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Sylvain Matton
S OM M A IR E
On ne mesure encore que très imparfaitement la place que tinrent dans l’élaboration et le
développement des doctrines alchimiques les grandes écoles de la philosophie antique. C’est
sur cette importante question que Bernard Joly s’est proposé d’entreprendre des recherches,
dont il a exposé les résultats dans La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, ouvrage qui
consiste en une présentation 1, une édition 2, une traduction 3 et un commentaire de l’opus-
cule connu sous le nom de Manuscriptum ad Sereniss. Holsatiæ ducem, DN. Fridericum
(Nuremberg, 1690) du médecin achimiste de Castelnaudary Pierre Jean Fabre (ca 1588-
1658). En effet, l’analyse de cet écrit de Fabre 4 sert ici essentiellement à illustrer la thèse
déjà défendue par Jean-Paul Dumont dans son étude de 1981 « Les a priori philosophiques de
l’alchimie classique : J.-J. Becher et le matérialisme stoïcien » 5. Cette thèse pose que « les
les 24 et 30, comme il est faussement indiqué dans l’apparat, qui manquent dans BCC ; p. 150, l.
10 perenni pour perennis ; l. 18 afferunt pour asserunt ; p. 152 l. 11 pæcedenti pour præcedenti ;
l. 28 immaturata pour immatura ; l. 29 afferimus pour asserimus ; p. 154 l. 6 sua pour suæ ; l. 12
après Trinus manque est ; l. 17 similitudinem quamdam pour similitudine quâdam ; l. 26 principum
pour principium ; apparat, supprimer la note 11 (ubique est bien dans BCC) ; p. 156, l. 5 sissitas
pour siccitas ; l. 18 Philisophorum pour Philosophorum ; l. 21 afferit pour asserit ; l. 27
Mercurius pour Mercurium ; p. 158, l. 2 afferunt pour asserunt ; p. 160 l. 7 perficientur pour
perficiuntur ; l. 13 : afferit pour asserit ; l. 17 recipiende pour recipiente ; l. 19 afferendo pour
asserendo ; l. 21 fiunt pour sunt ; l. 27 cœrcetur pour coërcetur ; l. 31 palpere pour palpare ; ipsô
pour illô, dans l’apparat, ajouter : 28 « radicati » au lieu de « radicali » BCC ; p. 162, l. 6 opum
pour opus.
3. La traduction, donnée en regard du texte latin, est élégante et exacte, pour autant que les
fautes d’édition ne retentissent pas sur elle. Car si cette traduction ne semble pas avoir été
effectuée sur le texte tel qu’il est ici édité, mais directement sur celui de Manget, elle répercute
néanmoins certaines fautes de l’édition de Joly ; par exemple, page 142, l. 5, qui materiam
Lapidem (au lieu de lapideam) indurat donne : « qui durcit la matière en pierre » (au lieu de « qui
durcit la matière pierreuse »).
4. En raison de sa publication posthume et surtout de l’introduction de l’alkaest (voir l’ar-
ticle de B. Joly cité infra note 263), dont Fabre ne parle jamais dans ses autres ouvrages, l’au-
thenticité du Manuscriptum ad Fridericum a été contestée, notamment par R. Nelli dans son étude
« Pierre Jean Fabre, médecin spagirique et alchimiste, 1588-1658 », La Tour Saint-Jacques, 16
(juillet-août 1958), pp. 36-50, ici p. 50. Or, en faisant observer (pp. 126-127) que dans son
Aurum superius et inferius auræ superioris et inferioris hermeticum, daté de 1674, Christian
Adolph Baldewein (Balduinus, 1632-1682) cite le Manuscriptum ad Fridericum, B. Joly apporte
une contribution significative à l’histoire de ce texte et un élément qui milite en faveur de son au-
thenticité. Il est donc regrettable que Joly n’ait pas procédé à une analyse interne du texte sur la
base de parallèles avec les autres œuvres de Fabre, lesquels permettent en effet de défendre cette au-
thenticité. Par exemple, le passage sur la salamandre pp. 184-185 du Manuscriptum ad
Fridericum (« Vidi enim ego in Britannia, ubi multæ adsunt in fimis veteribus Salamandræ, quas
ego igne destruxi & in cineres redegi. Nullo pacto siquidem igne vivunt & conservantur, sed mo-
riuntur ac destruuntur totaliter, ut sæpissime in Britannia expertus sum. ») a son exact correspon-
dant dans le Panchymicum (V, VI , t. II, p. 441 : « Nam apud Britannos vbi copiosas vidi ego
Salamandras, igne maximo combustas & in cinerem redactas, quo igne nullo pacto gaudebant imò
ipsum fugiebant »; voir aussi, mais sans référence à la Bretagne, Universalis sapientia, I, XXII ,
pp. 120-122). Si le Manuscriptum ad Fridericum est apocryphe, il s’agit donc d’un faux délibéré
dont l’auteur connaissait parfaitement les écrits de Fabre ; or l’on ne voit pas très bien ce qui au-
rait pu motiver la confection d’un tel faux. Quant à l’introduction de l’alkaest, elle ne pose pas
une réelle difficulté quand on sait que Fabre ne répugnait nullement à revenir sur ce qu’il avait
écrit, sa pensée ayant évolué, et parfois radicalement changé, sur bien des points. Il est par ail-
leurs dommage, à propos de la formation de Fabre, que Joly n’ait pas mieux mis en valeur et ex-
ploité sa découverte, à savoir qu’ « en 1614 les docteurs de la faculté de médecine de Montpellier,
lui reprochant de soutenir des thèses paracelsiennes, refusèrent de le faire docteur » et qu’ « il ne
reçut son grade que l’année suivante » (pp. 38-39).
5. Dans M. Jones-Davies (éd.), La Magie et ses langages, Presses Universitaires de Lille,
1981, pp. 1-23, repris dans les Cahiers philosophiques, VII (juin 1981), pp. 59-84 (nous
Alchimie et stoïcisme 9
alchimistes du XVIIe siècle se sont fondés sur des concepts stoïciens » et que nous sommes
moins en présence d’une « influence » stoïcienne que d’un « modèle » stoïcien, car « la no-
tion d’influence implique une réception passive, consciente ou inconsciente, qui ne corres-
pond certainement pas à la réalité de la constitution d’un système de pensées » 6. Ces
concepts stoïciens à partir desquels, ou par référence auxquels, se serait développée la pensée
alchimique, et singulièrement celle de l’âge classique, sont celui de pneuma, ceux de prin-
cipe, d’élément et de corps — qui auraient permis aux alchimistes de conduire un
« important remaniement » des concepts de forme et de matière —, celui du mélange total et
enfin celui de la conflagration universelle. Ce serait en particulier en bénéficiant de l’en-
gouement que connut, à partir du XVIe siècle, la morale stoïcienne et surtout des travaux de
Juste Lipse (Joest Lips, 1547-1606) 7 que l’alchimie du XVIIe siècle a pu utiliser pleine-
ment toutes les ressources que lui offrait la physique stoïcienne. Car « dans les textes al-
chimiques les plus anciens », précise Joly, l’importance des concepts stoïciens « était occul-
tée par la présence dominante d’autres courants philosophiques » (id.), occultation qui doit
sans doute permettre de nous expliquer le fait que, toujours selon Joly, il n’y aurait que de
rares références formelles au stoïcisme dans l’ensemble de la littérature alchimique.
Malheureusement, comme l’a fait remarquer Gad Freudenthal dans son compte rendu de
La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle 8, cette thèse « ne reçoit pas de confirmation
ici ; à la fin du livre elle reste ce qu’elle avait été à son début — une hypothèse intéressante
pouvant servir d’heuristique pour des recherches historiques », et ce en raison de l’approche
anhistorique de Bernard Joly (et, ajouterons-nous, de Jean-Paul Dumont), dont « l’argu-
mentation présente trois vices décisifs » : 1) « une analyse purement conceptuelle et
notamment structurale » de la pensée alchimique ; 2) l’absence d’étude de la connaissance
que les alchimistes avaient du système stoïcien, ainsi que l’absence de vérification
historique des rapprochements effectués ; 3) une analyse fondée sur « ce qu’une théorie est
supposée pouvoir ou ne pas pouvoir expliquer “objectivement”, c’est-à-dire selon le juge-
ment de l’analyste, et non pas [sur] ce que les adhérents de cette théorie à une période donnée
ont réellement pensé à ce sujet ».
C’est donc à la lumière d’une approche purement historique que nous voudrions exami-
ner la validité de la thèse du stoïcisme modèle philosophique de l’alchimie, en reprenant
chacun des principaux points, mentionnés plus haut, sur lesquels elle s’articule. Or une
renverrons toujours à la première édition et, entre crochets droits, à la seconde édition). La thèse
de J.-P. Dumont n’était au reste pas entièrement nouvelle, sinon par son caractère systématique,
puisque certaines influences stoïciennes sur les théories minéralogiques avaient été relevées par
D. R. Oldroyd dans son article « Some Neo-Platonic and Stoic Influences on Mineralogy in the
Sixteenth and Seventeenth Centuries », Ambix, XXI (1974), pp. 128-156.
6. B. Joly, La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, p. 84.
7. Voir J. Lagrée, Juste Lipse et la restauration du stoïcisme (bibliographie sur Lipse
pp. 257-259) ; Ch. Mouchel (éd.), Juste Lipse (1547-1606) en son temps. Actes du Colloque de
Strasbourg 1994, Colloque, Congrès et conférences sur la Renaissance, 6, Paris, 1996.
8. Revue philosophique de la France et de l’étranger, avril-juin 1995, pp. 265-268.
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telle approche, nous allons le voir, ne permet pas de vérifier ces diverses supputations, mais
tout au contraire les infirme.
nibles, était à cet égard radicalement différente de celle des alchimistes du monde arabe, où la
connaissance des doctrines de la Stoa était déjà confuse, même si un certain nombre d’idées
d’origine stoïcienne s’introduisirent très tôt dans l’Islam et y exercèrent une importante in-
fluence jusque dans la théologie 17 ; elle différait également de celle des alchimistes du
Moyen Âge latin, où l’on ne connaissait guère le stoïcisme qu’à travers Cicéron, Sénèque et
Calcidius 18 ; de même, la situation des alchimistes médiévaux était fort différente de celle
des alchimistes de la Renaissance et du XVIIe siècle, siècles marqués, avec la redécouverte
des textes philosophiques grecs, mais aussi des Pères grecs 19, par un regain d’intérêt pour la
philosophie du Portique 20. Cet intérêt était certes essentiellement tourné vers la morale, et
c’est lui qui suscita les principaux monuments de la renaissance du stoïcisme 21, depuis les
traductions de l’Enchiridion d’Épictète en 1450 par Niccolò Perotti (1429-1480) 22 et en
1479 par Ange Politien (Angelo Poliziano, 1454-1494) 23 jusqu’aux Elementa philosophiæ
stoicæ moralis quæ in Senecam, Ciceronem, Plutarchum, aliosque scriptores commentarii
loco esse possint (Mayence, 1606) de Caspar Schopp, dit Scioppius (1576-1649) 24, en pas-
sant par l’Ample discours sur la doctrine des Stoïques (Paris, 1595) 25 de Simon Goulart
(1543-1628) 26, La Philosophie morale des Stoïques (Lyon, 1600) 27 de Guillaume Du Vair
grecs, remarquée par Marcelin Berthelot 35, traduit au moins une non-reconnaissance par ces
alchimistes d’une filiation doctrinale entre eux et le Portique. Inversement, comme nous
allons le voir, la filiation affirmée par les alchimistes arabes et médiévaux par le biais d’une
alchimisation de la Stoa et de ses scholarques n’implique en soi aucune véritable influence
doctrinale. En revanche, parce qu’elles pouvaient s’appuyer sur un savoir réel, certaines
références d’alchimistes de la Renaissance et de l’Âge classique à des thèses stoïciennes sont
susceptibles de fournir des éléments importants en faveur ou au détriment de la thèse d’un
modèle philosophique stoïcien dans l’alchimie de cette époque.
En premier lieu, nombre de renvois au stoïcisme présents dans les écrits alchimiques de
la Renaissance et de l’Âge classique ne concernent pas directement l’alchimie, ni même des
doctrines physiques, voire logiques, plus ou moins reliées à l’alchimie, mais cette
philosophie morale à laquelle le stoïcisme devait alors son renouveau. Tel est le cas de la
remarque de Gianfrancesco Pico della Mirandola (1469-1533) 36 dans son De auro :
« […] car on sait (qui l’ignore en effet ?) que les hommes avec qui nous vivons ont
convenu depuis déjà de nombreux siècles que l’or serait la mesure de toutes les
cependant fourni aucun élément mettant formellement en évidence une relation de dépendance de
l’alchimie envers le stoïcisme, pas plus que ne l’ont fait R. P. Multhauf dans The Origins of
Chemistry (Londres, 1966, pp. 73-77) et J. Lindsay, dans The Origins of Alchemy in Graeco-
Roman Egypt (Londres, 1970, pp. 20-23, traduction française de Ch. Rollinat, Les Origines de
l’alchimie dans l’Égypte gréco-romaine, Paris, 1986, pp. 29-33) — pour ne rien dire de l’article
extravagant de J.-P. Dumont, « Deux hypothèses concernant l’interprétation stoïcienne de l’art
tinctorial : Alexandre d’Aphrodise et la villa des Vettii » (dans : J.-C. Margolin et S. Matton
(éd.), Alchimie et philosophie à la Renaissance, pp. 327-340 [voir aussi la préface de Dumont à
B. Joly, Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, pp. 16-18]. Encore que lors de la discussion de
sa communication au colloque de Tours, où il lui fut demandé si cette dernière n’était pas un
canular, J.-P. Dumont en ait fermement affirmé le caractère sérieux, je préfère, pour ma part, y
voir un malicieux pastiche (au moins pour sa seconde partie) de ces érudites interprétations
alchimiques des documents de l’Antiquité qu’aimèrent à faire les adeptes, dès la Renaissance).
35. Cf. Les Origines de l’alchimie, p. 142 : « les écoles Épicuriennes et Stoïcienne, cir-
constance étrange, semblent inconnues de nos auteurs » ; ce que Berthelot explique en affirmant
(p. 264) : « On sait d’ailleurs que les doctrines épicuriennes et stoïciennes, qui ont joué un si
grand rôle à Rome, sont presque ignorées à Alexandrie. C’est à l’École Ionienne, aux
Pythagoriciens et surtout à Platon, que les alchimistes se rattachent, par une tradition constante
et par des théories expresses ; théories qui sont venues jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. »
36. Cf. Enciclopedia filosofica, Florence, 1967, IV, coll. 1583-1584 (art. de M. Schia-
vone) ; Ch. B. Schmitt, Gianfrancesco Pico della Mirandola (1469-1533) and his critique of Aris-
totle, Leyde – La Haye, 1967 ; F. Secret, « Gianfrancesco Pico della Mirandola, Lilio Gregorio
Giraldi et l’alchimie », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XXXVIII (1976), pp. 93-
108.
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37. Cf. De auro libri tres, III, III , Venise, 1586, p. 112 (éd. J. J. Manget, Bibliotheca
chemica curiosa, II, p. 580b) : « […] cum notum sit, (quis est enim is qui nesciat ?) inter
homines, quibus cum viuimus multis iam seculis conuenisse vt aurum metiretur externa omnia,
quæ peripatetici bona, stoïci commoda nuncupaverunt […] ».
38. Voir la notice de P. Kibre dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of Scientific
Biography, I, New York, 1970, pp. 49-50 — bibliographie à compléter par celle donnée dans
C. L. Lang (éd.), Deutsches Literatur-Lexikon, Ergänzungsband II, p. 203.
39. Sur ces dédicaces, voir A. Perifano, « Thèmes paracelsiens en Italie au XVI e siècle : les
dédicaces d’Adam de Bodenstein à Côme 1er de Médicis et au doge de Venise », dans : B. Joly (éd.),
Les Idées paracelsiennes et les nouveaux savoirs de la révolution scientifique, Actes du colloque
de Lille, 12-13 septembre 1996 (à paraître).
40. Medicorum et Philosophorum summi Aureoli Theophrasti Paracelsi, Eremitæ, libri
quinque de causis, signis et curationibus morborum ex Tartato utilissimi. Opera et industria
nobilis viris Adami a Bodestein…, Bâle, 1563, f. *2r : « Animi quidem bona omnium esse præs-
tantissima communis hominum ratione vtentium consensus verè testatur : Cæterùm ea sola ad
beatam vitam constituendam sufficere Stoici perperam iudicarunt ». Voir aussi l’édition et la
traduction de la dédicace données par A. Perifano dans L’Alchimie à la cour de Côme 1er de
Médicis : savoirs, culture et politique, Paris, 1997 (sous presse).
41. Cf. Cicéron, De finibus bonorum et malorum, II, XIV , 45 : « ut ad Archytam scripsit
Plato, non sibi se soli natum meminerit, sed patriae, sed suis, ut perexigua pars ipsi relinquatur. »
(Cf. Platon, Lettres, IX, 726A).
42. Medicorum ac philosophorum facile principis Theophrasti Paracelsi Eremitæ libri V, de
Vita longa, incognitarum rerum, et hucusque à nemine tractarum refertissimi. Una cum com-
mendatoria Valentii de Retiis, et Adami à Bodenstein, dedicatoria Epistola, quibus Theophrasti
singularis et excellens eruditio commendatur, Bâle, s. d., f. A2r-v : « Natura præstantior,
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præstantissime uir euidenter nos docet, semper publica bona anteponenda esse priuatis : nam
IEHOVA omnibus creaturis simul benefacit : Solem communicat bonis & malis, iubetque nos
aliorum salutem æquè quærere quàm nostram : Ac recta ratio commoda latè patentia, pluribus
uitalia & maiora, angustioribus, proprijs ac minoribus suadet præferenda, quòd uniuersi potius sit
habenda cura, quàm unius partis. Vnde præclarè scriptum est à Platone (ait Cicero) Non nobis
solùm nati sumus, sed ortus nostri partem patria uendicat, partem amici, atque (ut placet Stoicis)
Quæ in terris gignuntur ad usum hominum omnia creari, HOMINES AVTEM HOMINVM CAVSA ESSE
GENERATOS , ut ipsi inter se alij alijs prodesse possint. »
43. Voir J. Ferguson, Bibliotheca Chemica, Glasgow, 1906 (rééd. Hildesheim, 1974),
pp. 462-464.
44. Ce dit de Zénon ne figure pas dans J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta,
Leipzig, 1903-1905. Nous n’avons pu trouver la source de Khunrath.
45. Cf. Amphitheatrum Sapientiæ æternæ, Hanau, 1609, p. 82 : « Lingua quasi flabellum
est seditionis : quare omnibus quàm diligentissimè continenda. Hinc Zenon, linguâ in mentem
intinctâ, disserere iussit. Semper cogita, lingua quò ? Audi citus, dic lentus atque cautus. » Voir
aussi la traduction Grillot de Givry, Amphithéâtre de l’Éternelle sapience, [Paris, 1898-1900]
(rééd. Milan, 1990), p. 67.
46. Voir l’introduction de C. A. Anzuini à son édition de l’Auriloquio, Textes et travaux de
Chrysopœia, 2, Paris – Milan, 1996, et « Alchimie et mythologie dans un traité inédit du XVI e
siècle : l’Auriloquio de Vincenzo Percolla », Chrysopœia, V (1992-1996), pp. 493-508.
47. Cf. Aristote, Ethica Nicomachea, X, 9.
48. Traduction J.-M. Mandosio, « L’Auriloquio (“Discours doré”) de Vincenzo Percolla.
Extraits et Table des matières traduits de l’italien », Chrysopœia, V (1992-1996), pp. 509-528,
ici p. 511 ; cf. Auriloquio, édition C. A. Anzuini, p. 2 : « Et ti essorto che lasciando la stoica
opinione del disprezzo delle ricchezze, t’appigli alla peripatetica, che tiene s’habbiano da
procurare come instromento della virtuosa vita ; poiche non si potrebbe usare magnificenza,
liberalità et altre virtù senza i necessarij beni et si può male elevare l’animo alle contemplationi
astratte, strada che adduce alla felicità che si richiede quando è forza d’occuparsi à provedere il
sostentamento della vita, et volendoti peripatetico, di necessità ti prohibisco l’uso epicureo, che
generalmente ripone il sommo bene nel dilettevole […]. »
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Des références aux stoïciens alchimistes se rencontrent encore dans l’une des versions
du Liber Marie Sororis Moysi ou Practica Mariæ Prophetissæ in artem alchimicam,
traduction latine médiévale de la Risælat Mæriya ilæ Æras wa-su’æluhº wa-jawæbuhæ lahº
(Épitre de Marie à Aros, avec sa réponse à sa question) 57, qui fut publiée dans l’édition de
Bâle 1593 de l’Artis auriferæ quam chemiam vocant volumen primum 58. On y lit :
« Aros dit : Certainement. Mais parle-moi de ce vase sans lequel on ne peut
achever l’œuvre.
Marie dit : C’est le vase d’Hermès, que les stoïciens ont caché, et il n’est pas un
vase de nigromancie mais il est la mesure de ton feu.
Aros lui dit : Ô maîtresse, prête l’oreille à la société des stoïciens 59 ; ô
prophétesse, as-tu pénétré dans les secrets des philosophes qui posèrent dans leurs
livres que l’on peut faire l’art à partir d’un seul corps ?
Et Marie dit : Certainement. Hermès ne l’a pas enseigné parce que la racine de la
science est un corps que l’on ne peut faire souffrir ni soigner. C’est un poison qui
mortifie tous les corps et les réduit en poudre, et qui coagule le mercure par son
odeur.
Et elle dit : Moi, je te jure par le Dieu éternel que quand ce poison se dissout
jusqu’à devenir une eau subtile — peu m’importe par quelle dissolution cela se
« Dixit Plato 1. Et 2 separatio per contraria in inquisitione. Dixit Hames 3. Hec est dictio quam
adinuenit philosophus secundum stoycos qui dicunt separationem in hac specie operis per
solutionem et calcinationem simul in una 4 re et 5 in uno tempore per solutionem in aqua 6 , et
calcinationem in igne, qui est contrarius aque. Quod autem opinantur discipuli eius, scilicet
Platonis, est ut soluant 7 aliquid ex re 8 cum humiditate, secundum quod potest, deinde soluant cum
calcinatione quod remansit ex humiditate. Set opinio philosophi conueniens 9 stoycis leuior 10 est
operanti, et facilior et conuenientior ueritati. Nam res spoliata per contraria propinquior erit 11
temperantie, cum non 12 spolietur partem suam 14 . Oportet ergo ut dominatur 15 res illa, set
repugnat ne res illa dominetur ei 16. »
1. Dixit Plato om. Theat. || 2. et Theat. : ei Lat. 6514 || 3. Dixit Hames om. Theat. || 4. unica Theat. || 5. et
om. Theat. || 6. aquam Theat. || 7. soluat Lat. 6514 Theat. : correxi || 8. exre sic Lat. 6514 : exir Theat. || 9. post
conveniens add. est Theat. || 10. lenior Theat. || 11. est Theat. || 12 uero Theat. || 13 post spolietur add. per Theat.
|| 14. unam Theat. || 15. dominetur Theat. : dominatur Lat. 6514 || 16. post ei. add. He. Ha. Theat.
Je remercie Antoine Calvet de m’avoir signalé ce passage.
57. Voir F. Sezgin, Geschichte des arabischen Schrifttums, IV, pp. 72-73 (Sezgin affirme à
tort que la traduction latine de la Risælat Mæriya ilæ Æras a été publiée dans l’édition de 1572 de
l’Artis auriferæ…). Sur Marie, voir encore E. J. Holmyard : « An alchemical text ascribed to Mary
the Copt », Archeion, VIII (1927), pp. 161-168 ; M. Ullmann : Die Natur- und Geheimwissen-
schaften im Islam, Leyde – Cologne, 1972, p. 183 ; R. Patai : « Maria the Jewess, founding
mother of alchemy », Ambix, XXIX (1982), pp. 177-197 ; D. Kahn, « Les Sept Visions de Marie
la Prophetesse sur l’œuvre de la pierre des philosophes », Chrysopœia, II (1988), fasc. 4,
pp. 369-384 ; J. Letrouit, « Chronologie des alchimistes grecs », dans : D. Kahn et S. Matton
(éd.) Alchimie : art, histoire et mythes, Actes du premier colloque international de la Société
d’Étude de l’Histoire de l’Alchimie, Paris, Collège de France, 14-16 mars 1991, Paris – Milan,
1995, pp. 20-21.
58. Cf. Artis auriferæ quam Chemiam vocant volumen primum, Bâle, 1593, pp. 319-324.
59. Il faut en effet très probablement corriger l’incompréhensible « in societate Scoyari »
donné dans l’édition de l’Artis auriferæ… en : in societate Stoycorum ou Stoyca.
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60. Cf. Artis auriferæ…, Bâle, 1593, pp. 323-324 (éd. 1610, p. 207 ; éd. Theatrum chemi-
cum, V, pp. 85-86) : « Aros dixit : vtique, sed narra mihi de isto vase sine quo non complebitur
opus. Dixit Maria : Istud est vas Hermetis, quod Stoici occultauerunt, & non est vas nigro-
manticum, sed est mensura ignis tui. Cui dixit Aros : ô domina obedisti in societate Scoyari : ô
prophetissa an inuenisti in secretis Philosophorum qui posuerunt in libris suis quod aliquis
possit facere artem de vno corpore ? Et dixit Maria : vtique, quod Hermes non docuit, quia radix
scholiæ est corpus indolabile, insanabile & est toxicum mortificans omnia corpora, & puluerizat
ea, & coagulat Mercurium odore suo. Et dixit : Ego iuro tibi per Deum æternum, quod illud toxicum
quando soluitur donec fit aqua subtilis, non curo qua solutione fiat : coagulat Mercurium in Lunam
cum robore veritatis, & incidit in solium Iouis, & lunificat ipsum in Lunam. Et in omnibus
corporibus est scientia, sed Stoici propter eorum vitæ breuitatem & operis longinquitatem hoc
occultauerunt, & hæc elementa tingentoria inuenerunt, & ipsi increuerunt ea, & omnes
Philosophi docent illa præter vas Hermetis, quia illud est diuinum, & de sapientia domini
Gentibus occultatum : & illi qui illud ignorant, nesciunt regimen veritatis, propter vasis Hermetis
ignorantiam. »
61. Theatrum chemicum, V, Allegoriæ Sapientum : Supra Librum Turbæ XXIX Distinc-
tiones, « Distinctio Vigesima septima », pp. 83-86, ici pp. 85-86 : « Intellexisti ô Aron ? uti-
que Domina mea : sed narra de isto vase, sine quo non complebitur opus. Dixit Maria ; Illud est
vas Hermetis, quod occultaverunt stolidi, & non est vas ignorantium & mensuræ ignis, cui tu es
sapiens : ulterius audi conditionem meam, ô Aron, & avide plectere, donec sum in mundo, quia
impossibile est evasio motus quia quatior ab ipso. Dixit Aron eidem : ô Domina, an audisti in
secretis stoliarum, quæ posuerunt in libris, quod ars possit facere artem de corpore uno ? Inquit
Maria : Utique, quod Hermes dixit quod radix stoliæ est corpus indolabile, insanabile, & est
toxicum mortificans omnia corpora, & plumbificat omnia, & coagulat mercurium odore suo.
Inquit Maria : Ego juro per Deum æternum, quod illud toxicum donec sit aqua subtilis non curo qua
solutio fiat, coagulat reibec, id est mercurium in lunam, cum rubore veritatis, & incidit in sonum
rasas, & lætificat ipsam, & in omnibus est corporibus scientia. Sed stolici propter
longinquitatem probationis, & eorum vitæ brevitatem, invenerunt hæc elementa congenera vel
contingentioria, & ipsi decreverunt ea præter vas Hermetis, quia illud est divinum sapientia DEI
occultatum gentibus, & ipsi ignorant veritatis regna propter eorum ignorantiam vasis. »
62. Cf. Bibliotheque des philosophes [chymiques], II, Paris, 1678, « Preface », « Dialogue
de Marie & d’Aros sur le Magistere de Hermés », ff. œr-ºr.
20 Sylvain Matton
dans ses remarques, de la traduction française qu’il en donna sous le titre de Dialogue d’Aros
et de Marie, sur le Magistere de Hermes, dans le second volume de sa Bibliotheque des
philosophes [chymiques] (Paris, 1678) 63. C’est donc dans le recueil de l’Artis auriferæ que
le médecin François Pousse 64, s’il est bien l’auteur de l’anonyme ouvrage anti-alchimique
Examen des principes des alchymistes sur la pierre philosophale (Paris, 1711), a lu le Liber
Marie Sororis Moysi, lui qui ironise :
« Marie sœur de ce Prophete [Moïse], eut aussi cette belle connoissance ; elle en a
même fait un Livre, dont l’antiquité est bien établie, par les mots d’alun d’Espagne,
de la chaleur du soleil, des mois de Juin & Juillet, & des Philosophes Stoïciens. » 65
➋ Zénon
Les adeptes ne se contentèrent cependant pas d’alchimiser d’anonymes « stoïciens ». Ils
mirent aussi au nombre de leurs prédécesseurs les grands philosophes du Portique. En ce qui
concerne le fondateur de l’école, Zénon, il n’est fait nulle part allusion à lui dans le corpus
des alchimistes grecs, et il est même absent de la tardive liste des « maîtres de l’œuvre »
fournie par le manuscrit Parisinus Græcus 2327 (f. 195v) 66. Si les alchimistes arabes ne lui
attribuèrent pas davantage d’écrits alchimiques, le nom de Zénon apparaît toutefois dans leur
littérature 67, notamment dans l’anonyme MuÒÌaf al-jamæ‘a (Le Livre de l’assemblée),
63. Cf. id., pp. 86-87 : « Oüy, Madame, luy dit-il. Mais je vous prie de me dire, ce que c’est
que le vaisseau, sans lequel l’œuvre ne se peut faire.
Ce vaisseau, dit Marie, est le vaisseau de Hermés, que les Philosophes ont caché, & que les
ignorans ne sçauroient comprendre, car c’est la mesure du feu Philosophique. ****
Aros dit alors. O Prophetesse dites-moy je vous prie, si vous avez trouvé dans les Livres des
Philosophes, que l’on pûst faire l’œuvre d’un seul Corps ?
Oüy, dit-elle, & cependant Hermés n’en a point parlé, parce que la racine de la Science est,
*** & un venin qui mortifie tous les corps, qui les reduit en poudre, & qui coagule le Mercure par
son odeur. Et je vous proteste par le Dieu vivant, que lors que ce venin se dissout en une eau
subtile, de quelque maniere que cette dissolution se fasse, il coagule le Mercure en veritable Lune à
toute épreuve. Et si l’on en fait projection sur Jupiter, il le change en Lune. Je vous dis de plus que
la Science se trouve en tous les corps. Mais les Philosophes n’en ont rien voulu dire, à cause de la
brieveté de la vie, & de la longueur de l’ouvrage. Et ils l’ont trouvée plus facilement dans la
matiere qui contient le plus évidament les quatre Elemens, & ils ont multiplié & obscurcy cette
matiere, par les divers noms qu’ils luy ont donnez. Ce n’est pas que tous les Philosophes ont
assez parlé de tout ce qu’il faut pour faire l’œuvre, hormis du vaisseau de Hermés ; parce que c’est
une chose divine, & que Dieu veut qui soit inconnuë aux Gentils & Idolâtres. Ce vaisseau estant
d’une si grande necessité pour le Magistere, que ceux qui ne le connoissent pas, n’en sçauront
jamais le veritable regime. »
64. Voir S. Matton, « Jean-Baptiste Le Brethon et la situation de l’alchimie à la Faculté de
médecine de Paris au début du XVIIIe siècle », introduction à la rééd. anastatique de : Le Breton,
Les Clefs de la philosophie spagyrique (1722), Paris, 1985, pp. 7-32, ici p. 14.
65. Examen des principes des alchymistes sur la pierre philosophale, Paris, 1711, p. 203.
66. Voir M. Berthelot, Les Origines de l’alchimie, Paris, 1885 (rééd. 1938), pp. 128-129.
67. Sur « Zénon » dans la littérature alchimique arabe, voir F. Sezgin, Geschichte des
arabischen Schrifttums, IV, pp. 61, 66, 117.
Alchimie et stoïcisme 21
perdu en arabe, mais qui, traduit en latin sous le titre de Turba philosophorum, tint une
place capitale dans la tradition alchimique occidentale 68. Il est malheureusement impossible
de déterminer positivement si Zénon (« Zenon », « Zimon », « Zeumon », « Cinon »,
« Symon », etc., dans les manuscrits latins) y désigne le fondateur de l’école du Portique
plutôt que l’Éléate, les cinq discours qu’il y prononce n’offrant aucun élément théorique ca-
ractéristique de la philosophie de l’un ou de l’autre 69 . Mais l’important est que rien
n’interdisait d’entendre que ce Zénon fût Zénon de Citium, et que l’introduction, opérée à
partir de la Turba philosophorum, de « Zénon » dans la suite des anciens maîtres de l’art
laissât toujours la porte ouverte à cette identification. Cette insertion de Zénon dans la série
des grands alchimistes se rencontre dans la Pretiosa margarita novella (ca 1330) de Pietro
Bono de Ferrare (Petrus Bonus) 70, qui cite par ailleurs les discours de Zénon dans la Turba
philosophorum 71. Elle se présente ainsi :
« Hermès Trismégiste, père et prophète des philosophes, Pythagore, Anaxagore,
Socrate, Platon, Démocrite, Aristote, Zénon, Héraclite, Dédale, Diogène, Exiodus [=
Hésiode ?], Lucas , Hipp<ocrate> [ou Hipp<ase>, ou Hipp<on>], Hamec, Thébit,
Geber, Rhazès, Calid, Haly, Morienus, Thephi, Parménide, Mélissus, Empédocle,
Albohaly, Al<c>méon, Ptolémée, Homère, Virgile, Ovide » 72.
68. Voir J. Ruska, Turba Philosophorum, Ein Beitrag zur Geschichte der Alchemie, Berlin,
1931 ; M. Plessner, « The place of the Turba philosophorum in the development of alchemy »,
Isis, XLV (1954), pp. 331-338, « The Turba Philosophorum, A Preliminary Report on Three
Cambridge Mss », Ambix, VII (1959), pp. 159-163, et Vorsokratische Philosophie und
Griechische Alchemie in arabisch-lateinischer Überlieferung. Studien zu Text und Inhalt der Turba
Philosophorum, Boethius, 4, Wiesbaden, 1975 ; F. Sezgin, Geschichte des arabischen
Schrifttums, IV, pp. 60-65 ; U. Rudolph, « Christliche Theologie und Vorsokratische Lehren in
der Turba Philosophorum », Oriens, XXXII (1990), p. 97-123. Plessner (« The place of the Turba
philosophorum… », pp. 333-334, Vorsokratische Philosophie…, p. 130) a avancé l’hypothèse
que l’auteur de la Turba philosophorum pourrait être l’alchimiste ‘UÚmæn ibn Suwaid al-IÏmîmî,
actif à Panopolis, en Égypte, dans la première moitié du IXe s.
69. Voir ces cinq discours donnés dans l’Appendice I, ci-dessous pp. 134-141.
70. Voir J. M. Stillman, « Petrus Bonus and Supposed Chemical Forgeries », Scientific
Monthly, XVII (1933), pp. 318-325 ; J. Ruska, « L’alchimie à l’époque du Dante », Annales
Guébhard-Séverine, X (1934), 411-417 ; L. Thorndike, A History of Magic and Experimental
Science, III, pp. 147-162 ; Crisciani (C.), « The conception of alchemy as expressed in the Pre-
tiosa Margarita Novella of Petrus Bonus of Ferrara », Ambix, XX (1973), pp. 165-181, et Pre-
ziosa Margarita Novella. Edizione del volgarizzamento, Florence, 1976, pp. XLIV-LIII.
71. Cf., par exemple, Pretiosa margarita novella, IV, éd. Theatrum chemicum, V, p. 570,
éd. J. J. Manget, Bibliotheca chemica curiosa, I, p. 25 : « Unde dicit Zeno in Turba philoso-
phorum : Lapis quem quæritis, palam vilissimo venditur pretio. »
72. Cf. Pretiosa margarita novella, XV (« In quo probat, hanc artem esse veram tripliciter,
scilicet primò autoribus : secundò rationibus : tertiò, à simili & exemplis »), éd. Theatrum
chemicum, V, p. 639, J. J. Manget, Bibliotheca chemica curiosa, I, p. 52 : « Et Morienus : Si
autem ea quæ tibi dixero, & testimonia antiquorum rectè inspexeris, bene & apertè cognosces,
nos omnes in uno convenire, & omnia quæ dicimus, vera proferre, &c. Et omnes breviter hoc
idem volunt, & sunt sicut Hermes Trismegistus, Pater & propheta philosophorum, Pythagoras,
Anaxagoras, Socrates, Plato, Democritus, Aristoteles, Zeno, Heraclitus, Dedalus, Diogenes,
Exiodus, Lucas, Hipp. Hamec, Thebit, Geber, Rasis, Calid, Haly, Morienus, Thephi, Parmenid.
22 Sylvain Matton
Melissus, Empedocles, Albohaly, Almeon, Ptolemeus, Homerus, Vergilius, Ovidius, & alii quam-
plurimi Philosophi, & hujus veritatis amatores : » Pour l’identification de ces noms, voir
S. Matton, « Diogène alchimiste », Chrysopœia, V (1992-1996), pp. 675-686, ici p. 679.
73. Voir M. Grignaschi, « Lo pseudo Walter Burley e il “Liber de vita et moribus philoso-
phorum” », Medioevo, XVI (1990), pp. 131-190, et « “Corrigenda et addenda” sulla questione
dello ps. Burleo », id., pp. 325-354 ; J. Prelog, « “De Pictagora phylosopho”. Die Biographie
des Pythagoras in dem Walter Burley zugeschriebenen “Liber de vita et moribus philoso-
phorum” », id., pp. 191-251.
74. Cf. Liber de vita et moribus philosophorum, LXXVIII, éd. H. Knust, Gualteri Burlaei Liber
de vita et moribus philosophorum, mit einer altspanischen Übersetzung der Eskurialbibliothek,
Bibliothek des litterarischen Vereins in Stuttgart, CLXXVII, Tübingen, 1886 (rééd. Francfort,
1964), p. 304 : « Zenon stoicus philosophus floruit tempore Ptolomei. »
75. Cf. id., LXXIX , éd. Knust, p. 306 : « Fuit autem similiter et alius philosophus nomine
Zenon de quo scribit Valerius […] » ; cf. Valère Maxime, III, III, Ext. 3.
76. La Vera Dichiaratione di tutte le Metafore, Similitudini, & Enimmi degl’antichi Filosofi
Alchimisti, tanto Caldei & Arabi, come Greci & Latini, usati da loro nella descrittione, &
compositione dell’Oro potabile, Elissire della vita, Quinta essenza, & Lapis Filosofico,
Borgonovo, 1587, p. 211 : « Dice Zenone e Platone alla turba ». Sur Quattrami, voir G. B. De
Toni, « Notizie bio-bibliografiche intorno Evangelista Quattrami », Atti del Reale Istituto
Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, LXXVII, parte seconda, pp. 373-396 ; A. Perifano,
« Alchimie et philosophie de la nature chez Evangelista Quattrami », dans J.-C. Margolin et
S. Matton (éd.), Alchimie et philosophie à la Renaissance, pp. 253-264.
77. Commentaire de Henri de Linthaut, sieur de Mont-Lion, docteur en Médecine sur le
Tresor des tresors de Christophle de Gamon, Reveu & augmenté par l’Auteur, Lyon, 1610 (rééd.
Paris, 1985), p. 174 : « comme dit Zeno, & autres en la Tourbe des Philozophes ».
78. Cf. L’Ouverture de l’escolle de philosophie transmutatoire, sect. II, chap. VI , Paris,
1633, p. 124 (éd. Œuvres, Paris, 1646, p. 699) : « Zenon, fomente la seconde opinion disant en
la Turbe, ce que nous cherchons se vend publiquement, & à vil prix ». Planis Campy distingue
Alchimie et stoïcisme 23
moins que cette précision ne soit évidemment rendue superflue par le contexte, comme dans
le Discours d’auteur incertain sur la pierre des philosophes (1590) 79.
Malgré tout, rien n’empêche de supposer que c’est au fondateur de l’école stoïcienne que
songèrent nombre de philosophes chymiques en recensant leurs prédécesseurs : Giovan
Battista Nazari (1533 - ap. 1599 ?) 80, en dressant dans Il metamorfosi metallico et humano
(Brescia, 1564) une liste d’auteurs alchimiques qui mentionne par deux fois « Zenon
philosophus » 81, tandis que dans celle des Della tramutatione metallica sogni tre (Brescia,
1572), version augmentée du précédent ouvrage, on ne trouve que « Zenonis philosophi
tractatus » 82 ; l’anonyme rédacteur du Trilogio della trasmutatione de’ metalli, tra il
Filosofo, il Teorico et il Pratico, en ne donnant qu’une fois « Zenon philosophus » mais en
ajoutant un « Stoycus Grecus » dans son « Catalogo di filosofi autori della Trasmutatione »
qui reprend celui de Il metamorfosi metallico et humano 83 ; Evangelista Quattrami, en
insérant « Zénon » dans sa longue énumération des vrais philosophes alchimistes, au
demeurant manifestement inspirée, elle aussi, par la liste des Della tramutatione metallica
sogni tre 84 ; où encore l’anonyme auteur de l’Auriga chemicus, sive Theosophiæ
palmarium 85, lorsqu’il explique à propos des alchimistes :
« Les premiers d’entre eux, avant le Déluge, furent Seth et ses fils, ainsi que
leurs élèves. Après le Déluge, il y eut Hermès Trismégiste, le chef des philosophes,
ensuite Moïse et sa sœur Marie. Après eux, le roi Hercule, Étienne, Astanus,
Belinus, Salomon, Démocrite et Rosinus. Il y en eut ensuite d’autres, à partir des
dits desquels fut composé le livre de la Turba [Philosophorum], tel Pythagore,
Zénon de « Zimon » (cf. id., sect. III, chap. VI , p. 165, éd. Œuvres, p. 708) : « Bref Zenon, &
Zimon en la Turbe, disent qu’il faut obseruer les Mois, Ans & Saisons […] ».
79. Cf. éd. B. Husson, « Un texte alchimique inédit du seizième siècle, Discours d’auteur
incertain sur la pierre des philosophes (1590) », dans Cahiers de l’Hermétisme. Alchimie, Paris,
1978, pp. 31-72, ici p. 68 : « Zenon dit aussi : si vous ne blanchissez cette Pierre, vous ne la
pourrez rougir de la vraie rougeur. » Sur ce traité, voir D. Kahn, « Alchimie et littérature à Paris en
des temps de trouble : le Discours d’autheur incertain sur la pierre des philosophes (1590) »,
Réforme, Humanisme, Renaissance, XXI, n° 41 (déc. 1995), pp. 75-122.
80. Voir [L. Toth], « Nota biobliografica », dans la réédition anastatique des Della tramu-
tatione metallica sogni tre (Brescia, 1599), Milan, 1966, pp. III-IX ; A. Zenone, « I sogni
alchemici di Giovan Battista Nazari », Esperienze letterarie, X (1985), n° 2-3, pp. 81-111 ;
F. Greiner, « L’initiation alchimique de Giovan Battista Nazari », Réforme, Humanisme, Renais-
sance, XXI, n° 41 (déc. 1995), pp. 9-36.
81. Cf. Il metamorfosi metallico, ff. 26r et 27r.
82. Cf. Della tramutatione metallica, p. 144.
83. Cf. l’édition donnée en appendice à l’étude d’A. Perfetti, « Aristotélisme et alchimie
dans l’anonyme Trilogio della trasmutatione de’ metalli », dans : J.-C. Margolin et S. Matton
(éd.), Alchimie et philosophie à la Renaissance, pp. 224-251, ici pp. 250 et 251.
84. Cf. La Vera Dichiaratione…, VI (« Li veri filosofi alchimisti »), p. 39 : « […] Stefano
Allessandrio, Socrate, Sinesio, Thebit, Nimidio, Zenone, Zozimo […] ».
85. Voir J. Ferguson, Bibliotheca Chemica, I, p. 58.
24 Sylvain Matton
Socrate, Platon, Zénon et d’autres dont les dits ont été transcrits précisément dans le
livre de la Turba. […] » 86
On retrouve la même ambiguïté — et la même possibilité d’attribution à Zénon de Ci-
tium — en ce qui concerne les dits de « Zénon » qui circulèrent en sus de ceux de la Turba
philosophorum, qu’ils en dérivassent ou non. Par exemple, le Liber definitionum ou De di-
vinis interpretationibus mis sous le nom de Rosinus 87, bien que citant à plusieurs reprises
la Turba philosophorum, rapporte le dit suivant qui ne semble pas tiré de cet ouvrage, pour
autant que l’on puisse en juger d’après le texte édité, sans doute très corrompu :
« Le philosophe Zénon dit : Sache qu’il est possible de le faire et avec son bien,
et que Dieu a créé à partir de lui tous les nombres. Il est leur [?] origine, et il fuit le
feu des airains [? 88], mais quand il s’est maintenu dans le feu, il fait des œuvres
admirables et sublimes. Lui seul est l’esprit vivant et dans le monde il n’est rien de
pareil à lui. Il pénètre n’importe quel corps, entre en lui et l’élève, et il surpasse
tous les corps. Donc, lorsqu’il se sera mélangé à un corps, il le vivifiera,
l’illuminera et le transmutera d’un état en un autre, d’une couleur en une autre, tant
qu’il lui sera mélangé et conjoint. Il sera le ferment de ce corps, et alors il sera iksir
tout entier, à cause de sa blancheur, eau de vie et de vertu, herbe mondifiante et
nettoyante. » 89
Qu’il ait de plus existé des textes alchimiques, aujourd’hui perdus, qui, comme la Turba
philosophorum, mettaient en scène « Zénon » (de Citium ?), et qui, malgré d’éventuels
86. Cf. Auriga chemicus, sive Theosophiæ palmarium, éd. dans Theatrum chemicum, III,
p. 835 : « Quorum primi ante diluvium fuerunt Seth, filiique ejus, & Scolici eorum sectatores.
Post diluvium verò Hermes Trismegistus Philosophorum caput, deinde Moses, & Maria soror :
post hos Rex Hercules, Stephanus, Astanus, Belinus, Salomon, Democritus & Rosinus : Deinde
Alij, ex quorum dictis compositus est liber turbæ, ut Pythagoras, Socrates, Plato, Zenon & alij ;
quorum dicta in ipso libro turbæ descripta sunt : postremo vero plures alii eorum sequaces fuerunt,
qui libros in hac via operis descripserunt : vel de ipsa in aliqua parte suorum librorum memorati
sunt, ut Morienus, Rex Calid, Miruendus, Alfidius, Alexander, Rasis, Avicenna, Virgilius, Geber
& quidam alij, quorum dicta ad perfectam expositionem & probationem eorum, quæ in hoc libro
narrabimus, prout oportunum fuerit, pro veritatis testimonio adducemus. »
87. Sur Rosinus, corruption de Zosime, voir F. Sezgin, Geschichte des arabischen
Schrifttums, IV, pp. 73-77 ; L. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, III,
passim (voir « General index »).
88. Il faut peut-être lire « aerum » (« des airs »), au lieu de « ærum » (« des airains »).
89. Cf. Rosini de divinis interpretationibus, II, éd. Artis auriferæ…, Bâle, 1593, I, p. 302
(éd. 1610, I, pp. 192-193) : « Zenon Philosophus dicit : Scias quòd ipsum est facere & suo, &
Deus creauit ex eo omnes numeros. ipsum est origo earum [sic], & est ærum ignis fugitiuum, sed
cùm in igne steterit, facit mira opera & alta : & ipsum solum est spiritus viuus, & in mundo talis
non est, qualis ipse est : & ipse penetrat omne corpus, intrat ac leuat, & excellit omnia corpora.
Ergo cùm se miscuerit alicui corpori ipsum viuificabit, illuminabit, & transmutabit de statu in
statum, de colore in colorem dum cum eo mixtum fuerit & coniunctum, & ipsum erit fermentum
corporis illius : & tunc erit totum Iccir ob albedinem, aqua vitæ & virtutis, & herba mundificans
et lauans. »
Alchimie et stoïcisme 25
anachronismes ou invraisemblances historiques, furent tenus par certains adeptes pour des
ouvrages doxographiques authentiques, on peut le déduire non seulement du Zenonis
philosophi tractatus cité par Nazari dans ses Della tramutatione metallica sogni tre, mais
encore du passage suivant de l’Auriloquio de Vincenzo Percolla :
« Platon a mêlé les trois voies susdites des individus minéraux, végétaux et
animaux ; il les a étendues jusqu’au nombre de sept, car le mélange pouvant se faire
de quatre façons différentes, on retrouve trois voies simples et quatre voies mixtes,
dont Platon a parlé dans la réponse qu’il fit à Zénon, son disciple, qui lui demandait
de quelle manière il pourrait retrouver la félicité du monde. Il lui répondit que la
félicité du monde, il l’obtiendrait en mettant en mouvement la terre avec la terre, en
congelant l’eau avec l’eau, en pacifiant le vent avec le vent, en éteignant le feu avec
le feu, en remplissant la lune avec la lune, en obscurcissant le soleil avec le soleil et
en vivifiant Saturne avec Saturne. Par ces mots, il a voulu dire qu’il obtiendrait la
félicité de la pierre appelée le petit monde s’il composait ladite pierre en suivant les
trois voies susdites. En effet, dans la voie minérale la terre de la marcassite est mise
en mouvement avec la terre du mercure vulgaire, car une fois réunies, ces terres se
dissolvent et se mettent en mouvement en passant par l’alambic. » 90
En admettant qu’il s’agisse bien ici de Zénon de Citium, on ne s’étonne guère qu’il soit
fait auditeur de Platon au lieu d’être, comme il le fut, celui de Xénocrate et de Polémon. Le
souci de l’exactitude historique et du respect de la chronologie fut en effet rarement le fort
des alchimistes. Même un auteur aussi savant que William Davisson (Davidson,
d’Avissone, ca 1593-1669) 91, tint « Zénon le Stoïcien » pour un philosophe antérieur à
90. Cf. V. Percolla, Auriloquio, CLXXIX (« Delli enigmati di Platone, nelli quali si conten-
gono le sette vie »), éd. C. A. Anzuini, p. 131 : « Mescolando Platone le tré vie sudette degli
individui minerali vegetabili et animali, le allargo fino al numero di sette, percioche variandosi
la mistione per quattro modi, si ritrovano tré vie semplici et quattro miste delle quali ragionò
Platone nella risposta che fece à Zenone suo discepolo quando dimandato da lui in che maniera
ritrovar potesse la felicità del mondo, gli rispose che la felicità del mondo egli havrebbe se
mobilitasse la terra con la terra, congelasse l’acqua con l’acqua, pacificasse il vento col vento,
estinguesse il fuoco col fuoco, empiesse la luna con la luna, oscurasse il sole col sole, et Saturno
con Saturno vivificasse et per queste parole volle egli dire che haverà la felicità della pietra detta
minor mondo se per le tre vie sudette comporrà la detta pietra, percioche nella via minerale si
mobilita la terra della marcasita con la terra del mercurio volgare, peroche congiunte, queste terre
si solvono et mobilitano, passando per lambicco. »
91. Voir F. Hoefer, Histoire de la chimie depuis les temps les plus reculés jusqu’à notre
époque, II, Paris, 1843, pp. 242-244 ; J. Small, « Notice of William Davidson, M.D. », Procee-
dings of the Society of Antiquaries of Scotland, X (1875), pp. 265-280 ; E.-T. Hamy,
« W. Davisson, intendant du Jardin du Roi et professeur de chimie (1647-1651) », Nouvelles
archives du Muséum d’histoire naturelle, 3e série, X (1898), pp. 1-38 ; J. Read, « William
Davidson of Aberdeen, the First British Professor of Chemistry », Ambix, IX (1961), pp. 70-
101 ; O. Hannaway « Davison, William », dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of Scientific
Biography, III, New York, 1971, pp. 596-597 (avec bibliographie) ; F. Secret, « Qui était
Claude Dormy, protecteur de W. Davisson et de J. B. Morin ? », dans « Notes pour une histoire de
26 Sylvain Matton
Aristote et l’une des sources de la physique de ce dernier, ainsi qu’en témoigne le passage
suivant de son Commentariorum in sublimis philosophi et incomparabilis viri Petri
Severini Dani Ideam medicinæ philosophicæ (La Hague, 1660) :
« […] de la même manière que nous avons parlé des fondements d’Aristote en ce qui
concerne les réalités matérielles, j’ajouterai encore les opinions des Anciens sur la
matière première. Celles-ci peuvent être réparties en deux classes. La première est
celle des Anciens des premiers siècles du paganisme, semble-t-il, tels l’Égyptien
Mercure Trismégiste et le Chaldéen Zoroastre, lequel était contemporain d’Abraham,
vécut avec lui à Zur et apprit des fils de Noé la connaissance des réalités naturelles,
Noé ayant reçu de Mathusalem ces connaissances qui se transmirent ensuite chez ses
descendants jusqu’à Moïse. La seconde est celle des Anciens qui vécurent avant
Aristote, tels Platon, Plotin, Proclus, Jamblique, Mélissus, Parménide, Anaxagore,
Démocrite, Hippocrate, Zénon le Stoïcien, Épicure, Empédocle, Héraclite, Leucippe,
Pythagore : Aristote compila toute sa physique en pillant leur enseignement, puis
brûla les livres de la plupart d’entre eux afin que les doctrines qu’il leur avait volées
semblassent avoir été découvertes par lui. » 92
Par ailleurs, aux pseudépigraphes alchimiques durent s’en ajouter d’autres concernant in-
directement l’alchimie. Ainsi, lors de l’examen des doctrines alchimiques et minéralogiques
auquel il procède dans son Speculum naturale, première partie du Speculum maius 93,
Vincent de Beauvais (1184/94 - 1264) 94 mentionne un ouvrage de Zénon De naturalibus,
qu’il cite de la manière suivante :
l’alchimie en France », Australian Journal of French Studies, IX (1972), pp. 217-236, ici
pp. 230 sqq. ; A. G. Debus, The French Paracelsians, pp. 124-130 ; J.-P. Brach, « Deux exem-
ples de symbolisme géométrique dans des textes alchimiques du XVIIe siècle », dans : D. Kahn et
S. Matton (éd.) Alchimie : art, histoire et mythes, pp. 717-735, ici pp. 718-728.
92. Cf. Commentariorum In sublimis Philosophi & incomparabilis Viri Petri Severini Dani
Ideam Medicinæ philosophicæ, Proprediem proditurorum Prodromus. In quo Platonicæ doctrinæ
explicantur fundamenta, super quæ Hippocrates, Paracelsus & Severinus : nec non ex antithesi,
Aristoteles & Galenus sua stabilivere Dogmata, éd. Rotterdam, 1668, p. 302 : « Sed antequam ad
rem veniam ; sicut jam jacta fuerant Aristotelis de materialibus fundamenta ; Veterum etiam de
materia prima opiniones adjiciam : illæ autem in duos ordines disponuntur ; in Veteres primorum
seculorum gentilium, ut videtur ; quales fuerant Mercurius, Trismegistus Ægyptius, & Zoroaster
Chaldeus, Abrahamo coætaneus ; & cum quo in Zur Chaldæorum vixit, & à Noachi filiis scientiam
rerum naturalium didicit. Noachus à Methusalemo, quæ postea successoribus fuerunt tradita, usque
ad Moisen : Secundò in Veteres qui ante Aristotelem fuerant ; tales fuerunt Plato, Plotinus,
Proclus, Jamblichus, Melissus, Parmenides, Anaxagoras, Democritus, Hippocrates, Zeno
Stoicus, Epicurus, Empedocles, Heraclitus, Leucippus, Pythagoras, & super quorum doctrinam,
totam Physicam suam compilaverat Aristoteles ; qui post quam Veterum plerorumque libros igne
combussisset ; quo dogmata quæ ab illis surripuerat, ut sua inventa viderentur. »
93. L’édition princeps du Speculum maius parut à Strasbourg en 1473-1476 ; elle fut suivies
par cinq autres éditions au XVe siècle, une au XVIe (Venise, 1591) et une au XVIIe (Douai, 1624).
94. Pour la bibliographie concernant Vincent de Beauvais, voir Spicae, Cahiers de l’Atelier
Vincent de Beauvais, I (1978), pp. 6-29, à compléter notamment par S. Lusignan, Préface au
Speculum maius de Vincent de Beauvais : réfraction et diffraction, Cahiers d’Études Médiévales de
Alchimie et stoïcisme 27
« Zénon, dans le livre Des choses naturelles, écrit : “Il existe en effet une vertu
cachée universelle qui produit les pierres à partir du feu, et à partir de l’eau quand se
répand le bezon [?] lui-même sur le lieu. Car alors il se coagule immédiatement et
ne revient plus à sa propre nature. C’est pourquoi ce qui arrive au feu, à l’eau et à la
terre arrive aussi aux animaux et aux plantes, à savoir, grâce à cette vertu de leur
matière, temps ou lieu se fait leur complète dissolution ou bien leur changement en
pierre. » 95
➌ Cléanthe
Lui aussi ignoré de la littérature alchimique grecque, le successeur de Zénon à Athènes
n’est qu’indirectement relié à la littérature alchimique arabe. En effet, il n’apparaît, semble-
t-il, que dans le Kitæb sirr al-Ïalîqa (Le livre du secret de la création) mis sous le nom
d’Apollonius de Tyane, en arabe Balînæs ou Balînºs 96. Or, bien qu’il ait été utilisé par
Jæbir ibn Îayyæn et surtout qu’il contienne, comme l’on sait, la plus ancienne version
connue de la fameuse Table d’émeraude d’Hermès 97, cet ouvrage n’est pas spécifiquement
alchimique. C’est d’ailleurs en recopiant un long passage du R|ƒ® aµ£ƒ‡√∑ ⁄Õ«|›» (Sur
la nature de l’Homme) de Némésius d’Émèse, où ce dernier expose et réfute les arguments
des stoïciens Chrysippe et Cléanthe en faveur de la corporalité de l’âme humaine, que
Balînºs cite l’un et l’autre 98. En ce qui concerne la littérature alchimique occidentale la
seule occurence de Cléanthe que nous ayons pu trouver, dans les Aurei Velleris, sive sacræ
au même vêtement de la vérité, écrivirent que la pierre des philosophes est une cer-
taine marcassite […]. » 110
➎ Sénèque
Un autre stoïcien célèbre, Sénèque, se vit lui aussi indûment enrôlé dans la troupe des
philosophes chimiques. Dans le Livre de Bernard le Trévisan (seconde moitié du XV e
siècle 111 ), il est en effet renvoyé à « l’epitre de Senecque, qu’il escript a Aros, Roy
d’Arabie » 112. On a très certainement ici la source de Robert Duval (Robertus Vallensis, ca
1510 - ap. 1584) 113 qui, dans son De veritate et antiquitate artis chemicæ (Paris, 1561),
sui cubicularis. Est hoc in Chrysippi libro somnium. Respondit coniector, thesaurum defossum
esse sub lecto. Fodit, inuenit auri aliquantum idque circumdatum argento. Misit coniectori,
quantulum visum est, de argento. Tum ille, Nihilne, inquit, de uitello ? Id enim ei ex ouo uidebatur
aurum declarasse ; reliquum, argentum. »
110. Cf. éd. Theatrum chemicum, I, De arte metallica metamorphoseos, pp. 41-42 : « Porro
si [Lullius] literarum usus est notis, idem fecit & Aristoteles. Neque de Lullio, quod ita obsolete ac
peregrine scribat, magis mirandum quam de Aristotele. Siquidem & Aristotel. ipse libro de
secretis secretorum (si modo is liber Aristotelis est) lapidem animalem, vegetalem & metallicum
ovum nominat : & hoc Pythagoras, si Marcello credimus, fabam. Et Cœlius in ovo totam consis-
tere mundi machinam similitudine quadam lib. antiq. lect. quarto & decimo expressit, crustam seu
corticem ipsius terram appellans, proximum huic humorem frigentem humectumque, aquam, quod
inest spirituosum, calens humensque, aerem, vitellum, ignem. Cui calculum adjicere
mediocritatem caloris, quam obtinet, aridioremque naturam addidit, simul & colorem & globatam
figuram vimque ei innatam vitalem, veluti & mundo. Nec desunt qui progrediantur, atque ut illi
faciunt prodigiose loquantur, & ipsum avium cor, quod vitelli meditullium atque adeo centrum
tenet, quintam naturam appellent. Quid quod multa magis admirabilia in ovo fieri testantur, ut
serpentes, & formam similem hominis, quam mirandis virtutibus efficacem perhibent, & veram
mandragoram dicunt ? Lac deinde illud gallinaceum quod inventu rarum, ut in proverbium abierit
ºƒµß…∑µ zc≥`, opulentis, & quibus quidvis rerum suppeditat, accommodatissimum, de quo plura
Desid. Erasmus ex Aristophane, Plinio, Eustatthio & Athenæo ? Annon & Chrysippus, quod
refert Cicero, ovum somnianti scribit thesaurum contigisse, atque coniectorem, ad quem ille
somnium retulerat, ex vitello aurum, è reliquo argentum coniecisse ? Atque alij quidam eodem usi
veritatis tegumento, pyritem quendam scripserunt lapidem esse philosophorum […]. »
111. Le terminus ad quem de 1516 est fourni par le manuscrit Lat. 7174 de la Bibliothèque
nationale de France, lequel présente un passage de ce texte aux ff. 26r-27 v , comme l’a signalé
R. Crouvizier, « L’authenticité de l’Opuscule attribué à Maistre D. Zecaire », dans : D. Kahn et
S. Matton (éd.), Alchimie : art, histoire et mythes, pp. 469-484, ici p. 470. Voir aussi
L. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, III, p. 623, qui estime que ce traité
a été rédigé ou au moins interpolé à partir de la seconde moitié du XVe siècle.
112. Cf. Opuscule tres-eccellent, de la vraye philosophie naturelle des metaulx, traictant de
l'augmentation & parfection d'iceulx, Avec advertissement d'eviter les folles despences qui se
font ordinairement par faulte de vraye science : par Maistre D. Zecaire, Gentilhomme &
Philosophe Guiennois. Avec le traicté de venerable Docteur Allemand Messiere Bernard Conte de
la Marche Trevisane sur le mesme subgiect, Anvers, 1567, p. 143.
113. Voir F. Secret, « Qui était Robertus Vallensis ? », Bibliothèque d’Humanisme et
Renaissance, XXXII, (1970), p. 629 ; « Guillaume Guillard et l’alchimie », id., XXXIII (1971),
pp. 632-633 ; « Notes sur quelques alchimistes italiens de la Renaissance », art. cit., pp. 203-
204 ; S. Matton, « Un témoignage de Jean Riolan sur Robertus Vallensis », Chrysopœia, I
(1987), pp. 77-78 ; M. M. Fontaine : « Banalisation de l’alchimie à Lyon au milieu du XVI e
Alchimie et stoïcisme 31
range bizarrement Sénèque parmi les alchimistes grecs 114. C’est en tout cas expressément
au Trévisan que renvoie Pierre Borel (ca 1620-1671) dans sa Bibliotheca chimica (Paris,
1654) 115. On retrouve Sénèque dans le petit livre anonyme de François Alary 116, Le
Parnasse assiégé ou la guerre declarée entre les philosophes anciens et modernes (Lyon,
1697), ouvrage burlesque, encore que son but affiché soit de « demontrer la realité de la
Science d’Hermes, & la verité de la Médecine de Paracelse » 117. Cette guerre oppose les
sectes des académiciens, des épicuriens, des gymnosophistes, des Ioniens, des
péripatéticiens, des gassendistes, des cartésiens, qui veulent chacune s’emparer du Parnasse
après la mort de son maître, Apollon. Non seulement les stoïciens ne font pas partie des
belligérants, mais ils réprouvent ceux-ci :
« Enfin l’on ne pouvoit s’imaginer que le bruit dût jamais cesser. Car les Stoïciens
reprenoient si rudement de tous côtés les mutins, y étant excités par Zenon leur
General que l’on auroit veu les Philosophes entre eux en venir bientôt aux mains ;
ce qui animoit même davantage toutes les sectes les unes contre les autres. » 118
La raison, suggérée par Alary, du refus des stoïciens de participer au combat est leur
amour des bonnes mœurs, amour dont sont expressément crédités Posidonius et Diogène le
Babylonien (ici dénommé par erreur Denis) :
« Pendant tout ce desordre Socrate voiant voler les livres par la campagne
comme les balles dans un jeu de paume, fit signe à Carneades & à Philogene qu’ils
sortissent de l’embarras, où l’on ne s’entendoit pas parler à cause du bruit. Il leur dit
qu’ils lui fissent venir Aristippe, Possidone, Denis le Babilonien, Antistene &
plusieurs autres qu’il savoit aimer les bonnes mœurs, pour deliberer sur les affaires
présentes. » 119
Aussi quand, à l’incitation de Diogène le Cynique, l’on forme, pour tenter de rétablir la
paix, un conseil dont Aristote est élu chef, c’est sans doute en raison de leur neutralité que
ce dernier « établit Seneque & Vegetius pour faire la charge de ses Secretaires » 120.
Quoique relativement discrète, surtout comparée avec celle, beaucoup plus massive,
d’Aristote et des aristotéliciens, la présence des stoïciens dans la littérature alchimique n’est
donc pas aussi rare que Jean-Paul Dumont et Bernard Joly l’ont affirmé. Reste à examiner si
cette présence est liée à une influence significative du stoïcisme sur l’alchimie, voire à
l’institution d’un « modèle » stoïcien, en sorte qu’il faudrait prendre à la lettre les vers de
l’anonyme et satyrique auteur du Chymica vannus (Amsterdam, 1666) 121 :
« Qu’est-ce que la chimie, sinon la secrète école des sages
Qui te montre les œuvres de la nature universelle ?
Qu’est-ce que la chimie, sinon la Stoa, le portique d’où
L’on sort élevé et armé des mystères ? » 122
119. Id., p. 7.
120. Id., p. 9.
121. Voir J. Ferguson, Bibliotheca Chemica, II, pp. 246-247.
122. Reconditorium ac reclusiorum opulentiæ sapientiæque Numinis Mundi Magni, cui
deditur in titulum Chymica Vannus […], Amsterdam, 1666, p. 152 :
« Quid Chymia est aliud, schola quàm secreta Sophorum
Unversæ physios quæ tibi monstret opes ?
Quid Chymia est aliud, præter Stoa porticus, unde
Exstructus quis abit, mysteriísque potens ?
Quid Chymia est aliud, quàm totius Orbis Athenæ,
Unde superraræ prodeat Artis homo ?
Mundo quidquid opum, medicinæ quídve medelæ,
Id Chymia est totum suppeditando satis ;
Sed Chymia esse solet cunctorum pus nebulorum,
Exeat hoc cœtu, qui volet esse probus.
Sed Chymia esse solet verges, vallésque dolorum,
Longiùs hinc absis spe procul esse volens ;
Sed Chymia esse solet deceptrix plena dolorum,
Labra favo mellis, viscera felle natant. »
Alchimie et stoïcisme 33
123. « Présence des concepts de la physique stoïcienne dans les textes alchimiques du XVIIe
siècle », p. 343.
124. Voir S. Matton, « Marsile Ficin et l’alchimie. Sa position, son influence », dans : J.-
C. Margolin et S. Matton (éd.), Alchimie et philosophie à la Renaissance, pp. 123-192.
125. Voir la notice d’A. G. Debus dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of Scientific
Biography, I, pp. 548-550 ; bibliographie à compléter par M. Teich, « Interdisciplinarity in
J. J. Becher’s Thought », History of European Ideas, 9.2 (1988), pp. 145-160 ; id., « J. J .
Becher and Alchemy », dans Z. R. W. M. von Martels, Alchemy Revisited, Proceedings of the
International conference on the History of Alchemy at the University of Groningen 17-19 April
1989, Collection de Travaux de l’Académie Internationale d’Histoire des Sciences, 33, Leyde,
1990, pp. 222-228 ; G. Frühsorge et G. F. Strasser (éd.), Johann Joachim Becher (1635-1682),
Wolfenbütteler Arbeiten zur Barockforschung, 22, Wiesbaden, 1993 ; P. H. Smith, « Alchemy as
a Language of Mediation at the Habsburg Court », Isis, LXXXV (1994), pp. 1-25, et T h e
business of Alchemy. Science and Culture in the Holy Roman Empire, Princeton, 1994.
126. Ainsi que l’a fait remarquer J. R. Partington, A History of Chemistry, II, Londres,
1961, chap. XVII (« The phlogiston theory. Part I. Becher »), p. 639 : « He frequently contradicts
34 Sylvain Matton
himself in the same work or in different works, and use the same word in a variety of meanings,
and different words for the same thing (haerent Peripatetici in verbis nos in rebus). »
127. Cf. Experimentum chymicum novum, quo artificialis et instantanea metallorum
generatio et transmutatio ad oculum demonstratur. Loco Supplementi in Physicam […]
subterraneam, Francfort, 1671, cap. V, pp. 65-93 (= Actorum Laboratorii chymici Monacensis,
seu Physicæ subterraneæ […], Francfort, 1681, Supplementi in Physicam Subterraneam,
pp. 605-629), où, pour la doctrine du Ciel ou pierre des philosophes qui se trouve en toutes
choses, Becher renvoie entre autres à « Penotus, cui Gerhardus Dorn, Nuyssement [sic], multique
alii subscribunt » (p. 608).
128. Cf. Œdipus chimicus, obscuriorum terminorum et principiorum chimicorum mysteria
aperiens et resolvens, I, § 4 (« De spiritu universi »), éd. J. J. Manget, Bibliotheca chemica
curiosa, I, p. 308 : « Sunt qui statuunt, singularem terræ inesse Spiritum, qui omnia corpora
vegetat & conservat, huic habitaculum aliqui rori, alii pluviæ, alii luto, terræ, silicibus, non
pauci nitro asscribunt, unde variis laboribus educere conantur, verùm tales videntur Naturam
subintelligere eamque corporaliter ob oculos sistere velle, rerum enim vegetatio naturæ facultas
est non materiale aliquod corpus vel spiritus, qui in manus artificum veniat, pari enim
impossibilitate occultas qualitates naturæ suis quis oculis videbit, suis quæret tractare manibus ;
Non inficias eo reperiri materias subtiles, quibus vegetatio promovetur atque corpora
conservantur ; verùm accidentaliter, non essentialiter, tum diversimodè, fimo enim vegetabilia,
bonis succis animalia, sulphuribus metalla promoventur, suaque in vegetatione adjuvantur,
unicum ergo spiritum pro omni rerum vegetatione velle quærere, est idem ac statuere unam
materiam pro tribus regnis, quod absurdum est. » J.-P. Dumont a évidemment ignoré ce texte.
Alchimie et stoïcisme 35
Leur spiritus mundi ne pouvait donc être le pneuma igné des stoïciens conçu comme la
Divinité elle-même, matérielle et immanente. C’est ce que rappelle dans son Traicté du feu
et du sel (Paris, 1618) Blaise de Vigenère (1523-1596) 129 — qui ne fait au reste pas des
stoïciens les inventeurs de la doctrine du feu artiste, la rapportant à la « Theologie
Phenicienne », laquelle selon lui « n’admettoit qu’vn seul element, le feu ; qui est le
principe & la fin de tout ; le producteur & destructeur de toutes choses » 130. Parlant du feu,
Vigenère note :
« Les Stoiciens, bien que trop superstitieux en cela, faisoient vn si grand cas de cest
element, qu’ils le disoient estre ie ne sçay quoy de viuant, & tres-sage, fabricateur de
tout l’Vnivers, & de ce qui y estoit contenu, à propos de ce que nous auons cy-
dessus allegué de la Sapience 7 [21]. Omnium artifex me docuit Sapientia, quæ
omnibus mobilibus mobilior est ; attingit enim vbique propter suam munditiem :
En quoy sont attribuées deux proprietez du feu à la Sapience ; le mouuement, & la
pureté. Et en somme l’estimoient estre vn Dieu, selon que met sainct Augustin,
liure 8. de la Cité de Dieu, chapitre 5 131. » 132
Dans son Lumen de Lumine : or A new Magicall Light discovered, and Communicated
to the World (Londres, 1651), Thomas Vaughan (1620-1665) 133 condamne de manière
encore plus nette les stoïciens, qu’il place, avec les aristotéliciens « athées » (c’est-à-dire,
très probablement, les averroïsants), dans le même sac que les épicuriens. Commentant le
frontispice de son traité (voir figure ci-après), Vaughan explique :
« La partie inférieure de cette figure représente un cercle obscur rempli par un
grand nombre d’étranges chimères et le tragélaphos d’Aristote 134 , cette bête
métaphysique des scolastiques. Elle désigne les innombrables vertiges prétentieux et
les creuses imaginations vagabondes de l’homme. Car, avant que nous n’atteignions
la vérité, nous sommes sujets à mille fantaisies, fictions et appréhensions que nous
supposons faussement et souvent que nous affirmons publiquement être la vérité
129. Sur Vigenère et l’alchimie, voir S. Matton, « Alchimie, kabbale et mythologie chez
Blaise de Vigenère : l’exemple de sa théorie des éléments », dans : Blaise de Vigenère poète et
mythographe au temps de Henri III, Cahiers V. L. Saulnier, 11, Paris, 1994, pp. 111-137.
130. Traicté du feu et du sel, p. 25. Repris par W. Davisson, Philosophia pyrotechnica,
Paris, 1640, p. 459 : « Theologia Phœnicum admittebat vnicum tantum elementum, nempe
ignem omnium productorem, & destructorem. »
131. Cf. Augustin, De civitate Dei, VIII, V, (= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta,
II, 423) : « Nam stoici ignem, id est corpus, unum ex his quattuor elementis, quibus uisibilis
mundus hic constat, et uiuentem et sapientem et ipsius mundi fabricatorem atque omnium, quae in
eo sunt, eumque omnino ignem deum esse putauerunt. »
132. Traicté du feu et du sel, pp. 105-106.
133. Voir l’introduction de D. Kahn à la réédition anastatique de [Th. Vaughan], L’Art
hermetique à decouvert ou nouvelle lumiere magique où sont contenus diverses [sic] mysteres des
Egyptiens, des Hebreux et des Caldéens, Paris, 1989.
134. Animal fabuleux mi-bouc mi-cerf ; voir Aristote, Analytica priora, A, 38, 49a 24.
36 Sylvain Matton
elle-même. Cette région fantastique est le vrai séminaire primordial de toutes les
sectes et de leur dissensions. De là sont venus le sceptique désespéré, l’épicurien
débauché, le stoïcien hypocrite et le péripatéticien athée. De là aussi leurs diverses
disputes sur la nature : si la première matière est du feu, de l’air, de la terre ou de
l’eau, ou bien une mêlée d’atomes imaginaires, toutes choses qui sont de fausses et
fabuleuses suppositions. » 135
Une telle condamnation englobant à la fois les stoïciens, les épicuriens et les aristoté-
liciens n’est nullement isolée. Elle se rencontre par exemple chez le platonico-paracelsien
William Davisson, lequel écrit dans son Commentariorum in […] Petri Severini Dani
Ideam medicinæ philosophicæ :
« […] nous avons dit que la première cause incréée avait causé d’autres causes au
moyen du premier être ou cause créée, laquelle n’est admise ni par les
péripatéticiens, ni par les stoïciens, ni par les épicuriens, dont le nombre est
immense. Il faudra donc apporter des raisons mathématiques pour convaincre leur
135. Cf. The Works of Thomas Vaughan, edited by Alan Rudrum, with the assistance of
Jennifer Drake-Brockman, Oxford, 1984, p. 325 : « The Inferior part of this Type presents a
Dark Circle, charg’d with many strange Chimæra’s, and Aristotle’s …ƒ`zÄ≥`⁄∑», that Metaphy-
sicall Beast of the Schoolemen. It signifies the innumerous conceited Whimzies, and ayrie
roving Imaginations of Man. For, before wee attain to the Truth, we are subject to a Thousand
Fansies, Fictions, and Apprehensions, which wee falsly suppose, and many Times publickly
propose for the Truth it self. This Phantastic Region is the true Originall Seminarie of all Sects
and their Dissentions. Hence came the despayring Sceptic, the loose Epicure, the Hypocriticall
Stoic, and the Atheous Peripatetic. Hence also their severall Digladiations about Nature :
Whether the first Matter be Fire, Aire, Earth, or Water, or a Frie of Imaginarie Atoms, all which
are false and fabulous Suppositions. »
Sous sa forme imprimée, la traduction française anonyme du Lumen de Lumine, parue sous le
titre de L’Art hermetique à decouvert ou nouvelle lumiere magique où sont contenus diverses
mysteres des Egyptiens, des Hebreux et des Caldéens, s. l., 1787 (voir note précédente), mais qui
plus d’un siècle avant sa publication circulait déjà en manuscrits, donne (pp. 40-41) : « La partie
inferieure de ce type represente un cercle obscur dans lequel il y a diverses & etranges chimeres ;
qui sont les bêtes metaphisiques, scholastiques, lors qu’elles nous representent le grand nombre
des opinions fausses, qui ont étés etablies par succession des temps, car avant que nous
decouvrions le verité, nous sommes sujets à mils erreurs que nous avancons tres souvent pour des
choses certaines. La Region fantastique de ce cercle est l’origine de touttes les sectes des faux
philosophes & de leur division, de la sont venû les visionairs sceptiques desesperés, les
voluptueux epicuriens les stoiques hypocrites & les peripateticiens Athées, de la aussy procedent
leurs contestations sur la nature, sçavoir, si la premiere matiere est le feu, si elle est l’air, ou, si
elle est l’Element de l’eau, ou celuy de la terre, ou bien enfin si elle est une vision d’atomes,
touttes les quelles choses sont des suppositions fabuleuses. »
Dans sa Préface à The Fame and Confession of the Fraternity of R : C :, Commonly, of the
Rosie Cross (Londres, 1652), Vaughan se montrera un peu moins ouvertement sévère pour la
doctrine morale des stoïciens, écrivant à propos d’Apollonius de Tyane (éd. A. Rudrum, p. 497) :
« […] he was so great a stranger to the Secrets of Nature, that he did not know what to ask for.
For my own part, if I durst think him a Philosopher, I should seat him with the Stoics ; for he was
a great Master of Moral Severities, and this is all the Character I can give him ».
38 Sylvain Matton
ignare sagesse, en disant que certaines des choses créées sont des `À…∑’√∫«…`…`,
c’est-à-dire qu’elles demeurent par soi, lesquelles, par leurs propres hyparxis, essence
et forces, ne s’appuient, pour être, sur rien d’autre que sur l’être incréé de Dieu, être
producteur et créateur, qui de même qu’il les a produites, les conserve et les
maintient afin qu’elles ne retournent pas au néant, et il les convertit à lui, les couve
de ses forces continues et inépuisables et les rappelle à lui. » 136
Cet amalgame entre les stoïciens et les épicuriens trouvait un appui dans l’Écriture
sainte elle-même, les Actes des Apôtres [17, 16-18] nous apprenant que sur l’agora
d’Athènes, cette « ville remplie d’idoles » dont le spectacle « faisait brûler en lui
l’indignation », saint Paul était abordé par « des philosophes épicuriens et stoïciens », dont
« les uns disaient : “que peut bien vouloir dire ce discoureur ?”, d’autres : “On dirait un
précheur de divinités étrangères”, parce qu’il annonçait Jésus et la résurrection ». Ainsi —
encore que ce ne soit pas dans un contexte exactement alchimique, mais dans un écrit dirigé
contre les Rose-Croix — ce sont ces versets évangéliques que l’on trouve cités par l’anti-
paracelsien Andreas Libavius (ca 1550-1616) 137 dans son Analysis Confessionis Fraterni-
tatis de Rosea Cruce (Francfort, 1615) :
« Au sujet des Athéniens et des étrangers qui résidaient chez eux, ainsi qu’au
sujet des philosophes stoïciens et épicuriens, nous lisons dans les Actes des Apôtres
[17, 21] qu’ils n’avaient d’autres passe-temps que de dire ou écouter les dernières
nouveautés. Il semblait donc à ces philosophes qu’en annonçant l’Évangile du Christ
l’apôtre Paul leur versait dans les oreilles des nouveautés sur de nouveaux dieux, un
nouvel enseignement qu’ils désiraient certes apprendre de lui, mais qu’ils rejetaient
bientôt, peut-être de peur de connaître, condamnés par jugement de l’Aréopage, le
sort de Socrate, comme si, ayant répudié les patries, ils voulaient accepter et honorer
les étrangers. » 138
136. Cf. Commentariorum In […] Petri Severini Dani Ideam Medicinæ philosophicæ, éd.
cit., p. 85 : « […] dictum est primam causam increatam causasse alias causas, per primum ens seu
causam creatam, quam nec Peripatetici, nec Stoici, nec Epicurei, quorum ingens numerus est, non
admittent : rationes igitur Mathematicæ erunt afferendæ ut illorum ignara sapientia convincatur,
dicendo creatorum alia esse `…∑√∫«…`…` [sic] hoc est per se stantia, quæ propria sua hiparxi &
essentia & viribus non innixa alterius, illius adminiculo ut sint, quam Dei ente increato, &
productore & Creatore, qui ea uti produxit, ita ut ne in nihilum vertatur [sic] conservat & continet,
& ad se convertit, continuis & inexhaustis viribus ea fovet, & ad se revocat. »
137. Sur Libavius, voir O. Hannaway, The Chemists and the Word. The Didactic Origins of
Chemistry, Baltimore – Londres, 1975, pp. 75-156, et B. Meitzner, Die Gerätschaft der
chymischen Kunst. Der Traktat « De Sceuastica Artis » des Andreas Libavius von 1606.
Übersetzung, Kommentierung und Wiederabdruck, Boethius, 34, Stuttgart, 1995.
138. Analysis Confessionis Fraternitatis de Rosea Cruce pro admonitione et instructione
eorum, qui, quid iudicandum sit de ista noua factione, scire cupiunt, Francfort, 1615, p. 3 : « I. De
Atheniensibus & peregrinantibus apud ipsos hospitibus, item Philosophis, Stoicis, & Epicureis
legimus in Actis Apostolorum, æ…§ |•» ∑À{ŵ Ñ…|ƒ∑µ }≤`߃∑µ ê ≥Äz|§µ …® ≤`® a≤∑Õ|§µ
≤`§µ∫…|ƒ∑µ. Vnde & Apostolus Paulus annunciato Eugelio [sic] de Christo, Philosophis
Alchimie et stoïcisme 39
Et dans son Vita, vigor et veritas Alchymiæ transmutatoriæ (Francfort, 1615), qui
répond aux attaques lancées par Nicolas Guibert (ca 1547-ca 1620) 139 contre l’alchimie, le
même Libavius rappellera encore l’impiété de la conception que les stoïciens se faisaient de
Dieu :
« Après le Diable il appelle à l’aide les païens Homère, Ovide, Galien, etc. L’on
s’étonne ici que notre homme manque à ce point de décence qu’il ose citer Ovide et
Galien comme s’il traitait avec des personnes qui n’ont lu les écrits ni de l’un ni de
l’autre, et comme si, conduisant la danse, il sautillait au milieu de servantes de
bouviers. Ovide attribue des métamorphoses à ses dieux. Que dire de la tête de
Méduse ? Est-ce là Dieu ? Circé use de magie diabolique. Les transmutations sont-
elles possibles grâce au Diable ? Que penser des exemples du XVe livre des
Métamorphoses ? Des abeilles naissent du cadavre d’un bœuf, un cheval de guerre
enfoui sous terre donne naissance à un frelon, etc. Voyez ce qui est dit à propos d’un
scorpion naissant d’un crabe, de vers à soie changés en papillons, de grenouilles
naissant du limon, d’un serpent naissant de la moelle épinière d’un homme, etc.
Galien nie avec Pline que Dieu puisse quoi que ce soit de plus que la nature. Les
stoïciens l’enchaînent au destin 140. Voilà bien de fameux témoignages ! » 141
Même si cette condamnation du stoïcisme ne fut pas unanime, elle reste suffisamment
massive pour éclipser des textes comme celui des Aurei Velleris […] libri tres, où
Guillaume Mennens allègue assez spécieusement Épictète pour défendre la liberté humaine :
« En vérité les péripatéticiens riront de cela, comme l’Arabe Averroès, qui traite
les prophètes de colporteurs de sornettes. Plus prudemment Avicenne pensa que le
videbatur noua quædam auribus eorum ingerere de dæmonibus nouis, noua quædam doctrina, quam
ex ipso cognoscere quidem cupiebant, sed mox contemnebant, ne fortasse iudicio Areopagi
damnati Socratis fortunam experirentur, quasi patriis abnegatis peregrinos acceptare, & colere
vellent. »
139. Voir J. Ferguson, Bibliotheca Chemica, I, p. 353 ; F. Secret, « Notes sur quelques
alchimistes italiens de la Renaissance », VII : «Nicolas Guibert et l’alchimie en Italie à la fin du
XVI e siècle », Rinascimento, XIII (1973), pp. 197-217 (211-217) ; O. Hannaway, The Chemists
and the Word…, pp. 92-93.
140. Cette référence au stoïciens ne paraît pas se trouver chez N. Guibert.
141. Cf. Vita, vigor et veritas Alchymiæ transmutatoriæ…, § 6, dans Appendix necessaria
Syntagmatis Arcanorum Chymicorum, Francfort, 1615, p. 195 : « Post Diabolum in auxilium
accersit Ethnicos Homerum, Ouidium, Galenum, &c. vbi mireris homini pudorem adeo deesse vt
Ouidium & Galenum citare ausit quasi agat cum his hominibus qui neutrius scripta legerint, &
saltitaret inter bubulcorum famulas restim ductitans. Diis suis asscribit Ouidius transmutationes.
Quid de capite Medusæ dicendum ? Num & hoc Deus ? Circe Diabolica magia vtebatur. Num
Diabolo possibiles transmutationes ? Quid de exemplis libri 15. Metamorphoseon ? Apes ex
cadauere bubulo : pressus humo bellator equus crabronis origo est, &c. vide de scorpio ex cancro,
de bombycibus in papiliones, de ranis ex limo, de angui ex spinali medulla hominis, &c. Galenus
cum Plinio negat Deum posse quicquam vltra naturam. Stoici fato eum alligant. En præclara
testimonia. »
40 Sylvain Matton
142. Cette citation ne paraît pas être littérale ; voir Épictète, Dissertationes, I, I, et XIX .
143. Cf. Aurei Velleris […] libri tres, I, XIII , Anvers, 1604, p. 104 (éd. Theatrum chemi-
cum, V, p. 349) : « Verum Peripatetici ridebunt hæc, vt præfatus Arabs ille [Abenrhoes], Prophe-
tas nugarum institores appellando : prudentius Avicenna putauit, cæli motum neque necessarium,
neque violentum, sed medium in iis, sic vt à voluntate Dei dependeat, qui sacrificiis,
oblationibus, precibus, ieiuniis, eleemosynis flectitur ; alioquin non esset Deus, si non esset
omnipotens, si necessitati subiiceretur ; vt nec homo esset homo, si libero arbitrio careret, sed
vt belua alterius imperio ageretur, cui refragatur Epicteti sententia dicentis : Quamvis corpore sim
seruus, attamen animum circumfero liberum. Et si homo de necessitate seu prædestinatione cuncta
agere cogeretur, diuino iudicio neutiquam subiiceretur, vt nec brutum animans, quum fata <&>
prædestinatio, sive necessitatis ordo ipsum excusatum haberent. »
144. Il allègue notamment l’empereur Julien.
145. Cf. Philosophia pyrotechnica seu cursus chymiatricus, pars II, cap. XI (« De natura seu
mundi spiritu & communi eius seminario veterumque Philosophorum de eius naturæ concursu
opiniones »), éd. Paris, 1640, p. 292 : « Conclude animalem quendam spiritum semper ab anima
mundi, quasi interioris vitæ propaginem, pullulare, ignemque hunc esse, & quasi animale lumen
ipsum, in dimensiones iam porrectum, spiritum actu omnium vbique fomitem, cœlum inquam,
non circumfusum solum, sed etiam cunctis infusum, cœlumque cœlorum, flatum animæ diuinioris,
sub forma quadam animæ proxima, id est, cælesti, id est ignea : hoc est translucida, lucida,
calida ; protinus euolantem, mox in aërem dissimiliorem animæ tumescentem, subinde in aquam
terramque compactum. »
Alchimie et stoïcisme 41
« Le feu céleste est un feu unique et pur, ne subissant ni ne produisant aucune vio-
lence, brillant d’admirable manière, mais au-delà de la vue, et ardant très suavement.
En revanche, notre feu qui brûle n’est pas un feu pur, mais plutôt un élément igné.
Assurément, parce qu’il peut plus facilement que le reste être engendré et engendrer,
s’augmenter, briller très longtemps, attirer toutes choses à lui et naître partout, ce
feu tient tout du ciel, lequel a partout vigueur. Voilà pourquoi Théophraste consacre
un livre entier à admirer la puissance du feu 146. Voilà peut-être d’où vient cet esprit
que les stoïciens disaient infus en toutes choses, géniteur des réalités naturelles et
séminaire du monde. Au livre I de son Du régime, Hippocrate le nomme également
feu : démontrant en cet endroit le cercle et la conspiration de la nature dans les corps,
il dit : “le feu a établi des triples circuits” 147, comme s’il disait “la nature a éta-
bli…”. Les Anciens appelaient cet esprit “lien du monde tout entier”, grâce à quoi ce
monde, quoique constitué de choses si diverses, est dit un. Pour parler chrétienne-
ment, on peut dire que cela n’est rien d’autre que la continuelle opération de Dieu le
protecteur (opération que les théologiens nomment “nature naturante”) au moyen de
cet esprit, feu ou séminaire général, qui est comme son instrument très proche et que
nous, nous appelons de façon appropriée “nature naturée”. La première nature est
donc Dieu, tandis que la seconde est la nature proprement dite, laquelle se divise en
universelle et en particulière. L’universelle est cette puissance ordonnatrice de Dieu
diffuse à travers l’univers, et elle est tenue pour être une vertu divine que Dieu a pla-
cée dans toutes les créatures. C’est pourquoi les Anciens disaient que tout est plein
de Dieu. En outre, c’est la nature universelle dont parle Platon dans le Timée lors-
qu’il dit : “La nature est une certaine force infuse à travers toutes choses, régulatrice
et nourrice des corps, principe du mouvement et du repos en eux-mêmes” 148. En des
termes presque identiques, Hermès dit que cette nature est une certaine force issue de
la cause première, diffuse à travers tous les corps, principe en soi du mouvement et
du repos en soi. Anaxagore, Démocrite, Parménide, Pythagore et d’autres très sages
philosophes reconnurent cette force comme étant une intelligence diffuse à travers
l’univers, auteur et nourrice de toutes choses, qu’ils comprirent comme étant Dieu
lui-même, désigné par Orphée sous le nom de Jupiter. » 149
146. Pour une utilisation alchimique de Théophraste, voir par exemple E. Quattrami, La Vera
Dichiaratione…, p. 225.
147. Cf. Hippocrate, R|ƒ® {§`ß…ä» , I, X , 2, éd. et trad. R. Joly, Hippocrate, Du régime,
Paris, 1967, p. 12 (pour une traduction latine, voir A. Foes, Hippocratis […] opera omnia […],
éd. Genève, 1657, p. 344). Pour une alchimisation d’Hippocrate, outre la liste d’alchimistes
citée ci-dessus p. 21, voir par exemple P. J. Fabre, L’Abregé des secrets chymiques, Paris, 1636,
pp. 180-182 (« Hypocrate sçauoit la pierre philosophale »).
148. Cette citation n’appartient pas au Timée de Platon.
149. Cf. Philosophia pyrotechnica…, II, XI , pp. 294-295 : « Est autem cœlestis ignis,
solus purusque ignis, neque vim patiens, neque inferens : mirificè lucens, sed super aspectum [,]
suauissimè calens. At noster comburens, non ignis est purus, sed ignitum potiùs elementum. Qui
sanè quod facilius, quam alia generetur, generetque & amplificet se ipsum & longissimè luceat, &
42 Sylvain Matton
C’est ce que redira un autre paracelsien, Francesco Maria Colonna (Colonne, ca 1649-
1726) 150, dans Les Principes de la nature ou de la generation des choses (Paris, 1731) :
« Les Stoïciens définissent la nature, (c’est-à-dire, ce qui fait cet ordre des choses que
nous appellons Nature), un feu artificiel, qui dans toutes ses actions tend à la genera-
tion, & que c’est un esprit qui ressemble au feu, & à un ouvrier qui travaille toû-
jours pour former quelque chose. Opinantur naturam ignem esse artificialem suo iti-
nere ad generationem tendentem, id autem esse spiritum, ignis speciem artisque præ
se ferentem 151.
Et en effet si l’on considere que la matiere subtile étherée produit le feu par son
mouvement, & que toutes choses se produisent & se corrompent par le mouvement
de cette matiere qui se meut toûjours, on verra que cette espece de feu n’est jamais
oisif, parce qu’il ne cesse jamais de se mouvoir, & de mouvoir ; & par ce moyen
ad se omnia trahat, & nascatur vbique, totum habet à Cœlo quod viget vbique. Hinc Theophrastus
libro integro, ignis potentiam admiratur. Hinc forsan est ille spiritus, quem Stoïci rebus infusum
omnibus appellant, naturalium genitorem & mundi seminarium. Hunc Hippocrates primo de
Diæta etiam ignem nominat. Circulum & conspirationem naturæ in corporibus eo in loco
demonstrans, Fecit ignis, inquit, triplices circuitus. Quasi diceret, fecit natura. Veteres autem
hunc spiritum totius mundi vinculum, quo mundus hic ex tam diuersis rebus constans, vnus tamen
appellatur, nominabant, quod nihil aliud dici potest, vt Christianè loquar, quam Dei præsentis
(quem Theologi naturam naturantem nominant) continua operatio mediante hoc spiritu, igne seu
communi seminario quasi proximo instrumento, quam nos naturam naturatam propriè
appellamus. Prima igitur natura Deus est. Secunda verò propriè natura est, quæ diuiditur in
vniuersalem & particularem. Vniuersalis est ordinatia [sic] illa Dei potentia, per totum orbem
diffusa. Sumiturque pro virtute Diuina, quam Deus omnibus creaturis indidit. Vnde dicebant
antiqui, Dei omnia plena esse. Præterea ea est natura vniuersalis, de qua Plato loquitur in Timeo,
cum ait : Natura est quædam vis infusa per omnia, corporum moderatrix & nutrix, principium
motus & quietis per se ipsis. Quam naturam Hermes iisdem ferè verbis dicit esse vim quandam à
prima causa subortam, per omnia corpora diffusam, per se principium motus & quietis in ipsis.
Hanc vim Anaxagoras, Democritus, Parmenides, Pythagoras, aliique Philosophi sapientissimi
Mentem per vniuersum orbem diffusam, rerum omnium auctorem nutricemque agnouerunt, quam
Deum ipsum, ab Orpheo Iouis nomine designatum, intellexerunt. »
150. Voir F. Hoefer (éd.), Nouvelle Biographie générale, XI, Paris, 1855, col. 297-298 ;
J. S. Spink, French Free-Though from Gassendi to Voltaire, Londres, 1960, pp. 128-132 (trad.
française de P. Meier, La Libre Pensée française de Gassendi à Voltaire, Paris, 1966, pp. 144-
146) ; G. Costa, « Un collaboratore italiano del conte de Boulainviller : Francesco Maria Pompeo
Colonna (1644-1726) », Atti e Memorie dell’Accademia Toscana di Scienze e Lettere “La
Colombaria”, XXIX (1964), pp. 205-295 ; id. « La fortuna europea della filosofia colonnese »,
dans : S. Bertelli (éd.), Il Libertinismo in Europa, Milan – Naple, 1980, pp. 417-433 ; id.,
« Colonna, Francesco Maria Pompeo », dans : Dizionario biografico degli italiani, XXVII,
Rome, 1982, pp. 304-309 (avec, pp. 308-309, d’autres références bibliographiques). Rappelons
que Colonna publia, entre autres, un Abregé de la doctrine de Paracelse et de ses Archidoxes, avec
une explication de la nature des principes de chymie, Paris, 1724.
151. Cf. Cicéron, De natura deorum, II, 57 (= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta,
I, 171) : « Zeno igitur naturam ita definit, ut eam dicat ignem esse artificiosum ad gignendum
progredientem uia. Censet enim artis maxime proprium esse creare et gignere, quodque in quibus
nostrarum artium manus efficiat, id multo artificiosius naturam efficere, id est, ut dixi, ignem
artificiosum, magistrum artium reliquarum. »
Alchimie et stoïcisme 43
d’engendrer ou de corrompre toûjours quelque chose, soit sur la terre, ou dans ses
entrailles les plus profondes, soit dans l’air, ou dans les eaux. L’on verra que cette
matiere subtile est le principe de la vie & des actions de toutes les choses ; car la vie
& les actions ne sont que des mouvemens, de maniere que si l’on ne doit pas suivre
l’erreur de Platon, d’Aristote, & des Stoïciens même, en disant que cet esprit de feu
étherée est Dieu, on peut dire sans difficulté, que c’est l’instrument immediat dont
Dieu se sert pour former la nature naturée sensible, & que c’est l’ame du monde qui
anime, donne la vie & la forme à tous les individus de l’univers. C’est ce que les
Academiciens ont appellé Forme, c’est-à-dire, esprit formateur, & plusieurs Anciens
& autres plus modernes l’ont nommé Natura Plastica 152, ou nature ouvriere. » 153
Et c’est également en ce sens — comme l’indiquent assez les autres autorités alléguées
— que, dans la préface de sa Basilica medica (Francfort, 1618), Johann Daniel Mylius 154
interprète le feu artiste de Zénon :
152. Il s’agit bien sûr de Ralph Cudworth, dans The True Intellectual System of the
Universe, Londres, 1678, spéc. I, III, XXXVII , pp. 147-181 (où, p. 153, il se réfère à Paracelse et
aux chymistes : « Lastly, as the latter Platonists and Peripateticks have unanimously followed
their Masters herein, whose Vegetative Soul also is no other than a Plastick Nature; so the
Chymists and Paracelsians insist much upon the same thing, and seem rather to have carried the
Notion on further, in the Bodies of Animals, where they call it by a new name of their own, the
Archeus. ») ; il s’agit aussi de Henry More, qui écrit par exemple dans l’Immortalitas animæ, II,
VIII , 6 (Philosophicorum Tomus alter, Londres, 1679, p. 353) : « verùm altiùs ascendemus ad
argumenta validiora ; in quibus hoc, puto, locum aliquem habere possit, Nullam nos nullius
animæ operationem immediatam usquam deprehendere, quam non ea primùm in materia exerit
majorem in modum puritatis partiúmque tenuitatis participem, quæ sequax sit ductilis ; quod in
omnibus omnino generationibus observari potest ; ubi corpus semper è tenui fluidóque liquore
organizatur, qui Plasticæ virtuti animæ cedit facillimé. Nec dubito quin ea imprimis moveat,
quippe ad movendum opportunissimas, partes subtilissimas, quales sunt illæ primi secundíque
elementi Cartesiani, quæ ex istiusmodi substantia humida ac tenui nunquam excluduntur : quæ ejus
elementa, sunt illa verè cœlestis seu ætheria materia, quæ ubique est, ut Ficinus alicubi affirmat de
cœlo, & ignis ille, quem Trismegistus [en marge : Pœmand. cap. 10. sive Clavis] ait intimum esse
mentis vehiculum, ac instrumentum quo Deus usus est in mundo fabricando, *quóque Animam
mundi, ubicunque quid agat, etiamnum uti certissimum est. » La note * (p. 355) précise : « Per
Animam Mundi intellige Spiritum Naturæ, non talem Animam Mundi qualem utplurimum fingunt
Platonici. » La théorie cudworthienne de la nature plastique suscita, comme on sait, un débat entre
P. Bayle (Continuation des pensées diverses […] sur la comète, Rotterdam, 1705, t. I, § 21,
Histoire des ouvrages des savants, art. XII , p. 380) et J. Leclerc (Bibliothèque choisie,
Amsterdam, 1703-1713, t. VI, VII et IX), le premier la critiquant, le second s’y montrant
favorable. Sur Cudworth et More, voir infra, notes 226 et 227
153. Les Principes de la nature ou de la generation des choses, Paris, 1731, pp. 92-94. La
question de la sincérité des professions de foi théistes de Colonna, et de savoir si elles cachent ou
non un matérialisme de fond, importe peu ici (sur cette question, voir J. S. Spink, op. cit.).
154. Voir B. T. Moran, The Alchemical World of the German Court, Occult philosophy and
chemical medicine in the circle of Moritz of Hessen (1572-1632), Sudhoffs Archiv, Beiheft 29,
Stuttgart, 1991, pp. 111-114.
44 Sylvain Matton
« Saint Bernard (In Cant., serm. VIII) dit : “L’industrie de la nature ne peut dormir en
nous ; assurément la nature elle-même est un grand don en nous” ; Boèce (De conso-
latione philosophiæ, III [20]) : “La nature donne à tous les êtres ce qui leur convient
et travaille à ce qu’ils ne périssent pas aussi longtemps qu’ils sont aptes à subsis-
ter”. Hugues dit : “La nature est une certaine force et puissance créatrice divinement
introduite dans les choses, qui produit les êtres les uns à partir des autres à l’intérieur
de leur genre” 155 ; Cassiodore (Epistulæ, IV, 38) : “Quand la nature lui est opposée,
toute industrie lui cède” ; saint Thomas ([Summa theologica,] 1re part., q. 29, art.
1) : “La nature fait naître toutes choses”. Zénon ([Cicéron], De natura deorum, II,
[LVII]) définit la nature “un feu artiste, qui procède méthodiquement à la généra-
tion” 156. » 157
Dans ces conditions, le feu des stoïciens n’est “divin” que dans la mesure où cette
nature créée est l’image et le symbole de Dieu, lequel n’est plus lui-même “feu” que
métaphoriquement, ainsi que l’explique Cesare Della Riviera (ca 1538-1625) 158 dans Il
magico mondo de gli heroi (Milan, 1603) 159, en s’inspirant du Settenario dell’humana
riduttione (Venise, 1571) d’Alessandro Farra (ca 1540 - ap. 1577) 160 :
155. Il s’agit probablement d’Hugues de Saint-Victor, mais nous n’avons pas retrouvé cette
définition chez ce dernier, qui, en transcrivant évidemment Cicéron, écrit par ailleurs dans ses
Eruditionis didascalicæ libri VII (I, XI « Quid sit natura », éd. Migne, P. L., CLXXVI, col. 748-
749) : « Tertia diffinitio talis est : “Natura est ignis artifex, ex quadam ut procedens in res
sensibiles procreamus.” Physici namque dicunt, omnia ex calore et humore procreari. »
156. Cf. ci-dessus, note 151.
157. Cf. Ioannis Danielis Mylii Vetterani Hassi M. C. Opus Medico-Chymicum : Continens
tres Tractatus siue Basilicas : Quorum prior inscribitur Basilica Medica. Secundus Basilica
Chymica. Tertius Basilica Philosophica, Francfort, 1618, I, f. cr : « Bernh. in Cant. Serm. 8. ait :
Naturæ industria nunquam in nobis dormitet, grande profecto in nobis donum natura ipsa est.
Boeth. de cons. lib. 3. Dat cuique natura quod conuenit : & ne (dum manere possunt) intereant,
laborat. Hugo ait : Natura creatrix est quædam vis & potentia diuinitus rebus insita, alia ex alijs in
suo genere producens. Cassiod. Epist. 38. lib. 4. repugnante natura quælibet cedit industria. B.
Thom. I. part. q. 29. art. I. Natura facit omnia nasci. Zeno lib. 2. de nat. Deorum naturam definit,
ignem artificiosum, ad gignendum progredientem via. »
158. Voir F. Picinelli, Ateneo dei letterati milanesi, p. 142, repris dans F. Argelati,
Bibliotheca scriptorum Mediolanensium…, Milan, 1745, II, p. 1232 ; L. Thorndike, A History
of Magic and Experimental Science, VII, pp. 275-276 ; F. Secret, « Notes sur quelques
alchimistes de la Renaissance », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XXXIII (1971),
pp. 626-640, ici pp. 629-632 ; L. Toth, « Avertissement pour la réédition anastatique de la
seconde version du Monde magique des héros publiée en 1971 », dans : Cesare Della Riviera, Le
Monde magique des héros, traduction de P. Pascal, Milan, 1977, pp. 23-34 ; F. Secret,
Hermétisme et Kabbale, pp. 104-107.
159. Della Riviera en donna une seconde édition (Milan, 1605) qui comporte des
remaniements stylistiques et quelques additions. J. Evola en a publié une version italienne
modernisée, Bari, 1932, où il introduit des divisions en chapitres avec des titres de son cru.
160. Cf. A. Farra, Settenario dell’humana riduttione, Venise, 1571, f. 114r (« Parte quinta.
Socrate, overo della morte, & delle mondane afflittioni ») et f. 223r (« Parte settima. Filosofia
simbolica, overo delle imprese »). Sur Farra, voir la notice de A. Pagano dans Dizionario
biografico degli italiani, XLV, Rome, 1995, pp. 171-173 ; sur les emprunts de Della Riviera à
Alchimie et stoïcisme 45
« Ce feu, pour commencer par le principe inprincipié, est chez les antiques
théologiens symbole de Dieu, grande nature incréée, indépendante et naturante, et
c’est pourquoi le même grand Dieu est appelé feu : feu — comme on lit dans
l’Exode — qui consume. Et du même Dieu eut entendement le grand mage
Zoroastre, lorsqu’il dit :
Toutes les choses sont nées du feu 161.
Il fut pareillement appelé ainsi par les kabbalistes hébreux, Platon, Hermès et
d’autres. Les anges eux aussi sont dits feux et flammes ailées. Les étoiles sont
appelées par les anciens poètes et par Platon feux éternels. De même le soleil est dit
roi des étoiles et feu éternel. Comme donc la divine nature est feu, mais feu divin, et
le céleste soleil est également feu, nature moyenne créée, et image sensible de la
première, de même la nature terrestre et naturée, provenant immédiatement de la
céleste, n’est rien d’autre que feu. Et c’est ce qu’entendit Virgile, là où il dit :
Vigueur de feu, origine céleste 162.
C’est pourquoi Héraclite d’Éphèse, Chrysippe et Hipparque de Métaponte affirmèrent
avec raison que le feu est le principe de l’être de toutes les choses. » 163
C’est encore ce qu’enseigne, mais de façon plus confuse, Guillaume Mennens dans deux
paragraphes de ses Aurei Velleris […] libri tres, paragraphes presque entièrement recopiés
sur le De harmonia mundi (Venise, 1525) de François Georges de Venise (Francesco
Giorgio ou Zorzi, 1453-1540) 164. Expliquant que les deux principes de la génération
Farra, voir S. Matton, « Alessandro Farra et l’alchimie : une source oubliée de Cesare Della
Riviera », à paraître dans Chrysopœia VI (1997).
161. Cf. É. des Places, Oracles chaldaïques. Avec un choix de commentaires anciens, Paris,
1971, fr. 10, p. 69 (éd. Kroll, De oraculis Chaldaicis, Breslau, 1894, p. 15). Cet oracle avait été
cité par Ficin dans sa Platonica theologia, II, VII, éd. Opera omnia, 1576, I, p. 100 (Paris, 1641,
p. 98, éd. R. Marcel : Marsile Ficin, Théologie platonicienne de l’immortalité des âmes, texte
critique établi et traduit par Raymond Marcel, Paris, 1964-1970, 3 vol., I, p. 92).
162. Cf. Virgile, Æneis, VI, 730.
163. Cf. Il magico mondo de gli heroi, Milan, 1603, p. 71 (Milan, 1605, pp. 72-73 ; trad.
P. Pascal, Le Monde magique des héros, pp. 142-143) : « Questo, per cominciare dal Principio
imprincipiato, appò gli antichi Theologi è simbolo di Dio, gran Natura increata, independente, e
naturante, e per questo l’istesso grande Iddio vien fuoco addimandato : Foco, come si legge
nell’Essodo, che consuma. E dell’istesso Iddio intese il gran Mago Zoroaste, mentre disse
Tutte le cose son dal foco nate.
così medesimamente egli fù chiamato da’ Cabalisti Hebrei, Platone, Hermete, & altri. Gli Angeli
ancor essi sono detti fuochi, e fiamme alate. le Stelle da gli antichi Poeti, e da Platone, sono
chiamate fuochi eterni. il Sole altresi è detto Rè delle Stelle, e sempiterno fuoco : come adunque la
diuina natura è fuoco, ma fuoco diuino, & fuoco parimente è ’l celeste Sole, Natura media creata, e
della prima imagine sensibile, così la terrena, e naturata Natura dalla celeste immediatamente
proueniente, altro non è, che fuoco ; e cioè intese Virgilio là, doue ei disse
Vigor di fuoco origine celeste.
Il perche Eraclio Efesio, Crisippo, & Hipparco Metapontino, con ragione vollero, il fuoco essere
principio dell’essere di tutte le cose. »
164. Cf. De harmonia mundi, Cant. I, ton III, cap. XVI , éd. Paris, 1545, f. 53v. Voir aussi la
traduction de Guy Le Fèvre de La Boderie, L’Harmonie du monde, divisee en trois cantiques. Œuvre
46 Sylvain Matton
corporelle que sont le feu, ou chaleur naturelle, et l’eau, correspondent aux deux principes de
la régénération spirituelle que sont l’esprit saint igné et l’eau supracéleste, Mennens écrit :
« En vérité, cette eau élémentaire est une préfiguration ou une ébauche de cette
eau divine qui jaillit dans le paradis céleste 165 , à savoir le Christ, et, par
participation, tel un petit ruisseau, sourd en nous. De même, cette chaleur céleste est
une copie ou image de la chaleur supercéleste. C’est ce que semble signifier le divin
citharède lorsqu’il dit [Ps 103, 4] : Vous faites de vos anges des vents (à savoir des
souffles d’air), et de vos ministres un feu brûlant. Dans l’archétype, ainsi que
l’attestent Empédocle, Héraclite et tous les autres sages, se trouve un feu idéal et une
lumière spirituelle, ou, comme le veut Zénon, un artiste suprême, lequel,
comprenant la totalité des puissances, sort pour former toutes choses. C’est
pourquoi le royal poète a chanté [Ps 65, 7] : Il règne éternellement par sa vertu. Et
également ailleurs [Ps 20, 14] : Levez-vous, Seigneur, dans votre force ; nous
chanterons et nous célèbrerons vos vertus. Et pareillement, à un autre endroit [Ps
150, 1-2] : Louez le Seigneur dans son sanctuaire, louez-le dans le firmament de sa
vertu. Louez-le pour ses vertus, louez-le selon l’immensité de sa grandeur.
Le philosophe Cléanthe approuve l’opinion précédente, lui qui a dit que ce feu
est incorporel, divin, salutaire, un feu qui engendre, conserve, soutient, nourrit et
fait croître 166. En Dieu, dit le Mineur François [Georges] de Venise, les éléments
sont les idées et les origines des choses qui ont été, sont et seront produites ; dans
les anges, ce sont les puissances distribuées ; dans le ciel, ce sont les vertus ; dans la
nature, ce sont les semences des choses, et dans ce monde inférieur, ce sont les
formes des corps. Car s’il n’y avait pas dans le ciel des vertus élémentaires, à savoir
celles de l’eau et du feu, comment seraient-ils engendrés par leur influence, ici, sur
terre ? » 167
singulier […] composé en latin par François Georges Venitien […], Paris, 1578, pp. 100-101.
Dans le De occulta philosophia, surtout en I, VIII (« Quomodo elementa sunt in cœlis, in stellis, in
dæmonibus, in angelis, in ipso denique deo »), Agrippa n’a pas manqué de plagier le chapitre du
Vénitien. Sur ce dernier et l’alchimie, voir F. Secret, Hermétisme et Kabbale, pp. 15-36.
165. Cf. Jean, IV, 14: qui autem biberit ex aqua, quam ego dabo ei, non sitiet in æternum :
sed aqua, cum ego dabo ei, fiet in eo fons aquæ salientis in vitam æternam.
166. Cf. Cicéron, De natura deorum, II, 23 (= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta,
I, 513).
167. Cf. Aurei Velleris […] libri tres, I, XII, Anvers, 1604, pp. 98-99 (éd. Theatrum chemi-
cum, V, pp. 343-344) : « Verùm elementaris hæc aqua præfiguratio sive rudimentum est diuinæ
illius aquæ, quæ salit in paradyso cælesti, hoc est, Christo, & per communicationem velut rivulis
[sic] exilit in nobis. Itidem calor ille cælestis, exemplar est sive specimen supercælestis. Quod
significare videtur diuinus Citharœdus, cum ait : Qui facit angelos suos spiritus, nempe aëreos, &
ministros suos ignem vrentem. In archetypo, vt testantur Empedocles, Heraclitus, ac cæteri sa-
pientes, est ignis idealis ac spiritualis lux, aut vt Zenon vult, aristotechnis, qui exit ad forman-
dum res omnes complectens virtutes vniuersas. Quamobrem cecinit Vates Regius : Qui dominatur
in virtute sua in æternum. Item alibi : Exaltare Domine in virtute tua, cantabimus & psallemus
virtutes tuas. Similiter alio passu : Laudate Dominum in Sanctis eius, laudate eum in firmamento
Alchimie et stoïcisme 47
virtutis eius. Laudate eum <in> virtutibus eius, laudate eum secundum multitudinem magnitudinis
eius. / Prædictæ sententiæ assentitur Cleanthes Philosophus, qui dixit hunc ignem esse
incorporalem [corporalem Theatrum chemicum], diuinum, vitalem, salutarem, qui generat,
conservat, sustinet, nutrit, & augmentat. In Deo, inquit Franciscus Venetus Minorita, elementa
sunt ideæ atque origines rerum, quæ productæ sunt, quæ producuntur, & quæ producentur : in
angelis potestates sunt distributæ, in cælo sunt virtutes, in natura sunt semina rerum, ac in mundo
hoc inferiori sunt formæ corporeæ. Quod si non essent virtutes elementares in cælo, aquæ
videlicet & ignis, quomodo generarentur hîc per influentiam ipsorum in terris. »
168. Voir U. Bonanate, Charles Blount, Libertinismo e deismo nel seicento Inglese,
Florence, 1972.
169. Cf. Anima Mundi…, Londres, 1679, XIX, p. 63 : « But to return to Anima Mundi : The
dullest sort of the Vulgar People used this word Soul, as we do that of Materia Prima, or the
Philosophers-Stone ; they thought it be some strange excellent Thing, but had no particular
formd Notion thereof : »
170. De tels amalgames de doctrines philosophiques diverses ne sont évidemment pas pro-
pres aux alchimistes, lesquels pouvaient les tirer de la littérature philosophique. Ainsi dans sa
Philosophia pyrotechnica seu cursus chymiatricus, II, XVIII (« De principiis seu elementis in
specie, & primò de Sale »), Davisson écrit (p. 449) : « Mais pour que des allégories et du sens
mystique nous accédions à une véritable investigation de sa nature, il nous faudra poser quelques
fondements pouvant illustrer la nature du ciel et par conséquent du feu. Tout d’abord nous
utiliserons en cette partie les œuvres de Piccolomini, qui écrit au chapitre II de son traité du ciel :
“En recherchant la nature des choses, les plus anciens philosophes ont jugé de celles qui sont
distantes des sens par celles qui leur sont plus proches. Du fait que tout ce qui se présente devant
nos yeux est soit l’un des quatre éléments, soit un mixte de ces quatre éléments, ils ont jugé que le
ciel était aussi de même nature. C’est pourquoi Empédocle pensait qu’il était composé des quatre
éléments ; Démocrite, Leucippe et Épicure estimèrent qu’il se compose d’atomes s’accordant
surtout avec la nature du feu ; Diogène [d’Apollonie] disait qu’il est un air raréfié ; Pythagore,
Héraclite, la suite des Stoïciens soutenaient qu’il est un feu, et Plotin dans son livre du ciel,
confirme, en suivant l’avis de Platon, que le ciel est un feu.” » (« Sed vt ab allegoriis & mystico
sensu ad veram eius naturæ inquisitionem accedamus, ponenda erunt aliquot fundamenta, quæ cæli
48 Sylvain Matton
naturam, & proinde ignem illustrare possunt. Primumque vtemur in hac parte opera Picolominei,
qui libro de cœlo, cap. 2. Vetustiores, inquit, Philosophi, naturam rerum indagantes, & per ea quæ
sensibus proximiora sunt, distantia sensibus mesurantes, quoniam cuncta quæ ante oculos
versantur, vel sunt vnum ex quatuor elementis, vel aliquid ex iis mixtum, ideo cælum quoque
eiusdem naturæ existimarunt. Propterea Empedocles ex quatuor elementis constare censuit.
Democritus, Leucippus, & Epicurus, existimarunt constare ex atomis, præsertim naturæ ignis
congruentibus. Ægyptij aquam, & humorem concretum id esse affirmarunt. Diogenes aërem
attenuatum, Pythagoras, Heraclitus, Stoicorum series dixere ignem. Plotinus, in libro de cælo, ex
sententia Platonis, cælum esse ignem confirmat. »)
171. Voir Philosophia reformata, Francfort, 1622, p. 171. Voir aussi L. Thorndike, A
History of Magic and Experimental Science, VII, p. 177 ; B. T. Moran, The Alchemical World
of the German Court…, p. 113.
172. Voir S. Matton, « Marsile Ficin et l’alchimie… », pp. 175-178, et « Alessandro Farra
et l’alchimie : une source oubliée de Cesare Della Riviera ».
173. Mennens fait aussi un large usage des Interpretationes in selectiora cabalistarum
dogmata, ex commentationibus Ioannis Pici Mirandulani excerpta d’Archangelus de Burgonovo
(qui lui-même pilla Georges de Venise) ; voir Aurei Velleris […] libri tres, pp. 110, 127, 131,
147 (éd. Theatrum chemicum, pp. 355, 372, 377, 392). Mennens a lu dans le recueil de Pistorius
le traité d’Archangelus de Burgonovo, avec ceux de Reuchlin (voir pp. 81, 147, 162, éd.
Theatrum chemicum, pp. 326, 392, 407) et de Léon l’Hébreu (voir p. 129, éd. Theatrum
chemicum, p. 374).
174. B. Hauréau, article cité supra note 99.
175. Voir supra note 145.
176. Voir, par exemple, Philosophia pyrotechnica seu cursus chymiatricus, pp. 159 et 300
(« vt Marsilius Ficinus pluribus docet lib. 4. Theologiæ Platonicorum ») ; Commentariorum In
[…] Petri Severini Dani Ideam Medicinæ philosophicæ, éd. cit., pp. 75, 92, 96, 97, 142.
177. Voir, par exemple, Philosophia pyrotechnica seu cursus chymiatricus, p. 40 : « D e
hac [Dei] vnitate legantur plura apud Picum Mirandulanum, tractatu de vno & ente. » (= Les
Elemens de la philosophie de l'art du feu ou chemie, Paris, 1651, p. 86 : « De cette vnité vous
trouuerez dauantage chez Pic de la Mirande dans son traicté de l’vn & de l’estre. »)
178. Voir id., p. 299.
179. Voir Commentariorum In […] Petri Severini Dani Ideam Medicinæ philosophicæ, éd.
cit., pp. 75 et 142.
Alchimie et stoïcisme 49
180. Cf. Les Elemens de la philosophie de l'art du feu ou chemie, Paris, 1651, p. 17 : « dans
ce petit Volume [l’Idea medicinæ philosophiæ] il [Severinus] a compris la Philosophie de Platon,
Procle, Plotinus, de tous les Platoniciens & Cabalistes, & les a reconciliez à la Philosophie qu’il
a grandement illustrée, accommodant autant que la verité le luy a peu permettre, les sentimens de
Galien, d’Aristote & d’Hippocrate. » Et, id., p. 19 : « C’est donc à tort que quelques-vns placent
les Chemiques parmy les ignorants, puisque pour acquerir la cognoissance de la Medecine
vulgaire, il falloit auoir la cognoissance de bel art, il falloit estre versé dans les Platoniciens &
Cabalistes, estre instruit en la science des nombres, en l’Astrologie & Astronomie celeste &
elementaire. »
Sur Severinus, voir la notice d’A. G. Debus dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of Scien-
tific Biography, XII, New York, 1975, pp. 334-336 ; à bibliographie à compléter par
E. Bastholm, « Petrus Severinus », Acta Historica scientiarum naturalium et medicinalium,
XXXII (1979) ; M. L. Bianchi, « Occulto e manifesto nella medicina del Rinascimento : Jean
Fernel e Pietro Severino », dans Atti e memorie dell’Accademia Toscana di Scienze e Lettere, La
Colombaria XLVII, Nuova Serie XXXIII, Florence, 1982, pp. 185-248 ; J. Shackelford,
« Paracelsian and Patronage in Early Modern Denmark », dans : B. T. Moran (éd.), Patronage and
Institutions : Science, Technology, and Medicine at the European Court 1500-1750, Rochester,
1991, pp. 85-109 ; O. P. Grell, « The reception of Paracelsianism in early modern Lutheran
Denmark : From Peter Severinus, the Dane, to Ole Worm », Medical History, XXXIX (1995),
pp. 78-94 ; J. Shackelford, « Early reception of Paracelsian theory : Severinus and Erastus »,
Sixteenth Century Journal, XXVI (1995), pp. 123-135.
181. Dissertationes ad Stoicæ Philosophiæ et cæteram Philosophicam Historiam facientes
argumenti varii […], Leipzig, 1682, « Dissertatio XIV, ad Thes. XII. vv. Stoicus Deus forma
Mundi informans », p. 182 :
« §. 19. Fecerunt idem [= non dubitabant Deum vocare Animam Mundi] è Schola Platonis
Academici, fateor : neque hoc latuit Lipsium dictâ dissert. 7. p. 16. Sed cave putes, sub iisdem
verbis eandem esse utriusqve sectæ sententiam. Observavit discrimen amiciss. Francus Disp. II.
de Fato c. 2. §. 17.
§. 20. Nos hîc ipsius Lipsii confessionem, qvæ legitur lib. II. Diss. 10. p. 78 :
adscribemus : Hoc diversum à Platonicis nostri habent, etsi audita sententia, non explorata,
imponat. Nam utrique animam Mundo tribuunt, sed diverso paullùm sensu. Plato Mundi animam
ex Deo natam vult : nostri Deum ipsam esse. Illi qvoqve Deum, sed secundarium qvendam, nec
primum & Patrem. Rectè omnia, nisi qvòd sensum utriusqve Philosophiæ non paullùm, sed verò
multùm, imò plurimùm differre profitendum fuerat.
§. 21. Certum hoc interim, Mundanam Animam Stoicis Deum ipsum supremum fuisse,
Platoni Numinis hujus, Mundum extrà se conditurientis, ut è Timæo f. 1049. 1050. cognoscimus,
50 Sylvain Matton
progeniem seu effectum. Discrimen utriusqve Sectæ observavit & Piccolom. c. 29. de Mundo
p. 627. 628.
§. 22. Qvare non probo Lud. Vivem, ad August. IV. de C. D. 11. f. 241. ita commentantem :
Stoici cum Platone Deum qvidem Mentem esse dicunt, sed non utentem Mundo pro corpore.
Mundum ipsum Deum esse, habereqve & Mentem & Animam, sed aliam, qvàm sit ipse Deus. In
his paucis verbis ter peccat Hispanorum doctissimus. Primùm qvòd putat, Stoicos hîc cum
Platone sensisse. Deinde qvòd Stoicum Deum negat uti Mundo pro corpore. Tertiò qvòd iisdem
Stoicis animam Mundi aliud qvid ait fuisse, qvàm ipsum Deum, puta summum. Postremum hoc
non Stoicorum Philosophia est, sed Platonis ; cui, ut modò dixi, anima Mundi erat primi Dei
effectus. »
Pour la position de Lipse, voir J. Lagrée, Juste Lipse et la restauration du stoïcisme, pp. 51-
56.
182. Platonica theologia, IV, I , éd. Opera omnia, Bâle, 1576, I, p. 130 (Paris, 1641,
p. 127, éd. R. Marcel, I, p. 163) : « Augustinus Aurelius in Enchiridion, & Thomas Aquinas in
libro contra Gentiles secundo, tradunt, nihil quantum ad Christianam doctrinam spectat, interesse
cœlestia corpora animas habere uel non habere. »
183. Cf. id., éd. Opera omnia, éd. Bâle, 1576, I, p. 131 (Paris, 1641, p. 128, éd. R. Marcel,
I, p. 165) : « Quamobrem tres rationalium animarum gradus collogimus. In primo fit anima
mundi una. In secundo duodecim sphærarum animæ duodecim. In tertio animæ multæ, quæ in
sphæris singulis continentur. Hæc omnia quæ ad sphærarum animas pertinent, ex Platonicorum
opinione narrata, tunc demum affirmentur, cum Christianorum Theologorum concilio diligenter
examinata placuerint. »
184. Cf. Retractationes, I, XI , 4 : « Sed animal esse istum mundum, sicut Plato sensit, alii-
que philosophi quamplurimi, nec ratione certa indagare potui, nec diuinarum scripturarum auctori-
tate persuaderi posse cognoui. Unde tale aliquid a me dictum quo id accipi possit, etiam in libro de
immortalitate animae temere dictum notaui, non quia hoc falsum esse confirmo, sed quia nec
uerum esse comprehendo, quod sit animal mundus. » Sur cette question, voir V. J. Bourke, « St.
Augustine and the cosmic soul », Giornale di metafisica, IX (1954), pp. 431-440 ; voir aussi
G. Verbeke, The Presence of Stoicism in Medieval Thought, p. 29.
185. Voir R. Arnou, « Le Platonisme des Pères », dans : A. Vacant et E. Mangenot (éd.),
Dictionnaire de théologie catholique, Paris, 1899-1972, XII, col. 2322-2338.
Alchimie et stoïcisme 51
l’Âge classique ne condamnèrent-ils pas comme contraire à la foi la thèse d’une âme du
monde créée, lors même qu’ils rejetaient pour leur part son existence, ce qu’ils firent dans
leur immense majorité. De fait, même parmi les théologiens platonisants du Moyen Âge
— y compris les maîtres de l’école de Chartres — 186 qui, à partir du Timée 187, de son
commentaire par Calcidius, de l’In somnium Scipionis (I, 15) de Macrobe et du D e
consolatione philosophiae (III, IX) de Boèce, mais aussi d’écrits augustiniens aujourd’hui
reconnus comme apocryphes, tel que le Sermo CLVII in vigilia Paschae (I, 3) 188, et enfin
de la tradition arabe, en particulier d’Avicenne 189, se livrèrent à des spéculations sur l’âme
du monde, beaucoup ne reconnurent pas l’existence d’une véritable âme du monde dans la
mesure où ils identifiaient cette dernière à Dieu. Ce fut en particulier le cas du chartrain
Guillaume de Conches (1080-1145) 190, dont le Dragmaticon fut édité à Strasbourg en
1567 191 par l’éditeur du recueil Veræ alchemiæ […] doctrina (Bâle, 1561), Guglielmo
Grataroli (1516-1568) 192, et dont les ouvrages où il traite de l’âme du monde furent égale-
ment imprimés à la Renaissance 193 , bien que ce ne fût pas sous son nom : sa Mundi
constitutio fut attribuée à Bède le Vénérable dans l’édition des Opera de Bède que Johann
Herwagen (Hervagius, 1497-1564) 194, l’ami d’Érasme, publia sur ses presses, à Bâle, en
1563 195 , et à laquelle contribua Jacques de Pamele (Pamelius, 1536-1587) 196 ; sa
186. Voir L. Ott, « Die platonische Weltseele in der Theologie der Frühscholastik », dans :
Parusia. Studien zur Philosophie Platons und zur Problemgeschichte des Platonismus. Festgabe
für Johannes Hirschberger, Francfort, 1965, pp. 307-331.
187. Voir T. Gregory, Platonismo medievale. Studi e ricerche, Rome, 1958, cap. IV (« Il
Timeo e i problemi del platonismo medievale »), pp. 53-150.
188. Voir G. Verbeke, L’Évolution de la doctrine du pneuma…, pp. 496-497.
189. Pour la théorie de l’âme du monde chez les arabes, voir F. Dieterici, Die Lehre von der
Weltseele bei den Arabern im X. Jahrhundert, Leipzig, 1872.
190. Voir T. Gregory, Anima mundi. La filosofia di Guglielmo di Conches e la scuola di
Chartres, Florence, s. d.
191. Sous le titre Dialogus de substantiis physicis ante annos ducentos confectus a
Vuilhelmo Aneponymo Philosopho. Voir T. Gregory, Anima mundi, p. 9.
192. Sur G. Grataroli, cf. G. B. Gallizioli, Della vita, degli studi, e degli scritti di Guglielmo
Grataroli filosofo e medico, Bergame, 1788 ; D. Cantimori, Eretici italiani del Cinquecento, Flo-
rence, 1939 (rééd. Turin, 1992) passim ; L. Thorndike, A History of Magic and Experimental
Science, V, pp. 600-616 ; G. Jüttner, Wilhelm Gratarolus. Benedikt Aretius. Naturwissenschaft-
liche Beziehungen der Universität Marburg zur Schweiz im 16. Jahrhundert, Marburg, 1969.
193. Voir T. Gregory, Anima mundi, p. 5.
194. Voir la notice de P. G. Bietenholz dans : P. G. Bietenholz et Th. B. Deutscher (éd.),
Contemporaries of Erasmus. A Biographical Register of the Renaissance and Reformation,
Toronto – Buffalo – Londres, 3 vol., 1985-1987, II, pp. 186-187. Mais P. G. Bietenholz fait
mourir Herwagen avant le 31 janvier 1559.
195. Opera Bedæ Venerabilis presbyteri, Anglosaxonis, Bâle, 1563, 8 vol. (réédition
Cologne, 1612). En 1544 le juriste François Jamet avait donné, à Paris, des Opera de Bède en 3
volumes, mais les traités apocryphes de Bède n’y figurent pas.
196. Voir la notice de A.-C. De Schrevel dans Biographie nationale, publiée par l’Académie
royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, XVI, Bruxelles, 1901, col. 528-
542. La contribution de Pamelius à l’édition des Opera de Bède a été oubliée par De Schrevel.
52 Sylvain Matton
Philosophia fut aussi attribuée à Bède, sous le titre R|ƒ® {ß{`∂|›µ sive elementorum
philosophiæ libri quatuor 197, mais également à Guillaume de Hirschau, sous le titre
Philosophicarum et astronomicarum institutionum (Bâle, 1531) 198, et à Honorius d’Autun,
dont sept traités furent publiés également à Bâle, en 1544 199, par l’humaniste Joannes
Basilius Herold, dit Acropolitanus (1511 - ap. 1581) 200, lequel nous apprend dans sa préface
dédicatoire qu’un manuscrit lui fut communiqué par Gilbert Cousin (Cognatus, 1506-
1572) 201, le secrétaire d’Érasme 202. Dans la Philosophia, son premier ouvrage systématique,
Guillaume de Conches rappelle donc que par âme du monde certains entendent « le Saint-
Esprit », d’autres « une force vitale naturelle placée par Dieu dans les choses », d’autres
encore « une certaine substance incorporelle qui se trouve tout entière dans chaque corps,
bien que, en raison de la lenteur de certains corps, elle n’opère pas de la même manière en
tous » 203. Or c’est bien à l’identification de l’âme du monde au Saint-Esprit que souscrivit
longtemps Guillaume de Conches, comme le firent aussi Théodoric de Chartres dans son De
sex dierum operibus 204 ou Arnaud, abbé de Bonneval, dans son Liber de cardinalibus
operibus Christi 205 ; et quand Guillaume de Conches renonça à cette identification 206, ce ne
fut pas pour adopter l’une des deux autres définitions de l’âme du monde en les entendant de
telle sorte qu’elles impliquent une âme du monde distincte de Dieu, conception que, dans sa
Mundi constitutio, il met prudemment dans la bouche d’autrui 207.
Quant à Pierre Abélard (1079-1142) — dont Jakob Thomasius, dans une dissertation de
1663, An Gentiles in Anima Mundi agnoverint Spiritum sanctum ?, a prétendu que Robert
Fludd (1574-1637) 208 était sur ce point le rénovateur 209 —, sa position est en fait très
proche de celle de Guillaume de Conches. En effet, contrairement à ce qu’affirment les
articles 2 (« Le Saint Esprit n’est pas de la substance du Père ou du Fils ») et 3 (« Le Saint
Esprit est l’âme du monde ») de sa condamnation par le concile de Sens en 1141 210, Abélard
207. Cf. Mundi constitutio, chap. « De anima mundi », éd. dans Bède le Vénérable, Opera,
Bâle, 1563, I, p. 397 (éd. Cologne, 1612, I, p. 340 ; Migne, P.L., XC, col. 902-903) : « Dicunt
etiam quidam unam tantùm esse animam, id mundanam : quæ omnia in animum & conformes
unicuique rei uires pro sua habilitate, sicut stellis rationem, hominibus quos in caducis rebus
inuenit habere sphæricum caput, & erectam faciem, rationem quoque infudit, & sensualitatem
sicut diuinis corporibus, licet præ nimia contemplatione diuina animalia sensualitatem non
exerceant. Cæteris animantibus sensum & uegetationem. Arboribus & herbis tantummodo
uegetationem : & sicut unus uultus in pluribus speculis : & in uno speculo plures uultus apparent,
ita una anima in pluribus rebus : & ubique omnes uires suas habet, licet in diuersis habeat
exercitium pro habilitate corporum. Secundum quam sententiam nullus homo uidetur esse peior
alio, quia una eademque anima bona & immaculata in sui natura est in omnibus corporibus : sed
dicitur magis degenerare in uno quàm in alio, utpote consensualitas dominatur rationi, quia in
cuiuscunque corpore sit, illud corpus est infernus animæ. secundum hanc quoque sententiam nullus
homo moritur, ita quòd patiatur separationem animæ, quamquam separatur à quatuor elementis,
inque omnia corpora resoluuntur : sed tunc dicitur mori, cùm in illis anima relinquit priorum
uirium exercitium. Præterea dicunt quidam, eandem mundanam animam pariter cum humana anima
esse in homine, de qua uermes uiuificentur, sic´que hominem duas animas asserunt habere. » Cité
par T. Gregory, Anima mundi…, pp. 154-156. Sur ce traité voir aussi P. Duhem, Le Système du
m o n d e , III, Paris, 1915, pp. 76 sqq. ; E. Garin, « Contributi alla storia del platonismo
medievale », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, XX (1951), pp. 67 sqq.
208. Voir la bibliographie détaillée donnée par J. Godwin, Robert Fludd, Londres, 1979
(trad. française, Paris, 1980), à compléter notamment par A. G. Debus, Chemistry, Alchemy and
the New Philosophy, 1550-1700, Londres, 1987, et W. H. Huffman, Robert Fludd and the End of
the Renaissance, Londres – New York, 1988.
209. Cf. « An Gentiles in Anima Mundi agnoverint Spiritum sanctum ? Præscriptum Oratio-
ni, Quam Anno 1663. d. 6. Jun. pridie Pentecostes habuit Michael Sipsius, Lipsiensis, De Co-
lumbâ Pentecostali », dans Dissertationes LXIII. varii argumenti magnam partem ad historiam
philosophicam et ecclesiasticam pertinentes, Halle, 1693, pp. 347-363, ici p. 361 : « Qvod in
Petro certè Abaëlardo evenit, cui cum alia, tum hoc etiam exprobrat Bernhardus, qvòd Spiritum S.
dixerit esse animam mundi, ethnicum se probans, (hæc devoti Abbatis censura est,) dum multum
sudat, qvomodo Platonem faciat Christianum. Hic est Abaëlardus, Præceptor Petri Lombardi,
meritus, ut ab ejus maximè tempore initia fædatæ per secularem Philosophiam sacræ Theologiæ
duceret Trithemius. Improbatum in Abaëlardo dogma nostro ævo Robertus Fluddus renovavit,
asserens, Animam Mundi Deum sse, aut Spiritum Sanctum ( f ). » La note ( f ) indique : « Teste
Franc. Lanovio ap. Gassend. Tom. III. Oper. f. 267) ». Thomasius est certainement la source de
J. L. Mosheim, qui ajoute Paracelse et les Rose-Croix à Fludd dans le commentaire de sa
traduction de Cudworth (Systema intellectuale huius universi…, Iéna, 1733, p. 659).
210. Cf. Ch. Du Plessis d’Argentré, Collectio judiciorum de novis erroribus…, t. I, Paris,
1728, p. 21, et J. D. Mansi, Sacrorum consiliorum nova et amplissima collectio, XXI, Venise,
54 Sylvain Matton
ne défendit pas l’existence d’une âme du monde distincte de Dieu 211 : dans son De unitate et
trinitate divina 212, comme dans sa Theologia Christiana (ca 1123/25) 213, il s’appuie
seulement sur la théorie de l’âme du monde pour montrer que Platon et les Anciens avaient
eu une certaine intuition du Saint-Esprit, démonstration qui s’appuie elle-même sur une
théorie de l’involucrum interdisant de prendre à la lettre les discours des philosophes
antiques sur l’âme du monde 214. D’ailleurs, dans la révision de sa Dialectica, Abélard rejette
ouvertement la théorie du monde « animal immense, vivant d’une âme divine » 215.
Cette circonspection des théologiens platonisants dans l’affirmation de l’existence d’une
âme du monde eut pour pendant celle des anti-platoniciens dans leur négation de cette âme.
Pour ne prendre que quelques exemples dans un milieu peu suspect d’une excessive
complaisance envers le platonisme, celui de la Compagnie de Jésus au dernier quart du XVIe
siècle 216, ce fut la position de Benito Pereyra (Pereirus, 1535-1610) 217 qui, dans ses De
communibus omnium rerum naturalium principiis et affectionibus libri XV, qui plurimum
conferunt ad eos octo libros Aristotelis qui de Physico auditu inscribuntur intelligendos
(Rome, 1562), ne paraît pas tenir pour absurde ni scandaleuse l’idée platonicienne d’une
1776, col. 568 : « 2. Quod Spiritus sanctus non sit de substantia Patris aut Filii. / 3. Quod
Spiritus sanctus sit anima mundi ». On sait que cet article 3, qui ne figure pas dans la liste des
articles condamnés publiée par François d’Amboise, Præfatio apologetica, n’est pas examiné par
Abélard dans sa rétractation (voir E. Portalié, « Abélard », dans : A. Vacant et E. Mangenot (éd.),
Dictionnaire de théologie catholique, I, col. 44.).
211. Voir Ch. de Rémusat, Abélard, Paris, 1845, II, p. 388 ; abbé Vacandard, Abélard, sa
lutte avec saint Bernard, sa doctrine, sa méthode, Paris, 1881, pp. 235-236 : « Sa doctrine de la
Trinité platonicienne et de l’âme du monde personnifiée dans le Saint-Esprit, prise en toute
rigueur, est l’expression la plus pure du panthéisme. Ce serait cependant lui faire injure que de
l’accuser d’avoir soutenu formellement cette grossière hérésie. Son dessein était d’adapter une
théorie philosophique au dogme catholique, et de chercher dans l’antiquité païenne des images,
des emblèmes et même une connaissance voilée de nos mystères. » ; T. Gregory, « Abelard et
Platon », dans : E. M. Buytaert (éd.), Peter Abelard. Proceedings of the International Conference,
Louvain, May 10-12, 1971, Louvain – La Hague, 1974, pp. 38-64, ici pp. 50 sqq.
212. Voir éd. Stolzle, p. 10.
213. Voir Theologia Christiana, I, 68-136, éd. E. M. Buytaert, Petri Abaelardi opera
theologica, II : Theologia christiana. Theologia scholarium. Recensiones breuiores, Corpus
christianorum. Continuatio Mediaeualis, XII, Turnhout, 1969, pp. 100-131 (éd. Migne, P. L.,
CLXXVIII, col. 1144-1166).
214. Cf. Theologia christiana, I, 106, éd. Buytaert, p. 116 : « Clarum est ea quæ a
philosophis de anima mundi dicuntur, per involucrum accipienda esse. Alioquin summum philo-
sophorum Platonum, summum stultorum esse deprehenderemus ». Texte cité par T. Gregory,
« Abelard et Platon », p. 51.
215. Voir E. Portalié, « Abélard », art. cit., col. 46.
216. Voir S. Matton, « Quelques figures de l’antiplatonisme de la Renaissance à l’âge
classique », dans : M. Dixaut (éd.), Contre Platon, I : le platonisme dévoilé, Paris, 1993,
pp. 357-413, ici pp. 401-408.
217. Voir la notice de J.-P. Grausen dans : A. Vacant et E. Mangenot (éd.), Dictionnaire de
théologie catholique, Paris, 1899-1972, XII, col. 1217 ; G. Santinello (éd.), Storia delle storie
generali della filosofia, I. Dalle origini rinascimentali alla “historia philosophica”, Brescia,
1981, pp. 90-93 (art. de I. Tolomio) ; Ch. Schmitt et Q. Skinner (éd.), The Cambridge History of
Renaissance Philosophy, Cambridge, 1988, pp. 606-609, 798-799 et notice p. 830.
Alchimie et stoïcisme 55
âme du monde, même s’il la repousse 218. Ce fut aussi celle d’un ami du futur cardinal
Bellarmin, Giovan Battista Crispo († ca 1595) 219, lequel n’appartenait pas à la Compagnie
mais dont le De ethnicis philosophis caute legendis (Rome, 1594) fut loué et utilisé par
Antonio Possevino (1534-1611) dans sa Bibliotheca selecta de ratione studiorum (Rome,
1593), ouvrage qui servit lui-même de référence pour l’élaboration de l’enseignement reçu et
dispensé par les jésuites : si Crispo souligne le caractère théologiquement hétérodoxe de la
doctrine platonicienne qui fait de l’âme humaine une partie de l’âme du monde dès lors que
l’on assimile à Dieu cette âme du monde 220, il ne se prononce en revanche pas sur la
doctrine de l’âme du monde conçue comme distincte de Dieu.
Il en alla pareillement dans les milieux de la Réforme. Témoin le pasteur luthérien et
professeur extraordinaire de théologie à Leipzig, August Pfeiffer (1640-1698) 221. Dans ses
Dubia vexata Scripturæ sacræ (Leipzig et Francfort, 1685), s’interrogeant sur la nature de
l’Esprit de Dieu qui, selon Genèse I, 2, reposait sur les eaux, Pfeiffer mentionne entre
autres interprétations dont aucune apparemment ne lui semble scandaleuse, celle de Jan
Amos Comenius (Komenský, 1592-1670) 222 dans sa Physicæ ad lumen divinum reformatæ
synopsis (Amsterdam, 1643) 223 et d’Oswald Croll (Crollius, ca 1560-1609) 224 dans sa
Basilica chymica (Francfort, 1609), l’un et l’autre voulant que cet esprit soit « l’esprit vital
du monde », interprétation qui a été réfutée, précise Pfeiffer, par Henricus Kippingus dans sa
De Creatione exercitatio 225.
Même au siècle des Lumières où, davantage par réaction aux thèses des libres penseurs
matérialistes qui se réapproprièrent le spiritus mundi des alchimistes 226, plutôt qu’aux
spéculations des rénovateurs du platonisme comme Henry More (1614-1687) 227 et Ralph
Cudworth (1617-1688) 228, des théologiens, tel l’abbé Bergier (1718-1790) dans son
Dictionnaire de théologie (Paris, 1778), s’élevèrent violemment contre la théorie de l’âme
du monde, ce sont toujours les doctrines — qualifiées de pythagoriciennes aussi bien que de
stoïciennes — ramenant Dieu à l’âme du monde qui sont visées 229.
siècle en France », dans : J.-C. Margolin et S. Matton (éd.), Alchimie et philosophie à la Re-
naissance, pp. 435-462.
227. Voir S. Hutton (éd.), Henry More (1614-1687), Tercentenary Studies, Archives inter-
nationales d’histoire des idées, 127, Dordrecht – Boston – Londres, 1990, spéc. pp. 219-246 :
R. Crocker, « A bibliography of Henry More ».
228. Voir J. A. Passmore, Ralph Cudworth, Cambridge 1951 (rééd. Bristol, 1990) ;
L. Gysi, Platonism and Cartesianism in the Works of Ralph Cudworth, Berne, 1962 ;
J. Jacquot, « Le platonisme de Cudworth », Revue philosophique de la France et de l’étranger,
LXXXIX (1964), pp. 29-44. Sur l’âme du monde chez Henry More et Ralph Cudworth, voir
notamment D. P. Walker, Il concetto di spirito o anima in Henry More e Ralph Cudworth,
Lezioni della Scuola di studi superiori in Napoli, 5, Naples, 1986.
229. Voir abbé N. S. Bergier Dictionnaire de théologie, s. v. « âme » (éd. Paris, 1828, I,
pp. 95-97).
230. Voir J. F. A. Gillet, Crato von Crafftheim und seine Freunde. Ein Beitrag zur Kirchen-
geschichte, Francfort, 1860 ; sur les rapports de Crato et des antiparacelsiens, voir, pour Ges-
sner, C. Gilly, « “Theophrastia Sancta”. Der Paracelsismus als Religion im Streit mit den offi-
ziellen Kirchen » dans : J. Telle (éd.), Analecta Paracelsica. Studien zum Nachleben Theophrast
von Hohenheims im deutschen Kulturgebiet der frühen Neuzeit, Heidelberger Studien zur Natur-
kunde der frühen Neuzeit, 4, Stuttgart, 1994, ici pp. 430-431 ; pour Th. Éraste, Ch. D. Gunnoe,
Jr., « Thomas Erastus and his Circle of Anti-Paracelsians », ibid., pp. 127-148, ici pp. 135-
136 et 141-142.
231. Jeu de mot probable sur Tartareus qui peut aussi bien signifier “du Tartare” (“tartaréen”)
que “du tartre” (“tartareuse”), ce qui pourrait ainsi être une allusion au De tartaro de Paracelse, qui
fut édité par Adam de Bodenstein (voir ci-dessus p. 14).
58 Sylvain Matton
rien dire de leur affreuse impiété — qu’ils révèlent par des signes parfaitement clairs
quand ils imaginent que le Fils de Dieu sauveur du genre humain est l’esprit du
monde et de notre corps, et lorsqu’ils s’efforcent de dissimuler leur arianisme derrière
je ne sais quelle philosophie platonicienne —, je ne puis taire le fait que ce qu’ils
racontent publiquement en recommandant leurs médecines célestes témoigne de leur
manifeste ignorance non pas simplement des mots, mais des réalités mêmes, et que
tous ceux qui sont expérimentés dans les distillations chimiques voient bien qu’ils
disent et enseignent des choses non seulement inventées et fausses, mais encore
pernicieuses et funestes. » 232
Le caractère vague et par trop général de cette accusion lui fait toutefois perdre sa
portée : on aimerait savoir à quels alchimistes ou iatrochimistes exactement songeait Crato
en la lançant, car tant s’en faut qu’il ait été fréquent chez les alchimistes partisans de l’esprit
du monde d’identifier cet esprit avec le Verbe ou le Saint-Esprit. En témoigne la Religio
medici (1642/43) de Thomas Browne (1605-1682) 233, qui avouait avoir quelque lumière sur
la pierre philosophale 234, même s’il doutait qu’elle ait jamais été obtenue par quiconque 235
232. Cf. Iohannis Cratonis Wratislaviensis in Cl. Galeni divinos libros methodi therapeu-
tices Perioche methodica, in qua perspicua brevitate obscura explicata esse et quæ reprehen-
sionem habuerunt confirmata videbit lector, Bâle, 1563, Epistola dedicatoria, f. *[6]v : « Tene-
brarum certè tempora nunc ingruunt, in quibus Tartaream medicinam quidam nouis inuolutam
præstigijs, verborumque vanitatibus, quæ Alchymisticum barbaricumque cœnum redolent,
implicant, ita vt «≤∑…|§µ∑® potius quam medici, non tam ex Heracliti schola, quam ex fumis
Alchymicis, quos magno studio vendunt, infeliciter conflati videantur. Nam, vt de nefaria illorum
impietate, quam minimè obscuris indicijs produnt, dum filium Dei «›…ïƒ` generis humani
spiritum mundi atque corporis nostri fingunt, & Arrianismum suum, nescio qua Platonica
philosophia occultare conantur, nihil dicam : illud reticere nequeo, eas ipsas res, quas iactitant,
dum cœlestes suas medicinas prædicant, illorum manifestam ignorationem non modò
vocabulorum, sed rerum ipsarum prodere, omnesque qui distillationum chymicarum periti sunt,
videre, quàm non modò conficta & falsa, verùm perniciosa & pestifera dicant atque doceant. »
Texte cité par A. Rotondò, Studi e ricerche di storia ereticale italiana del Cinquecento, Turin,
1974, p. 366 (le texte de Crato y est défiguré par des fautes d’impression). Je remercie A.
Perifano de m’avoir signalé ce passage de Rotondò.
233. Voir A. Mothu, notice « Browne, Thomas » dans : A. Jacob (éd.), Encyclopédie philo-
sophique universelle : III, Les Œuvres philosophiques, dictionnaire, dirigé par J.-F. Mattéi, t. 1,
pp. 1008-1009 ; « La Religio medici en français », La Lettre Clandestine, V (1996), pp. 57-71.
234. Religio medici, XXXIX , éd. N. Endicott, The Prose of Sir Thomas Browne, New York /
Londres, 1968, p. 47 : « The smattering I have of the Philosophers stone, (which is something
more than the perfect exaltation of gold) hath taught me a great deale of Divinity, and instructed
my beliefe, how that immortall spirit and incorruptible substance of my soule may lye obscure,
and sleepe a while within this house of flesh. Those strange and mysticall transmigrations that I
have observed in Silkewormes, turn’d my Philosophy into Divinity. There is in these workes of
nature, which seeme to puzle reason, something Divine, and hath more in it than the eye of a
common spectator doth discover. » Le manuscrit Pembroke ajoute (éd. N. Endicott, ibid.) : « I
have therefore forsaken those strict definitions of death, by privation of life, extinction of
naturall heate, separation, etc. of soule and body, and have fram’d one in an hermeticall way unto
mine owne fancie ; est mutatio ultima, quâ perficitur nobile illud extractum Microcosmi, for to
mee that consider things in a naturall and experimentall way, man seemes to bee but a digestion
Alchimie et stoïcisme 59
et critiquait la jactance des alchimistes 236. Loin de déceler, comme Crato, une quelconque
impiété dans l’esprit du monde des philosophes hermétiques, Browne fait au contraire de son
existence un argument en faveur de celle de Dieu :
« Maintenant, outre ces esprits particuliers et divisés, il peut exister (pour autant
que je sache) un esprit universel et commun au monde tout entier. C’était l’opinion
de Platon, et c’est encore celle des philosophes hermétiques. S’il existe une nature
commune qui unit et lie en une même espèce les individus dispersés et divisés,
pourquoi ne pourrait-il en exister une qui les unisse tous ? Quoi qu’il en soit, je suis
sûr qu’il existe un Esprit commun qui agit à l’intérieur de nous bien qu’il ne
constitue aucune partie de nous, et que c’est l’Esprit de Dieu, le feu et l’éclat de cette
noble et puissante essence, qui est la vie et la chaleur radicale des esprits, et de ces
essences qui ne connaissent pas la vertu du Soleil ; un feu entièrement contraire au
feu de l’enfer. C’est la douce chaleur qui couvait les eaux, et qui en six jours fit
éclore le monde ; c’est ce rayonnement qui dissipe les brumes de l’enfer, les nuées de
l’horreur, de la crainte, de l’affliction, du désespoir, et maintient la région de l’âme
dans la sérénité ; de quiconque ne sent pas le souffle chaud et la douce brise de cet
Esprit, je n’ose dire qu’il vit quoique je sente son pouls, car vraiment sans lui il
n’est pour moi aucune chaleur sous les tropiques, ni aucune lumière, même si
j’habitais dans le corps du Soleil. » 237
or a preparative way unto that last and glorious Elixar which lies imprison’d in the chaines of
flesh &c. »
235. Cf. id., XLVI , éd. N. Endicott, p. 54 : « That common sign drawne from the revelation
of Antichrist, is as obscure as any ; in our common compute he hath beene come these many
yeares, but for my owne part to speake freely, I am halfe of opinion that Antichrist is the
Philosophers stone in Divinity, for the discovery and invention whereof, though there be
prescribed rules, and probables inductions, yet hath hardly any man attained the perfect
discovery thereof. »
236. Cf. Pseudodoxia Epidemica, or Enquiries into very many received tenents, and
commonly presumed truths (Londres, 1650), chap. VII , éd. N. Endicott, p. 134 : « These with
swarms of others have men delivered in their writings, whose verities are only supported by their
Authorities : but being neither consonant unto reason, nor correspondent unto experiment, their
affirmations are unto us no Axiomes ; we esteem thereof as things unsaid, and account them but
in the list of nothing. I wish herein the Chymistes had been more sparing ; who over-
magnifying their preparations, inveigle the curiosity of many, and delude the security of most.
For if experiments would answer their encomiums, the Stone and Quartane Agues, were not
opprobrious unto Physitians ; we might contemn that first and most uncomfortable *Aphorism
of Hippocrates ; For surely that Art were soon attained, that hath so generall remedies ; and life
could not be short, were there such to prolong it. » La note * précise « Ars longa, vita brevis ».
237. Cf. Religio medici, XXXII , éd. N. Endicott, pp. 38-39 : « Now, besides these particular
and divided Spirits there may be (for ought I know) an universal and common Spirit to the whole
world. Is was the opinion of Plato, and it is yet of the Hermeticall Philosophers ; if there be a
common nature that unites and tyes the scattered and divided individuals into one species, why
may there not be one that unites them all ? However, I am sure there is a common Spirit that
playes within us, yet makes no part of us ; and that is the Spirit of God, the fire and scintillation
of that noble and mighty essence, which is the life and radicall heat of spirits, and those essences
60 Sylvain Matton
that know not the vertue of the Sunne ; a fire quite contrary to the fire of Hell : This is that gentle
heate that brooded on the waters, and in six dayes hatched the world ; this is that irradiation that
dispells the mists of Hell, the clouds of horrour, feare, sorrow, despaire ; and preserves the region
of the mind in serenity : whosoever feels not the warme gale and gentle ventilation of this Spirit,
(though I feele his pulse) I dare not say he lives ; for truely without this, to mee there is no heat
under the Tropick ; nor any light, though I dwelt in the body of the Sunne. » Cf. aussi la
traduction française de Ch. Chassé, Paris, 1947, pp. 73-74.
Dans une note à la traduction latine de J. Merryweather (Religio medici cum Annotationibus,
Strasbourg, 1652, « Annotata ad Sect. XXXI. », p. 196), L. N. Moltke observe à propos de
l’Esprit de Dieu qui planait sur les eaux : « Qui olim aquis incubens] Genes. I. v. 2. Non potuit
esse Pythagoræorum mundi spiritus, nam ille inesse mundo diceretur, nec ventus, quia nondum
fuit. »
238. Les Elemens de la philosophie de l’art du feu ou chemie, traduit par Jean Hellot, Paris,
1651, pp. 174-175.
239. Id., pp. 207-208.
Alchimie et stoïcisme 61
laquelle, dit-on, Dieu est partout dans le monde et emplit et conserve toutes choses
et les conserve constamment. Il apparaît qu’Aristote ne nie pas entièrement cette
âme ou esprit du monde quand il écrit au livre 3 de La Génération des animaux,
chap. 11 : “Il existe de l’eau dans la terre, de l’esprit dans l’eau, de la chaleur animale
dans l’univers, si bien que, en quelque sorte, tout est plein d’âme” 240. » 241
Cet appel à Aristote ne constituait pas au demeurant une nouveauté : il avait
notamment déjà été fait par Henricus Cornelius Agrippa (1486-1534) 242 dans son De
occulta philosophia (s. l., 1533) 243, au chapitre traitant « de l’âme du monde et des cieux
selon la tradition des poètes et des philosophes ». Là, après avoir cité des vers de Manilius,
Lucain, Boèce et Virgile, Agrippa conclut :
« Qu’est-ce que ces vers paraissent signifier d’autre, sinon que non seulement le
monde a un esprit et une âme, mais encore qu’il participe de l’intelligence divine, et
que l’origine, la vertu et la vigueur de toutes les choses inférieures dépendent de
l’âme du monde elle-même ? C’est là ce que tous les platoniciens, les pythago-
riciens, Orphée, le Trismégiste, Aristote, Théophraste, Avicenne, Algazel et tous les
péripatéticiens confessent et confirment. » 244
La source, directe ou indirecte, d’Agrippa n’était autre que Marsile Ficin. C’est dans le
premier chapitre du livre IV de sa Platonica theologia de immortalitate animorum, qui
répartit les âmes rationnelles en trois degrés, ceux de l’âme du monde, des âmes des sphères
240. Cf. De animalium generatione, III, 11, 762a 18-21 : « zßµ|…`§ {ı }µ z° ≤`® }µ ÃzƒÙ …d
âÙ` ≤`® …d ⁄…d {§d …ª }µ z° ¥Åµ —{›ƒ Ã√cƒ¤|§µ, }µ {ı —{`…§ √µ|◊¥`, }µ {Å …∑Õ…Ù √`µ…§
£|ƒ¥∫…ä…` ‹¤§≤çµ, ‰«…| …ƒ∫√∑µ …§µd √cµ…` ‹¤ï» |≠µ`§ √≥çƒä. » Sur ce passage d’Aristote,
voir G. Freudenthal, Aristotle’s Theory of Material Substance, Heat and Pneuma, Form and Soul,
Oxford, 1995, pp. 123 et 127.
241. Cf. Philosophia pyrotechnica seu cursus chymiatricus, p. 301 : « Ab aliis describitur
anima mundi, esse virtutem Dei & quasi ipsius naturæ Deum seu animam mediæ naturæ, per quam
Deus in mundo vbique esse, omniaque implere & iugiter conseruare dicitur. Hanc mundi animam
siue spiritum planè negare non videtur Aristoteles, dum libro 3. de generatione animal. cap. 11.
scribit humorem in terra, spiritum in humore, calorem animalem in vniuerso esse, ita vt quodam-
modo plena sint animæ omnia. »
242. Voir A. Prost, Les Sciences et les arts occultes au XVIe siècle : Corneille Agrippa. Sa
vie et ses œuvres, Paris, 1881-1882 (2 vol.), C. G. Nauert, Agrippa and the Crisis of Renaissance
Thought, Urbana (Ill.), 1965, ainsi que l’introduction de V. Perrone Compagni à son édition du
De occulta philosophia citée note suivante.
243. Voir l’édition critique de V. Perrone Compagni : Cornelius Agrippa, De occulta
philosophia libri tres, Studies in the History of Christian Thought, 48, Leyde – New York –
Cologne, 1992.
244. De occulta philosophia, II, LV (« De anima mundi & cœlestium, iuxta traditiones
poëtarum & philosophorum »), éd. 1533, p. 201 (éd. V. Perrone Compagni, p. 384, 5-11) :
« Quid enim hi uersus aliud uelle uidentur, quàm mundum non modo habere spiritum & animam,
sed etiam mentis diuinæ esse participem, atque omnium inferiorum originem, uirtutem,
uigoremque, ab ipsa mundi anima dependere ? Hoc Platonici omnes, hoc Pythagorici, hoc
Orpheus, hoc Trismegistus, hoc Aristoteles, Theophrastus, Auicenna, Algazeles, omnesque
peripatetici fatentur atque confirmant. »
62 Sylvain Matton
et des âmes des êtres vivants contenus dans chacune des sphères 245, que Ficin, se proposant
de suivre « les théologiens disciples d’Hermès Trismégiste » 246, et après avoir allégué entre
autres Zoroastre 247, Chrysippe 248, les Pythagoriciens 249 et les Mages 250, écrit :
« Que les sphères célestes aient des âmes, non seulement les Platoniciens, mais
aussi les Péripatéticiens l’admettent. Aristote l’enseigne au deuxième livre de son
traité du Ciel, au septième et au huitième livre de sa Physique, au deuxième livre de
son traité de l’Ame, au onzième livre de la Métaphysique ; Théophraste, disciple
d’Aristote, le dit aussi dans son traité du Ciel. Avicenne et Algazel l’ont confirmé
avec soin. » 251
Et quelques lignes plus bas Ficin cite Orphée, à propos des noms des esprits divins 252.
Il est néanmoins possible que Ficin ne soit ici que la source indirecte d’Agrippa, car le texte
de ce dernier entretient aussi une évidente relation de dépendance avec un passage de
l’anonyme De arte chymica, ouvrage probablement rédigé dans le premier quart du XVIe
siècle, qui fut à tort attribué à Ficin et que s’appropria Mylius 253. Mais il est difficile de
déterminer lequel est la source de l’autre. Après avoir défini la nature comme Dieu, ou
comme une puissance et vertu de Dieu, l’auteur du De arte chymica explique, en démarquant
de plus près encore le texte de Ficin que ne l’avait fait Agrippa :
« On a donc trouvé bon d’appeler “âme du monde” cette vertu génératrice et conserva-
tion des choses, non pas que le monde soit un animal, comme semblent le prouver
les arguments platoniciens et même les témoignages des astrologues arabes, des
Égyptiens et des Chaldéens. Car les philosophes ont soutenu que le monde est un
animal, que les cieux et les étoiles sont des êtres vivants, et que les âmes des choses
sont des intelligences, qui participent à l’intelligence divine. Démocrite et Orphée,
ainsi que beaucoup de pythagoriciens étaient d’avis qu’un dieu ou une certaine âme
présidait à toutes choses et que tout es plein de dieux, auxquels ils rendirent les hon-
neurs divins, adressèrent des prières et des sacrifices et qu’ils vénéraient par différents
cultes. En outre, ils ramenaient toutes les âmes de cette sorte à une unique âme du
245. Platonica theologia de immortalitate animorum, IV, I , éd. Opera omnia, Bâle, 1576, I,
p. 122 (Paris, 1641, p. 119, éd. R. Marcel, I, p. 144) : « Tres sunt animarum rationalium gradus,
in primo est anima mundi, in secundo animæ sphærarum, in tertio animæ animalium, quæ in
sphæris singulis continentur. »
246. Voir id., p. (Paris, 1641, p. 119, éd. R. Marcel, I, p. 144).
247. Voir id., p. 124 (Paris, 1641, p. 121, éd. R. Marcel, I, p. 148).
248. Voir ibid.
249. Voir id., p. 126 sqq. (Paris, 1641, p. 124 sqq., éd. R. Marcel, I, pp. 152 sqq.).
250. Voir id., p. 130 (Paris, 1641, p. 127, R. Marcel, I, p. 162).
251. Cf. ibid (éd. R. Marcel, p. 163) : « Cœlestes sphæras habere animas, non modò
Platonici, sed omnes etiam Peripatetici confitentur, quod Aristoteles docet libro de cœlo secundo,
rursus 7. & 8. naturalium, 2. de anima, 11. diuinorum. Theophrastus etiam discipulus Aristotelis
libro de cœlo. Quod Auicenna & Algazales summopere confirmarunt. »
252. Voir ibid., (Paris, 1641, p. 128, éd. R. Marcel, I, p. 164).
253. Voir S. Matton, « Marsile Ficin et l’alchimie… », pp. 128-130.
Alchimie et stoïcisme 63
monde. Semblablement, ils rapportaient tous les dieux au seul Jupiter. C’est ce
qu’admettent Aristote et l’aristotélicien Théophraste, Avicenne, Algazel, les
stoïciens et tous les péripatéticiens, et ils s’employèrent avec le plus grand soin à le
prouver. » 254
Il est probable qu’il y a aussi réminiscence du De arte chymica dans un passage sur
l’âme du monde de la Basilica Chymica, où Oswald Croll ne fait cependant nommément
référence qu’à Agrippa, qu’il range parmi ceux qui « définissent l’âme du monde comme la
puissance de Dieu », pour reprendre l’expression de Davisson 255 :
« Donc toutes choses procèdent d’une source unique et après avoir accompli leur
tâche, délaissant le séjour de la vanité, retournent en leur lieu, comblées d’un repos
immuable. Cet esprit universel agitant toute la masse (Agrippa l’appelle le sujet de
toute merveille 256, l’Être compréhensible par nul sens), qui opère tout en tout et
emplit le globe de la Terre, puissance de Dieu, contenant en soi le monde tout
entier, Avicenne, confiant en l’autorité de Platon, des Arabes et des Chaldéens, le
nomme âme du monde diffuse en toutes choses. Mais cela doit s’entendre sans
superstition ni culte d’idolâtrie, en réservant à Dieu seul son honneur et sa gloire,
qu’il ne cède point à un autre. La nature moyenne, dis-je, liant par un certain accord
harmonique les choses inférieures aux supérieures (on la nomme tantôt animale,
tantôt végétale, tantôt minérale selon la diversité de son sujet et réceptacle) opère des
choses étonnantes dans les trois familles de la Nature […]. » 257
254. Cf. De arte chymica, cap. IX (« De natura »), éd. Artis auriferæ […] volumen primum,
Bâle, 1593, pp. 594-595 (éd. 1610, p. 382 ; éd. J. J. Manget, Bibliotheca chemica curiosa, II,
p. 176) : « Hanc ergo generandi virtutem rerum´que conseruationem Animam Mundi vocare li-
buit : non quòd Mundus sit animal, vt Platonicæ rationes, & etiam Astrologorum Arabum, Ægyp-
tiorum, Chaldæorum´que testimonia comprobare videntur. Posuerunt etenim Philosophi Mundum
esse animal, cœlos´que ac stellas esse animalia, & animas rerum esse intelligentes, mentem
participantes diuinam. Insuper cuilibet rei Deum aut animam quandam præesse, omnia´que plena
diis esse Democritus & Orpheus & multi Pythagoreorum sunt opinati : quibus statuerunt diuinos
honores, preces´que & sacrificia dedicarunt eisdem, & diuerso cultu venerabantur : Præterea omnes
eiusmodi animas reducebant ad vnam animam Mundi. Similiter deos omnes ad vnum referebant
Iovem. Hoc Aristoteles Aristotelicus´que Theophrastus : hoc Auicenna, Algazeles : hoc Stoici,
omnes´que Peripatetici confitentur, ac summo opere comprobare sunt conati. »
255. Il est possible qu’en écrivant cela Davisson ait songé précisément à Croll.
256. Cf. H. C. Agrippa, De occulta philosophia, II, IV (« De unitate & eius scala »), p. 103
(éd. V. Perrone Compagni, p. 256, 15-20) : « Vna res est à deo creata, subiectum omnis
mirabilitatis, quæ in terris & cœlis est, ipsa est actu animalis, uegetalis & mineralis, ubique
reperta, à paucissimis cognita, à nullis suo proprio nomine expressa, sed innumeris figuris &
ænigmatibus uelata, sine qua neque Alchymia, neque naturalis magia, suum completum possunt
attingere finem. » Agrippa n’identifie cependant pas ici formellement cette « chose unique » avec
l’esprit universel. Il s’agit de la « pierre des philosophes » qui marque l’unité dans le « monde
élémentaire », comme l’« âme du monde » la marque dans le « monde intellectuel » (voir le tableau
id., p. 104 [éd. V. Perrone Compagni, p. 257]).
257. Cf. Basilica Chymica, éd. Francfort, 1609, « Præfatio admonitoria », p. 54 : « Ex uno
ergo fonte procedunt omnia, & post absolutum pensum, relictâ Vanitatis statione revertuntur ad
64 Sylvain Matton
C’est en tout cas directement du De arte chymica que s’inspire Cesare Della Riviera
lorsqu’il écrit :
« Non seulement les platoniciens mais encore, tout ensemble, les antiques
astrologues égyptiens, arabes et chaldéens, Orphée, Démocrite, Aristote, Avicenne et
Algazel, les sectes des pythagoriciens, stoïciens et péripatéticiens affirmèrent que le
monde est animal, enseignant amplement que non seulement les cieux avec tous les
corps célestes lumineux, mais encore toutes les choses créées sont informées grâce à
leur propre âme intellectuelle et participante de l’Intelligence divine. » 258
La position résolument néoplatonicienne d’un William Davisson sur la question de
l’âme et l’esprit du monde s’oppose dans sa démarche même à celle qu’adoptèrent d’autres
alchimistes, tels Pierre Jean Fabre ou Daniel Georg Morhof (1639-1690) 259, et qui consiste
à donner une solution au problème théologique de l’âme du monde en réduisant cette der-
nière à ce qui n’était pour les néoplatoniciens, que son véhicule corporel : l’esprit universel.
loca sua, immutabili quiete beata : Spiritus ille universalis totam agitans molem (Agrippa vocat
subiectum omnia [sic] miserabilitatis [sic], Ens nullo sensu comprehensibile) qui omnia in
omnibus operatur & orbem Terrarum implevit, DEI Numen, totum mundum in se complectens.
Auicenna vocat Animam mundi diffusam in omnibus rebus fretus autoritate Platonis, Arabum &
Chaldæorum, absque omni tamen superstitione & cultu idolatrico audiendum hoc, habito interim
uni DEO honore & gloriâ suâ quam alteri non dat : Natura inquam media, infima supremis
Harmonico quodam concentu coniungens (& nunc Animalis, nunc Vegetabilis nunc Mineralis pro
subiecti & receptaculi diversitate vocatur) stupenda operari in tribus Naturæ Familiis […]. » Dans
sa traduction française, J. Marcel de Boulène renforce la prudence théologique du passage ; cf.
Royalle chymie, éd. Paris, 1633, pp. 114-115 : « Donc toutes choses procedent d’vne mesme
source, & apres leurs cours sans aucune vanité s’en retournent à leur lieu, affin de jouïr d’vne
beatitude constante & immuable : & de faict cest esprit vniuersel appellé selon Agrippa sujet de
toute merueille, ou Ens qui ne peut estre compris d’aucun sens, donnant le bransle à toute ceste
grande masse, fait toutes les operations en toutes choses, & remplit ceste vaste machine, c’est le
genie de Dieu (s’il est permis d’ainsi parler) qui tient & contient tout le monde en soy ; Auicenne
fauorisé de l’authorité de Platon, des Arabes & des Chaldeens, a bonne raison de l’appeller Ame du
monde diffuse & dilatee en toutes choses : cela soit neantmoins entendu hors de superstition &
culte d’idolatrie, parce que Dieu ne veut ceder à vn autre l’honneur qui n’est deu qu’à luy mesme ; la
nature, dis-je, conjoignant les choses infinies et moyennes aux plus hautes par vn certain accord
harmonique, fait des choses autant dignes d’estonnement que d’admiration, selon la diuersité de
son sujet ou receptacle, soit aux animaux, vegetaux ou mineraux, tantost en l’vne & tantost en
l’autre des trois dittes familles […]. »
258. Cf. Il magico mondo de gli heroi, Milan, 1603, pp. 134-135 (Milan, 1605, pp. 140-
141) : « Affermarono non pure essi Platonici, ma anco insieme con gli antichi Astrologi Egitij,
Arabi, e Caldei, Orfeo, Democrito, Aristotile, Auicenna, & Algazele, le sette de’ Pitagorici,
Stoici, e Peripatetici, il Mondo essere animale : empiamente insegnando, che non tanto i Cieli
con tutti i celesti luminosi corpi, ma anco qualunque cosa creata veniua informata dalla propia
anima intellettuale, e della diuina Mente partecipe. »
259. Voir C. Weber, « Morhof, Daniel Georg », dans : A. Jacob (éd.), Encyclopédie philo-
sophique universelle : III, Les Œuvres philosophiques, dictionnaire, dirigé par J.-F. Mattéi, t. 1,
pp. 1359-1360.
Alchimie et stoïcisme 65
qu’une partie du monde vive, mais non pas sa totalité, puisque le monde engendre
des êtres animés, et que ce qui est dépourvu d’âme ne peut engendrer des être vivants.
Telle est, dans le Timée, la véritable opinion de Platon, qui appelle “animal” cet
univers parce qu’il contiendrait le reste des êtres animés, parmi lesquels Platon
comprend même tous les disques célestes. Mais cette opinion implique de grandes
absurdités. Car quoi de plus absurde que d’imaginer un animal composé d’une
infinité d’autres ? Par quel argument idoine pourrait-on prouver qu’existe une âme du
monde qui soit une intelligence rationnelle différente de Dieu tout en n’étant pas un
ange ? Assurément cela ne peut être démontré par aucune raison, ni par la révélation.
Toutes ces choses sont davantage semblables à des fables qu’à la raison. Certes, les
stoïciens ont eux aussi admis une âme du monde ; mais par elle ils désignaient Dieu,
que Platon distingue de l’âme du monde. Cette opinion est peut-être également celle
des pythagoriciens, mais on ne peut presque rien apprendre de précis sur leur
philosophie. Que si Platon veut entendre par cette âme du monde un certain esprit
éthéré, ensemencé des raisons séminales et répandu à travers les parties de l’univers,
il ne serait pas fort à reprendre pour une pareille opinion, et ceux qui rejettent cet
esprit ne peuvent rien nous riposter de plus connu et que nous puissions plus
distinctement concevoir. De plus, tous ceux qui nous ont donné des principes
physiques, y compris les péripatéticiens, ont imaginé un autre principe commun
auquel ils ont recours quand ils ne peuvent expliquer une chose au moyen des quatre
éléments. Ils imaginent ainsi un cinquième être ou quinte essence, comme on
l’appelle couramment, qui pour ainsi dire dominerait parmi les quatre éléments, et
les régirait, tout en renfermant une sorte de combinaison supérieure de ces
éléments. » 262
262. Cf. Polyhistor, literarius, philosophicus et practicus, t. II, lib. II, cap. XI (« De plato-
nicæ philosophiæ principiis, ejus illustratoribus veteribus et novis, consensuque vel dissensu ab
Aristotele »), § 7, éd. Lübeck, 1708, p. 222 (Lübeck, 1732, pp. 210-211) : « M u n d u m
Animalem Plato vocat totum istud Universum, quod, ut animal considerat, eique animam quandam
per omnes partes infusam affingit. Ex quo iterum patet, nimium laborasse Platonem in corporibus
naturalibus ad universales illas Idearum classes, mente conceptarum, reducendis. Absurdum illi
scil. visum est, partem aliquam mundi vivere, non verò totum, cùm mundus generet animantes,
neque illud, quod expers animi sit, generare possit animalia. Atque hæc Platonis vera sententia
est, in Timæo, Universum hoc animal vocantis, quod contineret relinquas animantes, quibus
comprehendebat etiam omnes orbes cœlestes ; quæ verò magnas absurditas implicat. Quid enim
est absurdius, quam fingere animal, ex aliis infinitis compositum ? quo idoneo argumento probari
poterit, esse aliquam mundi animam intelligentem rationalem, à Deo diversam, quæ tamen nec
esset Angelus ? nullâ certè id ratione evinci potest, nec revelatione ; quæ omnia portentis potius,
quam rationi sunt similia. Stoici quidem Animam mundi etiam agnoverunt, sed ea ipsa Deum
notabant, quem tamen alium ab anima mundi facit Plato. Fortassis & Pythagoreorum illa
sententia est. Sed de illorum Philosophia nihil adeò distinctè doceri potest. Quod si Plato per
istam mundi animam intelligere velit Spiritum quendam æthereum, rationibus seminarijs fœtum,
per partes universi dispersum, non esset adeò ob istam sententiam reprehendendus, quique illum
rejiciunt, nihil possunt nobis reponere, quod notius sit, animoque distinctius concipi possit.
Præterea omnes ii, qui nobis principia Physica posuerunt, ac ipsi quoque Peripatetici aliud
Alchimie et stoïcisme 67
Encore qu’il ne l’ait pas explicitement formulée comme Morhof, la réduction de l’âme
du monde des platoniciens à ce qui n’était pour eux que son véhicule matériel, l’esprit du
monde, avait déjà été opérée par Fabre, en particulier dans son Panchymicum 263 (Toulouse,
1646) ouvrage que Morhof ne méprisait pas 264, tout en doutant que son auteur, quoi qu’il en
ait dit, ait jamais possédé la pierre philosophale 265. Fabre connaissait en effet la doctrine
néoplatonicienne du spiritus mundi telle que Ficin l’avait exposée dans ses De vita libri
tres : c’est le célèbre passage, fort souvent cité par les alchimistes, du chapitre III du De vita
cœlitus comparanda que paraphrase Fabre dans son Propugnaculum alchymiæ (Toulouse,
1645), en utilisant principalement le plagiat qu’en avait fait Agrippa dans son De occulta
philosophia (I, XIV) 266, mais non pas uniquement ce plagiat, puisque Fabre reprend la réfé-
rence à l’élixir des Arabes dont avait parlé Ficin mais qu’avait omise Agrippa. Fabre écrit :
« Le pur de la nature repose dans les profondeurs de n’importe quel mixte. C’est
l’étincelle de la lumière créée et son esprit emprisonné et enclos dans la matière très
quoddam comminiscuntur commune principium, quo confugiunt, quando per quatuor Elementa rem
non possunt expedire. Quare quintum aliquod, sive quintam essentiam, ut vulgo vocant,
comminiscuntur, quæ inter quatuor illa Elementa quasi dominetur, illisque præsideat, eorum vero
temperamentum quoddam excellentius comprehendat. »
263. Le titre complet du traité de Fabre est Panchymici seu anatomiæ totius universi […]
opus in quo de omnibus quæ in cœlo et sub cœlo sunt spagyrice tractatur […] volumen primum [–
secundum]. Il s’agit évidemment d’un Panchymicum et non pas d’un Panchymicus comme
l’écrivait régulièrement B. Joly (« La réception de la pensée de Van Helmont dans l’œuvre de
Pierre Jean Fabre » pp. 206, 212; notice « Fabre » dans : A. Jacob (éd.), Encyclopédie philoso-
phique universelle : III, Les Œuvres philosophiques, dictionnaire, t. 1, pp. 1133-1134 ; L a
Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, pp. 219, 367, 399). Joly semble avoir un problème
tout particulier avec ce Panchymicum, puisqu’il donne même (La Rationalité de l’alchimie au
XVIIe siècle, p. 45) un Universalis sapientiæ seu panchymica [sic].
264. Cf. Id., t. I, I, XI (« De libris physicis secretioribus præcipue chemicis »), 17, éd.
Lübeck, 1708, p. 100 (Lübeck, 1732, p. 100) : «Tota illâ [chemiâ] gentilium Mythologia hunc
sibi scopum præfixum habet, qvod à Vîris doctissimis, Michaële Mejero in Arcanis arcanissimis,
Blasio Vigenerio in Commentario in Philostrati tabulas, Joh. Petr. Fabro in Panchimico
ostensum est.» , et t. II, II, part. I, IV (« De philosophia naturali Ægyptiorum »), 4, éd. Lübeck,
1708, p. 169 (Lübeck, 1732, p. 169): « Etiam PET . JOH . FABER in Panchymico suo, Gentilium
fabulas sensu chymico explicavit, qua in re abundare quemque suo sensu patiamur ». Morhof
rappelle par ailleurs — id., t. II, II, part. II, XXIX (« De mineralibus in genere, et autoribus qui
illorum historia scripserunt »), 4, éd. Lübeck, 1708, p. 403 (Lübeck, 1732, p. 403) — que dans
sa Metallographia John Webster place Fabre parmi ceux qui écrivirent sur la « chymie vulgaire »
et non sur la « chymie mystique », laquelle porte sur la transmutation des métaux (cf. J. Webster,
Metallographia : or, an History of Metals, Londres, 1671, p. 31 : « I shall onely reckon some
few, as Quercitanus, Mylius, Beguinus, Sala, Faber, and such like, who though they have written
much in the way of preparing Minerals for Medicaments by Chymistry, yet have they done little
do discovery of the Nature and Generation of metals »).
265. Cf. De metallorum transmutatione…, XII , p. 142 (éd. Manget, p. 188) : « Petrus
Johan. Faber, qui fortassis etiam hodie vivit, à Comite de Flisco Decad. de Fato p. 132. pro vero
possessore habetur. Nostris, inquit, temporibus Petrus Joh. Faber Lapidem Philosophicum
composuit. Multis certè scriptis id ipse orbi persuadere voluit. Verùm apud me, nisi idoneis
documentis fulciantur, talia non facilè fidem inveniunt. »
266. Sur tout cela, voir S. Matton, «Marsile Ficin et l’alchimie…», pp. 145 sqq.
68 Sylvain Matton
pure de tous les éléments, pour actuer et informer cette matière des éléments ; car
cette étincelle de la lumière créée et son esprit est la très véritable forme de la matière
élémentaire, et par conséquent une substance véritable, puisque c’est la forme que les
anciens philosophes ont appelé presque d’une infinité de noms afin d’en cacher la
connaissance. Ils l’ont en effet nommé soufre de nature, vigueur ignée, esprit du
monde, intelligence, âme, démon terrestre ou dieu terrestre, puissance et {Õµ`¥§»,
mime [sic = mumie ?] inné, chaud inné, humide premier-né, nature moyenne, fleur
de l’âme, sel inné et radical, force dorée de l’âme, vigueur de l’intelligence dans les
éléments ; dans l’éther, Jupiter, dans l’air, Junon, dans l’eau, Neptune, et dans la
terre, Pluton; et ainsi ils ont obscurci par des noms variés cette unique et seule
chose, et l’ont cachée pour qu’elle ne devînt point connue de tout le monde. Celle-ci
n’est cependant rien d’autre que la partie la plus ténue et la plus subtile de la nature
créée, partie qui se compose de la lumière pure créée comme d’une forme ou
substance formelle, et de la substance très pure des éléments comme d’une matière,
en sorte qu’en raison de cette lumière, elle est presque esprit, et en raison de la
matière élémentaire, elle est presque corps ; c’est pourquoi les philosophes disent que
c’est un intermédiaire, qui est presque non-corps, mais presque déjà âme, ou presque
non-âme et presque déjà corps, conjoignant les deux extrêmes, l’âme et le corps, dans
toutes les choses naturelles, en sorte que c’est un corps spirituel et un esprit cor-
porel, qui pénètre et vivifie tout ; si bien qu’en lui seul se trouvent de vrais contra-
dictoires, comme chacun peut le conclure de sa définition. Cet esprit a une vertu et
vigueur si considérable, que rien ne se fait dans la nature sinon par sa vertu et
efficacité, et plus sa qualité est grande dans les choses naturelles, plus il y a en elles
de vertu et de force, au point que sa force et vertu atteint au miracle, puisque sa
substance est d’une telle vertu spirituelle qu’une très petite quantité peut agiter
presque le monde tout entier. Voilà pourquoi les anciens philosophes ont réalisé avec
cet esprit naturel des choses merveilleuses, dans les animaux, dans les végétaux et
dans les corps métalliques. Par le moyen et l’industrie de lui seul, ils ont ramené
tous les métaux, parfaits et imparfaits, à la première semence d’où ils naissent, et ils
amenèrent par leur art cette matière à une si grande subtilité et à une telle puissance
d’agir, qu’ils ont réalisé la transmutation métallique des métaux imparfaits en mé-
taux très parfaits. Et c’est ainsi qu’ils ont confectionné à partir de cet esprit leur
pierre et leur élixir arabique […]. » 267
267. Cf. Propugnaculum alchymiæ…, V (« Quid & Quale sit naturæ Purum naturam totam
coërcens »), Toulouse, 1645, pp. 14-16 (éd. Opera reliqua, Francfort, 1656, pp. 10-11 : « Purum
ergo naturæ in penetralibus cuiuscumque mixti quiescit, & est scintilla lucis creatæ, & spiritus
eius, materiæ elementorum omnium purissimæ incarceratus & inclusus, vt materiam illam ele-
mentorum actuet & informet : nam scintilla illa lucis creatæ, & spiritus eius, est verissima forma,
materiæ elementaris, & perinde vera substantia, cum sit forma quam antiqui Philosophi infinitis
fere nominibus nominarunt, vt eius notitiam occultarent : Sulphur enim naturæ eam dixerunt,
igneum vigorem, spiritum mundi, mentem, animam, terrestrem, dæmonem, vel terrestrem Deum,
Alchimie et stoïcisme 69
Pourtant Fabre ne soutient pas à l’instar de Ficin ou d’Agrippa l’existence d’une âme du
monde incorporelle, et ce probablement en raison de son souci, sans cesse proclamé, de ne
pas sortir du cadre d’un catholicisme parfaitement orthodoxe 268. Lui qui médita peut-être, en
tout cas qui connut la pique lancée par Blaise de Vigenère dans le Traicté du feu et du sel
contre la « superstition » des stoïciens à l’égard du feu 269, lui qui se montre extrêmement
soucieux d’éviter toute confusion entre Dieu et la nature — au point de rejeter la distinction
scolastique, reprise par Della Riviera ou Davisson, entre une natura naturans, qui serait
Dieu, et une natura naturata qui serait la nature proprement dite 270 —, nie en effet
potestatem & {Õµ`¥äµ, innatam Mimam, Calidum innatum, humidum primigenium, mediam na-
turam, florem animæ, Salem innatum & radicalem, auream vim animæ, mentis vigorem in ele-
mentis. In æthere, Iouem, in aëre Iunonem, in aqua Neptunum, & in terra Plutonem, & sic varijs
nominibus, hanc vnicam solam rem obscurarunt, & sic occultarunt, ne nota fieret omnibus : Quæ
tamen nihil aliud est, quàm tenuissima illa, & subtilissima naturæ creatæ pars, quæ ex lumine
puro creato, tanquam forma, seu formalis substantia, & substantia elementorum purissima, tan-
quam materia constat, ita vt ratione illius luminis, est quasi spiritus, & ratione materiæ elementa-
ris est quasi corpus, vnde dicunt Philosophi medium esse, quod est quasi non corpus, sed quasi iam
anima, siue quasi non anima, & quasi iam corpus, coniugens duo extrema, animam & corpus in
rebus omnibus naturalibus, ita vt sit corpus spirituale, & spiritus corporalis, omnia permeans &
viuificans, ita vt in ipso solo contradictoria vera reperiantur, vt ex definitione sua, quilibet col-
ligere potest. Tantam virtutem & vigorem habet hic spiritus, vt nihil fiat in rerum natura, nisi
virtute & efficacia illius, & quo maior est qualitas illius in rebus naturalibus, eo maior est in ipsis
virtus & robur, adeò vt ad miraculum deveniat eius robur & virtus, cum eius substantia sit adeò
spiritualis virtutis, vt minima quantitas eius totum ferè mundum agitare possit : hinc ex eo spiritu
naturali mira fecerunt antiqui Philosophi in animalibus, in vegetantibus & in metallicis corpori-
bus, cuius solius ope, & industriâ, metalla omnia, siue perfecta, & imperfecta, in primum suum
semen, ex quo ortum habuerunt, redegerunt, & hanc materiam, arte sua in tantam redegerunt subti-
litatem, & agendi virtutem, vt transmutationem metallicam imperfectorum metallorum, in perfec-
tissima metalla fecerint : Et sic ex eo spiritu Lapidem suum & Elixir Arabicum composuerunt, de
quo cùm agendum erit, vt Mysochimicos nostros verè confundamus, & eorum ignorantiam mani-
festam faciamus, quod veritatem hanc rideant & stultè non credant. » Pour l’esprit universel
comme « mumie », voir P. J. Fabre, L’Abregé des secrets chymiques, p. 14 ; voir cependant
Propugnaculum alchymiæ…, IX (éd. Opera reliqua, pp. 17-18), où l’« arcanum chymicum » est
comparé à un comédien (« persona »).
268. De fait, son soin à respecter l’orthodoxie tant dans ses doctrines que dans sa démarche
lui valut d’être donné en exemple — par le biais de son Alchymista christianus — par Mersenne
lui-même, pourtant prompt à dénoncer l’impiété des alchimistes, celle d’un Fludd ou d’un Nuyse-
ment. Voir, pour l’éloge fait par Mersenne de thèses de l’Alchymista christianus, notre introduc-
tion à : Dom Belin, Les Aventures du philosophe inconnu, Paris, 1976, pp. 30-41 ; pour la
position générale de Mersenne envers l’alchimie, R. Lenoble, Mersenne ou la naissance du
mécanisme, Paris, 1943, (rééd. 1971), pp. 134-135 et passim, et A. Beaulieu, « L’attitude
nuancée de Mersenne envers la chymie », dans J.-C. Margolin et S. Matton (éd.), Alchimie et
philosophie à la Renaissance, pp. 395-403.
269. Fabre se réfère expressément au Traicté du feu et du sel dans son Palladium spagyricum,
Toulouse, 1624, p. 133 : « […] vt narrat & asserit se fecisse ipse Vigenerius in libro cui titulum
fecit, les Chiphres, & in tractatu peculiari de sale & igne […] ».
270. Cf. Panchymici seu anatomiæ totius universi […] opus, I, IV , Toulouse, 1646, t. I,
pp. 12-13 : « Recentium ac modernorum Philosophorum quamplurimi, Naturam duplicem
fecerunt, eamque diuiserunt in Naturam Naturantem, & Naturam Naturatam : Naturam naturantem
Deum appellant, & Naturam naturatam creata omnia quæ extant. Hæc distinctio & naturæ diuisio
70 Sylvain Matton
formellement l’incorporalité de cette nature créée, ou « entéléchie » 271, que l’on nomme
aussi « âme du monde » 272. Cette nature, martèle Fabre, est un corps, elle est une « vraie
substance corporelle » :
« Cet esprit de lumière, que nous disons être la nature, est une vraie substance
corporelle. Toutefois, parce qu’il est invisible et impalpable, je l’appelle “esprit”,
mais sans entendre une substance surnaturelle, divine et incorporelle. Je dis en effet
que Dieu a fait corporelle la nature puisqu’il revient d’avoir un corps à ce par quoi
tous les corps doivent être fabriqués. » 273
En soi invisible et impalpable, cette substance corporelle devient visible et palpable en
prenant un corps par lui-même visible et palpable, qui est celui du « sel central » de toutes
choses 274. C’est donc une substance corporelle spirituelle qui se corporifie en prenant un
arridere ac placere mihi non potest ; Deus enim nulla ratione naturæ essentiam inducere potest,
nec Natura Dei Thronum ac sedem conscendere ; sunt enim essentiæ ac substantiæ omnino diuersæ
ac variæ, nec datur supremum genus Deum comprehendens. Deus solus est, qui seipsum
comprehendit, qui extra omnibus est, non exclusus, & intra omnia habitat non inclusus. Itaque
non legitima est, hæc naturæ diuisio, & qui hanc excogitarunt, Naturæ exactam nomenclaturam
non contemplati sunt, ac promiscuè cum Dei nomine confuderunt : quod tamen Philosophi
Christiani pati non debent, nec ratio naturæ postulat, vt creator cum creatis confundatur, horum
enim permixtio vtrorum ignorantiam parit, separentur necesse est, quia differunt toto cœlo. »
271. Cf. Id., I, XXIII (« De Entelechia mundi, Vndenam sit & quid sit »), t. I, p. 98 : « Entele-
chia ergò, quam alij spiritum mundi, mentem vniuersi, & mercurium dixerunt, alijsque ferè infi-
nitis nominibus insignierunt, est pars tenuissima omnium elementorum & cœli seu lucis, quæ in
terræ visceribus simul vnita, transit & mutatur in semen mundi, è quo prodeunt omnia, quæ natura-
liter fiunt in hoc mundo & facta conseruantur. » La source de l’« entéléchie » comme âme du
monde est Cicéron, Tusculanae disputationes, I, 10, à travers Calcidius et Scot Érigène ; pour
cette tradition médiévale, voir P. Dronke, Fabula, Exploration s into the uses of myth in medie-
val Platonism, Leyde – Cologne, 1974, cap. III (« Fables of the soul »), spec. pp. 109 sqq.
272. Cf. Id., I, I (« Quid sit Natura & eius lumen »), t. I, pp. 3-4 : « Naturam ergo definiamus
secundum lumen quod nos à patre Luminum industria Vulcani accepimus, & vidimus, esse Spiritum
luminis in principio à Deo creatum primis aquis incubantem & confusa in his tanquam in chaos
rerum omnium semina de potentia in actum educentem & educta per constantem alterationis ortum
versantem, componendo & resoluendo hæc inferiora Geometricè tractantem. Hic est Spiritus qui
est principium motus & quietis in rebus omnibus per se, & non secundùm accidens, quem virtutem
dixerunt alii per vniuersas mundi partes commeantem, quem Deum, quem spiritum omnia
penetrantem & molientem, quem calidum innatum, mentem vniuersi, mundi animam, igneum
vigorem è cœlo ortum formam ac materiam mundi, descripserunt per suas proprietates, virtutes &
energias, non tamen fontem & scaturiginem harum virtutum cognouerant ignoto lumine, quod
lumen istud creauit, & ex nihili fonte diuina ac omnipotenti virtute, ac agendi energeia eduxit. »
273. Id., p. 4 : « Spiritus hic luminis quem Naturam dicimus, vera est substantia corpo-
ralis : at quia inuisibilis est & impalpabilis, ideo spiritum dico, non tamen substantiam superna-
turalem, diuinam & incorpoream intelligo, dico enim Deum naturam corporalem fecisse, corpus
siquidem competit illi cui corpora omnia fabricanda sunt. »
274. Cf. Id., pp. 4-5 : « Quale autem corpus sibi vendicet natura, seu spiritus lucis altis-
simæ est inquisitionis, & qui Alchymiam ignorat eamque tractare nescit, huc vsque penetrare non
potest ; in corporibus enim omnibus latet istud luminis corpus, at inuisibiliter, & suo spirituali
modo ; istud tamen à peritissimo artis chymiæ magistro visibile & tangibile efficitur, ita vt quod
in corpore visibile inuisibile & spirituale lateat, visibile redditur & corporale : ne autem ambages
Alchimie et stoïcisme 71
corps non spirituel. En d’autres termes, le sel est le corps sensible de la substance
corporelle insensible qu’est la nature. Fabre aboutit de la sorte à la définition suivante :
« La Nature est un esprit de lumière créé au commencement par Dieu, esprit à partir
duquel tout a été fait par création divine, et qui est radicalement infus dans le corps
du Sel central de chaque chose, pour la conservation et la génération de toutes
choses. » 275
Par delà sa corporalisation de l’âme du monde, Fabre maintient donc au bout du compte
la structure binaire caractéristique du néoplatonisme d’un Ficin, soit :
FICIN FABRE
Âme du monde Esprit de lumière
Esprit du monde (véhicule de l’âme du Sel (corporification de l’Esprit de lumière)
monde)
FICIN FABRE
Incorporel Dieu Dieu
Âme du monde
Spirituel Esprit du monde Esprit de lumière
Corporel Corps (éléments) Sel
Corps (éléments)
quæram, dicam corpus naturæ, Salis corpus esse, quod in centro cuiuscumque rei creatæ latet, &
quod per Alchymiam Vulcani ope, à centro rerum omnium educitur, cui inhæret Sulphur radicale, &
Mercurius innatus ac primigenitus, ita vt duos secum habeat coniunctos frates à se ipso insepara-
biles, nec propterea id vnum compositum est, sed quid valde simplex & homogeneum, etsi tria in
se coerceat quæ quamuis distinguantur, non tamen differunt nec diuersas constituunt formas in suo
esse, vt latissimè & clarissimè disputa tum est, ac demonstratum in Alchymista Christiano nobis
iamdiu in lucem edito. […] Si ergo quis Salis istius centralis naturam ac essentiam cognitam ha-
bet, habet & naturæ manifestam essentiam ; naturæ enim omnes proprietates, virtutes, & ener-
gias quas antiqui omnes Philosophi in natura ipsa posuerunt facillimè animaduertet ac reperiet in
ipso centrali rerum Sale, humidi potissimùm primigenij, & calidi innati proprietates, in quibus
antiqui totam naturæ essentiam collocarunt tanquam Principium motus & quietis rerum omnium. »
275. Id., pp. 5-6 : « Est ergo Natura Spiritus Luminis in principio à Deo creati, à quo omnia
facta sunt per creationem diuinam, quique in corpore Salis centralis cuiuscumque rei radicaliter
infusus est ad conseruationem & generationem rerum omnium ».
72 Sylvain Matton
une adhésion à une physique pneumatique stoïcienne, à défaut d’un impossible assentiment
à la théologie du Portique. La raison principale en est que le plus souvent ils n’avaient sur
cette physique que des connaissances très limitées, incertaines et confuses. En particulier, il
n’était pas rare qu’ils interprétassent la théorie stoïcienne du pneuma en un sens
franchement néoplatonicien, en tenant le pneuma stoïcien pour le véhicule d’une âme du
monde incorporelle. C’est ce que fait William Davisson dans sa Philosophia pyrotechnica,
où, après avoir expliqué ce qu’est l’âme du monde pour les platoniciens — en se référant à
Platon, mais aussi à Plotin et à Marsile Ficin —, il poursuit :
« L’esprit corporel des stoïciens, ou esprit revêtu d’un corps extrêmement subtil —
qu’ils ont très sagement reconnu être commun à tous les éléments et à toutes les
choses —, n’est pas différent. Il serait identique à un vent envoyé par des soufflets
dans des instruments musicaux, ce qui leur fait émettre un son : ainsi l’ensemble des
choses sont mues, selon leur aptitude, par cet esprit qui les pénètre. En effet, s’il
s’introduit dans la matière du feu, il déploie et meut ses aiguillons extrêmement
pointus par un mouvement parfaitement adapté. De la même façon, s’il pénètre dans
la matière de l’air, dans celle de l’eau ou dans celle de la terre, il donne à chacune une
mesure convenable, écartant, tant qu’elles le requièrent, leurs parties les unes des
autres et mouvant chacun conformément à ce qui a été ordonnancé par l’intellect et à
ce qui convient à leur nature. Ainsi avec la matière du feu il produit du feu, avec
l’air, de l’air, et ainsi de suite. Et il est en toutes les choses soit comme la forme de
toutes, soit comme un troisième séminaire, soit comme une forme spécifique,
comprise dans l’extension d’une idée plus commune. De fait, à partir de nombreuses
formes particulières dans le monde intelligible se constitue une certaine forme
unique, comme celle qu’Hermès, avons-nous vu, appelle omnicorporelle ou
pantomorphe. Ensuite, à partir des nombreuses formes spécifiques, on est peu à peu
ramené dans une unique forme générique subalterne, et de là dans la forme la plus
générale. C’est pourquoi tant qu’elles se tiennent cachées dans ce séminaire
commun, les espèces de ce qui doit être engendré constituent réellement une réalité
unique, n’étant distinctes qu’en puissance, c’est-à-dire par rapport à l’espèce, à la
qualité, au corps et à la matière qui doit être informée. » 276
276. Cf. Philosophia pyrotechnica…, pp. 301-302 : « Non absimilis est his spiritus
corporeus Stoïcorum, seu spiritus corpore tenuissimo indutus, quem omnibus elementis, & rebus
communem sapientissimè agnouerunt. Qui quidem in omnibus idem esset, quod ventus à follibus
in organa immissus vnde sonum edant : sic ab illo spiritu ineunte res cunctas moueri, prout
ipsarum fert aptitudo. Si enim materiam ignis subeat, eius quam acutissimos aculeos motu quam
aptissimo diducit mouetque, prout eorum naturæ conditio postulat. Eodem pacto, si aëris, si aquæ,
aut terræ materiam ineat, vnicuique mensuram dat congruam, partes quoad requirunt, alias
remouens ab aliis, atque mouens vnumquodque, prout à mente ordinatum est, & prout suæ naturæ
competit. Sic cum ignis materia, ignem ; cum aëre, aërem efficit, & ita de reliquis, estque in rebus
omnibus vel sicut omnium forma, vel seminarium tertium, vel forma specifica, intra
communioris ideæ ambitum comprehensa. Et enim ex multis particularibus formis in mundo
intelligibili, forma quædam est conflata vnica, qualem vel omnicorpoream vel √`µ…∫¥∑ƒ⁄∑µ
Alchimie et stoïcisme 73
Et Davisson est encore plus explicite dans Les Elemens de la philosophie de l'art du feu
ou chemie. Parlant de l’esprit, il explique :
« Ainsi la nature incorporelle loge & envoye le Notre dans les corps mixtes, &
changeant mesme les aliments en des corps vivants, engendre tout le sang des
Animaux. Or dans ceste substance corporelle, loge la force incorporelle, qui est
l’esprit de l’univers, tout feu & intellect, plein des exemples ou idées de tout l’ordre,
& des dispositions des principes & elements des corps mixtes : c’est pourquoy
Hermes Trismegiste parlant dans sa Table Smaragdine de cét esprit, & des miracles
d’une seule chose, dict, que le vent l’avoit porté autrefois dans son ventre ainsi qu’un
air deslié, ou bien comme un soufflement & épanchement de l’air, lequel estant le
vray soufflet de la nature donne une perpetuelle entrée aux esprits dans les corps, afin
de les rarefier, & par sa sortie les condenser. D’où vient que les Stoiciens appelloient
tres sagement le vent, un esprit corporel present & entrevenant en toutes choses
pour empescher le vuide, & dans un clin d’œil penetrant en toutes choses, &
agissant avec tres grande force contre ce qui luy resistoit, comme dans les esclairs &
tonneres, & dans les coups de canon. » 277
Une telle dichotomie ramenant le pneuma stoïcien au couple néoplatonicien âme du
monde / esprit du monde se retrouve chez Pierre Jean Fabre lui-même, mais sans que ce
dernier aille jusqu’à affirmer le caractère incorporel de l’âme du monde. Précisément dans le
passage du Palladium Spagyricum allégué par Bernard Joly pour démontrer que le médecin
de Castelnaudary était « assez bien informé de la physique stoïcienne » 278, Fabre écrit :
« Cependant je ne pense pas, à la manière des stoïciens mal compris, que le
monde soit un animal ayant, dans les profondeurs de l’Océan, des sortes de narines
par lesquelles ses haleines expirées ou inspirées tantôt enfleraient les mers, tantôt les
feraient refluer. Cela relève en effet de la fable, et je ne crois point que les stoïciens
aient professé un tel conte de vieilles femmes, si ce n’est par énigme. Ils estimaient,
en vérité, que ce monde est une sorte d’animal qui a vigueur grâce à une âme et un
esprit, mais cette âme était pour eux la nature, et l’esprit était tenu, toujours par
eux, pour quelque chose d’extrêmement subtil et l’alcool de tous les éléments, par
lequel la force et puissance de la nature se communiquait à l’univers. Vers cette opi-
nion, moi je ne rougirais pas d’aller, toutes brides de ma pensée relâchées, puisque
par sa seule grâce, sans aucun mérite de ma part, Dieu m’a jugé digne de voir cette
visus est appellare Mercurius. Deinde ex specificis pluribus paulatim in vnam genericam
subalternam, & hinc in generalissimam refertur. Itaque gignendarum species quamdiu in illo
communi seminario delitescunt, re vera vnum sunt quid, distinctæ solum secundum potentiam siue
respectum ad speciem, qualitatem, corpus atque materiam informandam. »
277. Les Elemens de la Philosophie de l’art du feu ou chemie, pp. 496-497.
278. Voir B. Joly, « Présence des concepts de la physique stoïcienne dans les textes
alchimiques du XVII e siècle », pp. 344 sqq, et « Physique stoïcienne et philosophie chimique au
XVII e siècle », p. 185.
74 Sylvain Matton
âme ou nature (bien qu’autrement invisible) et l’esprit souventefois 279, revêtu, par
art spagyrique, du corps des éléments, dans le règne animal, végétal et minéral. Je
prie et supplie encore et encore Dieu de permettre à beaucoup de philosophes d’excel-
lentes mœurs de voir cela, afin qu’avec le secours de la lumière divine apparaisse en-
fin devant nous la vraie philosophie, dépouillée de tous les voiles et vêtements qui
l’ont cachée jusqu’à présent, et la cacheront à l’avenir, à moins que quelqu’un n’ex-
plique très bien et comme il convient les fables et énigmes de tous les anciens phi-
losophes, pour déchirer complètement les voiles recouvrant la face de la physique
aristotélicienne, jadis dépeinte sur les guirlandes mêmes d’Aristote (comme si elle
n’avait pas encore été vue par Aristote lui-même et par beaucoup d’autres), et nous
montrer Diane, c’est-à-dire la nature, dans sa nudité. Mais je ne crois pas que cela se
puisse produire, en raison de la brièveté de la vie, de l’immense travail de l’œuvre, de
la difficulté à bien juger et du danger pour la renommée de l’expérimentateur.
Toutefois, je ne cesserai d’avertir ceux qui désirent vivement cet œuvre, que, s’ils
veulent et désirent voir la nature nue, ils doivent travailler de toutes leurs forces à
toutes les opérations chimiques qui sont exposées dans tous les chapitres du présent
livre. C’est en effet seulement grâce à elles qu’ils pourront apercevoir, voilée par une
sorte de corps subtil exalté, cette âme, la nature, — qualifiée par d’autres philo-
sophes de “puissance contemporaine de la matière première”, d’ “inengendrable et in-
corruptible”, d’ “adaptée à toutes les formes” —, en même temps que l’esprit de cette
même âme, qui a également été appelé “âme” et “nature” ; [âme et esprit] à partir
desquels uniquement, nous en sommes convaincus, peut se faire la teinture des phi-
losophes, vers laquelle, comme cela est clair d’après ce que nous avons dit, tend de
par son mouvement naturel intrinsèque la nature en soi elle-même — de même
qu’un mouvement vers son terme, où il doit cesser —, la nature ayant besoin de
l’art, qui lui est semblable, pour enfin parvenir à cette fin. » 280
Il faut par ailleurs noter que Fabre fait encore, par deux fois au moins, référence au
« Dieu de Zénon ». La première mention se trouve dans le Palladium spagyricum. On y lit :
« Comme la vie de tous les êtres animés n’est rien d’autre qu’une permanence de la
chaleur céleste dans un sujet constitué d’un épais assemblage de tous les éléments,
dans l’union desquels elle rejaillit, l’âme sensitive, l’âme végétative ou l’âme
rationelle seront introduites à partir d’une préparation proportionnée de ce sujet. Car
le sujet avec lequel doit être liée cette chaleur céleste, le Dieu de Zénon, mérite de
subir certaines préparations particulières avant que l’âme sensitive puisse s’y élever
ou bien l’âme rationnelle y être introduite. » 281
L’autre référence se trouve dans le Panchymicum :
« La chaleur céleste, Dieu de Zénon, Vulcain de la Nature et Archée diffusé à
travers le monde tout entier, lorsqu’elle agite, excite et pousse chaque partie d’un
microcosme à accomplir des actions, produit dans des divers sujets diverses choses
étonnantes et admirables : dans les végétaux, des feuilles, des fleurs et des fruits ;
dans les minéraux et les animaux, quelque chose d’autre qui n’en diffère guère ni dans
sa réalité ni dans sa définition, car les minéraux ont leur propres fleurs, les animaux
les leurs, et les uns et les autres leurs propres fruits. » 282
nobis vera appareat philosophia, velaminibus, & teguminibus omnibus depositis quibus adhuc
obtegitur, & in posterum obtegetur, nisi quis antiquorum omnium philosophorum fabulas &
ænigmata optime, & vt decet explicet, vt physeos Aristotelicæ velo facie obductæ, antiquitus in
ipsis Aristotelis stemmatibus depictæ (tanquam ab ipso Aristotele inuisæ, & ab alijs multis)
velamina prorsus disrumpat, nobísque nudam commonstret Dianam, seu physim : hæc autem
breuitate vitæ, & operis improbo labore iudiciíque difficultate, & experientis famæ periculo, fieri
posse non existimo. Attamen huius operis auidos admonere non desistam, si naturam velint, &
cupiant videre nudam, eos debere hisce omnibus operibus chymicis quæ in hoc libro capitulis
omnibus inseruntur, totis viribus incumbere : his enim solis animam illam, naturam, quam alij
philosophi materiæ primæ coæuam potentiam, ingenerabilem, & incorruptibilem formis
omnibus accommodatam dixere, corpore quodam tenui exaltato, velatam cernere poterunt, cum
eiusdem animæ spiritu, quem etiam animam & naturam dixere, ex quibus solis tincturam
philosophorum fieri posse decreuimus, naturámque per se ipsam, ad eam tendere naturali motu suo
intrinseco, tanquam ad vltimum sui motum in quo quiescere debet, vt dictis claruit : ad quem
tandem vt deueniat finem arte eget natura, sibi simili. »
281. Cf. Palladium spagyricum, XXIV (« De Coniunctione seu Vnione Animantium »),
Toulouse, 1624, p. 310 : « Vita ergo animantium omnium cùm nihil aliud sit, quàm permanentia
caloris cœlestis in subiecto ex spissitudine elementorum omnium coadunato, in quorum vnione
resultat [,] anima sentiens, vegetans, aut rationalis, inducentur ex proportionata huiusce subiecti
præparatione. Subiectum enim cui connecti debet calor ille cœlestis, Zenonis Deus, peculiares
quasdam subire meretur præparationes antequàm anima sentiens ex eo educi, aut rationalis in illud
induci queat. » Texte ignoré de B. Joly.
282. Cf. Panchymici seu anatomiæ totius universi […] opus, III, sec. VIII, cap. I (« Flores
quid sint in genere, & vnde exoriantur »), t. I, pp. 794-795 : « Calor cœlestis Zenonis Deus,
Vulcanus Naturæ & Archaeus per totum mundum diffusus, dum singulas Microcosmi partes agitat,
stimulat, & ad actiones obeundas compellit, varia varijs in subiectis stupenda, ac miranda,
producit, in vegetabilibus folia, flores & fructus, in mineralibus & animalibus aliquid aliud, nec
76 Sylvain Matton
Pour Fabre, donc, le « Dieu de Zénon » correspond à la « chaleur céleste », laquelle n’est
pas, selon lui, la nature elle-même, mais son « vulcain » et son « archée », c’est-à-dire le
soufre. Cependant — thèse que s’appropriera Nicaise Le Febvre (Le Fèvre, dit “Nicolas”, ca
1610-1669) dans son Traicté de la chymie (Paris, 1660) 283 —, le soufre est, avec le mercure
et le sel, l’un des trois principes à la fois distincts et homogènes constitutifs de l’unique es-
sence de l’« esprit de lumière » qu’est la nature. Aussi, bien que, en raison de l’unicité es-
sentielle de cette triplicité principielle, par quoi la nature forme un symbole de la divine
Trinité, on puisse lato sensu désigner un principe par un autre, ou encore la nature par l’un
ou l’autre de ces principes 284, il n’en reste pas moins que stricto sensu ces trois principes ne
doivent pas être confondus entre eux ni avec la nature, pas plus que ne doivent être confon-
dues entre elles et avec Dieu les trois personnes de la sainte Trinité. En conséquence, il
semble qu’aux yeux de Fabre la conception zénonienne de la Nature ne soit qu’une ap-
proximation de la vérité, comme le sont au demeurant celles des meilleurs philosophes an-
tiques, dont aucun, nous est-il expliqué au tout début du Panchymicum, n’a parfaitement su
ce qu’est réellement la nature puisque tous en ignorèrent la vraie cause 285.
re, nec ratione longè diuersum, suos etenim habent flores mineralia, suos animalia, suosque
vtraque fructus […]. » Texte ignoré de B. Joly.
283. Voir O. Hannaway « Le Febvre, Nicaise », dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of
Scientific Biography, III, New York, 1973, pp. VIII, pp. 130-131 ; S. Matton, « Une source
inavouée du Traicté de la chymie de Nicaise Le Febvre, l’Abregé des secrets chymiques de Pierre
Jean Fabre », Chrysopœia, V (1992-1996), pp. 721-729.
284. Cf. Panchymici seu anatomiæ totius universi […] opus, I, II, t. I, pp. 8-9 : « Spiritum
siquidem illum luminis, quem naturam dicimus, ideo Domini spiritum in Sacris lineis dixit
Moyses, quod verè Domini esset & Creatoris, nulliusque alterius esse potuit. Vnus est & Trinus,
& Trinitas vnitatem non corrumpit, nec vnitas Trinitatem diminuit, vnus est rationis suæ
simplicitatis, Trinus est ratione suæ distinctionis ac diuisionis in Sulphur, in Mercurium & in
Salem : hæc enim tria sunt distincta in spiritu illo luminis, & tamen non differunt ratione suæ
essentiæ : hæc enim tria vnum constituunt spiritum, seu vnam naturam, quæ totum regit orbem, ac
perficit. / Hæc tria Sulphur, Sal & Mercurius vnico sæpe nomine efferuntur, aliquando dicuntur
Sulphur & ignis naturæ, aliquando Mercurius, & humidum primigenium rerum omnium, aliquando
Sal, seu nodus & compago rerum, aliquando materia prima, sæpe natura, rarò spiritus lucis,
sæpissimè mens & anima mundi, quæ omnia nullo pacto inter se differunt : at sunt vnum & idem,
diuersæ tantùm voces & nomina varia, quæ vnicam & solam indicant essentiam, à qua omnes
rerum essentiæ dependent & ortum habent per generationem & corruptionem, hæcque sola
essentia natura dicta, & spiritus luminis à solo est Deo creaturo & ab illo regitur ac gubernatur,
nec ab alio, nec à se ipsa esse potest, cùm per se subsistere nequeat, aliusque alterius indigeat ope
& auxilio, vt suas peragat actiones & in his fungendis assiduò persistat. » L’une des sources de
Fabre est sans doute Joseph Duchesne qui, parlant des trois principes paracelsiens, écrivait dans
son De Priscorum Philosophorum veræ medicinæ materia, præparationis modo atque in curandis
morbis præstantia, Saint-Gervais, 1603 : « Nam ea ipsa præparatione tria principia eliciuntur ex
terra, quæ à se inuicem possunt separari, & nihilominus omnia tria consistunt in vna eadémque
essentia : suntq́ue tantùm proprietatibus, ac viribus distincta, in quo manifestatur, & ad quod
aliquo modo referri potest incomprehensibile illud mysterium de tribus personis in vna, eademque
hypostasi, quæ diuinam constituunt Trinitatem. […] »
285. Cf. id. I, III, t. I, p. 11 : « Vnde verè Antiqui omnes Philosophi & præsertim Pagani &
Ethnici naturam perfectè non cognouerunt, vt ipsorummet dogmatibus & præceptis facillimè
colligitur ; docuerunt enim omnes, ignota causâ, effectus latere notitiam : ergo cùm ipsimet
Alchimie et stoïcisme 77
causam naturæ ignorarint, & naturam ipsam ignorasse certum fuerit, quod & ipsorum scriptis luce
clarius patet ; quæ enim ipsi scripserant de natura, meræ nugæ sunt, & adhuc ænigmatibus &
griphis quamplurimis inuolutæ, quod plurimi pro veritate nugis illis inuoluta reputarunt. »
286. Voir S. Matton, « La figure de Démogorgon… » (art. cit. infra note 290), p. 329.
287. Voir B. Joly, « Physique stoïcienne et philosophie chimique au XVII e siècle » ,
pp. 181-184.
288. Dans sa thèse Clovis Hesteau, sieur de Nuysement, et la littérature alchimique de la fin
du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, W. Kirsop avait signalé les manuscrits suivants : Paris,
bibliothèque Mazarine 3678 [= Ma] ; bibliothèque Sainte-Geneviève, ms 2245 [= SG] ;
bibliothèque centrale du Muséum national d’histoire naturelle 361, pp. 31-227 [= Mu] ;
Strasbourg, Bibliothèque nationale et universitaire, ms. 368 [= S]. Deux autres manuscrits ont
depuis été découverts par D. Kahn (voir « Le fonds Caprara de manuscrits alchimiques de la
Bibliothèque Universitaire de Bologne », Scriptorium, XLVIII (1994), fasc. 1, pp. 62-110, ici
p. 96) à la Biblioteca Universitaria de Bologne, le cod. 457, b. XI, fasc. 1, ff. 15r-146 v [= B1],
et le cod. 457, b. XXII, fasc. 3, ff. 1r-85r [= B2].
289. L’identification de l’auteur des Trois livres des elemens chymiques et spagyriques avec
J. Brouaut a été suggérée, mais finalement laissée en suspens, par W. Kirsop dans sa thèse Clovis
Hesteau, sieur de Nuysement, et la littérature alchimique de la fin du XVIe siècle et du début du
XVIIe siècle, I, p. 147 ; elle a été en revanche acceptée par D. Kahn dans « La faculté de médecine
de Paris en échec devant le paracelsisme… », à paraître dans International Reception of
Paracelsus, Actes du colloque de Bonn et Heidelberg (14-16 juin 1995). Pour l’état de la question,
voir S. Matton, « Henry de Rochas plagiaire des Trois livres des elemens chymiques et spagy-
riques de Jean Brouaut », Chrysopœia, V (1992-1996), pp. 703-720.
Sur Jean Brouaut, voir surtout W. Kirsop, op. cit., I, pp. 29-31 ; S. Colnort-Bodet, « U n
traité de thérapeutique au XVI e siècle : Brouaut et la panacée alcoolique, Revue d’histoire des
sciences et de leur applications, XII (1959), pp. 301-313 ; « Un distillateur français, médecin et
fabricant de remèdes, précurseur de Galilée ? Ou du rôle méconnu des distillateurs dans la
transition entre la scolastique et la science moderne », Veröffentlichungen der internationalen
Gesellschaft für Geschichte der Pharmazie, Neue Folge, Bd. 42 : Die Vorträge der
Hauptversammlung in Paris, Stuttgart, 1975, pp. 11-20 ; « Un disciple peu connu de Rondelet et
de Schyron : Jean Brouaut », Monspeliensis Hippocrates, XIV (hiver 1961), pp. 9-15.
78 Sylvain Matton
cation est un feu qui « se meut en l’air » et prend sa source dans « Démogorgon » 290, ce dieu
des Anciens qui, « primogéniteur universel », désigne la « minière », au centre du monde, de
l’esprit universel ; il poursuit alors :
« Dans le sein de cest ancien a Demogorgon la racine de ce feu est implantée, et de la
faict sortir vne vapeur et haleine que Hermes au Pimandre appelle nature humide.
Car vapeur b est la premiere et prochaine operation c du feu, avec lequel elle est
tellement conioincte que l’on ne le scauroit seulement considerer d sans elle. Mais
puisque ceste vapeur provient du feu, comment est ce qu’elle est humide ? et quelle
humidité peut elle auoir ? et d’ou est ce qu’elle luy vient ? En cecy il e fault
considerer qu’il est impossible que chaleur ny feu puisse estre sans humeur, qui est
son entretien, aliment, et subiect sans lequel le feu mesme ne scauroit f estre
imaginé. Car puisque son naturel est d’agir et que son action est indeficiente, il fault
de necessité qu’il agisse sur quelque chose, et que ceste chose mesme ne luy manque
iamais. Ainsi donc le feu et l’humidité coessentiels sont comme le masle et la
femelle de toutes generations, et premiers parens de la corporification de l’esprit du
monde, comme nous dirons cy aprez. Mais le feu est comme le premier operateur,
daultant que l’action est premiere que la g passion, combien que ce qui patist
inseparablement coëxiste avec ce qui agist : Et c’est ce que iadis a senty h Zenon
Stoïque, estimant que la substance du feu par l’air conuertie en eau, et contenuë en
icelle i, (comme la semence au germe) d’ou par j aprez toutes choses sont engendrées,
estoit la premiere matiere de l’vniuers 291. Thales milesien k l’ung des sept que les
grecs appellent saiges l s’arrestant a la matiere patiente, a pensé que c’estoit m l’eau
ou humeur n, que Heraclite aussy appelle o mer. Quand donc nous dirons le feu estre
290. Sur la fortune de ce dieu fictif posé par Boccace comme le premier père de toutes les
divinités, voir S. Matton, « La figure de Démogorgon dans la littérature alchimique », dans :
D. Kahn et S. Matton (éd.), Alchimie : art, histoire et mythes, pp. 265-346, et particulière-
ment, à propos de Brouaut, pp. 309-316.
291. Cf. Diogène Laërce, VII, 1, 188, 21-29 Cobet : « ˘Fµ …ı|≠µ`§ ¢|ªµ ≤`® µ∑◊µ ≤`®
|¶¥`ƒ¥Äµäµ ≤`® Eß` √∑≥≥`±» …ı ~…ă`§» ∏µ∑¥`«ß`§» √ƒ∑«∑µ∑¥câ|«¢`§. L`…ı aƒ¤d» ¥Åµ ∑”µ
≤`¢ı `Ã…ªµ ¿µ…` …ƒÄ√|§µ …éµ √k«`µ ∑À«ß`µ {§ı aă∑» |•» —{›ƒ/ ≤`® ‰«√|ƒ }µ …° z∑µ° …ª
«√ă¥` √|ƒ§Ä¤|…`§, ∑—…› ≤`® …∑◊…∑µ «√|ƒ¥`…§≤ªµ ≥∫z∑µ ºµ…` …∑◊ ≤∫«¥∑ …∑§∫µ{ı
Ã√∑≥|ß√|«¢`§ }µ …Ù ÃzƒÙ, |À|ƒzªµ `À…Ù √∑§∑◊µ…` …éµ —≥äµ √ƒª» …éµ …˵ ~∂ï» zĵ|«§µ, |≠…ı
a√∑z|µµkµ √ƒË…∑µ …d …Ä««`ƒ` «…∑§¤|±`, √◊ƒ, —{›ƒ, aă`, zïµ. » La traduction latine d’A.
Traversari, qu’a peut-être utilisée Brouaut, donne (éd. Lyon, 1551, p. 309) : « Vnum quoque deum
esse, ipsum´que & mentem, & fatum, & Iouem, multis´que alijs appellari nominibus. Principiò
igitur illum cùm esset apud se, substantiam omnem per aërem in aquam conuertisse. Et
quemadmodum in fœtu semen continetur, ita & hanc serendi rationem in humore talem resedisse
materia ad operandum aptissimè parata, ex qua cætera post hæc gignerentur. Tum genuisse
primum elementa quatuor, ignem, aquam, aërem, terram. » Voir aussi id., 40-44: « Dßµ|«¢`§ {Å
…ªµ ≤∫«¥∑µ, æ…`µ }≤ √ƒª» å ∑À«ß` …ƒ`√° {§ı aă∑» |•» Ãzƒ∫µ, |≠…` …ª √`¤¥|ƒÅ» `À…∑◊
««…dµ a√∑…|≥|«¢° z°, …ª {Å ≥|√…∑¥|ƒÅ» }∂`|ƒ›¢°, ≤`® …∑◊…ı }√® √≥Ä∑µ ≥|√…µ¢Åµ √◊ƒ
a√∑z|µµç«ñ. » La traduction latine d’A. Traversari donne (éd. cit, p. 311) : « Mundum uerò fieri,
cum ex igne substantia per aërem uersa in humorem fuerit, deinde crassior ipsius pars effecta fuerit
terra, porrò subtilior in aërem cesserit, eadem´que magis ac magis extenuata in ignem euaserit. »
Alchimie et stoïcisme 79
principe des choses, nous ne nous esloignerons p de la verité : Car pour certain c’est
le premier ouurier, et dernier destructeur ou mueur q des formes iusques a ce qu’il ayt
reduict les choses a leur dernier periode et matiere, oultre laquelle il r n’y a plus de
progression mais bien transformation. » 292
a. pere add. SG || b. la vapeur B1 || c. action S || d. imaginer S || e. om. B1 B2 || f. peut a. c.,
pourroit p. c. B2 || g. om. S || h. recogneu p. c. Ma. (senty a. c.), S || i. icelle SG ; iceluy
B1 B2 ; iceluy air Ma S (air s. l. add. Ma) || j. om. SG || k. milosien B2 || l. sept sages des
Grecs B1 || m. [s’arrestant – c’estoit om. B2 || n. l’humeur B2 || o. appellent B2 || p. pas
add. B1 || q. miniere SG, mineur (?) B2, moteur S || r. om. B1 B2.
Il ressort de ce texte que pour Brouaut le feu de Zénon n’est pas à proprement parler
l’esprit universel, mais seulement le moteur de sa corporification, de même que l’esprit
universel n’est pas davantage la divinité matérielle et immanente de Zénon, car si Démo-
gorgon, la « racine et miniere » de l’esprit universel, est le « primogeniteur vniuersel » d’où
« est sorty tout ce qui est, soit hault au Ciel, soit bas soubz le Ciel », il « n’y a rien qui de
luy et par luy par la meditation et premiere pensee d’vng seul Dieu ne soit mis en
lumiere » 293 ; Démogorgon n’est donc que l’agent et l’instrument du Créateur. Ainsi pour
Brouaut, comme pour Fabre, la doctrine de Zénon, quoique plus approfondie que celle d’un
Thalès, qui s’est arrêté à la matière patiente, n’est qu’une vue partielle de la vérité, et
Brouaut ne rappelle, d’après Diogène Laërce, les vues de Zénon sur les éléments et leur
conversion que comme une confirmation de ses propres thèses, non comme leur source et
leur modèle.
D’autre part, que les thèses de Zénon telles que les rapporte Diogène Laërce — de
manière, il est vrai, quelque peu obscure — soient souvent restées incomprises aux XVIe et
XVIIe siècles dans les milieux alchimiques, c’est ce dont témoigne la leçon erronée (i) de la
majorité des manuscrits des Trois livres des elemens chymiques et spagyriques, lesquels,
substituant iceluy à icelle, font de l’air, et non de l’eau, la substance finale enveloppant le
principe générateur. Sur ce point, la version donnée par Nuysement est correcte. Cependant
Nuysement ne paraît pas avoir remarqué que ce passage — qui avait été cité par Juste Lipse
dans sa Physiologia Stoicorum 294 — était tiré de Diogène Laërce, puisqu’il corrige
« comme la semence au germe », par quoi Brouaut traduit le « ‰«√|ƒ }µ …° z∑µ° …ª
«√ă¥` » de Diogène Laërce, en « comme vn sperme general ». Au reste, loin d’insister sur
la doctrine physique de Zénon, comme il eût pu le faire s’il avait été réellement influencé
par les milieux stoïciens de son temps, Hesteau de Nuysement en réduit sensiblement
l’importance en ajoutant au texte de Brouaut une référence à la Genèse :
292. Ma, f. 27v (nous prenons ce ms comme texte de base) ; SG, f. 16v ; S, pp. 43-45 ; B1,
ff. 31r-32 r ; B2, ff. non chiffrés.
293. Mazarine, f. 4r-v . Voir aussi C. Hesteau de Nuysement, Traittez de l’harmonie et
constitution generale du vray sel, Paris, 1621, p. 4 (éd. La Haye, 1639, p. 2 ; éd. Paris, 1974,
Clovis Hesteau de Nuysement, Les Visions hermétiques et autres poèmes alchimiques suivis des
Traictez du vray sel, p. 143).
294. Voir Physiologiæ Stoicorum libri tres, II, VIII, éd. Opera, Lyon, 1613, I, p. 849.
80 Sylvain Matton
« Mais le feu est comme le premier operant ; d’autant que l’action precede tousiours
la passion. Combien que ce qui patit inseparablement coexiste avec ce qui agit :
Ainsi que le stoique Zenon disoit jadis, estimant que la substance du feu, par l’air
conuertie en eau, & conseruee en icelle, comme vn sperme general, d’où puis apres
toutes choses sont engendrees, estoit la premiere matiere de l’vniuers. Thales
Millesien, que les Grecs honorent du nom de sage, s’arrestant à la matiere patiente,
estimoit que c’estoit l’eau : qu’Heraclite aussi nommoit Mer : Et Moyse plus
illuminé que ces deux, dit que l’Esprit de Dieu estoit porté sur les eaux auant la
creation du ciel & de la terre : Nommant le feu à cause de sa noble, pure, & digne
essence, l’Esprit de Dieu. Quand je diray donc le feu estre le principe des choses
[…]. » 295
Le texte d’Hesteau de Nuysement fut à son tour repris dans L’Hydre morbifique
exterminée par l’Hercule Chymique (Paris, 1628) par David de Planis Campy (ca 1589-
1644) 296, autre effronté pillard, qui paraît encore moins connaître le texte de Diogène Laërce
et la doctrine de Zénon, puisqu’il attribue à ce dernier la théorie du sel qu’il trouve chez
Nuysement :
« Que diray je plus de l’Eau ? Hermes en son Pimandre appelle la nature Eau, par ce
mot humide : car vapeur est la premiere & prochaine action du feu, auec lequel elle
est tellement conjoincte qu’on ne le sçauroit seulement imaginer sans elle. C’est
pourquoy le Stoïque Zenon estimoit que la substance du feu par l’Air se
conuertissoit en Eau, & conseruée en icelle comme un sperme general (pour la
generation & conseruation de toutes choses) en forme d’vn Sel : y ayant dans iceluy
Sel vn secret Element de feu, qui a les mesmes actions de ce feu primitif, estant
pour ceste cause appellé baulme des corps, dautant qu’il y a en luy ce qui donne,
augmente, & conserue la vie ; n’est sinon vne vapeur humide accompagnée de
chaleur temperée. » 297
Et dans L’Ouverture de l’escolle de philosophie transmutatoire (Paris, 1633), Planis
Campy réutilisera le passage, mais en gommant cette fois la référence à Zénon :
« Il est constant parmy tous les Philosophes, que le Feu ne peut subsister sans Air,
qui est son aliment ; & c’est ce que Hermes veut inferer en son Pimandre quand il
295. Cf. Traittez de l’harmonie et constitution generale du vray sel, pp. 67-68 (éd. La
Haye, 1639, p. 26 ; éd. Paris, 1974, p. 179).
296. Voir F. Secret, « De quelques traités d’alchimie au temps de la régence de Marie de
Médicis », Chrysopœia, III (1989), fasc. 4, pp. 382-385 ; A. G. Debus, The French Paracelsians,
pp. 78-80.
297. L’Hydre morbifique…, VIII (« La massue herculeane »), éd. Œuvres, p. 257. Nuysement
avait écrit : « […] Hermes en son Pimandre appelle Nature humide. Car vapeur est la premiere et
prochaine action du feu ; avec lequel elle est tellement conjoincte qu’on ne le scauroit seulement
imaginer sans elle […]. »
Alchimie et stoïcisme 81
appelle la Nature humide, car vapeur est la prochaine action du Feu ; aussi sa
substance par l’Air se conuertit en Eau & se conserue en icelle (ce qui sera pour
l’explication de ceux qui disent qu’elle se treuue en l’Eau) laquelle jettee aux
entrailles de la Terre par la force du Vent, immediate [sic] fils de la Nature, vient à
exiter derechef à mouuement le Cahos, qui est l’Air, & luy exite le Feu centric ; &
cestuy-cy separe, purge, digere, colore, & fait meurir toute espece de semence, les
poussant dans les Matrices pures ou impures d’où prouient la diuersité des Myxtes.
En ce que dessus ce remarquent les actions des trois principes principiez, sçauoir le
Souphre par le Feu, le Sel par l’Air, & le Mercure par l’Eau. » 298
On notera le flottement de Planis Campy dans son analyse des rapports entre les
éléments et les « principes principiez », puisque dans L’Hydre morbifique il affirmait que
pour Zénon c’est dans l’eau que le feu, en tant que sperme général, se conserve sous forme
de sel. Quant à l’attribution aberrante, dans cette même Hydre morbifique, d’une théorie
chymique du sel au fondateur de la Stoa, elle ne resta pas tout à fait isolée, car William
Davisson évoqua lui aussi les stoïciens à propos du sel. Dans sa Philosophia pyrotechnica,
en un texte qu’il devait reprendre, avec quelques modifications stylistiques, dans l’Oblatio
salis sive Gallia Lege Salis condita (Paris, 1641), il écrit :
« Que le sel soit incorruptible, et même le préservatif de tout ce qui est corruptible,
cela a été suffisamment démontré plus haut. Il est donc comme une seconde âme,
qui, aussi longtemps qu’elle est dans un corps, le préserve de la putréfaction,
conformément à cette sentence de Pline 299 et des stoïciens, que la viande de porc est
en soi pour ainsi dire morte à moins que ne lui soit donnée une âme en place de sel.
Car le sel a, comme les ferments, la propriété de convertir finalement en sa nature
tout ce à quoi il a été mêlé, pourvu qu’il puisse pénétrer en détruisant l’humidité
superflue. » 300
L’on pourrait multiplier les textes de la littérature alchimique prétendant à l’érudition
mais présentant en réalité des connaissances soit fort approximatives, soit confuses, soit
franchement fausses de la philosophie stoïcienne, et d’où cette dernière sort défigurée,
parfois même totalement méconnaissable. Dans sa Sympathia septem metallorum ac
septem selectorum lapidum ad planetas (Paris, 1610), après avoir expliqué que Vénus est en
sympathie avec le cuivre et non avec l’aurichalque — correspondance platonicienne rappelée
par Ficin dans son Compendium du Critias ainsi que par Francisco Vallès dans son De sacra
philosophia (Turin, 1587) 301 —, Petrus Arlensis de Scudalupis 302 continue :
« Les sages comptent deux Vénus, l’une dans le ciel, sans mère, l’autre sur la terre,
née et issue de parents. Les sages, comme je l’ai déjà dit, dissimulaient tout sous un
voile — coutume assurément excellente pour ne point donner des perles à des gens
ne les méritant pas et à des ignorants. Encore que les stoïciens et les platoniciens
considèrent de manière différente ces deux Vénus, elles sont unies ensemble par saint
Augustin, sur la foi duquel parlent les stoïciens. Saint Augustin pose deux cités, à
savoir la Jérusalem céleste et l’infâme Babylone. La Vénus céleste engendre un
amour saint et chaste, tandis que la terrestre engendre un amour profane. La seconde
dépend de la première et ne peut en aucune manière subsister sans elle. Celle qui se
tourne vers la terre est commune et vulgaire, celle qui se tourne vers les cieux est
plus ancienne et plus noble. Selon les Saintes Écritures, ce furent d’abord les cieux
qui furent affermis — et voilà l’ancienneté de la première. Ensuite, après la
formation des cieux, apparut la terre ferme, et les corps élémentés n’existèrent pas
aussitôt. C’est pourquoi les stoïciens qualifièrent d’ “éthérée” la première et
d’ “aérienne” la seconde. En raison de sa vertu diffusive et productive, ils appelèrent
l’une “céleste” et l’autre, en raison de son humidité et de sa viscosité, “métallique” et
“terrestre” 303. » 304
301. Voir notre étude, « Marsile Ficin et l’alchimie… », pp. 136-138 et 180.
302. Voir J. Ferguson, Bibliotheca Chemica, II, p. 184 ; L. Thorndike, A History of Magic
and Experimental Science, VI, pp. 301-302 ; F. Secret, Annuaire de l’École pratique des Hautes
Études, Ve section, 1971-1972, p. 304.
303. Nous n’avons pas retrouvé la source, s’il y en a une, des propos de Petrus Arlensis de
Scudalupis. Elle n’est en tout cas constituée par aucun des textes se rapportant à Vénus recueillis
par J. von Arnim dans ses Stoicorum Veterum Fragmenta, à savoir Athénée, XIII, 572f. (= SVF I,
545), Stobée, Eclogae, éd. Wachsmuth, I, Berlin, 1884, p. 184, 8 (= SVF, II, 527), et Aëtius,
Plac. I 6 (= SVF, II, 1009). Elle ne l’est pas davantage par le chapitre (XXIV ) sur Vénus du D e
natura deorum de Cornutus, lequel rappelle cependant la distinction des trois Vénus : Vénus
céleste (ıAŸƒ∑{ß…ä ∑Àƒcµ§`), Vénus vulgaire (ıAŸƒ∑{ß…ä √cµ{ä¥∑») et Vénus cause de toutes
choses (ıAŸƒ∑{ß…ä √`µ`§…ß`).
304. Cf. Sympathia septem metallorum ac septem selectorum lapidum ad planetas, Paris,
1610, pp. 375-376 (éd. Hambourg, 1717, pp. 289-290) : « Duæ Veneres a sapientibus enume-
rantur, una in Cœlo sine matre, altera in Terra a parentibus orta productaque. Sapientes omnia, ut
prædixi, sub velamine occultabant, mos utique peroptimus, ne Margaritæ non merentibus neque
agnoscentibus concederentur. Duæ illæ Veneres licet a Stoicis diversimode quam a Platonicis
considerentur, tamen simul a D. Augustino uniuntur : de cujus sententia Stoici loquuntur. Duas
Civitates D. August. struit, cælestem nempe Hierusalem, & turpem Babylonem. Cælestis Venus
sanctum & pudicum, terrena vero profanum parit amorem. A prima secunda dependet, & sine illa
ullo pacto nequit subsistere. Quæ in terris versatur communis & vulgaris, quæ in cœlis antiquior &
nobilior. Prius equidem cælos firmatos fuisse ex sacris libris habetur, ecce antiquitas primæ.
Arida post Cælorum formationem apparuit, & non statim elementa extitere. Ideo Stoici Ætheream
Alchimie et stoïcisme 83
Quant à Pietro Maria Canepari 305, il range apparemment, dans son De atramentis
cuiuscunque generis (Venise, 1619), les stoïciens parmi les adversaires du vitalisme
minéral, et par conséquent du panvitalisme ou de l’hylozoïsme défendu par les tenants de
l’esprit universel du monde :
« Les stoïciens appellèrent “nature” l’âme qui régit les plantes, tandis qu’ils
appellèrent “âme” celle qui régit les animaux. Mais ils laissèrent entendre que la
substance de l’une et de l’autre est un esprit inné, comme en témoigne Galien dans
son Ve commentaire de la Ve partie du traité des Épidémies d’Hippocrate. Il s’ensuit
que tout ce qui est privé d’âme est aussi privé d’esprit, puisqu’en effet l’esprit est
l’instrument de l’âme, comme l’a montré Galien au livre III, chapitre VII du traité
des Lieux des affections et au livre V, chapitre IX du traité des Facultés des simples
médicaments. En outre, les choses qui s’augmentent par addition sont sans semence.
Les pierres et les métaux sont donc ainsi entièrement dépourvus d’âme, d’esprit et de
semence. Aristote paraît être de la même opinion au IVe livre des Météorologiques,
texte 53, où il dit que les métaux sont inanimés. » 306
Éléments et principes
Ce n’est pas seulement au prix d’un renversement de son statut ontologique qu’il serait
possible de reconnaître dans le spiritus mundi des alchimistes le pneuma des stoïciens ; c’est
aussi à condition de méconnaître leurs théories des éléments et des principes.
Nous avons vu Bernard Joly nous expliquer à partir d’une analyse de la pensée de Pierre
Jean Fabre que « l’esprit céleste de l’alchimie » est un « mélange de feu et d’air » et qu’il
primam dixere, Æream secundam. Illam ex virtute diffusiva & productiva, Cælestem : istam ex
humiditate & viscositate, Metallicam & Terream appellavere. »
305. Voir Dizionario biografico degli italiani, XVIII, Rome, 1975, pp. 23-34 (art. de
A. De Ferrari).
306. De atramentis cuiuscunque generis, I, VI (« Utrum semen cum Spiritu & Anima insit
Metallis & Lapidibus »), pp. 24-25 (éd. Rotterdam, 1718, p. 33) : « Hanc [animam] Stoici
appellarunt naturam qua stirpes, animam uero qua animantes gubernantur, utriusque uerò
substantiam innatum esse spiritum insinuarunt teste Galeno comment. quinto in librum
Hyppocratis particula quinta de Vulg. morb. ex quibus consequitur quod omnia quæ carent anima
sint etiam spiritu priuata ; cum enim spiritus sit instrumentum animæ ut prodidit Galenus libro
tertio de loc. affect. capite septimo, ac libro quinto de simplicium medicamentorum facultatibus
capite nono : Prætera quæ augentur per additamentum sunt absque semine : prorsus itaque deficiunt
lapides metallaque anima, spiritu & semine, ejusdem opinionis uidetur Aristoteles quarto
metheororum textu quinquagesimo tertio ubi ait metalla esse inanimata ». En revanche, Canepari
ne manquera pas de citer Ficin parmi ceux qui accordent semence, esprit et âme aux métaux ; voir
S. Matton, « Marsile Ficin et l’alchimie… », pp. 184-186.
84 Sylvain Matton
« se mêle à l’humidité radicale », avec laquelle il forme « les deux principes, Soufre et
Mercure », conformément à la doctrine stoïcienne faisant de la matière un « mélange des
éléments actifs (le feu et l’air) et des éléments passifs (l’eau et la terre) » 307. Mais l’affirma-
tion que les alchimistes tenaient le spiritus mundi pour un mélange de feu et d’air est des
plus contestables. Elle est indéniablement fausse dans son universalité, et l’on peut même
se demander s’il y eut jamais un adepte à penser de la sorte : nous n’en connaissons pas,
pour notre part, qui ait défendu cette thèse. En l’occurrence, ce ne fut pas le cas de Pierre
Jean Fabre, contrairement à ce que croit Bernard Joly, qui précise que pour Fabre le véhicule
du spiritus mundi est constitué par l’humide radical 308. Or c’est très exactement le contraire
que professe Fabre : pour lui, nous l’avons vu, l’humide radical, ou mercure, s’identifie au
spiritus mundi en tant qu’il en est, avec le soufre et le sel, l’un des trois principes homo-
gènes constitutifs 309, tandis que l’air n’est qu’un véhicule du spiritus mundi 310 — comme
le sont les trois autres éléments : ciel, eau, terre 311 —, véhicule d’où ce spiritus peut être
extrait 312. Certes, dans l’un de ses derniers écrits, l’Universalis sapientiæ, seu Panchymici
tomus ultimus, dont la dédicace à François Vautier est datée de 1648, Fabre écrit :
« Il existe de nombreux médecins qui nomment “éthérés” et “aériens” nos esprits
et ceux de toutes les autres choses, qui estiment également que ces esprits possèdent,
innée en eux, la substance d’un air très pur, et qui pensent en conséquence que l’air
entre dans la composition des esprits. J’ai moi-même considéré cela comme très vrai
en de nombreux endroits de mes livres, mais devenu plus vieux et plus prudent, j’ai
changé d’avis, poussé à cela par l’anatomie même des choses, où je n’ai point
constaté que l’air forme une partie essentielle de leur composition, mais seulement
qu’il remplit les pores de toutes choses et constitue le véhicule de l’esprit céleste. En
effet, l’air existe dans la nature non pas pour composer, avec les autres éléments, les
choses naturelles, mais seulement pour être le véhicule de l’esprit céleste, qui entre
dans la composition de toutes choses, et pour être le moyen de conjuguer les choses
supérieures, c’est-à-dire les influx célestes, avec les éléments inférieurs. » 313
Cette rétractation de Fabre ne signifie cependant pas qu’il ait jamais pensé que l’air
entrait dans la composition substantielle de l’« esprit céleste », c’est-à-dire du spiritus mundi
considéré dans son essence. De fait, nous n’avons trouvé en aucun endroit de ses œuvres
antérieures à l’Universalis sapientia une telle proposition. Car il faut se rappeler que pour
Fabre, l’esprit général du monde n’est pas en soi composé d’éléments, mais est infus dans
tous les éléments, dont il constitue « la vie et l’âme » 314. Ce n’est qu’en sa corporification
quintessence de vie ; & la terre est le dernier & quatriesme moyen, par lequel nous receuons cette
vertu qu’Aristote nomme Entelechie, comme vertu & puissance de l’estre. »
312. Cf. Palladium spagyricum, p. 68 (éd. Opera reliqua, p. 778), à propos de la répétition
des opérations de distillation pour l’obtention du mercure des philosophes : « Vnde magis ac
magis attrahit [materia, i. e. calx philosophorum, pluries distillata] aëris humidum (Elementorum
omnium radicalem essentiam) quo solo gaudet & sitim explet, & sic in illo corpore latet perpe-
tuus & perennis metallici spiritus fons & origo, mirum certè ipsius naturæ arcanum. »
313. Cf. Universalis sapientiæ seu Panchymici tomus ultimus, II, XII (« An spiritus cœlestis
qui per aera nobis communicatur, induat aliquid aeris ad ipsius essentiam constituendam »), Tou-
louse, 1654, pp. 276-277 : « Quamplurimi sunt medicorum qui spiritus nostros, & rerum aliarum
omnium uocant æthereos, & aeros, & perinde existimant hos spiritus aeris purissimi substantiam
sibi innatam habere, & inde aerem compositionem spirituum intrare putant. Ego ipse multis in
locis librorum meorum, id ipsum tamquam verissimum asserui, sed prudentior, & senior factus,
mutaui sententiam, ex ipsa rerum anatomia, vbi aerem non iuueni [sic] tamquam partem essentia-
lem compositioni ; sed poros tantum rerum omnium repletem, & spiritus cœlestis vehiculum
esse, datus enim aer in rerum natura non vt componat, cum reliquis elementis, res naturales sed
tantum vt sit vehiculum spiritus cœlestis, qui rerum omnium compositionem intrat, & vt sit me-
dium coniungendi res superiores hoc est influxus cœlestes, cum inferioribus elementis. » Voir
aussi la conclusion générale du chapitre, p. 279 : « His itaque declaratis intrepide concludemus,
spiritum cœlestem qui nobis vt cæteris rebus omnibus, per aera communicatur, nihil aeris ipsius
induere naturæ, & essentiæ, sed solum spiritus cœlestis esse vehiculum vt nobis cæterisque rebus
omnibus communicetur. »
314. Cf. L’Abregé des secrets chymiques, I, V (« De l’humide radical de toutes choses, qu’en
Chymie on appelle Mercure »), pp. 25-26 : « C’est ce qui a trompé & abusé la plus grand part des
86 Sylvain Matton
qu’il se revêt des éléments, lesquels lui donnent un « corps visible et palpable » 315 en même
temps qu’ils souillent ce corps de leurs impuretés ou excréments 316. L’esprit général du
monde ne contient que virtuellement en lui — « dans son ventre » 317 — les éléments, dans
la mesure où ceux-ci ont été produits par Dieu à partir des trois principes, même si la créa-
tion tout entière fut, selon l’avis de « beaucoup de Chymiques », et notamment de Raymond
Lulle, instantanée 318.
Il reste cependant toujours possible de rapprocher la théorie fabrienne de l’esprit général
du monde ainsi restituée d’une certaine conception stoïcienne du pneuma. L’on sait en effet
que les stoïciens ne s’accordèrent pas sur sa nature, certains faisant effectivement de lui un
composé d’air et de feu, mais d’autres le tenant pour une subtance ignée au-dessus et à
l’origine des quatre éléments 319, ce qui est la doctrine de Fabre et de l’écrasante majorité,
pour ne pas dire la totalité, des alchimistes partisans du spiritus mundi. Toutefois, cette
doctrine avait également été celle de néoplatoniciens tant antiques que modernes, et c’est
essentiellement par leur intermédiaire, en particulier par celui de Ficin 320 relayé par les
paracelsiens, qu’elle se diffusa chez les alchimistes, dont les analyses divergent fréquemment
dès lors qu’elles portent précisément sur les éléments produits à partir du spiritus mundi.
Philosophes, qu’en la generation des mixtes naturels, les Elemens entrassent en leur composi-
tion & production ; d’autant que toutes sortes de mixtes se produisent dans iceux, & prennent
nourriture, & se conseruent emmy les Elemens : Mais si l’on pese bien & considere cette façon de
production, nourriture & conseruation, l’on verra que bien qu’elle se fasse dans les Elemens, elle
ne se fait pas pourtant d’iceux ; mais de cét esprit de vie qui est en eux, & sans lequel les elemens
seroient inutiles & vain dans la pâture, comme des corps sans ame & sans vie : car de vray cét es-
prit est leur vie & leur ame ; au moyen de laquelle ils font, produisent, & conseruent toutes choses
[…]. »
315. Id., II, VII (« Pourquoy la nature ne peut separer les impuretez & saletez qui sont en l’es-
prit general du monde, & pourquoy ne peut-elle seule acheuer la Medecine vniuerselle »), p. 156.
316. Cf. id., p. 154 : « le corps du Soleil […] n’est rien plus que cette lumiere fixée en
corps de Soleil par la main de Dieu, d’où il nous depart l’esprit general de vie pour la conseruation
& production de toutes choses ; lequel esprit de vie venant à se corporifier en esperme general,
contracte en cette coagulation les excrements qui sont dans les elements, & principalement
dedans l’eau & dans la terre […]. »
317. Cf. id., II, III , p. 121 : « […] c’est la vraye chaleur naturelle & l’humide radical du
monde, duquel toutes choses ont estre, & au moyen duquel toutes choses se conseruent, qui
enferme dans son ventre les quatre elements & les trois principes Chymiques, Sel, Soulphre &
Mercure. »
318. Cf. id., I, VII , pp. 44-45 : « Il y a beaucoup de Chymiques, entr’autres Lulle, qui estime
que Dieu crea les Elemens, & cét esprit de vie qui les viuifie, & les rend pleins de vertu productiue,
& autres proprietez concernans la vie, tout en vn instant, & que cét esprit fut le premier creé, en
intention & en pensee diuine, & non en temps ; & que du feu naturel de cét esprit les cieux furent
faits, & que de l’humide radical, l’air & l’eau, & que du sel radical la terre fut faite ; & ainsi cét
esprit de vie donna le principe aux elements par la puissance diuine, qui les en separa, & mesla à
l’instant cét esprit dans ces corps, & les vnit tellement ensemble qu’il est impossible de les en
separer par aucune industrie humaine. »
319. Voir G. Verbeke, L’Évolution de la doctrine du pneuma du stoïcisme à S. Augustin,
p. 173. La première thèse fut celle de Zénon ; la seconde, celle de Marc-Aurèle.
320. Voir S. Matton, « Marsile Ficin et l’alchimie… », p. 143.
Alchimie et stoïcisme 87
321. Voir en particulier R. Hooykaas, « Die Elementenlehre des Iatrochimiker », Janus, XLI
(1937), pp. 1-28.
322. Voir H. Kopp, Beiträge zur Geschichte der Chemie, 3 vol., Brunswick, 1869-1875, III,
pp. 201-210 ; Geschichte der Chemie, 4 vol., Brunswick, 1843-1847, I, pp. 178-180, et II,
pp. 277-278 ; Die Alchemie in älterer und neurer Zeit. Ein Beitrag zur Culturgeschichte, 2 vol.,
Heidelberg, 1886, I, pp. 65-68.
323. Voir A. G. Debus, « Becher », Dictionary of Scientific Biography, p. 549.
324. Cf. De Aureo Vellere, I, XI, Anvers, 1604, p. 74 (éd. Theatrum chemicum, V, pp. 318-
319) : « Ex tribus elementis cuncta constare in præcedentibus enarravimus, & non pluribus,
videlicet aqua, igne, ac terra ; aërem autem ostendimus vnius ac eiusdem esse naturæ cum aqua, ac
in nomine sanctissimo tetragrammato vtrumque contineri sub elementis sive literis He & He, &
illa tria ex vno prodire demonstrabimus, vt etiam mathematum magistri tria imaginantur prin-
cipia, attamen ex vno producta, exempli gratia : Lineam, superficiem, atque corpus, hoc est,
longum, latum, atque profundum ex puncto deducunt, quod Epicureorum dogmati subscribit, qui ex
atomis cuncta creant, vt Pythagorei ex numeris videlicet & vnitate vt causa efficiente : ac
dualitate vt patiente, siue materia indefinita : cum enim ab vnitate recessum fuit in immensum
fluctuatum fuisset, nisi pulcherrimo ordini hanc mundi machinam astrinxisset circumscrip-
sissetque aristotechnes omnium. »
325. Id., p. 75 (éd. Theatrum chemicum, V, p. 320) : « Quapropter nisi aquæ præfatæ
cælestes, quas aera nuncupamus, perpetua continuaque scaturiginis serie ad hasce inferiores aquas
dimanarent, geluque addensatæ defluerent, æther siue æstus solaris atque siderum feruentissimus
totum hoc vniversum, vt prædictum est, conflagraret consumeretque, propterea in medio aquarum
positum est firmamentum. »
326. Cf. Cicéron, De natura deorum, II, 40 (= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta,
I, 504) : « inquit [Cleanthes], quum sol igneus sit, Oceanique alatur humoribus, quia nullus ignis
sine pastu aliquo possit permanere […] ».
88 Sylvain Matton
à un banquet Jupiter et les autres dieux 327, et avaient fait savoir qu’avait été produit
tout le reste de ce avec quoi on dresse des banquets, à savoir de l’eau et de la
chaleur. » 328
Le rejet par Guillaume Mennens de l’air comme élément ne constituait pas une
nouveauté. Dans Le Grand Miroir du monde (Lyon, 1587), Joseph Duchesne (Du Chesne,
Quercetanus, ca 1544-1609) 329 avait nié que l’air fût un élément, mais il lui arriva par la
suite de l’accepter en tant que tel 330. Semblablement, Pierre Jean Fabre, après avoir, nous
l’avons dit, longtemps tenu l’air pour un élément, reviendra sur cette opinion dans l’Univer-
salis sapientia 331.
Plus fréquemment encore que l’air, c’est le feu qu’à la suite de Jérôme Cardan 332 les
alchimistes exclurent du nombre des éléments. Henry de Rochas (ca 1575 - ap. 1654) 333 y
327. Cf. Homère, Iliade, I, 423-427, Odyssée, I, 22-26. Les banquets offerts, selon Homère,
par les Éthiopiens aux dieux furent également commentés par Giordano Bruno, ainsi que l’a
remarqué D. G. Morhof dans sa Dissertatio de sole igneo, Kiloni, 1672, repris dans les
Dissertationes academicæ & epistolicæ […], Hambourg, 1699, p. 238 : « Fabulas etiam
Poëtarum (dignum hâc patellâ operculum) pro stabiliendâ suâ sententia in subsidium vocat. Quæ
enim Homerus de Jove, Diisque cæteris apud Æthiopes juxta Oceanum epulantibus fabulatur,
insano commento explicat de Solibus, astris ignitis, ex opacis Planetarum sive terrarum
corporibus (illa enim sub Æthiopum nomine intelligit,) in quibus elementum aquæ dominatur,
nutrimentum capientibus. Est vero ille â Mersenno refutatus, ac vivicomburio, si Sorello
credimus, sententiarum suarum audaciam luit. » Voir également M. A. Granada, « Giordano Bruno
et la Stoa. Une présence non reconnue de thèmes stoïciens ? », dans : J. Lagrée (éd.), L e
Stoïcisme aux XVIe et XVIIe siècles, pp. 53-80, ici pp. 79-80.
328. Cf. De Aureo Vellere, I, XI , Anvers, 1604, pp. 72-73 (éd. Theatrum chemicum, V,
p. 322) : « Verùm si Cleanti Philosopho creditur, neque æthereus ille ignis fomento destituitur,
cuius causa Oceanum sub torrida Zona positum autumat : vt cum Sol, cæteris stellis erraticis
concomitatus, & illius circuli latitudinem oberrat, ex subiecto Oceani humore trahat alimoniam.
Itaque Poëtæ, Oceanum ac Thetim, deorum ac stellarum finxere parentes, quod videlicet eis
nutrimentum suppeditent. Et ob id Homerus finxit Æthiopes Oceani accolas, atque cælestium
epularum instructores, Iovem cum cæteris diis ad conuiuium appellasse, insinuasseque cætera
omnia gigni, quibus conuiuia instruuntur humore videlicet atque calore. »
329. Sur Duchesne, voir la notice de A. G. Debus dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary
of Scientific Biography, IV, New York, 1971 ; bibliographie à compléter par L. Thorndike, A
History of Magic and Experimental Science, VI, pp. 247-251 ; B. T. Moran, The Alchemical
World of the German Court…, pp. 115-122 ; A. G. Debus, The French Paracelsians, passim.
330. Voir A. G. Debus, The French Paracelsians, pp. 54-55. Selon Debus, cette réintroduc-
tion de l’air comme élément serait dictée par un souci de symétrie : aux trois élements actifs que
sont les principes paracelsiens, sel, soufre, mercure, répondent trois éléments passifs, eau, air,
terre.
331. Cf. Universalis sapientiæ, seu Panchymici tomus ultimus, II, III , Toulouse, 1654,
pp. 298 sqq. Fabre maintient cependant l’air comme véhicule du spiritus mundi (cf. p. 298 :
« cum ergo aer non ingrediatur compositionem sed tantum repleat poros vt deferat spiritum lucis,
non potest esse elementum, sed vehiculum spiritus cœlestis »).
332. Cf. De rerum varietate, I, II, éd. Opera, Lyon, 1663, III, pp. 7-9 ; De subtilitate, II, éd.
Opera, III, pp. 372 sqq.
333. Voir colonel de Rochas d’Aiglun, Notice biographique sur Henry de Rochas, Sr
d’Ayglun, Ingénieur des Mines, Conseiller et Médecin ordinaire du roi Louis XIII, Grenoble,
Alchimie et stoïcisme 89
1907 ; S. Matton, « Henry de Rochas plagiaire des Trois livres des elemens chymiques et
spagyriques de Jean Brouaut ».
334. Cf. La physique démonstrative, Paris, 1642, II, II, pp. 109-110 : « La nature se sert de
deux principaux instruments pour composer tous les mixtes, le premier est ce feu vivifiant ou
esprit universel qui par toutes les parties de l’vniuers produict les effects de sa puissance, par la
fecondité qu’il donne à toutes choses : Mais il tire ses principalles facultés du Soleil ; le second
instrument est vn feu particulier donné par cet vniuersel à chasque mixte pour son entretien, qui
est fomenté, par les continuelles vertus que luy influë son pere caché dans les rayons du Soleil. /
Et c’est-là le seul feu de nature, non pas cette chaleur devorante ennemie jurée de la vie, ce
principe des morts qui destine tous ses subjects à la ruine, & à la cendre, comme il est
chimeriquement imaginé par les Peripateticiens ; les philosophes sacrés parlant, du ciel, de l’air,
de la terre, & des deux eaux n’auroient pas obmis sa necessité pour la composition de toutes
choses, si elle eust esté telle comme plusieurs se sont persuadés ; en somme s’il y auoit vn
element du feu, il auroit des-ja embrasé vniuersellement toute la nature ; celuy la doibt donc estre
estimé entierement aueugle qui cherche autre feu elementaire, que dans le corps du soleil son
principe. » Voir aussi La Physique reformée, p. 1 : « Qu’il n’y a point de feu Elementaire ».
335. Voir R. Halleux, « Les ouvrages alchimiques de Jean de Rupescissa », Histoire
littéraire de la France, t. XLI, Paris, 1981, pp. 241-284 ; M. Pereira, The Alchemical Corpus
attributed to Raymond Lull, Warburg Institute Surveys and Texts, 18, Londres, 1989, pp. 9-20 et
passim.
336. Cf. L’Abrégé des secrets chymiques, chap. VIII (« Du Ciel, premier element naturel »),
pp. 48 sqq. ; Panchymici seu anatomiæ totius universi […] opus, t. I, pp. 50 sqq. Pour un
exemple de cette substitution antérieur à Fabre, voir notamment P. Severinus, Idea mediciniæ
philosophicæ, Bâle, 1571, V , pp. 40-41 : « Tanta opinionum uarietate, confusionibus & errori-
bus, implicata est doctrina Elementorum, ut nulla ingenij dexteritate, sententiæ tam dispares
conciliari possint. De Terra, communi omnium parente, Aqua, Aëre, consentiunt multi : Igneum
uerò Elementum, quia remotum est, nec ita sensibus obuium, obscuram & dubiam explicationem
sortitum est. Priora illa tria, fœcunditate Generationum, Generatorum conseruatione, & corrup-
tionum testimonio, uitæ usura, repentè Elementorum appellationem obtinuerunt : de Igne uerò
uehementer dubitandum est. Aristotelici Cœlum à corruptibili Elementorum familia planè
seiunxerunt. À superiori Aëris regione, ad concauum Lunæ ignem collocarunt, motu leuium corpo-
rum persuasi, quæ sursum rectà tendunt. Alij, inter quos est Plinius, Cœlum uel Firmamentum,
ignem esse dixerunt, & quartum constituere Elementum. PARACELSVS Mosaicæ philosophiæ dis-
cipulus, hanc sententiam magna authoritate confirmauit».
337. On pourrait imaginer que Cléanthe ait pu pousser Pierre Jean Fabre à substituer le “ciel”
au “feu” dans la série des quatre éléments, l’insistance de Cléanthe à distinguer entre le feu vital et
le feu ordinaire devant lui être connue, pour avoir été rapportée par Cicéron dans son De natura
deorum (Cf. II, 41 [= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta, I, 504]). Mais Fabre
n’invoque sur ce point que le récit de la Genèse.
338. Cf. Universalis sapientiæ seu Panchymici tomus ultimus, pp. 296-298.
90 Sylvain Matton
justifier ce retranchement du feu du nombre des éléments. Ainsi dans un ouvrage dédié à
Robert Boyle, la Compendiaria et perfacilis physiologiæ idea, Aristotelicæ forte
conformior, physicæ practicæ ac chymicis experimentis accomodatior et aptior, quam quæ
vulgo in scholis obtinuit, et in amplis Jesuitarum monumentis conspicitur (Londres,
1676), Alexander Pitcarne, ou Pitcairn (Pitcarnius, ca 1622-1695) 339, pasteur et professeur
de philosophie anticartésien qui s’intéressa à la chimie même s’il ne fut pas alchimiste, nie
que le feu soit un élément en remarquant :
« On dira que le feu forme, conserve et réchauffe toutes choses. Je réponds : soit,
mais que s’ensuit-il ? Aristote (De la génération et corruption, II, 9, texte 55) ne nie
pas que “le feu soit le plus actif [des élements] et le plus capable de mouvoir” 340, et
Platon dit dans le Timée que le feu est comme l’agent et la terre comme la
matière 341. Il veut dire en effet que le feu est au plus haut point actif et la terre au
plus haut point passive. C’est pourquoi la terre est appelée le ventre du monde (à
savoir le ventre dans lequel sont transportées les semences des choses qui doivent
être engendrées). Zénon, au témoignage de Cicéron (De la nature des dieux, II), dit
que la nature n’est rien d’autre qu’un feu artiste 342, et le feu est appelé “maître des
arts”, non pas qu’il soit d’une nature simple, mais parce qu’il est constitué d’une
chaleur d’une qualité extrêmement actuée et extrêmement apte à produire et à
corrompre les choses. C’est pourquoi Aristote (De la sensation et des sensibles, I)
enseigne que le feu n’agit qu’en tant que chaud, comme s’il disait, quand on traite de
la puissance et de la vertu active du feu, qu’il ne sert à rien de rechercher de quelle
nature ou de quelle substance il est constitué. Car si l’on regarde dans l’ordre de
l’action, “la nature du feu est sèche” et “le propre du feu est la chaleur” 343 : que l’on
recherche soit la nature soit la propriété du feu en tant que tel, on trouvera seulement
la sécheresse et la chaleur. » 344
339. Voir G. Wallas, « Pitcarn, Alexander », dans : S. Lee (éd.), Dictionary of National
Biography, XLV, pp. 337-338.
340. De generatione et corruptione, II, 9, 336a 11-12.
341. Il s’agit là d’une interprétation plutôt que d’une citation.
342. Voir ci-dessus, note 151.
343. De sensu et sensili, 4, 441b 11-12.
344. Compendiaria et perfacilis Physiologiæ Idea, Londres, 1676, sect. 6 (« De numero
elementorum ubi excluditur ignis »), pp. 14-15 : « Dices, Ignis omnia format, conservat et
fovet. Res. Esto, quid inde sequitur, …ª √◊ƒ ¥c≥§«…` √∑§|±µ ≤`® ≤§µ|±µ non diffitetur Philo-
sophus. Gen. et Cor. 2. l. 9. text. 55. et Plato in Timeo dicit ; ignem esse quasi agentem, &
terram quasi materiam. Vult enim ignem esse maxime activam [sic] & terram maxime passivam,
hinc terra Mundi uterus (in quem viz. rerum gignendarum semina transmittuntur) nuncupatur. Zeno
teste Cic. lib. 2. de nat. deorum, dixit naturam nihil aliud esse nisi ignem artificiosum, & ignis
vocatur artium Magister, non quod natura simplici, sed quia calore qualitate actuosissima, & ad res
efficiendas & corrumpendas aptissima constat. unde Philosophus de sensu & sensib. cap. 4.
Docet, ignem non nisi quatenus calidum agere ac si dixisset quando de }µÄƒz|§` & virtute activa
ignis agitur, nihil attinet inquirere qua natura quave substantia constet, si enim spectetur in
Alchimie et stoïcisme 91
ordine ad actionem, ∂äƒd ê …∑◊ √ƒª» ⁄Õ«§» ©{§∑µ …ª £Äƒ¥∑µ }«…§ sive naturam, sive
proprietatem ignis qua talis inquiras, solam siccitatem et calorem reperies. »
345. Voir P. M. Rattansi, article « Beguin, Jean », dans Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary
of Scientific Biography, I, pp. 571-572.
346. Voir H. Metzger, Les Doctrines chimiques en France du début du XVIIe à la fin du XVIIIe
Siècle, pp. 35-44.
347. Cf. La Physique demonstrative, Paris, 1642, II, IV , pp. 148-149 : « Ie dis donc, que
n’ayant trouué que ces trois principes dans les mixtes, ie ne suis pas obligé de croire
fantastiquement, qu’il y ayt autre chose. C’est donc erreur de croire, que les quatre elements
entrent en la composition des mixtes ». Voir aussi La Physique reformée, contenant la refutation
des erreurs populaires, et le triomphe des veritez philosophiques, la genealogie des elemens, et
des principes, l’origine, et les operations de la nature, en la generation et production des
animaux, vegetaux ; et mineraux, Paris, 1648, p. 24, où de Rochas explique que l’air « n’est
point Element, ny Principe », et p. 47, où il explique que « La Terre n’entre point à la
Composition des Mixtes ».
348. Cf. La Physique demonstrative, II, II , p. 108 : « cet esprit se communique encore à
toutes les creatures inferieures, par le moyen de quatre colomnes, qui sont le ciel, l’air, l’eau, & la
terre ». De Rochas emprunte peut-être ici à P. J. Fabre, qui avait écrit dans L’Abregé des secrets
chymiques (I, VII, p. 44) : « Ces quatres substances colomnes du monde qui furent créées du Dieu
Tout-puissant, selon l’opinion de quelques Philosophes Chymiques, sont le Ciel, l’air, l’eau & la
terre, car ils ne font point differnce entre le feu & le ciel, le ciel n’estant que feu, & le feu n’estant
que ciel. »
349. Cf. Universalis sapientiæ, seu Panchymici tomus ultimus, pp. 296 sqq. : « sunt autem
hæc quinque elementa aqua terra sulphur seu oleum, spiritus seu Mercurius, & sal ».
350. Voir, par exemple, O. Bloch, La Philosophie de Gassendi, pp. 238-239.
351. Cf. Nouvelle lumière philosophique des vrais principes et elemens de nature et qualité
d’iceux, Paris, 1641, pp. 181-182 (à propos du feu des alchimistes) : « […] leur feu naturel, que
nous cognoissons parfaitement, & qu’il ne nous est pas permis de reueler, dautant que nous
l’auons découuert par vne profonde meditation, qui vous fera tousiours distinguer & tirer du
nombre des Alkimistes grossiers & ignorans, auec leurs feux de Lampe, de bois ou de charbon.
Enfin ces Philosophes Hermeticiens par ce feu de la nature, continué paruiennent iusques à la
blancheur parfaitte, ayans pour lors acquis la moitié du Royaume Philosophique, & ainsi
continuans tousiours le mesme feu, cette blancheur se change en rougeur permanente à toutes
92 Sylvain Matton
énoncée en ces mêmes termes dans sa Nouvelle lumiere philosophique des vrais principes et
elemens de nature et qualité d’iceux (Paris, 1641) 352, et dès 1624 dans les thèses que,
conjointement avec Antoine Villon, il avait proposé de soutenir publiquement 353. Mais de
Clave ne faisait lui-même que reprendre une théorie déjà émise par Joseph Duchesne dans Le
Grand Miroir du Monde, où n’étaient conservés, à côté des trois principes paracelsiens, que
les deux éléments mosaïques : eau et terre 354. Quant à William Davisson, ce sont sept élé-
ments qu’il adopte en suivant Severinus, soit le feu, l’air, l’eau, la terre, le sel, l’huile ou
soufre et le mercure ou fluor 355.
Ces mélanges des principes paracelsiens avec les éléments classiques témoignent de la
grande hétérogénéité des doctrines des éléments et des principes, ainsi que des relations
qu’ils entretiennent, élaborées par les alchimistes de la Renaissance et de l’Âge classique.
Par exemple les diverses combinaisons des trois principes sel, soufre, mercure et des élé-
ments classiques contredisent les doctrines déjà contradictoires — comme le fit remarquer le
père Gaetano Felice Verani (1648-1713) dans sa Philosophia universa speculativa peripate-
espreuves. Ce que nous auons dit cy-dessus de cette operation n’assure pas que nous y soyons
paruenus, ne l’ayant iamais experimenté : mais nous auons declaré l’intension des Hermeticiens,
& assuré seulement que nous auons découuert le secret du feu naturel, qui est vn des principaux &
des plus necessaires de la Philosophie Chymique, que nous promettons de declarer à quiconque
pourra depurer la matiere Hermetique. »
352. Cf. id., pp. 159-160 ; voir aussi chap. II (« De l’impossibilité du feu elementaire »,
pp. 4 sqq., et chap. V (« de l’air »), pp. 26 sqq. De Clave proclame (p. 5) être le premier à avoir
rejeté les quatre éléments d’Aristote. Mais il critique également les trois principes de Paracelse ;
cf. chap. VI (« Des elemens & du nombre d’iceux »), pp. 39-40 : « il ne se faut pas esmerueiller, si
Aristote n’a pas premierement recognu le nombre des elemens, non plus que leurs qualitez
premieres, puisqu’il a ignoré la vraye resolution & reduction des mixtes en leurs elemens, ny
mesme Paracelse, qui a sceu la resolution d’iceux en leurs principes, qu’il appelle plus sensibles
Mercure, Soufre & Sel, lesquels il a toutefois creu resulter du meslange des quatres elemens
Peripatetiques: Ce que nous refuterons exactement cy-aprés.» Voir encore, contre Severinus,
p. 40 : « Nous dirons à present en bref, que les elemens estans les corps simples qui entrent en la
composition des mixtes, sont ceux qui se doiuent trouuer pareillement en leur resolution. Or est-il
que nous ne trouuons que cinq corps simples en leur derniere resolution : Par consequent nous
pouuons dire qu’il y a cinq elemens, & non plus, quoy que clabaudent fastueusement apres Pierre,
Seuerin, Danois, quelques chymistes ignorans, qui font des distinctions friuoles de principes &
d’elemens, comme s’ils estoient distinguez les vns des autres ».
353. Voir B. Joly, « Les références à la philosophie antique dans les débats sur l’alchimie au
début du XVIIe siècle », dans D. Kahn et S. Matton (éd.) Alchimie : art, histoire et mythes,
pp. 671-690.
354. Voir A. G. Debus, The French Paracelsians, p. 51.
355. Cf. Commentariorum in […] Petri Severini Dani Ideam medicinæ philosophicæ […]
prodromus, éd. cit., p. 297 : « Elementum est minima pars Elementati. Elementa sunt numero
septem, in tres distincta ordines, in volatilium, fixorum & Mercurii ambigui. Fixorum terra, sal
& ignis : volatilium, oleum seu sulphur, aqua, aër, quorum præcipuum est Mercurius, aut Fluor.
Praeterea horum tria sunt invisibilia & exemplaria ; quatuor visibilia. Invisibilia, ignis, aër &
Mercurius : visibilia sunt Elementata, invisibilia vero Elementantia : & sicut anima in corpore ;
sic elementa in Elementatis : Elementatum enim nihil aliud est quam corpus tenebricosum &
mortuum Elementi, qui spiritus & vita est. Hic spiritus ex astris seu seminibus emanavit, qui suos
fructus edunt, nempe corpora. »
Alchimie et stoïcisme 93
tica (Munich, 1684) 356 — de Paracelse, pour qui les trois principes constituent les
composants des quatre éléments, et des paracelsiens pour qui ce sont les quatre éléments qui
composent les trois principes 357.
Remarquons enfin qu’il n’est pas jusqu’à la transmutation mutuelle des éléments, ac-
ceptée par les stoïciens, qui n’ait été contestée par certains alchimistes, dont Becher n’est
pas l’un des moins éminents 358, encore qu’il n’ait pas montré une totale constance sur ce
point, puisque dans l’Experimentum chymicum novum il accepte la transmutation de l’eau
en terre démontrée par les expériences de Van Helmont, Boyle et de Rochas, transmutation à
propos de laquelle il rappelle qu’elle était acceptée par beaucoup d’Anciens, dont Zénon :
« Il n’y a rien d’étonnant que dans cette expérience de de Rochas l’eau se soit
changée en terre, attendu que Van Helmont et Boyle ont produit de nombreuses
expériences de ce genre. C’est d’ailleurs déjà là une antique opinion, puisque
Athénagoras cite le témoigne suivant tiré d’un des Anciens, Orphée :
ıF≤ …∑◊ —{`…∑» •≥Œ» ≤`…Ä«…ä,
“De l’eau fut fait du limon” 359.
Ce à quoi un auteur grec, le scoliaste d’Apollonius, ajoute :
ıF∂ •≥§∑◊ }x≥c«…ä«| ¤¢·µ `—…ä,
“Du limon fut produite la terre”.
Avis auquel souscrirent Thalès, Homère, Zénon, Hésiode et beaucoup d’autres. » 360
Il est donc difficile de soutenir qu’en ce qui concerne la théorie des éléments et des
principes, la physique du Portique ait fourni un quelconque modèle aux alchimistes de la
Renaissance et de l’Âge classique. Même la réduction des principes paracelsiens au statut
356. Voir Philosophia universa speculativa peripatetica…, Munich, 1684, t. II, p. 52, et
S. Matton, « Gaetano Felice Verani et l’alchimie », à paraître dans Chrysopœia, VI (1977).
357. Voir, pour Paracelse, R. Hooykaas, « Die Elementenlehre des Paracelsus », Janus,
XXXIX (1935), pp. 175-187, et W. Pagel, Paracelse, traduction française de M. Deutsch, Paris,
1963, p. 133 ; pour les paracelsiens, R. Hooykaas, « Die Elementenlehre des Iatrochimiker », et
W. Pagel, loc. cit. L’anonyme rédacteur du Dictionaire hermetique contenant l’explication des
termes, fables, enigmes, emblemes et manieres de parler des vrais philosophes […], Paris, 1695,
explique ainsi (p. 157) : « Ces principes sont universels & engendrez des quatre élemens, & sont
comme de seconds élemens, d’autant qu’ils sont contenus dans tous les mixtes »).
358. Voir A. Debus, notice citée du Dictionary of Scientific Biography.
359. Cf. Athénagoras, Legatio pro christianis, éd. Migne, P. G., VI, col. 928A.
360. Experimentum chymicum novum, cap. IV , p. 61 (éd. Leipzig, 1738, p. 305) : « quod
enim in hâc de Rochos [sic] operatione, aqua in terra mutata sit, non mirum est, cum Helmontius
& Boyleus multa ejusmodi producant experimenta, estque jam antiqua opinio ; ex Orpheo unus
priscorum nempe Athenagoras, hoc citat testimonium :
ıF≤ …∑◊ —{`…∑» •≥Œ» ≤`…Ä«…ä,
Ex aqua limus factus est,
Huic subjungit Scholiastes Apollonii, Græcus quidam Author.
ıF∂ •≥§∑◊ }x≥c«…ä«| ¤¢·µ `—…ä,
Ex limo terra producta est.
Cui sententiæ subscribunt Thales, Homerus, Zeno, Hesiodus, multique alii. »
94 Sylvain Matton
qui était celui des éléments classiques n’implique pas l’adoption par les alchimistes du
concept d’élément tel qu’il était reçu par les stoïciens : la définition zénonienne des éléments
fut ainsi ouvertement repoussée par Johann Conrad Barchusen (1666-1723) 361 dans ses
Elementa chemiæ (Leyde, 1718) — édition révisée de sa Pyrosophia, succincte atque
breviter iatro-chemiam, rem metallicam et chrysopoeiam pervestigans (Leyde, 1698).
Traitant « des principes chimiques en général », et négligeant de mentionner la distinction
zénonienne entre “principe” (aƒ¤ç) et “élément” («…∑§¤|±∑µ), Barchusen détaille :
« […] la raison demande que nous sachions ce que sont les principes des corps et
quel est leur nombre. Par principe, donc, nous entendons une certaine matière
simple, très ténue, incapable de se changer en une autre forme par elle-même, sans
l’addition de quelque chose. Le Stagirite a défini autrement que moi le mot principe,
et a dit : “Les principes sont ce qui ne vient pas d’autre chose, ni mutuellement
d’eux-mêmes, mais ce dont viennent toutes choses” 362. De manière encore différente,
Zénon, le premier des stoïciens, nomme élément “ce dont vient d’abord tout ce qui
se fait et en quoi finalement tout se résout” (Diogène Laërce, VII 363). Mais parce que
l’une et l’autre définitions apparaissent trop obscures, nous avons avancé ici la
nôtre, comme étant plus claire, afin que chacun sache ce que nous croyons qu’il faut
entendre par un principe chimique. » 364
Dans ces conditions, lors même que des éléments sont communs aux stoïciens et aux
alchimistes, cela ne signifie aucunement que les uns et les autres les entendent de manière
identique. Dans une dissertation « sur la terre » de ses Acroamata (Utrecht, 1703), Barchusen
361. Voir O. Hannaway, « Johann Conrad Barchusen (1666-1723), contemporary and rival
of Boerhaave », Ambix, XIV (1967), pp. 96-111, et sa notice dans Ch. C. Gillispie (éd.) :
Dictionary of Scientific Biography, I, pp. 451-452.
362. Cf. Aristote, Physica auscultatio, I, V , 188a 27-28.
363. Diogène Laërce, VII, 1, 188. 32-33 Cobet : « Ç«…§ {Å «…∑§¤|±∑µ }∂ ∑‘ √ƒ‡…∑ zßµ|…`§
…d z§µ∫¥|µ` ≤`® |•» ø Ç«¤`…∑µ aµ`≥Õ|…`§ ». Barchusen utilise la traduction latine de Traversari
(cf. ibid. et éd. Lyon, 1551, p. 309 : « Est autem elementum ex quo primò prodeunt quæ fiunt, &
in quod extremum soluuntur. »)
364. Cf. Pyrosophia, lib. I, sect. I, cap. III (« De Chymicis Principiis in Genere »), pp. 6-7
(Elementa chemiæ, Leyde, 1718, p. 6) : « II. Ne autem ejusdem vitii nos participes increpemur,
ratio postulat ut sciamus, quid, & quot sint corporum Principia. Per Principium ergo intelligimus
materiam aliquam simplicem, separatam, & [exilissimam Elementa chemiæ] per se sine alicujus
additione in aliam formam transmutabilem [transmutari nesciam Elementa chemiæ], quæ cum
reliquis Principiis concurrens, ex hisce rebus sublunaribus corpus quoddam constituit [quæ —
constituit om. Elementa chemiæ]. Aliter quidem Stagirita, ac ego [ac ego om. Elementa chemiæ],
vocem Principii definivit, & dixit. Principia sunt, quæ neque ex aliis sunt, neque ex se mutuo, sed
ex quibus omnia. Aliter Zeno, Stoicorum Princeps, vocat Elementum, ex quo primo prodeunt quæ
fiunt, & in quod extremum resolvuntur, ut habet Diog. Laert. in L. VII . At quoniam hæc & illa
definitio nimis obscura videbantur, eapropter nostram, tanquam magis dilucidatam [perspicuam
Elementa chemiæ], heic subteximus [protulimus Elementa chemiæ], ut unicuique innotesceret,
quid per Principium quoddam Chymicum intelligendum esse, putem [putemus Elementa
chemiæ]. »
Alchimie et stoïcisme 95
insiste ainsi sur la différence qui sépare la conception des chimistes de celles de certains
penseurs antiques, entre autres de « certains stoïciens », mentionnés par Calcidius :
« Démocrite et Épicure attribuent à des connexions mutuelles, disposées de façon
particulière et formant jusqu’à un certain degré des figures, le fait que cette terre soit
une certaine continuité de corpuscules, lesquels sont saisis par l’entendement plutôt
que par les sens. D’autres ajoutent une qualité, comme Anaxagore, qui pense que la
nature et propriété de toutes les matières se trouve amassée en chacune d’elles.
D’autres, comme Diodore [le mégarique] et certains stoïciens, pensent que la subti-
lité de la matière résulte de la petitesse de corps indivisibles, dont le nombre serait
infini, et dont tant la réunion que la séparation seraient fortuites. (Si l’on désire en
savoir davantage sur cela, qu’on lise le commentaire de Calcidius sur le Timée de
Platon 365.) Mais par “terre” les chimistes entendent un corps chaud, insipide, im-
muable, duquel l’artiste ne peut en aucune manière extraire quoi que ce soit. » 366
Matière et forme
Jean-Paul Dumont a estimé que si « les stoïciens anciens, et Chrysippe en particulier »
ont rendu « pensable et possible la pratique de la transmutation et de la teinture métal-
lique », c’est premièrement parce qu’ « ils inaugurent un travail sur les concepts de com-
posé, de forme et de matière, qui sera jugé indispensable par les philosophes alchimistes
jusqu’au XVIIe siècle ». Selon Dumont, « on assiste à une matérialisation de la forme et de
la matière, même si les principes ne sont pas eux-mêmes à proprement parler des
corps » 367. En réalité, s’il est parfaitement exact que certains alchimistes — mais non pas
tous, tant s’en faut, beaucoup d’entre eux se satisfaisant pleinement, surtout jusqu’au XVIe
siècle, des conclusions aristotéliciennes — ont jugé indispensable un travail sur les
concepts de matière et de forme, il serait erroné de croire qu’un tel travail les ait majoritai-
365. Cf. Calcidius, Commentarius in Timæum, CCIII , éd. J. H. Waszink, Plato latinus, 4,
Londres, 1962, p. 222.
366. Cf. Acroamata, Dissertatio XX (« De Terra »), pp. 223-224 : « Quam terram
Democritus & Epicurus esse continuationem quandam corpusculorum, quæ intelligantur potius,
quam sentiantur, connexis sibi invicem assignant in aliquo modo positis, & aliquatenus
figuratis. Alii qualitatem addunt, ut Anaxagoras, qui omnium materiarum naturam & proprietatem
in singulis materiis congestam esse censet. Alii propter exiguitatem individuorum corporum,
quorum numerus in nullo fine sit, subtilitatem materiæ contexi putant, ut Diodorus, & nonnulli
Stoicorum, quorum corporum sit fortuitus tam cœtus quam segregatio. Plura, si de his cupiatis,
adeatis tunc Chalcidem in Platonis Timæum. Sed Chemici intelligunt per eam corpus siccum,
insipidum, immutabile, ex quo nullo pacto artifex quicquam extrahere potest. »
367. J.-P. Dumont, « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique… », p. 18 [81].
Thèse reconduite par B. Joly, La Rationalité de l’alchimie au XVII e siècle, p. 86 : « C’est par
référence à ce modèle stoïcien qu’a pu être poursuivi [au XVIIe siècle] l’important remaniement du
concept de matière première que rendaient nécessaire les développements de la pensée alchi-
mique. »
96 Sylvain Matton
rement conduits à adopter ou simplement à rejoindre les thèses stoïciennes. Quand il a lieu,
l’abandon par les alchimistes des conceptions aristotéliciennes de la matière et de la forme
s’articule pour l’essentiel, et pas nécessairement de manière exclusive, soit sur des positions
dogmatiques paracelsiennes, épicuriennes 368, voire cartésiennes 369, soit sur une attitude
épistémologique de défiance à l’égard de toute spéculation métaphysique, attitude quelquefois
inspirée par la critique de Pierre de La Ramée (Ramus, 1515-1572) 370. On ne voit pas, en
particulier, de réinterprétation spécifiquement stoïcienne des concepts de matière et de forme
chez les deux auteurs qu’ont étudiés Jean-Paul Dumont et Bernard Joly : Johann Joachim
Becher et Pierre Jean Fabre 371.
368. Voir H. Metzger, Les Doctrines chimiques en France du début du XVIIe à la fin du XVIIIe
Siècle, pp. 247 sqq.
369. Voir H. Metzger, id., pp. 236-247 ; A. Mothu, « La pensée en cornue… »; J.-F. Mail-
lard, « Descartes et l’alchimie : une tentation conjurée ? » dans : F. Greiner (éd.), Aspects de la
tradition alchimique au XVIIe siècle, Actes du colloque international de l’Université de Reims (28 et
29 novembre 1996), à paraître dans « Textes et Travaux de Chrysopœia ».
370. L’influence de Pierre de La Ramée s’exerça principalement dans les milieux allemands ;
voir S. Matton, « L’alchimie chez les ramistes et semi-ramistes », Argumentation, V (1991),
pp. 403-446.
371. Dans La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, p. 63, n. 47, à propos de la révision
alchimique du concept aristotélicien de matière première, B. Joly nous demande de noter « la très
grande similitude entre les thèmes développés par l’Œdipus chemicus [sic] de J. J. Becher,
qu’étudie Jean-Paul Dumont et ceux du Manuscriptum ad Fridericum de Pierre-Jean Fabre, alors que
rien n’indique que les deux auteurs aient eu connaissance des travaux l’un de l’autre ». On peut en
réalité affirmer sans hésiter que Fabre, mort en 1658, n’a pas eu connaissance des travaux de
Becher, dont tous les traités parurent après la rédaction du Manuscriptum ad Fridericum, dernier
ouvrage de Fabre, et dont le premier que Fabre aurait pu lire, parce que rédigé en latin, l’Olitor
opportunus, fut publié l’année même de la mort du médecin de Castelnaudary (pour la
bibliographie de Becher, voir H. Hassinger, Johann Joachin Becher, 1635-1682. Ein Beitrag
zur Geschichte der Merkantilismus, Veröffentlichungen der Kommission für neuere Geschichte
Österreichs, 38, Vienne, 1951, pp. 254-272). En tous état de cause, Fabre n’a pas pu lire
l’Œdipus chimicus, paru huit ans après sa mort. D’autre part, l’on peut également affirmer que
Becher a bien eu connaissance des travaux de Fabre, puisqu’il le censure en ces termes dans sa
Physica subterranea, Francfort, 1669, p. 204 : « Gellij enim dictum observandum est, qui loqui
vult, quod nemo intelligat, magnam rem præstat, si taceat, tali ergò inutili theoriâ & loquacitate
plurimi libri scatent, quorum authores sine experientiâ Philosophati sunt, de Fabro Monspeliensi
satis mirari nequeo, quòd non erubuerit tàm aperta mendacia scribere, narrat mihi R. D. Carolus
Bendegin, se ejusdem famâ & amore hujus scientiæ ex Italiâ in Galliam, virum convenisse, sed ne
furnum quidem vel vidisse, vel minimam praxin in homine animadvertisse. » (« […] quant à Fabre
de Montpellier, je ne cesse de m’étonner qu’il n’ait point rougi d’avoir écrit de si grossiers
mensonges. Monsieur le Révérend Charles Bendegin me rapporte qu’en raison de la renommée de
Fabre, et par amour pour cette science, passant d’Italie en France, il lui rendit visite, mais ne vit
pas même un fourneau ni ne remarqua chez lui la moindre pratique. » — Voir aussi la préface du
Tripus hermeticus fatidicus, éd Francfort, 1689, p. 8, où Becher écrit plus amènement : « Huic
malo itaque, cum alii remedia ponere deberent & in compendium redigere, non furnos modò,
verùm etiam operationes & processus in infinitum quasi produxêre, idque adhuc sub Charitatis
tirocinii in artis formam redactione, ut in Libavio, Beguino, Fabro, le Febure, Rolfinckio,
Glaubero, Hartmanno, Schrôdero aliisque quamplurimis videmus & observamus. »).
Alchimie et stoïcisme 97
En ce qui concerne Becher, c’est au prix d’une lecture pour le moins tendancieuse et
passablement forcée que Jean-Paul Dumont a tenté de lui faire endosser une tunique
stoïcienne. Voici le texte invoqué :
« De la vraie matière première des chimistes.
Puisque la science chimique est une science pratique, elle a assurément un sujet
matériel et pratique. C’est pourquoi elle pose comme matière première ce qui pour
elle tombe premièrement sous le sens et les mains. Or telle ne peut être la matière
première des aristotéliciens, puisque celle-ci ne peut être saisie que par la raison,
sans pouvoir être appréhendée par les yeux et par les mains. Une autre matière
première doit donc être recherchée, et c’est bien sûr la matière seconde des
aristotéliciens, qui est la première des chimistes, à savoir les accidents de la matière
première aristotélicienne, car ceux-ci se prêtent au traitement chimique. Cependant il
faut savoir pourquoi les chimistes prennent les accidents pour la première matière
des choses : c’est en raison de l’ordre où ils tombent en premier lieu sous leur yeux,
à savoir dans la semence. La semence est en effet la première matière des choses du
point de vue de l’ordre où l’on peut traiter de celle-ci. Ainsi la semence du bœuf, du
navet et du plomb est la première matière du bœuf, du navet et du plomb qui tombe
sous nos yeux et sous nos mains 372 . C’est pourquoi, chaque fois que chez les
chimistes il est fait mention de la matière première des corps, il faut toujours
entendre la semence d’un corps déterminé. » 373
Il est évident que le « sujet » de la chimie est ici tout simplement son « objet », et qu’il
est faux de prétendre avec Dumont que « subjectum a ici le sens fort et étymologique de
matériau sous-jacent et de substrat, et correspond au grec hypokeiménon » 374. Il est non
moins évident que le fait de dire que la matière première des chimistes est la matière seconde
375. Id., p. 4 [66]. Becher consacre d’ailleurs une section de l’Œdipus chimicus à la matière
aristotélicienne, qu’il ne traite nullement de « chimère théorique », mais qualifie simplement, et
très classiquement, d’« être de raison ». Cf. § 3 (« De Materiâ primâ Aristotelicorum »), éd.
Manget, p. 308 : « Non pauci Chimici sunt, qui ajunt Chimicorum materiam, unam eandemque
esse cum Aristotelicis, quare omnibus corporibus sublunaribus inesse atque exinde elici posse,
autumant : verùm quamdiu talis materia sui corporis accidentia & formam continet, tamdiu pro
prima, universali & informi statui nequit, talem verò materiam à corporibus arte non elici aut
tractari posse quilibet animadvertet, qui sciet materiam absque forma & accidentibus tractabilem
non esse, cùm veriùs Ens rationis quam materia sit. » C’est d’ailleurs ce que dit Dumont lui-même
p. 3 [65].
376. Cf. Diogène Laërce, VII, 137 ; Plotin, Ennéades, II, 4, 1 (= J. von Arnim, Stoicorum
veterum fragmenta, I, 493) ; voir aussi S. Sambursky, Physics of the Stoics, Londres, 1959 (rééd.
Westport, 1973), p. 18.
377. Cf. Physiologia stoicorum, dissert. II (« Materia prima, alterum Principium, descripta.
Æternam esse ; Non augeri, non minus : Non item pati. »), éd. Opera, I, p. 844. Juste Lipse se
réfère également au De dogmate Platonis d’Apulée, mais non pas aux mêmes lignes que
Barchusen.
378. Cf. ibid. : « Neque Aristoteles est in aliâ mente, qui Materiam substantiam esse
adfirmauit [en marge : VIII. Phys. cap. I & VII Metaphys. cap. III] : sed sensu quem Posidonius
Stoicus aperit : E§`ŸÄƒ|§µ {Å …éµ ∑À«ß`µ …ï» —≥ä» …éµ ∑”«`µ, ≤`…d …éµ Ã√∫«…`«§µ, {§`µ∑ßl
¥∫µ∑µ : Differre substantiam quæ exsistit, à Materiâ, ratione & intellectu tantùm. » Pour le texte
de Posidonius, voir Arius Didyme, 20, 548, 8-11 (= Poseidonios, Die Fragmente, éd. W. Theiler,
Berlin – New York, 1982, p. 190, F. 267).
Alchimie et stoïcisme 99
Diogène Laërce (liv. VII), “appellent la substance de toutes choses matière première,
et matière celle à partir de laquelle toute chose, quelle qu’elle soit, est composée” 379.
Et les platoniciens, au témoignage d’Apulée (De dogmate Platonis), “déclarent que la
matière est incréable et incorruptible, et qu’elle n’est ni le feu ni l’eau ni un autre
des principes ou éléments simples, mais de toutes les réalités la première capable de
formes et sujette à être façonnée, encore brute et privée de la qualité d’une forme” 380.
La matière première est donc le sujet de toutes les formes substantielles et des
accidents, parce que si elle recevait une forme, elle ne serait plus nommée matière
mais corps. Quant à savoir si la matière existe sans la forme ou, inversement, la
forme sans la matière, et pareillement si on se la peut représenter, il ne m’appartient
pas de le déterminer. Vous me demandez ce que moi j’en pense, puisque j’ai avancé
les opinions des autres ? Je dirais que j’ai l’esprit lent à saisir ces choses, et que je ne
puis en aucun cas concevoir une quelconque matière sans la concevoir en même
temps étendue et configurée de telle ou telle façon. Et de même je ne puis concevoir
une forme sans que ne me vienne en même temps à l’esprit quelque matière soit
solide, soit liquide, soit d’une autre nature, ou possédant une longueur ou une
largeur ou une profondeur. » 381
La thèse qui veut que l’alchimie classique ait eu pour modèle la doctrine stoïcienne des
trois niveaux de la réalité, à savoir celle des principes, des éléments et des corps 382 ,
n’apparaît donc pas fondée. Les alchimistes ne prirent pour modèles ni la théorie stoïcienne
des principes ni celle des éléments, pour la simple raison qu’ils connaissaient fort mal ces
théories quand ils ne les ignoraient pas totalement avec la plupart de leurs contemporains.
379. Cf. Diogène Laërce, VII, 191, 30-33 Cobet : « ∑À«ß`µ {Ä ⁄`«§ …˵ ºµ…›µ b√cµ…›µ
…éµ √ƒ‡…äµ —≥äµ, fl» ≤`® YƒÕ«§√√∑» }µ …° √ƒ‡…ñ …˵ ⁄«§≤˵ ≤`® Gçµ›µ. —≥ä {Ä }«…§µ }∂ î»
π…§{ä√∑…∑◊µ zßµ|…`§. »
380. Cf. Apulée, De dogmate Platonis, V, 191.
381. Cf. Acroamata, in quibus complura ad iatro-chemiam atque physicam spectantia,
jocunda rerum varietate, explicantur, Utrecht, 1703, Dissertatio IX (« Hyles, Chaos & Prima
Materia »), pp. 117-125, ici pp. 123-124 : « Superest materia prima explicanda, de qua etiam
tam Philosophi quam Alchimistæ incredibilem in modum disseruerunt semper. Stoici, teste Diog.
Laertio libr. VII . rerum omnium substantiam, materiam primam : & materiam, ex qua quidvis
constat, appellant. Et Platonici, teste Apulejo in Dogm. Plat. commemorant materiam impro-
creabilem, incorruptamque : atque hanc non ignem, neque aquam, nec aliud de principiis <&>
absolutis esse elementis : sed ex omnibus primam figura<ru>m capacem, factionique subjectam,
adhuc rudem, & figurationis qualitate viduatam. Est ergo materia prima subjectum omnium
formarum substantialium & accidentium ; quod si formam nacta fuerit, non amplius materia, sed
corpus nominatur. Utrum vero materia absque forma : & vicissim forma absque materia existat,
hancque taliter quispiam sibi imaginari possit, mei non est determinare. Quid ipse existimem
quæritis ? adhuc enim aliis opinionibus accomodavi manum. Dicam, mihi in percipiendis hisce
tardum esse ingenium, & neutiquam concipere posse materiam aliquam, nisi insimul concepero
eandem hoc vel alio pacto figuratam atque extensam : Et iterum concipere me non posse formam,
quin insimul mihi in mentem veniat alicujus materiæ vel compactæ vel liquidæ vel alterius naturæ
aut longitudinem aut latitudinem aut profundum habentis. »
382. Cf. J.-P. Dumont, « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique », p. 18 [81].
100 Sylvain Matton
Cette ignorance nous semble significativement illustrée par Fabio Glissenti († ca 1620) 383
dans son Breve trattato nel qual moralmente si discorre qual sia la Pietra di Filosofi, publié
avec ses Discorsi morali contra il dispiacer del morire (Venise, 1596), ouvrage qui fut
traduit en latin, sous le titre de Brevis tractatus in quo de lapide philosophorum moraliter
disseritur (Giessen, 1671) 384 par le médecin Lorenz Strauss (1603-1687) 385, surtout connu
pour avoir traduit, toujours en latin, le Discours fait en une celebre assemblé […] touchant
la guerison des playes par la poudre de sympathie (Paris, 1658) de Kenelm Digby (1603-
1665) 386 . Glissenti n’est pas alchimiste, ou il n’est, si l’on veut, qu’un alchimiste
purement spirituel dans la mesure où son Breve trattato consiste à donner une interprétation
exclusivement morale de l’alchimie, en ramenant tous les discours sur le grand œuvre —
aussi bien ceux portant sur la pratique que ceux relevant de la théorie — à l’expression
d’une quête du souverain Bien, dont la pierre philosophale serait simplement l’allégorie.
Dans le chapitre VIII, où il s’emploie précisément à « prouver par l’autorité des alchimistes
que la pierre des philosophes n’est pas une médecine pour faire de l’or matériel », et
examine « les opinions de certains philosophes [antiques] concernant cette question », à
savoir leurs théories des principes naturels, en lesquels consiste leur « pierre », Glissenti
omet l’opinion des stoïciens, qu’il ne manque pourtant pas de mentionner, en la personne de
Zénon, sitôt que s’éloignant de la question technique des principes, il passe à des
considérations physico-morales sur la mort et l’immortalité :
« Et parce que, parmi ces causes premières, il y a les principes naturels, d’au-
cuns veulent que lesdits principes soient cette pierre. Mais parce que les causes pre-
mières ont été diversement interprétées par beaucoup de gens, leur pierre varie aussi
en fonction de ces opinions. Certains — dont les péripatéticiens — prétendent que la
pierre est ce principe naturel, c’est-à-dire la matière appétitive de la forme par priva-
tion. D’autres, comme Thalès de Milet, mettent la Pierre dans les eaux, car ils pré-
tendent que c’est d’elles que toutes choses ont été engendrées. Anaximène l’a mise
dans l’air, Héraclite d’Éphèse dans le feu, Anaxagore de Clazomènes et Épicure dans
les atomes, Parménide dans les qualités chaudes et froides, Diodore [le mégarique],
Démocrite et Leucippe dans le vide et le plein, Pythagore dans le nombre, Empé-
docle dans la discorde et l’amitié des quatre éléments. En bref, leurs recherches des
premiers principes et des causes des effets furent très diverses. Ainsi, lorsqu’ils arri-
383. Voir la notice de Weiss dans Biographie universelle (Michaud), XVI, Paris, 1856,
pp. 636-637 (s.v. « Gliscenti ») ; F. Hoefer, Histoire de la chimie…, Paris, 1843, II, p. 131.
384. Fabii Glissenti Brevis tractatus in quo de lapide philosophorum moraliter disseritur.
Latinitate donatus à Laurentio Straussio Med. D. & Prof. P., Giessen, 1671.
385. Voir Biographisches Lexikon der hervorragenden Ärzte aller Zeiten und Völker, V,
Munich – Berlin, 1962, p. 452.
386. Cf. Digbæi oratio de vulnerum per pulverem sympatheticum sanatione […] in latinum
sermonem versa a Laurentio Strauss cum eiusdem Strauss epistola ad Digbæum, dans Theatrum
sympatheticum, Nuremberg, 1660, pp. 1-192. Sur K. Digby, voir J. R. Partington, A History of
Chemistry, II, pp. 423-426.
Alchimie et stoïcisme 101
vèrent au point qui leur semblait indépassable par la nature, ils s’arrêtèrent là et ap-
pelèrent ce point la pierre, c’est-à-dire le terme de leurs spéculations. D’autres pré-
tendent que le monde est éternel ; et voyant que toutes choses s’engendrent l’une de
l’autre, avec corruption de la première, ils ont posé par leur pierre la génération et la
corruption. Et parce que nulle chose ne peut être engendrée d’une autre si la corrup-
tion ne l’a pas précédée, et parce que les choses qui se corrompent meurent, ils ont
estimé que la mort elle-même était la pierre des philosophes. Car nulle chose mor-
telle n’achève son existence sans s’achever en mort, et nulle chose ne commence à
exister sans commencer par la mort. C’est pourquoi les éléments s’engendrent l’un
de l’autre avec la mort du premier : l’air s’engendre du feu avec la mort du feu, l’eau
de l’air avec la mort de l’air, la terre de l’eau après sa corruption et sa mort, et ainsi
de suite. Et de cette belle conclusion Aristote s’est servi dans son livre De la généra-
tion et de la corruption, lorsqu’il dit que la génération d’une chose est la mort d’une
autre, et la mort de l’une est la génération de l’autre. Il s’ensuit que nulle chose ne
peut être engendrée dans les choses inférieures si elle n’a pris naissance de la mort
d’une autre chose précédente 387. Donc cette cause commune appelée mort, et dési-
gnée par Aristote sous le nom de privation, d’aucuns en ont fait leur pierre, comme
un terme stable, vers lequel se jettent toutes les choses mortelles et d’où elles tirent
leur origine, étant donné que nul effet ne peut être entièrement connu, qu’il soit un
corps composé ou simple, si l’on ne résout pas ses principes et s’il ne meurt pas
tout d’abord. Et il semble que Platon se soit accordé avec cette opinion, lorsqu’il a
défini la philosophie en disant qu’elle est “méditation sur la mort” 388 ; d’où l’on ap-
pelle le philosophe “celui qui médite sur la mort”. Telle est cette pierre sur laquelle
beaucoup ont trébuché, ne pouvant aller plus avant par leur entendement. Tu en
comprendras mieux certains, comme Platon, Socrate, Zénon, et d’autres, en voyant
que beaucoup de choses naturelles sont incorruptibles, comme l’âme raisonnable qui
ne peut s’achever par la mort, mais qui va se perpétuant à travers les siècles. Ils ont
accordé que dans les choses mortelles, la mort est la Pierre ; et ils ne se sont pas ar-
rêtés là : dans les immortelles, allant plus loin, ils ont connu que tous les effets se
réduisent à une cause première, qui diffuse sa vertu, à travers les moyens termes,
jusqu’aux derniers effets, en procédant selon l’ordre de composition ; puis, s’élevant
en sens inverse selon l’ordre de résolution, ils ont finalement atteint Dieu. Ils ont
donc conclu que leur pierre était Dieu, première cause, sans principe, pierre, dis-je,
au-delà de quoi on ne peut aller, pierre où il convient de s’arrêter, pierre stable, et
bien digne d’être dite pierre des philosophes. » 389
LE M é LANGE TOTAL
À l’appui de leur thèse, Jean-Paul Dumont et — à sa suite — Bernard Joly 390 ont allé-
gué avec insistance la théorie chrysippienne du mélange total (≤ƒk«§» {§’ æ≥›µ) telle
qu’elle nous a été rapportée par Alexandre d’Aphrodise dans son De mixtione (216) 391.
principij naturali, alcuni vogliono che i detti principij siano questa Pietra ; ma perche diuersa-
mente sono state da molti reputate le prime cause, perciò secondo le diuerse opinioni varia anco
la loro Pietra. Volendo alcuni, & i Peripatetici, che la Pietra sia quel principio naturale, cioè la
materia appetitiua della forma per priuatione. Altri come Talete Milesio pose la Pietra nell’acque,
volendo che da queste fossero tute le cose generate. Anassimene la puose nell’aria. Eraclita
Effesio nel fuoco. Anassagora Clazomeno, & l’Epicuro ne gli Atomi. Parmenide nelle qualità
calde, e fredde. Diodoro, Democrito, e Leucippo nel uuoto, e nel pieno. Pitagora nel numero.
Empedocle nella lite, e nell’amicitia de i quattro elementi ; in somma furono varij nell’inuesti-
gare de i primi principij, e le cause de gli effetti : si che quando si trouarono giunti colà, doue pa-
reua loro, che naturalmente più oltre non si potesse passare, quiui fermandosi chiamarono quel
punto Pietra, cioè il termine delle loro speculationi. Altri volendo che il Mondo sia stato eterno :
e uedendo che tutte le cose si generano l’una dell’altra, con la corrottione della prima statuirono
per loror Pietra la generatione e la corrottione ; e perche non si può generare cosa alcuna da un’al-
tra se prima non precede la corrottione, e perche le cose che si corrompono muoiono, perciò sti-
marono che la Morte stassa fosse la Pietra de i Filosofi ; poi che nessuna cosa mortale finisce di
essere, che non finisca in morte ; e nessuna cosa commincia ad essere, che non comminci dalla
morte ; impercioche gli elementi si generano l’vno dall’altro con la morte del primo, del fuoco si
genera l’aria con la morte del fuoco, dell’aria l’acqua con la morte dell’aria, di quella la terra con la
sua corrottione e morte precedente, e così discorrendo. E di questa bella conclusione si seruì
Aristotele nel libro della Generatione, e Corrottione, dicendo. La generatione d’una cosa è la
morte d’un altra, e la morte dell’una è generatione dell’altra. Onde cosa alcuna non si può dar ge-
nerata nelle cose inferiori, che dalla morte d’alcuna altra precedente non habbia hauuto l’origine.
Questa causa dunque commune chiamata Morte, e da Aristotele compresa sotto il nome della priua-
tione, fù la Pietra di alcuni, come termine stabile, a cui corrono tutte le cose mortali, e da cui
traggono l’origine, essendo che nessuno effetto intieramente si possa conoscere, sia corpo com-
posito, ò semplice se non si rissoluene i suoi principij, e se prima non muore. E pare che a questa
opinione acconsentisse Platone quando diffinendo la Filosofia, disse, che ella è Contemplatione
di Morte ; di doue il Filosofo si verrebbe a nomare speculatore di Morte. E questa è quella Pietra
nella quale molti urtarono, non potendo col loro ingegno tra passare più oltre. Alcuni meglio in-
tendi come Platone, Socrate, Zenone, & altri, uedendo che molte cose naturali sono incorrotti-
bili, come l’anima ragioneuole che non può terminar con la morte, ma che si và perpetuando coi
secoli, posto che nelle cose mortali concedessero esser Pietra la morte, nelle immortali però non
s’acquetarono : ma passendo più oltre conobbero che tutti gli effetti si riducono ad una prima
causa, la quale infonde la sua uirtù per li mezzi fin a gli ultimi effetti, procedendo con l’ordine
compositiuo ; & eglino col ressolutiuo salendo allo indietro diedero finalmente di petto in Dio ;
si che tennero che la loro Pietra fosse Iddio, prima causa, senza principio, pietra dico, oltre di cui
non si può passare, pietra in cui conuiene fermarsi, e pietra stabile, e ben digna di dirsi Pietra di
Filosofi. » Voir aussi la traduction latine de L. Strauss, Brevis tractatus… pp. 76-78.
390. Voir J.-P. Dumont, « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique… », pp. 13-
15 [76-77], « Deux hypothèses concernant l’interprétation stoïcienne de l’art tinctorial :
Alexandre d’Aphrodise et la villa des Vettii », pp. 328-335, « Préface » à B. Joly, La Rationalité
de l’alchimie au XVII e siècle, pp. 13-15 ; B. Joly, id., pp. 91-92 ; « Physique stoïcienne et
philosophie chimique au XVII e siècle », pp. 188-189.
391. Cf. De mixtione, éd. Bruns, p. 216, 14 (= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Frag-
menta, II, 154, 19).
Alchimie et stoïcisme 103
Ayant cru déceler sa présence dans l’Œdipus chemicus de Becher, Dumont en a « attribué la
résurgence à la large diffusion, au début du XVIIe siècle, de la Manuductio et de la Physio-
logia stoicorum de Juste Lipse » 392. Attribution malencontreuse, car l’on ne trouve nulle
trace de cette théorie dans les traités de Lipse. Toutefois, chose que paraissent ignorer
Dumont et Joly, il n’était guère possible que le De mixtione d’Alexandre d’Aphrodise restât
ignoré de l’ensemble des alchimistes de la Renaissance et de l’Âge classique, dès lors qu’un
grand nombre d’entre eux étaient médecins et que, réciproquement, beaucoup de médecins se
mêlèrent d’alchimie, même s’ils ne travaillèrent pas au grand œuvre. Ainsi, dans l’édition de
l’épître De origine alchemiæ, distillationis aquarum, et olei modis, ac illorum usu de
Johann Lange (1485-1565) une note marginale renvoie à propos du mélange des composés à
la fois au livre IV des Météorologiques d’Aristote et au De mixtione d’Alexandre d’Aphro-
dise 393. L’opuscule d’Alexandre ne pouvait guère manquer d’intéresser tout particulièrement
les médecins, du fait que dans l’In Hippocratis librum de natura humana commentarius et
dans le De methodo medendi Galien avait souligné l’opposition entre la conception aristoté-
licienne du mélange et celle, qu’il repousse, des stoïciens 394. Or le texte du De mixtione fut
assez tôt à la disposition des érudits : le texte grec fut édité à Venise dès 1527 ; en 1540 le
professeur de philosophie et de médecine à Tübingen Jakob Degen, dit Schegk (Schegkius,
Scheggius, 1511-1578) 395, en procura une version latine qu’il fit précéder d’un De causa
continente 396 où il analyse, pour la rejeter, la conception stoïcienne de la cause formelle ; en
1546 Angelo Canini (1521-1557) 397 publia sa propre traduction latine, trois fois réédi-
tée 398 ; enfin le Padouan Gaspar Gabrielli (ca 1495-1553), qui enseigna la médecine à
Ferrare, le traduisit à nouveau, après 1541, mais sa traduction ne fut pas imprimée 399. Les
alchimistes pouvaient donc facilement avoir accès à ce texte. C’est ainsi que dans la Lista di
nomi di scrittori chimici et di libri di diversi (XVIIe s.) contenue dans un manuscrit alchi-
mique de la Biblioteca Nazionale Centrale de Florence, figure l’ « Opusculum Alexandri
Afrodisei de Mistione » 400. En outre, ceux qui n’avaient pas accès à ce De mixtione pou-
vaient fort bien avoir une connaissance indirecte de la doctrine stoïcienne du mélange total
qui y est exposée grâce à la lecture d’ouvrages de médecine comme le commentaire composé
par Jean Riolan sur le De abditis rerum causis (Paris, 1548) de Jean Fernel (ca 1497-
1558) 401, cet Ad libros Fernelii de abditis rerum causis commentarius (Paris, 1598) de
Riolan étant particulièrement important dans la mesure où Fernel fut rapidement élevé au
rang d’une autorité par les alchimistes en raison du chapitre XVIII du Livre II du De abditis
rerum causis, où le grand médecin se montre favorable à l’alchimie 402, encore que cela fût
contesté par certains anti-alchimistes comme le médecin huguenot Jacques Aubert (ca 1500-
1587) 403 dans ses Progymnasmata in Ioannis Fernelii medici librum De abditis rerum natu-
ralium et medicamentorum causis (Bâle,1579) 404 et, à sa suite, par Nicolas Guibert 405.
Fernel, pour sa part, assoit sur des bases aristotéliciennes sa théorie des principes et des
éléments constitutifs des corps 406. Selon lui, si les principes fondamentaux que sont la
400. Cf. Biblioteca Nazionale Centrale, Palatino 867, vol. X, ff. 24r-25 v, ici f. 24v.
401. Voir L. Figard, Un Médecin philosophe au XVIe siècle, Étude sur la psychologie de Jean
Fernel, Paris, 1903 ; C. S. Sherrington, Endeavour of Jean Fernel, Cambridge, 1946 ;
M. L. Bianchi, « Occulto e manifesto nella medicina del Rinascimento : Jean Fernel e Pietro
Severino », cit. supra note 180.
402. Cf., par exemple, P. Borel, Bibliotheca chimica, éd. Paris, 1654, p. 93 (Heidelberg,
1656, p. 89) : « Fernelius libro de Abditis rerum causis, cap. 18. lib. 2. de lapide Philosophico
optimè disserit, & se calluisse eum testatur, processumque eius docet. » La « Physiologia
Fernelij » est également incluse dans la Lista di nomi di scrittori chimici et di libri di diversi citée
supra p. 103 et note 400. Voir encore les textes de Theobald van Hoghelande, Israël Harvet
(l’« Anonyme d’Orléans » qui donna un commentaire du Tractatus vere aureus de lapidis
philosophici secreto d’Hermès) et de Pietro Maria Canepari cités dans notre article, « Marsile
Ficin et l’alchimie… », pp. 124, 125, 181, 185, 190.
403. Voir Dictionnaire de biographie française, IV, Paris, 1941, col. 32.
404. Cf. Progymnasmata in Ioan. Fernelii med. librum de Abditis rerum naturalium et
medicamentorum causis : quibus adduntur quorundam grauissimorum morborum curationes, Bâle,
s. d. [= 1579], Exerc. LII (« An Fernelius philosophicum lapidem probauerit ? »), p. 292 :
« Bona sufflonum pars, & eorum præsertim, qui cæteris præstant, certè sua spe falluntur : quippe,
qui Fernelium libro secundo [en marge Cap. 18], de Abditis rerum causis lapidem philosophicum
probare contendunt. Longè enim secus sensit ille, ueluti ex Eudoxo, qui omnia diluit argumenta, à
Bruto de isto lapide proposita, licet cuique percipere. Etenim Eudoxus Philiatrum carbonariorum
elixir, ut quid abditum & supernaturale admirantem sic interrogat : Siccíne (inquit) è philosophia
ad diuitias habendi desiderio quasi inflammatus raperis ? Vide ne quod postremò additum est
fabulam detegat. Hæc Fernelius quibus lapidem Philosophicum nihil aliud ese, nisi uanorum
hominum & impostorum figmentum perspicuè demonstrat. Quare tanto uiro, & de uera
philosophia & medicina bene merito magnam faciunt iniuriam, ipsum dementiæ insimulantes.
Imò uerò ipsos ludit, & artis imposturas detegit. »
405. Cf. Alchymia ratione et experientia ita demum viriliter impugnata et expugnata, unâ
cum suis fallaciis et deliramentis, quibus homines imbubinârat, ut nunquam imposterum se erigere
valeat, II, XI (« De Fernelio, et vtrum Alchymiæ fauerit »), Strasbourg, 1603, pp. 85-87, et De in-
teritu alchemiæ metallorum transmutatoriæ tractatus aliquot, Toul, 1614, II, tract. III, pp. 108-
113.
406. Pour un bon exposé de cette théorie, voir L. Figard, Un Médecin philosophe au XVI e
siècle, pp. 115 sqq.
Alchimie et stoïcisme 105
matière et la forme, antérieurs aux éléments, ne peuvent être saisis que par la raison, les
éléments — dont les combinaisons presque infinies produisent tous les corps de l’univers
— ne sont ni des concepts, ni des qualités, mais des substances matérielles absolument
indécomposables, isolables et théoriquement perceptibles dans leur état de pureté 407, bien
qu’ils échappent à la grossièreté de nos sens. La combinaison substantielle constitutive des
corps consiste par conséquent uniquement dans l’action réciproque des qualités spécifiques
des éléments, qui ne sont pas modifiés par elle. C’est pourquoi il faut écarter la tradition
scolastique, illustrée par Thomas d’Aquin et Duns Scot, selon laquelle les éléments, qui
désignent non des substances mais des qualités, ne se rencontrent jamais à l’état isolé et
n’ont aucune existence effective dans la mesure où leur présence dans les corps se réduirait à
une modification qualitative et où ils perdraient leur forme propre, à laquelle se substituerait
la forme du composé, lorsqu’ils entrent dans la composition d’un corps. Il faut également
écarter l’idée proprement inintelligible que les substances des corps se mélangent
totalement. C’est donc bien ici la théorie stoïcienne du mélange total, comme l’a
parfaitement vu son commentateur Jean Riolan, que rejette formellement Fernel, même s’il
ne se réfère pas aux stoïciens, mais voit la source de cette idée chez Plotin 408. Quand donc,
au chapitre XII de son Ad libros Fernelii de abditis rerum causis commentarius, Riolan
traite de la manière dont se mélangent les éléments, il expose, en renvoyant au De mixtione
d’Alexandre d’Aphrodise, et pour les repousser, les arguments avancés par les stoïciens en
faveur de leur doctrine du mélange substantiel contre la doctrine aristotélicienne du mélange
des seules qualités adoptée par Fernel 409 et par lui-même. Une même théorie des éléments et
407. Cf. Physiologia, II (« De elementis »), III , éd. Leyde, 1645, p. 111 : « Elementum
enim corpus est simplex, ex quo quidque primum constituitur ». Les élements se trouvent
naturellement dans leur état de pureté dans certains lieux de l’univers, par exemple la terre au
centre du monde, ou le feu dans les cieux (voir id., II, VI, p. 117).
408. Voir id., II , cap. VII. Texte reproduit ci-dessous, Appendice II, pp. 140-142.
409. Cf. Ad libros Fernelii de abditis rerum causis commentarius, cap. VIII (« Modvs mixtio-
nis exponitur »), dans Opera omnia, Paris, 1610, p. 12 : « Magna dissensione certant Stoïci cum
Peripateticis, an elementa ≤`…d «‡¥`…`, penes substantias, an ≤`…d √∑§∫…ä…`», penes qualitates
tantùm misceantur. Placet Stoïcis substantias ipsas & formas elementorum, permisceri,
Peripateticis solas qualitates : quibus fauet Galenus, sic autem illi obiiciunt Stoïcis : elementa
æ≥` {§ı æ≥∑µ, tota totis commiscentur, atqui non possunt substantiæ substantiis permisceri sine
penetratione dimensionum : deinde, quæ miscentur, prius remitti necesse est, vt actione & per-
pessione mutua temperentur ; intentio & remissio sunt qualitatum propriæ, non formarum, misce-
rentur ergo qualitates, non formæ. Respondent Stoïci, dimensiones sese penetrare non esse ab-
surdum. Causam enim continentem, quam Zeno nominatim ignem appellabat, dispersam per
vniuersum, eiusque præsentia nullam mundi particulam esse destitutam : lumen quoque, cùm sit
corporeum, corpus perlucidum, vt vitrum, vndique permeare : quibus videntur hæc attestari :
Primò, quod elychnium totum oleo perfundatur. Secundò, quòd accrescat corpus & in omnes di-
mensiones simul extendatur, alimento in omnes corporis particulas effuso : Tertiò, quòd vas ple-
num cineribus, non minus aquæ continet quàm si vacuum esset : Postremò, quòd sudor corpus &
cutem peruadat. Verùm ignem Stoïcorum, vt animam mundi, Platonicorum scriptis celebratam,
Aristotelei multis argumentis refellunt, quæ nos collegimus lib. de anima mundi. Lumen verò non
esse corpus Aristot. aduersus Empedoclem demonstrauit, nec defuerunt qui intentionalem tantum
qualitatem, non realem esse defenderunt, tantum abest vt illud corpus esse iudicarent. Lana aqua
106 Sylvain Matton
du mélange opposée à celle des stoïciens pouvait ainsi être reçue aussi bien par des partisans
que par des détracteurs de l’alchimie, puisque Riolan, qui reproche à Fernel d’avoir parlé de
la pierre philosophale 410, se rangeait parmi ces détracteurs.
La doctrine stoïcienne du mélange total s’est vue également repoussée par des alchimis-
tes adoptant une doctrine non aristotélicienne des éléments. Ainsi dans un passage de son
Ad Iacobi Auberti Vindonis de metallorum ortu et contra chemistas brevis et dilucida
responsio (Lyon, 1575), où il s’inspire manifestement de la Physiologia de Fernel, Joseph
Duchesne, qui polémiqua aussi avec Riolan, rejette la conception stoïcienne du mélange, en
se rangeant sur ce point à l’avis de son adversaire Jacques Aubert. Duchesne remarque :
« Les philosophes posent que les métaux, comme tous les autres corps mixtes, sont
constitués de deux matières : l’une, qui est la matière générale et très éloignée, se tire
des éléments comme de ce qui est au premier rang de toutes choses, les choses étant
composées de ces éléments comme de ce qu’il y a de plus simple, et les plus
simples d’entre elles se résolvant en eux. D’autre part, que seules les qualités et les
vertus des éléments se transforment mutuellement et se mélangent totalement, les
péripatéticiens le soutiennent contre les stoïciens 411 , lesquels s’emploient au
madens, aut elychnium oleo perfusum, aëre excluso, in capacitates liquorem admittit, quo totum
imbuitur, sic per cineres aqua diffunditur, eius tamen magna portione exhalante : sudor laxioris
cutis meatus præterfluit, eoque copiosor, quò cutis laxior. Sed considera, quæso te per sacras
Musas, lector, quanta consequutione absurdorum premantur, qui duo corpora sese penetrare arbi-
trantur. Omne corpus quantum & dimensum, quia continuum, infinitè diuiduum est, infinitè diuidui
non datur minimum, quare minimorum per minima transitu, vt illi loquuntur, non fit permixtio
dimensionumque penetratio. Quòd si minima & indiuidua Democriti corpuscula, xysmatis & ra-
mentis minutiora ab Arist. tot locis tam doctè & subtiliter confutata ponerentur, corporum sub-
stantiæ tanquam in nihilum redactæ, sese mutuo destruerent. / Facessat igitur Stoïcorum commen-
tum, & elementa penes qualitates permisceri concludamus : prius tamen alterum illorum argumen-
tum diluamus. Formæ, inquiunt, non intenduntur, neque remittuntur, quid si respondero formas
quidem perfectas, quales mixtorum, non intendi, imperfectas verò, quales primorum et simplicium
corporum, intendi & remitti posse ? quot sunt docti & celebres Physici, qui elementorum formas
non alias cognoscunt, quàm primas qualitates ? Id enim inquiunt quod definit, & definitum ab
omni alio separat, forma est specifica & essentialis, elementa autem non aliter differunt, quàm
primis qualitatibus, quæ idcirco specificæ nominantur, ecquid aliud ignis, quàm primum calidum ?
quánam alia qualitate agit, quàm calore ? At qualitas actiua est formalis : faciamus tamen ignotis
quatuor formis atque substantiis elementa differre, an ipsæ formæ remittuntur ? minimè verò : sed
elementa qualitatibus primum alterata, deinde formis vnita, permiscentur, quæ præterea solent
quæri & disputari, explicantur libro de Temperamentis. » Riolan note en marge, à propos de
Galien : « Gal. ad lib. Hip. de nat. hom. », à propos de Zénon et des arguments des stoïciens :
« Lege Aphrodis. lib. de mixtione. », et à propos du début du second paragraphe : « Modus mix-
tionis soli Deo & naturæ miscenti cognitus, Gal. ».
410. Cf. Ad libros Fernelii de abditis rerum causis commentarius, cap. XIX , « Digressio in
chymistas », éd. Opera omnia, p. 168 : « Consultius fecisset Fernelius, si lapidis philosophici
descriptionem silentio obruisset, ne credulos & rerum nouarum cupidos in foueam calamitatis
autoritate sua præcipitaret. »
411. Cf. Galien, In Hippocratis librum de natura humana commentarius, I, II, éd. C. G. Kühn,
Claudii Galeni Opera omnia, XV, Leipzig, 1821, p. 32.
Alchimie et stoïcisme 107
contraire à démontrer que les substances des éléments se mélangent totalement entre
elles. Mais abandonnant les flots agités de leurs opinions trompeuses, nous
revenons au port couvert et tranquille, et sur ce point nous approuvons l’opinion
d’Aubert qui estime que dans les mixtes les éléments ne subsistent pas de manière
essentielle ou en acte, mais en puissance 412. Ce dont témoigne Galien dans son livre
Sur la méthode médicale, quand il écrit que les éléments se mélangent tous entre eux
uniquement par le biais des qualités 413. » 414
Duchesne admet donc avec Aubert la doctrine scolastique de la présence seulement
virtuelle des éléments dans les mixtes qu’avait combattue Fernel. Étienne de Clave, en
revanche, s’alignera, dans sa Nouvelle Lumière philosophique, sur la position de Fernel en
qualifiant d’« absurde » la théorie de la présence virtuelle. Il écrit :
« […] entre les Physiciens les vns veulent que les elemens soient actuellement aux
mixtes, puis que par la resolution ils s’y trouuent actuellement : Ce que les autres
nient, disans que ce ne sont pas des elemens, mais bien que cette resolution se fait
en quelques corps, qui ont bien quelque affinité auec iceux ; mais qu’ils ne sont pas
vrais elemens, d’autant qu’ils veulent que les formes elementaires perissent en la
generation, & que les qualitez, mais retuses, y demeurent en sorte que de cette
mixtion il resulte vne nouuelle forme, qu’ils appellent la forme du mixte, parce,
disent-ils, qu’elle donne estre à la chose qui est engendrée.
412. Cf. J. Aubert, De metallorum ortu et causis contra Chemistas brevis et dilucida explica-
tio, Lyon, 1575, pp. 29-30 : « Porrò in horum [= metallorum] generatione, atque reliquorum om-
nium mistorum duplicem oportet considerare materiam : vnam scilicet generalem, seu commu-
nem : alteram propriam & ex qua res proximè generantur. Prior quem [sic] remotissimam appella-
mus, ex elementis quatuor sumitur. Ex his enim tanquam partibus simplicissimis omnia constitui
corpora mista necesse est. Animalia, stirpes, metalla, lapides reliquáque fossilia, atque adeò
reliqua mista quatuor elementorum qualitatibus concrescere ne quidem insanis & fatuis dubium
esse debet. Ex quo intelligimus ipsa quatuor mundi elementa prædictorum corporum velut semina
quædam, quibus inter se quadam naturæ proportione connexis constituuntur corpora : sed ipsis
quoque dissipatis in ea ipsa dissoluuntur. Cæterùm in concretis mistísque corporibus non actu, id
est essentialiter, sed potestate ea subsistunt elementa […]. » Voir aussi Progymnasmata in Ioan.
Fernelii med. librum de Abditis rerum naturalium et medicamentorum causis, IV, pp. 12-13.
413. Cf. Galien, De methodo medendi, I, éd. C. G. Kühn, t. XVI, p. 32.
414. Cf. Ad Iacobi Auberti…, Lyon, 1575, pp. 35-36 (éd. Theatrum chemicum, II,
pp. 162-163) : « Metallorum, quemadmodum & reliquorum mixtorum corporum, duplicem
constituunt materiam [causam a. c.] Philosophi : vnam generalem & remotissimam, quæ sumitur
ex elementis, tanquam ex omnium rerum primariis, ex quibus vt simplicissimis constant, & in
quæ simplicissima resoluuntur. Horum autem elementorum qualitates virtutésque tantùm in se
mutuò transire, omninòque misceri, Peripatetici in Stoicos contendunt : qui ipsorum substantias
totas esse totis permixtas contrà affirmare conantur. Sed missis lubricarum opinionum istis
fluctibus, ad tutum & tranquillum portum nos recipimus, & in hac re Auberti comprobamus
opinionem, existimantis in mixtis non essentialiter aut actu, sed potestate subsistere elementa :
Quod Galenus testatur lib. primo method. medendi, vbi elementa suis qualitatibus duntaxat tota
totis misceri scribit. De secunda verò ac propria ipsorum materia, non vna, sed longe diuersa
etiam multorum Philosophorum opinio. » Voir le texte de Fernel cité ci-dessous, p. 141, 1er §.
108 Sylvain Matton
Laquelle opinion est absurde : car si la forme des elemens perit, & non pas les
qualitez, nous leur demandons qu’elle sera donc la base & l’appuy de ces
qualitez. » 415
Et de Clave poursuit, quelques pages plus loin :
« Cela estant ainsi posé, il faut voir les obiections des aduersaires, afin d’y
respondre ponctuellement & maintenir les opinions des Philosophes anciens,
deuanciers d’Aristote, & ce qu’ils auront dit conformément à la verité, comme
Anaxagoras, Empedocles, Platon & mesmes les Stoïciens, & depuis Aristote,
Auerroës, Auicenne auec plusieurs autres, comme Lucresse : & sur tous, & quasi
auant tous ce grand Hyppocrate, lequel en son Liure de la Nature Humaine, dit que la
nature en faisant ses corruptions renuoye chaque chose d’où elle a esté tirée. » 416
S’étonnant, à propos de ce passage, qu’Étienne de Clave mette les stoïciens au nombre
des devanciers d’Aristote, Bernard Joly explique cette erreur, en effet grossière, à la fois par
l’ignorance dont les stoïciens auraient été alors victimes et par « la place qu’ils occupent
théoriquement » dans l’esprit de de Clave, « parmi ceux qui assimilaient les principes à des
éléments » 417. Cette bourde marque surtout la négligence d’Étienne de Clave, car son texte
n’est en fait qu’un extrait confus de l’In libros De generatione et corruptione Aristotelis
Stagiritæ des Conimbricensis Collegii Societatis Jesu commentarii, où les jésuites coïm-
brois sont d’une parfaite clarté, eux qui, examinant la question de savoir si les formes des
éléments persistent dans les mixtes, écrivaient :
« Les anciens interprètes de la nature Anaxagore et Empédocle, ainsi que les
stoïciens et, à ce qu’il semble à certains, Platon, ont répondu affirmativement. La
plupart des philosophes postérieurs ont suivi leur traces, même s’ils sont loin de
s’accorder entre eux. En effet Avicenne […]. » 418
415. Nouvelle Lumière philosophique, chap. III (« Si les Elemens entrent actuellement en la
mixtion »), pp. 264-265.
416. Id., pp. 270-271.
417. Cf. « Physique stoïcienne et philosophie chimique au XVII e siècle », p. 188 : « Que les
stoïciens soient pour de Clave des devanciers d’Aristote, voilà qui en dit long, à la fois sur
l’ignorance dont ils sont victimes et sur la place qu’ils occupent théoriquement dans son esprit,
parmi ceux qui assimilaient les principes à des éléments. Fabre adoptait d’ailleurs une semblable
démarche lorsque, à la suite du texte sur la conception stoïcienne des marées, il ajoutait que seul le
retour aux précurseurs d’Aristote permettrait de voir la nature dénudée de ses voiles, tandis que
Nuysement remontait à Thalès. Cette manière, en quelque sorte pré-aristotélicienne, de penser
principes et éléments est elle-même caractéristique des premiers stoïciens. »
418. Cf. In libros De generatione et corruptione Aristotelis Stagiritæ, In lib. I, cap. X ,
quæst. III (« Vtrum elementa secundum suas formas maneant in mixto, an non »), art. I. (« Qui auc-
tores affirmativam partem defendant, & quibus argumentis »), éd. Mayence, 1606, p. 347 :
« Quod elementa omnibus mistis gignendis sese tanquam materiam accommodent, pro certo habe-
tur in philosophia. Num verò etiam quoad formas substantiales in iis insint, controuersum est, &
dissidentium Philosophorum opinione agitatum. Antiqui naturæ interpres Anaxagoras, &
Empedocles ; præterea stoici, & vt quibusdam videtur, Plato, affirmantem partem secuti sunt, quo-
rum vestigiis plerique è posterioribus philosophis institere, etsi hi non parum inter se dissense-
Alchimie et stoïcisme 109
Et après avoir expliqué la position d’Avicenne, puis celle d’Averroès, les Coïmbrois
citaient Hippocrate et Lucrèce à propos d’un argument en faveur de la persistance des
formes 419. Les deux additions d’Étienne de Clave à leur texte, « devanciers d’Aristote » et
« depuis Aristote », ne sont donc que des précisions malheureuses, et ne sont révélatrices
d’aucun présupposé théorique 420, la connaissance qu’avait de Clave de la physique stoïcienne
et spécialement de leur théorie du mélange paraissant bien s’être strictement limitée à ce
qu’en avaient dit les Coïmbrois. Ces derniers avaient écrit à propos de la thèse de ceux qui
nient que les formes spécifiques des éléments persistent dans le mélange :
« Cette opinion est donc démontrée, parce que si les éléments conservaient leur
formes propres dans le mixte, de telles formes seraient ou bien dans une même situa-
tion, ou bien dans des situations différentes. Si elles étaient dans une même situa-
tion, comme le soutiennent les stoïciens, à ce que rapporte Alexandre dans son
opuscule sur le mélange, puisqu’elles comporteraient chacune leurs dimensions
propres, deux corps se pénétreraient entièrement l’un l’autre, ce qui est impossible.
Si elles étaient dans des situations différentes, comme le pense Avicenne, alors
chaque partie du mélange ne serait pas mélangée, puisque chacune ne contiendrait pas
les formes des éléments, par l’assemblage desquelles, dit-on, les choses se mélan-
gent. » 421
rint. Nam Auicenna primo sufficientiæ cap. 10. & 11. doct. 3. cap. 3. arbitratur, elementa in
misto formas suas perfectas, atque integras retinere, dissecta tamen, ac minutatim concisa ; ita vt
eorum particulæ ordine quodam compositæ, & connexæ mutuò aliæ aliis cohærescant. Ad quod ad
elementorum qualitates attinet, putat eas non secundum suas naturas in mixto remanere ; sed ac-
tione mutua interire, & ex iis qualitatem quandam vnam emergere, quam vocat complexionem,
virtutes quatuor primarum in se cohibentem, eaque producta resultare, inquit, formam mixti ab
elementorum formis distinctam. Auerroes hoc in lib. com. 90. & 3. libro de cœlo com. 67. & in
epitome Metaph. tractatu primo, statuit formas elementorum per materiam æquabiliter fusas actu
seruari in mixto ; remissas tamen, atque refractas sicuti ipsorum qualitates. »
419. Cf. id., p. 348 : « Quintò, Natura, vt dictum est ab Hippocrate in lib. de natura hu-
mana, rerum obitus conficiens, eò singula refert, vnde accepta fuerunt. Proindeque vnumquodque
ex iis constare creditur, in quæ dissoluitur : dissolui autem, & refluere mixtum in elementa, pers-
picuum videtur in succensa viridium lignorum strue. Cernimus enim prodire ex ea flammam, fu-
mum, humorem, & cineres ; quæ quatuor elementis igni, aëri, aquæ & terræ singulatim respon-
deant. Idemque fit in obitu hominis. Nam spirituum vitalium substantia partim in ignem, partim
in aërem dissipatur, humor in aquam refluit, solidiores partes in cinerem, & terram abeunt. Quo
spectat illud Lucretii lib. 2.
Credit enim retro de terra, quod fuit ante,
In terras : & quod missum est ex ætheris oris,
Id rursum cœli rellatum templa receptant :
Nec sic interimit mors res, vt materiei
Corpora conficiat, sed cœtum dissipat ollis. »
420. Voir ci-dessus, note 417.
421. In libros De generatione et corruptione…, In lib. I, cap. X , quæst. III, art. II (« Negati-
vam partem quæstionis veram esse »), p. 349 : « Probatur igitur hæc opinio, quia si elementa
proprias formas in misto seruarent, vel eiusmodi formæ in eodem situ essent, vel in diuerso. Si in
eodem, vt Stoici autumant, referente Alexandro in opusc. de mistione, cum singulæ suas secum
110 Sylvain Matton
dimensiones ferant, iam duo corpora sese inuicem permearent, quod fieri nequit. Si in diuerso, vt
sentit Auicenna, iam non quælibet pars misti esset mixta ; quia non quælibet contineret formas
elementorum, quarum coitione misceri res dicunt. »
422. Nouvelle Lumière philosophique, chap. IV (« De l’opinion de ceux qui nient que les
Elemens entrent actuellement en la composition des mixtes auec la refutation d’icelle »),
pp. 274-275.
423. Voir id., pp. 271-273. Si aux yeux d’Étienne de Clave cette thèse n’est pas expres-
sément défendue par Aristote, elle n’est pas non plus rejetée par lui (cf. p. 274 : « D’ailleurs nous
pouuons dire que touchant ce meslange des elemens en la composition, Aristote ploye tantost
d’vn costé tantost de l’autre, comme nous monstrerons vn iour en nos Liures de la Generation &
Corruption, ausquels nous refuterons plus exactement les opinions de ceux qui les interpretent à
leur mode »).
424. Cf. « Physique stoïcienne et philosophie chimique au XVII e siècle », p. 189 : « En fin
de compte, cependant, une approche corpusculaire l’emporte chez lui, puisqu’il considère
finalement que la mixtion s’opère par une union des éléments “qui se meslent exactement en la
Alchimie et stoïcisme 111
Tous ces textes attestent que, loin d’avoir servi de modèle prépondérant ou simplement
privilégié aux alchimistes de la Renaissance et de l’Âge classique, la doctrine stoïcienne du
mélange total ne laissa pas au contraire d’être souvent critiquée par eux, quand elle ne fut
pas tout bonnement ignorée. Nous avons vainement cherché un auteur chimique l’entérinant
soit explicitement soit tacitement, mais de manière incontestable. Car si l’obscurité de bien
des textes alchimiques peut ne pas en interdire une lecture stoïcienne, cette dernière n’en
devient pas pour autant légitime et ne prend aucune valeur démonstrative. Tel est le cas, par
exemple, du passage suivant du pseudépigraphe lullien Conclusio summaria ou
Repertorium ad intelligendum Testamentum et Codicillum (XVe s.) 425 :
« La chaleur du corps digère et résout le mercure dans la mesure où il est transporté
dans l’eau avec ses parties mercurielles dissoutes ; et ainsi notre flegme est constitué
de trois substances essentielles, essences des éléments qui sont en vérité ainsi liées
entre elles, parce qu’une grande quantité de chaque est adjointe avec une grande
quantité de quelque autre aux qualités d’eux-mêmes. En raison de quoi Alexandre le
péripatéticien dit que le mélange des éléments produit des choses admirables, car les
éléments opèrent mieux certains effets en étant mélangés que séparément, et cela
parce que dans un tel mélange demeurent les essences propres des éléments, qui sont
leurs propres vertus opératives, comme le rend évident notre eau philosophique,
laquelle est appelée “métalline” 426 parce qu’elle est produite seulement à partir du
genre métallique. En effet, dans cette eau se trouve conservée une disposition
médiane, qui se tient entre la mollesse et la dureté. Par son moyen se fait le passage
de la mollesse du vif-argent vers la dureté très parfaite du métal. Ainsi le passage
d’un extrême à l’autre, ou d’un contraire à l’autre, s’accomplit uniquement par le
biais d’une disposition déterminée, qui participe des deux contraires. » 427
composition des corps, autant que la nature le peut permettre, c’est à dire par tres-menuës
parcelles jointes tres subtilement entr’elles d’une conjonction Physicale, et non par une pene-
tration de dimension” [op. cit., p. 276]. »
425. Voir M. Pereira, The Alchemical Corpus attributed to Raymond Lull, Warburg Institute
Surveys and Texts, 18, Londres, 1989, p. 70 (I.16). Cette Conclusio summaria semble avoir
largement circulé, si l’on en juge par le nombre assez important de manuscrits qui nous l’ont
conservée, avant d’être publiée par G. Grataroli dans son recueil Veræ alchemiæ […] doctrina, II,
pp. 185-187 (Intentio summaria, quæ aliter dicitur repertorium, valde utilis ad intelligentiam
Testamenti, Codicilli et aliorum librorum Raymundi Lullii).
426. « Metallina » : mais il faut sans doute corriger en Metallica (métallique).
427. Cf. G. Grataroli (éd.), Veræ alchemiæ […] doctrina, II, pp. 185-186 : « Calor corporis
quidem digerit & resoluit mercurium quantum deportatur in aquam cum suis partibus mercurialibus
dissolutis : & sic phlegma nostrum ex tribus constat substantijs essentialibus, quæ quidem
essentiæ elementorum sic ligantur adinuicem, quòd plurimum vniuscuiusque cum plurimo alterius
est adiunctum qualitatibus ipsorum : vnde Alexander Peripateticus dicit, quòd commistio
elementorum facit mirabilia : eo quòd elementa quosdam effectus melius operantur in misto quàm
in simplici. Et illud ideo quoniam in tali misto remanent propriæ essentiæ elementorum, quæ sunt
propriæ virtutes operatiuæ, vt patet per aquam nostram philosophicam, quæ dicitur Metallina
[sic], eo quòd ex solo genere metallico generatur. In hac enim aqua saluatur dispositio media, quæ
112 Sylvain Matton
est inter mollitiem & duritiem, mediante qua fit transitus à mollitie argenti viui ad duritiem
metalli perfectissimam. Vnde nunquam fit transitus de extremo ad extremum, seu de contrario ad
contrarium nisi per dispositionem determinatam, quæ participat de duobus contrarijs. »
428. Cf. Panchymici seu anatomiæ totius universi […] opus, I, XXXV (« An in tempera-
mento constituendo pereant elementa & remaneant solum qualitates eorum »), t. I, p. 141 :
« Hæc quæstio solet agitari Philosophos Peripatheticos, & Medicos, eorumque opiniones partim
elementa non remanere in mixtione sustinent, sed tantùm secundùm eorum qualitates, essentiam
verò & formam elementorum non persistere. Quod quidem quantum habeat absurdi ex eorummet
doctrina, & dogmatis iamiam ostendere in votis est. »
429. Cf. id., p. 144 : « Concludamus ergò in temperamento constituendo formas elemen-
torum omnium non perire, sed remanere verè, & formaliter, at temperatæ, & refractæ, & reconditæ
in centro elementorum, adeò vt non agant nisi per formam mixti, quæ sola in mixtione habet
omnis actionis imperium & dominium : Reliquæ formæ obsequuntur huic, & obediunt omninò,
tanquam eius mancipia ; est enim in lucem educta vi Entelechiæ ex sinu suo, & elementorum vt
regnet & imperet, reliqua omnia quæ in eius sunt regno, debent illi obsequium purum putum, imò
temperamentum ipsum non agit per se solum sine concursu formæ mixtionis, vt videbitur capite
sequenti. » Voir encore, id., cap. XXXVI (« An temperamentum agat per se solum, sine concursu
formæ mixtionis »), p. 146 : « Itaque in ancipiti huius quæstionis biuio non hæsitantes facilè
concludimus, temperamentum non agere per se solum, sed tantùm ex vi formæ mixtionis, cuius
ope & ministerio habet subsistentiam, & perindè vim actionis, imò & forma mixti, cùm sit
principium totius actionis, habet ex se sola alias actiones formales & substantiales, quas
occultas dicunt Peripathetici, in quibus edendis non concurrit vllo pacto temperamentum, sed ex
sola forma prodeunt, vt videre est sequenti capite. »
Alchimie et stoïcisme 113
composants du mélange, et qu’il ramène tout à une forme propre au mélange, ignorée des
stoïciens.
Quant à Becher, sur cette question du mélange qu’il juge capitale 430, il ne défend pas
plus que Fabre une théorie proprement stoïcienne. En faisant avant tout appel à la pratique,
et en repoussant l’analyse aristotélicienne pour son vain verbalisme 431, Becher distingue
deux sortes de mélanges : d’une part une « mixtion superficielle », dont les constituants
restent séparables et dont le principe est la raréfaction et l’« appétence du dense » ; d’autre
part une « mixtion centrale », qui par la cohésion de ses constituants produit un corps
spécifique, et dont le fondement est l’« appétence du sec et de l’humide » 432. Or, ainsi que le
souligna Georg Ernst Stahl (1660-1734) 433 dans son Specimen Beccherianum (Leipzig
1703), cette doctrine de la mixtion s’articule sur une « théorie mécanico-corpusculaire » de
la matière, qui exclut l’idée même de mélange total, puisque selon cette théorie les
corpuscules sont liés entre eux dans la mixtion, mais ne sont pas substantiellement
coétendus 434. Sur ce point, Stahl précise :
« Parce qu’ils étaient inexpérimentés dans les résolutions et les combinaisons ar-
tificielles des choses vraiment pures, les Anciens entretinrent une étrange conception
au sujet du mélange et de cette forme qui pour ainsi dire pénètre le mélange. Ils
soutinrent en effet qu’il fallait comprendre que ce mélange entraîne en quelque sorte
une telle pénétration mutuelle et extrêmement profonde des principes, que si l’on di-
visait un corps mixte de ce genre en des points même mathématiques, comme à l’in-
430. Cf. id., éd. Leipzig, 1738, p. 93 : « Nam licet subjectum hujus scientiæ, mixtionis &
mixtorum cognitio sit, itaque spagyrica potius mixtoria quam separatoria vocanda esset ; tamen a
posteriori nempe a separatione, tanquam a potiori & magis necessario, denominationem veteres
sumserunt : præsertim circa mixtionem subterraneorum. »
431. Cf. id., cap. III , p. 102.
432. Cf. id., pp. 102-103.
433. Voir la notice de L. S. King, dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of Scientific
Biography, XII, New York, 1975, pp. 599-606 ; sur la chimie de Stahl, voir H. Metzger,
Newton, Stahl, Boerhaave et la doctrine chimique, Paris, 1930 (rééd. 1974), pp. 93-188, en
particulier pp. 118-124. (« Statique de la mixtion ») et 124-129 (« Statique de l’agrégation ») ;
J. R. Partington, A History of Chemistry, II, Londres, 1961, pp. 637-690.
434. Cf. Specimen Beccherianum sistens fundamenta, documenta, experimenta, quibus
principia mixtionis subterraneæ, et instrumenta naturalia atque artificialia demonstrantur, à la
suite de Becher, Physica subterranea, Leipzig, 1703, pp. 7-8 (éd. 1738, p. 3) : « Omnino vero
intelligit Autor, per Mixtionem, Combinationem corpusculorum talem, sub qua illa quidem acte
complicata, adeoque mutuo nexu, seu cohæsione in firma societate, velut exquisite pro uno stent :
Omni modo tamen unumquodque illorum antiquam & propriam suam Essentiam, etiam sub hoc
nexu, retineat. / Consentit in hoc, & convenit Autor noster rectissime, cum sana Theoria
Mechanico-Corpusculari, quæ nimirum recte intelligit, combinationes quascunque non aliter fieri
& absolvi, quam per actam appositionem, exactam juncturam, aliquando etiam implicationem
(tortuosorum, uncinatorum, hamatorum, spiralium) corpusculorum. » Pour une illustration de
cette théorie mécanico-corpusculaire, voir par exemple Becher, Supplementum secundum in
Physicam subterraneam, thèse IV (« De modo transmutationis metallicæ, nempe de objecti
transmutantis penetrantia et forma tincturæ absoluta »), id., éd. 1738, pp. 370-379.
114 Sylvain Matton
fini, chacun de ces minima de minima resterait néanmoins un mixte, c’est-à-dire par-
ticiperait de ce mélange qui existait auparavant dans ce minimum-physique indivisé.
Cette opinion procédait assurément en droite ligne de cette brillante imagination
d’Aristote quant à la divisibilité mathématique des corps physiques, à savoir que des
points qui dans tous les cas ont une dimension de physicâtre pourraient se diviser en
points mathématiques, dépourvus de toute quantité.
Notre auteur [Becher] s’éloigne fort de ce genre de folie, et c’est pourquoi il n’a
pas accepté une telle confusion pénétrative des principes en un chaos absolument-un.
En effet, comme cette confusion fait entièrement disparaître les propriétés des
principes, ce qui est contraire à l’expérience, notre auteur, qui, lui, se met toujours à
l’école de l’expérience, n’a pu l’admettre.
Et que le mélange fasse disparaître les propriétés des principes, c’est ce
qu’indique ou plutôt implique l’affirmation solennelle que l’introduction d’une
nouvelle forme constituant un nouveau mélange présuppose une privation de la
forme antérieure ; or il n’y a pas retour de la privation vers l’ “habitus”. Voilà les
vraies fleurettes de cette philosophie, à moins qu’on ne préfère les appeler les
champignons d’une cervelle philosophique. » 435
435. Cf. id., pp. 8-9 (éd. 1738, pp. 3-4) : « Veteres resolutionum & combinationum artifi-
cialium sinceriorum imperiti, aluerunt mirabilem Conceptum, de Mixtione, & de forma illa, quæ
Mixtionem quasi penetret. Voluerunt enim intelligi, quasi mixtio illa inferret talem
penitissimam mutuam penetrationem principiorum, ut, si corpus tale Mixtum dividatur per puncta
etiam Mathematica, velut in infinitum, singula illa minimorum minima nihilominus maneant
mixta, seu de Mixtione illa participent, quæ prius in Indiviso illo Physice-minimo fuerat. / Hæc
opinio videlicet procedebat justo gressu ex aureo illo Phantasmate Aristotelis, de divisibilitate
Corporum Physicorum Mathematica, id est, quod puncta Physicastrinam dimensionem utique
habentia, dividi possint in puncta Mathematica, expertia omnis quantitatis. / Ab huiusmodi
insania longe abest noster Autor, quapropter non agnovit talem penetrativam confusionem
principiorum in absolute-unum chaos. Cum enim hac confusione penitissima proprietates
principiorum tollantur, quod ab Experientia alienum est ; Propterea Autor noster, Experientia
utique aliter edoctus, non potuit illam admittere. / Quod autem Mixtione proprietates
principiorum tollantur, indigitat, imo urget, illa solennis assertio, quod introductio novæ formæ
novam Mixtionem constituentis, præsupponat Privationem pristinæ formæ : A privatione vero
ad habitum non datur regressus. Qui meri sunt flosculi hujus Philosophiæ, nisi quidem malis [sic]
fungos cerebri Philosophici appellare. »
436. « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique… », p. 11 [74].
Alchimie et stoïcisme 115
dans La Rationalité de l’alchimie Bernard Joly, après avoir fait observer que cette confla-
gration universelle n’est pas, comme le croyait Plutarque 437, une corruption mais une
purification, ajoute : « C’est ainsi que dans les opérations alchimiques, les métaux, que l’on
peut rapprocher des astres, vont disparaître, fondus et sublimés, pour réapparaître au terme
de la transformation sous forme d’or » 438. De la même manière que la conflagration a pour
conséquence de réduire le monde à sa propre semence, « les purifications successives de
l’œuvre alchimique doivent aboutir à la production de ce que l’alchimie des XVIe et XVIIe
siècles appellera semence métallique, matière première quasiment abstraite de tout corps,
que l’on nomme pierre philosophale » 439. Joly conclut alors : « Les analyses stoïciennes
peuvent donc bien être considérées comme des modèles des opérations alchimiques et l’on
peut aussi bien dire que la formation du monde et sa conflagration sont exprimées en termes
chimiques, ou reconnaître dans les opérations alchimiques la reprise en laboratoire des
procédés par lesquels le monde s’est engendré à partir du feu-principe » 440. Et une note sur
les opérations alchimiques précise : « Il est vrai que la thèse de la conflagration est
abandonnée dès Diogène de Babylone, au deuxième siècle av. J.-C. Par la suite, elle n’est
plus reprise explicitement dans la philosophie alchimique de la nature. On peut cependant
constater qu’un “résidu” de ce modèle a subsisté pour rendre compte des opérations qui se
produisent dans ce microcosme que constitue l’appareillage alchimique » 441.
En vérité, on ne saurait sérieusement avancer que la thèse de la conflagration ne fut
« plus reprise explicitement dans la philosophie alchimique de la nature » après Diogène de
Babylone. D’une part, en effet, rien ne nous autorise à seulement supposer que cette thèse
de la conflagration ait jamais été reprise par des alchimistes avant Diogène de Babylone,
tous les textes alchimiques que nous possédons — dont les plus anciens remontent au IIIe
siècle de notre ère 442 — lui étant postérieurs. D’autre part, cette thèse de la conflagration a
bien été « explicitement reprise dans la philosophie alchimique de la nature » après Diogène
de Babylone.
Elle fut rappelée sinon adoptée par Jacques Gohory (1520-1576) 443 dans le Theophrasti
Paracelsi philosophiæ et medicinæ, utriusque universæ, compendium (Paris, 1567) 444, qu’il
publia sous le pseudonyme de Leo Suavius. Justifiant la possibilité d’une très longue vie
pour les hommes en arguant de celle des démons, Gohory explique à propos de ces derniers :
« les stoïciens posent dans un si grand peuple de dieux, comme le leur reprochent
certains, un seul dieu éternel, tandis que les autres sont nés et doivent mourir, encore
que la plupart pensent que cela ne doit point arriver avant que ne soit détruite
l’entière machine du monde. » 445
Mais surtout elle fut alchimisée par Jacob Toll dans ses Fortuita. Expliquant le sens
chymique de la fable de Deucalion et Pyrrha, en s’appuyant sur les Métamorphoses d’Ovide,
Toll glose :
« “Maintenant encore les nuées terrifient l’esprit” 446, il y a encore maintenant
auprès du régule un certain soufre externe combustible, qu’il faut de nouveau chasser
par le feu. C’est là en effet cette véritable ekpyrœsis du monde dont ont parlé les
Anciens et à propos de laquelle notre Ovide a dit plus haut :
“Il se souvient que les destins ont fixé un temps où la mer et la terre et le
palais des cieux seront dévorés par les flammes, et la masse du MONDE ,
s’étant embrasée, tombera en ruines.” 447
([Cf.] Juste Lipse, Manuductio ad Stoïcam Philosophiam 448)
Sophocle, chez Justin Martyr (De monarchia Dei) :
“Car il viendra, il viendra, ce temps de l’âge où l’éther à l’éclat d’or sera plein
de son trésor de feu, et la flamme dévorante embrasera dans sa fureur < tout ce
qui est sur terre et dans l’air >.” 449
Lucrèce, au livre V :
pp. 636-640 ; E. Balmas, « Jacques Gohory traduttore del Machiavelli (con documenti
inediti) », dans ses Saggi e studi sul Rinascimento francese, Padoue, 1982, pp. 23-73.
444. Une nouvelle édition en fut donnée chez P. Perna à Bâle en 1568, à laquelle fut jointe
l’Apologia de G. Dorn, réponse aux critiques de Gohory sur sa manière de traduire Paracelse.
445. Cf. Theophrasti Paracelsi philosophiæ et medicinæ, utriusque universæ, compendium,
Ex optimis quibusque eius libris. Cum scholijs in libros IIII. eiusdem De vita longa, Plenos
mysteriorum, parabolarum, ænigmatum, éd. Bâle, 1568, pp. 27-28 : « Sic Stoici in tanto, vt alij
obloquuntur, Deorum populo vnum sempiternum, alios natiuos atque interituros statuunt :
quanquam plerique id non antè euenturum arbitrantur, quàm vniuersa hæc mundi molitio
dissoluatur. »
446. Ovide, Metamorphoseon libri XV, I, 357. Replacé dans son contexte, le vers d’Ovide
doit se traduire « Maintenant encore les nuées me terrifient l’esprit ».
447. Id., 256-258.
448. Voir J. Lipse, Manuductio ad Stoïcam Philosophiam : Physiologiæ Stoicorum libri
tres, lib. II, diss. XXII, éd. Opera, I, p. 864.
449. Cf. Justin, De monarchia Dei, 3, éd. Migne, P.G., VI, col. 317 (= Sophocle, fr. dub.
1027). Voir aussi Clément d’Alexandrie, Stromata, V, XIV , 123, 4, éd. A. Le Boulluec, Clément
d’Alexandrie, Les Stromates, Stromate V, Sources chrétiennes N° 278, Paris, 1981, p. 222, 26-
30 (éd. Migne, P.G., IX, col. 131).
Alchimie et stoïcisme 117
“Commence par considérer les mers et les terres et le ciel : leur triple nature,
leurs trois corps, Memmius, leurs trois formes si dissemblables, leurs trois
textures particulières, un seul jour les livrera à la ruine et, après s’être
soutenue durant tant d’années, s’écroulera la masse et la machine du
MONDE.” 450
Servius dans son commentaire sur les Bucoliques de Virgile (VI) : “Il faut assuré-
ment savoir qu’à la fois par le déluge et par l’embrasement est signifié un change-
ment des temps” 451. Ce qu’a rapporté Nigidius est important. Il dit : “Certains,
parmi lesquels Orphée, ont distingué les dieux et leurs lignées, leurs époques et leurs
âges” (il faut ainsi rétablir le texte ici mutilé). “Le premier règne est celui de Satur-
ne, ensuite celui de Jupiter, puis celui de Neptune et de là celui de Pluton ; d’aucuns
même, tels les Mages” (à savoir les chymistes) “disent qu’adviendra le règne d’Apol-
lon. En quoi il faut voir s’ils ne signifient pas un embrasement (c’est-à-dire ce qu’il
faut appeler l’ekpyrœsis)” 452. Et c’est à juste titre (si, comme il convient, nous ac-
ceptons cela) que les Stoïciens disent que, dans l’apocatastase du monde, après cet
embrasement, du ciel tombent les semences par lesquelles se trouve restauré le genre
humain. Car notre HOMME naît d’une semence céleste, et à lui se rapporte vraiment
exactement ce que Virgile, en vil flatteur, impute au fils de Pollion :
“Voici qu’une nouvelle génération descend des hauteurs du ciel.” 453
Le fait est qu’il est très parfait, à l’instar de l’Univers. Basile Valentin (De la grande
pierre, Prolégomènes) : “Quant à cette semence qui produit les métaux, tu
considéreras ceci : une certaine influence céleste est envoyée d’en haut par la volonté
divine, et mélangée aux propriétés des astres ; de cette union naît une troisième
réalité, qui est d’essence terrestre. Et c’est le principe de notre semence, et sa
première origine. De ces trois procèdent les éléments, qui ensuite, agités par le feu
de l’Etna, engendrent un corps parfait” 454. Cette semence est un esprit mercuriel,
neptunien, qui, mélangé au soufre jupitérien, tombe dans le ventre plutonien de la
terre, c’est-à-dire du sel, et là se nourrit et croît jusqu’à ce qu’il soit formé en
Homme chymique, et par accouchement mis au monde. On trouvera sur ce point
beaucoup de choses utiles chez le même auteur au chapitre VI de son De naturalibus
et supernaturalibus, ainsi que chez Sendivogius, dans le VIe traité de son Novum
lumen chemicum. À cela se rapportent les orgies et les mystères des anciens, et les
lustrations par l’eau et le feu […]. » 455
En outre, dans l’une de ses Dissertationes ad Stoicæ philosophiæ et cæteram philoso-
phicam historiam facientes argumenti varii, l’« Exercitatio de Stoica mundi exustione » 456
— où, tout comme Toll et Juste Lipse lui-même 457, il ne fait pas de la conflagration
455. Cf. Fortuita, XXIII (« Deucalionis & Pyrrhæ fabula Chemica enarrata »), pp. 178-180 :
« Terrent etiamnum nubila mentem, adest etiam nunc regulo sulphur aliquod externum adustibile,
quod per ignem rursus expellendum. Hæc enim est illa vera }≤√Õƒ›«§» mundi, de qua veteres
Philosophi, & noster superius :
Esse quoque in fatis reminiscitur, affore tempus,
Quo mare, quo tellus, correptaque regia cæli
Ardeat, & MUNDI moles operosa laboret. Lips. Manuduct. ad Stoïcam Phil.
Sophocles apud Justinum Martyrem :
˜F«…`§ zdƒ, Ç«…`§ ≤|±µ∑» `•‡µ› ¤ƒ∫µ∑»
Q˘…`µ √ƒª» zÄ¥∑µ…` £ä«`ƒªµ ¤c«ñ
Yƒ«›√ª» `•{çƒ. å {Ä x∑«≤ä£|±«` ⁄≥∑∂,
<˜A√µ…` …d }√§z|§` ≤`® ¥|…cƒ«§`>
X≥Ä∂|§ ¥`µ|±«`. De monarchia Dei
Lucretius in quinto :
Principio maria, ac terras, cælum tuere :
Horum naturam triplicem, tria corpora, Memmi,
Tris species tam dissimileis [sic], tria talia textu,
Una dies dabit exitio : multosque per annos
Sustentata ruet moles, & machina MUNDI.
Servius ad Virgilii Eclog. VI . Sane sciendum, & per dilivium [sic], & per ecpyrosim,
significari temporum mutationem. Insignia sunt, quæ Nigidius retulit : Quidam, inquit, Deos, &
eorum genera, temporibus & ætatibus distinxerunt : (Ita hic locus mutilus supplendus est) inter
quos & Orpheus. Primum regnum Saturni, deinde Jovis ; tum Neptuni, inde Plutonis : nonnuli
etiam, ut Magi ajunt (id est Chemici) Apollinis fore regnum. In quo videndum est, ne ardorem
(sive illa ecpyrosis appelanda est) dicant. Et recte Stoïci, (modo, ut oportet, ea accipiamus) }µ …°
a√∑≤`…`«…ç«|§ mundi post hanc deflagrationem cadere de cælo semina dicunt, quibus hominum
genus instauretur. Nascitur enim HOMO noster de cælesti semine, vereque in eum quadrat, quod
adulatorie Virgillius Pollionis filio tribuit,
Jam nova progenies CAELO demittitur alto :
Quippe qui perfectissimum instar universi est Basilius Valentinus : Jam vero de semine hoc,
quod metalla operantur, ita illud habeto, influentiam quandam cælestem divino nutu ab alto
demitti, eaque Syderum proprietatibus mixtam, ex hoc conjugio tertium quid gigni, quod essentiæ
terrenæ sit. Atque hoc est initium seminis nostri, ejusque prima origo. Ex illis tribus prodeunt
elementa, quæ deinde igne Aetnæo agitante perfectum corpus pariunt, Est autem hoc semen
spiritus Merculialis [sic], Neptunius, qui cum sulphureo Joviali mixtus in uterum terræ sive salis
Plutonium incidit, ibique alitur & crescit, donec in Hominem efformetur Chemicum, partuque in
lucem prodeat. Plura huc facientia invenies apud eundem cap. VI. de natur. & supernaturalibus, &
apud Sendivogium tr. VI . novi. lum. Chemici. Pertinent huc Orgia & …|≥Ä…`§ veterum,
lustrationesque per aquam & ignem. […] »
456. Dans Dissertationes ad Stoicæ Philosophiæ et cæteram Philosophicam Historiam
facientes argumenti varii, pp. 1-28.
457. Voir J. Lipse, Manuductio ad Stoïcam Philosophiam : Physiologiæ Stoicorum libri
tres, lib. II, diss. XXIII (« Christianos etiam huius sententiæ, sed diuisa, esse : item Epicureos, &
Heraclitum ante omnes: neque omnes tamen Stoicos. »), éd. Opera, I, p. 866.
Alchimie et stoïcisme 119
458. Cf. Dissertationes…, Th. IX, p. 10 : « Præter Stoicos & Epicureos etiam aliis
qvibusdam Ethnicorum e) Mundana deflagratio utcunqve fuit persvasa. Verùm ex his omnibus
Stoicorum tantùm scrinia excutere jam placet, ut appareat, ipsorum confessio qvàm tetris
ulceribus scateat. » La note e) renvoie à Empédocle et à Héraclite.
459. Cf. Dissertationes…, pp. 12-13 : « T H . XI. Nihil horum reliqvit insania sectatorum
Zenonis. Enimverò qvod ad efficientem attinet, non ex arbitrio Dei, sed fatali naturæ necessitate
finitis anni magni spaciis exarsura omnia docuerunt, cùm videlicet ebibiti tandem a stellis per tot
seculorum spacia humores obseqventem ignibus silvam reliqverint ; qvod ad materiam, omnia, &
in his ipsas animas, genios, minores Deos conversum iri ; nec in nihilum tamen, qvod ad formam
referebamus, sed in principia sua, spiritûs in Deum, corpora in Materiam ; & eo qvidem fine atqve
exitu, ut Phœnicis instar, qvam fabulosam avem dicas in hujus præcipuè commenti symbolum
excogitatam esse q), Mundus idem numero, qvi ante, nisi qvòd de animabus res ambigua, de
favillis iterum progerminet, eademque fabula porrò circulatoriis vicibus in omnem æternitatem
repetatur. »
460. Cf. id., p. 14 : « q) Hâc de re copiosè agetur Dissert. IX. »
461. Cf. Dissertationes, « Dissertation IX. Ad. Thes. q. Phœnix », pp. 78-155, ici
pp. 129-133. Pour un aperçu des divers aspects de cette interprétation, voir S. Matton, « L e
Phénix dans l’œuvre de Michel Maier et la littérature alchimique », introduction à la réédition
anastatique de : Michel Maier, Chansons intellectuelles sur la resurrection du Phœnix (Paris,
1758), Paris, 1984, pp. 5-61.
120 Sylvain Matton
(1569-1622) 462, les Symbola aureæ mensæ duodecim nationum (Francfort, 1617) et la
Septimana philosophica (Francfort, 1620) 463, en signalant que Maier n’a pas traité du
phénix dans son ouvrage entièrement consacré à l’interprétation de la mythologie égypto-
grecque, les Arcana arcanissima (s.l.n.d. [Londres, 1613/14]) 464. Mais Thomasius sait que
le phénix a aussi été alchimisé par Gohory, dans son Theophrasti Paracelsi philosophiæ et
medicinæ, utriusque universæ, compendium, ce qu’avait noté Ulisse Aldrovandi (1522-
1605) dans son Ornithologia (Bologne, 1599) 465 ; qu’il le fut encore par Pierre Jean Fabre
dans son Panchymicum, par Johannes Rist (1607-1667) avec son Philosophischer Phœnix
(Hambourg, 1638) 466 et par Keslerus 467, tous signalés par Ole Borch (Borrichius, 1626-
462. Voir J. Telle : « Maier, Meier, Majerus, Michael », dans : W. Killy (éd.), Literatur-
lexikon : Autoren und Werke deutscher Sprache, VII, Gütersloh – Munich, 1990, pp. 428 sqq. ;
U. Neumann : « Maier, Michael », dans : T. Bautz (éd.), Biographisch-Bibliographisches Kir-
chenlexikon, V, Herzberg, 1993, pp. 562-564 ; bibliographies à compléter par U. Neumann,
« Michel Maier (1569-1622) “philosophe et médecin” », dans : J.-C. Margolin et S. Matton
(éd.), Alchimie et philosophie à la Renaissance, pp. 307-326 ; K. Figala et U. Neumann, « À
propos de Michel Maier : quelques découvertes bio-bliographiques », dans : D. Kahn et
S. Matton (éd.), Alchimie : art, histoire et mythes, pp. 651-664, et « “Author cui nomen
Hermes Malavici”. New light on the bio-bibliography of Michael Maier (1569-1622) », dans :
P. Rattansi et A. Clericuzio (éd.), Alchemy and Chemistry in the 16th and 17th Centuries, Archi-
ves internationales d’histoire des idées, 140, Dordrecht – Boston – Londres, 1994, pp. 121-
147.
463. Cf. Dissertationes, §. 234, p. 131 : « Sed ne inauditus condemnetur Majerus,
jubeamus ipsum priùs causam suam dicere. Eqvidem Phœnicem ille secreti Chymici hiero-
glyphicum facit non modò lib. I. symb. aureæ mensæ p. 30. sed & lib. IV. p. 151. lib. V.
p. 197. lib. XIII. p. 562. & 598. nullibi tamen, qvod videre nobis contigerit, argumenta
speciosiora congerit, qvàm in Septimanâ philosophicâ die 5. p. 174. »
464. Cf. id., §. 230, p. 130 : « Nititur ille falsâ hypothesi, qvam d. l. his prodit verbis:
pleraqve antiqvorum fabulosa de Diis, Deabus, Heroibus, animalibus, festis, ludis & intitutis
scripta & cantata Chymiæ occultissimæ esse velamenta. Qvâ de re p. seq. 31. videri jubet Hiero-
glyphica sua Ægyptio-Græca, (in qvibus tamen phœnicem avem frustrà sumus aucupati,) eâ inten-
tione & fine scripta, ut artis Chymicæ veritas in allegoriis latens apertissimè demonstretur. »
465. Cf. id., §. 229 : « An huc etiam faciat, qvod apud Aldrovandum lego XII. Ornithol. 28.
f. 404. Alchymistis phœnix elixirem significat. Nam Phœnix, Basiliscus, Glaura, Mandragora,
Chamæleon, Homunculus & similia barbara vocabula sunt synonyma, ut Leo Svavius (Scholiis in
Paracelsum) annotat : dicant Chymiæ periti. » Cf. U. Aldrovandi, Ornithologiæ, hoc est de
avibus historiæ libri XII, Bologne, 1599, XII, XXVIII (« De Phœnice »), p. 819.
466. Cf. id., §. 228 : « Etiam auctor occulti nominis I.R.H. perbrevi libello suo Hamburgi
A. 1638. in 12°. impresso, titulum fecit : Philosophischer Phœnix, das ist/ Sonnenklare Entdec-
kung des alleredelsten Steins der Weisen. Idemqve alias qvasdam Gentilium Poetarum fabulas
chymico sensu, qvod Majerus ante ipsum fecerat, exponit. » Le titre complet de l’ouvrage de Rist
est I.H.R. Philosophischer Phoenix, das ist kurtze Jedoch grundl~che und sonnenklare
Entdeckung der wahren und eigendl~chen matenae des aller edelsten Steins der Weisen.
467. Cf id., §. 231, pp. 130-131 : « Volverunt hoc idem saxum præter Majerum etiam
Castelnovidariensis Faber, & Keslerus, ut è Barrichio [sic] p. 91. de ortu & progress. Chem.
intelligo. Kircheri qvoqve sententia est, auriferam artem, (qvàm è §. 226. interpretare Chemiam
Philosophici lapidis nesciam,) à Trismegisto symbolis hieroglyphicis exhibitam fuisse. Ipsum
adi Tom. II. Oedipi Part. alt. Class. 7. c. 2. & seqq. f. 393. »
Alchimie et stoïcisme 121
1690) 468 dans sa De ortu et progressu chemiæ dissertatio (Copenhague, 1668) ; qu’enfin
Johannes Petrus Lotichius avait mentionné cette interprétation alchimique dans ses
commentaires sur le Satyricon de Pétrone (Francfort, 1629) 469. Or ces écrivains chymiques
s’accordent pour voir dans le phénix une figure hiéroglyphique du grand œuvre, qu’ils
l’appellent « teinture d’or » 470, pierre des philosophes ou élixir 471. En conséquence, encore
que Thomasius, qui veut que le phénix soit en réalité une image de la conflagration du
monde 472, rejette pour sa part cette interprétation, qui ne lui apparaît pas en adéquation avec
les différents éléments du mythe 473, on obtient chez lui la suite d’équivalences ekpyrœsis =
phénix = grand œuvre, et donc l’équivalence ekpyrœsis = grand œuvre. Certes, pour autant
468. Voir la notice de P. M. Rattansi dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of Scientific
Biography, II, pp. 317-318.
469. Cf. id., §. 227, p. 130 : « A Majeri opinione non alienus videtur Jo. Petrus Lotichius
lib. II. Comment. in Petron. c. 13. ubi non modò p. 278. memorat, à fabulâ Phœnicis Chymicos
causæ suæ patrocinium accersere, sed & p. seq. Majeri symbola aureæ mensæ eruditissimum
vocat de fabulis ad Chymiam pertinentibus tractatum. » Voir T. Petroni Arbitri Satyricon, Super
profligatis Neronianæ tempestatis moribus : Commentariis, sive excursibus medico-
philosophicis : Itemque notis universalibus et perpetuis recens adornatum […] Noviter
recensente Jo. Petro Lotichio, Med. D. […], Francfort, 1629, pp. 277-280, où, à propos de
Jason, Lotichius donne un développement sur l’interprétation alchimique de fables antiques, en
incluant, p. 278, celle du phénix (« Eodem referunt fabulam Phœnicis, Cadmi cum Dracone
congressum, Ganymedis item, Midæ, Danaës, Sphyngis, Tantali, & id genus alia, é quibus
omnibus Chymici caussæ suæ patrocinium accersunt. »).
470. Cf. id., §. 225, p. 129-130 : « Idem esto judicium secundò de accommodatione
Phœnicis ad chymicorum tincturam auream. Nec enim assentior Mich. Majero, cui lib. I.
symbolorum aureæ mensæ p. 30. tàm certum, qvàm qvod certissimum est, Ægyptios per avem
phœnicem intellexisse tincturam auream, si hoc ad primariam Ægyptiorum intentionem, ut
apparet, retulit. »
471. Cf. id., §. 229, cité ci-dessus note 465.
472. Cf. id., §. 330, p. 155 : « Concludamus ergò sententiam si non immoti roboris,
saltem probabilitatis haud infimæ, qvi Phœnicem excogitarunt, eos illum imaginem esse Mundi
voluisse, qvæ non unitatem ipsius tantùm, durationemqve longam, sed & circulos per vitæ
mortisqve vices exprimeret perpetuos, ex gentilium videlicet, qvi autores fabulæ fuerunt, mente ;
atqve in his qvi phœnicem igne mori asseruerunt, mondo ex conflagratione interitum fuisse
ominatos. Qvem exemplo phœnicis adhibito depingunt atqve illustrant etiam Aug. Steuchus lib.
X. de perenni philos. p. 710. & B. Gerhardus Tom. IX. Loc. Theol. tit. de Consumm. sec. n. 48.
p. 409. »
473. Cf. id. : « §. 237. Qvi parum æqvi sunt Chymicis, qvintum fortasse comparationis
membrum desiderabunt, neqve minùs aureæ tincturæ, qvàm phœnici locum inter entia rationis
deberi ajent. Sed transeant joci. Nos hoc Majero, ne qvidem si seria res agatur, non opponemus.
Neqve verò de re, sed de gentis Ægyptiæ opinione lis est. Itaqve per hos vera & phœnici congrua
sint omnia, qvæ voluit vir doctus. / §. 238. Verùm qvò minùs credamus ad auream tincturam
Sacerdotes Ægyptios respexisse, cùm Phœnicem comminiscerentur, ea nos primùm ratio movet,
qvòd Phœnix ille, qvi è cineribus corporis sui combusti nascitur, non Ægyptius est, sed Græcus,
per §. 11. & seqq. / §. 239. Deinde si qvis pro combustione, ut causam Majeri adjuvet, mortem in
genere substituat : vel hæc sola nobis ratio, ut ipsum nos deferamus, sufficiet, qvòd ejus
accommodatio est inadæqvata. Qvinqve partibus primariis ideam phœnicis constare sæpiùs
dictum est. Ex his duæ tantùm comparent : (secundariæ nullo nobis numero sunt,) mors &
renovatio. Ubi tres reliqvæ ? ubi unitas individui ? ubi anni longævi ? ubi juges circuli ? »
122 Sylvain Matton
que nous le sachions, cette équivalence ne paraît pas avoir été posée par les alchimistes eux-
mêmes, qui ne semblent pas non plus avoir relié le mythe du phénix à l’ekpyrœsis des
stoïciens ; mais si d’aucuns ont jamais avancée cette équivalence ekpyrœsis = grand œuvre, il
y a fort à parier que ce ne fut nullement en y trouvant un modèle théorique de leurs
opérations alchimiques, mais simplement en y voyant l’une des innombrables allégories,
telle celle du phénix, par lesquelles les Anciens voilèrent le secret de l’Art.
DE L ’ I NF LUENC E DE J US TE LI P S E ET DE S ON M I LI EU S UR L ’ ALC HI M I E
Jean-Paul Dumont, puis Bernard Joly ayant partiellement lié le prétendu regain d’intérêt
des alchimistes de l’âge classique pour la physique stoïcienne aux travaux de Juste Lipse 474,
nous voudrions, avant de clore notre étude, dire quelques mots à ce sujet.
Les alchimistes avaient souvent beaucoup de lecture et d’érudition. Aussi n’est-il pas
surprenant qu’un certain nombre d’entre eux aient lu les écrits de Lipse, qu’il s’agisse de ses
traités sur le stoïcisme — c’est le cas de Jacob Toll, que nous avons vu faire référence à la
Physiologia Stoïcorum — ou de ses autres ouvrages. Ainsi, dans la version finale de son
Amphitheatrum Sapientiæ æternæ, achevée deux ans avant la publication de la Physiologia
Stoicorum, commentant le verset biblique (Pr. VI, 6) Va à la fourmi, ô paresseux et
considère ses voies, et apprends la sagesse, Henrich Khunrath explique qu’en tous les
animaux « luit une étincelle de sagesse ou de prudence » et allègue entre autres l’exemple de
l’éléphant, à propos duquel il renvoie à la correspondance de Lipse :
« L’Éléphant, le plus grand des animaux terrestres est docile, clément, prudent, doué
d’excellente mémoire ; ami de l’homme, selon Pline, au livre VIII de son Histoire
naturelle, et Juste Lipse dans ses Lettres ; au témoignage aussi de l’expérience
d’aujourd’hui, car des témoins oculaires et dignes de foi connaissent les preuves de
magnanimité qu’il a données de notre temps à Anvers, à Lisbonne et à Vienne. » 475
Ainsi encore, dans son De Aureo Vellere, paru la même année que la Physiologia
Stoicorum, Guillaume Mennens met à profit, à propos des discussions théologiques, le De
una religione liber (Anvers, 1599) de Lipse :
« […] même le très docte Juste Lipse atteste que les discussions non seulement ne
réduisent point les schismes, mais poussent les hérétiques à durcir davantage leur
position ; qu’en conséquence on doit éviter les disputes dialectiques et proposer les
formules de foi transmises par les Anciens, comme l’écrit un vieil auteur ecclésias-
tique qu’il rapporte. Car s’ils rejettent ce qui est ancien et les Anciens, quelle raison
ou subtilité, poursuit-il, les pourra vaincre ? 476 » 477
De telles références, qui restent relativement rares, n’indiquent cependant pas chez les
alchimistes une lecture des ouvrages de Lipse qui ait été de nature à influer
significativement sur leur doctrines. Même l’utilisation de la Physiologia Stoicorum faite
par Toll dans ses Fortuita demeure en quelque façon marginale, puisque sa démarche ne
consiste pas à partir de doctrines stoïciennes qui lui tiendraient lieu de modèles théoriques,
mais à les utiliser avec d’autres doctrines en guise d’illustrations ou de confirmations de
points précis de son travail de déchiffrement des procédés chymiques dissimulés sous des
fables antiques. S’ils avaient réellement trouvé chez Lipse des éléments propres à élaborer et
à justifier leur science, les alchimistes n’eussent certainement pas manqué de le faire savoir,
comme ils le firent avec Ficin ou Fernel, et eussent été prompts à ranger sous leur bannière
même un auteur qui jamais ne mentionna l’alchimie, bien qu’il y ait beaucoup de chances
pour qu’il ait eu des contacts avec les milieux alchimiques lors de son séjour romain de
1567-1569 aux côtés du cardinal de Granvelle, à qui il avait dédié, en 1566, ses Variæ
lectiones et dont il était devenu le protégé 478 : on connaît en effet l’intérêt de Granvelle pour
l’alchimie, et l’on sait que des alchimistes — entre autres Domenico Pizimenti et Nicolas
Guibert — fréquentèrent sa cour, tant à Rome qu’à Naples, lorsqu’il y fut nommé vice-
roi 479. Du moins Lipse exprima-t-il son goût pour la médecine paracelsique, ainsi que l’a
fait remarquer François Secret. Dans une lettre d’août 1585, confiant à son ami le médecin
476. Cf. J. Lipse, De una religione adversus dialogistam liber. In quo tria capita libri quarti
Politicorum explicantur, In cap. III, éd. Opera, II, p. 153. L’écrivain ecclésiastique en question
est Théodose d’Alexandrie.
477. De Aureo Vellere, I, VI , Anvers, 1604, pp. 27-28 (éd. Theatrum chemicum, V,
p. 271) : « Vt etiam vir doctissimus Iustus Lipsius testetur, disceptationes non solum non
reconciliare schismata, sed hæreticos magis ad contentiones accendere, vitandas idcirco
Dialecticas concertationes, formulas autem fidei à veteribus traditas proponendas, vt idem ex
veteri scriptore Ecclesiastico acceptum tradit ; Si enim antiqua & antiquos reiiciunt, quæ ratio aut
argutia, inquit, illos vincat. »
478. Voir J. Jehasse, La Renaissance de la critique, l’essor de l’Humanisme érudit de 1560 à
1614, Saint-Étienne, s. d. [1976], pp. 208-210.
479. Voir F. Secret, « Notes sur quelques alchimistes de la Renaissance », VI : «Blaise de
Vigenère et les alchimistes du Nivernais », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XXXIII
(1971), pp. 625-640 (636-640), ici p. 640 ; « Notes sur quelques alchimistes italiens de la
Renaissance », p. 213 et n. 3; « Littérature et alchimie », III : « François Rossellet, le cardinal
de Granvelle et l’alchimie », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XXXV (1973), pp. 499-
531, ici pp. 500-501 ; D. Kahn, « Les débuts de Gérard Dorn d’après le manuscrit autographe de
sa Clavis totius Philosophiæ Chymisticæ (1565) », dans : J. Telle (éd), Analecta Paracelsica,
pp. 59-126, ici pp. 67-77.
124 Sylvain Matton
480. Voir la notice de L. Roersch dans Biographie nationale, publiée par l’Académie royale
des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, VII, Bruxelles, 1880-1883, col. 787-792.
481. Cf. Epistolarum selectarum Centuria prima miscellanea, Epist. LXXXI (« XI . kalend.
Sextil. 1585 »), éd. Opera, I, p. 32 : « habes ei cuneum ? an tu quoque cum veteris Scholæ
medicis obhæres ? Dico, veteris. nam isti noui à Paracelso, auxilium pollicentur ab Vitrioli
aceto. Frigerare id aiunt, penetrare, aperire ; & simul robur addere visceribus & membris. Et sanè
(iram & vocem comprime) iam vtor, successu non infelici. De exitu videbo : si iuuare ita porrò
pergit, ego inuentorem hunc deum. » Je remercie F. Secret de m’avoir signalé cette lettre.
482. Ample discours sur la doctrine des Stoïques, éd. cit., p. 354.
483. Cf. Les Œuvres de Guillaume de Saluste, seigneur Du Bartas, reveus et augmentés par
l’autheur. En ceste derniere edition ont esté adioustez commentaires sur la Sepmaine [ … ]
argumens […] et sommaires […], Paris, 1583, textes cités par F. Secret, « Notes pour une
histoire de l’alchimie en France », Australian Journal of French Studies, IX (1972), pp. 217-
236, ici pp. 219-220 (« II. Du Bartas, ses commentateurs et l’alchimie »). F. Secret a fait
observer que le commentaire du passage sur l’élixir de la Seconde Sepmaine auquel fait allusion
P. Borel dans sa Bibliotheca chimica (Paris, 1654, p. 42 [Heidelberg, 1656, p. 40] :
« Salustius Bartassius in Gallica sua Hebdomade, vt & S. G. S. id est Simon Goulartius
Syluanectensis, in Commentario suo, de Elixire, quædam referunt. ») n’est pas de S. Goulart mais
de Claude Duret. Pour l’ensemble du commentaire de Goulart, voir H. Perrochon, « Simon Goulart,
commentateur de la Premiere Sepmaine de Du Bartas », Revue d’Histoire littéraire de la France,
XXXII (1925), pp. 397-401. Sur Du Bartas, voir J. Dauphiné, Guillaume de Saluste Du Bartas,
poète scientifique, Paris, 1983, et, sous la direction du même, Du Bartas poète encyclopédique du
Alchimie et stoïcisme 125
du monde de Joseph Du Chesne (Lyon, 1593), encore que dans ces dernières il jugât les
transmutations impossibles 484.
Nous ne sommes guère mieux renseignés sur l’attitude qu’adoptèrent face à l’alchimie
les milieux stoïciens constitués autour de Juste Lipse. Les quelques jugements sur
l’alchimie que nous avons pu glaner dans l’entourage et chez les proches amis de Lipse
émanent en effet d’auteurs qui assirent ces jugements sur des bases aristotéliciennes. Car
malgré le fait qu’il fut le premier traducteur de son De constantia, l’on ne saurait voir en
Nuysement l’un des membres de l’entourage de Lipse : il ne réalisa cette traduction,
entreprise vers la fin de 1583 et achevée en 1584, que sur la demande de l’éditeur de Lipse,
Plantin, qui entra en contact avec lui lors de son séjours à Anvers, où il avait suivi son
protecteur du moment, Jacques de Harlay de Champvallon 485.
Parmi les amis de Lipse qui traitèrent d’alchimie, l’un des plus fameux est bien sûr le
jésuite Martin Del Rio (1551-1608) 486. Examinant dans ses Disquisitionum magicarum
libri sex (Louvain, 1599-1600) la question de savoir à quelle sorte de magie ressortit
l’alchimie transmutatoire, et si elle est véridique, Del Rio conclut prudemment à sa
possibilité au moins théorique et à sa licéité conditionnelle, en s’appuyant principalement
sur les analyses faites par les aristotéliciens Benito Pereyra, dans ses De communibus
omnium rerum naturalium principiis et affectionibus libri XV 487, et Gregorio de Valencia
(1551-1603), dans son Commentariorum theologicorum tomus tertius, complectens
materias Secundæ Secundæ D. Thomæ (Ingolstadt, 1591) 488.
Cette approche aristotélicienne est également celle d’une autre relation de Lipse, le
flamand Pierre Bert ou Bertius (1565-1629) 489, surtout célèbre pour sa conversion au
XVIe siècle, Colloque international, faculté des lettres et sciences humaines de Pau et des pays de
l’Adour, 7, 8 et 9 mars 1986, Lyon, 1988.
484. Voir Le Grand Miroir du monde par Joseph Du Chesne, Lyon, 1593, p. 131 et pp. 529-
532 (où il écrit, p. 529, « […] les transmutations qui ne sont ni ne peuuent estre »).
485. Sur tout cela, voir W. Kirsop, Clovis Hesteau, sieur de Nuysement, et la littérature
alchimique de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, chap. II (« “labore et constantia” »),
t. I, pp. 33 sqq. La traduction très littérale de Nuysement fut jugée si médiocre que Plantin, suivant
le conseil de son ami Porret, ne mit pas, semble-t-il, le livre en vente, ce qui en explique
l’extrême rareté (voir W. Kirsop, ibid.).
486. Sur la position de Del Rio à l’égard de l’alchimie, voir R. Halleux, « Helmontiana »,
pp. 54-56 (alchimie et paracelsisme) ; M. Baldwin, « Alchemy and the Society of Jesus in the
seventeenth century : strange bedfellows ? », Ambix, XL (1993), pp. 41-64, ici pp. 43-45
(M. Baldwin affirme cependant à tort que Del Rio ne fait pas rentrer l’alchimie dans la magie
naturelle) ; S. Matton, « La Compagnie de Jésus et l’alchimie », dans F. Greiner (éd.), Aspects de
la tradition alchimique au XVIIe siècle, où sont exposées les analyses de Pereyra et de Gregorio de
Valencia.
487. Voir S. Matton, « La Compagnie de Jésus et l’alchimie ».
488. Voir id.
489. Sur P. Bert, voir J.-G. Chauffepied, Nouveau dictionnaire historique et critique…, I,
Amsterdam, 1750, pp. 265-267 ; Biographie nationale publiée par l’Académie royale des
sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, II, Bruxelles, 1868, col. 292-298 (notice de Du
Bon de Saint-Genois).
126 Sylvain Matton
catholicisme, ayant abjuré entre les mains du cardinal de Retz après s’être réfugié en France,
où Louis XIII lui donna une chaire de mathématique au Collège royal et le nomma son
historiographe. Bert connut bien Lipse pour avoir étudié les belles-lettres à Leyde sous sa
direction et l’avoir accompagné en Allemagne en 1591. Bert enseigna d’ailleurs lui-même à
Leyde, d’abord comme régent des basses classes, puis dans le nouveau collège de
l’Université, dont il fut aussi le bibliothécaire, avant d’être nommé en 1606 régent du
Collège des États et fait en 1615 professeur en philosophie.
Bert s’intéressa au stoïcisme, tout particulièrement à la morale stoïcienne, et ses rela-
tions avec Lipse y furent sans doute pour quelque chose. En 1619, il prit pour sujet de son
cours à l’Université de Leyde le De brevitate vitæ de Sénèque, cours dont la leçon inaugu-
rale fut publiée sous le titre de P. Bertii Quum librum L. Annæi Senecæ De brevitate vitæ
publicè explicare adgrederetur, oratio, habita Lugduni Batavorum, VII. Eid. Quinctileis,
Anno M. DC. XIX (Leyde, 1619) 490. Mais cet intérêt ne conduisit apparemment jamais
Bert à remettre en question la philosophie d’Aristote, qu’il fit profession d’enseigner et qu’il
place, dans ses Logicæ peripateticæ libri sex (Leyde, 1604), au-dessus de toutes les
autres 491. En particulier, les nombreuses thèses universitaires qu’il présida, notamment
celles portant sur la physique, s’inscrivent clairement dans le cadre de l’aristotélisme. Ainsi
— et pour ne considérer que celles qui entretiennent un rapport plus ou moins direct avec
l’alchimie —, un an avant que Lipse ne publiât sa Physiologia Stoicorum, Bert fit soutenir
à l’Anversois Samuel I. F. Hochedé de La Vigne des Theses physicæ de elemento ignis,
eiusque motu in orbem (Leyde, 1603) 492, dont la première énonce :
« Contre les novateurs Cardan et ses suivants, l’on peut prouver de diverses
façons que le feu est un élément : 1) à partir de la raison du mouvement ; 2) à partir
de l’union («âzßl) des qualités premières ; 3) à partir de la résolution des mixtes.
Le feu élémentaire diffère cependant du nôtre en ce que celui-ci est le dernier degré de
la chaleur, tandis que celui-là est la chaleur même ; celui-ci est épais et dense, celui-
là ténu ; celui-ci brûle en raison de sa densité et de la compaction de sa matière,
celui-là ne brûle pas en raison de sa ténuité ; celui-ci est visible même de jour grâce
490. Cf. Quum librum L. Annæi Senecæ De brevitate vitæ publicè explicare adgrederetur,
oratio, Leyde, 1619, pp. 3-4 : « […] Senecæ libellum de Breuitate vitæ in manus sumere,
publiceque explicare instituerim, id priusquam rem ipsam adgrediar, statui paucis exponere : nam
& à vobis illud exspectari, & ab huius loci atque temporis ratione non esse omninò alienum,
puto. Vereor enim ne qui sint, qui me ordinem meum desruisse suspicentur, quod omisso
Aristotele, eiusque laudatissimo interprete, ad Stoicæ Philosophiæ Principem nunc accedam, vel
non mei muneris esse judicent, de longa & brevi vita disserere. »
491. Cf. Logicæ peripateticæ libri sex, Leyde, 1604, f. * r : « Philosophiam omnem Peripa-
teticam (quæ & Dogmatum veritate, & Ordinis accuratione, & Demonstratione robore, cæteras
omnes philosophias antecedit) […]. »
492. Theses physicæ de elemento ignis, eiusque motu in orbem, Quas […] sub patrocinio
[…] D. Petri Bertii Illust. DD. Ordinum Holland et Occidentalis-Frisiæ Collegii Theologici
Lugduno-Bat. Subregentis dignissimi, In eiusdem Collegii auditorio tueri adnitar Samuel I. F.
Iochedæus [sic] de La Vigne Antwerp., Leyde, 1603.
Alchimie et stoïcisme 127
à sa couleur, celui-là ne peut pas même être vu la nuit, parce qu’il est extrêmement
raréfié. Nous voyons donc le feu être très fort dans le fer incandescent, en raison de
sa densité, l’être moins dans le bois, être très faible dans le lin ou l’étoupe, être si
dilué dans la flamme que nous y faisons passer la main sans blessure, et tellement
ténu dans l’eau ardente qu’il ne se nourrit pas du linge, mais le lèche. Nous ne
voyons pas le feu élémentaire dans sa sphère. » 493
Il ne serait pas absolument illégitime de vouloir discerner dans ces thèses une influence
stoïcienne dans l’insistance non seulement à souligner la différence entre le feu élémentaire
et le feu ordinaire, mais encore à marquer la supériorité du feu sur les autres éléments. Les
stoïciens y sont au reste expressément allégués. Certes, la “citation” étrangement formulée
de Sénèque, « il convient que le sage fasse confiance », faite dans la seconde thèse pour
repousser l’objection de ceux qui, « trop attachés au sens et liés à la matière », nient qu’il
existe un feu élémentaire du fait qu’on ne le perçoit pas, est surtout d’ordre rhétorique 494. En
revanche, bien que banale, la citation de Zénon faite dans la quatrième thèse a une
importance au moins égale aux références faites à Aristote :
« Nous attribuons au feu une place dans la nature plus élevée que celles des
autres éléments, deux principaux arguments nous poussant à cela. Le premier est que
comme la supériorité d’un élément s’infère d’une propriété native de chacun, qui est
la marque de sa forme substantielle, et que la qualité du feu l’emporte de loin sur
toutes les autres, nous affirmons légitimement que le feu est plus noble que les
autres éléments. D’autre part, sa chaleur l’emporte parce qu’elle est plus active et
plus universelle pour produire des choses tant dans les œuvres de l’art (d’où vient,
semble-t-il, que le feu est appelé “maître des arts”) que dans celles de la nature — et
c’est pourquoi Zénon (au témoignage de Cicéron, dans le second livre du De natura
deorum 495), croyait que la nature n’est rien d’autre qu’un feu artiste, et qu’Aristote a
493. Id., f. G2r : « Ignem Elementum esse variè contra Cardanum, ejusque sequaces rerum
novatores probari potest. I. ex ratione motus. II. ex primarum qualitatum «âzßl. III. ex
mixtorum resolutione. Differt tamen ab igni nostro, quòd hic fit …∑◊ £|ƒ¥∑◊ Ã√|ƒx∑≥é, ille a…ª
…ª £|ƒ¥∫µ. hic crassus & densus, ille tenuis. hic vrat ob densitatem & materiæ compactionem,
ille ob tenuitatem non urat. hic conspiciatur etiam interdiu ob colorem, ille ne noctu quidem sit
conspicuus, quia rarissimus : Videmus igitur ignem in ferro candente validissimum esse, propter
densitatem, in ligno minùs, imbecilliorem eundem esse in lino aut stupa, in flamma ita dilutum,
ut manum traducamus sine offensione. In aqua ardente ita tenuem, ut linteum non depascar, sed
lambat : elementarem in suo orbe non videmus. »
494. Theses physicæ de elemento ignis, f. G2r : « Qui negant elementum esse, quia non
conspicitur, nimis videntur sensib. dediti, affixque esse materiæ. At rectè Seneca, SAPIENTEM
CREDVLVM ESSE OPORTERE dixit. » Il s’agit peut-être d’une allusion à Ad Lucilium epistulae
morales, I, III, 4 : « utrumque enim vitium est, et omnibus credere, et nulli ».
495. Voir ci-dessus, note 151.
128 Sylvain Matton
probable 505, dont les arguments pro et contra ne sont malheureusement pas exposés, mais
dont on sait au moins que pour Pierre Bert, étant un e{∑∂∑µ, elle ne devait pas être défendue
par le répondant, une proposition constituant selon lui un e{∑∂∑µ soit parce qu’elle est évi-
demment fausse, soit parce qu’elle implique quelque chose de manifestement faux, soit parce
qu’elle corrompt les bonnes mœurs, soit, enfin, parce qu’elle s’oppose aux opinions re-
çues 506. Traitant des météores souterrains après qu’eurent été examinés les météores ignés,
aériens et aqueux, la treizième et dernière thèse se présente en effet de la manière suivante :
« À partir de certaines des exhalaisons enfermées dans la terre et mélangées avec
elle sont produits des corps qui sont des mixtes parfaits, et ne sont donc pas à
proprement parler des météores, mais que l’on compte quand même parmi les
météores en raison de l’identité de leur cause et de leur matière. Ces corps sont les
métaux, les pierres et les terres précieuses. Les métaux sont immédiatement
engendrés à partir du soufre et du mercure, le premier se produisant à partir d’une
exhalaison chaude et sèche, le second à partir d’une exhalaison chaude et humide
lorsque se présente une fine onctuosité terreuse. Ils sont soit purs soit impurs. Les
purs sont l’or et l’argent. Les impurs ont les uns plus d’eau, les autres plus de terre.
Ont plus d’eau le plomb et l’étain, plus de terre le cuivre et le fer. Les pierres sont
produites à partir d’une exhalaison sèche lorsque se rencontre un onctueux terreux et
aqueux. Elles sont soit viles soit nobles. Les viles sont soit poreuses soit solides.
Les poreuses sont le tuf et la pierre ponce. Les solides sont le silex, la pierre à
aiguiser, le roc, l’émeri, la pyrite. Les pierres nobles sont les gemmes et les
marbres. Les espèces les plus nobles de ces derniers sont l’albâtre, le marbre
d’ophite, le porphyre. Les espèces les plus nobles des premiers sont le diamant, le
saphir, l’émeraude, la hyacinthe, l’améthyste, l’escarboucle, la calcédoine, le rubis,
la chrysolite, l’œil de chat, l’agate, la cornaline, le jaspe, l’onyx, la turquoise. Les
moins nobles sont le cristal, le corail, l’hématite et l’aimant. Les terres précieuses
505. Par opposition à l’ǵ{∑∂∑µ, ou thèse probable ; cf. Aristote, Topica, VIII, 5, 159a 39
et suiv.
506. Cf. P. Bert, Logicæ peripateticæ libri sex, V, III, IV et IX , Leyde, 1604, pp. 308-309 :
« De officio Respondentis. / Respondentis est ponere thesin, vel ǵ{∑∂∑µ , vel e{∑∂∑µ , vel
¥ä{Ä…|ƒ∑µ. / Ad opposita ita respondebit, ut neque concedat falsa, neque ea quæ ignotiora sunt
conclusione. / Si Thesis fuerit ex alienâ sententiâ non ex suâ, respondebit ad objectiones ex
alienâ potius sententiâ quam ex suâ. / CAP . IV . / Ad argumentum opponentis hoc modo respon-
dendum est. / I. si præmissæ veræ sint, neque iis evertatur thesis, dicendum est, videri : sed nihil
hæc facere ad disputationem. / II. Si insuper præmissæ sint falsæ, licebit cum eâdem protestatione
conclusionem concedere, præmissas negare. / III. Si & vera sint omnia, & ad rem faciant, viden-
dum est an ulla sit petitio principii. / IV. Si ad rem faciunt & sunt e{∑∂`, rejicienda sunt. / V . Si
neque ad rem conducant, neque e{∑∂` sunt neque ǵ{∑∂`, absolutè poterunt concedi. / VI. Si ad
disputationem pertinent, utendum vel distinctione, vel negatione, vel instantia. Nam si conce-
dantur evertetur thesis. / […] / CAP. IX. / Respondentis est antè disputationem præmeditari, & sibi
ipsi aliquid objicere, quod tacitè solvat. / Hoc Græci vocant √ƒ∑|z¤|§ƒ|±µ. / ıA{∑∂` non sunt de-
fendenda. / Idem præceptum lib. I. cap. II. Sunt autem e{∑∂`, I. Manifestè falsa. II. Ex quibus mani-
festè falsum sequitur. III. Quæ bonos mores corrumpunt. IV. Quæ receptis sententiis adversantur. »
Alchimie et stoïcisme 131
C ONC LUS I ON
L’approche historique des textes ne nous permet pas de voir dans le stoïcisme le
« modèle philosophique » de l’alchimie de l’âge classique, aussi bien que de l’alchimie de la
Renaissance et du Moyen Âge ; cette approche ne nous permet pas même de reconnaître
dans le stoïcisme un modèle parmi d’autres, avoué ou secret, et cela pour la simple et bonne
raison que les doctrines physiques stoïciennes étaient alors très mal connues, voire complè-
tement ignorées des alchimistes. Aussi, bien que sur les questions de l’esprit universel du
monde, des principes et des éléments, de la matière et de la forme, du mélange et des
mixtes, etc., les alchimistes de la Renaissance et de l’Âge classique aient développé des
thèses souvent divergentes ou franchement contradictoires, aucun d’entre eux ne semble
avoir repris de manière spécifique l’enseignement du Portique, et aucun ne s’en est jamais
sérieusement réclamé. Mais s’il n’y a pas de modèle stoïcien, cela ne signifie évidemment
pas qu’on ne puisse pas retrouver dans l’alchimie des éléments d’origine stoïcienne ou, sim-
plement, qui s’accordent avec les enseignement du stoïcisme — car il convient toujours de
bien distinguer, comme l’a fait Paul Kraus à propos du corpus jâbirien, entre ce qui relève
d’une « influence du stoïcisme », ce qui est « interprétation stoïcisante » et ce qui n’est que
point de rencontre non déterminant 508. Des éléments d’origine stoïcienne puisque, exacte-
ment comme pour les rédacteurs du corpus jâbirien, la physique stoïcienne n’est parvenue
aux alchimistes, pour l’essentiel, qu’ « encapsulée » dans la doctrine d’autres écoles philoso-
phiques, principalement celle du néoplatonisme. Et c’est bien le néoplatonisme ficinien,
non le néo-stoïcisme chrétien, qui exerça une influence déterminante sur l’alchimie des XVIe
et XVIIe siècles, en y introduisant la doctrine du spiritus mundi, identifié avec l’élixir. Sur
ce point capital, l’analyse faite par le philosophe Francesco Piccolomini (1520-1604) 509
dans le chapitre sur la quintessence de son De rerum definitionibus (Venise, 1600) 510 est
significative. Platonisant, mais sur la base d’une concordance de Platon et d’Aristote
reconduisant la physique du dernier, ce critique du stoïcisme et de l’alchimie ne rapproche
pas, comme il aurait pu le faire dans une intention polémique, la quintessence-élixir des
alchimistes, qu’il tient pour une rêverie, du pneuma des stoïciens : il remarque au contraire
que la quintessence des premiers ne peut correspondre au pneuma des seconds, dans la
mesure où, selon eux, ce pneuma n’a pas d’existence séparée des corps ; il ne nie pas, en
revanche, qu’elle puisse correspondre au véhicule éthéré d’une âme du monde, tel que
l’emprunte l’empereur Julien à « la théologie d’Orphée et des Phéniciens », dès lors que ce
véhicule est conçu comme un corps, encore que cela lui apparaisse absurde, l’âme du monde
ne pouvant « exhaler » un corps. Mais surtout, c’est par les thèses des « académiciens », qui
posent que la quinte essence est « l’essence du ciel, une perfection et pureté des quatre
éléments», que Piccolomini explique celle qu’extraient les chimistes. Enfin, c’est Ficin
même qu’il recopie, sans le signaler, lorsqu’il écrit :
« […] c’est l’opinion de beaucoup de gens qu’au moyen de sublimations l’on peut ti-
rer de tout ce qui se tient sous le ciel une quintessence, qu’ils disent extrêmement
précieuse, douée d’une merveilleuse vertu, très puissante pour prolonger la vie, pour
508. Cf. P. Kraus, Jæbir ibn Îayyæn […] Jæbir et la science grecque, Le Caire, 1942 (rééd.
Paris, 1986), p. 171 : « La confrontation de la théorie des éléments de Jæbir avec celle d’Aristote
a donc suffisamment montré que la différence entre les deux systèmes est due à une interprétation
stoïcisante des données péripatéticiennes. Je dis stoïcisante et non pas stoïcienne, car il est
historiquement improbable sinon impossible d’admettre une influence directe du stoïcisme sur
Jæbir. La physique stoïcienne ne lui est parvenue qu’encapsulée dans la doctrine d’une autre école
philosophique », celle du moyen platonisme.
509. Voir L. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, VI, pp. 377-379;
E. Garin, « Note e notizie », Giornale critico della filosofia italiana, XL (1961), pp. 124-135, et
Storia della filosofia italiana, pp. 656-661; A. Poppi, « Il problema della filosofia morale nella
scuola padovana del rinascimento : platonismo e aristotelismo nella definizione del metodo
dell’etica », dans : Platon et Aristote à la Renaissance, pp. 105-146.
510. Voir De rerum definitionibus liber unus…, Venise, 1600, f. 92v-94r ; texte reproduit ci-
dessous, Appendice III, pp. 143-144.
Alchimie et stoïcisme 133
donner de l’éclat à son génie et acquérir sans peine les sciences, ainsi que pour faire
de l’or, trois choses que les hommes désirent au plus haut point. Arnaud de Ville-
neuve et Raymond Lulle en particulier pensent qu’elle peut se tirer d’un vin céleste
et, jointe à de l’or céleste, être absorbée par celui-ci, et que se forme un or potable
d’une rare vertu 511. Telles sont en grande partie les consolations des chimiques per-
dus, qui rêvent encore que de l’or peut s’extraire une âme, à partir de laquelle on
pourrait ensuite produire beaucoup d’or. Mais examinons selon quelle théorie il est
possible d’extraire des choses une quinte essence, au moyen de sublimations. Il est
clair que cela ne peut se faire selon l’avis d’Aristote, d’une part parce que le ciel n’est
pas mélangé aux choses périssables, d’autre part parce qu’il n’existe pas un premier
corps plus pur et plus simple que les quatre éléments, et que d’un mixte on peut seu-
lement tirer les quatre éléments. Quant à l’opinion rapportée par Cicéron et attribuée
à Aristote 512, je n’en dis rien car c’est une erreur évidente, comme on l’a montré. À
propos de l’esprit universel des stoïciens, on doit également dire qu’il ne se peut ob-
tenir, non seulement parce qu’on ne doit pas l’admettre, comme l’a montré par divers
arguments Alexandre [d’Aphrodise], mais encore parce que les stoïciens pensent que
sa condition est de se répandre à travers les corps, et de les lier, et non pas de subsis-
ter séparément. Si nous parlons selon l’avis d’Orphée et des théologiens phéniciens,
leur quinte essence est soit incorporelle, soit un corps. Si elle est incorporelle, elle
ne convient pas, puisque ce qui est extrait au moyen de sublimations est un corps, et
qu’en outre l’incorporel ne constitue pas légitimement un cinquième degré entre les
corps ; si c’est un corps, il est absurde que l’âme [du monde] incorporelle exhale un
corps ; de plus on n’a jamais remarqué chez nous d’autre corps que les quatre élé-
ments, et ceux qui sont constitués d’eux. C’est pourquoi, si nous disons qu’elle peut
s’extraire de ces corps, nous sommes contraints de dire avec les Académiciens que la
quinte essence est une sublimation et une purification des quatre éléments, ainsi que
leur réduction en esprits subtils, de condition ignée et solaire, doués d’un pouvoir
exceptionnel en regard de la condition de ce dont ils sont tirés. Si nous disons cela,
nous ne nous opposerons ni à Aristote ni à l’expérience : mais ces esprits ne peu-
vent guère être correctement nommés une quinte essence, puisque ce sont des mixtes
des quatre éléments, et ils ne peuvent être doués de toutes les vertus que les chi-
miques attribuent à la quinte essence. » 513
511. Cf. M. Ficin, In librum de Cœlo, comment., Opera omnia, Bâle, 1576, II, p. 1603, (éd.
Paris, 1641, p. 557-558) : « Hunc igneum spiritum & uitalem Arnoldus & Raimundus putantes
rebus omnibus insitum, & quintam appellantes essentiam diligentissimè perscrutantur, quibus
machinis ab aliena materia separent, & segregatum qua potissimum custodia sibi conseruent ad
usus, ut sperant, omnium saluberrimos. Mitto quòd sperant si hunc ex uino tanquam ualdè cœlesti
diligenter acceperint, eum se adhibituros auro cœlesti quàm maximè : quem mox aurum combibat
ut cognatissimum, semperque retineat, fiatque potabile. »
512. Cicéron, Tusculanae disputationes, I, 10 ; voir ci-dessus note 271.
513. Voir ci-dessous, Appendice III, pp. 143-144.
134 Sylvain Matton
APPENDICE I
[Discours XVII]
Zénon dit : Assemblée des philosophes et des disciples, vous avez parlé de la façon de faire le
blanc ; il faut donc parler de celle de faire le rouge. Sachez tous, chercheurs en cet art, qu’à moins
de blanchir, vous ne pouvez faire le rouge, parce que les deux natures ne sont rien d’autre que le
rouge et le blanc. Blanchissez donc le rouge et rougissez le blanc ! Et sachez que l’année se divise
en quatre saisons. La première saison, qui est l’hiver, est de complexion froide, tandis que la
seconde, qui est le printemps, est de complexion <chaude> ; vient ensuite la troisième, qui est
l’été, puis la quatrième, où mûrissent les fruits, qui est l’automne. Aussi convient-il que vous
régissiez de cette manière les natures : par l’humidité de l’hiver, ensuite par la chaleur du
printemps et la sortie des fleurs, par l’ardeur et l’éclat de l’été, et de la façon dont < l’automne >
fait mûrir et adoucit les fruits pour qu’on les cueille sur les arbres. Donc, en teignant selon le
modèle qui vient d’être décrit, régissez les natures. Si vous ne le faites pas, ne vous en prenez à
personne d’autre qu’à vous-mêmes !
[Discours XXVI]
Zénon dit : Je vois, assemblée des sages, que vous avez conjoint deux corps, ce que notre
Maître ne vous a absolument pas prescrit de faire.
L’Assemblée répondit : Donne donc ton avis, Zénon, et garde-toi de toute jalousie !
Et lui : Sachez, fils de la science, qu’il faut que vous putréfiiez le composé pendant quarante
jours, puis que vous le sublimiez cinq fois dans le vase. Mettez-le ensuite au feu de fumier et
cuisez-le. Et sachez que les couleurs qui vous apparaissent à partir de là sont les suivantes : le
premier jour, la mugra citrine; le second, la mugra rouge ; le troisième, encore une couleur
semblable à du safran sec ; enfin, après cela, la couleur parfaite vous apparaîtra et on pourra
l’appliquer sur les monnaies d’argent communes. C’est alors l’iksir composé de l’humide et du
sec, et alors il teint d’une teinture qui ne change pas. Sachez que c’est un corps dans lequel il y a de
l’or. Par ailleurs, en établissant l’iksir, prenez garde à ne pas l’extraire avec précipitation, car il
lui arrive de s’attarder. Extrayez-le donc en fonction de la force de votre iksir. D’autre part, ce
venin est comme une naissance et une vie, parce qu’il est l’âme extraite de beaucoup de choses et
appliquée aux monnaies. Sa teinture est donc une vie pour les choses chez qui elle supprime
quelque chose de dommageable, et une mort pour les corps desquels on l’extrait. Voilà pourquoi
les maîtres ont dit qu’il y a entre eux un désir comme celui du mâle et de la femelle. Et si n’importe
qui d’introduit en cet art connaît les natures, il maintiendra un long temps de cuisson, jusqu’à ce
qu’il ait extrait, grâce à Dieu, ce qu’il s’est proposé.
[Discours XXXV]
Or, Zénon dit : Permettez-vous à quelqu’un d’ajouter quelque chose ?
Et l’Assemblée : Puisque les mots de Pythagore 517 et de Paxamos 518 ne sont pas suffisam-
ment utiles aux chercheurs en cet art, dis donc ce que tu sais, comme nous l’avons fait !
Et lui : Vous dites vrai, vous tous, chercheurs en cet art. Ce sont les paroles des [auteurs] ja-
loux, et rien d’autre, qui vous ont fait tomber dans l’erreur, car ce que vous recherchez se vend de-
vant tous les yeux à vil prix. Si les vendeurs connaissaient son prix, et tout ce qu’ils tiennent
dans leurs mains, ils ne le vendraient en aucun cas. Pour ce motif les philosophes ont fait hon-
neur à ce venin, en ont traité de façons nombreuses et variées, et l’ont appelé de tous les noms
qu’ils lui choisirent. Voilà pourquoi certains [auteurs] jaloux dirent : “il est pierre et non-pierre,
la vraie gomme ascine”. C’est pourquoi les philosophes cachèrent la force de ce venin. En effet,
517. Vitimerus = Pythagore (voir J. Ruska, Turba philosophorum…, p. 26) || 518. Bacsem
(Baqsam) = Paxamos (voir J. Ruska, ibid., p. 25 ; P. Kraus, Jæbir et la science grecque, p. 43).
136 Sylvain Matton
cet esprit que vous recherchez pour teindre tout ce que vous voudrez avec lui, se cache et se
dissimule dans un corps, invisible comme l’âme dans le corps humain. Or vous tous, chercheurs
en cet art, vous travaillerez en vain à moins que vous ne détruisiez et imbibiez ce corps, que vous
ne le broyiez et ne le régissiez doucement et soigneusement, jusqu’à ce que vous le tiriez de son
épaisseur et le changiez en un esprit ténu et impalpable. C’est pourquoi les philosophes ont dit :
“À moins que vous ne changiez les corps en incorporels et les incorporels en corps, vous ne
trouverez pas encore la manière correcte d’opérer”.
L’Assemblée dit alors : Démontre donc à tes suivants comment les corps se changent en in-
corporels !
Et lui : Qu’on les broie par le feu et l’ethelie, jusqu’à obtenir une poudre. Et sachez qu’on ne
l’obtient que par une coction extrêmement forte et par un broyage continu, au moyen du feu, non
des mains, avec imbibition, putréfaction, exposition au soleil et ethelie. Mais dans cet art [les
philosophes] ont fait se tromper la multitude, lorsqu’ils ont dit que c’est une nature vile qui se
vend pour peu de chose ; ils ont ajouté que c’est une nature plus précieuse que toutes les natures, et
ainsi ils ont induit en erreur ceux qui compulsent leurs livres. Et pourtant ils ont dit vrai. Donc,
gardez-vous de douter d’eux !
L’Assemblée répondit: D’où vient que tu crois les dires des [auteurs] jaloux ? Indique donc la
disposition des deux natures !
Et lui : Je vous signifie que l’art a besoin de deux natures, car le précieux n’advient pas sans
le vil, ni le vil sans le précieux. Il faut donc, chercheurs en cet art, suivre les paroles de Pythagore
quand il a dit à ses disciples : “Rien d’autre ne vous importe que de sublimer l’eau et la vapeur”.
Et l’Assemblée : Tout l’œuvre est dans la sublimation de l’eau et de la vapeur. Démontre-leur
donc la disposition de la vapeur !
Et lui : Lorsque vous voyez les natures devenir de l’eau sous la chaleur du feu, qu’elles sont
purifiées et que tout le corps de la magnésie est liquéfié comme de l’eau, alors tout a été fait
vapeur. Or, la vapeur retient alors de droit son égal. C’est pourquoi les [auteurs] jaloux ont
nommé vapeur ces deux choses, parce que l’une et l’autre ont pareillement été jointes dans la
cuisson, et que l’une a retenu l’autre, qu’alors sa nature n’a pas trouvé son chemin pour fuir,
quoique la fuite soit essentielle pour elle ; elle a pourtant retenu cette nature, parce qu’elle n’a pas
renoncé à fuir, mais n’a pas trouvé le lieu pour fuir, et elles sont devenues permanentes. Car quand
elle tombe cachée dans le corps, elle se congèle avec lui, et sa couleur se change, et elle extrait sa
propre nature par les propriétés que Dieu a communiquées à ses élus, et elle l’attrape pour qu’elle
ne fuie point. Mais la noirceur et la rougeur apparaissent, et elle tombe malade et elle meurt dans
la rouille et la putréfaction. Par ailleurs, elle ne possède pas alors droit à la fuite, parce qu’elle a
renoncé à fuir la servitude. Pourtant, elle devient alors libre, en suivant son conjoint, et elle
élève de sincères prières pour que sa couleur lui échoie, à elle et à son conjoint, et de là sa beauté,
telle qu’auparavant. En vérité, lorsqu’on l’applique à des monnaies d’argent, elle en fait de l’or.
Les philosophes ont nommé “vapeur” cet esprit et âme ; ils ont dit que c’est un esprit humide,
noir, exempt de souillure. Et tout comme il y a en l’homme humidité et sécheresse, notre œuvre,
que les [auteurs] jaloux cachèrent, n’est rien d’autre que vapeur et eau.
L’Assemblée répondit : Indique la vapeur et l’eau !
Et lui : Je dis que l’œuvre consiste dans les deux. Cependant les [auteurs] jaloux ont appelé
ces deux-là “composés”, parce qu’ils deviennent quatre, en lesquels il y a sécheresse, humidité,
esprit et vapeur.
L’Assemblée répondit : Tu as fort bien parlé, sans jalousie. Finalement, suivons donc
Zénon !
[Discours XLI]
Zénon dit : Tout ce que tu as dit, Sergios 520, est vrai ; toutefois je ne vois pas que vous, toute
l’Assemblée, ayez expliqué le “rond”.
Et lui : Parles-en donc, selon l’opinion que tu en as !
Et Zénon : Je signifie à mes suivants que le rond, qui change le cuivre en quatre, vient d’une
seule chose.
L’Assemblée répondit : En vertu de quoi dis-tu cela ? Expose donc à tes suivants la manière de
diriger !
Et ille : Libenter. Oportet ex aere nostro partem accipi, ex aqua vero permanente tres partes ;
demum commisceantur et coquantur, quousque spissentur et unus fiant lapis ; de quo invidi
dixerunt : ‘accipite de sincero corpore partem, de corpore vero magnesie tres, deinde commiscete
aceto recto masculo terrae mixto, et cooperi<te> vas et observa<te>, quod in eo est, et continue
coquite, donec terra fiat.
[Sermo LV.]
Inquit Pion : [Quod] Pitagoras de aqua iam tractavit, quam invidi omnibus nuncupaverunt
nominibus. Demum in fine sui libri de auri fermento tractavit, iubens ut ei quid sulfuris aquae
mundae imponatur et aliquantulum suae gummae. Miror, universa Turba, qualiter invidi in hoc
tractatu operis perfectionem prius quam initium narraverunt.
Respondit Turba : Cur ergo putrefacere dimisisti ?
Et ille : Verum dixistis ! Putrefactio non fit absque sicco et humido, vulgus autem humido
putrefacit, humidum utique sicco tantum coagulatur, et ex utroque tantum initium est operis,
quamvis invidi hoc opus in duo diviserunt partes, asserentes, quod unum citius fugit, alterum
verum fixum et immobile.
Alchimie et stoïcisme 139
Et lui : Volontiers. Il convient de prendre de notre cuivre une partie, et de l’eau permanente
trois parties. Qu’alors on les mélange et les cuise, jusqu’à ce qu’ils s’épaississent et deviennent
une seule pierre. Les [auteurs] jaloux ont dit à ce propos : “Prenez du corps non altéré une partie,
et du corps de magnésie trois parties ; mélangez ensuite avec du vinaigre rectifié mâle mélangé à
la terre, puis couvrez le vase, surveillez ce qu’il y a en lui, et cuisez de façon continue jusqu’à
obtenir une terre.
[Discours LV]
Zénon 521 dit : Pythagore a déjà traité de l’eau, que les [auteurs] jaloux ont appelée de tous les
noms. Puis, à la fin de son livre, il a traité du ferment de l’or, demandant que lui soient appliquées
quelque eau de soufre nette et un peu de sa gomme. J’admire, ô Assemblée, comment les [auteurs]
jaloux ont exposé, dans ce traitement de l’œuvre, l’achèvement avant le commencement.
L’Assemblée répondit : Pourquoi donc as-tu renoncé à putréfier ?
Et lui : Vous avez dit vrai ! La putréfaction ne se fait pas sans le sec et l’humide ; or le
vulgaire putréfie avec l’humide ; l’humide dans tous les cas est coagulé par le sec seulement ; et le
commencement de l’œuvre est issu de l’un et l’autre seulement, quoique les [auteurs] jaloux aient
divisé cet œuvre en deux parties, affirmant que l’un fuit assez rapidement, tandis que l’autre est
fixe et immobile 522.
APPENDICE II
Quocirca missis lubricarum opinionum fluctibus atque jactationibus, in tutum & tranquillum
portum nos recipiamus. Elementorum substantias mistio totis totas non inserit, sed qualitates
duntaxat miscet atque confundit, ut per totius compositi molem æquabiliter sint fusæ.
Primum enim quatuor illæ mundi simplices naturæ dum partibus quodammodo viribus
confluunt, in exiguas, non autem quamminimas portiones se distrahunt, eoque se ordine
componunt, ut quæque tandem alterius diversique generis cuipiam cohærescat, nihilque sensu
notari possit quod non ex quatuor earum portionibus constet.
Hoc positu exiguæ portiones suam formam, qualem ante permistionem, integram quæque
retinent : neque enim intensionem neque remissionem substantiæ ferunt.
At vero elementorum qualitates contrariæ totis totæ se permiscent, & mutua quadam
repugnantia sese vicissim ad moderationem quandam redigunt, fitque illarum confusione
temperamenti quoddam similare genus per unversam compositi molem diffusum. Quanquam igitur
substantiæ ≤`¢ı ø≥∑ temperari nequeunt, sed duntaxat continua appositione connecti :
qualitatum tamen consummata est permistio.
Quumque hæc absoluta fuerit, temperamentum accedit æquabiliter toti comspersum, & novam
protinus forma inducitur : ac tum vere efficitur diversorum in unum atque idem concretio. Quoniam
enim à forma & ejus vi totum subsistit, consentanem est, id ipsum ab unica & consimili, unum
simplexque fieri.
Quæ porro in hoc genito simplici corpore manent exiguæ elementorum portiones, suis
quidem formis integræ subsistunt, non tamen liberæ aut sui juris, sed simplicitæ, vinctæ, & quasi
interceptæ mutua qualitatum pugnantia, atque etiam dignioris formæ præsentia. Unde pristinas
sibique inditas vires expromere non valent, neque ignis urere, neque aqua impendio refrigerare.
Solum igitur potestate insunt : atque sic, ut, cum temperamento per obitum dissoluto ad se
redibunt, partesque propriis elementis reddentur atque restituentur universitati, nullius imperio
obstrictæ in libertatem vindicentur resumantque pristinas vires.
In hunc modum mistæ temperatæque elementorum portiones, materia fit totius, simplici
formæ substrata.
Hæc autem forma seu perfectio sui ubique persimilis est adeo, ut non modo particulæ quæ sub
aspectum recidunt, & quæ ex tenuibus elementorum portionibus constant, sed & ipsa
elementorum fragmenta, quæ seorsum non aliis permista substantiis intelligimus, totius speciem
gerant. Mistum enim jam est horum unumquodque, totiusque temperamentum accepit : nihil igitur
prohibet quo minus compositi totius species immigret in omnia.
Neque vero flagitium est fateri, duabus illa formis ornari, quarum una actu præsentique
imperio, altera ad tempus abrogata & antiquata, potestate duntaxat insideat. Ergo quæ fuerant
olim diversa, ignis, aër, aqua & terra, nunc in similaris corporis compositionem dum confluunt,
eandem similitudinem speciemque gerunt, omniumque fit in unum atque idem concretio.
Hæc fuerit nobis tanquam levis armaturæ primæ disputationis excursio, quæ simplices rerum
naturas persequuta sic coëgit, ut in π ¥ ∑ § ∑ ¥ | ƒ Ë µ compositionem conjecerit omnes ac
illigaverit. »
142 Sylvain Matton
APPENDICE III
Francesco Piccolomini
(De rerum definitionibus liber unus. Serenissimo Cosmo Medici Magno Hetruriæ principi dicatus,
Venise, 1600, ff. 92v-94 r)
QVINTA ESSENTIA.
DI S TI NC TI ONES .
Omnes consentiunt nomine Quintæ essentiæ denotari essentiam quandam corpoream,
purissimam, & eminentissimam. Insuper consentiunt dici Quintam cum relatione ad quatuor
elementa, adeò ut sit ordine corporum quinta, & dignitate prima. At quæ nam ea sit, summoperè
dissentiunt, & præcipuæ opiniones sunt quinque. Prima est Stoicorum dicentium eam esse
spiritum quendam communem, per uniuersum orbem effusum, partes eius nectentem &
uiuificantem, non secùs ac corpora animalium per spiritum proprium eorum. Secunda opinio est,
quòd sit eminentia sublimitas & puritas quatuor Elementorum, & præsertim Ignis, ut putârunt
Plato, & Plotinus. Tertio usurpatur pro entelechia, ex qua Anima & sydera sint conflata, ut ex
sententia Ciceronis. Quartò pro spiritu ex anima Mundi exspirato. Quintò pro essentia quinta
simplicum corporum, omninò seiuncta à conditione quatuor Elementorum ; & huiusmodi est
Cœlum ex opinione Aristotelis, quæ essentia infra orbem Lunæ non reperitur.
DEF I NI TI ONES
Cum Essentia quinta usurpetur mutipliciter, primò debet per id de quo consentiunt omnes una
communi circumscriptione definiri ; mox per propria variarum opinionum distinctè explicari, &
contrahi. Communi descriptione ita putarem posse circumscribi, Quinta essentia est substantia in
ordine simplicium corporum amplissima, purissima, & præciosissima. Ex sententia Stoicorum
Quinta essentia est primus & communis spiritus inter corpora tenuissimus & purissimus, effusus
per vniuersum orbem, nectens inuicem & perficiens partes eius. Ex opinione Academicorum est
essentia cœli, & est sublimitas, & puritas quatuor Elementorum, & præsertim Ignis, cæterorum
autem vt rediguntur in naturam igneam. Ex opinione, quam Cicero tribuit Arist. est substantia quæ
secundum essentiam continenter mouetur, ex qua Animæ & Stellæ conflatæ sunt. Ex Orphei, &
Phœnicum Theologorum sententia Quinta essentia est perspicuus, lucidusque spiritus, ex Mundi
anima effusus, eiusque imago, rerum formas passim efficiens, secernens, ac perficiens. Ex
opinione Arist. Quinta essentia est Natura & substantia Cœli, seiuncta à natura quatuor
Elementorum, eâque purior, simplicior, ac eminentior, apta sui conditione semper moueri in
orbem.
ANNOTATI ONES .
Considero primò, ut pertinet ad opinionem Stoicorum de ea multa dici ab Alexandro in cap.
de mixtione, & iure explodi, nam partes vniuersi, ut nectantur, & sibi cohæreant, non egent
alieno aliquo spiritu, sed per propriam naturam, & conditionem iunctæ sunt. Ita Aqua sui natura
hæret Aëri, & Aër Igni, & cum spiritus ille statuatur corpus, si per omnia mearet, daretur
penetratio corporum, explosa ab Arist. in quarta Physicorum, & præsertim quia pro connexione,
conseruatione, & perfectione sat est Lumen & motus Cœli, quorum uires per vniuersum effun-
duntur. Considero secundò, ut pertinet ad opinionem Academicorum, quod ipsi quatuor tantùm
putârunt, dari simplicia corpora & Elementa ; dicebant tamen ea non inueniri pura, sed permixta,
adeò ut in omnibus essente omnia. Cum enim putârint ea esse prædita anima, etiam putârunt
Alchimie et stoïcisme 143
debere includere conditiones omnium primorum corporum. Supremam aëris partem nuncupârunt
ætherem ; Cœlum dixêre ignem, quia existimârunt cœlum esse elementa omnia in igneam
conditionem eleuata, adeò ut re vera corpus simplex quintum, distinctum à conditione quatuor
elementorum non approbauerint; & omnium eorum materiam dixêre unà, & eandem, & proptereà
re uera eorum opinio differt ab ea Arist. Considero tertiò, ut pertinet ad opinionem tertiam ex
Cicerone depromtam, quòd ipse in I. Tusculanarum ait, Cum quatuor Elementis non competant
animorum officia, & affectiones, Arist. quintum genus adhibet, uacans nomine, & sic ipsum
animam }µ…|≥|¤|®`µ appellat, nouo nomine, quasi quandam continuatam motionem & perennem.
Insuper in progressu eiusdem libri addit, Sin autem est quinta quædam natura, ab Arist. inducta
primùm, hæc & Deorum est, & animorum, & post pauca, Ita quidquid est illud, quod sentit, quod
sapit, quod vult, quod uiget, Cœleste, & diuinum est, ob eamque rem æternum sit necesse est, nec
uerò Deus ipse, qui intelligitur à nobis, alio modo intelligi potest, nisi Mens soluta quædam &
libera, segregata ab omni concretione mortali, omnia sentiens & mouens, ipsaque prædita motu
sempiterno ; hoc è genere atque eâdem è natura est humana Mens. Et in primo Academicorum q.
cum dixisset quatuor elementorum duo superiora agere, Aquam verò, & Terram formari, & pati,
addit, quintum genus, è quo essent Astra mentesque singulares eorum quatuor, quæ supra dixi,
dissimile Aristo. quoddam esse rebatur, sed subiectam putant omnibus sine ulla specie, atque
carentem omni illa qualitate materiam quandam, ex qua omnia expressa, atque effecta sint &c. Ex
his refulget, quid ex opinione Aristotelis putauerit Cicero esse Quintam essentiam ; Eam enim
numerat in serie corporum, ait ex ea constare Astra & Mentes, inquit dici entelechiam, hoc est,
perennem motum, ac ex se moueri, addit eorum vnam esse communem materiam ; quæ tantùm
abest, vt sit opinio Arist. quòd nil pugnantius cum ea enunciari valeat. Nam ita Mens esset corpus
cum statuatur portio Quintæ essentiæ, numeratæ inter corpora, ex qua constant astra, quæ corpora
sunt. Insuper Arist. Quintæ essentiæ negat competere materiam primam communem : Similiter
negat Mentem ex se moueri, ut patet ex primo de anima. Prætereà entelechiæ nomen tribuit omni
actui cùm substantiæ, tùm accidentium. Mitto alia innumera, quæ addere possem. Considero
quartò, vt pertinet ad opinionem quartam, putantium Quintam essentiam esse spiritum ex mundi
anima exspiratum, nonnullos existimare quod quemadmodum in vniuerso Mundo intelligibili
idem est actus intelligentiæ, ita per vniuersum Mundum sensibilem effunditur ex anima Mundi
perspicuus quidam lucidusque spiritus, eius imago, formas passim efficiens atque secernens, vt
ille ideas : de hoc dici aiunt, Spiritus intus alit. Hinc Iulianus Platonicus ex Theologia Phœnicum
ait, diffusam esse per vniuersum, & singulis insitam naturam quandam tralucidam, atque Lucentem
in seipsa, quasi ex diaphano, & Lucido temperatam, neque mixtioni alienæ, neque passionibus
vllis obnoxiam, quæ sit actus quidam purus intelligentiæ, extra procedens, habeatque, inuisibile.
Lumen, & incorporeum, luminis huius visibilis & incorporei causam. Addunt, quòd huiusmodi
Lumen anima Mundi ex Mente recipit, ac illud quasi spiritum foras efflat, de quo putant debere
intelligi illud, Et spiritus ferebatur super aquas, quem spiritum Cœlum cœlorum appellant, ac ut
animæ particulares proprios exposcunt in animali spiritus, ex sanguine genitos, ita animæ
rationales ex Cœlo descendunt, hoc spiritu circumfusæ, ex anima mundi expirato tanquam
vehiculo æthereo. Et addunt nonnulli, ut ait Simplicius, cœlorum essentiam per uniuersum vsque
ad centrum esse effusam, ut Sphæræ cœlorum perfectæ & absolutæ essent. Considero quintò de
opinione Arist. nil esse dicendum, cum enim egerim de Cœlo, à quo Essentia quinta non
distinguitur. Patet quid ex eius opinione sit sentiendum, Cœlum enim est non sublimitas
Elementorum, sed Essentia quinta distincta à quatuor Elementis, ea simplicior, purior, &
præstantior, cuius materia differt ab ea mortalium nec valet à sua sede, aut per naturam, aut per uim
seiungi. Considero sextò, multorum esse opinionem, ex singulis sub cœlo positis posse per
sublimationes elici Essentiam quintam, quam dicunt præciosissimam, & præditam virtute
mirabili, plurimumque valere pro uita proroganda, pro illustrando ingenio, acquirendisque sine
labore scientijs, & pro gignendo auro, quæ sunt tria ab hominibus maximè exoptata. Arnaldus de
Villanoua, & Raimundus præsertim putant elici posse ex vino cœlesti, & iunctam auro solari,
imbibi ab eo, & constitui aurum potabile eximiæ virtutis, & hæ magna ex parte sunt
consolationes perditorum Chimicorum, qui etiam somniant ex auro elici posse animam, ex qua
144 Sylvain Matton
mox plurimum auri producatur 523. At perpendamus, secundum quam opinionem valeat per subli-
mationes ex rebus elici Quinta essentia ? Id non posse fieri per opinionem Ari. conspicuum est ;
tum quia cœlum non est permixtum cum mortalibus ; tum insuper quia non datur corpus prius
purius, & simplicius quatuor Elementis; ex mixto autem solùm quatuor Elementa elici possunt. De
opinione relata à Cicerone & Aristo. tributa, nil dico, quia est conspicuus error, vt apparuit. De
communi spiritu Stoicorum etiam dicendum est, non posse elici, ne dum quia concedi non debet,
vt varijs rationibus Alex. patefacit, verùm insuper quia ex opinione Stoicorum eius conditio est
effundi per corpora, eaque nectere, non autem seorsùm subsistere. Si loquimur de opinione
Orphei, & Phœnicum Theologorum, ea Quinta essentia vel est incorporea, vel corpus : si
incorporea ad rem non facit, quia id quod elicitur per sublimationes corpus est, insuper
incorporeum non rectè constituit gradum quintum inter corpora. Si est corpus, absurdum est
animam incorpoream spirare corpus ; insuper apud nos nunquam inspectum fuit aliud corpus
præter quatuor Elementa, & constituta ex eis. Quare si dicimus posse ex his corporibus elici,
cogimur cum Academicis dicere Essentiam quintam esse sublimationem, & depurationem quandam
quatuor Elementorum, reductionemque eorum in spiritus tenues; igneam & solarem quandam
conditionem includentes, eximia facultate præditos, ob conditionem eorum, ex quibus educuntur.
Hoc si dicimus, nec Aristo. nec experientiæ aduersabimur : at minus rectè illi spiritus Quinta
essentia nuncupantur, cum sint mixti ex quatuor Elementis, nec valent esse præditi tot viribus,
quos Chimici tribuunt Quintæ essentiæ
523. Voir encore F. Piccolomini, In libros Aristotelis De Cœlo…, Venise, 1607, « Expli-
catio tertiæ quæstionis, An materia Cœli & mortalium sit eadem », f. 96r : « Hunc spiritum
Arnaldus de Villanoua, & Raymundus Lullius viri arti sublimandi & inani Magiæ addicti dixerunt
per omnia esse effusum & per sublimationem ex cunctis elici posse, præsertim tamen ex vino, qui
mox arte in auro imbibitus constituere aurum illud potabile, saluberrimum pro vita proroganda &
nouo auro conficiendo ; quorum sententia potius tanquam delirium est negligenda, quam accurata
ratione reijcienda, nam ex materiatis corporibus nil nisi materiatum elici potest, Cœlum autem
est distinctæ essentiæ ; solum ex mixtis elici potest humor & spiritus aliquis tenuis & purus,
eximiæ alicuius facultatis, vt experientia docet, at non quinta illa ab eis nuncupata essentia. »
Index des noms et des ouvrages anonymes
Aarsleff, H. 55 Arnou 50
Abélard, voir Pierre Abélard Aros 18, 30
Abu l-‘Abbæs AÌmad ibn al-Îusain ibn Astanus 23
Jahær BuÏtær, dit Hames 17, 18, 21 Athénagoras 93
Aceti, G. 12 Athénée 29
Acropolitanus 52 Aubert, Jacques 104, 106, 107
Ægidius Romanus, voir Gilles de Rome Augurello, Giovanni Aurelio 48
Aëtius 28 Augustin, saint 35, 50, 82
Agrippa von Nettesheim, Heinrich-Corn- Averroès 39-40, 108, 109, 110
elius 46, 61, 62, 63, 67, 69 Avicenne (et ps.-) 51, 61, 62, 63, 64, 108,
AÌmad 17 109
Alary, François 31 Bacsem, voir Paxamos
Albohaly 21 Badawi, Abderrahman 17
Albugazal 31 Baldewein (Balduinus), Christian Adolph 8
Alcméon 21 Baldwin, M. 125
Aldrovandi, Ulisse 120 Balînºs, 23, 27
Alexandre d’Aphrodise 13, 102, 103, 105, Balmas, Enea 116
109, 111, 112, 142 Baqsam, voir Paxamos
Algazel 61, 62, 63, 64 Barbier, P. 56
Alméon, voir Alcméon Barchusen, Johann Konrad 94, 98
Ammonius (ps.-), voir Balînºs Basile Valentin 7, 117
Anaxagore de Clazomènes 21, 26, 41, 95, Bastholm, E. 49
100, 108 Bautz, T. 120
Anaximène 100 Bayle, Pierre 43
Angers, Julien-Eymard d’ 11 Beaulieu, A. 69
Antisthène 31 Becher, Johann Joachim 8, 33, 87, 93, 96,
Anzuini, Carlo Alberto 15, 25 97, 98, 103, 112, 113, 114
Apollodore 33 Becq, Annie 26, 27
Apollonius de Tyane (ps.-), voir Balînºs Bède le Vénérable 51, 53
Apollonius de Tyane 27, 37 Béguin, Jean 91
Apulée 31, 98, 99 Belgioso, G. 10
Archangelus de Burgonovo 48 Belin, Jean-Albert 69
Aristippe 31 Belinus, voir Balînºs
Aristophane 29 Bendegin, Carolus 96
Aristote (et ps.-) 13, 15, 21, 26, 29-32, Bergier, N. S. 57
35, 37, 43, 49, 60, 61, 62, 63, 64, 74, Bergmans, P. 28
90, 94, 98, 99, 101, 103, 108, 109, Bernard le Trévisan 30, 31
114, 126, 127, 128, 130, 142-144 Bernard de Clairvaux, saint 44
Arius Didyme 98 Bert, Pierre 125, 128, 130
Arlensis de Scudalupis, Petrus 82 Bertelli, S. 42
Arnaud, abbé de Bonneval, 52 Berthelot, Marcelin 13, 17, 20, 27
Arnaud de Villeneuve, 133, 143, 144 Bertius, P., voir Bert, Pierre
Arnim, J. von 15, 27, 35, 46, 82, 87, 89, Bianchi, M. L. 49
98, 99 Bietenholz, P. G. 51, 52
146 Sylvain Matton
Médicis, voir Côme Ier de Médicis Parnasse assiégé ou la guerre declarée entre
Meier, P. 42 les philosophes anciens et modernes
Meitzner, B. 38 (Le), voir Alary
Mélissus 21, 26 Partington, James Riddick 33, 56, 99, 113
Mennens, Guillaume 28, 39, 45, 46, 48,, Pascal, Pierre 44, 45
87, 88, 122 Passmore, J. A. 57
Mercure, voir Hermès Patai, R. 18
Merryweather, J. 60 Paul, saint 38
Mersenne, Marin 69 Paulmier-Foucart, Monique 26
Metzger, Hélène 10, 91, 113 Paxamos 134
Moïse 20, 23, 26, 80 Pelagius Africanus 31
Moltke, L. N. 60 Penot, Bernard G[illes] 34
Moran, B. T. 43, 48, 49, 88 Percolla, Vincenzo 15, 25
Morani, M. 27 Pereira, Michela 89, 111
More, Henry 43, 57 Pereirus, voir Pereyra
Moreau, Pierre-François 10 Pereyra, Benito 54
Morhof, Daniel Georg 64, 65, 67, 87 Perfetti, Amalia 23
Morienus 21 Perifano, Alfredo 14, 22
Morin, Jean-Baptiste 25 Perna, Pietro 116
Moritz von Hessen-Kassel 43 Perotti, Niccolò 11
Mosheim, J. L. 53 Perrenot, Antoine, cardinal de Granvelle
Mothu, Alain 56, 58 123
Mouchel, Ch. 9 Perrone-Compagni, V. 61
Multhauf, Robert P. 13, 56 Pétrone 121
M u ÒÌaf al-jamæ‘a, voir Turba philoso- Petrus Bonus 21, 22
phorum Peuckert, Will-Erich 56
Mylius, Johann Daniel 43, 47, 62 Pfeiffer, August 55
Mynors, R. A. B. 29 Philogène 31
Nasr, H. 16 Piccolomini, Francesco 47, 132-134, 142-
Nauert, C. G. 61 144
Nazari, Giovan Battista 23 Picinelli, F. 44
Nelli, René 8 Pico della Mirandola, Gianfrancesco 13
Némésius d’Émèse 27 Pico della Mirandola, Giovanni 13, 48
Neumann, Ulrich 120 Pierre Abélard 53, 54
Nigidius 117 Pierre Lombard 53
Nimidio 23 Pion (= Zénon) 138, 139
Nonius Marcellus 29 Pistorius, Johann 48
Nuysement, voir Hesteau de Nuysement Pitcairn / Pitcarne / Pitcarnius 90
Oldroyd D. R. 9 Pizimenti, Domenico 123
Oliver, R. P. 11 Planis Campy, David de 22, 80, 81
Olympiodore 31 Plantin, Christophe 125
Orphée 41, 61, 62, 64, 93, 132, 142, 144 Platon (et ps.-) 13, 14, 17, 18, 21-26, 31,
Osler, M. J. 11 41-50, 52, 54, 59, 63, 65, 72, 90, 95,
Ostanès 31 99, 101, 108, 132, 142
Ott, L. 51 Plessner, Martin 21
Ovide 21, 39, 116 Pline l’Ancien 29, 39, 81, 122
Pagano, A. 44 Plotin 26, 47, 49, 72, 98, 105, 142
Pagel, Walter 93 Plutarque (et ps.-) 22, 115
Pamele (Pamelius) 51 Pohlenz, M. 10
Paquot, J.-N. 28 Polémon 25
Paracelse 14, 26, 31, 43, 53, 96, 116, 124 Poliziano, Angelo 11
Parménide 21, 26, 41, 100 Pollion 117
150 Sylvain Matton
Thomasius, Jakob 12, 49, 53, 119, 120, Virgile 21, 45, 52, 61, 117
121 Vitimerus, voir Pythagore
Thorndike, Lynn 17, 24, 30, 44, 48, 51, Vivès, Juan Luis 49
56, 82, 88, 115 Von Martels, Zweder R. W. M. 33
Toll, Jacob 28, 116, 118, 122, 123 Walker, Daniel Pickering 57, 115
Tolomio, I. 12 Walkley, Thomas 734
Toth, Laszlo 23, 44 Wallas, G. 90
Traversari, Ambrogio 78 Walter Burley (ps.-), voir De vita et mori-
Tribout de Morembert 11 bus philosophorum
Trilogio della trasmutatione de’ metalli, tra Weber, C. 12, 64
il Filosofo, il Teorico et il Pratico 23 Webster, J. 67
Trismégiste, voir Hermès Trismégiste Weiss 11, 52, 99
Turba philosophorum 20, 21, 22, 23, 24 Weisser, U. 27
Ullmann, Manfred 18 Wenley, R. M. 10
‘UÚmæn ibn Suwaid al-IÏmîmî 21 Worm, Ole 49
Vacandard, abbé 54 Xénocrate 25
Valentin, voir Basile Zachaire, voir Zecaire
Valère Maxime 22 Zanta, L. 11
Valla, Giorgio 12 Zecaire, D. 30
Vallensis, Robertus, voir Duval, Robert Zénon (de Citium ou autre) 15, 20, 21, 23,
Vallès, Francisco 82 25, 26, 28, 31, 44, 46, 47, 75, 78, 79,
Van Helmont, Johann Baptista 93 80, 81, 86, 90, 93, 94, 100, 101, 119,
Van Hoghelande, Th. 104 127, 134-139
Vannier, L. 56 Zénon d’Élée 22
Vaughan, Thomas 35, 36, 37 Zénon l’épicurien 22
Végèce 32 Zenone, A. 23
Verbeke, G. 11, 12, 50, 51, 86 Zeumon (= Zénon), 21
Vigenère, Blaise de 35, 67, 69 Zimon (= Zénon), 21
Villon, Antoine 92 Zoroastre 26, 45, 62
Vincent de Beauvais 26, 27 Zorzi, Francesco, voir Georges de Venise
Violette, voir Du Chesne Zosime de Panopolis 23, 24, 31