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Le Mistere de la Saincte Hostie

Edition Trepperel
1512-1519

Lisez ce mistere grans et petis


Comment le traistre et mauldit Juifz
Lapida moult cruellement
De l'autel le Sainct Sacrement

LA FEMME commence
Dieu je ne sçay que je deviengne
Et si ne scay certes que faire
Tousjours m’est fortune contraire.
4 Helasse, je ne sçay que despendre* (+1)
Et se je vois mon seurcot* vendre 2
Jamais recouvrer n’en pouray
Et ainsi de dueil je mouray.
8 Or n’ay je maille* ne denier*, 3
Ne que boire ne que menger,
Si ne scay de quel part tourner.
Je m’en voys sans plus arrester
12 Droit a la ruë des Jardins 4
Parler a ung de ces matins*
Faulx Juifz et puans usuriers
Plain de pechez et de deniers*. 5
16 Si luy emprunteray finance
De quoy j’auray ma subsistance. LN
Honte seroit que je querisse*
Le pain de quoy je me vesquisse*
20 Car oncques* je ne fuz truande
Mais j’ay esté bonne marchande,
Esbatantë* et fort jolye,
Riche et comblé toute ma vie.
24 Mais j’ay tant fait de mes deux mains
Que suis venue du plus au moins.
Or suis je et si ne scay de quoy. (A .ii.)
Mais quoy necessité n’a loy !
28 Iray-je donc ? Feray-je bien ? 6

LE JUIF
Par le grant Dieu il ne vient rien ! 7
J’ay bien veu qu’on venoit de tire*
[…]
Ceans* pour argent emprunter
[…]
32 Que je prestoie a toutes gens
A usure dessus bon gaige
Car je ne scay autre gaignage*,
C’est ma vie, c’est mon labour*.
36 Ne viendra il huy* en ce jour
Nulluy* pour argent emprunter ?

LA FEMME
Je ne sçay plus quel part tourner !
Je vueil aller sans plus actendre,
40 Et si vueil ce sercot* cy prendre,
Vers le Juif pour emprunter
De l’argent pour moy conforter*
Et m’aider en necessitez.

44 Jacob, je t’ay cy aporté 8


Mon sercot*. Preste moy dessus
Trente solz*, n’en demande plus, 9
Et je les te rendray briefvement*.

LE JUIF
48 Je le feray joyeusement
Mais tu en payeras les monte*.
Vela trente solz*. Or les conte (A.ii. v)
Por sçavoir s’il est pas itel*.
Il regarde la robe
LA FEMME
52 Le compte y est tres bien et bel.
Vous me faictes tres grant plaisir
Et qui vous sera desservy*
Si je puis une autre fois.

LE JUIF
56 Je te diray a peu de plois*
Et de cecy t’advertiré.
Quant tu auras le tien donné,
Ou despendu*, revien a l’autre
60 Et m’aporte bons potz d’epeaultre,
De cuyvre, ou bonne vaisselle
D’or ou d’argent ou escuelle,
Linge ou lange ou drap de value*…
64 Tu soyes tousjours bien venue
Ne te chaille*, ne te desconfortes*, (+1)
Mais que bons gaiges tu m’aportes.
N'en doubte point de ma maison.
LA FEMME
68 Vous estes homme de raison,
Jacob. Se tiens je, c’est bien dit,
Je reviendray sans contredit
Une autre fois. Adieu. (-1)

LE JUIF
72 Adieu m’amye. (A .iii.)

LA FEMME
Adieu.
Qui vous rompe le col* (-2)
On en vous pende a ung licol*
Si me demoura cest argent.
76 Je vous dy bien, mes bonnes gens, 10
Tant commë argent durera
Quant il fauldra… Hay ! Qui poura ?
Ou il moura ou je mouray !
80 Comment* qu’il soit m’acquitteray
Par tromperie ou par frivole*.
[…]
Au pis aller* perdray ma robe,
Ung autre raray ou par oultraige* (+1)
84 Ou au moins par aucun essoine*
[…]
Ou par quelque autre voye feray
Q’une autre aussi bonne raray.
Il en fauldra de quelque part.

LE JUIF
88 Ma femme, mectez la apart
G’y ay ataché ung brevet*.
Et la mettes bien, il me plaist,
Je croy qu’elle nous demoura.

LA FEMME DU JUIF
92 Jacob, bien croy que nons fera.
Elle est bonne et si vault mieux
Que trante soubz et, se m’aist Dieux*,
C’est une bonne famelette*.
LA FEMME (A .iii. v)
96 Ma besongne* n’est pas trop nette.
Vecy de pasques la journee, 13
Ne seray je autrement paree ?
Je seray regardee a honte.
100 Nul ne tiendra de moy compte
Si je ne ray mon garnement*. 14
Helas je ne sçay comment (-1)
Je puisse trouver la maniere ?

LE JUIF
104 Le jeu ne va n’avant n’ariere. 15
Vecy des Crestiens la Pasque 16
Je ne voy nulli* qui se haste
De venir argent emprunter
108 A moy, aussi m’en apporter.
Je suis de tout bien maleureux.

LA FEMME
He Dieu que j’ay de couroux !
Et bien me dois desconforter*
112 Quant oncques* je vins empruncter
A ce faulx Juif trante solz*
Sur le meilleur de mes surcotz*.
Helas, il est huy* la journee
116 Que je deüsse estre paree
Aussi bien que sont mes voysines,
Mes parentes et mes cousines…
Et je suis nue comme ung ver !
120 Par m’ame*, je doy bien desver* (A .iv)
Et haïr l’eure que fus nee
Quant je suis en tel destinee
Qui me fault aller par la ville,
124 A ung tel jour, sans croix ne pille*,
Sans surcot* ne sans bon abit.
Certes je creve de despit
Toutes les fois qu’il m’en souvient.
128 Quant je m’advise*, il me convient*
Aller jusques vers ce Juif
Et luy prieray par bon advis*,
Sans mocquerie ne sans lobe*, LN
132 Qu’il me preste ennuyt* ma robe
Et que demain au plus matin,
Par la foy qu’au Pere divin
Je doy, je luy rapporteray.
136 Je vois ouÿr sa voulente,
Sçavoir se j’auray ma demande.

Sire que puissance a grande


Sur tout humaine creature,
140 Vous doint paix et bonne adventure
Et a tous ceulx que vous aymez.

LE JUIF
Et Dieu vous gard, que demandez ?
Voulez vous emprunter monnoye ?

LA FEMME
144 Nenny sire. Mais je venoye
Vous prier que pour Dieu amour, (A .iv. v)
Pour la reverance du jour
De nostre Pasque qui est huy*
148 Et que doy recevoir celluy
Qui est mon dieu et mon saulveur 17
En la reverence et honneur,
Me vueillez prester mon seurcot*
152 Et vous l’aurez tout aussitost
Que le bon jour sera passé.
Par ma foy et chrestienté
Le seurcot* vous rapporteray.
156 Et si bon gré* vous sçauray (-1)
Qu’a tousjours mais voyant chascun,
Estrange, privé ou commun,
Seray vostre serve* et amye. LN

LE JUIF
160 Par Mahé, vous ne l’aurez mye* 18
Se trante soublz ne me baillez* !
Et a quelle fin suis je taillez* (+1)
De le vous bailler* madame ?
164 En ma vie mais* ne vis femme
Qui fut de vous moins esbahie* !
Croiez bien, povez dire pie*, 19
Encores ne l’aves vous pas.
168 Vous estes en maulvais trespas* 20
Se ne me baillez* de l’argent !

LA FEMME
Je ne pourroye par mon serment. (B)
Helas, Dieu qui les griefz* destrois*
172 Endura pour nous, je n’ay croix*.
Et si n’ay pain, ne vin, ne blé*,
Ne gaige, se ne l’ay emblé*,
Fors ce que* porte avec moy.
[…]
176 Si vous prie en l’honneur de Dieu,
En qui je croy entierement,
Que me pretez mon garnement.

LE JUIF
Veulx tu que je te die voir
[…]
180 Tu t’abuses de m’en parler,
Mais se tu me veulx accorder
Ce que je te demanderay,
Ton vestement je te rendray
184 Sans moy payer ung seul denier*
Et que tu faces sens targer*
Ce que tu me prometteras.

LA FEMME
Certes demande et tu l’auras
188 Se c’est chose au monde nee
Qui me puisse estre habandonnee* LN
Et de quoy je puisse finer*.

LE JUIF
Finer* en peulx devant disner, 22
192 Je le sçay bien certainement,
Mais que tu faces saigement
Et que tu tiengnes loyaulté. (B v)

LA FEMME
Je te prometz en fëaulté*
196 Que je ne sçay chose si grant
Que ne face a ton comment*, (-1)
Mais que me rendes mon abit.

LE JUIF
Or vien ça, tu m’as icy dit
200 Qu’il est ta Pasque et que tu dois
Recevoir celluy en qui tu crois. (+1)
Se tu le me veulx tout entier
Cy apporter, pour essayer
204 S’il est vray ce que les Crestiens
Ont un dieu, par quanque* je tiens LN
De ma loy, tu auras la cotte
Sans croix, sans pille*, sans riotte*.
208 Si que advise se tu peulx
Le m’apporter et se tu veulx
Gaigner trante soubz* bons a l’eure*.

LA FEMME
Tu me requiers* chose trop dure !
212 Si Dieu m’aist*, que je le vendisse
Comme Judas ? Haro*, quel vice !
Par Dieu bien seroie damnee
Que l’ostie digne et sacree
216 Qui est le corps de Jesu Crist
Pour avoir ung peu de proufist
Vendisse ! Ha Dieu quel horrible chose ! (+1) (B .ii.)

LE JUIF
Sçes tu qu’il est a la perclose* ?
220 Se tu ne le fais, croys de vray,
Que ton seurcot* vendre feray,
Sans attendre ne jour ne terme.

LA FEMME DU JUIF
Bien es folle d’estre si ferme
224 En ta loy, chetive meschante.
[…]
Et reçoy l’ostie en ta bouche
Et de la langue point n’y touche
Et la metz apres en ta main,
228 Ou tu la mettes en ton sain*, 23
Et t’en reviens bien coyement*.
On n’en sçaura rien nullement
Et seras au moins paree (-1)
232 Sans payer monte* ne souldee*.
N’esse pas grant gaigne en malheure ? 24

LE JUIF
Se tu ne le fais a ceste heure*
Ton habit te sera vendu
236 Et par moy te sera rendu
Se tu veulx. Si que choisy ? (-1)

LA FEMME
Et je te prometz ainsi. (-1)
Attens moy, tantost reviendray
240 Et mon dieu je t’apporteray
Comment* qu’il soit devant* midy. LN (B .ii. v)

LE JUIF
Or ça, je te attendray cy.
Demeure moins que tu pourras ! 25

244 Je te prometz que tu voirras


Bonne chose s’elle m’apporte.
Je vueil que le deable m’emporte
Se je ne luy donne a souffrir.

LA FEMME DU JUIF
248 Par Mahé, j’en ay grant plaisir.
Au moins verray je a ceste fois
Ce que les Crestiens mallois*
Dient et maintiennent estre tel. 26

LE JUIF
252 Se je le tiens en cest hostel*,
Je te prometz qu’il y perra*,
Et si tost venu ne sera
Que ne luy livre ung assault.

LA FEMME
256 Or sus*, j’ay visé qui me fault
Accomplir ce que j’ay promis
A ce faulx et parvers Juif
Ou autrement je suis pardue
260 Et si demeure toute nue
A ce bon jour de Pasques cy !
Vecy l’esglise Sainct Marry, 27
Je y receveray mon saulveur
264 Si acompliray le labeur* (B .iii.)
Que j’ay promis de foy fermee.

Mon cher seigneur, s’il vous agree,


Je vous prie que me delivrez
268 Et mon saulveur m’aministrez
Tandis que vous avez loysir*.
Je fus hyer au divin plaisir
A confesse a vous bien matin 28
272 Et si me suis de cueur begnin*
A ce matin reconseillee
Et vous prie que s’il vous agree
Que me delivrez prestement.
LE PRESTRE revestu
276 Mamye, tout incontinant*
Vous delivray s’il plaist a Dieu.
Agenouillez vous en ce lieu,
Disant vostre confiteor*. 29
280 Clerice ! Va-t-en au tresor
Et alume legierement*.

LE CLERC DE SAINCT MARRY


Liber, ça, venez avant, (-1)
Si aiderez a communier
284 Une femme qui vient prier
Que prestement soit delivree. 30

LE PREMIER
En l’honneur de la Vierge honoree, (+1)
Au monstier* irons mes amys,
288 Car estre ne povons commis* (B .iii. v)
Plus notable besongne faire*.

LE SECOND BOURGEOYS
Ceste besongne* doit bien plaire
A tout le monde universel
292 Car c’est le Sainct Corps eternel
De cil qui pour nous voult mourir. 31

LA FEMME fait semblant d’avaler


Beaux seigneurs, Dieu vous puist merir*
L’honneur que vous m’avez prestee
296 Notablement suis ordonnee*.
Loué en soit la Trinité.

LE PREMIER BOURGOYS
Seur, Dieu vous doint paix et santé.
A Dieu vous soyez commandee.

LA FEMME
300 Seure, je suis reconfortee. 32
A ceste fois je puis vanter*
[…]
Car mon vouloir est acomply.
Or tien, regarde, veez le cy, LN
304 Le Saulveur de l’humain lignage !
Je t’ay fait ung beau vaisselage*
Tu m’en dois bien remercier
Car qui donroit ung droit millier
308 De frans pour faire saigement
Ce que j’ay fait ? Certainement
On ne l’eust pas mieulx compassé*.

LE JUIF a sa femme (B .iv.)


Tien, va le mettre repposer
312 Et luy apporte son habit.
On verra tantost quel delict*
Les Chrestiens y pevent prendre.

LA FILLE DU JUIF
Ha mere, qu’il est blanc et tendre !
316 Laissez le moy ung peu tenir.

LE FILZ DU JUIF
Et moy, laissez le moy tenir.
Et par Mahé, il m’est moult bel !
Il est aussi blanc q’un aignel* ! 33
320 Ha ! Hay ! Monstrez le moy, ma mere !

LA FEMME DU JUIF qui quiert* la robe de la femme


Paix ! Parlez bas pour vostre pere.
S’il vous oit vous serez batus .
Laissez le la, mettez le jus*,
324 Vostre pere me blasmeroit.

LA FILLE
Et par Mahé on ne pouroit
Veoir plus beau. Regardes frere,
Sa couleur est plus fine* clere
328 Que cristal.

LE FILZ DU JUIF
Ha ! He ! Tu dis vray, LN
Au monde n’est plus beau veoir.
Ha ! Hay ! Ma seur que serons riches ! 34 (B .iv. v)

LA FEMME DU JUIF
Vecy le seurcot* et la pelice*, (+1)
332 Ce m’est advis* par le brevet*,
Faictez en ainsi qu’il vous plaist.
Veez le la.

LE JUIF
Or tenez m’amye,
Je vous fois grande courtoysie
336 Pour une bien petite chose.
Allez vous en cachez et close*
Que voz voisins ne vous voient. (-1)

LA FEMME
Nenny, cuidez qu’ilz s’aperçoyvent
340 Ce qu’antre nous affaire avons ?
Je prens congé de vous, preudhoms*.
Adieu jusques au revoir. (-1)
LE JUIF
Adieu ; car il nous fault sçavoir
344 Se le dieu en qui Crestiens croyent
Et par qui tant il nous gaboyent*
S’a vertu, povoir ne puissance.
Mettez vous tous en ordonnance
348 Autour de ce coffre et voyez 35
Comment Crestiens sont desvoyez* 36
De croyre en une telle oublie* 37
En disant qu’elle a sang et vie
352 Et que c’est leur dieu proprement. (C)

LA FEMME DU JUIF
Ilz le tesmoignent vrayment. (-1)
Je ne sçay qui a ce les meut
Mais mieulx savoir on ne le peult
356 Que maintenant.

LE JUIF
C’est tout fin* vray,
Et pour ce y essayeray
De ce canivet* que veez cy. 38
Si en vela en despit de toy (+1)
360 Et de tous ceulx que tu formas
Et qui nous dient que sa bas
Print chair humaine en vierge femme.

LE FEMME DU JUIF
Ha il seigne ! Quel blasphesme ! (-1)
364 Ha ! Par Mahé, il est en vie !

LA FILLE a genoulx
Ha, doulx pere, je vous prie (-1)
Que vous ne le despecez pas !

LE FILZ en plourant
Helas, il seigne ! Helas ! Helas !
368 Mon pere, pour Dieu, cessez vous !
Helas, il est tant bel et doulx. LN
Baillez* ça, je le garderay.

LE JUIF tout esbahy*


Or paix ou je vous bateray,
372 Merdaille, vous fault il parler ! (C v)
Paix tout quoy* sans plus babiller !
A ce coup je vous frapperay
De ceste escorgié* singlant 39
376 Tant que verray couler le sang
De voz flans et de voz costez
Aussi bien que le temps passé
Fus oncques* Jesus, croyez de vray.

LA FILLE
380 Helas, mon doulx pere, je voy
Couler le sang de toutes pars !
Et pour Dieu ne le tuez pas,
Vostre faczon* si est trop fiere.

LE JUIF
384 Je m’en voys querir* la derriere
Mon grant couteau, que je depece
La chair, j’en feray mainte piece !
Enpreu*, deux, trois, quatre, cinq… Il me semble (+2)
388 Par le grant Dieu qu’il se rassemble ? 40
Il est entier comme devant* !
Je suis forcené maintenant,
J’en rage, je ne sçay que dire…
392 Je te feray autre martire
Endurer ou je ne pourray !

LA FEMME DU JUIF
Or monseigneur je vous diray,
Je vous prie pour Dieu en amour,
396 Que celle hostie de valleur (C .ii.)
Soit en ung lieu conservee.
Car certes, je suis si troublee
De ce que sang en est yssus*
400 Que veoir je ne le pourroye plus,
Si que pour Dieu vueillez cesser.

LE JUIF
Et comment vous fault il mesler
De chose que je face ou die ?
404 Je luy feray perdre la vie,
Par le grant Dieu, ça ! Maistre ça !
Il me souvient bien de pieça*
Feustes de noz predecesseurs,
408 Par voz faulses et moises* erreurs,
Crucifié. En leur memoire,
Sachez que le serez encore
En despit de cil qui vous a
412 En joye et qui vous forma
Comme les Crestiens jargonnent.

Cy prent l’hostie et la cloue


d’un clou en une coulompne et
le sang en coule a terre 41

LA FEMME DU JUIF
Las*, toutes douleurs m’avironnent*,
Mon amy, quand telle hideur voy.
416 Cessez vous pour l’amour de moy !
Mon amy, je vous supplie ! (-1)

LE JUIF (C .ii. v)
Je croy que tu es enragé.
En despit de toy non feray,
420 Puis en ung grant feu l’arderay*,
Et l’eüsses juré sur tes dans*.

Il le gecte au feu et il ne
se veult tenir 42

LA FILLE
Il ne se veult tenir dedans !
Beau pere, pour Dieu, cessez vous
424 Et apaisez vostre courroux,
Je vous en prie a joinctes mains.

LE JUIF prent une lance et frappe


l’hostie contre la cheminee 43
Point n’auray paix de ces putains,
Que Dieu en puist avoir malgré* !
428 Tantost en seray delivray LN
Car en despit de Dieu et d’elles
Qui sont tant piteuses et fresles
De ceste lance le frapperay.

Il prent un cousteau de cuisine


et hache l’hostie parmy sa maison 44

LE FILZ en plourant
432 Cesses vous beau pere ! Ha ! Hay !
Voules vous tuer tel enfant ?
Advises* la couler le sang !
Oncques* tel pitié ne fut veue.

LE JUIF (C .iii.)
436 Paix ! Tout quoy* ! Car se je me argue*,
Les deables emporteront tout.
Ne feray je mye* a men goust
D’ung rigault* que j’ay achapté ?
440 Or ça, que Dieu en ait maulgré*,
A ce coup seres vous boully
En ceste chaudiere* cy, 45
Et l’eust juré Dieu et sa loy.

LA FEMME DU JUIF
444 Helas, monseigneur, laissez lay* ! 46
Bien estes felon et crueulx*
Quant miracles si glorieux
En vostre cueur ne concepves.
448 Courage d’ennemy aves
Plain de rancune et de venin
Quant pain si noble et si begnin*
Que le sang en sault en tous lieux
452 Ne congnoissez vous. Se m’aist Dieux*,
Bien vous monstres estre tirant,
Fol* et inique* molestant*,
Et tres pervers persecuteurs !
[…]
456 Mon doulx amy, acoises* vous,
Mettes vous a genoulx, (-2)
Et le adorer en luy priant
Que sa grace vous soit donnee
460 Et qui vous vueille pardonner (C .iii. v)
Voz meffais et pardonner (-1)
De ce que luy avez meffait.

LE JUIF
Avant ! Que vous avez de plait*,
464 Je vous prie debates* vous moins.
Jamais de sauldra* de mes mains
Tant qui soit boully et ars*
Et mis en plus de mille pars !
468 Par celuy qui fist ciel et terre,
Autreffois luy ont livrer guerre
Mes devantiers. Ne sonnez mot*,
Je croy que on verra asses tost
472 S’il demoura en vie ou non.

LA FILLE
Helas ! Helas ! Quel mesprison* !
Je voy l’eaue toute sanguine
Ou le corps de Dieu noble et digne
476 Se joue* ainsi comme ung enfant !
Tres glorieux Pere puissent,
Vueilles cy vos vertus monstrer
Tant que mon pere puist cesser
480 Sa fureur et sa grant malice*.

LE JUIF
Tire toy, arriere d’icy, lisse* ! (+1)
Et vous aussi, vuides* dehors,
Ou vous courrouceray du corps !
484 Par ma loy, agar*, quel merdaille !

Icy appert ung cruxifix en la (C .iv.)


chaudiere contre la cheminee 47
LA FEMME DU JUIF
Doulx Dieu, quelle dure bataille !
Ha, roy glorieux ! Dieu, qu’esse la ?
[…]
Vray Dieu, vela ton cher filz
488 En semblance* d’un crucefix.
Doulx Dieu, doux Dieu, mercy te crie !
Vray hostië sacriffiee,
Mercy te crie de cueur devot !

LE JUIF
492 Haro* ! Fuir m’en fault tantost,
Je ne puis plus cy arester.
Ce dieu la ne puis regarder.
Deables condamnez, qu’ay je fait ?
496 J’aperçoy bien mon grant meffait,
J’enraige de sanglante raige.

LA FILLE
O precieux et digne ymage
Qui mort sans raison enduras,
500 Et qu’en ce lieu cy souffert as
Si tres cruelle passion
Et si grant desolacion
Que nul ne le pourroit nombrer*,
504 De ce fait vueilliez descombrer*
Ma mere, mon cher frere et moy,
Car je confesse et si congnoy
Que tu es le saulveur du monde. (C .iv. v)

LE FILZ
508 O crucefix divin et monde*, LN
Je te requier* mercy et grace.
Plus ne seray en ceste place
Car bien voy qu’elle est interdicte
512 Et de ta puissance mauldicte.
Mauldit soit il qu’il m’engendra,
Et la vielle qui t’apporta
Ceans* pour souffrir tel douleur.

LA FEMME DU JUIF
516 Cy ne feray plus de demeur.
Belle fille, trouste*, vien t’en !
Allons veoir quelque bon parant
Qui nous pourra reconforter.

LA FILLE
520 Vous ne povez mieulx adviser*
Mere, car ains qu’il* soit minuyt
Celluy qui mon pere a destruit
Luy en donra bon payement.

La femme et ses enfans s’en vont


et le Juif demeure sur son lict tout
enraigé

LA FEMME DU JUIF
524 Ce fera mon*, certainement,
Je m’y attens bien, ne t’en doubte.
Pour ce laiseray la maison toute
Pour ses meffais et ses abus
[…]
528 Ainsi qu’il a appareillee*. (D)

Cy a ung oratoire de Saincte Croix


ou l’en sonnera a Dieu lever 48
MARTINE vestue en vielle 49
Benedicite dominus 50
Vela ja Dieu de la grant messe !
Que me dira ja ma maistresse
532 Que la table ne sera mise ?
Nonobstant* g’iray a l’eglise
Et puis m’en viendray a l’ostel*,
Car le sacrement de l’autel
536 Doit on servir par devant tous.

LE PREMIER ENFANT DE PARIS


Or sus*, Robinet, hastons nous !
On a sonné a Dieu lever
A Saincte Croix, g’y vueil aller.

LE SECOND ENFANT
540 Attens moy Michellet, g’iray
Aussi, en ay je grant tallent*.

LE FILZ DU JUIF qui les encontre


Ou fuiez vous si hastivement ?
Dictes enfans, qu’alez vous faire ?

LE PREMIER
544 Voir allons le roy debonnaire
Qui pour nous la mort endura
Et aujourd’uy ressucita
Pour saulver l’humaine lignié. 51

LE FILZ DU JUIF (D v)
548 Par ma loy ne vous hastez mye*,
Car pas n’est a vostre monstier*.

LE SECOND
Trut* avant, il ne se fait que mocquer ! (+2)
Allons nous en.

MARTINE
Et qu’esse enfans ?
[…]
552 Que vous a ce Juif compté ?
Dictes le moy, que demande il ? LN

LE PREMIER
Et qui demande et que scet il ?
Il demandoit ou nous allons,
556 Et nous disons que nous voulons
Aller veoir Dieu, et il nous a dit (+1)
Que nostre sauveur Jesu Crist
N’est point au monstier*. LN

MARTINE
Il se mocque.
560 Peu s’en fault que je ne le crocque*
De ma main sur son chaperon*! 52

LE FILZ
Certes, il est en nostre maison
N’en vostre monstier* n’est il pas.
564 Ne scay se le tenez a gas*,
Mais mon pere l’a crucifié
Et d’ung bon ganivet* percé
Tant que le seng en est yssus*. (D .ii.)
568 Et puis l’a voulu oultre plus
Ardoir* d’une bonne bouree*.
Et puis d’une lance ferree
L’a bouté* en noz aisemens*, 53
572 Mais il ne veult entrer dedens.
Et puis l’a mis en nostre chaudiere*, (+1)
Tout ainsi cler q’une voiriere*,
Et aussi entier qu’onques* fu,
576 La est vostre Dieu devenu
Ung homme crucifié en croix.
Vay veoir se tu ne m’en crois,
Car par ma loy il est ainsi.
580 Et pour ce plainement je dy
Qu’en vostre monstier* ne pourroit estre. (+1)

MARTINE
Que ne vous bougez de ceste estre*,
Beaulx enfans, et je vous en prie
584 Et si luy tenez compaignie LN
Et je iray veoir que ce sera
Et se verité dit nous a,
Et par Dieu quant je reviendray
588 Je sçay bien que je vous donray,
Mais qu’a nully* ne dictes mot !

LE SECOND
Or revenez doncques tantost
Et nous vous actendrons icy. 54
592 Joue toy avec nous mon amy. (D .ii. v)
Voicy des oeufz, veulx tu bouler* ? 55

LE FILZ
Ouy se m’en voulez donner
Car je n’en ay nulz maintenant.

LE PREMIER
596 Ouy, tu en auras, or avant
Boullons au long du cymitiere. 56
MARTINE
He doulce Vierge tresoriere, 57
Que sens mon couraige estraint* ! (-1)
600 Advis* m’est que je le presaint
D’une grosse chaine de fer.
Oncques mais* je n’ouys compter
Chose qui tel hideur me fist
604 Que cela que ce Juif m’a dit.
Par Dieu je prendray ce vaisseau*,
Qui est, ce m’est advis*, net et beau, (+1)
Et feray semblant en maniere
608 Que je ne soye point une chamberiere*
Et que je voise* du feu querre*
Pour veoir se je pouray enquerre*
La verité de ceste chose.

Pause 58

612 Ha ! Precieuse et digne rose 59


Qui portas mon dieu immortel,
Que voicy ung crueulx* hostel* !
Que veicy horrible joye ! (-1) (D .iii.)
[…]
616 Que voicy crueulx* appareil* !
[…]
Glorieux Dieux, glorieux roys,
De vostre signe de la croix
M’armeray et n’y voys plus bel.

Elle se signe et prent du feu


et l’hostie sault au platel*

620 Glorieux Pere spirituel, LN


Estes vous ainsi desolé ?
Ha ! Doulx Dieu tu soyes loué !
J’ay ce que mon cueur desiroit.
624 A l’eglise m’en vois tout droit
Porter ton corps tres precieux
Qui tant est digne et glorieux
Que nul nombrer* ne le pourroit.
628 Ton tres hault nom loué en soit
Quant il t’a pleu humilier
Et toy a ma main abaisser.
Benoiste en soit la journee ! 60

LE JUIF
632 Haro* ! Haro* ! Quel destinee !
Par le grant dieu, je suis perdu,
Je suis destruit et confondu.
Bien malheureux et mauvais glout*,
636 Quant je n’ay sceu venir a bout,
Ny acomplir ma voulenté.
De ce dieu que j’ay tourmenté
En despit du filz de Marie (D .iii. v)
640 L’en me fera perdre la vie
S’on s’en parçoit aucunement !
Pour ce m’en vois vistement* (-1)
Vuider* l’eaue de ma chauldiere*.
644 Dieu qu’esse cy ? De quel matiere ?
Elle est blanche, rougë et noire !
Et ma maison vert comme poire !
Vecy bien pour yssir* du sens. 61
648 Je la getteray aux aisemens*,
Aux chambres qui sont le derriere,
Affin qu’en ne puist la maniere
Sçavoir du fait ne la journee.
MARTINE
652 Or ça, or voy je bien comment
[…]
Je suis de bonne heure nee !
Par elle toute creature
Qui a en luy sens de nature
656 Se doit a son povoir (-2)
En bon estat ; car aussi voir
Que Dieu est je sçay de certain.
A tres doulx Dieu, Pere haultain
660 Qui est dessus moy descendu
Et es par ta pitié venu
Comme sur pecheresse lasse.
Nonobstant* qu’en estat de grace
664 Estoye en bonne verité.
Mais, lasse, avoye en pensé (D .iv.)
De l’emporter avecques moy
Et touteffois maintenant voy
668 Puisque j’entray en cest monstier* 62
Que d’icy ne me puys hober*,
Et me semble que suis lyee
De lyens et les yeulx bandee 63
672 Et si ne sçay que ce peult estre
Pour Dieu se ceans* a nul prestre
Qui viengne ung peu parler a moy
Car tout mon cas luy conpteray
676 Jamais celer* ne le pourroye.

LE FILZ DU JUIF
Est il vray ce que je disoye ?
Avez vous vostre dieu trouvé ?
Certain suis qu’il est bien trempé*,
680 Je croy qu’il est en gros morceaulx.
LE PREMIER ENFANT DE PARIS
Estes vous cy mere Lumeaulx ?
Nous vous avons bien attendu.
A vous trouvé le roy Jhesu
684 Que ce Juif sot vous disoit ? 64

MARTINE
Par ma foy de mot ne mentoit !
Et pour ce je vous prie a tous
Que le prestre viengne a genoulx
688 Pour recepvoir ce que je garde.

LE PRESTRE DE SAINCT JEHAN (D .iv. v)


Qu’esse la ?

MARTINE
Ha sire ! Regarde
Mon Dieu que je te presente
Qu’ay trouvé a heure presente
692 En l’hostel* d’un faulx Juif (-1)
Qui dessus le feu l’avoit mis
Boullir en ung grant chaulderon*,
Et quant j’entray en sa maison
696 Je fuz si tres espoventee
Que se ne me fusse armee (-1)
Du signe de la croix, sans doubte
Je feusse contrefaicte* toute
700 Avant ; mais je cuidoye passer
Celle eglise et mon dieu garder,
Mais cy j’ay esté arrestee
D’anges, la chose est bien prouvee,
704 Car environ moy je les sens. LN
Par quoy, sire je le vous rens
Et le vous livre. Le Juif sot 65
Si vous dira de mot a mot
708 Comme si le cas est advenu.

LE PRESTRE et tous les autre a


genulx qui le prent
Ha tres doulx Dieu, glorieux Jesu,
Bien viengnez en ton tabernacle*.
Voicy tres notable miracle. (E)
712 Beaulx seigneurs, prenez cel enfant 66
Et allez au prevost errant
Dire qui voise* a toutes fins,
En ceste ruë des Jardins,
716 Prendre l’horrible malfaicteur
Qui nostre souverain crateur
A mys a celle malle* façon. (+1)

LE PREMIER BOURGOYS
Vous ne demandez que raison.
720 G’y vois, et allez a l’evesque
Et qu’il ne songe ne arreste
Et qu’il viengne a tous ses clercs
Affin que le Juif divers*
724 Soit pugny tout incontinant*.

LE FILZ DU JUIF
Mon pere se dort vrayment (-1)
A nostre maison sur son lict,
Et si trouveres au delict*
728 Tous les instrumens par l’hostel*.
LE PRESTRE DE SAINCT JEAN
Je vois reposer sur l’hostel
Le sainct sacrement benoist.
En bonne verité il loist*
732 Que chascun voye l’apparence.
UNG AUTRE PRESTRE
Certes vous feres grant science
Et s’apartient bien de sonner (E v)
Et devons en hault chanter (-1)
736 Tres tous Te Deum Laudamus.

LE PREMIER BOURGOIS parle au prevost de Paris 67


Monseigneur actendez au nom de Jhesus (+3)
S’il vous plaist et de la Vierge Marie.(+2)
Se ma parolle est esmuye*,
740 Pour Dieu or vous esmerveillez
Il fault que ung peu travaillez,
Acompaigné de voz sergens,
Car il y a plus de mille ans
744 Qu’a Paris n’avint telle chose
Scay je ouy dire a plus de vingt
Qu’il est advenu a ce jour.

LE PREVOST
Et qu’esse ?

LE BOURGOYS
C’est d’un traïcteur*,
748 Lequel demeure a la rue (-1)
Des Jardins et a tant baptue,
Tuee, arce*, navree*, boullye
Une sacree et digne hostie
752 Que le sang en est espandu*
Par l’hostel*. Si vous suis venu
Dire comme une matrosne* (-1)
Des meilleurs qui soit soubz le trosne* 68
756 L’a apporté a Sainct Jehan (E .ii.)
En Greve, a tel ahan* (-2)
Que Dieu scet ; ce que pour Dieu, sire
Alles vistement* sans mot dire
760 Prendre le Juif sur son lict
Car il y est, se m’a l’en dict,
Son filz nous a compté le fait.

LE PREVOST
Haroie, voy bien que c’est, (-2)
764 Ce sont miracles vrayement.
Or sus, seigneurs, legierement*
Allons prendre ce faulx hereticque. (+1)
Payé sera de sa desemerite (+1)
768 Ains que* jamais j’arreste pas.

LE PREMIER SERGENT pour tous


Monseigneur nous ne fauldrons* pas
A faire vostre bon vouloir,
Car prestz sommes matin et soir
772 De faire vostre commandement.

LE DEUZIESME BOURGOYS parle a l’evesque 69


Souverain Pere Reverend,
Necessaire est, cil ne vous greve*,
Que bien tost a Sainct Jehan en Greve
776 Viengnes pour veoir ung miracle
Qui peult bien estre dit pinacle* 70
D’une saincte hostië sacree
Qui par un Juif tourmentee (E .ii. v)
780 A esté. Or a Dieu voulu,
Par sa grant puissance et vertu,
Qu’elle soit leans* apportee
Par une femme bien euree*
784 Qui en a bien fait son devoir
Ainsi que vous pourres sçavoir
Si que venez hastivement
Et admenez de voz couvens*
788 Clercs, mendiens et possesseurs,
[…]
Car vous trouveres, je me vent*,
[…]
Que le prevost est ja party
Pour aller prendre le Juif
792 Et pour faire information.

L'EVESQUE DE PARIS
Celuy qui vit en union
Soit loué de ceste journee.
Il nous convient* faire assemblee
796 De noz clercs. Et allez au devant
Du prevost et faictes tant (-1)
Qu’il nous actende en quelque place.

LE SECOND BOURGOIS
Je le feray a la Dieu grace,
800 Monseigneur, a Dieu vous comment.
L'EVESQUE
Official, soyes pensant 71
Que nous ayons tantost des clercs
Saiges, subtilz, caulx* et expers (E .iii.)
804 Pour destinguer ceste matiere,
Car faire vueil tant qu’il y pere
Pour en monstrer exemple a tous.
L'OFFICIAL
Monseigneur ne doubtez de nous,
808 Nous sommes tres bien pourveüz
Tres tous au nom du roy Jesus
Car se fait requiert* diligence.

L'EVESQUE
S’il est ainsi comme je pense,
812 J’en auray tantost ordonné,
Car le Juif sera bruslé
Ains que jamais gouste* de pain.

Le prevost, le bourgois et le sergent


vont ensemble a Sainct Jehan en Greve

Or sus*, ainçois* huy* que demain


816 Prenez ce petit Juif sot
Affin qu’il nous maine tantost
Ou demeure son felon pere.
Je voy bien que la chose est clere
820 L’hostie est ceans* vraiement.

LE SECOND BOURGOIS
Gardez la bien reveramment*
Car voicy l’evesque qui vient.

LE PRESTRE DE SAINCT JEHAN


Or doncques il nous convient*
824 Sonner a sa noble venue, (E .iii. v)
Car puisque la chose est sçeüe
Brief en sera expedié. 72
LE FILZ DU JUIF
Voicy ou mon pere est logé
828 Et ou il a fait le meffait,
Monseigneur.

LE PREVOST
Entrez dedens et de fait (+2)
Si prenez femmë et enfans
Et le faulx Juif puant. (-1)
832 Voicy les tourmens preparez,
Prenez le fault loudier* ! Prenes
La femmë et la fille aussi !

LE PREMIER SERGENT
Jamais ne partiray d’icy
836 Jusqu'à tant que tout s’en viendra !
LE JUIF
Qu’esse la, seigneurs ? Qu’esse la ?
Que demandez vous la ? (-2)

LE PREVOST
Ha faulx tristre, estois tu la ? (-1)

LE FEMME DU JUIF
840 Qu’esse la, seigneurs ? Qu’esse la ?
LE PREMIER SERGENT
Se Dieu m’aist*, on te le dira.
Estes vous gens de telle erreurs ?
LE PREMIER BOURGOIS (E.iv.)
He bien, que d’ameres douleurs
844 On a fait a l’ostie divine !
Voicy l’eaue toute sanguine
Ou boulluë l’ont, regardez !
LE SECOND BOURGOYS
Gardez qui n’eschappe, gardez !
848 Voicy une grant demye lance
Ensanglantee jusques au manche
Dont percé l’ont vilainement.
LE SECOND ENFANT DE PARIS
Nous prendrons de ce lavement*, 73
852 S’il plaist a Dieu qui tout crea,
Car eaue benoiste n’y a
Qui soit d’elle plus precieuse.

LE JUIF
Voicy chose moult merveilleuse,
856 Beaux seigneurs, que demandez vous ?
Vous emportez mes biens tres tous,
Ma chaudiere*, et mon tripié* ! 74
Doi ge donc estre pillé ? (-1)
860 Ay je ame tué ou meurdry* ?

LA FEMME DU JUIF
Hela ouy !
LA FILLE
Helas ouy !
LE FILZ
Las*, pere, bien sommes desers*. (E .iv. v)
Tous tes meschiez* sont descouvers,
864 Tu n’y peuz plus remedier.
LE PREVOST
Sus*, sus*, pensez de le lier
Et avancez legierement*.
Monseigneur l’evesque voirement*
868 Trouverons a l’hostel* de la ville.
LE PREMIER BOURGEOIS
S’il plaist a Dieu et a sainct Gille
Je emporteray ce canivet
Car le precieux sang y est
872 Qui de l’ostie yssit* hors ains*.
LE SECOND BOURGEOIS
Celle chaudiere* a tout le moins
Auray, si en feray relique,
Car le miracle est auctentique,
876 S’il le doit chascun anoncer.
LE PREVOST
Pere en Dieu reverant tres chier
Et vous tous, saiges, clercs et laiz*
Voicy le faux Juif mauvais
880 Qui a fait le plus piteus fait
Dont j’ay information fait
Qui oncques* advint en Paris,
Et qui soit tel que je le dis.
884 Voicy son filz qui l’a congneu,
Voicy sa femme qui la veu, (F)
Voicy les bourgois honorables
Qui sont tesmoings si tres notables
888 Que raison en est tres contente,
Voicy la matrosne* tres prudente (+1)
Qui a la saincte et digne hostie
Aussi tost qu’ele fut saignee
892 A receüe en son platel*.
Je vous dis, le cas est itel*.
Faictes luy dire verité,
Car je vous jure en loyauté,
896 Quonques* homme ne hay tant. (-1)
L'EVESQUE
Or vien ça, Juif, vien avant !
Dy verité, on te fera grace. (+1)
Dont t’est venu celle falace*
900 Que d’ung fait si tres outrageux ?
LE JUIF
Evesque et vous prevost, tous deux,
Pour vous respondre a ung bref mot,
Ung jour prestay sur ung sercot*
904 Trante soubz* a une Crestienne
Qui vault, se m’aist Dieux*, pis que chienne ;
Laquelle le vint demander
Pour soy a sa pasque parer
908 Et disoit qu’elle n’avoit croix*,
Mais me disoit saulve tous droitz
- « Lendemain le raporteroit (F v)
Quant le bon jour passé seroit. »
912 Et je luy dis a ung mot brief
Que de moy ne viendroit a chief*
Se cil que recevoir devoit
Secretement ne me apportoit.
916 Vray est qu’elle le me apporta (+1)
De Sainct Marry ou elle alla,
Et sa robe luy rendi lors.
Quant de vostre Dieu eu le corps
920 Si assayé s’il avoit vie,
Je trouvé lors que ouy. Envie
Me print de le crucifier,
Getter au feu et persecuter, (+1)
924 Et contre terre trebucher*,
Boullir, batre et plaier*,
Et tousjours demouroit entier
Comme au premier. Cest chose, voire*,
928 Adonc* me vint en memoire : (-1)
Commë ma femme me tensoit*
Q’un propre crucefix estoit
Que point je ne peuz regarder,
932 Ma femme me print a blasmer
Et mes enfans avecque elle,
Neant moins cuidant que ce fust cautelle* (+2)
Et que ce ne fust que folie,
936 Par fine* droicte enragerie
Je m’allé getter sur mon lict. (F .ii.)
Je ne sçay que on vous a dit, (-1)
Mais je vous en dis tout le vray
940 Pour ce que* certainement sçay
Que me voulez desheriter.
Mais j’ay pieça* ouy compter
Que on trouve dedans vos escris
944 Nolo mortem peccatoris
Sed ut convertatur et vivat 76
S’ainsi est bien, veu mon estat,
Voulentiers me baptiseray
948 Parmy ce que sentence auray
Que point ne me feres mourir.
L'EVESQUE
Bien est de merveilleux ouïr
Qui ainsi obstiné estoyes.
952 Et faulx Juif, quant tu voyes (-1)
Que ta femme te reprenoit
Et que la douleur concepvoit
De sa tres divine puissance,
956 Que n’avois tu remembrance* ? (-1)
Or avant, tu en dis assez !
Vous, clercz et laiz*, vous oÿes
Et que le cas est par luy gehy* ; (+1)
960 Et pour paour de mort dit ainsi
Qu’il veult bien estre baptisé !
LE PREVOST
Nenny, il soit a mort jugé ! (F .ii. v)
Ce n’est rien q’une eschapatoire*,
964 Et il pourroit faire pis encores (+1)
Qu’oncques* ne fist.
LE PREMIER BOURGOIS
Ce feroit mon*
Car c’est ung tres mauvais glouton*.
Mais se ces enfans et sa femme
968 Vouloyent avoir le sainct baptesme
Ceroit bien fait de leur donner.
LA FEMME DU JUIF
Je vueil Dieu servir et aymer
Et dusse aller fouir* aux champs,
972 Car il est le plus faulx tirant
Qui soit point en tout ce royaume.
LE FILZ DU JUIF
Si feray je, moy, par mon ame*
De son meschief* me souvient bien.
976 Je renonce a luy a tousjours !
Ha, faulx mauvais tracteur* ! (-2) LN
Car je vueil estre crestien.

LE JUIF
A vous renoncé a la loy ?
980 J’ayme mieulx mourir car bien voy
Que tout homme m’est adversaire.
LE PREVOST
Ordonnez brief qu’il en fault faire,
Reverend Pere, il en est temps ! (F .iii.)
984 Il est ses meffais confessans,
La chosë est toute prouvee.
L'EVESQUE
Tant que soit passé la journee
De Pasques et solennité,
988 Prevost, vous prie en equité,
Vous le gardez, je vous em prie, 77
Et puis apres, n’en doubtez mye*,
On y pourvoira par raison.
LE PREVOST
992 Sire je feray vostre bon
Et du tout a vostre plaisir,
Et quant verres vostre loysir
Je le menray* a bonne chere*.
L'EVESQUE
996 Or ça, ma doulce amye chere,
Et vous aussi mes beaulx enfans,
Estes vous fermes et creans*
Que Dieu descendit de lassus*
1000 Pour racheter les serfz perdus
Par le peché du premier pere,
Et naquit de la Vierge mere
Sans quelconque corruption,
1004 Et en croix souffrit Passion
Pour nous en l’arbre de la croix,
Du sang et eaue a celle fois
Yssit* de son digne costé (F .iii. v)
1008 Puis au tiers jour ressuscité
Fut en glorification,
Et que au jour de l’Ascension
Monta es* cieulx present tout homme ?
1012 Et si croyez aussi en somme
Que tel comme vous l’avez veu
En espece de pain il fut
Et est transmué dignement
1016 Par le benoist sainct sacrement
Que le prestre sacre a l’autel ?
LA FEMME DU JUIF
Pere en Dieu je le croy itel*
Et vous requiers* baptizement.
LA FILLE
1020 Du cueur loyal, pur et ignel*,
Pere en Dieu je le croy itel*.
L'EVESQUE
Comment auront ilz a nom ? (-1)

LE DEUZIESME BOURGOIS
Isabel, Jehanne et Jehan. LN
L'EVESQUE
1024 Croyez vous fermement ? (-2)
LE FILZ
Pere en Dieu je le croy itel*
Et vous requiers* baptizement. 78

L'EVESQUE
Du nom de Dieu le Pere omnipotent (+2) (F .iv.)
1028 Vous baptise par ces motz cy :
In nomine patris et filii, et spiritus sancti
Or mes amys, entendez, (-1)
Qui voz noms leurs avez donnez,
1032 Je vous encharge* de apprendre
La loy et la leur faire entendre
Ainsi que leur ay demandé,
Et qu’ilz soient endoctrinez (-1)
1036 En la foy tout premierement
Sur peine de excommuniement.
Et vous prestre venerable, (-1)
Ce sainct joyel* tres admirable
1040 Que nul si ne sauroit nombrer*
Vous enjoinctz aussi a garder,
Et si donnons des pardons (-1)
Cent jours du povoir que avons (-1)
1044 A tous ceulx qui a l’enchasser
Viendront pour aumosne donner.
Et si vueil que entre vous prescheurs
Nommez de ce fait les maieurs
1048 Par tout, et a Dieu vous comment.
LE PRESTRE DE SAINCT JEHAN
Celle qui en ces doulx flans (-1)
Porta Jhesu Crist, vierge et pure,
Pere en Dieu, vous doint sa cure*
1052 Qui a tousjours mais luy puist plaire.
Dedens ceste devote aumoire* (F .iv. v)
Mettray ceste digne hostie
Qui tan doit estre auctorizee
1056 Et pour que le noble prelat
A donné pardon et rachapt
De peine cent jours a tous ceulx
Qui de donner seront songneux*
1060 Pour enchasser ce sainct joyel*. 79
Dieu le vous rendra bien et bel
Et oultre plus, mes bonnes gens,
Se ne soyez pas diligens,
1064 Qui devant voz yeulx avez veu
Le beau miracle - non pas jeu.
S’il vous plaist, vous le retiendrez
Et de bon cueur le servirez
1068 En maintenant sa confrarie, 80
Laquelle est bien auctorisee
Au propre lieu ou ce fut fait.
S’il plaist au doulx pere Jhesus
1072 Le premier signe qui sera
Le demourant monstré sera
Du mauvais Juif obstiné
Qui puis fut ars* et bruslé.
1076 Si faisons tant que chascun face
Que Dieu nous doint pardon et grace.
Amen

La condampnation du faulx Juif


Comment il fut ars et bruslé hors Paris 81 (G)
Au marché aux pourceaux 82

L'EVESQUE
Montrer fault par experience
La folle erreur et incredulité (+2)
1080 Contre Dieu et contre la loy
Du faulx Juif et son arroy*.
Certes le miracle est moult hault,
Official, advisez* il fault
1084 Sur ceste matiere present.

L'OFFICIAL
Se griefve* est au delinquant*,
Car le cas est trop manifeste ;
Il ne vous sera point honneste,
1088 Monseigneur.

L'EVESQUE
Je sçay bien que non.

L'OFFICIAL
Le cas appert* tout non ? (-2)
C’est a dire, il en est nouvelle ?
L'EVESQUE LN
Par tout pays la chose est telle.
1092 Enquerir* nous fault de son fait.
L'OFFICIAL
Monseigneur ce sera bien fait.
L'EVESQUE
L’inquisiteur je manderay 83
Et mettray ce hault cas au vray,
1096 Qui est de grande auctorité.
Je prieray l’Université, (G v)
Aussi le prevost de Paris
Qui tient en prison le Juifz,
1100 Affin pour conclure du fait
Sans faire ne proces ne plait*.
Qu’on me face tost ung huissier
Venir a coup* et sans tarder !
LE SERGENT DE LA COURT DE PARIS 84
1104 Ce qu’il vous plaira commander
Monseigneur, je l’acompliray.
L'EVESQUE
Or entens ce que te diray.
Tu t’en iras a l’Université (+2)
1108 Dire aux seigneurs d’auctorité
Et au recteur que je luy prie 85
Venir vers nous car en partie
Le cas luy touche grandement.
LE SERGENT
1112 J’acompliray le commandement
A vostre vouloir tres devot.

L'EVESQUE
Apres tu t’en iras au prevost (+1)
De Paris, en disant ainsi
1116 Que luy prie qu’il vienne icy
De son conseil acompaigné.
LE SERGENT
Monseigneur n’en soit soucyé,
Il sera fait, n’en parlez plus. (G .ii.)
1120 Devoir vous faire…
L'EVESQUE
Et au surplus
- Actens, dea*, que tu es hastifz ! -
Qu’il face amener le Juifz.
Entens tu bien tout le cas ?
LE SERGENT
1124 Je n’y fauldray* pas, (-3)
Monseigneur, je vous certifie.

Assemblee moult anoblie,


Dieu vous gard seigneurs et amys.
1128 L’evesque m’a vers vous transmis
Que venez a luy en peu distance. (+1)
Je m’en voys faire diligence
Vers le prevost tant que je puis.
LE RECTEUR
1132 C’est pour le fait, a mon advis*,
Du faulx Juif tres malheureux.
L'INQUISITEUR
Le cas est certes tres merveilleux.
Allons vers luy par bon devis*.
LE SERGENT
1136 Sire, monseigneur de Paris,
Mon maistre devers* vous m’envoye
En grant desir qu’il vous voye (-1)
Vous actent - ce c’est vo* plaisir –
1140 Devers* luy, si vous plaist venir. (G .ii. v)
Il dit que vous faces le fait.
LE PREVOST
Il suffist, je sçay bien que c’est
De tel cas n’ouys onc* parler !
1144 Il nous fault vers l’evesque [aller].
Sus* tost, entre vous deux, sergens 86
Soyez hastifs et diligens,
Penses vers nous amener (-1)
1148 Sans plus icy sermonner (-1)
Ce Juif, qui en mes prisons
Est ceans* pour ces mesprisons*,
Si l’interogueray ung petit*.
MAIGREDOS
1152 Monseigneur a vostre appetit*.
Vous l’aures, n’y aura deffault.
AFFAMÉ
De Dieu puist il estre mauldit,
Plus de peine fait qui ne vault.
MAIGREDOS
1156 Fiere personne detestable,
Mauldit Juif, membre du Dyable,
Trossez*, saillez*, vuides* dehors !
AFFAMÉ
Sordez ! De vostre mauldit corps
1160 Soit revestu ung beau gibet !
Gouffre d’enfer, a un crochet
Puist ennuyt* vostre ame acrocher ! (G .iii.)
MAIGREDOS
Regardez, quel gros pautonnier* !
1164 Que la lignee en soit mauldicte !

JACOB MOUSSE juif


Mainte parolle m’avez dicte
Cest envie qui si applicque.
En la haulte loy judaïque
1168 Je mourray, non pas a la vostre.
AFFAMÉ
Regardez moy cest appostre, (-1)
C’est ung erreur infinitif* !
MAIGREDOS
Sire, despeschez ce Juif !
LE JUIF
1172 Nif juif, nif juif, nif ! (-1)
[…]
Et vela pour vous tous, vela ! (-1)
LE PREVOST
[…]
Vien ça,
N’as tu pas terrible forfait
1176 Commis ?
LE JUIF
Rien n’ay meffait (-2)
Pour vostre Jhesus, ne plus ne moins. (+1)
LE PREVOST
Tu t’abuses, hors de mes mains
N’es pas encores eschappé.
1180 Or vien ça, maistre, accipe ! 87
Droit ne loy ne peult empescher
A homme mortel peché, (-1) (G .iii. v)
Cela on doit pour fin conclure.
LE JUIF
1184 Et puis que voulez vous conclure ?
LE PREVOST
A ta delivrance.
LE JUIF
Trop bien.
LE PREVOST
Croy Jesus !
LE JUIF
Je n’en feray rien,
Pour homme qui parler m’en saiche !
1188 Et deusse tout vif a une atache* (+1)
Estre escorché pour une oublie*.
En voz ditz n’y a que folie !
Jamais, jamais n’en croiray rien !

L’INQUISITEUR
1192 Le diable tient a son lien. (-1)
[Jacob] Mousse, je te demande
Une question non pas grande.
Se tu veoyes icy l’hostie,
1196 Dis moy verité je te prie,
Jacob, la congnoistras tu bien ?
LE JUIF
Congnoistre, n’en doubtez en rien !
Messeigneurs, se je la veoie,
1200 Tres bien la recongnoistroie !
De pareille je ne vis oncques*
En mon vivant.
L'EVESQUE (G.iv.)
Regarde doncque
Ce c’est point icy l’ostie. (-1)
LE JUIF
1204 C’est elle, je le certiffie,
Elle non autre seurement.
D’ung grant cousteau hideusement
En cinq pieces je la departis*, (+1)
1208 Et incontinent* furent remis
Mieulx qu’ilz n’estoient paravant. (-1)
LE RECTEUR
Tu le confesses plainement, LN
Tu vois a l’œil sa grant vertu
1212 Juif donc - Et pourquoy ne croys tu
En Jesu Christ le pain de vie ?
LE JUIF
Je tiens trestout en fantaisie*, 88
Le diable a ce pain renoué.
LE PREVOST
1216 En son erreur est obstiné,
Il demourra en son abus.
Seigneurs, procedez au surplus
Sans tarder en plus de langaige.
L'INQUISITEUR
1220 Maudit Juif et plain de raige,
Quant a l’ostie tu as fait
Tant de tormens, tu vois de fait
Que c’estoit puissance infinie ?
LE JUIF
1224 En voz ditz n’a que mocquerie. (G .iv. v)
Je ne fois fors ce que* doy faire.
Jesus tenons pour adversaire
Entre nous de la loy judaïque. (+1)
L'EVESQUE
1228 Puis qu’il est en son art magique,
L’Eglise a plain se demet. (-1)
La congnoissance vous remet.
Faictes fin de telz malfaicteurs.
LE PREVOST
1232 Puny seras de tes erreurs
Jacob Mousse.

LE JUIF
Que veult tu dire ?
LE PREVOST
Convertis toy,
LE JUIF
ne soye mie*
Et penses de tos revocquer,
1236 Creire en Jesus, et l’invocquer,
C’est a dire vivre ou mourir,
L’ung de ces deux te fault choisir.
Sus*, a coup*, depesche* la court !
LE JUIF
1240 Prevost, a dire brief et court,
Jamais je ne me desdiray.
LE PREVOST
Brusler et ardre* te feray.
Vela ton chant et contrepoint* ?
1244 Sa, messeigneurs, venez au point*.
Veu ces cas, termes et excés,
Assez legier est son procés.
Plus ne fault de luy endurer, (H)
1248 Le procés ne doit plus durer.
De mon povoir et plaine puissance, (+1)
Sans revocquer par ton incredence*, (+1)
Je te condanne sans nulz appeaulx* (+1)
1252 A estre au marché aux pourceaux
Bruslé et ars* sans plus actendre !
Sus*, sergens, pensez de tendre*, (-1)
D’aller querir* tost le bourreau !
1256 Froide* joye ait il de sa peau,
Et qui viengne sans point d’arrest !

MAIGREDOS
Il est des le matin tout prest,
G’y vois sans contredire. (-2)

1260 Maupiteux ! 89
LE BOURREAU
Que veulx tu dire ? (-1)
MAIGREDOS
Il te fault venir au prevost;
Qu’on se despeche a ung brief mot
Pour ce faulx Juif brusler et ardre*.
LE BOURREAU
1264 Il fault donc une atache* avoir.
MAIGREDOS
Il ne fault avoir q’une charrette (+1)
Car la besongne* toute preste.
Entens tu bien, maistre Happart ?

LE BOURREAU
1268 He, Sire, le deable y ait part (H v)
Au Juif et la lignee toute,
Il n’y a acquest* grain ne goute*.
Voicy instrumens et charette
1272 Et l’atache* toute preste. (-1) 90
Il sera tantost expedié.
Montez a mont*, peu soussié
Vous sentires tantost le rost*. 91
LE JUIF
1276 Que tu t’abuses bien prevost,
Mais que puisse avoir mon livre. (-1) 92
Je seray au pur* et delivre* LN
De tes mains, je le te declaire,
1280 Que tu ne me pourras meffaire,
Ne ton Jesus ne sa puissance
Ne me sçauroit faire nuysance,
Brief ne grever* mon corps en rien.
LE PRESTRE
1284 Esprouvons* ce magicien !
Cest enchanteur soit esprouvé* !
Va querir* son livre, Affamé,
Pour le conclure* a final point*.
1288 Tost a coup*, et n’arreste point
Chemine, chemine tost devant ! (+1)
Bourreau n’arreste tant ne quant
En ung beau brasier le me livre.
LE JUIF
1292 Mon livre, mon livre, mon livre ! (H .ii.)
LE BOURREAU
Maigredos, chausses tes argotz*,
Metz a point* costeretz* et fogots,
Dommaige est qu’on le laisse vivre !
LE JUIF
1296 Mon livre, mon livre, mon livre !

LE BOUREAU
Je m’en vois l’atache* asseurer,
Feu et bourrees* preparer, (-1)
Sa mort je desire poursuyvre.
LE JUIF
1300 Mon livre, mon livre, mon livre !
LE PREVOST
Faulx villain Juif, est tu yvre ?
[…]
AFFAMÉ
Vela le livre qu’il demande.
LE PREVOST
Juif, esse cy ta demande ?
1304 Esse le livre que me requiers* ? (+1)
Qu’on luy baille*, je vous requiers*,
Sans attendre plus longuement.
LE JUIF
Ouy c’est cestuy voirement*,
1308 C’est il or n’ay je meshuy* garde…
O Deable, il semble qu’j’arde* !
Deables, Deables, brusle et ars* !
J’ars*, je brusles de toutes pars ! (H .ii. v)
1312 Je depars* en feu et en flamme,
Mon corps, mon esprit et mon ame
Bruslent et ardent* trop apprement !
Deables, venez hastivement
1316 Et m’emportez a ce besoin ! 93
LE PREVOST
Vous voiez de pres et de loing
Le Juif plain de maulvais ars*
Luy et son livre sont tous ars*
1320 Et en la charette brouÿs*.
AFFAMÉ
Messeigneurs et mes chiers amis
Qui avez veu ce beau mistere
Du faulx Juif et deputaire*,
1324 Que mauldit en soit la nation.
MAIGREDOS
Affin qu’il en soit mention
Et mesmement dedans Paris,
Qu’en l’ostel* du mauldit Juif
1328 Soit fondé ung monastere. (-1)
LE PREVOST
Or vray Dieu et debonnaire,
Quel noble miracle voicy,
Je te rendz gracë et mercy,
1332 Prenez y tous et toutes exemplaire. (+2)
AFFAMÉ
Il est payé de son salaire,
Ce faulx Juif de toutes pars. (H .iii.)
MAIGREDOS
Luy et son livre sont tous ars*.
1336 Fy de* luy et de tous ces ars*,
Il est payé de son salaire.
LA MAUVAISE FEMME
Sercher me fault autre repaire, 94
Je suis de malheure nee, (-1)
1340 Et a grief malheur habandonnee*. (+1)
Judas la chair Jhesus vendit
A bons deniers*, et moy aussi,
Femmë au dyable condampnee,
1344 Qui la chair Jhesus as livree
Au Juif, pour faire grant chere.
O qu’esse de femme legiere !
Helas, que pourray je esperer,
1348 Ne a qui me conseiller ? (-1)
Au vray, je n’en sçay que dire, (-1)
Je m’en voys sans plus mot dire (-1)
Hors de la ville de Paris,
1352 Sercher service a Senlys (-1) 95
Pour gaigner ma povre vie (-1)
En ceste belle hostellerie*.
M’en voys tout fin droit demander.

1356 - Vous plaisoit il a regarder


La povre femme et indigent
Qui vouldroit pour bien peu d’argent
Vous servir, s’en avez mestier ? (H .iii. v)
L'HOSTE DE SENLYS
1360 Et combien vouldriez vous gaignez ? (+1)

LA MAUVAISE FEMME
De bien peu seroye contente. (-1)
L'HOSTESSE
Si fault il savoir vostre entente !
Or nous dictes vostre vouloir.

LA MAUVAISE FEMME
1364 J’aymeroye mieulx moins avoir
Et que vous soyé aggreable.
L'HOSTE
C’est une servante honnorable,
C’est le meilleur que la prenons.
L'HOSTESSE
1368 M’amye, nous vous retenons.
Serves bien, vous aurez du bien.
Mais touteffois gardez vous bien
Des façons de nostre varlet*.

LA MAUVAISE FEMME
1372 Jamais madame, se Dieu plaist.
Helas, je suis ja toute dure* !
L'HOSTESSE
Il vient ung dyable d’aventure*
Qui mainteffois ung grant mal fait.
1376 Ou est tu, dy, hault Gillet ? (-1)
LE VARLET
Que vous plaist il, ma dame chere ?
L'HOSTESSE
A ceste neufve chambriere* (H .iv.)
Fault monstrer dessus et dessoubz,
1380 Ramonner* par tout, mes tout doulx 96
Quant ce commencement. (-2)
LE VARLET
Laissez moy faire hardiement*,
Ne sçay je pas bien que ce vault ?
1384 Ramonner* nous fault il bas et hault ? 97
Entendez vous, gente torquette* ?

LA MAUVAISE FEMME
Et hay ! De par Dieu, lourdault !
[…]

LE VARLET
Harau*, que vous este friquette* !

LA MAUVAISE FEMME
1388 Dieu, que de parolles perdues !
LE VARLET
Ce sont les plus tost abatues
Que ceulx qui font tant de ranchere !
Par le corps bieu*, m’amye chere,
1392 Il fault que nous comptons nous deulx !
Je suis de vous si amoureux
Qu’oncques* je ne fuz a tel trect*.
LA MAUVAISE FEMME
Et que c’est bien dit, Gillet !
1396 Quel folastre*, n’avez vous honte ?
LE VARLET
Par ceste croix, vous rendrez compte
Avant qu’il soit an et demy. (H .iv. v)
[…]
LA MAUVAISE FEMME
Morte je vouldroye estre en fosse.
1400 Helas ! Helas, je me sens grosse,
Que feray de ce fruit icy ?
L'HOSTESSE
Qu’avez vous a vous plaindre ainsi ?
Respondes m’amye.

LA MAUVAISE FEMME
Madame,
1404 Je n’ay rien. LN
L'HOSTESSE
Je croy, par mon ame,
Que vous estes grosse d’enfant.
LA MAUVAISE FEMME
Madame, vostre honneur devant*,
Grosse, vous le dictes a tort !
L'HOSTESSE
1408 Sainct Mor, le ventre lieve fort !
Se riens y a, dictes le nous,
Gardes ce qui est entour* vous,
Quoi qu’il en soit, entendez vous bien ! (+1)

LA MAUVAISE FEMME
1412 Grosse, je ne le suis en rien,
Vous me charges a tres grant tort !
L'HOSTESSE
On s’en raporte a vous au fort*.
Ne faictes point du tout le pire !

LA MAUVAISE FEMME tient la


semblance* d’un petit enfant
1416 Helas, je suis en grant martire,
Maintenant me fault enfanter.
Comment le pourray je celer* (I)
Affin que jamais n’en soit bruyt ?
1420 Le dyable je croy me induit.
Vecy comment le celeray*,
Dedans ce fient* l’enterreray,
Je croy que nul ne le sçaura.
1424 C’est fait. 98
L'HOSTESSE
Chambriere*, venez ça !
Il fault que aulcun mal en vous entre.
Comment vous avez plat le ventre ?
Comment c’est vostre fruit finé* ? 99

LA MAUVAISE FEMME
1428 Autreffois m’avez desiné*
Que j’estoye grosse, madame,
Oncques* je ne le fus sur mon ame*, (+1)
Maistresse pas ne dictes bien.
L'HOSTESSE
1432 Tu ne m’en aprendras rien,
Je me congnois trop a ce faict
Or me dy que tu as fait (-1)
Et ne me cele* ton vice ! (-1)
1436 Je iray devers la justice
Se tu ne me dis la verité. (+1)
L'HOSTE
Dy hardiement* ton cas. Celé*
Sera, mais que dye le voir.
1440 Si ce non tu peulz bien sçavoir
Qu’aujourduy est fait de ta vie. (I v)

LA MAUVAISE FEMME
Mercy humblement je vous crye LN
Et que vous celez* mon meffait.
L'HOSTESSE
1444 Or dis donc qu’en as tu fait ? (-1)
Hardiement* ne me cele* riens.

LA MAUVAISE FEMME
Je l’ay enfouy en ung fiens*.
Helas, je vous crye mercy, madame ! (+1)
L'HOSTESSE
1448 O meurtriere, mauvaise femme, (+1)
As tu meurtry* ton propre enfant ?
L'HOSTE
J’en vois advertir pourtant (-1)
Monseignaur le baillif de Senlys, (+1) 100
1452 Affin que n’en soions repris*, LN
Et qu’on ne me treuve coupable !

Baillif de Senlys honnorable,


Advertir je vous viens d’un fait
1456 De crime, et horrible forfait,
Comme de ce faire suis tenu.
LE BAILLIF DE SENLIS
Qu’i a il ? Qu’est il advenu ?
L'HOSTE
Sire, je le vous diray bien et bel. (+2)
1460 Verité est qu’en mon hostel*,
J’ay une chambriere*, monsieur le baillif, (+4) (I .ii.)
Laquelle m’a sept ans servy. 101
Or est advenu d’aventure*
1464 Ung cas, mais ce n’est que nature,
Elle a esté grosse de fait.
Mais son enfant a deffait (-1)
Lequel par couvers* moyens (-1)
1468 A enfouy en ung fyens*, (-1)
Si en viens advertir justice.
LE BAILLIF
C’est ung horrible malefice,
Digne de grant pugnition.
1472 Sus*, sergens, sans dialtion*,
Diligemment et a grant erre*,
Allez moy une femme querre*,
Que cest homme vous monstrera !
1476 Sire, monstrer il vous fauldra
A ces gens cy, bien l’entendez,
La femme que vous accusez,
Pour en faire justice et raison. (+1)

L'HOSTE
1480 Je leur ouvreray la maison.

Ou est la chambriere* ? (-2)


L'HOSTESSE
Elle est allee la derriere.

LA MAUVAISE FEMME
Que voulez vous mon maïstre ? (-1)
L'HOSTE
1484 M’amye il vous fault changer estre*, (I .ii. v)
Il vous convient* partir d’icy.
MAIGREDOS
Devers* monseigneur le baillif
De Senlys, vous convient* venir.

LA MAUVAISE FEMME
1488 C’est fait de moy, je m’en voys mourir. (+1)
Vray Dieu je te requier* mercy.
AFFAMÉ
N’ayez point le cueur esbahy*,
Presentement vous fault venir
1492 Quoy qu’il en soit, sans point mentir,
Par devers* monseigneur le baillif. (+1)

LA MAUVAISE FEMME
Adieu mon maistre, mon amy.
L'HOSTE
Jhesus vous vueille secourir.

LA MAUVAISE FEMME
1496 Adieu, ma maistresse aussi.
MAIGREDOS
Regardez, monseigneur, vecy
La femme que mandé avez.

LE BAILLIF
Or ça, m’amye, vous voyez
1500 Que justice est informee, (-1)
Et estes a grief* cas accusee
Sur ce qui vous est accusant
Qu’enfouy avez vostre enfant
1504 En ung fyens*, qui est chose amere. (I .iii.)
Telle n’est mie* vraye mere,
Qui en se point destruit son fruit.
La voix est et le commun bruit
1508 Que la cas avez parpetré.

LA MAUVAISE FEMME
Sire, je vous diray verité, (+1)
Bien voy qu’il est fait de ma vie.
J’ay bien fait plus grande folie
1512 Et plus grant crime offence, (-2)
Qui me remet en conscience.
Sept ans a, vous dire voir*, (-1)
Que je devoie recevoir
1516 Au jour de Pasque mon sauveur.
La saincte ostie par maleur
Ay vendue a un faulx Juifz
Qui a esté bruslé a Paris
1520 Sans plus en faire inventoire*. (-1)
LE BAILLIF
J’ay de ce cas assez memoire.
Pour ce de sentence inferer,
La verité ne doit differer, (+1)
1524 Puisque ces deux cas confessé.
LA MAUVAISE FEMME
Faitz les ay.
LE BAILLIF
Il souffist, assez !
La sentence fait estre esparce*
Je te condamne a estre arce* (I .iii. v)
1528 Empres le gibet de Senlis.
Sus*, sergens, soiez ententifz,
Allez moy tost le bourreau querre* !
AFFAMÉ
G’y vois bien tost et bonne erre* (-1)
1532 Vers justice faire devoir.
MAIGREDOS
Il te fault une femme ardoir*
Apporte tous tes instrumens.
LE BOURREAU
Je luy feray croistre les dens
1536 D’ung pié*, il n’en fault point doubter.
LE BAILLIF
Sus* bourreau ! Va executer
Ceste femme je la te livre.
LE BOURREAU
La sentence je vois poursuyvre,
1540 Devoir en feray avant que je cesse (+2)
Priez pour ceste pecheresse,
Que Dieu luy aide par sa douleur. (+1)

LA MAUVAISE FEMME a genoulx


O mon createur, o mon redempteur ! (+2)
1544 O mon saulveur ! Jesus, mon amy, (+1)
Je te crie mercy en ce monde cy. (+2)
Las*, je te vendis au Juif mauldit, (+1)
Ce cruel meffait, o doulx Jesu Christ, (+2)
1548 Mon enfant meurtry, dont j’ay repentance(+2)
[En ayant en toy tousjours fiance] B (+1)
Et en ta grant haultesse. (-2)
LE BOURREAU (I.iv.)
Je n’entens point ceste finesse.
LE BAILLIF
1552 Sus*, despeche toy je te prie !
LE BOURREAU
Prenez en gré* la mort m’amye,
Ne pensez qu’a Dieu seulement.
LA MAUVAISE FEMME
Aussi fais je veritablement. (+1)
1556 Jesus, seigneur du firmament,
Je te prie begninement*
Que tu preigne de moy mercy,
On m’a dit que tu dis ainsi
1560 Que la mort ne veult du pecheur, 102
Secours mon ame, mon sauveur,
Regarde ma grant contricion*,
Et m’octroye remission.
1564 Vois s’il te plaist mon cueur contrict,
Bon Jesus. Jesus im manus
Tu as comment mon esperit. 103
LE BOURREAU
Monsieur, pencez au surplus (-1)
1568 De nous en aller a la retraicte, (+1)
Car acomplir est et parfaicte
La sentence par vous donnee.
LE BAILLIF
Nostre execution achevee,
1572 Nous n’avons plus icy que faire.
Chascun s’en aille a son affaire,
Nous prirons a Jesus le fruit de vie (+2) (I .iv. v)
Qui est la vraie et sacree hostie (+1)
1576 Dont l’en fait tous les jeudis de l’an (+1)
A Paris an Greve a Sainct Jehan 104
Grant solempnité de la saincte hostie (+2)
Toute femme grosse est begnie,
1580 Aussi sont toutes gens grans et petis.(+2)
Jhesus nous doint a la fin paradis. (+2)
Amen

S’ensuivent les noms des


personnaiges dudit mistere

Et premierement

La mauvaise femme commence


Le Juif
La femme du Juif
Le prestre de sainct Jehan
Le clerc de sainct Marri
Le i bourgois d Paris
Le ii bourgois de Paris
La fille du Juif
Le filz du Juif
Martine la bonne femme
Le i enfant de Paris
Le ii enfant de Paris
Le prestre de sainct Jehan
Le prevost de Paris
Le premier sergent
Le second sergent
L’evesque de Paris
L’official de Paris
Le sergent de la court de Paris
Le recteur de l’université
L’inquisiteur de la femme
Le bourreau
L’hoste de Senlis
L’hostesse de Senlys
Le varlet
Le baillif de Senlis

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