanoine Barthas, prenant un air plus triste, avec une voix suppliante : Qu'ils
n'offensent plus Notre-Seigneur qui est déjà trop offensé ! »
... Ce furent les derniers mots ; ils renferment l'essentiel du message de Fatima 29.
Faut-il observer, une fois de plus, que les « messages » célestes ne brillent pas par excès
d'originalité? Mais il y a plus grave: ils pèchent aussi par inexactitude. Nous allons en avoir un
nouvel exemple.
Outre les propos anodins ci-dessus rapportés, voici ce qu'avait dit encore l'Apparition, d'après
notre chanoine :
« Pour la sixième fois, Elle recommande de continuer à réciter le chapelet tous les jours,
ajoutant que la guerre allait vers la fin et que les soldats ne tarderaient pas à retourner chez eux30.»

29 et 30 C. Barthas, op. cit., pp. 111, 112.

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La main dans le sac
L'auteur, qui d'ordinaire cite avec complaisance les paroles mêmes de Lucia, a préféré les
résumer à sa manière, cette fois - et pour cause ! C'est qu'il y a dans cette affaire un autre chanoine
nommé Formigao, dont nous avons déjà dit quelques mots, et ce confrère, quoique grand
propagandiste du lieu saint et même rédacteur en chef de La Voz da Fatima, a rapporté tout
autrement la chose. Envoyé sur les lieux par le Patriarcat de Lisbonne, en qualité d'observateur
officieux, à l'époque même des apparitions, il y a fait subir des interrogatoires aux trois enfants en
septembre, octobre et novembre 1917, et en a publié les résultats dès 1918 et 1919, sous le
pseudonyme de vicomte de Montelo. Ces textes ont paru, traduits en français, à Bordeaux en 1931.
Voici ce que Lucia répondait, le soir même du 13 octobre 1917, au chanoine Formigao qui lui
demandait ce qu'avait dit la Vierge :
« Elle nous a dit... que la guerre finirait aujourd'hui et que nous pouvons attendre nos soldats
très prochainement 31. »
C'est ce que rapportait aussi le rédacteur en chef du journal O Seculo, présent sur les lieux,
dans son article du lendemain :
« Lucia, celle qui parle avec la Vierge, annonce avec la Vierge a des allures théâtrales, au cou
d'un homme qui la transporte de groupe en groupe, que la guerre est finie et que les soldats vont
rentrer. »
Le chanoine, revenu chez Lucia le 19 octobre, lui posait à nouveau la question :
- Le 13 courant, Notre-Dame t'a-t-elle dit que la guerre finirait ce jour même ?
- Voici ce qu'elle a dit : « La guerre finit aujourd'hui, qu'on attende vos militaires. »
- Mais remarque que la guerre se poursuit encore !
Les journaux notifient qu'il y a eu des combats depuis le 13. Comment peut-on expliquer cela?
- Je ne le sais pas... J'ai répété les paroles mêmes de Notre-Dame 32. »

Nouvelle erreur de Notre-Dame


Le fait est donc bien établi : la Sainte Vierge s'est trompée cette fois encore, puisque l'armistice
ne devait intervenir qu’un an plus tard, le 11 novembre 1918. Mais que dire de notre chanoine
toulousain qui a si bien dissimulé la chose ? Et aussi de M. Michel Agnellet qui l'a suivit dans cette
voie fautive, tout en connaissant fort bien Montelo-Formigao qu'il cite en des passages moins
scabreux ? D'ailleurs, dans sa bibliographie les ouvrages de l'observateur officieux ne figurent qu'en
portugais. La version française est passée sous silence. Est-ce pour décourager les curieux ?
L'auteur se présentait pourtant avec les plus hautes garanties d'impartialité. On lit à son sujet
dans la notice qui accompagne le volume : « ... sa parfaite lucidité, sa rigoureuse loyauté, son respect
absolu de la vérité lui ont valu l'approbation de l'Église catholique qui a accordé a ses ouvrages le
nihil obstat et l'imprimatur. »

31 et 32 Les Grandes Merveilles de Fatima (Ed. du Pélican, Bordeaux 1931, pp. 80 et 94-95.

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Certes, voilà qui est probant : la tolérance et la largeur de vues de l'Église romaine sont
séculairement connues. Mais comment un écrivain d'une objectivité aussi bien cautionnée a-t-il pu
se laisser aller à cet « arrangement », fût-ce par pur zèle « marial » ? Enfin, à tout péché miséricorde!
Espérons qu'à l'Archevêché on ne lui en voudra pas trop.

La vision « multiforme »
Si Notre-Dame du Rosaire - puisque tel était le nom de l'Apparition - se trompa sur la fin de
la guerre, en revanche elle réussit beaucoup mieux dans le domaine des visions.
Ce fut d'abord, nous dit-on, la Sainte Famille, qui apparut, avec l'Enfant-Jésus dans les bras
de saint Joseph - du moins pour Lucia, car selon Jacinte et Francisco le divin Enfant était debout à
côté de son père légal, « ... ce qui montre bien - estime le chanoine Barthas - le caractère inorganique
et extra-sensoriel de la Vision. » D'autres diraient plus simplement : hallucinatoire.
Ce fut tout pour les deux petits. Lucia, elle, eut droit en supplément a l'apparition de Notre
Seigneur, puis de Notre-Dame des Sept Douleurs et d'une autre Dame qui a « semblé être
Notre-Dame du Mont-Carmel ». C'est que notre chanoine appelle « la Vision multiforme », qui,
d'après S. E. le cardinal Cerejeira, serait « comme rappel symbolique des trois sortes de mystères du
Rosaire ». Nous nous en rapportons volontiers, là-dessus, à ce docte prélat.

Les « signes » atmosphériques


En somme, la Dame avait bien fait les choses. Mais » n'est là qu'un détail auprès du « grand
miracle » qu'Elle t promis aux enfants de faire ce jour-là, « pour que le monde puisse les croire ».
On pouvait présumer qu'il serait d'ordre atmosphérique, car déjà, aux yeux Je certains
assistants particulièrement sensibles ou imaginatifs, des « signes » s'étaient très dans le ciel, lors des
précédents rendez-vous. Les avaient vu un « globe lumineux » qui venait de l'est, était au-dessus du
petit chêne vert où semblait se poser l'Apparition, et s'en retournait vers l'est à son départ. D'autres
attribuaient à ce météore une forme oblongue et y voyaient « l'aéroplane de la Madone ».
Moins favorisés, certains devaient se contenter d'un « petit nuage » là où les enfants se
mettaient en prière. Cirtains encore avaient distingué une espèce de « pluie de pétales » qui se
dissolvaient avant de toucher terre, ou me « diminution de la lumière », etc.
Cette diversité n'embarrasse pas les apologistes, du reste, entre autres le chanoine Barthas qui
estime que « variété n'est pas contradiction ». D'après lui, les témoins auraient éprouvé « de la
difficulté à exprimer des sensations si inattendues, si nouvelles pour eux... », et, de plus, des
manifestations préliminaires trop nettes auraient affaibli considérablement « la force démonstrative
du signe de Dieu », qui devait apparaître le 13 octobre. En d'autres termes, Notre-Dame se réservait
pour le grand jour.
Elle se réservait si bien, d'ailleurs, que la plupart des assistants ne voyaient rien de tout cela,
n'étant pas en état de grâce sans doute, et nous avons le regret de constater que le chanoine Formigao
se trouvait dans ce cas, nonobstant sa qualité d'ecclésiastique.
Au reste, nombre de ses confrères n'étaient pas mieux partagés, de l'aveu même du chanoine
Barthas. On s'attendrait, par exemple, que ce Formigao-Montelo, venu à Fatima en observateur
délégué par le Patriarcat, se prononçât nettement sur les scènes de la Cova. Il n'en est rien pourtant,

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comme le rappelle le Professeur Alfaric :
« Il s'était montré sceptique, déclare-t-il, après ce qu'on lui avait conté des quatre premières.
La cinquième, dont il a été témoin, l'a déçu, et il ne donne pas son sentiment personnel sur la
sixième 33. »
Or, cette sixième scène n'est autre que le « Grand Miracle », la fameuse « danse du soleil ».

Le Grand Miracle
Ce n'était rien de moins qu'une véritable subversion cosmique que la Vierge allait accomplir,
si l'on en croit certains témoins, pour clore la série de ces apparitions. Nous disons bien certains
témoins, car il va de soi que le phénomène n'a pu être attesté par les 70 000, ou seulement les 30 à
40 000 personnes selon d'autres évaluations, qui se trouvaient rassemblées ce jour-là à la Cova da
Iria. D’autre part, il s'en faut que tous les témoignages recueil absolument concordants. Ne parlons
pas des ages négatifs, car de ceux-là on ne trouve évidemment pas trace dans les ouvrages
apologétiques consacrés merveilles de Fatima ». Mais le silence de « l'observateur » Formigao ne
doit-il pas être regardé comme tel ? Parmi ceux qui ont « vu » (le chanoine Barthas parle de quelques
dizaines » de témoignages recueillis), la vedette auprès des écrivains apologistes revient sans
contredit à M. Avelino de Almeida, en sa qualité de rédacteur en chef du journal O Seculo, et de
« coryphée de la libre-pensée lisbonnaise » (Barthas dixit). L'article qu'il au lendemain de
l'événement constitue la pièce décisive, l'« ultima ratio » invoquée par les partisans du miracle. Dans
le passage de cet article donné par le chanoine Barthas, l'auteur décrit l'immense foule stoïque sous
les averses, dans l'exaltation de sa foi, puis les nuages qui se dissipent et le soleil apparaissant tel
qu'une « plaque d’argent pâle », que l'on peut « regarder en face sans la moindre gêne », puis les cris
de « miracle ! merveille ! » poussés par ceux qui ont vu tout à coup l'astre animé de « mouvements
brusques » et qui semblait « danser ». Mais voyons la suite, après la fin du phénomène :
« Aussitôt les gens se demandent les uns les autres s'ils ont vu quelque chose et ce qu'ils ont
vu. Le plus grand nombre avoue qu'ils ont vu le tremblement, la danse du soleil : d'autres cependant
affirment avoir vu le visage souriant de la Vierge elle-même, jurent que le soleil a fait un tout sur
lui-même, tel une roue de feu d'artifice ; qu'il a baissé jusqu'à brûler la terre de ses rayons... Un
autre raconte qu'il l'a vu changer successivement de couleur... 34 »
Voilà des « visions » bien diverses ! Et le pire est que M. de Almeida, ce témoin « non
suspect » à ce que l'on dit, s'il rapporte complaisamment ces versions différentes, s'abstient de nous
donner la sienne (tout comme le chanoine - observateur Formigao, d'ailleurs). En dépit de cette
prudente réserve, son article dans O Seculo fit beaucoup de bruit, comme on pense, et lui valut
quelques commentaires désobligeants, notamment de la part du journal O Mundo, qui écrivit trois
jours plus tard :
« Le mensonge dans toute sa nudité, voilà le fait. Et il y a d'anciens séminaristes (allusion à
Almeida) qui joyeusement se prêtent à servir ce mensonge pour égarer les esprits 35. »
Nous ne saurions, évidemment, accueillir ni rejeter l'accusation ci-dessus exprimée.
Bornons-nous à noter certaine indication passablement suggestive du chanoine Barthas lui-même,
parlant « des difficultés que dut rencontrer M. de Almeida lorsqu'il voulut corriger la ligne
anticléricale de son quotidien et des publications de sa maison 36 ».
33 Prosper Alfaric, op. cit., p. 19. 35 Chanoine Barthas, op. cit., pp. 325, 148.
34 Chanoine Barthas, op. cit., pp. 325, 148. 36 Chanoine Barthas, op. cit., pp. 189, 328, 332, 134, 149, 189.

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Diable, diable! Voilà qui fait rêver...

L'opinion des astronomes


Un « miracle » tel que celui de la Cova da Iria ne pouvait qu'appeler le recours à ceux qui
suivent professionnellement les évolutions sidérales. Le directeur de l'observatoire de Lisbonne,
sollicité de donner son avis, répondit en ces termes :
« À être un phénomène cosmique, les observatoires astronomiques n'auraient pas manqué de
l'enregistrer. Et c'est précisément ce qui manque, cette notation inévitable de toute perturbation
dans le système des mondes, si petite soit-elle. Dès lors... »
- Phénomène, alors, de nature psychologique ?
- Pourquoi pas ? Effet sans doute curieux de suggestion collective. En tous cas, complètement
étranger à la branche de science que je cultive 37.
Le pieux auteur que nous suivons, lui-même, ne se hasarde pas à contester le caractère irréel
du phénomène. Le soleil, dit-il, « n'eût pas sitôt commencé son mouvement, que le monde planétaire
aurait subi une perturbation complète dans laquelle aurait certainement disparu notre pauvre globe
terrestre 38. » C'est l'évidence, en effet; mais ne s'ensuit pas que notre chanoine accepte, pour autant,
l’hypothèse de la suggestion. Pour lui, s'il y eut bien illusion chez les spectateurs, elle fut « le résultat
de phénomènes lumineux et atmosphériques extérieurs à leurs yeux et à leurs cerveaux ». « La Reine
du Ciel, nous dit-il, jouait, pour ainsi dire, avec les rayons du soleil pour produire devant eux ce
magnifique feu d'artifice qui les éblouit 39. »
Bien entendu, l'hypothèse d'un « jeu » naturel des rayons, dans une atmosphère saturée
d'humidité, n'est même pas envisagée, malgré les nombreux cas de halos extrêmement brillants
rapportés par les historiens et les chroniqueurs, qui en notent les aspects parfois extraordinaires et
les « visions » qu'ils suscitaient chez les foules naïves. Que de croix dans le ciel (ou de croissants!),
que d’armées angéliques ou de bêtes d'apocalypse furent ainsi aperçues et décrites, jadis par maints
spectateurs terrifiés, dans les siècles de foi !

La clé du mystère
Une explication beaucoup plus simple encore fut cependant donnée de ce prodige qui divisait
si violemment croyants et incrédules. Et elle vint, paradoxalement, du côté où on l'eût le moins
attendue : d'un article paru dans le journal catholique A Ordem. Le chanoine Barthas, qui reproduit
si complaisamment dans son livre les paroles et écrits des partisans du miracle, se borne, cette fois,
à résumer cet article qui, dit-il, « fut une douche froide » sur l'enthousiasme surexcité des dévots de
Fatima. Il faut nous contenter de ce « digest » ; mais, tel quel, il est encore fort éloquent :
Le long article « Le cas de Fatima » était signé A. de F., initiales qui cachaient la personnalité
de M. le Dr Domingos Pinti Coelho, jurisconsulte réputé.
» Quelques principes généraux sur le miracle, sa rareté et la prudence de l'Église pour le
reconnaître, un court résumé, assez maladroit, des événements; et puis un récit de la journée du 13:

37, 38 et 39 Chanoine Barthas, op. cit., pp. 189, 328, 332, 134, 149, 189.

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« Nous pouvons en témoigner nous-même puisque nous étions 1à, non comme pèlerin, qu'on
le note bien, mais comme curieux. »
» Puis le récit de la « danse » du soleil, analogue à tous les autres : « Pourquoi le nier ? Ces
phénomènes que nous n'avions jamais vus nous impressionnèrent fortement. Il s'établit dans les
foules une psychose collective. Et, dans sa grande généralité, sur cette multitude, passait une vague
de foi qui remuait grandement. »
» Après quoi, M. Pinto Coelho se met à faire la « critique » de ses propres sensations. Il
prétend avoir vu le lendemain le même mouvement rotatif du soleil et les changements de couleur
en le fixant. Mais sagement il recommande au lecteur de ne pas faire l'expérience lui-même, parce
que sous la lumière trop forte du soleil, les pupilles se contractent de telle manière que parfois elles
ne reviennent pas se dilater. Et alors ! ... Point final sur une si grande horreur! »
» Et ayant ainsi « éliminé le seul point extraordinaire »de la journée, il se demande: « Que
reste-t-il donc? ... Pour le moment, les affirmations de trois enfants. C'est bien peu » 40 .
N'en déplaise à notre apologiste, l'explication de M. Pinto Coelho nous parait marquée au coin
du bon sens. Quand ce témoin « prétend » avoir subi le lendemain le même éblouissement coloré que
la veille, à la Cova, il ne fait qu'énoncer une vérité d'expérience.
Qui donc ne l'a pas faite, cette expérience, au moins dans son enfance ? Et, soit dit en passant,
la « voyante »Lucia, qui ne devait pas faire exception à la règle, a pu s'en souvenir quand elle criait
à la foule fanatisée : « Regardez le soleil ! »
Les assistants lui obéirent d'autant mieux que l'astre était alors, après les averses, tel qu'une
« plaque d'argent pâle », c'est-à-dire voilé par des vapeurs, diaphanes - nous le voulons bien - mais
réelles. C'est ce qui ressort clairement des descriptions données, nonobstant les ergotages des
partisans du miracle à tout prix. Si bien voilé pouvait « le regarder sans aucune gêne », mais non
subir, quelques instants plus tard, les effets naturels de cette contemplation prolongée. Et, de fait,
tout y est : l’image « dansante » de l'astre, aux yeux de ceux qui battaient des paupières, les gerbes
de rayons et ces colorations étranges, mentionnées par certains témoins, qui semblaient s’étendre sur
le paysage pour les rétines éblouies.
Le piquant de l'affaire était que cette mise au point vînt d'un excellent catholique. Mais on a
vu qu'à La Salette à Lourdes, et en bien d’autres lieux « favorisés », quantité de fidèles et même
d'ecclésiastiques se refusaient être dupes. Plus ferme que son confrère de Lourdes, le Ferreira
persista dans son scepticisme et, ne se souciant pas de donner sa caution au prétendu miracle, préféra
changer de paroisse. Pour quitter Fatima, il n'attendit même pas que lui fût désignée une nouvelle
cure.

Un réalisateur : Mgr da Silva


L'attitude de l'abbé Ferreira n'était pas exceptionnelle, me le reconnaît l'historien de cette
« merveille du XXe siècle ».
« On peut dire que, en grande majorité, le clergé et épiscopat portugais furent indifférents,
et en partie hosti1es, aux apparitions et au mouvement populaire vers la Cova da Iria, jusqu'à ce
que, quelques années plus tard, la divine Providence eût confié le soin de les juger au très sage et
très vénéré évêque de Leiria, Mgr J. da Silva 40. »
40 Chanoine Barthas, op. cit., pp. 189, 328, 332, 134, 149, 189.

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En effet, pour promouvoir et développer ce nouveau culte « marial », la divine Providence ne
pouvait mieux faire que d'en confier le soin à un Jésuite, car on sait que la Compagnie est la grande
propagatrice de la mariolâtrie. L'Esprit Saint, donc, par le truchement du Vatican, choisit pour
occuper l'évêché de Leiria, dont dépend Fatima, un professeur de théologie au séminaire de Porto,
José Alves Correia da Silva. « Sacré le 15 mai 1920, intronisé le 5 août, il consacra son diocèse à la
Vierge dès le 15 du même mois, fête de l'Assomption. Ainsi se marquait son intention de développer
le culte qui attirerait les masses à « La Cova ».
« Des ce moment, il élaborait un plan très ample, sur la réalisation duquel il allait concentrer
tous ses efforts. Comme le chanoine Formigao, il avait une grande dévotion pour Notre-Dame de
Lourdes. Il était allé dix fois faire ses dévotions à la grotte de Massabielle. Son but très ferme fut
de créer à « La Cova » un lieu saint pareil a celui qui avait obtenu un si grand succès en ce coin,
auparavant obscur, des Pyrénées 41 . »
En premier lieu, comme à La Salette et à Lourdes, il convenait de se prémunir contre toute
variation ou rétractation de la voyante, alors âgée de treize ans. L'évêque n'y manqua pas ; et il y eut
d'autant moins de peine que le père de la fillette était mort de la grippe espagnole, à peu près à la
même époque que les deux petits pastoureaux, François et Jacinte. Quant à la mère, elle était bien
trop dévote pour oser faire obstacle à ce que souhaitait Monseigneur. Celui-ci régla donc aisément
le sort de Lucia.
« Il lui expliqua que l'intimité de ses rapports avec la Sainte Vierge lui imposait de vivre loin
du monde, en une communauté religieuse où sa place venait d'être retenue et où on l'attendait 41 bis).»
Il s'agissait d'un orphelinat, l'asile de Vilar, où Lucia allait passer quatre ans, sous le nom de
Marie-des-Douleurs.
Pour plus de sûreté, l'évêque fit promettre à l'enfant de ne pas révéler son vrai nom et de ne
jamais parler à personne de ses visions de Fatima. Pour le même motif d'incognito, elle ne fut
présentée à aucun examen. A dix sept ans, elle entrait chez les soeurs de Sainte-Dorothée, où elle
prit le voile, enfin en 1948 le Carmel de Coïmbra refermait ses portes sur elle. Jamais privilégiée du
Ciel ne fut plus hermétiquement « chambrée ».
Cependant, Mgr da Silva ne perdait pas son temps.
« Le terrain de « La Cova », ainsi déblayé de sa principale occupante 42, fut acheté peu après
à sa mère, veuve depuis deux ans, par le Prélat entreprenant, dont les projets commençaient à
prendre corps. Un pieux narrateur (le chanoine Barthas) nous confie discrètement, au tournant d'une
note destinée à montrer l'esprit chrétien de la famille Dos Santos, que l'acquisition se fit « à très bas
prix ». « Les affaires sont les affaires ». (Soit-dit en passant, cette note ne figure plus dans l'édition
donnée par le chanoine en 1957, à laquelle nous nous référons) . 43
« Le mystère se développe » ... et le commerce aussi.
Dès lors, les choses vont marcher rondement. Il faut de l'eau pour abreuver les futures foules
pèlerines. On creuse un puits en un point judicieusement choisi, et l'eau jaillit... comme dans
beaucoup de puits. Mais celle-ci, vu les projets de l’évêque, ne peut être que miraculeuse, à l'instar
de celle de Lourdes. On y attire les malades, et si, comme à la grotte de Massabielle, les guérisons
sont rares et douteuses, du moins se rattrape-t-on sur les cures « spirituelles ».
41 et 41 bis Professeur Prosper Alfaric, op. cit., p. 21.
42 Qui en eÙt été l'héritière. (Note de l'auteur)
43 Professeur Alfaric, op. cit., p. 22.

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D'ailleurs, on y prend peine : toujours selon la technique lourdaise, un bulletin est lancé en
1922, La voix de Fatima, qui tire bientôt à plusieurs centaines de mille ; puis c'est un Manuel du
Pèlerin, largement diffusé lui aussi. Des propagandistes bénévoles sont enrôlés pour former la
« Confrérie de Notre-Dame du Rosaire », puis celle des « Croisés de Fatima », et leur zèle fait
affluer à La Cova des masses de plus en plus denses de fidèles... et de donateurs.
On n'a pas attendu, pour tout cela, que la Commission canonique instituée en 1922, se soit
prononcée sur la validité des apparitions . Celle-ci ne fut reconnue qu'en 1930 par le subtil évêque,
enfin éclairé, lequel en conséquence proclama « légitime » le nouveau culte qu'il avait lui-même
organisé!
Et qu'on ne croie pas à la moindre exagération de notre part. On lit en effet dans l'ouvrage du
chanoine Barthas (p. 230) : « L'enquête ouverte en 1922, avait duré neuf ans. Ainsi le pèlerinage,
implicitement approuvé par Rome, se trouvait surveillé et organisé par l’autorité chargée de
l'approuver, bien avant que celle-ci se soit prononcée officiellement. « Nous voilà fixé une fois pour
toutes sur le sérieux des « enquêtes » canoniques ! Ajoutons cette simple remarque: si le « don des
larmes » est généreusement départi aux dévots, en revanche ils n'ont pas celui de l'humour.
Notre chanoine, lui, possède incontestablement le don de l'enthousiasme. Écoutons-le nous
décrire le « miraculeux » changement que connaît aujourd'hui l'ancienne pâture devenue propriété
diocésaine, « à très bas prix » :
« Cette Cova da Iria était un lieu désert, une « garrigue » dont seulement quelques ares
étaient cultivables. Quelques arbustres rabougris, des tas de cailloux, le silence perpétuel entre deux
visites lointaines des brebis de Lucia. Et maintenant, un vaste sanctuaire, agrandi depuis 1950 à
plus de cent hectares, avec une riche et grande basilique couvrant le tombeau des deux pastoureaux
de onze ans, deux hôpitaux, deux maisons de retraites fermées comptant ensemble plus de 500
chambres, toute une petite ville sainte de couvents et de séminaires desservies par les plus belles
routes du pays. Et d'immenses travaux d'urbanisation se poursuivent de concert entre le ministère
des Travaux publics et la direction du Sanctuaire... Et là se réunissent périodiquement des foules
priantes, avec une ferveur qu'on ne voit nulle part ailleurs, des foules se comptant par centaines de
mille et atteignant aux grands jours le Million 44. »
Mais comment s'étonnerait-on de ces résultats mirifiques ? Non seulement le zèle pieux de
Mgr da Silva et son aptitude aux affaires les expliqueraient assez, mais il faut aussi compter avec la
sollicitude spéciale que le Saint-Siège a témoignée dès l'abord à ce lieu saint qui « n'a pas encore au
monde son dernier mot », selon la forte pression du cardinal Cerejeira, patriarche de Lisbonne. Enfin
et surtout, il y a - comme on va le voir - la sensationnelle réédition que le Ciel a daigné donner du
« miracle » - éblouissant, c'est le cas de le dire - survenu à La Cova le 13 octobre 1917.

« Fatima transportée au Vatican »


Jusqu'alors, du moins à notre connaissance, quand la Reine des Cieux », portant au front la
Fulgens corona comme à Lourdes, ou, comme à La Salette, un rustique net à brides, avait fait ici-bas
une de ses visites, soit simple, soit réitérée, elle regagnait paisiblement le Ciel et tout était dit - à
charge, bien entendu, pour l'autorité diocésaine, d'établir la réalité de son apparition par une ces
enquêtes canoniques dont l'exemple de Fatima nous démontré la rigueur. Par la suite, aucun signe
céleste ne fait confirmer ou infirmer le résultat de l'expertise. Mais pour Fatima, « merveille du XXe
siècle », il en alla autrement.
44 Chanoine Barthas, op. cit., p. 254.

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Écoutons le cardinal Tedeschini, archiprêtre de la Basilique Saint-Pierre, venu à La Cova da
Iria où, par la volonté expresse du Saint-Père, se terminaient les cérémonies de I'Année sainte.
S'adressant à la foule des pèlerins, le 13 octobre 1951, anniversaire de la fameuse « danse du soleil »,
le cardinal s'écriait :
Il était quatre heures de l'après-midi des journées des 30, 31 octobre et du 1er novembre de
l'année passée 1950... Le Saint-Père se trouvant dans ses jardins du Vatican leva son regard vers le
soleil. Et alors se renouvela à ses yeux le prodige... Le disque du soleil entouré d'un halo, qui pourrait
le regarder fixement? Mais lui put le faire 45. Pendant ces trois jours, il a pu assister à la vie du soleil
sous la main de Marie. Le soleil agité, tout convulsé, transformé en tableau de vie, en spectacle de
mouvements célestes, en transmetteur de messages muets, mais éloquents, au vicaire du Christ. Et
cela, n'est-ce pas Fatima transportée au Vatican ? N'est-ce pas le Vatican transformé en Fatima 46.»
Et le cardinal concluait :
« En tous cas, le binôme Fatima-Vatican est devenu évident comme jamais durant ce saint
Jubilé 47. »

Coups de soleil
Le soleil portugais tape dur sur les têtes, même au début de l'arrière-saison. C'est une réflexion
qui vient naturellement à l'esprit devant le lyrisme exalté de l'archiprêtre de Saint-Pierre. Au reste,
en règle générale, il convient de se méfier de l'astre-roi dans les contrées méridionales : on sait
comment le pauvre Jean-des-Figues, à ce que conte Paul Arène, eut le cerveau à tout jamais
« ensoleillé », par la faute de l'âne Blanquet, qui remua inopportunément l'oreille à l'ombre de
laquelle, enfant, il dormait son sommeil innocent.
Le soleil romain, lui aussi, ne laisse pas d'être assez entêtant, pour les cerveaux mystiques tout
au moins - car en Italie nul autre que le pape ne fut favorisé de cette « vision prodigieuse ». Mais
passons...
Ce que nous retenons d'abord dans le pathos apocalyptique de l'archiprêtre, c'est que l'astre
était, entouré d'un halo », donc quelque peu voilé de brume, comme à Fatima, quand il fit toutes ces
cabrioles. Sans cela, nous doutons que le Souverain Pontife eût pu « le regarder fixement », encore
que le profil acéré de Pie XII rappelât fort celui de l'aigle qui a, dit-on, ce privilège.
En somme, le pape aurait revu trois jours de suite le fameux « prodige solaire ». Mais comment
en être surpris? Cela confirme pleinement ce que disait M. Pinto Coelho dans son article de A
Ordem : témoin oculaire à La Cova, il recommença l'expérience le lendemain et vit se reproduire
exactement le prétendu « miracle », c'est-à-dire subit le même éblouissement que la veille. On ne
s’étonne pas que feu Pie XII, aussi tenace que mystique, comme on sait, et d'ailleurs fort ami de la
publicité, ait ''voulu aller jusqu'à trois. Plutôt se demanderait-on pourquoi il s'est arrêté à ce chiffre.
On ne comprendrait pas, en effet, que le Saint Père ait si tôt renoncé à contempler « la vie du soleil
sous la main de Marie », à capter « les messages muets, mais éloquents » que lui adressait cet astre
« convulsé », et autres semblables merveilles, si l'on ne pensait pas qu'un reste de raison lui conseilla
de mettre fin à un tel exercice, si périlleux à des prunelles encore humaines... somme toute.
45 La foule portugaise, en 1917, ne l'avait-elle pas fait, et avec le même résultat ? (Note de l'auteur)
46 Le Monde, 16 octobre 1951.
47 Chanoine Barthas, op. cit., p. 139.

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Des photographies... convaincantes
Le 18 novembre 1951, l'Osservatore Romano, organe officieux du Saint-Siège, confirmait les
« visions » de Pie XII et, pour mieux assurer ses lecteurs de la réalité du prodige solaire, il publiait
deux photographies qui, disait-il, en avaient été prises en 1917. « Les reproductions montraient le
soleil au niveau de l'horizon, alors que le miracle s'était produit à midi trente 48. » De magnifiques
gerbes de rayons jaillissaient de l'astre ainsi déplacé, et l’organe papalin affirmait hardiment :
« L'origine des deux photographies que nous reproduisons est rigoureusement authentique ».
Cette fois, on tenait enfin l'oiseau rare, le miracle indéniable, dûment constaté par un objectif
impartial. Si, comme l'enseigne le professeur Lhermitte, « Dieu se retire des prises de la science
expérimentale », sa Très Sainte Mère, plus exorable en sa qualité de Médiatrice, avait permis que
le feu d'artifice offert par elle aux Portugais fût mécaniquement enregistré, pour l'édification de ses
fidèles et la confusion des sceptiques.
Hélas! il fallut bientôt déchanter, l'Associated Press et le New York Herald ayant démontré,
preuves à l'appui, que ces documents sur « le plus sensationnel miracle des temps modernes »
étaient des faux. Les vues avaient été prises, non en 1917, mais en 1922, et représentaient un effet
de lumière au coucher du soleil, qui n'avait rien de mystérieux. L'Osservatore Romano, lui-même,
dut se rendre à l'évidence... non sans protester de son entière « bonne foi ».
De plus en plus fort: une autre vision de Pie XII
Cependant, les fervents des manifestations surnaturelles, qu'avait chagrinés cette mise au point
bassement rationaliste, allaient se dédommager largement quelques années plus tard. On pouvait lire
en effet dans La Croix du 23 novembre 1955 :
« Le Bureau de presse et la Radio du Vatican ont déclaré exactes les informations données
à l'hebdomadaire Oggi par une personne de l'entourage du Souverain Pontife et selon lesquelles,
récitant, au plus vif de ses souffrances, la prière Anima Christi, S. S. Pie XII vit le Seigneur lui
apparaîre et lui annoncer que son heure n'avait pas encore sonné. »
C'était l'année précédente, lors d'une grave maladie du Saint-Père, que se serait produite cette
apparition rarissime à dire d'experts.
L'hebdomadaire Paris-Match, dans le numéro spécial qu'il consacrait à cet événement
bouleversant, ne craignait pas de titrer en gros caractères « Le doigt de Dieu sur Pie XII », et, bien
entendu, il multipliait les photographies de face, de trois-quarts, de profil et même de dos, de celui
qu'il nommait tout simplement : le premier « témoin » depuis saint Pierre 49.
Durant quelques semaines, la presse des deux hémisphères retentit de la nouvelle marque de
faveur - combien exceptionnelle cette fois! - que le Ciel avait accordée à Sa Sainteté glorieusement
régnante. Et aucun journal tholique, à notre connaissance, ne s'avisa de rappeler e pensée de saint
Jean de la Croix : « C’est le propre d'une âme vraiment humble de n'oser s’entretenir seule avec
Dieu. » Mais on sait que la vertu d'humilité n'est pas à l'usage des papes, et surtout de celui pour qui
le soleil avait dansé trois fois, en représentations privées.

48 André Ribard : 196 0 et le secret du Vatican (Libr. Robin, Paris 1954, p. 143).
49 Paris-Match, 3 décembre 1955.

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La mégalomanie sacrée
Bien des catholiques, en France notamment, se montrèrent assez gênés par le privilège éclatant,
échu à leur Souverain Pontife, de faire la conversation avec Jésus-Christ en personne. La chose est
pourtant moins surprenante qu’il ne semble, si l'on en croit le professeur Prosper Alfaric :
« Tous les papes, nous dit-il, vivent dans un état de forte tension intellectuelle. Considérés par
la masse des croyants et se considérant eux-mêmes plus encore comme intermédiaires attitrés entre
Dieu et les hommes, habitués à voir s'agenouiller devant eux les plus hauts représentants du monde
catholique, qui viennent solliciter leur probation, leur direction et leur bénédiction, ils sont sujets
à une sorte d'exaltation fiévreuse qui met leur équilibre nerveux à une rude épreuve. »
Et le professeur cite la réponse d'un parent de Léon XIII aux questions qu'on lui posait sur
ce « grand Pape » :
« Oh! il est comme tous ses pareils! Dès qu'ils sont montés sur le siège de Pierre, ils se
prennent pour Dieu le Père 50. »
La formule est plaisante, et le Pastor Angelicus, entre tous les pontifes, excellait à la justifier.

Appellation incontrôlée
Voir le soleil danser trois fois « sous la main de Marie » - puis, recevoir la visite, à son chevet,
de Jésus-Christ lui-même - un tel redoublement de grâces extraordinaires ne peut favoriser qu'un
saint. Il semble donc qu'en l'occurrence le Ciel ait quelque peu anticipé, et décerné en quelque sorte
l'auréole à Pie XII dès avant son procès de canonisation. Deux grâces aussi opportunes ne
manquèrent pas de prêter à quelque suspicion, et certains esprits malveillants n'ont pas craint
d'insinuer qu'elles pourraient avoir été « préfabriquées » en vue, précisément, de l'élévation du
« grand pape » sur les autels... Ces sceptiques ont même rappelé à ce propos le distique fameux :
Deux précautions valent mieux qu'une,
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.
Quoi qu'il en soit de l'authenticité de ces charismes, ils nous paraissent soulever une question
d'une portée beaucoup plus générale : celle de la canonisation des papes.
Il y aurait donc, parmi eux, des saints et des non saints? L'hypothèse est étrange: le « vicaire
du Christ » ne serait-il pas saint par définition? Que signifie alors le titre de « Sa Sainteté », dont il
se pare? Quelques pontifes seulement le porteraient-ils à bon droit, tandis que les autres s'en
glorifieraient indûment? Y aurait-il, là encore, beaucoup d'appelés, mais peu d'élus?
A la vérité, nous trouvons le procédé fort désobligeant, voire diffamatoire, pour tous ces
Saints-Pères dont la sainteté ne fut pas confirmée par la Sacrée Congrégation des Rites.

Le « binôme » Fatima-Vatican
Par ce terme d'algèbre, assez drôlatique en l'espèce, le bouillant cardinal Tedeschini exprimait
une liaison effectivement fort étroite.

50 Professeur Alfaric, op. cit., p. 35.

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En 1917, ce sont les « prières pour la paix » (en faveur Austro-Allemands), ordonnées par
Benoit XV, le pape boche, qui déclenchent les visions de Lucia 51, et ce pontife parle du « secours
extraordinaire » que celles-ci auraient constitué. Puis, c'est Pie XI qui multiplie « les indulgences et
les autorisations liturgiques, en faveur du culte nouveau ». « Quant à son successeur (Pie XII), écrit
le chanoine Barthas, nous renonçons à publier toutes ses paroles et tous ses gestes en faveur de Celle
qui se montrait aux petits pastoureaux à l'heure même où il recevait à la Sixtine la consécration
épiscopale 52. » Le rapprochement est flatteur... et combien édifiant quant a mégalomanie dont nous
venons de parler ci-dessus! Il faut observer, au surplus, que Mgr Pacelli, futur Pie XII, était peu après
nommé nonce à Munich, et qu'il aillait poursuivre une carrière de prélat diplomate tendant
entièrement à assurer l'hégémonie allemande en Europe, sous les pontificats de Benoît XV et de Pie
XI, avant de ceindre lui-même la tiare et d'intervenir en son nom personnel dans le salmigondis
mystico-politique de Fatima, entreprise de la meilleure tradition vaticane - ou jésuitique, c'est tout
un. N'est-il pas significatif, en effet, que la fameuse Compagnie soit si bien représentée, dans cette
merveilleuse » histoire, par le patriarche Cerejeira, le réalisateur » Mgr da Silva, le chanoine da
Fonseca, inspirateur de son confrère Barthas, etc.?

Les premiers fruits de la grâce


Les « prières pour la paix » de 1917 n'avaient pas eu sur le moral des Alliés tout l'effet
dissolvant qu'on en attendait. Le projet de paix séparée avait tourné court, malgré le solide appui du
Saint-Siège... et l'annonce formelle qu'avait faite Notre-Dame du chêne vert. Mais du moins, sur le
plan local, l'apparition de celle-ci se révélait fort « fructifiante ». Une propagande intense en faveur
du culte nouveau, « implicitement approuvé par Rome », exaltait le sentiment religieux du peuple
et de la bourgeoisie. Les jésuites, jadis chassés par le marquis de Pombal, allaient recouvrer toute
leur puissance sous le dictateur Salazar. Dans le clergé portugais, l'opposition à Fatima s'affaiblissait
de jour en jour. Écoutons notre chanoine nous exposer comment Mgr Domingos Frutuoso,
« vénérable évêque de Portalegre », un des derniers résistants, vint enfin à résipiscence après une
visite à Rome en 1929 :
« D'après certains bruits, ce changement subit aurait eu lieu à la suite d'une consultation
directe et personnelle du Souverain Pontife, qui l'aurait encouragé à faire la comparaison entre le
nombre de ses séminaristes avant et depuis Fatima, et l'aurait invité à en remercier la Dame du
chêne vert 53. »
On ne saurait parler plus clair. Comment le vénérable évêque aurait-il résisté à un argument
de cette force, issu d'une théologie résolument utilitaire?

51 Nous n'avons pas voulu charger cette histoire, assez embrouillée déjà, de certaines apparitions d'un « Ange
de la Paix » en 1916, donc, avant celles de la Vierge, que la carm élite Lucia a retro uvées dans son iné puisable mémo ire...
en 1942.
52 Chanoine Barthas, op. cit., p. 232.
Elle avait même à ce sujet des idées bien précises, encore ignorées du public à cause du « secret » si jalousement
gardé par soeur Lucia. Vint la deuxième guerre mondiale, préparée et provoquée par ce Hitler qui avait conclu ave c le
Vatican un Concordat fort avantageux pour l'Église...
53 Chanoine Barthas, op. cit., p. 230.

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Autres fruits... mal venus
Le Portugal - ou, plus précisément, l'Église portugaise - avait donc bénéficié des premières
grâces de la Dame du chêne vert. Mais il est clair que celle-ci ne pouvait limiter son action
bienfaisante au seul pays de Salazar. Apparue en 1917, pour annoncer la fin de la première guerre
mondiale (avec une erreur d'un an, il est vrai), ses intentions ne pouvaient être qu'à l'échelle
internationale. Elle avait à ce sujet des idées bien précises, encore ignorées du public à cause du «
secret » si jalousement gardé par soeur Lucia. Vint la deuxième guerre mondiale, préparée et
provoquée par ce Hitler qui avait conclu avec le Vatican un Concordat fort avantageux pour
l’église... et, plus secrètement, un accord fort avantageux pour lui-même. Tout alla bien d'abord : la
France impie était battue et occupée, et l'invincible Wehrmacht avançait dans la Russie orthodoxe
à pas de géant, suivie des jésuites convertisseurs.
Hélas ! cela ne dura pas. En 1942, l'armée allemande en retraite se trouvait dans une situation
plus que difficile à Stalingrad. Ce fut alors que Pie XII, éclairé par le Saint-Esprit, fit publier urbi
et orbi les « ressouvenirs » de Lucia, la voyante extra-lucide de La Cova, ressouvenirs si bien adaptés
à la situation du moment. Et le monde étonné apprit que la Vierge avait tout prévu dès 1917 : la
deuxième guerre, le danger que la Russie ferait courir à la « chrétienté », et donc la nécessité de la
« convertir », après l'avoir vaincue, bien entendu.
En somme, Notre-Dame se révélait, avec quelque retard, anticommuniste et pro-hitlérienne.
Pour assurer au monde une ère de paix dans « l'Ordre nouveau »... et nazi, que demandait-Elle?
Beaucoup de chapelets, cela va sans ire, la Consécration de la Russie à son Coeur Immaculé... et
surtout - bien qu'Elle ne le dît pas expressément - beaucoup de volontaires. Le Vatican s'empressa
d'obtempérer à ces désirs, mais ses efforts pour satisfaire le dernier n’eurent qu'un succès mitigé.
Ainsi, comme lors de la première guerre, Notre-Dame ne put empêcher la défaite de ses champions.

Qui va deux va trois


Ce deuxième échec, si cuisant fût-il, ne suffit pas à décourager un pontife bien pénétré de la
vérité du proverbe : Aide-toi, le Ciel t'aidera. Patiemment, il reprend l’affaire sur nouveaux frais. Le
plus urgent est d'effacer la souillure de tant de crimes inhumains dont l'Allemagne s'est chargée.
Référons-nous encore une fois au chanoine Barthas, qui nous renseigne sur l'origine de la « Route
mondiale », cette promenade autour du globe que va exécuter en effigie Notre-Dame de Fatima :
« Enfin, en mai 1945 les armes se taisent. En Allemagne, on a la crainte que le peuple d’Hitler
ne soit trop humilié et puni de son nazisme. Pensant à cela, les curés catholiques de Berlin émettent
l'idée d'un voyage d'une vierge, analogue à celle du Grand Retour en France, mais passant à travers
les frontières des divers peuples de l'Europe, pour y rappeler la loi de fraternité humaine et
chrétienne. Et pourquoi pas Notre-Dame de Fatima dont le message a manifestement une intention
de paix 54 ? »
Voilà qui est fort « éclairant », surtout si l'on y ajoute les paroles de soeur Lucia elle-même,
la veille du départ :
« Cette Vierge arrivera jusqu'aux confins de la Russie, et là il faudra beaucoup prier pour
qu'elle arrive à Moscou. Et lorsqu'elle aura terminé son périple, il sera intéressant de l'offrir au
Saint-Père 55. »
54 et 55 Chano ine Barthas, op. cit., pp. 273 ss.

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Le lendemain 13 mai 1947, la statue fut couronnée à La Cova da Iria, et « ...une jeune fille
russe, Mlle Natacha Derfelden, lut une consécration de la Russie au Coeur Immaculé, composée par
elle 56. »
On ne peut en douter, le déplacement de Notre-Dame est organisé à des fins bien précises :
c’est du tourisme politique.

La « Route mondiale »
Voilà donc la statue de l'Immaculée pérégrinant à travers l'Europe, selon un itinéraire marqué
par toutes sortes de « merveilles corporelles et spirituelles » ...et par le châtiment exemplaire de
quelques impies. Mais, on le sait, l'appétit vient en mangeant et le goût des voyages se développe
à proportion que l'on y cède. A peine de retour dans son sanctuaire, Notre-Dame va repartir, cette
fois pour l'Afrique. Puis ce sera l'Asie, etc. La Route européenne deviendra la Route mondiale.
Il faut remarquer, du reste, que la Dame avait fait coup double en choisissant, pour s'y
manifester un village au nom incontestablement arabe, Fatima. Ainsi se nommait la fille du Prophète.
Bonne occasion de renouveler l'astuce des « rites malabares » mélangés à la liturgie catholique,
équivoque qui avait si bien réussi jadis aux Jésuites. Quasiment camouflée en musulmane, la Vierge
allait recevoir, dans ses nouveaux voyages, les hommages des fidèles de Mahomet... et contribuer
à établir ce « front ,commun islamo-catholique » qui allait bientôt se manifester en Algérie pour le
plus grand mal de la France.
Nous ne pouvons, à notre grand regret, suivre cette Vierge ambiguë tout au long de ses étapes
africaines : Madère, le Cap Vert, les Açores, l'Angola, le Mozambique, le Natal, le Cap, Zanzibar,
le Kenya, la Rodhésie, etc. Mentionnons seulement l'accueil enthousiaste des Basutos, ce qui n a rien
de surprenant, vu la fervente dévotion à Marie de ces indigènes de l'Afrique australe. On a pu lire
en effet dans La Croix:
« Le 18 août 1946, les chefs basutos ont solennellement consacré leur pays au Coeur
Immaculé de Marie, au cours d'une magnifique cérémonie, la plus émouvante que le Basutoland ait
jamais connue. A cette occasion, le télégramme suivant fut adressé au Saint-Père : « Les chefs
suprêmes et la nation basuto se consacrent en ce jour au Coeur Immaculé de Marie, prient aux
intentions du pape et implorent sa Bénédiction 57. »
Espérons que Sa Sainteté aura promptement exaucé ces noirs adorateurs de la Très Blanche.

Pluie de miracles
L'itinéraire asiatique ne fut pas moins triomphal que l'itinéraire africain, bien au contraire.
Goa, le Maduré, Bombay, le Bangalore, Ceylan - ou du moins les missions catholiques dans ces pays
- reçoivent avec une extra-ordinaire ferveur la Dame qui « voyage en train fleuri, dans un
wagon-chapelle ». Puis, c'est l'Indonésie, l'Australie, l'Océanie. « En septembre, nous la trouvons en
Papouasie, remplissant de joie missionnaires, néophytes et païens 58. »

56 Chano ine Barthas, op. cit., pp. 273 ss.


57 La Croix, 14 décembre 1946.
58 Chanoine Barthas, pp. 286, 290, 354, 294 à 296, 290.

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E t partout les miracles pleuvent. « Mgr l'évêque de Leiria reçoit des lettres et des journaux des
pays traversés rapportant des prodiges atmosphériques analogues a ceux de 1917 à La Cova da
Iria... 59! Dans l’île de Ceylan surtout, le soleil danse avec ardeur, en projetant des rayons
polychromes, à Negombo, à Wattala, à Pettah, à Kochchikade et autres lieux, ainsi qu'à Colombo,
la capitale 60.
En somme, « le plus sensationnel miracle des temps modernes » est en passe de devenir le plus
banal !
Ce n'est pas tout : qui pourrait dénombrer les signes prodigieux qui fleurissent sur les pas de
l'Immaculée ?
« L'un des plus beaux ornements » de la Route mondiale, c'est certainement le gracieux
prodige des blanches colombes, si mystérieusement attirées par les statues bénites de Notre-Dame
de Fatima... Ce qui frappe le plus les témoins, c'est l'attitude « religieuse » de ces volatiles 61. »
Cette attitude a édifié les foules, nous dit-on, « une cinquantaine de fois », tant au Portugal
qu'en Espagne, en Colombie (bien entendu), dans l'Angola, à Addis-Abéba et jusqu'à Haïphong.
Mais il y a mieux encore.
« Nous possédons, écrit le chanoine Barthas, des documents authentiques (lettres de
missionnaires, récits de témoins, articles de journaux, etc.) mentionnant des gestes de vénération
envers la Madone faits par d'autres animaux, moutons, chèvres, éléphants 62. »
Eh oui ! pour la confusion des sceptiques, ainsi se comportèrent, parait-il, ces intelligents
quadrupèdes. Ce qui nous surprend, c'est qu'ils n'aient pas pris la parole, comme jadis l'âne de
Balaam.
En tout cas, nous voilà pleinement rassuré sur l'avenir de la mariolâtrie. Si ce culte « spirituel »
venait à s'étioler en Occident sous le souffle d'un desséchant rationalisme, il fleurirait encore chez
les Papous, les Basutos, voire les pachydermes, les caprins... et surtout les moutons.

Fatima et les destins du monde


« Fatima est devenu un carrefour... C'est là, mieux qu'autour des tapis verts, que peut se jouer
le destin des nations 63. »
Ainsi nous avertit l'organe papalin. C'est pourquoi, sur tous les continents, de Lisbonne à
Haïphong, de Rome à. Washington - car il y eut aussi une « Route » en Amérique, parcourue par une
autre statue bénite de la Dame - des foules exaltées ont prié pour la conversion de la Russie, pour
son retour au giron de l'Église romaine.
Ce n'est pas que cet acte de résipiscence fasse le moindre doute, d'ailleurs, puisque, dans le
« cahier » de soeur Lucia remis aux autorités ecclésiastiques, il est bien spécifié :
« La Russie se convertira et un temps de paix sera donné au monde. »
Mais voilà, que se passera-t-il entre temps ? Car il y a un « troisième élément du secret », qui
se place avant cet heureux événement et n'a pas été révélé. Voyons ce qu'en dit notre chanoine :
59 à 62 Chanoine Barthas, pp. 286, 290, 354, 294 à 296, 290.
63 La Croix, l er novembre 1952.

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« Quand est-ce que le troisième élément du secret nous sera dévoilé?
» Déjà en 1946, à cette question, Lucia et Monseigneur l'évêque de Leiria me répondirent
uniformément, sans hésitation et sans commentaire : « En 1960 ».
» Et lorsque je poussai l'audace jusqu'à demander pourquoi il fallait attendre jusque-là,
j'obtins pour toute réponse de l'un comme de l'autre :
» - Parce que la Sainte Vierge le veut ainsi 64. »
Certes, la raison est péremptoire. Au reste, il n'y a plus longtemps à attendre l'ouverture de
cette « enveloppe scellée, déposée dans le secrétaire de Mgr l'évêque de Leiria », où sont enclos les
arcanes de l'avenir.
Nous voulons croire que le digne évêque fait bonne garde autour d'un dépôt si précieux, bien
propre à exciter la convoitise de tous les Services secrets.
Quant à nous profanes, il ne nous reste qu'à garder pieusement l'espérance, cette vertu
théologale - non sans nous demander parfois avec quelque inquiétude: « Le monde aura-t-il récité
assez de chapelets ? »

Le Vatican acculé à une impasse terrible


Depuis que nous avons écrit les lignes ci-dessus, le temps a passé sans que soit publié le
contenu de la fameuse « enveloppe scellée », malgré la « promesse » non équivoque de la Sainte
Vierge elle-même. De ce fait, le « destin des nations » reste enveloppé de mystère. Tant pis pour les
croyants, mis en appétit de révélations sensationnelles par l'intense « battage » organise naguère dans
la presse et dans l'édition catholiques. Il apparaît qu'en fin de compte - et une fois de plus - les
affamés auront crié en vain et ne seront pas « rassasiés ».
Pourtant, on le sait, la faim est mauvaise conseillère les suppositions les plus sinistres ont
couru et courent encore, touchant ce « troisième élément du secret » que le Vatican s'obstine à ne
point dévoiler. Est-il à ce point terrible que le Saint-Père se croit autorisé à passer outre à la volonté
expresse de la Vierge ? Verra-t-on encore, comme ce fut le cas pour « le secret de La Salette », le
Saint-Office censurer la « mère de Dieu » en conservant ses prédictions « sous le boisseau » - faute
de pouvoir les inscrire à l'Index ?
Devant une telle attitude le monde catholique s'interroge, et ce ne sont pas les commentaires
embarrassés parus dans la presse romaine qui le tireront d'anxiété. Le 18 juin 1960, la Civiltà
cattolica, organe « autorisé » s'il e fut, qualifiait même de « morbide » la dite anxiété. La revue
jésuite rappelle « la sage prudence et la délicate réserve de l'Église, laquelle n'encourage pas les
nouvelles larmistes de ce genre » 65. Mais si les fidèles s'alarment, qui la faute? L'immense et
tapageuse publicité menée autour des « révélations » de soeur Lucia, depuis tant d’années,
n'avait-elle donc pas l'agrément de cette Église « prudente » ? Était-ce contre son gré que La Croix,
organe de la pensée pontificale », faisait se jouer « le destin des nations » au « carrefour » de Fatima?
Que les plus hauts prélats célébraient urbi et orbi l'incalculable portée du fameux « message » ? Et
que le patriarche de ise, le cardinal Roncalli, futur Jean XXIII prenant la parole à La Cova de Iria en
1956, louait le Saint-Père Pie XII, disait-il, « reconnaissait désormais, attestait, proclamait la
projection mondiale de Fatima » 66 ?
64 Chanoine Barthas, op. cit., p. 83.
65 Citée par La Documentation catbolique, 7 août 1960. 66 L'Osservatore Romano, 2 octobre 1959.

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Le benoît lecteur ne saurait oublier de pareilles déclarations et l'on est mal venu de lui suggérer
maintenant que : « la dernière partie du message de Fatima pourrait aussi contenir seulement une
invitation à la prière et à la pénitence » 67. » Ainsi, la montagne, une fois encore, n'accouche que
d’une souris - et personne ne veut endosser la paternité du ridiculus mus.
C'est à qui tirera son épingle du jeu. Qui « gonfla » démesurément cette décevante montagne?
Personne apparemment. Serait-ce donc un cas de grossesse nerveuse? Le cardinal Cerejeira,
patriarche de Lisbonne et l'un principaux « inventeurs » de Fatima, se défend comme un beau diable
- si l'on ose dire - d'avoir participé peu que ce soit à la propagation de ces « rumeurs ». L’évêque de
Leiria se récuse aussi vivement. Quant au Révérend Augusto Fuentes, postulateur de la cause de
béatification de Jacinthe et Francisco, les deux petits camarade de Lucia, il semblait fort compromis
par certaines déclarations sensationnelles d'ordre apocalyptique, eschatologique et prophétique »,
qu'il aurait faites après ses entrevues avec la « voyante ». Celle-ci avait même pris soin de le
désavouer: « Nous avons traité ensemble uniquement des choses qui concernent ce sujet (le procès
en béatification). Aussi, tout ce qu'il a pu rapporter de plus n'est ni exact, ni véridique, et je le
déplore » 68.
Mais, aux dernières nouvelles, les autorités ecclésiastiques démentent que ce prêtre mexicain
se soit laissé aller à dire de prochains cataclysmes, comme le publiait A Voz, de Lisbonne, avec
documents à l'appui.
En somme, nul ne se soucie de servir de bouc émissaire. Il en fallait un cependant, pour se
conformer à une vénérable tradition. A qui allait-on distribuer ce rôle éminemment ingrat, sinon à
un acteur qui ne saurait le refuser - et pour cause... C'est donc à un mort que l'on renvoie désormais
les curieux - et, par un juste retour des choses, ce responsable, au mutisme bien assuré, n'est autre
que le promoteur numéro un de Fatima, feu Mgr Jose Correira da Silva lui-même.
Écoutons à ce sujet Mgr Antonio Borges, recteur du sanctuaire de Fatima :
« En réalité, tout de suite après la dernière guerre, soeur Lucia remit à Mgr Correia da Silva,
décédé depuis, une lettre qui - d'après lui - contenait quelque chose qui devait être lu en 1960, si elle
n'était pas morte avant cette date 69. »
Ce « d'après lui » en dit beaucoup plus qu'il n'est gros.
Depuis lors, à en croire tous ces vénérables prélats, on ignore ce qu'est devenu le « quelque
chose » si précieux pour les destins du monde. S. Em. le cardinal Cerejeira l'affirma du moins à un
envoyé du Diaro de Noticias :
« - Qu'est-il advenu de la lettre après la mort de l'évêque de Leiria ?
» - Sincèrement, je ne le sais pas. le n'ai rien entendu dire à ce sujet... Ce document doit être
au Vatican et Sa Sainteté doit en connaître le contenu. »
Cependant, le journaliste portugais ne se tint pas pour satisfait:
« Mais Lucie elle-même n'a-t-elle pas précisé - et nous pensons que c'était là la volonté de
Notre-Dame de Fatima - que le secret devait être révélé en 1960 ? »

67 Il nostro Tempo, de Turin, 26 mai 1960.


68 La D ocumentation ca tholique, 7 ao ût 1960, p p. 98 1-98 2.
69 La Documentation catholique, 7 août 1960, pp. 980-981.

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C'est bien, en effet, ce que l'on nous avait affirmé jusqu'ici. Mais on ne prend pas de court un
porporato. Admirons la parade :
« - Il est de notoriété publique que Lucie a eu de nouvelles manifestations surnaturelles... je
ne peux rien dire par conséquent en ce qui concerne l'opportunité de la divulgation du secret 70. »
En bon portugais, cela signifie sans doute que la Sainte Vierge a changé d'avis entre-temps -
et qu'elle en a informé sa confidente, comme il se doit, par de « nouvelles manifestations
surnaturelles ».
Que les croyants se tranquillisent donc: si les prélats portugais et romains, et le pape soi-même,
laissent obstinément « sous le boisseau » le fameux « quelque chose », c'est sur l'ordre exprès de la
Sainte Vierge - et non, comme l'insinuent certains esprits malins, parce que les événements ont fait
mentir la prophétie.

LIVRE QUATRIÈME

« Dire que Dieu fait des miracles, c'est dire qu'il se contredit lui-même; qu'il dément des lois
qu'il a prescrites à la nature; qu'il rend inutile la raison humaine, dont on le fait l'auteur.
» Il n'y a que les imposteurs qui puissent nous dire de renoncer à l'expérience et de bannir la
raison. »
Baron Paul-Henri d’Holbach

« Depuis le Concile du Vatican, avec la constitution Dei Filius, la plupart des théologiens
considèrent les miracles comme des preuves extérieures de la Révélation. »
Révérend Père Réginald-Omez.

« L’Éducation religieuse que reçoivent nos enfants ne diffère pas sensiblement de celle que
les missionnaires donnent aux cannibales.
« Nous méritons mieux » Leco mte du No üy.

« Reconnaissons que la superstition s’est emparée de l’imbécillité des hommes. »


Cicéron

70 La documentation catholique, 19 juin 1960, pp. 751-752

La statue du Christ qui saigne :


« Au 29 de la rue des Carnes, à Nancy, la voix de Dieu, enregistrée au magnétophone par le
Révérend Père Michel Collin. A côté du magnétophone en voie une statue du Christ en plâtre. De

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larges traînées de sang séché descendent de la tête jusqu’aux pieds...»
Paris-Presse, 6 septembre 1960.

« Dans son jardin le R. P. Michel Collin édifia une réplique de la grotte de Lourdes... les
fidèles se pressent dans son oratoire... Il promettait des miracles et des guérisons... Ses miracles lui
ont rapporté 6 millions de Frs... »
Paris-Presse, 23 et 24 juin 1962.

« Vous avez devant vous la reproduction de la fameuse statue de Sainte Anne d'Entrevaux avec
laquelle j'ai mystifié le monde entier pendant sept ans. »
Jean Salvade
(France-Dimanche, 2 août 1962 ).

Concurrence loyale ou déloyale?


«Quatre escrocs comparaissent devant la 13e Chambre de la Seine pour cet abus de confiance
que fut l'affaire des faux miracles de Sainte Anne d'Entrevaux... Un culte s'établit. Une chapelle fut
installée... des médailles étaient vendues 300 frs, des statuettes, 700 frs... »
La Croix, 23 septembre 1962.

La statue de Sainte Anne d'Entrevaux. Faussaire de la dévotion :


« Nul n'a porté plainte (pas même l'Église romaine). Où est l'escroquerie? Six avocats
interrogés n'ont pu me tracer la frontière entre l'exploitation de la crédulité humaine et la véritable
escroquerie... »
Sylvie de Nussac.

« Un fossé s'est creusé entre théologiens et mariologie... l'aile marchante du catholicisme


français, spécialement les prêtres les plus engagés dans l'évangélisation, mettent en veilleuse
l'aspect marial de la spiritualité, tant dans ce qu'ils vivent que dans ce qu'ils pensent... L'abondance
du mouvement marial paraît fiévreuse, son développement spécialisé, en partie pathologique. »
Chanoine René Laurentin
(La Question mariale, Imprimatur 1963).

« Chaque saint a sa spécialité: l'un guérit les maux de tête, l'autre les maux d'estomac. Saint
Antoine fait retrouver les objets perdus et saint Marc protège les animaux. Les dévotions sont
multiples et les pèlerinages innombrables. Quant aux reliques, mieux vaut ne pas les expertiser de
trop près... »
Père jésuite A. Desqueyrat.
(Imprimatur 1962).

« On sait l'importance qui est accordée aux miracles dans les procès de béatification ou de

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canonisation. »
» L'Église les exige. » Rév. Père Réginald-Omez.

CELLE QUI SAIGNE...


ou
comment on fait les miracles

Sommaire
Sainte Anne, grand-mère de Jésus, traitée en parente pauvre par l'Église romaine, prend une
éclatante revanche : sa statue se met à saigner à Entrevaux (Basses Alpes), le jour du massacre des
Innocents. - Un phénomène similaire était survenu l'année précédente à Syracuse (Sicile): une Vierge
de plâtre versa d'abondantes larmes. - Ce « miracle » fut « approuvé » à l'unanimité par les évêques
siciliens.
Sainte Anne au cabaret - Sa statuette qui sert de « mascotte » au patron, dans une partie de
poker, tombe à terre et a un doigt cassé - le lendemain, la « plaie »saigne devant des témoins
émerveillés - Une salle de café transformée en chapelle - Les « miracles » se succèdent : un voile
bleu descend sur la maison, il pleut sous un ciel étoilé, une veilleuse lance une grande flamme vers
le plafond.
Une hypothèse pieuse : les singuliers événements de Syracuse et d'Entrevaux seraient-ils un
prélude surnaturel à « l'Année mariale » ?
Sainte Anne, mise en vitrine sous scellés, ne saigne plus, mais les pèlerins d'Entrevaux n'en
sont pas découragés - Le patron du café, M. Salvade, entreprend une tournée des villes de France
pour exhiber sa statuette, qui opère des guérisons miraculeuses. Elle fait marcher les paralytiques et
rend la santé au pape Pie XII.
Sept ans plus tard, coup de théâtre : « J'ai mystifié un million de croyants », écrit M. Salvade.
- Une « confession » instructive: comment on fait saigner une statue de bois - comment on obtient
une pluie « miraculeuse »avec une gouttière crevée - un « voile bleu » au moyen d'un feu de Bengale
- et une flamme gigantesque avec une pincée de poudre de chasse.
Morale de l'histoire : il ne faut pas grand-chose pour faire du « surnaturel », mais la foi des
témoins est l'ingrédient indispensable - Un précédent à l'affaire d'Entrevaux : certain champignon
rouge microscopique est à l'origine de « l'hostie sanglante » de Bolsena, miracle reconnu par l'Église
romaine, et « qu'un fidèle ne peut refuser d'accepter », selon M. Daniel-Rops.
Étrange attitude de l'Église romaine dans l'affaire d'Entrevaux : inertie totale des autorités
religieuses, pas d'enquête canonique, pas de mise en garde des fidèles contre la supercherie et son
exploitation commerciale, poursuivie jusque dans la « salle des pèlerins » de Lisieux, fief de sainte
Thérèse.
Faut-il rappeler le proverbe : « La parole est d'argent, mais le silence est d'or. »

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« Pierre-le-Grand ayant appris que des moines possédaient une statue qui pleurait en signe
de mécontentement de sa politique, leur fit savoir qu'ils risquaient d'être tous pendus.
» Immédiatement la statue cessa de pleurer ! »
Marcel Guichard.

« L'Église a inscrit à son calendrier une fête des Apparitions de Lourdes, au 11 février. »
Mgr Cristiani.

Léon Bloy, ce fils turbulent de l'Église, qui ne se montra pas toujours respectueux à l’égard de
sa très Sainte Mère, ne laissait pas pourtant d'être mystique - et l'on sait qu'il consacra des pages d'un
lyrisme flamboyant à la Vierge de La Salette, baptisée par lui : « Celle qui pleure ». Que n'a-t-il vécu
assez longtemps pour rendre hommage semblable à la statue miraculeuse d'Entrevaux, sous le nom
de : « Celle qui saigne » !
La Parque inexorable nous a privés de ce chef-d'oeuvre. A sa place - est-ce un signe des temps?
- nous avons sur le dit sujet un ouvrage plein d'intérêt, certes, et propre à nous instruire, mais hélas!
d'un regrettable prosaïsme.
Toutefois, avant que d'exposer les faits, on nous permettra de rappeler ce que nous écrivions
plus haut à propos de la prétendue Vierge de Lourdes : selon nous, la Dame qui apparut, dit-on, à
Bernadette Soubirous, et qui se présenta sous le nom étrange d'« Immaculée Conception », devait
être sainte Anne et non Marie. En effet, la conception - maculée ou immaculée - étant l'action de
concevoir, il est clair que si ce mot, par une ellipse hardie, eut s'appliquer à quelqu'un, c'est à la mère
et non pas à l’enfant.
Cette thèse, qui vient naturellement à l'esprit, n'a pas eu l'agrément de l'Église romaine, à qui
la logique est suspecte, comme on le sait depuis Tertullien et son fameux credibile quia ineptum. Du
reste, le standing de sainte Anne au sein du monde catholique ne saurait être comparé à celui de sa
fille - et c'en était assez pour trancher la question.
Cependant, la pauvre sainte, ainsi frustrée des hommages des pèlerins, allait avoir enfin son
heure de revanche - une heure choisie, semble-t-il, avec un grand sens de l'opportunité. En effet, ce
fut peu après Noël, anniversaire de la naissance du Sauveur, que sa grand-mère, lasse sans doute de
cette inglorieuse pénombre où on la reléguait, entreprit de se rappeler au souvenir des foules en
opérant un miracle éclatant. La nouvelle année n'était pas commencée, que le monde étonné
apprenait ce prodige : le 28 décembre 1954, à Entrevaux, petite ville des Basses-Alpes, le sang
coulait d'une statuette de sainte Anne dont un doigt avait été cassé.
En Italie, nous l'avons dit plus haut, de tels phénomènes ne sont pas rares, surtout en temps de
consultation électorale, et s'ils excitent toujours l'enthousiasme des foules, il ne s'y mêle guère
d'étonnement. Ainsi, à Syracuse, l'année précédente, en 1953, une Madone de plâtre avait pleuré
pendant trois jours chez un ouvrier communiste - affligée sans doute par le sort qui attendait ce
mécréant dans l'Au-delà.
Quant aux sceptiques qui seraient tentés de douter de la chose, on ne peut que les renvoyer à
l'information suivante parue dans La Croix du 15 décembre 1953 :
« Les évêques de Sicile, lors de leur réunion annuelle, à Bagheria (Palerme), ont entendu le
long exposé de Mgr Ettore Baranzini, archevêque de Syracuse, au sujet de la « lacrymation » de

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l'image du Coeur immaculé de Marie, survenue les 29, 30, 31 août, et le ler septembre de cette année,
à Syracuse. Après avoir examiné attentivement les témoignages et les documents originaux, ils ont
conclu à l'unanimité que l'on ne peut mettre en doute la réalité de la « lacrymation ». Les évêques
souhaitent que soit rapidement construit un sanctuaire en souvenir du prodige. »
La cause est donc entendue, et honni soit qui mal y pense !
En France, les personnages célestes observent en général une attitude plus réservée. Le
saignement du doigt de sainte Anne, à Entrevaux, n'en prenait que plus d'importance - d'autant qu'il
semblait pur de toute intention politique.
A vrai dire, les circonstances et le lieu même du miracle apparaissent quelque peu insolites,
les hôtes du Ciel n'ayant pas accoutumé de se manifester dans une salle de café, devant des joueurs
de poker. Passe encore s'il se fût agi de Marie l'Egyptienne ou de Madeleine, la Repentie... Mais la
mère immaculée de la Vierge!

Un « tiercé » de miracles
Voici pourtant ce qui s'était passé dans la petite ville des Basses-Alpes : M. jean Salvade,
ex-barman niçois, y avait pris en gérance l'hôtel-restaurant du Var, où il semble que les clients étaient
rares, surtout durant l'hiver. Dans une vente par justice, M. Salvade acquit pour 1250 francs une
statuette en bois peint du XVIIIe siècle : sainte Anne apprenant à lire à sa fille Marie.
Un soir que le gérant jouait au poker avec trois partenaires du cru, il posa près de lui la
statuette, en guise de « mascotte ». Mais un geste inconsidéré fit tomber sur le sol sainte Anne, qui
eut un doigt cassé.
L'hebdomadaire Carrefour rapporte ainsi la suite, dans son numéro du 6 janvier 1954 :
« Je le recollerai, dit le patron ennuyé. Elle sera aussi belle qu'avant.
» Tout le dimanche, la statue demeura dans l'arrière salle, avec sa main mutilée, sans que
personne s'inquiétât d'elle. Le lundi matin, en allant prendre une veste de travail, Jean Salvade
remarqua du sang sur la table. Quelqu'un dans la maison s'était-il blessé ? Non. On vit alors qu'il
y avait aussi du sang sur le doigt.
» Tel fut le premier « miracle ». Le second eut lieu moins d'une heure plus tard, lorsque le
docteur Jean-Louis Monner, appelé d'urgence, entreprit de gratter la croûte coagulée pour examiner
la blessure ». Immédiatement, une goutte de sang se forma, suivie d'une seconde. On avait apporté
un verre. En une demi-heure, devant Vingt témoins, une trentaine de gouttes l'avaient à demi empli
» Le soir même, le morceau de bois saigna de nouveau. Et une quatrième fois, enfin, dans la
nuit du 29 au 30 décembre. Durant ces trois journées. Dieu sait si les esprits s'exaltent! On a cru
voir un voile bleu » s'étendre sur l'hôtel. Il a plu dix minutes sous un ciel étoilé. M. Jean Philip,
huissier à Annot, étant appelé, le soir de la Saint-Sylvestre, pour apposer des scellés sur la caisse
qui, désormais, emprisonne la statue, on distribue aux spectateurs le sang « miraculeux »; tout a
coup, alors qu'on transporte sainte Anne dans sa prison, une petite veilleuse meurt dans une grande
flamme au lieu de s'éteindre en grésillant. Le phénomène, curieusement, a plus troublé Jean Salvade
que le miracle du sang ». Il insiste là-dessus, demande des témoignages; cinquante personnes
étaient présentes. »

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En somme, la grand-mère du Seigneur, enfin sortie de sa longue réserve, mettait les bouchées
doubles - si l'on peut dire. Mais la vigueur de cette entrée en scène s'explique assez bien, car le sang
de la sainte, soumis à des laboratoires parisiens, se révélait, nous dit-on, « particulièrement riche en
hémoglobine ».

Hypothèses
L'article paru dans Carrefour se terminait ainsi :
« Ne serait-ce pas à croire, après la Vierge en pleurs de Syracuse, que de singuliers
événements ont effectivement préparé et annoncé, tout au long de 1953, l'année mariale que vient
d'ouvrir à Rome, avec l'éclat que l'on sait, le Souverain Pontife? »
Hypothèse édifiante et qui donne fort à penser... encore qu'on ne comprenne pas très bien
pourquoi la Vierge et sa mère tenaient à préluder aux fastes d'une année glorieuse par des pleurs et
des saignements!
Cependant, des esprits positifs cherchaient une explication naturelle au phénomène. Médecins
et radiographes scrutaient la mystérieuse statuette, sans y déceler trace de supercherie - tandis que
la presse « à sensation » tenait le public en haleine.

De plus en plus fort


Un an plus tard, la sainte mutilée faisait encore recette. Il est vrai qu'un nouveau « miracle »
venait de s'inscrire à son actif. C'est ce que proclamait ce titre de l'hebdomadaire Paris-Match du 25
décembre 1954 :
« Sous les rayons X le visage de la sainte devient celui du Christ. »
L'article qui décrivait cette étrange métamorphose s'ornait d'une grande photo à double page,
assez peu convaincante, d'ailleurs, sinon pour les yeux de la foi.
Quoi qu'il en fût de la mystérieuse transformation de sainte Anne en Jésus, l'affaire marchait
à merveille, puisqu’il est dit dans le même article :
« Après son séjour dans la capitale, la statuette d'Entrevaux sera exposée dans toutes les
grandes villes de France et d' Europe et ira à Caracas, capitale du Vénézuéla, dont sainte Anne est
la patronne. »
A lire ces lignes, on est fondé à penser que les « autorités ecclésiastiques », bien que ne s'étant
« pas encore prononcées », ne voyaient pas d un mauvais oeil les « mis » d'Entrevaux. Du reste,
pendant toute une année, la statuette était restée exposée dans la salle du café transformée en
chapelle, et les pèlerins s'y pressaient en foule, les malades y venaient implorer la sainte, on y priait
publiquement, cependant que l'heureux M. Salvade, assailli par une clientèle innombrable, s'était
mué en marchandages et débitait désormais autant de cire que de limonade ou de pastis - tout cela
sans que les « autorités ecclésiastiques » y trouvassent à redire.
1 Bien mieux : M. Salvade, devenu thaumaturge par la grâce de sainte Anne, opérait, paraît-il,
des guérisons miraculeuses!

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Un coup de tonnerre
Ainsi allaient les choses à Entrevaux, et rien ne s'opposait, semblait-il, à ce que cette modeste
localité bas-alpine devînt elle aussi un haut lieu du catholicisme, à l'exemple de Lourdes ou de La
Salette. Encore Entrevaux avait-il sur cette dernière un avantage certain : il n'y planait pas le souvenir
importun de certain procès...
Hélas! le beau fixe qui semblait régner au ciel mystique de ce canton montagnard allait faire
place à l'orage. Quelle ne fut pas la stupéfaction indignée du monde catholique quand il lut, dans
France Dimanche du 2 février 1961, ce titre fracassant :
« J’AI MYSTIFIÉ UN MILLION DE CROYANTS! La confession de Jean Salvade qui a
fabriqué la Vierge d'Entrevaux, la statue qui saigne... »
Au cours de cinq numéros, cette « confession » allait se poursuivre, dévoilant la genèse et le
développement de la supercherie - et la lecture en est d'autant plus attachante que le cas est plus rare,
d'un « coupable » se livrant à de tels aveux.
« Un million de personnes ont cru à ma Vierge d'Entrevaux - écrit M. jean Salvade. Un million
de personnes sont venues se prosterner devant elle. Il était trop facile d'abuser ces pauvres gens:
quand on est malheureux, malade, abandonné du monde, il est normal qu'on se rattache coûte que
coûte à l'espoir. Le plus grand nombre de ceux qui sont venus à moi s'étaient adressés d'abord au
médecin, puis au guérisseur. Ils atteignaient le fond du désespoir.
» Comment, dans leurs souffrances ne se seraient-ils pas laissé appâter par cette chance
extraordinaire que le faisais miroiter devant eux le miracle, la guérison miraculeuse?
On ne saurait mieux dire telle est en effet la pitoyable clientèle des « grottes à miracles » et
autres lieux à vertus « surnaturelles ».
Certes, il est « trop facile d'abuser ces pauvres gens », et nous comprenons les remords de M.
Salvade. Mais les malheureux qui suppliaient sa sainte Anne truquée étaient-ils plus abusés que ceux
qui vont à La Salette se prosterner devant feu la demoiselle La Merlière, cette Sainte Vierge
postiche?

Des guérisons « miraculeuses »


L'impresario de la « statue qui saigne » conserve du moins, pour apaiser quelque peu sa
conscience, le souvenir de certains cas où son intervention, par le truchement de sainte Anne, fut
réellement efficace. Car c'est un fait attesté par les lettres des bénéficiaires : M. Salvade a « guéri »
des malades, rendu le libre fonctionnement de leurs membres à des vieillards podagres, à des enfants
paralysés! L'un de ces « miracles » eut même pour théâtre ni plus ni moins que Lisieux, la ville de
sainte Thérèse de l'Enfant Jésus - et nul doute que ce thaumaturge improvisé ait « pris le meilleur»,
comme s'expriment les sportifs, sur la Petite sainte à laquelle on n'avait pu manquer de s'adresser
d'abord, vainement.
Mieux encore: il fut peut-être à l'origine du rétablissement d'une santé auguste,
particulièrement chère au monde catholique. Voici ce qu'il écrit à ce sujet:
« J'envoyai une petite boule de coton, tachée du sang miraculeux, à un illustre malade, le chef
même de l'Église, le pape Pie XII, qui se débattait entre la vie et la mort... Et lorsqu'on m'interrogeait
sur la santé du pape, je répondais mystérieusement :

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» IL YA UNE CHOSE DONT JE SUIS SUR, C'EST DE LA GUÉRISON DU SAINT-PÈRE.
MAIS JE NE PEUX PAS EN FIXER LA DATE...
» Je devais lutter pour garder mon calme. J'étais effrayé de mon audace... C'est alors que les
événements se sont mis à me donner raison! Le pape Pie XII allait mieux. Il avait souri au fond de
son lit. Il avait fait ses premiers pas. Il revenait à la vie! »
On imagine l'enthousiasme qui saisit les dévots de la statuette saignante! Et ce n'était pas tout,
comme on va voir :
« Enfin, quelques jours plus tard, la presse vaticane apprenait une grande nouvelle au monde
entier: le pape avait vu apparaître le Christ au pied de son lit ! »
Pour le coup, il faut rendre les armes! Et l'on serait tenté de conclure que pour opérer des
« miracles », le « truqué » est infiniment plus efficient que l'authentique!

La clé de l'énigme
Le court énoncé que nous venons de faire des exploits de la statuette d'Entrevaux n'apparaît-il
pas probant? Et peut-on leur dénier un caractère « surnaturel »? Bien des reliques vénérées n'ont pas
plus de « signes » à leur actif.
Cependant - cette fois - le promoteur de tant de merveilles a parlé... Admirons la simplicité des
moyens par lesquels il obtint ces mirifiques résultats :
« J'arrivai à Entrevaux au mois d'août pour m'y ennuyer. L'hôtel ne s'animait que le soir à
l'heure de la partie de cartes.
» C'est là que, dans un après-midi vide, j'ai lu sur le journal l'histoire de la Vierge de Syracuse
qui pleurait... C'est alors qu'une idée m'est venue. J'ai voulu faire « un miracle ». Un miracle
apparent qui laisserait sans voix les habitants d'Entrevaux.
» Pour cela, il me fallait d'abord trouver la statue d'une sainte. Je l'ai trouvée un mois plus
tard, le 29 novembre 1953 exactement, dans une vente aux enchères...
» J'avais décidé de la faire saigner le 28 décembre 1953, le jour du massacre des Innocents,
pour frapper les esprits.
» Mais comment y parvenir ? »
M. Salvade conte alors qu'il cassa l'index de la main droite de sa sainte Anne, puis le recolla
légèrement. Vient ensuite, au jour fixé, la partie de poker, avec la statuette posée près de lui pour lui
« porter chance », et qu'un mouvement trop vif de sa part précipite sur le sol, l'index qui se détache,
etc. La partie de poker terminée, M. Salvade alla se coucher sans paraître accorder plus d'importance
à l'incident.
« Mais à cinq heures du matin, dans la nuit encore glaciale, je me suis levé dans mon hôtel
désert. J'ai pris la statue de Sainte Anne pour la monter dans ma chambre.
» Et là, je me suis piqué profondément le doigt avec une aiguille.
J'ai mis une goutte de sang sur la cassure bien nette de l'index de la Sainte, puis plusieurs
gouttes.
» Comme la cassure était légèrement en pente, le sang s'est mis à couler sur le dos de la main

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de la statue. Tout cela avait l'apparence d'une belle blessure naturelle.
» Je suis redescendu à pas de loup avec la statue dans mes bras. Je l'ai remise à sa place. Mais
sur la table, juste sous la main ensanglantée, j'ai fait couler quelques gouttes de sang. »
Il ne restait plus au mystificateur qu'à se recoucher pour attendre le moment où, après un petit
déjeuner tardif, il « découvrirait » comme par hasard le prodige. Sa servante, bouleversée par ce
spectacle, s'en fut répandre la nouvelle chez les voisins - et bientôt l'hôtel se trouvait envahi.
Mais entre-temps, M. Salvade avait pris ses dispositions... Il avait piqué son index plus
profondément que la première fois, en vue de perfectionner le « miracle ».
« Gertrude (sa servante) était revenue avec onze témoins, dont le Dr Monner, le médecin
d'Entrevaux... J'ai pris la statue à pleines mains. Je l'ai soulevée. Puis j'ai dit : « Regardez la table!
» J'avais coiffé la tête de Sainte Anne avec ma paume. Et entre mon pouce et mon majeur je
pressai mon index blessé. A chaque mouvement, une goutte de sang s'est mise à tomber sur la
table. »
Il n'en fallait pas plus pour confirmer le prodige aux yeux des témoins émerveillés. Le soir
même, il y avait plus de trois cents personnes dans l'hôtel.
M. Salvade poursuit :
« Je n'avais pas perdu mon temps. Dans l'après-midi j'avais aménagé une petite chapelle dans
le fond de la salle du restaurant. Ma statue de sainte Anne y trônait, toute entourée de cierges... Sur
une table, j'avais déposé de petits sachets de cellophane contenant de l'ouate de pharmacie avec
cette indication : « Coton ayant touché la statue, à » votre disposition. »
C'était pour l'heureux gérant d'un hôtel jusque-là peu achalandé, le début d'une longue période
de prospérité, au cours de laquelle plus d'un million de pèlerins allaient se succéder dans le
« sanctuaire » improvisé - sans que l'Église s'en émût...

Les yeux de la foi


Ainsi, quelques gouttes de sang badigeonnant la « blessure » de sainte Anne, quelques autres
tombant de la main du mystificateur tandis qu'il tenait la statuette, c'était là tout le mystère. Dans les
esprits surexcités, ces quelques gouttes s'étaient multipliées au point d'emplir « Un demi-verre ». Et
les témoins » les avaient vues distinctement sourdre du doigt même de la statue.
On saisit là le mécanisme des « miracles » passés, présents et à venir.
Sans doute, une fois placée sous scellés, sainte Anne s'était arrêtée de saigner - comme la
Vierge, à Syracuse, avait mis un terme à ses pleurs. Mais cette brusque rétention sanguine ou
lacrymale ne saurait semer le doute chez les vrais croyants, non plus que (pour des motifs différents
peut-être) chez les évêques de Sicile... et d'ailleurs.

Le « voile bleu... »
Il y avait cependant bien des sceptiques à Entrevaux, et ce fut à l'intention de ces réfractaires
que M. Salvade entreprit d'illustrer par un autre « miracle » la faveur toute spéciale dont sainte Anne
daignait honorer sa maison.

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Nous avons cité plus haut ce qu'écrivait au début de l'affaire l'hebdomadaire Carrefour :
« On a cru voir un voile bleu » s'étendre sur l'hôtel. »
M. Salvade va nous fournir l'explication de cet étrange météore :
« Parmi eux (les sceptiques) il y avait le cordonnier Joseph Cotton... Il était très dangereux.
Mais le lendemain soir, 29 décembre, j'ai trouvé le moyen de le faire taire. Il était 20 h. 30 environ...
» J'ai dit à Joseph Cotton, le sceptique : Rentre chez toi... Et regarde bien le ciel, toi,
l'incroyant.
» Il y avait un grand silence dans la salle, à peine troublé par le bruissement des chapelets.
Tout le monde venait d'entendre mes paroles. L'incrédule est sorti en haussant les épaules. Mais
trois minutes plus tard, il est revenu, l'air hagard, agité d'un tremblement nerveux. Il a bégayé:
» Il... il y a... un voile bleu... sur l'hôtel.
» Je me ruai dehors, suivi par tous les clients. C'était vrai. Il y avait même un gigantesque
manteau bleu qui descendait du ciel pour coiffer la maison. Quelques femmes tombèrent à genoux.
» Je profitai aussitôt de la confusion pour grimper quatre à quatre sur la terrasse de l'hôtel.
J'éteignis aussitôt le feu de bengale bleu dont j'avais allumé le très long cordon Bickford cinq
minutes plus tôt. je jetai rapidement le tout dans le Var, qui coule juste derrière l'hôtel. En deux
minutes, l'opération fut terminée. »

Pluie céleste
L'état de thaumaturge ne laisse pas d'être flatteur et productif, mais il a ses inconvénients :
entre autres, la contention d'esprit qu'il nécessite. Heureusement, M. Salvade n'avait pas « la goutte
à l'imaginative », comme s'exprimaient les Précieuses - et il le fit bien voir en l'occurrence. Soucieux
de conserver, voire d'augmenter son prestige, il mijotait de nouvelles manifestations
« supranormales ».
« A Entrevaux, il a plu sous un ciel étoilé », annonçait alors la presse. Voici l'explication de
ce nouveau mystère:
« ... Je suis monté, à la nuit close, sur le toit de l'hôtel. J'ai ouvert la porte de ma chambre qui
donnait sur la terrasse. J'ai branché un tuyau de caoutchouc sur le robinet du lavabo et l’eau, en
coulant sur la terrasse, a rempli. la longue gouttière crevée. Je suis redescendu à mon comptoir. Le
résultat ne s'est pas fait attendre. Un homme est entré dans le bar pour crier d'une voix puissante:
« ça ne va pas mieux dans le pays ! Il pleut à verse alors qu'il n'y a aucun nuage dans le ciel.
» Tout le monde s'est encore précipité dehors, pour constater le phénomène. Des vieilles
femmes se laissaient baigner le visage, avec ravissement, par cette eau « surnaturelle ». Mais deux
minutes plus tard, j'avais débranché le tuyau qui, lui aussi, se retrouva dans le Var. »

Après l'eau, le feu ...


Les faiseurs de prodiges ne sauraient échapper au soupçon de supercherie. Aussi M. Salvade
s'empressa-t-il, pour établir sa bonne foi, de faire appeler un huissier qui placerait la statuette sous
scellés, dans une vitrine.

Page 109
Il y avait foule à l'hôtel du Var pour assister à l'opération.
« Dans l'odeur des cierges et de la cire fondue l'huissier a ouvert la vitrine. Puis il m'a
demandé de lui amener la statue.
» J'étais prêt. J'avais déjà pris dans le fond de ma poche une pincée de poudre, prélevée
l'après-midi sur une cartouche de chasse.
» Je tournai le dos à la foule, me dirigeant vers la statue. Et juste au moment de la saisir,
j'écartai les doigts et laissai couler la poudre sur les deux veilleuses qui éclairaient faiblement sainte
Anne.
» Il y eut un crépitement furieux. Puis une longue flamme bleue, presque irréelle, enveloppa
la statue.
» Toute la salle poussa un cri, tandis que je bondissais en arrière... Pendant dix longues
minutes, qui parurent interminables, la statue est restée sur son autel. Personne ne disait mot.
Personne n'osait plus y toucher. A la fin, Lucien Gibert, un voisin, s'est décidé. Il a pris la sainte
pour la placer dans la vitrine. Soulagé, l'huissier a aussitôt tourné la clef, puis apposé les scellés. »
Désormais la « statue qui saigne » n'était plus que la « statue qui a saigné ». Le verre placé
sous sa main mutilée demeurait obstinément sec - sans que l'afflux des pèlerins se ralentît pour
autant. Comme l'écrit M. Salvade.
« ... Rien ne pouvait plus les décourager. Chacun voulait voir, toucher l'ouate imbibée du
premier saignement. Il y en avait pas assez pour tout le monde. »

La morale de l'histoire
En somme, la leçon à tirer de cette burlesque aventure, est qu'il ne faut pas grand-chose pour
opérer les « miracles » les plus étonnants - même pas l'intervention d’un illusionniste confirmé. Un
peu de mise en scène, quelques « trucs » enfantins suffisent amplement: la crédulité fait le reste.
On s'en doutait un peu, sans doute, avant la galéjade d'Entrevaux. Mais le mérite de M.
Salvade est d'en avoir fait l'irréfutable démonstration. Ceux qui ont lu son instructive « confession
» y regarderont à deux fois avant de compatir aux douleurs des hôtes célestes, qu'elles s'expriment
par des saignements... ou par des pleurs de leurs terrestres effigies. La « lacrymation » de la Vierge
de Syracuse - qui inspira si bien M. Salvade - risque d'apparaître désormais un tantinet douteuse,
quoique,« approuvée » à l'unanimité par les évêques siciliens.
Certes, les porte-parole de l'Église nous répètent à satiété qu'il y a de « vrais » et de « faux »
miracles. L'ennui, c'est que les uns et les autres se ressemblent comme des frères. Et cela jette une
ombre sur le tableau édifiant que brossait M. Michel de Saint Pierre, au lendemain et à propos de la
« lacrymation » de Syracuse :
« Car enfin, les foules se pressent autour des grottes miraculeuses, des lieux où l'on prie, des
statues qui pleurent. Les saints sont à la mode. Nous guettons des signes dans le ciel 1 - et les
journalistes, les cinéastes vont au catéchisme de persévérance. Il n'y suffisent plus d'ailleurs: on
réclame à cor et à cri des « conseillers religieux ».

1 En cela, les habitants d'Entrevaux furent favorisés : ils eurent leur voile bleu »... pyrotechnique.

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» La grande presse parle du Vatican avec un sérieux de docteurs en Sorbonne - et bientôt il
faudra, pour être reporter, se munir d'une licence en théologie 2. »
Sachons gré à M. Michel de Saint Pierre de nous décrire, avec une précision nuancée de
quelque humour, ce phénomène de notre époque que l'on appelle complaisamment le « renouveau
catholique ». Ce qu'il ne pouvait nous dire - et que nous prenons la liberté d'ajouter - c'est que toute
floraison, même mystique, a besoin d'un arrosage judicieux. Et le Vatican est très riche, depuis la
guerre...
Néanmoins, ces lignes triomphales auraient de quoi réjouir le coeur des croyants, si l'auteur
- expert en la matière - n'écrivait un peu plus loin:
« S'il nous faut maintenant des révélations supplémentaires, c'est que la tiédeur nous a bel et
bien envahis. »
Il pourrait y avoir du vrai dans cette pensée désenchantée. L'écrivain pieux voit là un grave
danger pour le monde, et ce serait, selon lui, afin de réchauffer la foi - et nous sauver ainsi des pires
catastrophes - que « la Vierge multiplie ses pèlerinages aux lieux d'en bas », qu'elle « croise parmi
nous la trace de ses pas ».
Nous ne chicanerons pas M. Michel de Saint Pierre sur une opinion si naturelle chez un auteur
à grosse clientèle catholique. On pourrait pourtant lui objecter que les « pèlerinages » de la Vierge
aux « lieux d'en bas » s'effectuaient aussi nombreux, si ce n'est plus, en des époques médiévales dont
la « tiédeur » religieuse était bien le moindre défaut.
Nous n'en voulons pour témoin que M. Michel de Saint Pierre lui-même, lequel écrit :
« On sait que la grande sainte Thérèse, réformatrice du Carmel et femme à poigne, disait à
Jésus: « je suis Thérèse, de Jésus » - et que Jésus répliquait : « Je suis Jésus de Thérèse. »
« Et bien de même, quand saint Bernard disait : « Je vous salue Marie », il entendait une voix
mélodieuse lui répondre : « Je vous salue, Bernard... »
Voilà qui prouve non seulement que « là-haut ils sont très polis », comme l'affirmait Mgr de
Bois-Menu - mais encore que les contacts directs entre le Ciel et la terre furent de toutes les époques,
n'en déplaise à l'auteur, précité, lequel semble oublier opportunément la « Légende dorée ».
* * *
S'il était besoin d'appuyer encore d'un exemple l'évidence sus-énoncée, nous aurions la caution
de M. Daniel Rops lui-même, célèbre « spécialiste » sur les traces duquel M. Michel de Saint Pierre
semble jaloux de marcher.
Le pieux académicien donnait à Carrefour, le 13 janvier 1954, un article intitulé : « Quand le
sang coule par miracle... » A propos des événements d'Entrevaux, il rappelait à ses lecteurs certain
« prodige terrifiant », connu sous le nom de « miracle de Bolsena », qui se produisit en 1264. La
« tiédeur » religieuse était apparemment peu répandue en Italie à cette époque. Pourtant, il se trouva,
paraît-il, un prêtre qui, alors qu'il célébrait la sainte messe, « avait, au fond de lui, de grands doutes
sur la Présence réelle du Christ dans l'hostie.
« Il se demandait si, vraiment le Christ était là, selon la chair, dans un mince fragment de pain
que les formules prononcées par lui venaient de transsubstantier.

2 Carrefour, 7 octobre 1953.

Page 111
» C'est alors que, pour le persuader d'une façon définitive, Dieu fit entre ses mains le miracle:
de l'hostie, un flot de sang jaillit, tacha le corporal et les autres linges liturgiques. »
Ce « flot de sang » ressemble comme un frère au « demi-verre » du même liquide qui coulait,
aux dires des « témoins », du doigt de bois de la sainte Anne d'Entrevaux - et que M. Salvade, bien
renseigné, et pour cause! ramène modestement à quelques gouttes.
Au surplus, on est fixé depuis longtemps sur le mystère des hosties prétendues « sanglantes »
- en fait, envahies seulement par un microscopique champignon rouge, pour avoir été conservées
dans un lieu humide.
Mais peu importe à M. Daniel-Rops: cette explication bassement prosaïque ne saurait prévaloir
à ses yeux sur le fait que la « hiérarchie » a reconnu le caractère « surnaturel » du phénomène, après
une enquête minutieuse ». Aussi écrit-il intrépidement:
« Ce miracle, donc, est admis par l'Église de telle sorte qu'un fidèle ne peut refuser de
l'accepter. »
On est tenté de se frotter les yeux devant ces quelques lignes, car l'Église, par ses voix les plus
autorisées, a toujours prétendu qu'elle laissait ses ouailles libres de croire ou non à la réalité des
« miracles » autres que ceux de l'Évangile. Qu'est-ce à dire ? Sont-ce les théologiens qui errent dans
la Foi ? Ou bien - horresco referens - M. Daniel-Rops serait-il hérétique ?
Dieu nous garde de trancher ce cruel dilemme en adoptant l'une des deux propositions,
également scandaleuses! Retenons seulement que les « effusions sanguines » sont de tradition dans
l'Église romaine, et que celle-ci ne craint pas d'engager son autorité en les garantissant « réelles » -
après « enquête minutieuse », bien entendu.
* * *
On est amené, dès lors, à se poser cette question : quelle fut l'attitude de l'Église devant les
« miracles » d'Entrevaux? Sainte Anne a-t-elle pu saigner dans cette localité bas-alpine sans que la
« hiérarchie » s'inquiète de savoir si elle devait ou non admettre ce nouveau prodige terrifiant »?
Que dit à ce sujet M. Salvade?
« L'abbé Calixte Desdier (curé d'Entrevaux) ne s'est jamais dérangé. »
Plus loin, il explique ainsi l'envoi qu'il fit au pape Pie XII malade, d'un peu de coton imbibé
du sang de la sainte :
« En m'adressant directement à Rome, je voulais punir le curé d'Entrevaux qui ne s’était
jamais dérangé pour voir ma statue, et l'évêque de Digne, qui se murait dans son indifférence. »
Ainsi, le curé du lieu, l'autorité épiscopale et le Saint-Siège lui-même étaient alertés - et nul
ne se souciait de céder à l'« enquête minutieuse » qui s'imposait afin d’éclairer les croyants! Car
enfin, dès le premier soir, trois cents personnes se pressaient et égrenaient le chapelet devant l'autel
improvisé où la statuette trônait parmi les cierges. Puis ce fut par milliers, par centaines de mille que
pèlerins et suppliants affluèrent de toute part ! Et cela dura des années...
M. Salvade put promener la grand-mère de Jésus à travers la France et l'exposer à la vénération
des foules. Il put tout à son aise lui faire accomplir des « miracles », tels que la guérison d'un enfant
de vingt et un mois, à Lisieux, la patrie de sainte Thérèse - opération nullement clandestine, puisque
nous lisons dans son récit:

Page 112
« Mme S... a emmené son bébé dans la salle des pèlrins où était exposée ma sainte de bois. »
On a bien lu: dans la salle des pèlerins! Et cela se passait en juin 1956 - deux ans et demi après
le début de l'affaire.
Devant de tels faits, peut-on parler d'« indifférence » de la part de l'Église? N'est-ce pas plutôt
de la neutralité... bienveillante - pour ne pas dire mieux?
Mais en janvier 1961, le scandale éclate, provoqué par la « confession » spontanée de M.
Salvade - et l'inertie de l'Église durant cette longue mystification, où furent dupés un million de
croyants, apparaît étrangement suspecte...
Aussi n'est-on pas surpris de l'attitude embarrassée de la presse pieuse. La Croix du 7 février
1961 ne consacre que quinze lignes à l'affaire, sous le titre : « L'auteur d'un faux miracle avoue sa
supercherie ». C'est peu... mais cela suffit pour imprimer :
« Dès le début, les autorités ecclésiastiques avaient mis en garde contre ce pseudo-prodige ».
Or, nous venons de voir qu'il n'en fut rien. Ni dès le début, ni plus tard, les « autorités
ecclésiastiques » n'ont mis en garde les fidèles contre le « faux miracle » et son exploitation
commerciale. Et La Croix serait bien en peine d'appuyer d'une référence son affirmation toute
gratuite - si l'on ose dire...
* * *
Nous écrivions plus haut que les « faux » miracles et les « vrais » se ressemblent comme des
frères. Il est bon d'ajouter que leur similitude ne se borne pas à l'aspect extérieur, à la mise en
scène, à la présentation. On a vu que les uns et les autres ont même efficacité quant aux « grâces
» corporelles ou spirituelles sollicitées par les croyants. Mais encore les « vrais » et les « faux »
engendrent les mêmes conséquences... financières. Ils se prêtent également à la vente des cierges,
des objets de piété, et surtout ils ont la vertu d'attirer - comme l'aimant fait de la limaille de fer - les
espèces sonnantes, de l'humble obole jusqu'à la riche donation.
Sans doute eut-il été plus conforme à la tradition que sainte Anne saignât dans une église,
plutôt que dans un café - ou, si elle avait décidé de se manifester de façon plus laïque, qu'elle prît
pour témoin, comme la Vierge à La Salette, à Lourdes, à Fatima, quelque petite bergère simplette
que l'on ut expédier dare-dare au couvent, afin de prévenir d'ultérieures complications... Mais on
ne saurait chicaner les personnes célestes sur le choix de leurs relations, même lorsque ce choix se
porte sur un limonadier peu enclin à revêtir la bure monacale.
Et puis, comme l'on dit communément:
« A défaut de grives on mange des merles. »
Quoi qu'il en soit, M. Salvade put poursuivre en toute quiétude sa longue et fructueuse
mystification, cependant que l'Église romaine, dans sa « prudence », semblait faire sien le dicton:
« La parole est d'argent, mais le silence est d'or. »

Page 113
CONCLUSION

« Désormais, il ne faut plus penser à Marie sur le mode historique et comme à un


personnage ayant existé... » p. 148
Jean Guitton, de l'Académie française (1387)

«Session agitée au Concile du Vatican II. Le difficile débat sur la Vierge... » On remarquera
que l'adoration mariale rencontre un succès considérable dans les cadres les moins évolués des
sociétés, en Italie, en Espagne, en Amérique du Sud... »
(Paris-Presse, 20. 9. 64).
Jean Vermorel

Mythe consolateur:
« La notion d'une Vierge souveraine semble issue de la tendance à diviniser, qui est le fond
de cet esprit païen que le christianisme avait mission de guérir... La mariologie... ressemble à une
revanche des forces du mal...» p. 140.
Jean Guitton, de l'Académie française (1387)

Bric-à-brac des rites magiques:


« L'Église romaine, plus soucieuse d'écarter ses fidèles de la controverse et du doute que de
développer leur culture et leur morale, favorise le goût ancestral de la foule pour les petites
pratiques, survivances des rites magiques des hommes primitifs. »
Professeur Jean G audefroy-D emom bynes.

Les pratiques superstitieuses s'évanouissent dans le néant:


« Essor ou crise de la mariologie? il me faut bien répondre oui, il y a une crise... J'ai été
témoin de formes de piété mariale un peu fébriles. J'ai aussi rencontré des gens, des séminaristes
notamment... Ils ressentaient à l'égard de la Vierge une réticence, ou même un agacement...
provoqué par certaines formes de dévotion dérisoires, ou par la dévotion mariale tout court. »
Chanoine René Laurentin, mariolo gue réputé
(Informations ca tholiques internationales,
Paris, ler novembre 19 63).

« Contrairement à ce que prétendent les critiques de la « mariolâtrie », les catholiques


n'adorent pas la mère de Jésus. »
Daniel Rops, de l'Académie française (Un combat pour D ieu, Paris 1963).

« A force de dire ce qu'il prétend avoir vu, il se persuade qu'il a vu ce qu'il a dit. Que sera-ce
quand le récit aura passé de bouche en bouche? Altéré déjà au départ, quelles déformations
n'aura-t-il pas subies sur les lèvres humaines?

Page 114
» Peu à peu, le mythe se constitue, par adjonctions et retouches successives, volontaires ou
non. Le plus gros, maintenant, est fait. Car une fois né, le mythe possède une vitalité non pareille...
» L'erreur a cause gagnée, pour la seule et péremptoire raison qu'elle plonge dans le passé...
il y a toujours des habiles pour exploiter la bêtise des nombreux. »
Jean Rostand, de l'Académie française.

« Les superstitions, les préjugés, le fanatisme, l'immoralité, les duperies du catholicisme


doivent être définitivement bannis des écoles privées. Il faut interdire la lecture de ses livres avant
vingt et un ans, car ils contaminent et avilissent le coeur et l'esprit.
» L'enseignement de la doctrine catholique empoisonne les âmes des adolescents.
» Les inconvenances et les incitations au crime des papes, du Saint-Office et de leurs écrivains
doivent être rigoureusement supprimées, confisquées et défendues aux citoyens de tout âge. »
Giorgio Quartara.

« La science n'a point cherché à semer la haine entre les hommes, ni à ravager la société. Elle
n'a fait souffrir à personne la torture morale ou physique, encore moins la mort, pour la défense de
ses idées. Elle est pure de cruautés et de crimes ; tandis qu'au Vatican... les mains qui s'élèvent vers
le Dieu de miséricorde, sont encore rouges de sang »
John-W illiam Drap er, professeur à l'Université de New Y ork.

« Nous montrerons cette ville dominatrice (Rome) essayant sur l'univers les chaînes d'une
nouvelle tyrannie; ses pontifes subjuguant l'ignorante crédulité par des actes grossièrement forgés...
ayant dans tous les États, une armée de moines toujours prêts à exalter par leurs impostures les
terreurs superstitieuses, afin de soulever plus puissamment le fanatisme. »
Condorcet.

« On est tenté de dire: « Honneur à ceux par qui le scandale arrive ! » parce que c'est grâce à eux que la pensée
est allée d e l'avant. »
Albe rt Bayet.

«Combien sommes-nous à succomber à l'engourdissement de notre catholicisme? Comment


ne pas hurler de souffrance en voyant l'idolâtrie, le fétichisme où sont tombés nombre de catholiques
qui transforment les pèlerinages en excursions touristiques, la liturgie en un symbolisme dégénéré,
l'élévation de l'âme vers Dieu en un moulin à prières? »
André Brissaud.

On n'a pas idée de la minutie qui entre dans la commercialisation et l'exploitation financière
d'un pèlerinage comme celui de l'Armée sainte ! Et l'on peut dire qu'il n'est pas d'entreprise
financière au monde qui soit capable de rivaliser avec celle de Rome. »
Robert Chamfleury, 7 mai 1961 .

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« En amassant des biens, en occupant des palais luxueux, l'Église romaine a amassé des
charbons sur sa tête....
» Personne n'ignore, hélas ! que les prêtres deviennent parfois des maîtres dans l'art
d'escroquer des héritages.
» L'Église en tant que société a-t-elle vraiment l'esprit de pauvreté ? Qui pourrait sans mentir
l'affirmer ? »
Henry Fesquet.

« La pratique du mariage mystique avec la Vierge... a donné lieu à tout un rituel avec port de
l'anneau signifiant une carte du tendre décrivant les étapes de la consommation de cette union...
«Parfois le mythe de l'éternel féminin bifurque sur l'androgynie. »
Chanoine René Laurentin
(Imprimatur 1963).

« Comme le remarque justement Arthur Weigal, « une grande partie du catholicisme n'est
qu'une idolâtrie déguisée et il n'est pas exagéré de considérer cette religion comme la dernière
forteresse restée au pouvoir des dieux antiques. »
Leco mte de Noüy.

« Et l'on peut se demander si le catholicisme continuera à vivre en marge du mouvement


général de l'humanité, comme c'est le cas depuis le XVIe siècle...
»Plusieurs hautes intelligences ont pensé que le catholicisme est une impasse ou une
régression... »
Jean Guitton.

«Les prêtres catholiques sont des arlequins ou des pierrots vêtus de noir qui montrent des
marionnettes, tout ce qu'ils font sont des singeries pour escroquer de l'argent. »
André D umont .

« Le sommeil de la raison engendre des monstres. »


Goya.

« Pourquoi l'annonce du voyage de Paul VI à Fatima m'est-elle si pénible ?... le sanctuaire


de Fatima est au centre d'une dévotion qui s'est elle-même teintée de politique... »
J.-M. Domenach
(Le Mo nde, 7 mai 1967 ).

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Sommaire
Un contraste flagrant : la ténuité du fait « miraculeux »et l'énormité de son exploitation, ou la
souris qui accouche d'une montagne - Le mécanisme invariable des Apparitions - Prédilection de la
Vierge pour les pastoureaux illettrés - Ces ignorants ont appris «t out le nécessaire » à l'Université
du Saint-Esprit - Haute spiritualité des « messages » célestes : « Priez pour les pécheurs »,
« Pénitence, Pénitence ! » etc. - Fructification temporelle : chapelles, églises, basiliques, pèlerinages,
et surtout pluie d'or.
Une apologétique inattendue : celle des érudits « laïques » - Ils révèlent la prodigieuse antiquité
du culte de la Vierge-Mère, que les mariologues avaient laissée « sous le boisseau » - L'Immaculée
Conception de Marie en Judée n'était qu'une réincarnation - La Mère céleste a porté tour à tour les
nonis de Nana, d'Isis, de Perséphone, de Maya, de Ching-Mon, de Sochiquetzal, etc. - Des enfants
de Marie de toutes les couleurs - Apparitions de la Vierge innombrables au cours des âges - Le
Diable porte pierre : des savants mécréants qui ont bien mérité de la mariologie.
« La dévotion à la Vierge Marie a pris en Italie des proportions alarmantes parce que la
splendeur de la gloire de Jésus en est ternie.»
(Rome en co nfidence, Paris 1962).
Jean d'Hospital

« L'esprit de libre examen, qui est l'âme de la science, se heurte toujours à l'opposition
violente du catholicisme.
» L'Église, loin de céder aux flux des idées neuves, se roidit dans un suprême effort contre la
liberté de pensée, le rationalisme et la civilisation moderne. »
Albert Bayet
(Histoire de France, p. 294).

«Partout où les hommes seront ignorants, il y aura des faiseurs de miracles; ces deux
branches de commerce diminueront dans la même proportion que les nations s'éclaireront. »
Baron P aul-Henri d'Holbach.

« Un système, un être, est-il obligé, au nom de la liberté, à laisser libre ce qui doit
nécessairement le tuer ? Non, la nature n'impose à nul être le devoir de se suicider. »
Michelet.

« La vision de Bernadette n'est-elle pas liée à un état extatique, à une déconnexion d’avec le
monde extérieur qui rappellent le tableau clinique des processus d'ordre hallucinatoire ou
oniroïde? »
Cf. Chanoine René Laurentin.

« Lourdes, La Salette, Fatima ? Une transposition du paganisme. Les catholiques sont-ils des
païens qui s'ignorent? » XXX.

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Mariolâtrie
« Le Concile Vatican II demeure divisé sur la question mariale...
» Le cardinal Léger (Canada) a demandé que le chapitre soit plus clair dans la mise en garde
contre les abus du culte de Marie. »
(Comba t, 17 septembre 1 964 .)

Quand on considère objectivement les Apparitions célestes ici-bas - c'est-à-dire, le plus


souvent, celles de la Vierge Marie, puisqu'elle s'est fait une quasi-spécialité de ces visites
impromptues - on ne peut manquer d'être frappé d'abord par deux caractères jumelés qu’on retrouve
invariablement dans chacun de ces cas : l'extrême ténuité, pour ne pas dire mieux, de l'événement
invoqué, et l'exploitation sans limites qui en est faite. Un tel contraste n'est pas particulier, d'ailleurs,
à ce compartiment de la croyance catholique. On l'observe aussi bien en ce qui touche aux « vérités
» fondamentales de la foi, dont les sources dites « historiques » apparaissent étonnamment précaires
aux yeux de la critique. En somme, l'Église romaine semble s'être fait une loi de prendre en toutes
choses l'exact contre-pied de ce titre de fable, devenu métaphore courante : « La montagne qui
accouche d'une souris ». Chez elle, c'est la souris qui accouche d'une montagne.
Au reste, cette monstrueuse parturition ne varie guère en ses détails. Le phénomène primitif
et son « gonflement » sans mesure se répètent d'une Apparition à une autre, dans des conditions à
peu près identiques, avec une lassante monotonie - du moins pour l'observateur impartial. Car, s'il
est vrai, en règle générale, que l'ennui naît de l'uniformité, il convient dé faire une exception pour
les amateurs de « merveilleux chrétien ». A ceux-ci s'appliquerait plus justement l'adage : Bis repetita
placent.
La « lacrymation » d'une Vierge de plâtre ou l'« effusion sanguine » d'une sainte Anne de bois
peint, pour spectaculaires qu'elles soient, n'affichent pas un moindre caractère de « surmoulage » et
de « grande série » - et M. Salvade, comme on l'a vu, trouva au magasin des accessoires le plus
classique les éléments d'une excellente imitation.
* * *
Une petite bergère, deux petits bergers, trois petits bergers - tels sont les protagonistes des trois
« mystères »que nous avons choisi d'examiner, comme étant les plus caractéristiques, et les plus
retentissantes aussi, des manifestations mariales en ce bas monde. Dans d'autres cas d'une moindre
notoriété, ce fut une religieuse ou un moine qui assuma le rôle de confident de la Très Sainte Vierge.
Il est à remarquer, d'ailleurs, que les petits « voyants »ne manquent pas d'abandonner bientôt l'état
laïc pour endosser le froc ou se coiffer de la cornette. Ainsi le veut la grâce sanctifiante qui leur échut
- et la « prudence » de l'Église.
Cette prédilection marquée de la Reine des Cieux pour les petits gardeurs de bêtes - de
préférence illettrés - apparaît toute naturelle : ce sont eux les véritables sages - ainsi que les
commentateurs ne se lassent pas de nous le répéter. « Aux innocents les mains pleines. » Ignorants
aux regards du profane vulgaire, ils savent en réalité « tout le nécessaire, de science certaine », ayant
pris leurs grades, comme l'écrit Mme Maria Winowska, à l'Université du Saint-Esprit ». Quelles
« peaux d'âne », délivrées par les enseignants de notre misérable terre, pourraient se comparer à ces
diplômes transcendants? La meilleure preuve de cette infériorité sans remède, c'est qu'on n'a jamais
vu la Vierge choisir pour confident un professeur de Faculté. Il en est de pieux, cependant, voire
d'affiliés à l'Opus Dei. Mais ceux-là même ne semblent pas assez purs, apparemment, à la Reine des
Cieux pour transmettre ici-bas ces « messages » - plus « lumineux » encore que les encycliques

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papales - tels que: « Priez pour les pécheurs » - « Pénitence, pénitence, pénitence » - « Qu'on élève
ici une chapelle en mon honneur » - et autres communications d'une spiritualité qui donne le vertige.
Sur le plan temporel, la valeur du « message » n'est pas davantage niable, ainsi qu'en témoigne
la chapelle promptement bâtie, et se muant bientôt en basilique, voire, comme à Lourdes, se doublant
d'une succursale - hypogée de dimensions cyclopéennes. L'empressement des foules à se ruer sur les
lieux de l'Apparition n'offre pas une moindre preuve de son caractère surnaturel - car on sait que
l'homme est un animal raisonnable, et qui ne saurait prendre, en conséquence, des vessies pour des
lanternes. Enfin, la pluie d'or qui s'abat incontinent sur la région bénie lèverait tous les doutes, au
besoin. On ne peut l'ignorer, en effet, depuis l'aventure de Danaë : cette « précipitation » - pour parler
comme la météo - est le signe certain d'une alliance « fructifiante », que le Ciel noue avec la terre.
Tant pis pour les esprits chagrins - tels qu'on n'en rencontre que trop, malgré la diffusion
mondiale du Pèlerin, de l'Echo de la Grotte et de la Voix de Fatima. C'est bien en vain que, mêlant
à ces belles flambées de foi des statistiques importunes, ils signalent la rareté des grâces corporelles
obtenues - ou plutôt arrachées à un Dieu avare -par la céleste Médiatrice. Pour être rarissimes, elles
n'en sont que plus précieuses. D'ailleurs, nous dit saint Paul, « Dieu fait miséricorde à qui il veut »,
et s'il se montre fort de guérisons les grâces spirituelles, en revanche, sont prodiguées par Lui ad
libitum - ce qui constitue, comme on nous l'a bien démontré, « l'unique nécessaire ».
En fait, les érudits laïques eux-mêmes, bien qu'ils n’aient pas conquis leurs titres à l'Université
du Saint-Esprit, se voient contraints de célébrer aussi, en quelque façon, la gloire de Marie. Bien
mieux : on rencontre sous la plume de ces mécréants, de ces agnostiques, de précieuses révélations
qu'on chercherait en vain chez les plus distingués mariologues. C'est eux - et non ceux-ci - qui ont
remis au jour la prodigieuse antiquité du culte virginal, que les apologistes orthodoxes, obéissant à
on ne sait quel préjugé, s'évertuaient à nous cacher. Grâce à ces francs-tireurs de l'exégèse, nous
voyons enfin s'éclairer jusqu'au plus lointain du passé l'histoire de la Vierge-Mère, nous mesurons
de nos yeux dessillés l'immense profondeur de sa carrière bénéfique. En vérité, il semble que le doigt
de Dieu ait guidé les chercheurs bénévoles dans cette louable entreprise.
Il faut bien l'avouer : la « doctrine », en cette matière, fut longtemps d'une affligeante pauvreté.
Ce n'est guère qu’au Ve siècle que la Mère de Dieu se voit, si l'on peut ire, prise au sérieux par les
croyants. Certes, le culte qu’on lui voue, dès lors, ne cesse de grandir, pour atteindre avec les Jésuites
à une véritable idolâtrie. Puis, en nos temps épris de documentation précise, ces mêmes Jésuites -
toujours à l'affût de la mode - instituent la « mariologie », nouvelle branche du savoir qui se propose
de rechercher et définir les perfections, apanages et attributs de la Reine des Cieux - et S. S. Pie XII
en personne daigne poser sur son front la Fulgens Corona.
Tout cela n'est pas peu de chose, sans doute. Néanmoins, aucun des spécialistes précités ne
s'est avisé de pousser ses investigations dans le passé au-delà de la dernière et immaculée Conception
de la Vierge, et même -que l'on sache - il ne fut fait mention d'aucun projet de cette sorte au Congrès
mondial de la mariologie, qui se tint à Lourdes en 1958.
Pourtant, quelle riche moisson eussent pu engranger les chercheurs, s'ils s'étaient montrés
moins timides! Et quels nouveaux titres de gloire se fussent ajoutés encore a ceux qu'on reconnaît
communément à la Corédemptrice! Belle occasion manquée, assurément.
Par bonheur, il existe sur le sujet des travaux tout profanes, destinés à combler cette regrettable
lacune. C'est là que nous trouvons une révélation bien propre à transporter de joie les âmes vraiment
pieuses : au contraire de ce qu'on a cru trop longtemps, les païens de jadis ne furent pas privés des
attentions maternelles de la céleste Médiatrice. Au cours de millénaires impossibles de dénombrer,

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les générations qui se succédaient ici-bas restaient, certes, plongées dans une nuit spirituelle que
n'avaient point encore illuminée les éclatantes vérités de la foi catholique. Pour ces milliards de
malheureux qui, pressés comme les grains de sable de la mer, naissaient, vivaient, procréaient et
mouraient dans leur crasse ignorance, point de « docteurs » saintement inspirés, point de subtils
théologiens, pas le moindre Père jésuite entreprenant de dessiller leurs yeux - et pour cause. Saint
Augustin et Tertullien dormaient encore dans les brumes de l'avenir, avec leur quia ineptum. Enfin,
les temps n'étaient pas murs.
Pourtant, si désavantagés qu'ils fussent quant à la « doctrine », nos infortunés devanciers ne
laissaient pas d'avoir une consolation : ils connaissaient la Sainte Vierge. La chose est prouvée
désormais : pour révéler son existence au genre humain et répandre sur lui la douce pluie de ses
bienfaits, la Mère de Dieu n'a pas attendu le règne de Tibère - si tardif à l'échelle des temps
historiques, pour ne parler que de ceux-là - et, n'en déplaise à ses thuriféraires orthodoxes, son
Immaculée Conception en Judée, autour de laquelle ils ont mené si grand tapage, ne fut qu'une
nouvelle incarnation après bien d'autres. Cela n'est-il pas conforme, d'ailleurs, à la charité universelle
de Marie ?
Que d'étapes au cours des temps, dans l'immense carrière qui nous est ainsi dévoilée ! En
Phrygie, c'est sous le nom de Nana que la Vierge a enfanté le dieu Attis -tandis qu'en Grèce elle met
au monde Dionysos qui, pour les initiés à ses mystères faisait figure de Sauveur ayant racheté les
hommes de son sang.
En Egypte, elle s'appelle Isis et, toujours vierge, devient mère du dieu Horus, lequel devait
triompher de Thyphon, personnage funeste qui ressemble fort à Satan. Au reste, sous le nom de
Neith, elle avait déjà donné naissance au dieu Râ.
Même au temps du prophète Jérémie, les femmes d'Israël offraient des gâteaux à la reine du
ciel. Culte d'origine païenne condamné par la Bible et qui fut cause de grands châtiments.
Si l'on remonte encore dans le passé de quelque trois mille ans, n'est-ce pas Ching-Mon, autre
incarnation de la Vierge-Mère, qui enfanta Fohi, le fondateur de l'empire chinois ?
Christophe Colomb devait découvrir l'Amérique au quinzième siècle de notre ère, et ses
successeurs y répandirent l'Évangile avec la douceur que l'on sait. Mais, comme on pense bien, celle
que nous nommons Marie n'avait pas attendu si longtemps pour s'occuper de ses enfants cuivrés. Au
Mexique, on appelait Sochiquetzal cette Vierge prédestinée à laquelle un envoyé céleste avait
apporté l'Annonciation d'un enfantement sans péché, celui du grand dieu Quetzalcoalt.
Par ces exemples - et la liste est loin d'être close -on voit combien d'hommes de toutes races
et de toutes époques ont précédé les fils de l'Église romaine dans leur ferveur pour la Reine des
Cieux. Que d'Enfants de Marie, sous des épidermes variés, ont entonné des hymnes à sa gloire ! Et
que d'Apparitions elle ne manqua pas de faire, sans doute, aux yeux éblouis de petits bergers
phrygiens, grecs, égyptiens, chinois, hindous, mexicains, etc. ! Pensons aussi à ces coiffures,
infiniment diversifiées, qu'elle dut ceindre au cours des temps, avant d'arborer la Fulgens Corona de
Pie XII - ou la « couëffe » à tuyaux de Notre-Dame du Bonnet.
On a souvent dit que le Diable aussi porte pierre, pour bâtir la Cité de Dieu. En l'espèce - si
l'on peut se permettre une telle assimilation - ce sont des mécréants ou des agnostiques, les Sharpe,
les West, les Bonwick, les Donne, les Massey, les Foote, etc., qui ont apporté à l'enrichissement des
dogmes de l'Église cette magistrale contribution - et le moins que l'on puisse dire, c'est que, volens
nolens, ils ont bien mérité de la mariologie.

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« Pourquoi la Vierge ne fait-elle pas d'apparitions dans les pays non-catholiques et ne leur
adresse-t-elle pas des messages dans leur langue ? »
XXX.

« Quelle est cette foi religieuse qui menace de sombrer, si elle n'est soutenue au-dessus de
l'abîme par le miracle ou par la persuasion au miracle ? »
Félix P écaut.

« Certaines manifestations de dévotion envers Notre-Dame ont été ma grande croix en ce


qui touche le catholicisme... elles sont bonnes pour l'Italie elles ne le sont pas pour l'Angleterre.»
Cardinal Newman.

« La dévotion abusive, et principalement superstitieuse, joue le rôle d'une caricature : elle provoque
la désaffection. Elle fait bouder, sinon haïr, le visage dont elle présente une image difforme...
» Le mouvement marial porte donc lourd héritage. »
Chanoine René Laurert
(La Q uestion mariale, Imp rimatur 1963.)

FIN

ACHEVÉ D’IMPRIMER SUR LES PRESSES


DE L’IMPRIMERIE CORNAZ S.A., A YVERSON
(SUISSE), EN NOVEMBRE
MIL NEUF-CENT SEPTANTE ET UN

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TABLES DES MATIÈRES

Avant -propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 5

Livre-premier : Lourde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 6

Livre deuxième : La Salette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 47

Livre troisième : Fatima . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 63

Livre quatrième : celle qui saigne... ou comment on fait les miracles . . . . Page 100

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 114

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