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1. Kant avait écrit une longue introduction,sans doute dès 1789(cf. Pléiade Il, 807), publiée dans
le Naclilass(Ak XX, 195-251).Son intérêt indéniablene saurait lui donner le pas sur l'introduction
effectivementpubliéeparKanl
2. CT,Introductionl,AkV, 171,171, 13-15,Pléiadell,923.
3. CT,Introductionll,AkV, 174,23-31,Pléiadell,927.
4. Cl, IntroductionIll, AkV, 177,4-12,Pléiadell, 930-931.
5. Cl, IntroductionIl, Ak V, 175,36-176,15,PléiadeII, 929.
6. Cl, IntroductionIll, AkV, 177,9-12,PléiadeIl, 931.
DU JUGEMENT ESTIIÉTIQUE À L'ÊlRE ORGANISÉ 3Î
1. CRP,Ak III, 50, 30-51, Pléiade I, 783. Ainsi une des corrections atténue le caractère empirique
des «sources» de l'esthétique en ajoutant le quelliicatif de «principales», l'exclusion du rapport à
des lois a priori est précisée par« déterminées», qui va dans le sens de la mise à l'écart du œnoept
dans le jugement de goOt Cf.Pléiade I, 1581, lanote du traducœurconcemantoe passage.
2.ll s'agit du «premier momenh> de l'Analytique dll beau, aboutissant à une première
défi.nition»dubeau, CJ, § 5,AkV,211,1-4.
3. CJ, § 9, Ak V, 216-218, Pléiade Il, 974-978: «Examen de la question de savoir si dans le
jugement de goOt, le sentiment de plaisir précède l'appréciation qui juge de l'objet ou si c'est
l'inverse,..
4. CJ, § 39,AkV, 291, Pléiade II, 1069, le titre: «lacommunicabilitéd'unesensation».
5.CJ, §6, Ak V, 211, Pléiade II, 967, le titre: «Le beau est ce qui est représenté sans concept
commeobjetd'unplaisirunivcrsel ».
6. CJ, § 5,AkV,209,29-210,2, Pléiade II, 965.
32 FRANÇOISMARTY
bien ce qui habite ce senti. Et il est bien cette fois passage, joignant, en leur
irréductibilité les deux bords de l'abîme.
LA RAISONEN EXCÈS
LE SUBLIME,L'ENTENDEMENTINTIJITIF
veut dire d'abord qu'il y a causalité selon des processus de type mécanique, des
parties en coordination avec le tout, par rapport à quoi elles se définissent comme
parties. Mais il y a aussi, et en même temps, la réciprocité qui met le tout au service
des parties, avec tout particulièrement les systèmes de suppléance possibles,
évidemment limités. Une part d'aléa s'inscrit du coup dans une telle structure,
interdisant de consolider les séries mécaniques comme c'est le cas dans les corps
inertes. - Kant était déjà dans une telle perspective, lorsque dans son premier
grand ouvrage personnel, Histoire générale de la nature ou théorie du ciel, il
cherchait à dépasser Newton par Newton. Il s'agissait en effet, à partir des lois
de base de la gravitation universelle, d'exposer la formation du monde qui est
le nôtre à partir d'un état primitif de chaos. Et à l'objection d'une impossible
prétention, le jeune Kant répliquait que le défi n'était pas grand, de qui déclarait :
« Donnez-moi de la matière et je vous ferai un monde», alors qu'il était sOrd'être
perdu pour qui dirait : « donnez-moi la matière, je vous ferai une chenille» 1• Bien
trop grande est la complexité du vivant.
L'organicité, apport majeur de la biologie au xvmesiècle, ne rendait pas
caduc le modèle de l'animal machine de la tradition cartésienne, mais en deman-
dait une révision, telle celle que tentait Kant dans la solution de l'antinomie.
Pareillement, les progrès de la biologie aux XIXe et xxesiècles, avec en particulier
la place faite à la recherche au niveau cellulaire et à la génétique, ne rendent pas
caduque la pensée del' organisme du xvmesiècle, mais en demànde une révision,
pour laquelle je pense que la façon dont Kant faisait aller ensemble mécanisme et
finalité demeure un modèle utile.
Hypotyposeschématique,et hypotyposesymbolique
Sous le titre de « la beauté comme symbole de la moralité», c'est le champ
entier de la connaissance qu'ouvre Kant, et très précisément au niveau où dans la
Critiquede la raisonpure est abordée la Doctrinetranscendantalede lafaculté de
juger, avec la question du schématisme.C'est de l'articulation entre sensible et
intelligible qu'il s'agit, pris en sa difficulté majeure, celle des concepts purs de
l'entendement. Kant commence ici par une sorte de recentrage terminologique,
sous le terme général d' hypotypose,littéralement de modèle(type)mis en dessous.
Le terme est précisé par une formule latine : subjectiosub adspectum,mise sous
le regard, parfaite description du mouvement de la pensée, l'équivalent global
allemand étant Darstellung, terme auquel Kant donne comme répondant latin
exhibitio,et que l'on rend bien en français par présentation.Il s'agit là, résumant
cet effort de précision dans l'expression du questionnement transcendantal, d'une
Versinnlichungdu concept, de son passage au sensible, hors de toute confusion
entre sensible et intelligible 1•
Sans pouvoir faire le commentaire détaillé que demanderait ce texte, où deux
fois le terme de réflexionintervient, je prendrai appui sur un exemple donné par
Kant, le moulin à bras, symbole de l'État despotique, et le corps animé, symbole
de l'État constitutionnel. La faculté de juger est occupée à une double affaire en
une telle hypotypose.La première est l'hypotypose schématique, appliquant un
concept à un donné intuitif, en un jugement déterminant (corps animé, machine à
bras), en une présentation directe. En cette double et unique procédure, l'hypo-
typose symbolique consiste alors, pour la faculté de juger,« à appliquer la règle de
réflexion sur cette intuition sur un tout autre objet» (État despotique ou consti-
tutionnel), en produisant une présentationindirecte.Le symbole consiste alors à
remettre la chose connue dans le champ du sensible, au départ donc du jugement
réfléchissant,mais afin cette fois de l'appliquer à ce qui n'est pas une chose
du monde sensible, un État 2 • - On tombe dans une impasse, lorsqu'on prend le
symbolecomme une chose, alors qu'ils' agitd'une opérationde connaissance.
Il faut même faire un pas de plus, en prêtant attention à une problématique de
langageexpressément abordée par Kant, pour se distinguer de la caractéristique
leibnizienne. Le symbole dont il est alors question n'est aucunement ce que
Leibniz nomme symbole,signes, algébriques ou mimiques, qui sont des « expres-
sions pour des concepts» 3 • En revanche, Kant explique que «notre langue est
pleine de telles représentations indirectes» qui offrent «un symbole pour la
réflexion», et c'est l'exemple des métaphores du langage philosophique qu'il
propose. Il y a couplage, dans la vie du langage, entre faculté de juger détermi-
nante et faculté de juger réfléchissante, que ce rapport soit ou non explicité4.
- Tout au long de la Critique de la faculté de juger esthétique affleurent des
problèmes de langage. Les idées esthétiques sont une voie pour exprimer
l'ineffable 1. C'est le fond de l'antinomie esthétique, appuyée sur l'absence de
concept: il s'ensuit que l'on ne peut disputer, fournir des arguments probants. Et
pourtant il faut discuter, faire place à la parole, seule assurance de l'universalité
du jugement de go0t 2• Il s'agit de la communicabilité d'un sentiment, qui va
jusqu'à valoir comme définition d'un tel sentiment 3. Ce n'est pas immédiatement
le langage, mais cela en indique les racines, la promotion d'un organe du corps
sensible, l'oreille, recevant et réglant la voix.
Nous revenons à la seconde partie de la Critique de lafaculté de juger, avec la
question del' être organisé.
Conclusion
La Critiquede la faculté de juger téléologique n'est donc pas une quatrième
Critique, elle est la seconde partie de la troisième Critiquequi marque, comme
Kant le dit explicitement, l'achèvement de l'œuvre critique. Au fondement de
cela est la structuration de la philosophie en deux domaines définis par deux
législations, celle de la nature relevant de l'entendement et celle de la liberté,
relevant de la raison pratique pure. La faculté de juger ne vient pas en position
séquentielle, mais en médiation, bouclant de ce fait l'entreprise critique. Cette
position résultait de l'énigme de la faculté de juger esthétique, dès lors que l'on
prenait au sérieux cette appellation, le plus particulier porté d'un coup à l'uni-
versel, obligeant à penser la faculté de juger réfléchissante. Le paradoxe était
alors la réouverture d'un dossier déjà clos, celui de la finalité qui est une façon
d'exprimer l'exigence de systématicité propre à la raison.
Je voudrais en conclusion revenir sur le gain ainsi obtenu sans faire tort à
l'unité de l'œuvre. Il ne serait pas impossible de chercher cela du côté logique, la
place faite aux lois particulières y serait favorable. On ne peut s'y tenir cependant,
car il s'agit là d'une logique formelle, à un niveau où le point de vue transcen-
dantal est seul pertinent L'unité provient de l'être vivant,irréductible à la notion
de vie. Dans la première partie, il est question de la vivificationmutuelle des deux
facultés, entendement et imagination. On aurait tort d'y voir un indice léger, car
c'est ce qui situe le jugement esthétique dans le sentiment de plaisir et de peine. Et
on comprend que les lois particulières dans la seconde partie soient finalement
celles du vivant,où le départ est non le concept de vie, mais l'observationdel' être
vivant, identifié comme l'être qui se maintient comme un tout, et disparaît aussi
1.Cf. CJ, § 84, le titre: «De la fin ultime de l'existence d'un monde, c'est-à-dire de lacœation
même».
2. CJ, § 87,Ak:V,450;31-453,5, Pléiade 0, 1257-1260.
DU JUGEMENTESTHÉTIQUEÀ L'~TRE ORGANISÉ 43
d'un coup, par la mort. - Vient en appui de cela une particularité de la struc-
ture de la troisième Critique que je voudrais relever. L'ampleur maximale de
visée, repérée dans la Critique de la faculté de juger esthétique, est atteinte dans
la Dialectique. Il s'agit des hypotyposes, c'est-à-dire de présentation, par là
d'expression. Aussi la problématique du langage se fait-elle explicite, elle sert à
illustrer l'hypotypose symbolique. La méthodologie est très courte, le but étant
déjà rejoint. Si dans la Critique de la faculté de juger téléologique l'ouverture
sur le champ entier de la philosophie appartient à la Méthodologie, c'est qu'en
elle le tournant pratique est pleinement explicité, puisqu'il fallait, pour passer de
la fin dernière de la nature à la fin ultime expliciter la liberté en son acte. Etc' est
pourquoi le parcours de la Métaphysique des mœurs, du droit à la morale, y est
esquissé. Le passage entre la législation de la nature et la législation de la liberté
est assuré. Il n'est pas besoin d'une quatrième Critique. La Critique de la faculté
de juger, dans l 'unitéde ses deux parties, est l'achèvement de la Critique.
François MARTY
Centre Sèvres
l
,
L'ANNEE 1790
KANT
,
CRITIQUE DE LA FACULTE DE JUGER
BEAUTÉ, VIE, LIBERTÉ
Sous la direction
de
Christophe BOUTON, Fabienne BRUGÈRE
et Claudie LAVAUD
PARIS
LIBRAIRIE PIIlLOSOPillQUE J. VRIN
6, place de la Sorbonne, ve
2008