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Une note critique sur Witold Mańczak

1. Introduction

À en juger par la liste de ses publications (Bochnakowa/Widlak 1995:ix-xxix), le


romaniste polonais Witold Mańczak non seulement est polyglotte, mais aussi se
meut apparemment avec aisance dans les études indo-européennes et dans plu-
sieurs secteurs de la linguistique théorique.Toutefois, en dépit de l’intérêt constant
qu’il manifeste pour les langues romanes, son rayonnement chez les romanistes
n’est en proportion ni de son savoir, ni du volume de ses publications, et je suis
frappé de ne pas trouver son nom dans l’index de l’importante introduction à la
linguistique romane de Renzi 1994.
Le présent essai a pour but d’analyser cette situation sous deux de ses aspects:
la méconnaissance, répandue dans nos rangs, de la théorie de l’évolution phoné-
tique conditionnée par la fréquence, que Mańczak a souvent appliquée aux parlers
romans (en 2), et le rejet par les romanistes de sa thèse selon laquelle les langues
romanes dérivent du latin classique (en 3).
Dans les renvois à la bibliographie, les noms de Mańczak, Väänänen et Dardel
sont abrégés respectivement en M., V. et D.

2. La théorie de l’évolution phonétique conditionnée par la fréquence

2.1 Historique

La théorie de l’information est fondée sur le principe que l’information apportée


par une unité de la communication est inversement proportionnelle à sa probabi-
lité et fonction directe du paradigme dont elle est un terme. «Ainsi . . . lorsqu’on
indique le chemin à prendre entre deux chemins possibles, l’information est moins
grande que lorsque l’indication permet de choisir entre quatre chemins possibles»
(Martinet 1969:155). – La théorie de l’information connaît deux types d’applica-
tion: celle destinée aux techniciens de la communication et celle destinée aux lin-
guistes. La première se pratique selon des modèles mathématiques et dans un
cadre précis, comportant des paradigmes finis de termes équiprobables; elle est en
mesure de calculer la quantité d’information avec précision. Mais «le calcul d’une
quantité précise d’information présente des difficultés dans les études linguis-
tiques proprement dites» (Martinet 1969:158), ce qui tient notamment à ce que
les paradigmes lexicaux sont des ensembles non finis de termes le plus souvent non
équiprobables; pourtant, «l’utilisation de ce concept n’y reste pas moins nécessai-
re» (ibidem). – Cette position-ci, qui est celle de la plupart des spécialistes de la

Vox Romanica 64 (2005):1-20


2 Robert de Dardel

linguistique générale et qui peut s’appuyer sur le modèle de Markov (Dubois et


al. 1973:307-09), soulève cependant un certain scepticisme, par exemple chez Le-
roy 1967:172-73; par conséquent, le rapport coût/fréquence, qui ressortit à ce
concept et se trouve à la base des travaux de Mańczak, un des facteurs les moins
accessibles du changement linguistique, des moins bien explorés par conséquent,
reste nettement sous-éclairé dans les études romanes.
À la théorie du rapport entre la fréquence d’emploi d’un élément et son évolu-
tion phonétique, Mańczak a consacré un ouvrage entier (M. 1969). Comme on sait,
cette théorie ne tombe pas du ciel, et Mańczak peut citer de grands romanistes du
passé, tels Diez, Schuchardt et Meyer-Lübke, qui l’ont défendue, et surtout, du côté
de la linguistique générale, l’américain Zipf (Martinet 1969:78, 86, 160-61, avec ré-
férences bibliographiques), auteur de la loi qui porte son nom et qui formule les
rapports entre fréquence et volume d’unités linguistiques (M. 1969:17-18).
Mańczak rappelle que cette théorie repose sur une loi synchronique: «les éléments
linguistiques plus souvent employés sont, en général, plus petits que les éléments
employés plus rarement», ce qu’illustre en fr. le couple monseigneur/monsieur,
dont les deux termes sont issus du même syntagme, meum seniorem; en diachronie
vaut par conséquent que «les éléments linguistiques dont la fréquence augmente
subissent, en général, une diminution de leur volume» (M. 1969:17-18; 1977:19), un
exemple souvent cité étant le fr. chemin de fer métropolitain ⬎ métropolitain ⬎
métro.

2.2 Élaboration par Mańczak

Non seulement la théorie est connue, sinon généralement reconnue, mais elle est
aussi largement élaborée dans l’œuvre de Mańczak. Contrairement à certains de
ses devanciers, qui l’appliquent surtout aux mots, Mańczak l’applique à tout l’éven-
tail des unités linguistiques, du phonème ou graphème aux constructions syn-
taxiques, embrassant par conséquent une portion importante du système. Et il
érige pour ainsi dire l’évolution phonétique conditionnée par la fréquence en troi-
sième pilier de la description diachronique, à côté des deux piliers traditionnels
que sont les lois phonétiques et les actions analogiques. En outre, la théorie y est
assortie de critères (M. 1969:19-23; 1977:20-21) permettant de reconnaître, dans la
masse des changements phonétiques irréguliers, ceux qui sont effectivement dus à
la fréquence et d’écarter l’assimilation, la dissimilation, l’haplologie, la métathèse
et les formes hypercorrectes ou expressives, qui sont autant d’accidents phoné-
tiques auxquels la fréquence n’a guère de part. Quant à un mot comme le fr. sire
(⬍ senior), rare de nos jours, il doit sa dérivation phonétique irrégulière au fait
qu’il était très fréquent autrefois, comme cas sujet et vocatif (M. 1969:21). Mańczak
relève aussi que le développement phonétique irrégulier dû à la fréquence se pro-
duit d’une manière parallèle pour des mots de langues différentes mais de sens
identique; cela s’observe par exemple dans les mots pour ‘parler’ en roman, latin,
Une note critique sur Witold Mańczak 3

anglais, russe dialectal et polonais dialectal (M. 1977:20-21). Dans l’application de


cette théorie, il s’agit en premier lieu d’attester la fréquence d’emploi, à partir de
dépouillements chiffrés et de dictionnaires de fréquence, ainsi que d’expliquer
l’éventuelle augmentation de fréquence d’un élément, comme cela semble avoir
été le cas dans le substantif latin hora, qui, au moment de devenir conjonction ou
adverbe, avec une fréquence plus élevée, s’engage dans une évolution irrégulière,
qui aboutit au fr. or (M. 1969:90-91), ou dans la forme sapio, qui, au moment de
remplacer scio, augmente de fréquence, subit une évolution phonétique irréguliè-
re et aboutit au fr. sais, à l’esp. sé et à l’it. so.
Il est impossible d’entrer ici dans les détails de la longue liste de donnés romanes
avec lesquelles Mańczak illustre la théorie (M. 1969:25-68, 69-82; 1977:21-59) et des
études plus poussées, publiées sous forme d’articles, telles les analyses de l’afr.
moillier (M. 1966), du e muet fr. (M. 1976), du piém. kant-uma ‘chantons’ (M. 1976-
77) et du participe passé (M. 1985).
Je crois utile cependant de m’arrêter un instant au cas suivant, que Mańczak a
spécialement développé et souvent cité, à savoir celui des mots romans signifiant
‘aller’, dont la grande fréquence d’emploi est reconnue. Ces mots ont donné lieu,
chez les romanistes, à l’établissement de nombreux étymons à astérisque s’inter-
calant entre le latin classique et les langues romanes, et ceci selon un modèle tan-
tôt monogénétique, chez certains chercheurs, tantôt polygénétique, chez d’autres.
Or, dit Mańczak, «il existe une théorie qui rend superflus tous ces étymons plus ou
moins fantaisistes, qui est celle du développement phonétique irrégulier dû à la
fréquence, suivant laquelle les verbes romans signifiant ‘aller’, c’est-à-dire aller,
esp., port. andar, it. andare, oc. anar, rhétorom. la, ma, na, etc., ne sont pas autre
chose que des continuations du verbe ambulare, attesté des milliers de fois dans
le latin classique» (M. 1977:17; 1969:49; cf. aussi 1974a; 1995:17-20). Cet exemple
est intéressant à un autre titre encore; de l’étymon ambulare partent, semble-t-il,
deux dérivations: celle par évolution phonétique irrégulière postulée par
Mańczak, que je viens de citer, et une dérivation par évolution phonétique régu-
lière pour des sens spéciaux n’impliquant pas de grande fréquence d’emploi, ce
qui, en l’occurrence, produit en français le doublet aller ‘aller (en général)’/ambler
‘aller, marcher l’amble’ (M. 1995).

2.3 Critiques

La méthode de Mańczak fondée sur la fréquence a suscité plusieurs critiques, né-


gatives ou positives, auxquelles il renvoie (M. 1969:83-85; 1977:59N) et auxquelles
il répond au besoin en déployant tout un arsenal de statistiques, dont ses contra-
dicteurs ne disposent pas ou n’ont pas tous songé à se munir.
Côté négatif, il lui est surtout reproché un examen trop sommaire des données
et une formulation trop peu systématique de la théorie. Des critiques très concrètes
sont formulées par Flobert 1978:192-94, qui écrit: «constater un fait ne signifie pas
4 Robert de Dardel

l’expliquer, même quand on s’appuie sur une relation entre la fréquence des mots
et leur brièveté» et «des groupements s’imposent du côté des termes soumis à des
traitements particuliers: noms de parenté, formules de politesse ou de salut, numé-
raux, pronoms et mots grammaticaux» et du côté de ce sur quoi portent les chan-
gements (absence de diphtongaison, disparition de consonnes intervocaliques,
etc.). Il regrette que ne soient pas assez pris en compte des facteurs comme «la ra-
pidité du débit, l’atonie, la pauvreté de l’‹information› et le souci de la différencia-
tion morphologique . . . » et, d’une manière générale, souhaiterait «de l’ordre dans
les faits». Il rappelle finalement cette vérité essentielle: «Il y a souvent besoin d’une
convergence de facteurs pour réaliser un changement».
Côté positif, la position de Mańczak est dans l’ensemble assez forte, pour trois
raisons. (a) Mis à part des précurseurs récents, comme Guiraud, Guiter et Mul-
ler, très peu de romanistes ont étudié aussi sérieusement que lui l’effet de la fré-
quence d’emploi et encore moins se sont aventurés et orientés sur le terrain des
langues non romanes, de sorte que, sous ce rapport, un champ d’étude et d’ex-
périence étendu, où le problème se présente dans toute sa complexité, attend
encore le chercheur. Cela vaut notamment pour l’étymologie des particules
grammaticales subordonnantes, qui est en bonne partie tributaire de la fré-
quence et de ses effets sur l’évolution phonétique; aussi, seul le remplacement
de la reconstruction traditionnelle phonético-sémantique par une reconstruc-
tion sémantico-syntaxique, donc sans recours systématique aux lois phonétiques,
permet de décrire par exemple la formation de syncrétismes comme celui qui
produit le protoroman ka à partir de quam et de quia (D. 1983:40-42). (b) D’un
point de vue méthodologique, il faut reconnaître une chose: sauf erreurs ou im-
précisions de la part de Mańczak, que les auteurs de comptes rendus se sont suf-
fisamment chargés de signaler, ses analyses vont dans le sens de l’économie du
langage indiqué par la linguistique générale et la loi de Zipf, c’est-à-dire élèvent
le débat à un niveau de réflexion supérieur. (c) Sans même consulter les théori-
ciens, un observateur attentif constatera que des principes économiques régis-
sent probablement toute communication et qu’on ne peut pas en conscience se
permettre la moindre analyse d’un système linguistique, fût-ce le code morse, ni
de tout autre système sémiologique, comme la signalisation routière, sans en re-
chercher et décrire les effets. – Mańczak est du reste accueilli avec approbation
par certains romanistes, notamment par Guiter 1970 (sous réserve cependant
pour le cas de ambulare, avec renvoi à Guiter 1957/58:341, où est adopté le
modèle polygénétique), par Flobert 1978 et par Iliescu 1978:203. Le FEW (24,
paru en 1981, s. ambulare, 414-30) invoque, pour l’évolution irrégulière ambu-
lare ⬎ amblare ⬎ (*amlare ⬎ *allare) ⬎ aller, le rôle de la fréquence et cite
Mańczak 1974a dans la bibliographie. – Il faut d’autre part mentionner le comp-
te rendu que publie Shaterian 1990 de l’ouvrage de Mańczak sur l’évolution
phonétique irrégulière due à la fréquence dans les langues germaniques; Shate-
rian y fait, au niveau de la linguistique générale, un éloge appuyé (nuancé de
quelques critiques de détail) de la théorie de Mańczak, qu’il souhaiterait voir
Une note critique sur Witold Mańczak 5

appliquée à d’autres langues et étudiée dans le cadre des recherches sur les traits
universels.
Du point de vue de l’histoire des recherches romanes, Mańczak renouvelle fon-
damentalement la méthode. Par sa théorie, il réagit à une regrettable lacune des
travaux étymologiques de, disons, la seconde moitié du XXe siècle; en effet, selon
lui, par exemple «dans un récent échange d’opinions [entre trois auteurs] au sujet
de la série andar(e) – anar – aller, la notion de développement phonétique irrégu-
lier dû à la fréquence n’a même pas été mentionnée» (M. 1977:19); et, dans le dic-
tionnaire étymologique de Bloch/Wartburg (édition de 1960), une seule entrée,
celle de la conjonction que ⬍ quia, fait état du rôle de la fréquence (M. 1977:19).
Pour le même motif, Mańczak 1995 critique le LEI, dont les deux premiers vo-
lumes donneraient des étymologies erronées ou incomplètes, faute d’une prise en
compte de la fréquence; je constate moi-même que, pour ambulare, cet ouvrage,
s. andare, où Mańczak est pourtant cité, explique l’évolution irrégulière par la fonc-
tion injonctive de ce mot, ce qui me laisse songeur, l’évolution phonétique irrégu-
lière de ce verbe se présentant dans maint contexte où il n’exprime pas d’injonc-
tion, et le verbe dans son ensemble comportant des formes supplétives, ce qui est
un signe de haute fréquence. On trouve une lacune méthodologique analogue dans
les manuels d’étymologie des romanistes Meier 1986 et Pfister 1980 (cf. mon
compte rendu, D. 1985b) et dans la récente phonétique historique romane de
Jensen 1999. Shaterian 1990 constate et déplore cette lacune aussi dans les
recherches sur des parlers non romans.
On peut bien sûr comprendre dans une certaine mesure la retenue observée par
les étymologistes à l’endroit de cette théorie.Aux lois phonétiques dûment établies
et décrites, souvent de manière détaillée, la théorie fondée sur la fréquence ne sub-
stitue pas une véritable description diachronique, mais seulement un point de dé-
part (par exemple le latin classique ambulare) et un ou plusieurs points d’arrivée
(le fr. aller, etc.), le parcours intermédiaire restant à compléter tant bien que mal
en pointillé. En contrepartie, aux «lois» phonétiques de la grammaire historique,
qui, comme on sait, sont fonction d’un point déterminé dans l’espace et le temps
et décrivent un processus plutôt qu’une cause, la théorie qu’applique Mańczak op-
pose une relation causale, ressortissant à une loi de portée universelle. Mieux vau-
drait donc, en grammaire historique romane, une approche traitant conjointement
ces deux aspects complémentaires de l’évolution phonétique.

3. La thèse relative à l’origine des langues romanes

3.1 Cadre de référence notionnel et terminologique

Pour éclairer les vues de Mańczak sur l’origine des langues romanes et les situer
par rapport à celles d’autres romanistes, il est utile d’établir au préalable, en guise
d’interface, un bref cadre de référence indépendant et plus compréhensif.
6 Robert de Dardel

3.1.1 Simplicité théorique


La totalité des traits du latin antique, écrits ou parlés, connus ou susceptibles d’être
un jour connus par des textes ou par la reconstruction, forme le «latin global».
Dans cet ensemble, on peut opérer deux divisions binaires: d’une part, il y a la
division selon les «media» ou «division médiale» entre le latin écrit, accessible au
monde moderne sous cette forme, et le latin parlé, dont le témoignage indirect
nous parvient par transmission orale, à travers les parlers romans; d’autre part, il
y a, dans la dimension diastratique, la division selon les «niveaux de style» ou «di-
vision stylistique», entre le «latin classique», norme des sujets cultivés, liée aux pré-
ceptes de grammairiens, et le «latin non classique», c’est-à-dire tout le reste de la
gamme des niveaux de style, où se situe ce qu’on appelle couramment le «latin vul-
gaire», terme dont les multiples interprétations, fondées sur des critères avant tout
sociaux et historiques, sont ici sans intérêt immédiat; cette division-ci, étant affai-
re d’appréciation, n’a rien de tranché. Les deux termes de l’opposition stylistique
diffèrent entre eux à la fois de manière interne, dans le système, et de manière ex-
terne, dans l’espace et le temps, par une relative homogénéité du latin classique et
une relative hétérogénéité du latin non classique1.
A ces notions, il faut ajouter celle de «protoroman», par laquelle on désigne tout
trait du latin global qu’il est possible de reconstruire, dans l’abstrait, à partir des
parlers romans (le terme «roman commun», utilisé jadis, est moins heureux, parce
qu’il évoque une réalité qui n’a jamais existé, à savoir un champ linguistique uni-
forme couvrant à un moment donné toute la Rome latinophone). Le protoroman
est du latin parlé, mais indépendamment des divisions médiale et stylistique; il peut
par conséquent se manifester non seulement comme trait du media non écrit (buc-
cam-callem ⬎ esp. bocacalle ‘entrée d’une rue’, cf. 3.2.3.2), mais aussi comme trait
du media écrit classique (amicum ⬎ fr. ami) ou non classique (credo quod . . . ⬎ fr.
je crois que . . .). Le protoroman est par définition un ensemble de faits de langue,
ce qui ne vaut pas sans restrictions pour le media écrit, qui, en première analyse,
ne se compose que de faits de parole, au sens saussurien de ce terme.
Dans le temps, le latin global de l’Antiquité couvre toute la période qui s’étend
du latin archaïque au latin médiéval naissant (vers 600). Il inclut par conséquent
le latin classique, qui y est cependant beaucoup plus limité; le latin non classique,
au contraire, à en juger par les documents écrits, s’étend dans les deux sens de l’axe
temporel, aussi loin que le latin global. – Quant au protoroman, pour des raisons
inhérentes au comparatisme et jusqu’à preuve du contraire, il représente, en re-

1 Comme me le rappelle avec raison Kristol (courriel du 6 avril 2005), il est certain que dans

la population romaine, ceux qui pratiquaient le latin classique étaient beaucoup moins nombreux
que ceux qui parlaient les formes plus populaires (sermo pedestris, sermo rusticus, etc.), mais ce
sont eux qui détenaient le pouvoir. Leur langue était la «langue légitime» selon une terminolo-
gie actuellement à la mode. À son avis, c’est un des facteurs qui contribue à expliquer le phé-
nomène des doublets (et des formes semi-savantes): les variétés H[aute] et B[asses] ont toujours
coexisté dans la société romaine, de l’époque classique et de l’époque tardive.
Une note critique sur Witold Mańczak 7

montant dans le temps, au mieux l’état du latin qui est parlé un siècle avant notre
ère (D. 1985a); dans la direction opposée, il peut, par convention, se prolonger
jusque vers 600, pour autant qu’il rende compte d’une portion importante des par-
lers romans, ce qui est encore affaire d’appréciation.

3.1.2 Tour de Babel dans la pratique


Le problème qui sera discuté dans cet essai s’inscrit dans une problématique plus
vaste, à laquelle ni Mańczak ni les autres chercheurs n’échappent, à savoir celle de
notre connaissance déficiente du latin global et de ses sous-ensembles en termes
mediaux et stylistiques, tant du point de vue des réalités à reconnaître et à décrire
que de celui de la terminologie.
Qu’il s’agisse d’un latin diversifié ou du latin tout court, concept envisagé jadis
par Meyer-Lübke, de toute manière, pour le moment, on ne sort pas encore de cet-
te impasse, parce que le latin global est une réalité à la fois trop complexe et d’un
accès difficile. – Comment s’y retrouver, par exemple, dans la division stylistique
en latin classique/latin non classique, pour laquelle il y a peut-être autant de cri-
tères et de définitions que de chercheurs qui s’en sont occupés? – Pour ce qui est
de la division médiale en latin écrit/latin parlé, simple en apparence, elle est en fait
illusoire, parce que, par définition et à la différence du latin écrit, le latin parlé est
un ensemble de données non attesté; forcément présent sous des textes écrits, mais
difficilement accessible et identifiable par cette voie, il est, pour le reste, postulé
par la reconstruction et traditionnellement muni de l’astérisque, et peut exister
aussi indépendamment de cette technique, comme ensemble ouvert, mais encore
en partie inconnu. En outre, l’emploi de l’astérisque suggère que la forme en ques-
tion est moins sûre que la forme attestée, alors que le contraire est souvent avéré:
la forme reconstruite est abstraite et hypothétique, mais représente un fait de
langue, tandis que la forme attestée n’est, rappelons-le, qu’un fait de parole (3.1.1).
Enfin, la division médiale est instable, la limite entre les deux media se déplaçant
au gré des progrès scientifiques: par la découverte et le dépouillement de textes,
les formes à astérisque tendent à disparaître, mais, par le comparatisme, il s’en
ajoute (soit dit en passant, c’est la raison pour laquelle je crois l’astérisque plus en-
combrant qu’utile et ne m’en sers plus). Ce qu’il y a sans doute de plus fiable –
mais je retombe ici, malgré moi, dans un plaidoyer pro domo – c’est le recours au
protoroman: par un cheminement convergent de traits identiques des parlers ro-
mans vers un trait correspondant unique de la protolangue, on débouche sur du la-
tin parlé en tant que système, abstrait sans doute, mais réel et fonctionnel.
Du moment que ni le latin différencié en media et en styles, ni le latin tout court
ne permettent de résoudre le problème de notre connaissance du latin global, il est
difficile de se mettre d’accord entre chercheurs sur ce qu’est le latin et surtout sur
la manière dont les parlers romans en sont issus. Si beaucoup de romanistes et la-
tinistes restent muets sur ce sujet, pourtant capital, ce n’est sans doute pas tant
qu’ils y voient un tabou, comme le pense Mańczak 1994, mais plutôt parce qu’ils
8 Robert de Dardel

n’y voient pas clair. Et les discussions dans les rencontres scientifiques, reflétées
dans des actes, comme ceux qu’a édités Herman 1998, ne signifient pas que les par-
ticipants sont en désaccord – ils sont peut-être en partie d’accord, fût-ce sans le
savoir – mais qu’ils ne font pas les mêmes distinctions et manient des termes dif-
férents pour une même notion ou, à l’inverse, désignent par un même terme des
notions différentes.

3.2 Introduction à la thèse de Mańczak

Lorsqu’on a pris connaissance des principaux écrits de Mańczak relatifs au latin et


aux langues romanes et des critiques suscitées par ces écrits, on voit que le pro-
blème soulevé par ses vues concerne sa thèse selon laquelle les parlers romans sont
issus, non pas du latin global, comme le pensent la plupart des romanistes, mais du
seul latin classique, thèse à laquelle l’auteur a consacré un ouvrage au titre plutôt
provocant, Le latin classique langue romane commune (M. 1977). Toutefois, pour
se faire de cette thèse une idée plus précise et porter sur elle, contrairement à ce
qui se pratique à l’accoutumée, un jugement tant soit peu approfondi et motivé, il
faut consulter aussi diverses autres publications mańczakiennes, où ce thème ré-
current, et à vrai dire trop souvent répété, bénéficie incidemment d’un éclairage
supplémentaire.
L’analyse qui suit s’articule sur quatre points de vue abordés dans ce cadre par
Mańczak lui-même: les deux schémas relatifs à l’origine des langues romanes, où
l’auteur situe son modèle dans l’ensemble des recherches romanes (3.2.1), et trois
arguments à l’appui de sa thèse, à savoir le développement irrégulier dû à la fré-
quence (3.2.2), les archaïsmes (3.2.3.) et les critères phonétiques et flexionnels
(3.2.4).

3.2.1 Les thèses sur l’origine des langues romanes


3.2.1.1 Les thèses A et B
Dans la plupart des études où, depuis de nombreuses années, il traite de l’origine
des langues romanes, Mańczak présente, sous la forme de schémas, deux thèses, A
et B, qu’il décrit (M. 2001a:273) en ces termes: «Selon la thèse A, . . . le latin ar-
chaïque s’est scindé en latin vulgaire et latin classique (qui, pendant un certain
temps coexistent), et les langues romanes proviennent du latin vulgaire, et non du
latin classique» et «D’après la thèse B, le latin archaïque s’est transformé en latin
classique, et celui-ci s’est transformé en latin vulgaire, et les langues romanes pro-
viennent du latin classique, tandis que le latin vulgaire, différencié dans le temps
et l’espace, constitue une étape intermédiaire entre le latin classique et les langues
romanes». Comme on sait, les romanistes et les latinistes mettent le terme de latin
vulgaire à toutes les sauces (cf. la vue d’ensemble chez M. 1977:5-16); Mańczak
1977:114 prend donc la précaution de définir, dans la thèse B, «son» latin vulgaire
Une note critique sur Witold Mańczak 9

comme «la phase intermédiaire entre le latin classique et les langues romanes», en
précisant que cette phase est partiellement attestée et partiellement reconstruite.
Dans ma terminologie, il s’agit par conséquent, au niveau de la division stylistique,
d’un ensemble de traits non classiques écrits ou non écrits, limité dans le temps à
la période postclassique. – Bien que la thèse A soit, selon ses propres dires, accep-
tée par la plupart des chercheurs, l’auteur l’écarte résolument au profit de la thè-
se B, pour le motif «qu’il n’y a aucune forme qui confirmerait la thèse A» (M.
2001a:273); et il qualifie la thèse A de mythe hérité d’une vision médiévale (M.
1974b:231; 1977:115). L’affirmation qu’il n’y a aucune forme qui confirmerait la
thèse A est, de l’avis presque général, excessive, mais repose selon moi en partie
sur un défaut de communication, dont il sera encore question (3.2.3.1). Chez les
critiques, la thèse B, sous sa forme schématique exposée dans ce paragraphe, fait
couler beaucoup d’encre et suscite des réactions contrastées, allant, dans les
grandes lignes, de l’acceptation (Pisani 1978) au refus catégorique (Baldinger
1977).

3.2.1.2 La pertinence du latin classique


Il se présente ici le problème de la pertinence du latin classique lui-même. Pour
commencer, il faut rappeler que le latin classique est une norme limitée dans le
temps et dans la dimension diastratique (3.1.1). En outre, par rapport à l’observa-
teur moderne, le latin classique est un ensemble de données impressionnant, mais
fortuit, en ce qu’il repose uniquement sur les attestations antiques écrites, à vrai
dire abondantes, que seuls les hasards de la transmission des textes nous permet-
tent de connaître. Enfin, face aux données actuellement décrites du protoroman et
des parlers romans, qui constituent un ensemble cohérent et systématique, ancré
dans le latin parlé des masses et évoluant selon des processus communs à toutes
les langues vivantes (3.2.4.2), le latin classique, par sa limitation à une élite intel-
lectuelle et par sa tendance au figement, fait figure de norme relativement artifi-
cielle.
Dans ces circonstances, le latin classique est une base utile certes, à laquelle les
néo-grammairiens eux-mêmes ont d’ailleurs recouru, mais trop restreinte. En fait,
le latin classique n’est pas dans tous les cas indispensable à la reconstruction du
protoroman; il fait même souvent obstacle à une analyse correcte de la genèse des
parlers romans. Sur ce point, je me réfère à des critiques adressées à la recons-
truction du protoroman, consistant à dire, par exemple, que, si cette méthode était
valable, elle devrait aboutir au système nominal casuel classique et non, comme le
soutiennent actuellement des romanistes comparatistes (D./Wüest 1993), à un sys-
tème nominal acasuel. Tout le problème est là, et il n’est pas mince. – Ainsi,
Mańczak dit: «Cela [la thèse que les langues romanes proviennent du latin clas-
sique] est prouvé[e] par le fait que des traces de la plupart des formes casuelles du
latin classique ont survécu, dans les langues romanes, jusqu’au XXIe s.» (M.
2001b:164); mais, en illustrant cette affirmation avec des exemples tels que le to-
10 Robert de Dardel

ponyme fr. Aix ⬍ aquis, datif-ablatif pluriel, et le roum. case ⬍ casae, nominatif
pluriel, il rapproche deux types de dérivation qu’il y aurait au contraire lieu de
séparer: Aix est dérivé, en conformité avec les lois d’évolution phonétique, du la-
tin tel qu’il se présente en latin classique, tandis que le roum. case est dérivé d’un
casae non pas classique, mais protoroman et relativement tardif, lequel, d’après
des recherches récentes, se substitue à un casas du système acasuel antérieur
(D./Wüest 1993); en outre, dans le système nominal protoroman, seul casae est,
en tant que nominatif pluriel, une forme fonctionnelle, tandis qu’aquis n’y est
qu’une forme résiduelle, non fonctionnelle, du datif-ablatif pluriel. On peut donc
dire que ces deux formes remontent au latin global, mais qu’elles n’ont pas le
même statut par rapport à l’opposition latin classique/protoroman.
C’est un fait, cependant, que, pour de nombreux traits du système, le latin clas-
sique représente une sorte de phase-témoin, qui atteste seule une étape intermé-
diaire de l’évolution entre le latin archaïque et les parlers romans; en voici un
exemple: ablatif archaïque ferrod ⬎ ablatif latin classique ferro ⬎ syncrétisme
ablatif-accusatif protoroman ferrum ⬎ sarde ferru/it. ferro. Pour des cas de ce type,
Mańczak 1977:111 est donc en droit d’affirmer que le romaniste peut se satisfai-
re du latin classique et n’a pas besoin de connaître le latin archaïque.
Il n’en demeure pas moins que le latin classique, si utile par ailleurs, soit n’est
pas nécessaire à notre connaissance de la genèse des parlers romans (par exemple,
l’ablatif latin ferro comme nom de matière se laisse probablement reconstruire à
partir des parlers romans; Hall jr. 1976:51, no 229), soit est insuffisant (par
exemple pour situer correctement dans l’ensemble de l’évolution le casae dont dé-
rive le roum. case). Du reste, depuis son origine et encore de nos jours, le compa-
ratisme historique général s’applique le plus souvent à des familles linguistiques
dont la protolangue n’est pas attestée.

3.2.1.3 L’homogénéité relative du latin


Il faut s’arrêter encore à la différence signalée plus haut (3.1.1) entre latin clas-
sique, relativement homogène et latin non classique, relativement hétérogène; cet-
te différence est reconnue par Mańczak et joue un rôle dans la manière dont il
conçoit la dérivation; il souligne, on l’a vu, que «le latin classique est homogène,
alors que le latin vulgaire . . . est différencié dans le temps et dans l’espace» (M.
1977:114); il souligne aussi une seconde différence, à savoir le fait que «le latin clas-
sique est attesté, tandis que les formes du latin vulgaire sont partiellement attes-
tées et partiellement reconstituées, et par là sujettes à caution» (ibidem); ces deux
différences, conclut-il, «expliquent pourquoi il faut asseoir la grammaire compa-
rée des langues romanes sur la base solide que constitue le latin classique» (ibi-
dem). Mańczak considère donc le latin classique, dans son media écrit et avec sa
norme et sa fixité, comme la langue mère, point de départ homogène d’un déve-
loppement diversifié, qui aboutit aux parlers romans, avec, comme étape intermé-
diaire, le latin non classique, diversifié et plus ou moins attesté. C’est là, dans son
Une note critique sur Witold Mańczak 11

esprit, une situation confortable, où la langue mère se porte en quelque sorte ga-
rante de tout ce qui en découle.
La différence entre latin classique homogène et latin vulgaire hétérogène se
trouve au cœur d’un débat entre Väänänen 1977, 1981 et Mańczak 1980, 1994. Le
raisonnement de Väänänen vise le fait que, de la dichotomie latin classique ho-
mogène/latin vulgaire hétérogène, appliquée de façon stricte, Mańczak tire argu-
ment pour «asseoir la grammaire comparée des langues romanes sur la base soli-
de que constitue le latin classique»; alors que lui, Väänänen, «en tire la conclusion
diamétralement opposée: la langue fixe qu’était le latin classique ne peut s’identi-
fier au roman commun ou ‹protoroman›, qui était sujet à de multiples variations»
(V. 1981:61). Il me semble que cet argument de Väänänen se trouve en porte-à-
faux, puisqu’il y a pour Mańczak un écart diachronique et une diversification en
cours entre le latin classique et ce qu’il appelle latin vulgaire.
On pourrait en revanche ajouter, pour clore cette discussion, que, en choisissant
la thèse B, Mańczak se prive des ressources du latin écrit non classique. D’une part,
le latin classique contient des éléments non classiques d’un grand intérêt histo-
rique; à propos d’une inscription de Pompéi, Väänänen rappelle, en relativisant la
dichotomie en question, que «la langue littéraire [latine] s’est constituée à la suite
d’une élimination de flottements diastratiques et diatopiques: ae/e, au/o, main-
tien/chute de h, -m, -s, nom. pl. -ae/-as, etc.» [et qu’] «il y aura interaction constan-
te entre les deux latins, qui n’en sont réellement qu’un» (V. 1977:290). D’autre part,
nous avons l’énorme corpus de textes non classiques, qui, si leurs normes sont
moins fermement établies que celle des textes classiques et leurs témoignages
moins sûrs que ceux du protoroman, constituent néanmoins une source d’études
importantes, qui, exploitées avec discernement, ont des incidences aussi sur l’his-
toire de la formation des parlers romans.

3.2.2 Le développement phonétique irrégulier dû à la fréquence


Le premier argument que Mańczak invoque à l’appui de la thèse B est que, si l’on
tient compte du développement phonétique irrégulier dû à la fréquence d’emploi
d’un mot ou morphème, on peut faire l’économie de nombreux étymons à asté-
risque, justifiés traditionnellement par l’impossibilité de leur appliquer les lois
phonétiques reçues, et qu’on peut ainsi remonter directement au latin classique.

3.2.2.1 La nécessité d’étymons attestés


À lire Mańczak, avec son ton assez catégorique, on a parfois l’impression que, pour
lui, le recours à la fréquence est la panacée qui fera finalement s’écarter le rideau
d’étymons à astérisque qui s’interpose entre le latin classique et les parlers romans.
Cette attitude n’est cependant qu’une apparence, car, dans ses considérations gé-
nérales sur le rôle de la fréquence, Mańczak se montre tout de même nuancé, en
soulignant la portée relative de la théorie: «La théorie . . ., loin de les [les étymons
à astérisque dans le REW] supprimer tous, permet d’en réduire, dans une certaine
12 Robert de Dardel

mesure, le nombre. Par là, l’écart entre les langues romanes et le latin classique di-
minue un peu.» (M. 1977:70). – Je me demande toutefois si cela est bien l’essen-
tiel. Car, s’il n’y a pas de forme à astérisque entre l’étymon classique et les dérivés
romans issus d’évolutions irrégulières, cela signifie peut-être que, dans ce flou dé-
nué de lois phonétiques établies, les formes intermédiaires, qui doivent avoir exis-
té, sont difficilement saisissables; il est en effet certain qu’entre ambulare et ses
dérivés romans si divers, il y a eu des étapes qui, si elles étaient confirmées, mais
non attestées, auraient droit à l’astérisque. – Tout compte fait, ce qui importe, je
crois, ce n’est pas tant la présence ou l’absence d’une forme à astérisque qu’une
stratégie permettant de postuler en latin classique, au départ d’une monogénèse à
développement phonétique conditionné par la fréquence, un étymon premier à
peu près assuré, par rapport auquel on puisse constater, décrire et justifier l’évo-
lution phonétique irrégulière. Or, puisque dans le cas d’une évolution irrégulière
la reconstruction de l’étymon est hasardeuse, voire impossible, on a intérêt, pour
développer cette stratégie, à disposer d’un étymon attesté, ayant à l’origine un sens
compatible avec celui de ses dérivés et présentant une grande fréquence d’emploi;
de ce fait, la démonstration ne peut se faire que par rapport au latin écrit (dont le
latin classique) et en prolongement de ce latin écrit dans le temps. Ainsi, Mańczak
est amené à se fonder sur le seul latin écrit, et plus particulièrement sur la norme
classique, parce qu’elle est codifiée, uniforme et solidement attestée. À ce titre, sa
thèse de l’enchaînement latin classique ⬎ latin vulgaire (c’est-à-dire latin non clas-
sique) ⬎ parlers romans se trouve méthodologiquement justifiée et génère une
contribution substantielle à la grammaire historique romane.
Déduction faite des traits liés à l’évolution phonétique irrégulière due à la fré-
quence, ce qui reste du latin classique sont les unités qui évoluent selon les lois
phonétiques reçues (ambulare ⬎ fr. ambler, amo/amatis ⬎ afr. aime/amez, pour la
voyelle du radical) ou selon des accidents phonétiques (peregrinum ⬎ fr. pèlerin,
par dissimilation), les structures morphologiques et lexicales qui se déploient en
roman par des processus analogiques (comme vinum neutre ⬎ afr. vins, cas sujet
masculin) et les structures relationnelles syntagmatiques, que je traiterai plus loin
(3.2.4).

3.2.2.2 Bilan
Certes, avec une évolution phonétique irrégulière due à la fréquence, le rapport
entre les formes romanes et leur étymon latin classique n’est pas nécessairement
direct et univoque; mais ce qui importe, c’est que ce type d’évolution est suscep-
tible de révéler un éventuel étymon en latin écrit; en ceci, la méthode choisie par
Mańczak, appliquée avec la prudence qui s’impose, peut contribuer à clarifier
l’étymologie romane, même limitée au latin écrit, voire au latin classique. La posi-
tion de Mańczak dans l’histoire de la linguistique romane est, sous ce rapport, une
saine réaction à l’attentisme ambiant et, dans l’histoire de la linguistique généra-
le, une position d’avant-garde.
Une note critique sur Witold Mańczak 13

Il n’empêche que, si cette théorie étaie la thèse B pour un grand nombre de


mots, elle ne suffit pas à infirmer l’existence de dérivations selon la thèse A, c’est-
à-dire à partir d’étymons écrits non classiques ou préclassique.

3.2.3 Les archaïsmes


Le second argument sur lequel repose la thèse de Mańczak selon laquelle les par-
lers romans dérivent du latin classique concerne les archaïsmes.

3.2.3.1 L’argument de l’évolution «rectifiée»


Voici comment l’auteur l’expose: «Ce qui semble justifier . . . l’opinion que les
langues romanes proviennent du latin vulgaire, et non pas du latin classique, c’est
le fait que de nombreux chercheurs croient retrouver, dans les langues romanes,
des archaïsmes qui s’expliqueraient uniquement par des états de langue antérieurs
au latin classique» (M. 1977:71). Pourtant, une relation historique directe, par la
voie du media parlé, entre le latin préclassique et les parlers romans, mais que le
latin classique n’atteste pas, est admise par des chercheurs réputés, que Mańczak
cite textuellement: Tagliavini, Coseriu, Battisti, Väänänen.
Dans la série d’exemples par lesquels Mańczak illustre son point de vue, pre-
nons celui de la chute de la voyelle post-tonique pénultième dans val(i)de,
dom(i)nus et dom(i)na, qui est attestée déjà chez Plaute et Térence et révèle par
conséquent une émergence en latin écrit préclassique. Cette position chronolo-
gique, Mańczak l’admet évidemment, mais l’interprète autrement, avec l’argument
que voici: «Cependant le romaniste ne perd rien en prenant comme étymons de
mots romans les formes classiques sans syncope. Au contraire, dans la grande ma-
jorité des cas, la forme classique à pénultième post-tonique conservée est la seule
qui permette de comprendre la forme romane: par ex. it. uomini, roum. oameni,
esp. hombres (en regard de sueño ⬍ somnum) s’expliquent uniquement à partir de
homines, et non pas de *omnes» (M. 1977:73). – La polémique déjà citée entre
Väänänen et Mańczak porte également sur cette question. Väänänen signale, dans
une inscription de Pompéi, où un distique érotique en vogue est rendu par un
«Pompéien brouillé avec la grammaire» (V. 1977:289), d’évidents vulgarismes, qui
sont aussi anciens que le latin classique, telles les formes ama pour amat et valia
pour valeat. À quoi, en s’efforçant de «rajeunir les changements phonétiques»
(formule de V. 1977:290) et en se référant à des formes comme le sarde kántat ⬍
cantat et à la prononciation du t en liaison du fr. plaît-il?, Mańczak répond: «Il est
impossible de prendre les formes sans -t [de l’inscription pompéienne] comme éty-
mons de toutes les formes romanes» (M. 1980:148).
Par son interprétation de la chute de voyelles pénultièmes post-toniques et du
-t final, Mańczak substitue à la chronologie des attestations, qui permettrait de
conclure, sinon à l’existence d’archaïsmes, du moins à l’apparition précoce de ces
variantes, une description en quelque sorte «rectifiée» de l’évolution, rectification
qui s’explique sans doute ainsi: Mańczak reste, avec raison, attaché au compara-
14 Robert de Dardel

tisme historique général, dont il conserve cependant la pratique consistant à re-


monter à l’étymon de la protolangue qui rend compte de toutes les langues filles,
indépendamment de la chronologie relative des attestations, pratique dont il don-
ne des exemples slaves (M. 1977:96-98).
À l’argument de Mańczak que, dans ces cas, le romaniste ne perd rien à partir
de la forme classique sans syncope ou de celle avec -t final conservé, on pourrait
objecter qu’il y perd tout de même une vision synchronique et plus réaliste du sys-
tème protolinguistique, qui, par l’existence simultanée de témoins de stades diffé-
rents de l’évolution, mette en évidence sa dynamique, ainsi que des oppositions
diastratiques éventuelles. Il n’est en effet pas sans intérêt pour le latiniste de
constater que par exemple la coexistence, en latin classique, de l’adjectif validus
et de l’adverbe valde (M. 1977:23-24) est peut-être le reflet d’une différence de
fréquence, à rapprocher du couple fr. monseigneur/monsieur, ni, pour le romanis-
te, de montrer que l’opposition, à l’époque du latin classique, de dominus/proto-
roman domnum (esp. dueño, etc.) pourrait refléter une situation du même type.
Là – et on peut le regretter – n’est toutefois pas le but visé par Mańczak.

3.2.3.2 L’existence probable d’archaïsmes


S’il est vrai que l’évolution illustrée par val(i)de passe par la norme classique (val-
de/validus), il n’en est pas moins vrai que d’autres traits sont non seulement anté-
rieurs au latin classique, mais aussi étrangers à la norme classique. (a) Pour la caté-
gorie protoromane déjà citée (cf. 3.1.1) des composés nominaux rectionnels [nom
[nom]] et [[nom] nom],qu’illustre buccam-callem,esp.bocacalle‘entrée d’une rue’,
l’équivalent latin écrit n’apparaît qu’en période postclassique (D. 1999). (b) Il exis-
te plusieurs thèses, longuement exposées par Mańczak (1977:74-79), selon les-
quelles la métaphonie devant /u/, fort dispersée dans la Romania, par exemples en
port. (novo avec o tonique fermé ⬍ novum, novos avec o tonique ouvert ⬍ novos),
en rhétorom. sursilvan (gries ⬍ grossum, gross avec o ouvert ⬍ grossos) et à Castro
de’ Volci, Latium, pierdene ⬍ perdunt, perde ⬍ perdo), serait archaïque, antérieure
au passage de [u] bref à [o]. Mańczak soutient que le phénomène est au contraire
tardif, produit parallèlement dans divers parlers romans par l’effet de la fréquence,
particulièrement élevée par exemple dans le masculin accusatif singulier. Sans pou-
voir porter un jugement définitif sur cette question complexe, ni exclure le rôle de
la fréquence, je ferai observer que cette dispersion spatiale d’alternances non clas-
siques, isolées mais identiques et excluant de ce fait une évolution parallèle, suggère
que nous nous trouvons bel et bien en présence d’une loi phonétique protoromane
très ancienne,qui,contrairement à la syncope déjà citée,n’est plus productive en pé-
riode classique ou postclassique; et ce n’est probablement pas fortuitement que plu-
sieurs des cas de métaphonie cités par Mańczak se rencontrent précisément dans
des aires romanes que caractérisent par ailleurs des traits archaïques. Il est difficile
par conséquent de ne pas suivre la démonstration et la conclusion de Lausberg
1971/1:225-29, qui voit explicitement dans ce cas un archaïsme. (c) Jadis, dans ma
Une note critique sur Witold Mańczak 15

thèse (D. 1958), j’ai soutenu que le parfait fort classique (hábui/habuísti/ . . . et
díxi/dixísti/ . . .) perd dans le protoroman de la période postclassique les suffixes
perfectifs -u-,respectivement -s-,des formes à radical inaccentué (hábui/habísti/ . . .
et díxi/dicísti/ . . .), ce qui explique beaucoup de formes romanes, notamment en ita-
lo-roman (abbi/avesti/ . . . et dissi/dicesti/ . . .); récemment (D. 2000), après avoir ré-
examiné les données, j’ai dû admettre que la forme protoromane est en réalité an-
térieure au latin classique,du moins en ce qui concerne le parfait en -u-,et s’explique
à partir de la morphologie indo-européenne; la critique négative, fondée sur la fré-
quence relative des formes personnelles, que fait Mańczak 2001a de ma nouvelle
interprétation ne me paraissant pas pouvoir être retenue, je continue de considérer
le parfait fort protoroman en -u- comme un exemple d’archaïsme.

3.2.3.3 Bilan
Comme c’était le cas pour l’évolution phonétique en fonction de la fréquence, une
prise de position de l’auteur qui paraît radicale à première vue, se présente com-
me relative pour le lecteur attentif. Toutefois, si (en 3.2.2.2) j’ai rompu une lance
en faveur de la théorie de la fréquence, qui non seulement confirme, dans un sec-
teur limité du système, la thèse mańczakienne, mais aussi met en relief un facteur
causal important trop négligé, ici, il m’est difficile de me contenter de la démarche
de Mańczak: l’évolution rectifiée n’est pas un argument contre l’existence d’ar-
chaïsmes – ceux cités en 3.2.3.2 me paraissent difficilement réfutables – mais une
autre façon d’envisager les rapports entre variantes du latin écrit.

3.2.4 Critères phonétiques et flexionnels


3.2.4.1 La méthode comparative traditionnelle
Un troisième et dernier argument de la thèse de Mańczak réside dans le principe
que le problème de la filiation des langues romanes à partir du latin ne peut être
résolu que sur la base de la phonétique et de la flexion, «qui constituent le noyau
de la langue» (M. 1977:99). Et l’auteur de se référer aux travaux des slavistes, qui
reconstruisent le slave commun en s’appuyant «uniquement sur des faits phoné-
tiques et flexionnels» (M. 1977:98), en d’autres mots, sur des formes slaves dont
l’étymon est garanti par les lois d’évolution phonétique et une dérivation séman-
tique plausible. En ce qui concerne les langues romanes, Mańczak 1977:99-107 est
confirmé dans ce point de vue par la longue liste (citée d’après V. 1967) de diffé-
rences phonétiques et flexionnelles entre le latin classique et «son» latin vulgaire,
liste dans laquelle, pour chaque item, l’état du latin classique est, selon la chrono-
logie relative, le plus ancien et où se situent donc par exemple le passage du sys-
tème vocalique composé de dix phonèmes à un système plus réduit, la formation
par dissimilation de la forme populaire cinque (⬍ quinque) et la substitution de
thèmes substantivaux parisyllabiques aux thèmes imparisyllabiques, comme dans
le nominatif mens ⬎ mentis.
16 Robert de Dardel

Dans cette optique sont donc implicitement exclues de l’analyse comparative


les structures relationnelles syntagmatiques, qui, en tant que telles, ne bénéficient
pas de la garantie de lois phonétiques. Or, se priver des traits extérieurs à ce que
Mańczak appelle le noyau, c’est, comme dit Väänänen, dans son article critique (V.
1977:291), «se priver d’une documentation riche entre toutes».

3.2.4.2 La méthode comparative «étendue»


Cette réserve est probablement liée aux avatars de la méthode comparative histo-
rique. Mańczak appartient à l’école néo-grammairienne, qui s’appuie essentielle-
ment sur deux données: les lois phonétiques, retraçables dans les lexèmes et mor-
phèmes, et, selon le principe cher à Meillet, l’anomalie des formes dans les langues
filles. Je ne songe pas à lui reprocher cette restriction méthodologique, qui délimi-
te effectivement la voie la plus sûre et celle qu’empruntent encore de préférence
des comparatistes, romanistes ou non romanistes, récents.Toutefois, de nos jours, le
comparatisme, selon un modèle qu’on pourrait appeler la comparaison historique
«étendue» (D. 1987), pousse souvent ses enquêtes jusque dans le domaine des re-
lations syntagmatiques, pour lesquelles on ne dispose pas de lois phonétiques et où
l’on reconstruit la protolangue sous la forme de structures plus abstraites, au niveau
des catégories grammaticales, mais sans les unités signifiantes qui les actualisent
dans l’Antiquité et, plus tard, dans les langues filles. La confirmation ou vérifica-
tion des hypothèses protoromanes formulées dans ce cadre se fonde sur des critères
propres, qui sont non seulement (a) l’anomalie, laquelle se traduit ici par la com-
plexité et la distribution spatiale diffuse, autrement inexplicables, d’une structure
relationnelle romane, mais aussi (b) la cohérence des structures synchroniques pro-
tolinguistiques et leur compatibilité avec ce que nous savons aujourd’hui d’un sys-
tème linguistique fonctionnel en synchronie, ainsi que (c) l’analyse spatio-tempo-
relle de la protolangue, qui établit une chronologie relative, parfois même absolue,
entre les synchronies successives et révèle une évolution également compatible
avec ce que nous savons aujourd’hui de l’évolution linguistique normale.
Or, dans le domaine exploré par la comparaison historique étendue, on recons-
truit pour le roman des structures relationnelles non classiques, dont quelques-unes
remontent éventuellement à la période classique (par référence aux repères chro-
nologiques du sarde et du roumain, notamment), voire plus haut (par référence au
latin écrit préclassique ou à ses sources en indo-européen). Ainsi, le type buccam-
callem (3.2.3.2), en tant que syntagme rectionnel [nom[nom]] ou [[nom]nom] pro-
toroman qu’il est probablement à l’origine et commun à tous les parlers romans dès
leurs plus anciennes attestations, n’est pas classique, tout en remontant à l’époque
préclassique. Et la construction conjonctionnelle du type credo quod petrus sanus
est (3.1.1) est panromane et existe déjà en latin écrit préclassique, tandis que l’ac-
cusativus cum infinitivo subsiste dans la seule norme classique (D. 1995/96).
La limitation du comparatisme à ce que Mańczak appelle le noyau de la langue
affecte fâcheusement l’étude de ce noyau lui-même. Par exemple, les cas sous leur
Une note critique sur Witold Mańczak 17

aspect fonctionnel (comme casae ⬎ roumain case, nominatif pluriel, cité en 3.2.1.2)
ne peuvent pas être analysés dans le seul cadre de la phonétique et de la morpho-
logie, car «la morphologie est ici inséparable de la syntaxe» (Flobert 1978).
Par des reconstructions ressortissant au comparatisme étendu, le protoroman
non seulement s’affirme en dehors de ce noyau, mais aussi, on l’a vu, se prolonge
en arrière dans le temps, jusque dans le domaine des archaïsmes. Ces faits incitent
donc à compléter dans le sens du comparatisme étendu la méthode de Mańczak,
laquelle consiste à se conformer strictement aux vues néo-grammairiennes tradi-
tionnelles et à réduire, dans le temps, le latin non classique à la période postclas-
sique.

3.3 Bilan relatif aux thèses A et B

Le bilan de la thèse B, selon laquelle les parlers romans dérivent du latin classique,
thèse que résume le titre de Mańczak 1977, est en somme mitigé.
Dans les recherches romanes, Mańczak paraît motivé essentiellement par les
deux buts qu’il vise: (a) la solidité de la description, qui le pousse à écarter (aa) ce
qui est antérieur ou extérieur au latin classique, (ab) les traits, même classiques, qui
se situent en dehors de ce qu’il appelle le noyau, (b) l’élaboration d’un ensemble
d’étymons attestés plus complet, par l’inclusion des évolutions phonétiques irré-
gulières dues à la fréquence d’emploi.Ainsi délimitées et protégées de toutes parts,
ses recherches se meuvent dans un cadre où le risque d’erreurs est réduit à un mi-
nimum.
À en juger par les réactions aux deux ouvrages de Mańczak pertinents à cette
question, ceux de 1969 et de 1977, ce n’est évidemment pas sans réserves que les
romanistes acceptent ce cadre limité. Car retrancher d’entrée en jeu le media la-
tin parlé que postule le comparatiste fausse la description du latin global en blo-
quant ou éliminant, en morphologie et en phonétique, le traitement de ce qui
échappe aux lois phonétiques (comme l’archaïque habísti au lieu du classique ha-
buísti), ainsi que toute structure relationnelle syntagmatique non attestée dans les
textes. – C’est une approche qui laisse sur leur faim, sinon les latinistes, du moins
la plupart des romanistes, au premier rang desquels ceux qui se réclament du struc-
turalisme et explorent la syntaxe.
En l’état actuel des recherches comparatives historiques latino-romanes, avec
leur ouverture potentielle sur tous les aspects du latin global, seule la thèse A, la
plus compréhensive des deux, est relativement acceptable. Et ce qui conduit
Mańczak à retenir la thèse B, plus restrictive, c’est en dernière analyse une donnée
fortuite, d’ordre culturel, à savoir qu’une partie du latin global pertinent aux par-
lers romans – du protoroman donc – se trouve être actualisée et fixée dans le latin
classique. Ainsi, si l’on fait provisoirement abstraction de la théorie de l’évolution
phonétique irrégulière due à la fréquence, reste, atténuée tout de même, eu égard
au rôle central des étymons attestés, la critique formulée jadis par Väänänen: «De
18 Robert de Dardel

deux choses l’une: ou accepter la thèse [B] de Mańczak, et alors il faudra rayer, de
tous nos manuels et de nombreux traités, la partie relative aux origines des parlers
romans; ou bien la réfuter» (V. 1977:291).
En fin de compte, comme le suggère judicieusement Skårup 1996, les deux
thèses que Mańczak oppose ne s’excluent pas forcément, mais se complètent en
fonction du but visé par le chercheur.

4. Bilan relatif à l’ensemble des problèmes évoqués

Résumons. (a) On ne peut pas affirmer que les langues romanes sont issues uni-
quement du latin classique, comme le fait Mańczak, puisqu’elles ont leur origine
aussi dans le style non classique (bocacalle), ni qu’elles échappent aux archaïsmes
préclassiques, puisque, abstraction faite de la chronologie rectifiée, on en trouve
dans des textes préclassiques, ni enfin que leur origine latine se limite aux faits
phonétiques et morphologiques, pour peu qu’on accepte et applique la recons-
truction étendue (syntaxe). (b) Ce qu’on peut affirmer par contre c’est que le la-
tin classique, sur lequel s’appuie le travail de Mańczak, est un point de départ uti-
le, puisqu’il consiste en un corpus de données attestées, lesquelles, pour autant
qu’elles soient aussi du latin parlé et fassent partie du protoroman, fondent assez
solidement la dérivation des parlers romans, à la fois par la comparaison phonéti-
co-sémantique, appliquée aux monèmes, et par la comparaison étendue, appliquée
aux structures relationnelles. (c) La thèse B offre un avantage supplémentaire, qui
ne demande qu’à être exploité par les romanistes: le latin classique, grâce à ses mo-
nèmes attestés, est la meilleure pierre de touche dont nous disposions pour appli-
quer, vérifier et préciser la théorie de l’évolution phonétique irrégulière due à la
fréquence d’emploi. Et dans ce domaine, beaucoup reste à faire.
L’œuvre de Mańczak, en tant que romaniste, se caractérise, en termes d’histoire
de la linguistique, par des décalages chronologiques: la tradition néo-grammai-
rienne «à l’ancienne» se reflète dans la chronologie rectifiée, dans l’absence de ce
que j’appelle le comparatisme étendu et dans le fait que l’auteur ne se donne pas
pour but premier la reconstruction et la description selon les vues structuralistes;
la théorie de l’information appliquée au langage reste au contraire partout pré-
sente et productive, notamment par l’impact de la fréquence d’emploi sur l’évolu-
tion phonétique2.

Groningue Robert de Dardel

2 Trois collègues ont bien voulu se pencher sur le manuscrit de ce texte et le faire profiter de

leurs compétences respectives: Mme Ans de Kok (Université d’Amsterdam), M. Wulf Müller
(Glossaire des patois de la Suisse romande, Neuchâtel) et M. Andres Kristol (Université de
Neuchâtel). Je tiens à les en remercier très vivement et aussi à les décharger de toute respon-
sabilité pour la version définitive.
Une note critique sur Witold Mańczak 19

Bibliographie

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