14 N°3311 — DU 27 DÉCEMBRE 2017 AU 9 JANVIER 2018 — RIVAROL
Corneliu Codreanu, patriote roumain, soldat
C ORNELIU Codreanu (1899-1938) est
le plus fascinant des représentants de
la mouvance fasciste de l’entre-deux-
guerres. Sa carrière fulgurante ressemble à
une épopée qui se termine tragiquement, à
donnant la Roumanie, dès lors obligée de
capituler face à l’Allemagne (2).Ainsi, son
nationalisme fit corps dès le début avec l’an-
tisémitisme et l’anticommunisme. Le jeune
Codreanu, pour sa part, qui brûlait de s’enrô-
trente-neuf ans seulement. Avec J.A. Primo de ler, entra alors à l’Ecole militaire d’infanterie
Rivera, il fut le seul à avoir péri de la main de de Botosani (1917).
ses ennemis, à ne pas avoir connu la Seconde
Guerre mondiale, et à ne pas avoir vu ses LE TEMPS DE L’ACTIVISME
idées accéder momentanément au pouvoir. VÉHÉMENT ET DE LA
NAISSANCE D’UN FORMATION DOCTRINALE
NATIONALISTE ROUMAIN
Codreanu commence à étudier le droit à
Codreanu, qui voulut incarner au plus haut l’université de Iasi, où sa famille s’était ins-
point l’identité nationale roumaine, n’est pas tallée. Là il subit l’influence d’Alexandru
un Roumain de pure race. Certes, ses as- Cuza, professeur d’économie, nationaliste,
cendants paternels étaient des Roumains de agrarien et chrétien de stricte obédience,
Bucovine portant le nom de Zelea (1). Mais dont les propos et les écrits lui permettent
ses aïeux maternels étaient d’origine ba- d’étoffer sa pensée. Il adhère, en 1919, à la
varoise et répondaient au nom de Brunner. Garde de la Conscience nationale (Garda
Ion Zelea, fils de paysans, Constiintei nationale)
professeur d’allemand, de Constantinu Pancu,
adopta le nom d’usage qui bénéficie de l’appui
de Codreanu autour de du prestigieux maréchal
1920. Son fils Corneliu, Averescu (3). C’est le
né à Husi le 13 septembre temps du coup de poing
1899, effectua ses études contre les socialistes.
secondaires au lycée mili- C’est aussi le temps de
taire du monastère Dealu, l’antisémitisme militant :
puis à l’école militaire de à la tête de l’Union des
Bācau. Il en tira une foi Etudiants chrétiens, Co-
chrétienne inébranlable dreanu exige une stricte
marquée par le sens du limitation du nombre
caractère tragique de la d’étudiants juifs. Ses
condition humaine, illus- violences lui valent son
trée par le calvaire et le expulsion de l’universi-
supplice du Christ. Il en té. Malgré l’annulation
fut également imprégné de fait de cette décision
de l’esprit de discipline par Cuza et la faculté de
militaire, et cela explique droit, il ira poursuivre ses
qu’il ait conçu son par- études ailleurs, à Berlin
ti comme une armée. et Iéna. Il séjourne éga-
Sa vocation de militant lement en France, où
nationaliste lui vint du D.R. il découvre l’œuvre de
spectacle, d’une part du Maurras et de Gobineau.
contraste entre la misère des paysans rou- Le premier lui donnera le sens de l’argumen-
mains de Bucovine et la relative prospérité tation et de la démonstration, et l’aidera à
des populations juive et allemande, d’autre structurer sa pensée ; le second le marque-
part de l’attitude de la Russie en 1917-1918 : ra par son racialisme, sa théorie de la déca-
entraînés par les bolcheviks, les régiments dence liée au métissage, et sa conception de
russes se mutinèrent et saccagèrent les vil- la démocratie comme « le cimetière des civi-
lages roumains de Bucovine  ; puis les So- lisations ». Ces deux auteurs conforteront sa
viets se retirèrent du conflit mondial, aban- haine de la démocratie, laquelle procède lar-
1. L’occupation de la Bucovine par la gement, à ses yeux, du cosmopolitisme, dont
Pologne les contraignit à changer leur nom les Juifs, sans patrie, sont le vecteur. Ainsi,
en “Zelinski” ; ils revinrent à leur patronyme dans la pensée de Codreanu, tout se tient : on
initial de Zelea après le rattachement de la ne peut jamais séparer en elle, fût-ce le temps
Bucovine à la Roumanie en 1918. d’une analyse, le nationalisme, le refus du
cosmopolitisme, le rejet de
la démocratie, la référence
Bulletin d’abonnement à RIVAROL religieuse, l’antisémitisme et
le racisme ; tous ces éléments
NOM : ….......................................................................................... sont mutuellement intri-
qués, et chacun d’eux n’a de
Prénom : ….......................................................................................
sens que dans et par ses rap-
Courrier électronique : …................................................................. ports aux autres. En 1923, il
fonde, avec Cuza, une Ligue
Adresse : ….................................................................................... de Défense nationale Chré-
tienne (Liga Apărării Natio-
…....................................................................................................
nal Crestine). Mais l’entente
Code postal : …................................................................................ entre les deux hommes va
tourner court. Cuza, âgé de
Ville : …...........................................................................................
56 ans, est peu enclin à la vio-
Pays : …............................................................................................ lence, et préfère le débat aca-
démique  ; Codreanu, jeune,
Formule d’abonnement (cochez la formule choisie) : 2. Capitulation qui mena au
• Trois mois : 40 €
Traité de Bucarest du 7 mai
• Six mois : 70 €
1918.
• Un an : 125 € 3. Ancien chef d’état major
• Deux ans : 215€ général, héros des guerres
balkaniques et de la Grande
• Soutien 1 an : 175 €
• Propagande 1 an : 210 € Guerre, le maréchal Alexandru
• A vie : 2 000 € (3000 € avec l’abonnement à vie à Ecrits de Paris) Averescu (1859-1938) fut
• Numérique : 80 € (150€ pour un abonnement papier et numérique) trois fois président du Conseil
• Prélèvement mensuel : 12 € par mois (15 € pour un abonnement à (janvier-février 1918, mars
Ecrits de Paris en plus de celui de RIVAROL)
1920-décembre 1921, et
IBAN pour les abonnements par prélèvement mensuel : mars 1926-juin 1927). Il
fonda un parti nationaliste
…............................................................................................. et conservateur, le Parti
populaire, en 1922. Il exerça
Chèques à l’ordre des Editions des Tuileries. une influence morale et
Editions des Tuileries, 19 avenue d’Italie, 75 013 Paris. politique certaine sur Ion
Antonescu et Codreanu.
passionné, fougueux, veut foncer et en dé-
coudre avec ses adversaires. Il fonde, au sein
de la Ligue, sa propre tendance, Fraternité
de la Croix (Frăţia de Cruce), dont les mani-
festations suscitent l’action répressive de la
police. Le 24 octobre 1924, Codreanu abat le
préfet de police de Iasi, Constantin Manciu,
dans l’enceinte même du tribunal. Arrêté, il
sera acquitté comme ayant été en état de lé-
gitime défense, en raison de la brutalité de
l’action policière de Manciu, ce qui peut sur-
prendre (4). Mais Cuza s’effraie du caractère
de tête brûlée de son jeune adjoint (5).
Celui-ci est également un homme comme
les autres, ayant une vie sentimentale et
amoureuse. Son physique agréable et sa forte
personnalité lui valent d’ailleurs des succès
féminins. Le 4 juin 1925, il épouse Elena
Ilinoiű, de trois ans sa cadette, fille d’un
fonctionnaire des chemins de fer. Déjà très
connu et à la tête d’un mouvement composé
d’hommes qui l’adulent, il se marie devant
10 000 personnes. Le couple ne produira pas
d’enfants, mais adoptera une fille, Cātālina.
LA LÉGION DE
L’ARCHANGE MICHEL :
IDÉOLOGIE ET ACTION
Ayant rompu avec Cuza, Codreanu fonde,
avec Ion Mota et un groupe de jeunes mili-
tants, son propre mouvement, la Légion de
l’Archange Michel (Legiunea Arhanghelului
Mihail), à Iasi, le 24 juillet 1927. L’emblème
(nous parlerions aujourd’hui de logo) de la
nouvelle formation représente six barres
noires entrecroisées (trois verticales et trois
horizontales, se recoupant), ce qui permet à
ses détracteurs de le comparer à une cage de
fer, expression par laquelle ils affectent de
désigner sarcastiquement la Légion. Codrea-
nu transforme cette appellation dévalorisante
en une autre, « Garde de Fer » (« Garda de
Fier »), qui va couramment être utilisée pour
désigner le mouvement.
Codreanu vise l’instauration d’un régime
assurant l’unité politique et morale de la na-
tion grâce à l’action de la Légion, laquelle
jouera un rôle d’éducation, d’encadrement
et de mobilisation. En cela, la Garde de Fer
ressemble au parti national-socialiste alle-
mand ou au parti fasciste italien. Les mili-
tants de la Légion de l’Archange Michel
sont des “légionnaires”, et Codreanu est leur
“Capitaine” (Căpitanul) ; ils portent un uni-
forme et une chemise verte, sont organisés
comme une armée, défilent militairement,
font le salut romain. Codreanu multiplie les
réunions, les manifestations, les défilés. Il
défend une conception forte de l’identité de
la nation roumaine, dans ses discours et dé-
clarations, et également dans deux ouvrages,
où il essaie d’élaborer une doctrine précise :
La Garde de Fer. Pour les Légionnaires
(1931), manuel à l’usage de ses hommes, et
La Résurrection de la Race (1936).
Selon lui, le peuple roumain a une double
origine, dace et romaine, qui a façonné son
essence ; puis le christianisme lui a don-
né une direction spirituelle et morale et le
sens de l’idéal, achevant de constituer son
identité. Or, depuis le début du XXe siècle,
cette dernière est menacée par des éléments
étrangers, inassimilables, et qui, par là
même, ne peuvent qu’avoir une influence
délétère. Ces éléments nocifs sont les Juifs,
peuple allogène, aux intérêts opposés à
ceux de la nation. Les Juifs s’emploient à
miner un monde qui n’est pas leur patrie ;
aussi apparaissent-ils, sinon comme tou-
jours les fondateurs, du moins comme les
vecteurs, les relais et les auxiliaires actifs et
4. En réalité, il est vraisemblable que Codreanu
ait bénéficié de la relative sympathie que
suscitaient ses idées auprès du jury d’assises de
Iasi, et de la détestation générale qui entourait
le préfet et la police locale, taxée de violence et
de corruption
5. Une autre raison, d’ordre privé, mais non
prouvée, explique peut-être l’éloignement des
deux hommes : le fils de Cuza aurait engrossé
la sœur de Codreanu, et refusé de l’épouser.
efficaces de tout ce qui corrode, corrompt et
désagrège la civilisation chrétienne : le pro-
testantisme, le libéralisme, la franc-maçon-
nerie, la démocratie. Cela dit, ils ne sont pas
les seuls. Codreanu fustige également les
minorités hongroise, ruthène et allemande
de la Roumanie.
C’est à une régénération intégrale — eth-
nique, physique, spirituelle, éthique et po-
litique  — que Codreanu convie le peuple
roumain. Une régénération qui, pour réus-
sir, doit viser la nation dans son ensemble,
mais également l’individu. Codreanu en-
tend créer un « homme nouveau  » (omul
nou). Là encore, l’analogie avec le fascisme
et le national-socialisme est frappante. Les
adhérents à la Légion subissent un rite de
passage sélectif, et doivent prêter serment
de fidélité au Capitaine. La Légion fait acte
d’allégeance à l’Eglise orthodoxe roumaine,
et en introduit certains rites dans ses mani-
festations. Codreanu arbore fréquemment
le costume folklorique roumain ; et, suivant
son exemple, les légionnaires sillonnent la
campagne afin de convertir à leurs idées
les masses paysannes. Les légionnaires af-
fichent une foi mystique, sans concession,
et se montrent prêts à mourir pour elle et
pour leur cause nationale. Il y a en eux une
acceptation, et, pour quelques-uns, une re-
cherche, du martyre. Lors de leurs affronte-
ments avec leurs ennemis, ils n’hésitent pas
à prendre des risques mortels, et sacrifient
volontiers leur vie (faisant d’elle une of-
frande) ; arrêtés, ils subissent héroïquement
les coups, blessures, tortures et conditions
de détention inhumaines.
Selon Codreanu, les légionnaires, ainsi
constitués, doivent devenir, pour tous les
Roumains, un exemple propre à transfor-
mer leur âme, à faire de chacun d’eux un
sujet habité par un idéal national tourné vers
l’au-delà, préoccupé de l’esprit et non de la
matière, capable de se sacrifier pour Dieu et
la Patrie. Les légionnaires sont des témoins
de la foi (jusqu’au martyre, éventuellement)
et des héros, et les Roumains doivent leur
ressembler. Tout Roumain doit receler un
héros potentiel.
UN SUCCÈS AUPRÈS DU CLER-
GÉ, DE LA PAYSANNERIE ET
DES JEUNES INTELLECTUELS
On pourrait penser que tout cela effraie la
population et vaut aux légionnaires d’être
craints, abhorrés et isolés. Tel n’est pas le cas :
au contraire, la Légion rencontre un succès
considérable dans toutes les classes de la so-
ciété : une bonne partie du clergé orthodoxe
lui témoigne sa sympathie, les agriculteurs
la voient d’un bon œil, et certains finissent
même par la préférer au parti national-paysan
de Iuliu Maniu et Ion Mihalache, ou à l’Union
agraire de Constantin Argetoianu  ; surtout,
elle suscite l’emballement de bon nombre
d’intellectuels de haut niveau, d’enseignants,
d’avocats (6), et même de scientifiques. Rappe-
lons, ici, que des intellectuels aussi célèbres
que Mircea Eliade, Emil Cioran, Eugène
Ionesco et Vintila Horia furent, dans leur jeu-
nesse, de fervents partisans de la Garde de Fer.
Mircea Eliade, futur grand historien des reli-
gions, définissait alors la Garde de Fer comme
l’artisan d’ « une révolution chrétienne visant
à créer une nouvelle Roumanie » et capable
de « réconcilier la Roumanie avec Dieu  ».
Emil Cioran publie deux livres politiques  :
La transfiguration de la Roumanie (1936),
expression de ses convictions “légionnaires”,
et Des larmes et des saints (1937), essai xéno-
phobe et antisémite.
Cet engouement s’explique par le vent
nationaliste qu’a fait souffler sur le pays le
rattachement récent des territoires roumains
des anciens empires austro-hongrois et
russe (Transylvanie, Bessarabie, Bucovine)
et de la Bulgarie (Dobroudja), la stagnation
économique, la crise des années 1930 et ses
conséquences, le chômage de nombreux
diplômés et de jeunes intellectuels, les dif-
6. Comme Codreanu lui-même.
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de Dieu et martyr
ficultés des classes moyennes,
l’antisémitisme chronique des
nations d’Europe orientale. En
Roumanie, comme ailleurs, la
démocratie parlementaire est
vilipendée, et le fascisme (lato
sensu) paraît offrir une solution
aux problèmes de l’heure, et
satisfaire les aspirations natio-
nales et sociales.
Chef charismatique, intelligent
et énergique, Codreanu est assisté
de fidèles lieutenants : Gheorghe
Clime (1889-1939), ingénieur
des eaux et forêts, Ion Mota D.R.
(1902-1937), jeune juriste et édi-
teur, Radu Mironovici, Nicolae Totu, Corne-
liu Georgescu, Horia Sima, entre autres, sans
parler de son père, Ion Zelea, qui partage ses
convictions.
LA GARDE DE FER ET LE
PARTI NATIONAL-SOCIALISTE
ALLEMAND
Très vite, les effectifs de la Légion s’étoffent,
et le parti multiplie les meetings, les défilés,
les conférences, les actions de prosélytisme en
milieu rural et auprès du clergé.
Les légionnaires se signalent par la violence
de leurs actions contre leurs adversaires et les
Juifs, ce qui les fait ressembler, aux yeux d’une
partie de la population et des observateurs
étrangers, aux SA allemands. La Garde de Fer
se voit assimilée à un parti nazi roumain, ce
qui est abusif. En effet, au plan doctrinal, elle
est fondamentalement chrétienne, et exempte
des tendances néo-païennes et nietzschéennes
de certains courants du nazisme. Codreanu
(ou le légionnaire de base) ne crée pas ses
propres valeurs ; il adhère de toute son âme
à la morale chrétienne, et se pose en soldat de
Dieu et de la civilisation chrétienne ; il est un
véritable moine-soldat. L’homme nouveau
souhaité par Codreanu n’est pas le surhomme
de Nietzsche, ni le nazi théorique.
D’autre part, elle se veut le défenseur de la
romanité, de la latinité, ce qui l’oppose au
germanisme affirmé du nazisme. Enfin, elle
défend les intérêts géopolitiques de la Rouma-
nie, opposés à ceux de l’Allemagne. Toutes
ces caractéristiques auront pour conséquence
qu’elle suscitera une certaine défiance de la
part du Reich hitlérien, et qu’elle ne bénéfi-
ciera de l’aide financière allemande que tardi-
vement, à partir de 1939, et pour des raisons
purement stratégiques.
Codreanu est élu député du judet (7) de Neamt
en 1931, puis du district de Tutova en 1932.
LA GUERRE CONTRE L’ÉTAT
Désormais, il inquiète sérieusement les
dirigeants roumains. Entre eux et lui, va se
dérouler une guerre sans merci. Le 10 dé-
cembre 1933, Ion Duca, Premier ministre,
ordonne l’arrestation d’un grand nombre de
candidats “légionnaires” aux élections légis-
latives, craignant une percée parlementaire de
la Garde de Fer. Celle-ci le fait assassiner le
29 du même mois. Gheorghe Tătărescu, suc-
cesseur de Duca (8), dissout le parti, et ordonne
l’arrestation de Codreanu. L’accusation pe-
sant sur ce dernier est lourde ; mais, à cette
date (1934), il a su trouver des appuis dans les
autres partis, que pourtant il fustige constam-
ment. Lors de son procès, de hautes personna-
lités témoignent en sa faveur, comme témoins
de moralité (tout en restant ses adversaires) :
Alexandru Vaida Voevod, Constantin Ar-
getoianu, Gheorghe Brătianu (9). Aussi est-il
7. Equivalent roumain de notre département.
8. Après un intérim Angelescu (29 décembre
1933-3 janvier 1934).
9. Alexandru Vaida Voevod (1872-1950),
national paysan, fut plusieurs fois ministre et
trois fois Premier ministre (décembre 1919-
mars 1920, juin-octobre 1932, et janvier-
novembre 1933). Constantin Argetoianu (1871-
1955), de l’Union agraire, exerça également
différentes fonctions ministérielles et fut
Premier ministre de septembre à novembre
acquitté. Son prestige s’en trouve accru. Il
excède d’ailleurs les frontières roumaines  :
Codreanu est très connu à l’étranger ; et s’il a
des détracteurs, il ne manque pas non plus de
laudateurs, tels les frères Jérôme et Jean Tha-
raud, qui lui consacreront un livre paru après
sa mort : L’Envoyé de l’Archange (1939).
Mais la Garde de Fer ne connaît pas moins
une crise grave. Tout d’abord, le meurtre de
Duca, la destruction de nombreux magasins
juifs et de locaux d’adversaires politiques, les
violences perpétrées contre ceux-ci, heurtent
de nombreux Roumains (10). De plus, le parti
connaît des dissensions. Codreanu est contes-
té par certains légionnaires, qui se regroupent
autour de Mihai Stelescu, un de ses lieutenants,
devenu son rival (11). Stelescu meurt assassiné
le 16 juillet 1936. Mais le parti est désormais
déconsidéré et divisé. Une refondation s’im-
pose. Codreanu crée alors un parti semblable
aux autres, dans ses structures comme dans
son action, Tout pour le Pays (Totul pentru
Tăra), d’allure plus classique que la Garde
de Fer. Et il recherche des alliances. Le 25
novembre 1937, il conclut, avec Iuliu Ma-
niu (trois fois Premier ministre entre 1928 et
1932), chef du parti national paysan, l’Union
agraire, et certains nationaux libéraux, un
« pacte de négociation électorale », par lequel
les partenaires s’accordent pour empêcher le
roi Carol II, leur ennemi commun, de trou-
ver une majorité parlementaire à la suite des
législatives du 20 décembre. Celles-ci sont
un succès pour Tout pour le Pays, qui, avec
15,5 % des voix fait une entrée remarquée à la
Chambre, et devient la troisième force parle-
mentaire derrière les partis national libéral et
national paysan.
Ce choix stratégique va se révéler une fu-
neste erreur. Bloqué par une Chambre hostile,
le roi passe en force et instaure sa dictature (10
février 1938). Son homme fort est Armand
Călinescu, dont il fera son Premier ministre
en 1939.
LE MARTYRE
Călinescu dissout le parti et fait arrêter Co-
dreanu et 44 de ses compagnons. Au terme
d’un procès inique (lui-même et ses avocats
ne pourront s’exprimer librement), Codreanu
est condamné à dix ans de prison pour sédi-
tion. Le 30 novembre 1938, il sera exécuté
avec 13 de ses fidèles dans une forêt, près de
Jilava. Etranglés avec une corde, ils seront
ensuite, post mortem, criblés de balles, et les
autorités affirmeront qu’ils ont été abattus au
cours d’une tentative d’évasion.
VENGEANCE
ET REPRÉSAILLES
Ion Mota tué en Espagne dans les rangs
franquistes (janvier 1937), Gheorghe Clime
emprisonné, le successeur de Codreanu
sera Horia Sima. Jeune professeur de phi-
1939. Gheorghe Brătianu (1898-1953), issu
d’une grande famille de dirigeants politiques,
était une personnalité du parti national libéral.
10. De plus, d’éminents intellectuels reconnus
prennent publiquement position contre la
Légion, tels Nicolae Iorga (également homme
d’Etat), Tudor Arghezi, et Mihail Sadoveanu.
11. Encouragé par Carol II et certains
ministres, soucieux de torpiller la Garde de
Fer, il fonde son propre mouvement, Cruciada
romănismului (Croisade roumaine).
losophie, Horia Sima (1907-1993) n’a
pas le charisme du Căpitanul. De plus, le
parti, contraint à la clandestinité, n’a plus
de liberté d’action. Faute de pouvoir faire
campagne pour ses idées, il se réfugie dans
l’action terroriste, et ce d’autant plus qu’il
entend venger son chef et ses militants. Le
21 septembre, un commando de neuf lé-
gionnaires, menés par le jeune avocat Miti
Dumitrescu, abat le Premier ministre, Ar-
mand Călinescu, qui avait été à l’origine de
l’assassinat de Codreanu et de ses compa-
gnons. Une nouvelle vague de répression
frappe alors la Garde de Fer. Dès le lende-
main du meurtre de Călinescu, Dumitrescu
et ses camarades sont abattus après avoir été
longuement torturés ; le même jour, Gheor-
ghe Clime, un des lieutenants de Codreanu,
est exécuté à son tour.
ETÉ 1940 : UN PÉRIL
NATIONAL PROFITABLE
À LA GARDE DE FER
Pourtant, les choses changent. L’été 1940 est
particulièrement dramatique pour la Rouma-
nie : le 26 juin, elle rétrocède, sous la menace,
la Bessarabie (annexée en 1918) à l’URSS ;
le 30 août, sous la pression allemande, elle se
voit obligée de céder le nord de la Transylva-
nie à la Hongrie (arbitrage de Vienne) ; en-
fin, le 7 septembre, elle devra abandonner la
Dobroudja du sud à la Bulgarie. Devant des
pays hostiles qui concourent à l’amputation
de son pays, le roi Carol II se sent obligé de
resserrer l’unité de la nation pour faire face au
péril. Il décide donc de mettre un terme à son
offensive contre la Garde de Fer, et même de
l’intégrer au gouvernement. A l’issue de né-
gociations difficiles, Horia Sima et deux de
ses adjoints entrent dans le ministère Gigurtu,
formé le 4 juillet 1940. Ils en sortent d’ailleurs
quatre jours plus tard, ce qui révèle l’extrême
fragilité de cet accord.
LA GARDE DE FER SOUS
ANTONESCU : DE LA PARTICIPA-
TION À LA RÉBELLION
Le 6 septembre, la Garde de Fer se rallie au
gouvernement du maréchal Antonescu, dont
Horia Sima devient le vice-Premier ministre.
En un premier temps, elle impose une partie
de ses vues au maréchal, et l’amène à instaurer
un « Etat légionnaire ». Elle règle ses comptes
avec ses ennemis : ainsi, le 27 novembre, elle
fait assassiner Nicolae Iorga, éminent histo-
rien et ancien Premier ministre (12). Mais, très
vite, le torchon brûle entre elle et le nouveau
maître du pays (13). Antonescu reste un notable
modéré qui n’aspire à rien d’autre qu’à sauver
ce qui peut être sauvé et à s’allier pragmati-
quement à l’Allemagne. Horia Sima et ses
hommes, eux, déplorent l’absence de doctrine
du maréchal (14). D’autre part, nationalistes
fiers et indomptables, ils supportent mal les
mutilations de leur pays et la trop grande do-
cilité d’Antonescu à l’égard de Hitler. Aussi,
tentent-ils un coup d’Etat, qui échoue (l’armée
demeurant fidèle à Antonescu), le 24 janvier
1941. Dès lors, dispersée, désorganisée, la
Garde de Fer cesse pratiquement d’exister (15).
UNE IRRÉDUCTIBLE
ORIGINALITÉ
Fascinant personnage que Corneliu Co-
dreanu. De tous les leaders de la mouvance
fasciste de l’entre-deux-guerres, il fut le plus
héroïque, de par les innombrables fois où il
paya de sa personne, les emprisonnements
qu’il subit, les nombreux procès qu’il es-
suya, et son assassinat lâche, ignoble et dou-
12. Au total, la Garde de Fer aura assassiné trois
Premiers ministres : Ion Duca (29 décembre
1933), Armand Călinescu (21 septembre 1939),
et Nicolae Iorga (27 novembre 1940).
13. Carol II a abdiqué le 6 septembre, et est
parti pour l’exil.
14. Et cependant, durant les années 1930,
Antonescu et Codreanu avaient entretenu de
cordiaux rapports.
15. Horia Sima se réfugia successivement en
Allemagne, en Italie, puis en Espagne, où il
mourut en 1993.
15
loureux. Corneliu Codreanu était fait pour
vivre, souffrir et mourir pour ses convictions,
pour Dieu et la gloire de la nation roumaine.
Déconcertant mouvement que sa Garde
de Fer. Sa discipline, son organisation pa-
ramilitaire, l’uniforme de ses hommes,
ses dénominations mêmes de Légion et de
Garde de Fer, ses affrontements violents
avec ses ennemis, sa volonté de façonner
un « homme nouveau » héroïque, la véhé-
mence des discours de Codreanu, évoquent
irrésistiblement le parti national-socialiste et
ses SA. Mais, répétons-le, ce n’est là qu’une
apparence trompeuse. La Garde de Fer, nous
l’avons dit, est un mouvement chrétien, et la
religion siège au cœur de sa conception de
la patrie, du peuple roumain, de la civilisa-
tion européenne, et de l’homme lui-même,
caractéristique qui l’oppose au national-so-
cialisme, empreint, pour une part au moins,
de paganisme nietzschéisant. Codreanu a
vécu en prophète, en combattant de la foi, en
moine-soldat, et a fini en martyr, destin qu’il
acceptait pleinement et ressentait comme
une vocation depuis sa prime jeunesse. Et
ce fut également le cas de la plupart de ses
hommes. Ses rapports avec l’Eglise ortho-
doxe roumaine furent toujours excellents. De
ce point de vue, il diffère nettement d’Hitler,
de Röhm, ou de Gœbbels, pour ne rien dire
de Gœring, Himmler, Bormann ou Kerrl,
tous adeptes d’une vision du monde moins
cléricale, et dont les rapports avec les Eglises
(protestantes et catholique) furent ambigus,
tendus, et potentiellement conflictuels.
La Garde de Fer présente-t-elle plus d’ana-
logies avec le fascisme italien ? Non, car ce
dernier ne mit jamais la religion au centre de
son idéologie, et sa vision de l’homme et de la
société n’était pas d’abord chrétienne. Dans le
fascisme, le catholicisme est une composante
importante de la civilisation, mais n’en est pas
la seule, ni même la principale. Le fascisme
trouve d’autres références historiques, dans
la Rome antique, ou encore dans l’Italie de
la Renaissance ; et son culte de la force et de
l’héroïsme est plutôt païen. De plus, le fas-
cisme s’est également voulu révolutionnaire
et socialiste (avec des éclipses et des évolu-
tions, certes), ce qui n’a jamais été le cas de
Codreanu et de son mouvement. A vrai dire,
Codreanu n’a jamais eu une conception per-
sonnelle et précise de l’ordre social. Certes,
il voyait dans la paysannerie le substrat du
peuple roumain, de la nation roumaine. Mais
les classes sociales n’étaient pas, à son esprit,
des réalités primordiales, s’imposant à toute
théorie politique. A ses yeux, l’âme, l’esprit,
prévalait absolument, en l’individu, sur la
condition sociale ; celle-ci n’imposait pas un
déterminisme implacable à l’homme, et ne
décidait donc pas de sa pensée, de ses idées,
de ses sentiments, de son comportement. En
cela encore, Codreanu était absolument spiri-
tualiste et donc étranger à toute vision maté-
rialiste de l’homme, de la société et de l’his-
toire. Le social, au sens où nous l’entendons
aujourd’hui, lui était à ce point étranger qu’il
n’imagina pas, au contraire de tous les grands
représentants de droite nationale d’Europe,
une troisième voie entre capitalisme libéral
et socialisme, capable d’apporter à la ques-
tion sociale une résolution compatible avec
l’efficacité économique et les exigences de la
grandeur du pays. Par là, il se distingue même
de ceux d’entre eux en la pensée desquels la
vision religieuse de l’homme occupait une
place centrale, tels l’Etat chrétien corporatif
de Dollfuss, la Phalange de J.A. Primo de
Rivera, le national-catholicisme espagnol,
puis le franquisme, ou encore l’Estado novo
salazarien, ou le rexisme de Degrelle. Mais
il est vrai, que, quoique chrétiens convain-
cus, Salazar, Primo de Rivera, Franco, Deg-
relle, n’étaient pas des mystiques (Dollfuss,
lui, l’était dans une certaine mesure) comme
le chef de la Légion de l’Archange Michel.
Codreanu concevait idéalement la Rouma-
nie comme une grande armée de combattants
unis par la plus fervente des fois, et défendant
celles-ci et la patrie indissolublement unies
(il ignorait la notion même de laïcité). Et la
Légion était l’élite de cette armée-nation rou-
maine. En définitive, Codreanu fut un un croi-
sé égaré au XXe siècle.
Paul-André DELORME.